56 exposition exposition 57 - FOUCHARD FILIPPI COMMUNICATIONS

12 août 2012 - jetée, puis remplacée par une fraî- chement démoulée. Pour cette œuvre, le lait, initialement liquide et vecteur de vie, a été gélifié en ma-.
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56 EXPOSITION

LeMatinDimanche I 12 AOÛT 2012

12 AOÛT 2012

EXPOSITION 57

I LeMatinDimanche

«Au lait! Quand l’art déborde» se découvre dans la Maison de la Vache qui rit de Lons-le-Saunier (F)

Patrick Tosani

Andres Serrano, Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie, Besançon

Patrick Tosani

Le lait, comme on ne le regarde jamais

c «Woman with Infant» (1996), d’Andres Serrano Le photographe reprend la thématique de la Vierge à l’Enfant, très présente jusqu’au XIXe siècle (ici Vierge allaitant l’Enfant, XVe siècle, sculpture de l’école bourguignonne). Selon le commissaire de l’exposition Laurent Fiévet, le lait de la femme noire aurait coloré son enfant.

«Au Lait! Quand l’art déborde», les artistes se servent du lait pour parler de mort et de création. Vous ne verrez plus jamais votre boisson matinale de la même manière. Léopoldine Gorret

Danse sur du Beethoven Dans l’œuvre de Sara Naim, «Beethoven – Moonlight Sonata» (2009), le lait danse, littéralement, sur la «Sonate pour piano No 14» dite «Au clair de lune». Selon la légende, Ludwig van Beethoven aurait composé cette sonate pour son élève et amante, Giuletta Gucciardi, qui désirait ardemment voir un clair de lune, malgré sa cécité. Afin de satisfaire ce souhait impossible, Beethoven aurait créé des sons qui donnent à voir, en s’inspirant des lumières de l’astre sur le lac de Lucerne. Sara Naim a reproduit cette démarche en créant des images qui donnent à entendre. Son amoureux est-il sourd? Du moins, sur ses photographies, on

peut voir le lait se trémousser dans tous les sens, réagissant avec sensualité aux ondes sonores, qu’on cherche à deviner. Ici, le lait est une rencontre, physique et symbolique, entre la blancheur de la lune et la fluidité du lac sur lequel elle se reflète. Un liquide amoureux, produit d’un rapprochement entre deux humains, deux éléments, deux sens. A l’œuvre de Sara Naim répond l’installation «Twist Again» (2010), de Géraldine Py et Roberto Verde. Sur une estrade noire, des gâteaux de panna cotta, délicieusement brillants, s’agitent sur «Let’s Twist Again» de Chubby Checker. A nouveau, le spectateur n’entend pas, mais devine la musique. Si cet anthropomorphisme de l’aliment est d’abord surprenant et joyeux, il devient très vite délétère. En effet, à force de danser, la panna cotta se fend, puis s’écroule. Elle sera alors

jetée, puis remplacée par une fraîchement démoulée. Pour cette œuvre, le lait, initialement liquide et vecteur de vie, a été gélifié en matière plus ferme, charnelle, vouée à la destruction. Nul dessert n’est irremplaçable, ni éternel. «Twist Again» opère donc comme une Vanité, ce genre particulier de la nature morte, censée remémorer à l’homme sa finitude. Ici, le lait sort de son cadre pour rappeler à l’homme le sien.

Une manifestation de jouissance

c «Zones» (2001), de Patrick Tosani Formé à l’architecture, Patrick Tosani aime photographier ses sujets en gros plan, puis les agrandir. Dans cette œuvre (200x150 cm), le verre de lait devient un ensemble d’espaces.

Sara Naim

Au quotidien, le lait est contenu. Dans un verre, un sein, une brique. Dans l’art, par contre, il se lâche. Il danse, gicle et se répand. Il enfreint toutes les lois, celles qui l’astreignent à la pureté comme celles qui l’enferment dans les limites d’un corps, d’un bol ou d’une bienséance. C’est, du moins, la vision qu’en donne l’exposition «Au Lait! Quand l’art déborde», présentée à la Maison de la Vache qui rit, à Lons-le-

Saunier (Jura français). Sur les treize œuvres exposées, neuf figurent un mouvement, de l’explosion au dandinement.

Pour Patrick Tosani et ses «Chaussures de lait» (2002) – une série de photographies où l’on voit, en gros plan, des chaussures remplies de lait débordant – il n’est plus question de danser, même si les souliers sont un outil du mouvement. Comme dans «Twist Again», le lait y singe le

c Mise en scène La scénographie de l’exposition, fluide, s’est adaptée à son sujet.

c «Beethoven – Moonlight Sonata» (2009) de Sara Naim Trois images extraites de l’ensemble photographique dans lequel le lait danse sur du Beethoven. Contrôle qualité

Contrôle qualité

La Maison de la Vache qui rit

Matthias Müller

c «Alpsee» (1994), de Matthias Müller Le jeune protagoniste du film verse du lait dans un verre, jusqu’à en inonder sa mère, puis sa maison. Par cet acte symbolique, il s’émancipe d’un cadre rigide et accède à la masculinité.

corps de l’homme, et lui évoque sa disparition. La matière humaine semble s’être évaporée, pour ne laisser qu’une trace, non pas de pied, mais de lait. Dans ce liquide répandu, il y a le souvenir d’un être. Or cette essence en suggère une autre, à la consistance et couleur approchantes, et qui contiendrait, non pas le souvenir, mais l’anticipation d’une existence nouvelle. La petite mort est aussi porteuse de vie. D’ailleurs, si le lait provient du corps de la femme, et la semence de celui de l’homme, leur fabrication nécessite, généralement, l’association de deux entités contraires, comme figurée dans l’œuvre. Le blanc se mélange au noir, le fluide au rigide, le pur au sale (les chaussures ont servi). Pour Silvia Guerra, cocommissaire de l’exposition, si le lait est majoritai-

rement représenté – dans l’art en général – mouvant, voire débordant, c’est justement «parce qu’il est un prolongement de la vie. Il y a là une façon de montrer cette vitalité, cette pulsion naturelle de jouissance.» Répandre du lait, cette substance utile, première, ne serait pas un gâchis, une volonté de s’affranchir des cadres et se libérer des normes, mais une manifestation de la jouissance, et, par extension, de la création. Héraclès n’a-t-il pas, en giclant du lait sur le ciel, créé la Voie lactée? x

EXPOSITION U

À VOIR

À DÉGUSTER Dans l’exposition

c «Chaussures de lait» (2002), de Patrick Tosani L’artiste s’intéresse beaucoup au corps, ainsi qu’à son rapport à l’espace. Ici, le lait en est la trace.

«Au Lait! Quand l’art déborde.» Du 13 juillet au 23 septembre. La Maison de la Vache qui rit, rue Richebourg 25, 39000 Lons-le-Saunier, Tél. +33 (0)3 84 43 54 10.