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pourquoi les livres ne se vendent plus

le Pulp

dix ans de nuits à Paris

télé

plus mobile moins débile

M 01154 - 815 S - F: 4,20 €

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Allemagne 5,10€ - Belgique 4,50€ - Canada 7,00 CAD - DOM 5,80€ - Espagne 4,80€ - Grande-Bretagne 5,20 GBP - Grèce 4,80€ - le Maurice 6,50€ - Italie 4,80€ - Liban 12 500 LBP - Luxembourg 4,50€ - IPortugal 4,80€ - Suède 56 SEK - Suisse 7,50 CHF - TOM 950 CFP

No.815 du 13 au 19 juillet 2011

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j’ai visité sa maison en chantier avec

Gérard Depardieu

 E

ntre mille occupations, Gérard Depardieu retape depuis six ans un hôtel particulier dans le VIe arrondissement de Paris. Derrière un haut mur ravalé couleur crème, une courette flanquée de deux petits pavillons refaits à neuf (l’acteur habite occasionnellement l’un d’eux), puis un beau bâtiment Directoire en plein chantier, un jardin paysager tout neuf, et enfin, un second bâtiment de type industriel, quasiment terminé, dans lequel nous attendons l’acteur, en compagnie de Bernard Quentin, artiste qui participe à la recréation des lieux. Moderne, ample, épuré, ce deuxième bâtiment est une belle pièce d’architecture et de design, avec matériaux précieux (marbres, granit, bois de toutes provenances…), puits de lumière, détails ciselés comme cette façade en métal d’inspiration moucharabieh déroulant un poème dédié à Confucius en babelweb, le langage visuel inventé par Quentin, mi-signalétique, mi-hiéroglyphes. Le “gros Gégé” déboule et tel un metteur en scène, entreprend derechef Bernard Quentin au sujet de la disposition d’une table. “C’est pendant les travaux que j’ai connu Bernard, explique Depardieu, et ça s’est fait avec lui comme tout ici : sans forcer. Il n’y avait pas de plan, et donc, je n’ai rien construit, c’est l’espace qui nous a construits. Il n’y a rien de plus con qu’un entrepreneur. L’entrepreneur, c’est un militaire, c’est un bourge qui va dire à sa femme : tu vois chérie, c’est pour toi que je refais cette maison.” Intarissable, ogresque, jouisseur de la parole, Depardieu se lance dans des tirades au souffle long, enchaînant les sujets de façon acrobatique, de l’histoire ancienne de ce lieu jusqu’aux artistes. On lui découvre une passion pour la peinture et l’art contemporain, qui explique peut-être en creux ses récents commentaires dépréciateurs sur le cinéma. “Chez Bernard,

“trouver la place d’un objet, d’une pensée, d’une liberté, ça prend du temps”

on peut trouver traces des hiéroglyphes, des moucharabiehs, de l’écriture mésopotamienne. Un artiste ne peut inventer tout, tout seul, même les plus grands, même de Vinci. Je ne pense pas que Matisse aurait pu réussir son bleu sans avoir vu un bleu dans les livres bibliques du Moyen Age. Il n’y a rien qui sort uniquement de toi, sauf ta merde, mais dans cette merde aussi, il y a quelque chose qui ne vient pas de toi. Parfois, je préfère l’atelier de Francis Bacon à ses tableaux. Je préfère quelqu’un qui est en violence avec lui-même que le tableau qu’il exécute.” On tente de redescendre sur terre en questionnant l’acteur sur l’usage de ce lieu où tout n’est que créativité, luxe, calme et volupté. Est-ce son domicile ? Un futur hôtel ultraselect ? Une maison pour les amis, pour faire la fête ? “J’y habite de temps en temps… Mais je ne sais pas encore ce que je vais en faire. Ce n’est en tous cas pas un lieu pour faire la fête, au contraire, plutôt pour méditer, avoir des conversations. Dans toute maison, il y a un endroit où on lit, où on peut penser. C’est l’espace, l’occupation de l’espace, qui m’intéresse. La fête, c’est fermé, comme un ventre dans lequel tous les vices se forment et se déforment. Là, au contraire, c’est la pureté, c’est affronter cette vérité qui peut sortir de nous, avec nos vices et nos puretés. Le thème qui a guidé ce lieu, c’est le passage du temps. Avant de prendre possession de ce lieu, il faut se connaître et bien s’apprivoiser. Même moi qui suis cuisinier, il m’a fallu du temps pour apprivoiser cette cuisine. Trouver la place d’un objet, d’une pensée, d’une liberté, ça prend du temps.” Quand le photographe lui demande de poser devant la maison, l’acteur tonitrue une réponse depardivinissime : “T’as pas besoin de me prendre, photographie juste la maison, ça suffit, puisque cette maison, c’est moi !” Serge Kaganski photo Renaud Monfourny Gérard Depardieu recevra le 8 octobre le prix Lumière pour l’ensemble de son œuvre ; Bernard Quentin est exposé jusqu’au 30 juillet à la galerie Catherine Houard, 15, rue SaintBenoît, Paris VIe

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No.815 du 13 au 19 juillet 2011 couverture photomontage Michel Denisot. Stéphane Cardinale/Corbis et Andy Ryan/Getty Images

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03 quoi encore ? Gérard Depardieu

08 on discute courrier ; édito de Serge Kaganski

10 sept jours chrono le paperblog de la rédaction le rap sénégalais dans la bataille politique

18 ailleurs les artistes cubains reviennent au pays

20 la courbe ça va ça vient ; billet dur

21 nouvelle tête

Jacques Torregano/Fedephoto.com

14 événement

Lola Créton

22 parts de marché La Tribune fait l’économie de salariés

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24 à la loupe LMFAO, le tube gonflant de l’été

26 la télé mute

Franck Cruziaux/RÉA

les jeunes la regardent moins, ou plus du tout, mais surtout autrement. Qu’en pense l’indéboulonnable Michel Denisot ?

41 Eva pas dans le mur les écologistes ont choisi Eva Joly malgré la puissance médiatique de Nicolas Hulot face à internet et aux chaînes tout info, les télés généralistes font mieux que résister

45 presse citron revue d’info acide

47 que le meilleur perde les politiques en quête de défaite

48 idées

54

Günther Anders, un philosophe visionnaire

Rocco Rorandelli/TerraProject/Picturetank

42 la présidentielle à la télé

50

50 Hollie Cook, épicée fille d’un punk et d’une pop-star, elle rénove avec grâce le reggae

54 l’esprit des jeux vidéo Benni Valsson

panorama des revues et des ouvrages érudits qui analysent le phénomène

58 Pulp fictions sur une musique qui défonce, le Pulp a suivi la montée de l’identité lesbienne

62 le livre dort les ventes ont chuté d’un coup en février : enquête auprès des éditeurs au Festival d’Avignon, Arthur Nauzyciel adapte le roman de Yannick Haenel

118 une BD tout l’été Rock Strips en avant-première

Frédéric Nauzyciel

66 dans les pas de Jan Karski

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

72 Jerzy Skolimowski Deep End et Travail au noir

74 sorties Le Moine, I’m Still Here, La Mujer sin piano, Les Deux Chevaux de Gengis Khan…

76 portraits Kristen Wiig, Andy Serkis

78 dvd Les Yeux de Julia, La Chamade…

80 rencontre le dessinateur d’anime Nobuteru Yuki

82 Black Lips de la pop dans le garage

84 mur du son Jarvis Cocker, Peter Doherty…

86 chroniques ECM revisité, Destroyer, Dona Confuse, Dye, Miami Horror…

92 morceaux choisis Stay +, The Horrors, Total Slacker…

93 concerts + after-show Eurockéennes de Belfort

94 spécial été : les pseudonymes tour de la question en quelques noms

100 bd Binky Brown de Justin Green

102 Pina Bausch dernière + Week-end international à la Cité

104 spécial été : la parole aux artistes entretien avec Ryan Gander

106 Warriors of Radness surf et fun pour la plage

108 le mercato audiovisuel on prend les mêmes et on recommence

110 Radio Citron ouvre ses ondes aux malades mentaux

111 Gale Anne Hurd productrice de The Walking Dead

112 séries Game of Thrones cherche sa voie

114 télévision soul sisters

116 Primaires à gauche un serious game sur la présidentielle profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 121

117 la revue du web décryptage

122 best-of le meilleur des dernières semaines

rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs E. Barnett, R. Blondeau, J. Brabant, M.-A. Burnier, B. Catanese, A. Compain-Tissier, M. Despratx, A. Dreyfus, L. Dunois, P. Dupont, P. Guedj, J. Goldberg, M. Guèye, E. Higuinen, O. Joyard, B. Juffin, L. Laporte, T. Legrand, H. Le Tanneur, L. Mercadet, P. Mouneyres, V. Ostria, O. Père, M. Philibert, E. Philippe, S. Piel, T. Pietrois-Chabassier, A. Poujol, J. Provençal, L. Soesanto, P. Sourd, S. Triquet, B. Valsson, R. Waks, C. Weiner lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Delphine Chazelas, Guillaume Falourd, Caroline Fleur, Amélie Modenese conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeurs artistiques Pascal Arvieu, Mathieu Gelezeau (remplaçant) maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Camille Roy publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/ scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté d’Arthur Bellot tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 Dorothée Malinvaud (spécial festivals) tél. 01 42 44 15 67 coordinatrice Dounia Hajji tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 19 98 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94, Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 chef de publicité junior Chloé Aron coordinatrice Margaux Monthieu tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65, chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général David Kessler directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2011 directeur de la publication David Kessler © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un CD “Eté 2011” mis sous film dans l’édition générale ; un encart “Route du rock” encarté dans l’édition vente au numéro de Paris-Ile-de-France, des départements de l’Ouest et dans l’édition abonnés ; un encart abonnement 2 pages France dans l’édition France de la vente au numéro ; un encart abonnement 2 pages Belgique et Suisse jeté dans l’édition vente au numéro Belgique et Suisse.

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l’édito

the dream is over 2011, terminus de l’odyssée de l’espace. La navette Atlantis effectue le dernier vol d’un programme initié il y a quarante ans, à la suite du programme Apollo et de la conquête de la Lune. Souvenons-nous : le 15 juillet 1960, il y a cinquante et un ans quasiment jour pour jour, le candidat John Fitzgerald Kennedy lançait son célèbre discours sur la “nouvelle frontière” et la conquête spatiale. L’Amérique et l’Occident étaient en pleine bourre, c’était les trente glorieuses, la croissance économique à deux chiffres, la naissance des classes moyennes et de la jeunesse rythmée par la déferlante rock. L’avenir était tellement prometteur, désirable au point que les hommes voulaient la Lune. L’espace inspirait les artistes, les auteurs de science-fiction investissaient les rayons des librairies, avec à leur tête Asimov et Bradbury, pendant que Kubrick signait 2001, prototype filmique inégalé, et que Neil Armstrong posait réellement le pied sur la Lune le 21 juillet 1969. Aujourd’hui, des années de Reaganomics et la crise du libéralisme sont passées par là. L’Amérique et l’Occident sont en pleine mouise, ce sont les trente foireuses, la croissance peine à atteindre le chiffre deux, les classes moyennes sont étranglées et la jeunesse s’indigne au son des boucles techno. Le programme spatial est trop coûteux (des milliards pour quelles avancées significatives ?), les navettes sont trop dangereuses (Challenger, Columbia, quatorze morts), et alors que les derniers chiffres du chômage américain sont mauvais malgré une injection artificielle de 600 milliards de dollars pour relancer l’économie, alors que la dette US est aussi profonde et dangereuse qu’un trou noir, Barack Obama arrête les frais, au sens le plus littéral de l’expression. Certes, le Prez promet une nouvelle ère spatiale, rêvant peut-être de Mars, mais on ne se leurre pas sur la portée symbolique de cet arrêt des fusées : la nouvelle ère, la nouvelle frontière, ce ne sont pas les autres planètes, mais la lutte contre la détérioration des conditions de vie sur Terre et contre les politiques qui envoient les peuples dans le mur. La Lune est dans le caniveau, l’Amérique et l’Occident ne bandent plus mais tentent d’enrayer leur déclin de plus en plus patent. Comme le chantait déjà Lennon à la fin des Beatles, au tournant des seventies, the dream is over.

Serge Kaganski

Tristane Banon va sortir un album ???? méchamment mailé par Robin des Pierres les cinq snobismes capitaux du lecteur des “Inrocks”

mercredi, 13 heures du matin Mal réveillé derrière ses lunettes à grosses montures de concepteur freelance, le lecteur des Inrocks traîne ses Feiyue usées jusqu’au tabac du coin. Il en profite pour acheter son “dernier paquet” de Chesterfield parce que les cigarettes électroniques, il trouve ça drôle sur Arielle Dombasle et Houellebecq, mais il ne s’y habitue pas. Après un coup d’œil dédaigneux à la couv’ de Technikart, le lecteur des Inrocks commence sa revue de l’actu culturelle, qu’il traînera jusqu’au mercredi suivant en dispensant des “oui, je sais” désabusés à ses amis ringards, cantonnés depuis le lycée aux rubriques grand public du Grand Journal. Nelly, Jean-Daniel et les autres Le lecteur des Inrocks connaît par cœur les plumes de ses articles préférés. D’ailleurs, il sait d’avance qui a écrit quoi. Les interviewsfleuves de Serge (Kaganski), les découvertes electro-néo-punk de JDB (Jean-Daniel Beauvallet), les films d’auteurs asiatiques de Jean-Marc (Lalanne), les plaisirs littéraires (solitaires ?) de Nelly (Kaprièlian) : tout ça n’a plus de

secret pour lui. Il s’amuse d’ailleurs à les imiter mais abandonne vite face à la pauvreté de son écriture. Il se consolera avec le “Billet dur” de Christophe (Conte), après avoir fait semblant de tout comprendre à la “Courbe” de Diane (Lisarelli). l’ancienne formule Depuis qu’il prête son magazine à son beau-frère qui a oublié d’acheter Le Point, le lecteur des Inrocks ne se lasse pas de regretter l’ancienne formule, uniquement culturelle, voire uniquement musicale, comme le puriste qu’il est. Il s’énerve toutes les semaines en prenant des nouvelles de Nicolas Sarkozy, lui qui en voudrait de Bob Dylan. Et puis toutes ces pubs, et ces enquêtes sociologiques... De quoi bougonner en se réfugiant dans ses vieux albums de Neil Young... qu’il écoutera en regardant des photos impressionnantes de Fukushima et de la place Tahrir. la hype qui s’ignore Le lecteur des Inrocks est hype, et il le sait. Par contre, c’est avec un naturel étonnant qu’il fera semblant de l’ignorer. Il utilisera toujours l’expression “branchouille” d’un air détaché, mimant des guillemets de ses doigts habitués à googler les nouvelles tendances, écoutant Le Petit Journal de Yann Barthès d’une oreille faussement distraite. les private jokes Seul un lecteur des Inrocks vannera votre “style de notaire à la Alexis Taylor”, vous accusera de “danser comme Thom Yorke” ou d’avoir “la santé mentale de Kevin Barnes”. Autant dire que le lecteur des Inrocks rit souvent tout seul (et il aime ça). la revendication Etre lecteur des Inrocks est un snobisme en soi. Il le revendique en se baladant avec son exemplaire sous le bras, plié de façon à laisser la couverture visible de tous. Dans la rue, il marche fièrement : le lecteur des Inrocks s’aime comme il aime son magazine. Maxime de Abreu

Ecrivez-nous à [email protected], lisez-vous sur http://blogs.lesinrocks.com/cestvousquiledites

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la bande-son de l’été 2011

Les chansons désabusées de Miossec, les mélodies vanillées d’Hollie Cook, les airs envoûtants de Tinariwen. 1. Foster The People Pumped up Kicks

8. Orelsan Plus rien ne m’étonne

Extrait en avant-première de l’album Torches (Sony) Hymne survitaminé et déjà annoncé comme la BO de l’été, le tube de ces Californiens sonne comme si la joie venait d’être déclarée d’utilité publique et la fin du monde repoussée à 2073.

Extrait en avant-première de l’album Le Chant des sirènes (3e Bureau/Wagram) Cocaïne pas chère, Twitter, sextapes, Direct 8 : le petit prodige caennais décrit toujours la jeunesse française mieux que personne.

2. The Rapture Sail away Extrait en avant-première de l’album In the Grace of Your Love (DFA/Cooperative Music/Pias) The Rapture renaît avec un épatant et bouillant quatrième album, le premier en cinq ans, enregistré en partie à Paris avec le maître Philippe Zdar : préparez-vous à danser.

9. Tinariwen Imidiwan ma tenam (feat. Nels Cline from Wilco) Extrait en avant-première de l’album Tassili (V2/Cooperative) Entre ciel et dunes, Tinariwen enregistre sa plus belle musique : un envoûtant canevas qui mêle guitares arachnéennes et voix où saigne la douleur d’un peuple.

10. Other Lives For 12 3. Outlines I Cannot Think Extrait de l’ep I Cannot Think (Casablanca Records/Mercury/Universal) Cet échafaudage hasardeux brasse un groove suave et languide : la pop ambitieuse de ce duo parisien fait du bien au cœur.

4. Scala & Kolacny Brothers Smells Like Teen Spirit Extrait en avant-première de l’album Scala & Kolacny Brothers (Wall of Sound/Pias)) Cette large chorale féminine et belge s’est attaquée aux hymnes de Radiohead, Metallica, Oasis ou Nirvana notamment, pour des versions sublimes de pureté et d’amplitude.

5. The Antlers French Exit Extrait de l’album Burst apart (French Kiss/Cooperative Music) Attention, chef-d’œuvre : des New-Yorkais méconnus livrent un album d’une beauté sombre et renversante, entre torch-songs effarées et ballades de cristal.

6. Miossec Chanson pour un homme couvert de femmes Extrait en avant-première de l’album Chansons ordinaires (Pias Recordings France) Deux ans après son dernier essai, le Breton revient avec une nouvelle collection de chansons élégantes et désabusées, à l’électricité râpeuse, dont ce titre constitue sans aucun doute l’une des têtes de pont.

Extrait en avant-première de l’album Tamer Animals (Pias) Possédé, céleste, sans âge et sans frontières, le folk de ces Américains de l’Oklahoma décolle de la terre ferme. On en avait bien besoin.

11. Fink Yesterday Was Hard on All of Us Extrait de l’album Perfect Darkness (Ninja Tune/Pias) C’est en pleine lumière que se joue le folk futuriste et majestueux de cet Anglais, ancien DJ à la plume captivante.

12. Teofilo Chantre Tu verrais Extrait de l’album Mestissage (Lusafrica/Sony) Sur des paroles en français de Marc Estève, le Capverdien butine cette nostalgie océanique dont Césaria Evora a fait son miel.

13. Hollie Cook Body Beat Extrait de l’album Hollie Cook (Mr Bongo/Pias) Espiègle et futée, l’Anglaise Hollie Cook assure la relève de Lily Allen avec un album plein de mélodies fondantes et de refrains vanillés.

14. Mansfield.TYA Des coups, des cœurs Extrait en avant-première de l’album NYX (Vicious Circle/Discograph) C’est sans doute l’une des formations françaises les plus passionnantes de l’époque. Nocturne et lunaire, rugueux ou caressant, NYX est une ahurissante encyclopédie des émotions.

7. Housse De Racket Roman Extrait en avant-première de l’album Alesia (Kitsuné/Cooperative Music) Peaufiné par le magicien Philippe “Cassius” Zdar, le deuxième album d’Housse De Racket voit le duo français délaisser les concepts pour enchaîner les tubes épiques.

15. Sarabeth Tucek At the Bar Extrait de l’album Get Well Soon (Sonic Cathedral/Pias) Apparentée à Karen Carpenter, Suzanne Vega et Cat Power, Sarabeth Tucek n’a besoin de personne pour faire entendre son folk élégiaque. 13.07.2011 les inrockuptibles 9

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction ci-gît Cy Il peignait comme d’autres écrivent. Sa poésie surgissait en boucles, en traits, en coulures. Le 5 juillet, on apprend la mort de Cy Twombly, 83 ans. Proche des avant-gardes des années 50, Rauschenberg et Jasper Johns, tombé amoureux de la culture antique, il avait choisi de vivre à Rome. La collection Lambert en Avignon lui rend hommage en présentant son travail photo jusqu’au 2 octobre.

le mot

Francis le Gaucher

“Affaire Strauss-Kahn : le PS n’arrive pas à tourner la page”, se réjouit un quotidien conservateur. Pour un autre, plus progressiste, c’est M. Strauss-Kahn lui-même qui aimerait bien la tourner, cette page. La France, lit-on ailleurs, “veut tourner la page des candidats bling-bling”, l’UMP “a tourné la page Georges Tron”, l’Italie serait “prête à tourner la page Berlusconi”, l’industrie “tourne la page de la crise” et M. Montebourg rêve de “tourner la page de l’ordre ancien”, ce qui dans son esprit rétroactif et protectionniste signifie sans doute “du monde moderne”. Quelle curieuse conception ! De quoi tourne-t-on la page ? Du grand livre de l’Histoire où chaque acteur ajoute quelques lignes ? Voila une conception très IIIe République, comme une nostalgie de ces manuels linéaires et fantasmatiques où l’on tournait la page de Mazarin pour tomber sur celle de Louis XIV et celle de Voltaire pour découvrir la Révolution. Il est à craindre que l’Histoire ne fonctionne pas ainsi et qu’un facétieux ait collé quelques pages entre elles. A tout prendre, il vaudrait mieux dire “zapper”. Encore faudrait-il être capable de changer les piles.

Mario Dondero/Leemage

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Cy Twombly dans les rues de Rome en 1961

baby-foot party Mercredi 6, pour la sortie du numéro spécial Paris, Les Inrocks organisent un tournoi de baby au bar Le Mansart du côté de Pigalle. De 20 h à 2 h, sur les disques passés par Diane Lisarelli, les cages métalliques du Bonzini claquent sous les tirs des rédactions de Rue89, So Foot et Brain Magazine. Sans triche constatée, Les Inrocks gagnent tout et rapportent la coupe à la maison.  retour au pays La semaine dernière à Manchester : sur la scène du Théâtre Palace, Damon Albarn présente son nouveau projet, Dr Dee. Opéra inspiré de la vie de John Dee, intellectuel, mathématicien et occultiste de la renaissance anglaise. Après des années consacrées à la découverte des musiques du monde – il a zoné entre la Syrie, la Chine, le Maroc et le Mali – Albarn explique au Guardian qu’il signe, avec ce projet consacré à une figure de l’histoire britannique, son retour au pays. droit d’ânesse Jeudi 7, pour avoir sodomisé Clémentine, une ânesse broutant tranquille son herbe en Seine-et-Marne, un dérangé écope d’un mois avec sursis et 300 euros d’amende. Ne sachant par quel bout prendre l’affaire, l’avocat du propriétaire de Clémentine tourne sa plaidoirie en fable de La Fontaine. “Le bonheur, finalement, n’est pas dans le pré”, glisse-t-il entre les rimes.

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Edo Em

le moment une vraie oasis pour Noel Brouillé avec son frère, l’ex-Oasis Noel Gallagher annonce deux albums solo.

Mercredi 6 : c’est dans un théâtre de Portobello Road à Londres que Noel Gallagher, l’ex-cerveau d’Oasis, fait sa première apparition publique depuis mille ans. Deux ans après la dispute avec son frère Liam à Rock en Seine (dispute qui mit fin à Oasis), Nono revient annoncer la sortie de deux albums (dont nous n’avons rien entendu hélas, Noel Gallagher’s High Flying Birds, disponible en octobre, et un autre pour l’été prochain). Question : “Vous vous sentez mieux sans votre frère ?” Noel : “Huit minutes, bon. Je pensais que cette question tomberait après deux minutes trente. Les journalistes arrivent encore à me surprendre.” La salle rit. “Est-ce que je me sens mieux sans mon frère ? La réponse est oui. Financièrement d’abord, humainement aussi. Je regrette Oasis, j’avais mis dix-huit ans à devenir ce type à droite du chanteur qui jouait de la guitare et qui faisait des backing vocals. Je maîtrisais ça, et j’ai dû arrêter, dommage.”

Courtesy Emmanuel Carrère

The First Avenger, adapté des aventures du superhéros de la maison Marvel (en salle le 17 août en France), sera rebaptisé pour son exploitation en Russie, en Ukraine et en Corée du Sud. Exit la référence aux Etats-Unis, le film aura pour titre The First Avenger. L’Entertainment Weekly explique que les studios US veulent protéger le film du ressentiment anti-américain et de ses effets supposés sur le box-office. Spike Lee braque TF1 La société de distribution TF1 International condamnée à raquer 32 millions d’euros dans le procès qui l’oppose à Spike Lee (ancien réal au chômage). Après avoir acheté les droits de Miracle at Santa Anna (l’histoire oubliée de combattants afro-américains pendant la Seconde Guerre mondiale), la boîte française aurait refusé de le distribuer dans certains pays. ues En cause : le projet fini n’était pas conforme à la commande, 961 “trop long” dixit TF1. Qui fait appel. le Che au parfum Découvrant en 2006 un parfum à l’effigie du Che en vente sur certains sites commerciaux, les légataires du photographe Alberto Korda, auteur du célèbre cliché du révolutionnaire argentin avec le béret à l’étoile et les yeux christiques, assignent en justice les sociétés qui profitent du produit. La justice française estime que la preuve de la contrefaçon n’est pas établie, les captures d’écran de l’huissier ayant été bâclées. ça sent la rentrée (littéraire) Emmanuel Carrère consacre son nouveau livre à l’écrivain russe Edouard Limonov. Via la vie démente de Limonov, de Moscou aux squats de New York dans les années 70, de l’appart de Jean-Edern Hallier place des Vosges, à Paris, à la ligne de front de Sarajevo, Carrère raconte le vertige russe en ses convulsions Edouard Limonov et postcommunistes. Emmanuel Carrère Sortie le 8 septembre.

Lawrence Watson

Captain America javellisé Le blockbuster Captain America:

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Patrick Novarik/AFP

l’image Arles en instantanés

Depuis la semaine dernière et jusqu’au crépuscule de l’été, l’écriture photographique s’invite en Arles.

Courtesy Rencontres d’Arles

Annoncées comme “non conformes”, ces 42e Rencontres joueront pourtant sur des ancrages très concrets dans le réel. Avec les noirs et blancs délicats de la Mexicaine Graciela Iturbide, qui égrène à l’Espace Van Gogh quatre décennies de regard ethnographique, le service photo du New York Times Magazine, qui assène une leçon de photojournalisme à l’église Sainte-Anne et expose les clichés de ses collaborateurs (voir photo). Ou encore la présentation inédite en Europe des négatifs de la guerre d’Espagne de Robert Capa, tirés d’une certaine “valise mexicaine”, supposée perdue jusqu’en 2008. Les Rencontres tentent malgré tout la fuite hors champ vers des terres de réflexion sur l’image, avec le manifeste transdisciplinaires From Here on, cosigné par Martin Parr, dans lequel 36 agitateurs numériques revisitent les gisements d’images accumulés sur le web. Verdict public jusqu’au 18 septembre.

Julianne Moore par Gregory Crewdson

Chanel kiffe le dubstep Pour son défilé haute couture hiver 2012, Chanel avait transformé le Grand Palais en réplique noir et blanc de la place Vendôme, et donné rendez-vous à une heure indue. A 22 h 30, au son de Sbtrkt, groupe new-yorkais de dubstep, les premiers mannequins pouvaient ainsi s’élancer, révélant des lignes parfois étonnantes, larges épaules, manches abrégées, jupes longues. Si toutes ne se valaient pas, les silhouettes de Lagerfeld mettaient en valeur l’incroyable travail des petites mains de la maison, aussi à l’aise dans le travail de la soie, de la plume que dans celui de la broderie ou du cuir… coucou les Kooks Deux mois avant la sortie de leur troisième album Junk of the Heart, on boit des coups au Costes avec les Kooks. Entre deux Evian, pas loin de Milla Jovovich, Luke Pritchard confie qu’il a douté de l’avenir du groupe : “On s’est aperçu qu’on s’ennuyait. On avait besoin de neuf, on ne voulait plus faire la même chose que sur les deux premiers albums.” Résultat dans les bacs le 12 septembre : toujours aussi catchy, la pop des Anglais se risque sur les terres de l’electro, du reggae et des orchestrations classiques. Kubrick fan de Bergman “Vous êtes le plus grand cinéaste en activité.” Plus loin : “Votre vision de la vie m’a profondément touché.” Lettre de Stanley Kubrick à Ingmar Bergman, envoyée en 1960 et retrouvée par le site d’archivistes Letters of Note. L’auteur d’Orange mécanique, alors âgé de 31 ans, y exprime son admiration pour le Suédois, meilleur “créateur d’atmosphère”, “béni par des acteurs merveilleux”. Bref, une lettre d’amour. trash me if you can News of the World, fondé en 1843, 2,8 millions d’exemplaires, a publié dimanche son dernier numéro. Décision du propriétaire Rupert Murdoch, tycoon australien. Le titre, institution de la presse trash, accumulait les casseroles : écoutes illégales à grande échelle (4 000 people, politiques et lambdas), procès en cascade et liens gênants avec le pouvoir. L’ex-directeur du titre, Andy Coulson, aujourd’hui mis en examen, dirigeait jusqu’en janvier la com du Premier ministre David Cameron. Cameron, qui favorisait le rachat du bouquet satellitaire BSkyB par Murdoch. Murdoch, également propriétaire de l’autre tabloïd The Sun, a offert les pages de pub du dernier numéro collector à des assoces caritatives. La morale est sauve. L. M., G. S. et B. Z. et avec la rédaction

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Seyllou/AFP

Le rappeur Thiat et le journaliste Fadel Barro lors d’une conférence de presse à Dakar le 27 juin.

Ya Basta au Sénégal Fondé par un collectif de rappeurs et quelques journalistes, le mouvement “Y’en a marre” espère amener au pouvoir une nouvelle génération de dirigeants à l’élection présidentielle sénégalaise de 2012.

 T

hiat, par ici ! Regarde par ici !” Docile, Cyrille Touré – “Thiat” lorsqu’il rappe – s’exécute et prend la pose, entouré d’une demi-douzaine de gosses, devant une petite mare entourée d’ordures. Des téléphones portables brandis à bouts de bras immortalisent la scène. Guinaw Rails est en effervescence, les petits courent de rue en rue pour avertir que Thiat et les “Y’en-a-marristes” sont dans la place. Même les “vieux” – comme on dit ici, sans une once d’irrespect –, qui se réfugient chez eux pour éviter la chaleur assommante sortent jeter un coup d’œil. Il faut dire que d’ordinaire les visiteurs sont peu nombreux dans cette cité de la banlieue de Dakar, surtout pendant la saison des pluies où des flaques barrent les rues et de petits marigots, futurs nids

à moustiques et maladies, apparaissent jusqu’aux seuils des maisons. En boubou bleu, une octogénaire qui habite le quartier inondé claudique jusqu’au petit groupe. Thiat la salue longuement. Elle lui glisse : “J’ai entendu parler de ce que vous faisiez. Il faut continuer. Je prie pour vous soutenir.” Un peu plus loin, c’est une famille qui lui lance par la fenêtre : “On est avec vous ! Dites-nous ce qu’il faut voter l’année prochaine, et on le fera.” Ces témoignages de soutien, Thiat les entend tous les jours depuis qu’il a fondé, en janvier, avec des compères rappeurs – Kilifeu, Simon, Fou Malade et Crazy Cool – ainsi que quelques journalistes, le mouvement “Y’en a marre”. L’objectif du groupe ? Créer un “sursaut d’orgueil” chez des Sénégalais lassés par des années de chômage et de vie au rythme

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“nous ne touchons pas à la drogue, nous ne buvons pas d’alcool : des jeunes qui sont des exemples, ça fout la trouille”

ors uin.

des inondations, des coupures d’eau et de courant, et fatigués de voir défiler des dirigeants jugés incapables. “On veut dire aux gens : les gars qui parlent à la télé ne sont pas plus intelligents que vous. Vous connaissez vos problèmes mieux qu’eux”, résume Fadel Barro, journaliste et coordonnateur du mouvement. Pour changer les choses, les Y’en-amarristes incitent donc tous ceux qu’ils croisent à “mettre la main à la pâte”, mais surtout, comptent sur l’élection présidentielle sénégalaise de 2012, dont ils espèrent qu’elle amènera au pouvoir une nouvelle génération de dirigeants. Pour l’heure, ils ne soutiennent pas de candidat, mais font passer un mot d’ordre, toujours le même : “Allez vous inscrire sur les listes électorales !” Plus de 28 000 personnes se seraient inscrites depuis le début de leur campagne de sensibilisation, mais ils espèrent en inciter un demi-million au moins. Leurs méthodes ? De simples discussions, comme lors de soirées passées à la rencontre des étudiants sur le campus de l’université de Dakar, ou bien des opérations moins classiques, comme ces porte-à-porte musicaux qu’ils ont nommés “urban guerilla poetry”. Lors de ces concerts improvisés, ils reprennent – parfois avec des rappeurs du coin – des titres chargés de “conscientiser” les populations : le tube de Keur Gui Coup 2 gueule (“Combattons ces incapables/Qui bouffent l’argent public/ Nul ne peut s’éterniser au pouvoir/Sans craindre la révolte du peuple”) ou le plus récent Ma carte, c’est mon arme. L’engagement politique de ces forts en gueule ne date pas d’hier. Thiat et Kilifeu, qui constituent à eux deux le groupe Keur Gui (“chez nous”, en wolof), ont fait leur premier séjour en prison à 16 ans, à cause de leurs chansons peu amènes envers le pouvoir – le Sénégal était alors présidé par le socialiste Abdou Diouf. Mais c’est la première fois qu’il est porteur de revendications aussi précises (le retrait d’un projet de réforme constitutionnelle, le retrait de la candidature de l’actuel président, Abdoulaye Wade, à la prochaine présidentielle), et surtout, c’est la première fois qu’il trouve un si large écho. Les soutiens viennent de partout, et prennent parfois des formes inattendues : de simples sympathisants qui s’exclament : “Y en a marre !” en les croisant dans la rue, aux taxis qui refusent de leur faire payer le prix de la course, en passant par une entreprise de gardiennage qui se  propose de surveiller leur appartement gratuitement, jusqu’à un gérant d’hôtel

à La Somone – une station balnéaire de la Petite Côte sénégalaise – qui met à leur disposition des chambres, au cas où “ils voudraient se reposer”. Mais pour l’heure, pour Thiat, Fadel et les autres, pas question de faire de pause. Les téléphones des membres du collectif ne cessent de sonner. Sur la route de Dakar, en revenant de Guinaw Rails, Thiat reçoit un coup de fil : c’est la Radio télévision sénégalaise (RTS), qui veut recevoir un Y’en-a-marriste dans une de ses émissions. Le rappeur raccroche, dubitatif : “Cette émission, ça ressemble à une commande du pouvoir. Ils veulent nous inviter face à quelqu’un de Benno (la coalition d’opposition à Abdoulaye Wade, constituée notamment du Parti socialiste sénégalais – ndlr). J’ai l’impression qu’ils veulent se servir de nous pour attaquer l’opposition.” Après une concertation avec les autres membres du mouvement, la décision est prise : tant que la RTS ne propose pas une autre formule, c’est non. Les Y’en-a-marristes se méfient des médias d’Etat. Ils se souviennent des événements du 23 juin dernier. Ce jour-là, une manifestation contre un projet de réforme constitutionnelle, porté par Wade tourne à l’émeute : routes bloquées par des pneus brûlés, saccage de domiciles de députés de la majorité, caillassage de l’Assemblée nationale et affrontements avec la police. La RTS avait passé des images de jeunes affirmant que “Y’en a marre” les avait payés pour qu’ils commettent des pillages. La manœuvre n’a pas pris. Les amateurs du rap de Keur Gui savent que le groupe n’a jamais appelé à la violence : “Quand j’ai vu les témoignages à la télé, j’ai su que c’était faux, raconte un jeune homme venu assister à une réunion d’une antenne locale du groupe. Car je me suis souvenu d’une chanson de Keur Gui qui dit : Toi qui casses et pilles pour protester contre l’Etat, est-ce que tu penses que cela résout tes problèmes ?” En dépit des accents combatifs des rappeurs fondateurs du mouvement, “Y’en a marre” revendique son pacifisme. “On nous a légué un pays qui n’a pas connu de coup d’Etat militaire ou de déstabilisation. C’est notre responsabilité, en tant que jeunes aujourd’hui, de préserver cette paix sociale et cette stabilité démocratique”, estime Fadel Barro. Le mouvement s’est même organisé pour faire passer des messages d’apaisement. Thiat raconte : “Partout où les jeunes étaient en train de brûler des pneus, on a dépêché un artiste du coin pour leur dire : Ne faites pas ça. Les autorités contre qui vous 13.07.2011 les inrockuptibles 15

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Justine Brabant et Mohamed Guèye

Fadel Barro, coordonnateur de “Y’en a marre”, effectue des campagnes de sensibilisation, comme ici auprès d’étudiants à l’université. Son mot d’ordre :“Allez vous inscrire sur les listes électorales.”

Justine Brabant et Mohamed Guèye

l’attention soutenue dont ils font l’objet de la part des services de renseignement sénégalais les fait plutôt rire

“Je prie pour vous soutenir”, dit cette octogénaire de Guinaw Rails à Thiat. Le collectif reçoit ainsi de nombreux encouragements et un soutien populaire grandissant.

brûlez des pneus passent dans leurs voitures climatisées, aux vitres teintées : ils ne sentent pas cette odeur. C’est nous, qui habitons là, qui allons respirer cet air, c’est nous qui allons avoir des problèmes de santé, c’est nous qui allons avoir notre quartier sali.” La force de “Y’en a marre” semble bien être cette association de propos concrets et combatifs, et de porte-voix qui se veulent des exemples à suivre, loin de l’image de dangereux agitateurs qu’une partie de la classe politique a tenté, un temps, de leur accoler. “Nous ne touchons pas à la drogue, nous ne buvons pas d’alcool : aujourd’hui, ils font face à des jeunes qui sont des exemples, et ça leur fout la trouille”, assène Thiat. Des “exemples” courtisés : si l’opposition politique ne sait pas encore vraiment quelle attitude tenir à leur endroit, ses leaders aiment bien paraître à leurs côtés dans des meetings. Les représentants des ambassades des pays de l’Union européenne à Dakar ont tenu à recueillir leur avis, lors d’une rencontre tenue le 5 juillet dernier, sur les perspectives politiques à venir. Même le pouvoir essaie par tous les moyens de les récupérer : depuis des semaines, la fille du président Wade tente avec insistance de décrocher un rendez-vous avec les membres du collectif, sans succès. Ce qui n’empêche qu’ils soient toujours dans le collimateur de la police. Face aux tentatives de répression plus directes, les Y’en-a-marristes veillent à garder un discours serein. A la suite d’une garde à vue musclée les 22 et 23 juin, durant laquelle plusieurs d’entre eux ont été frappés par la police à coups de matraques, ils ont assuré qu’ils n’en voulaient pas aux policiers mais seulement “à ceux qui donnent les ordres”. Quant à l’attention soutenue dont ils font l’objet de la part des services de renseignement sénégalais, cela les fait plutôt rire. Ils continuent d’ouvrir grand les fenêtres de l’appartement qui leur sert de QG, où la chaîne hi-fi du salon passe du Rapadio (des rappeurs sénégalais de la fin des années 1990, qui se produisaient encagoulés et donnaient eux aussi, à l’époque, dans la critique du pouvoir), pas gênés par la présence d’un membre des RG qui les observe depuis le bâtiment d’en face. “On ne complote contre personne, on ne fait rien de répréhensible, pourquoi se cacher ? On tient ici nos réunions, au vu et au su de tous”, souligne Fadel Barro, assis dans un des canapés du salon où se prennent toutes les décisions qui touchent au mouvement. Et si l’avenir du Sénégal, plus que sous les lambris du palais présidentiel, se jouait dans cette petite pièce, où une poignée de représentants de la génération hip-hop a décidé, un soir de janvier 2011, qu’elle “en avait marre” de la mal-vie ambiante ? Mohamed Guèye et Justine Brabant (à Dakar)

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Le chanteur Raúl Paz à La Havane

un printemps cubain Voilà plus de vingt ans que la misère campe dans la Perle des Caraïbes. Les opposants continuent d’y être pourchassés ou contraints au départ. Pourtant, petit à petit, les artistes exilés reviennent sur l’île.

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ans la déconfiture, les Cubains font preuve d’une capacité rare à survivre au quotidien. Inventar ou resolver, comme ils disent, c’est-à-dire traficoter d’une manière ou d’une autre, de préférence en grugeant l’Etat, est une obligation. La plupart d’entre eux se lèvent le matin sans savoir comment ils vont trouver leur pitance du jour. D’autres, de guerre lasse, ont laissé tomber et glandent. Le salaire moyen plafonne à 17 dollars, quand il en faudrait le triple pour vivre. Et voilà aussi des années que Cuba a cessé d’être un des grands centres de création musicale mondiale. “L’île a simplement perdu sa voix”, constate le Cubain Fabien Pisani, 40 ans, qui a entrepris de réaliser En la caliente, long métrage consacré au reggaeton local, avec des chanteurs comme El Micha ou El Insurrecto, bannis jusqu’à une époque récente des médias cubains. “La culture officielle, très puritaine, tolère mal les artistes qui ne dialoguent pas avec elle.” Le même Pisani est par ailleurs coproducteur et l’un des initiateurs du projet Sept jours à La Havane, film réalisé à sept mains (Laurent Cantet, Elia Suleiman, Benicio Del Toro, Julio Medem, Gaspar Noé, Pablo Trapero, Juan Carlos Tabio). Tourné au printemps dans une relative liberté (cf. Les Inrocks n° 805), le film devrait sortir cet hiver. Pour le moment du moins, le pouvoir laisse entrer cette bouffée d’oxygène.

Et, timidement, les artistes exilés reviennent. Ça a été le cas de Raúl Paz, David Torrens, le Bob Marley cubain, Descemer Bueno, ou du crooner Kelvis Ochoa, sosie de Balzac et star incontestée dans l’île, qui, après quelques durs moments vécus durant son service militaire, avait fait le choix de l’exil en Espagne. Il s’est réinstallé à Cuba depuis quelques années. Ou encore le peintre Carlos Quintana, à la silhouette de gitan, parti à Madrid puis à Miami, et revenu à La Havane où il vit entre sa mère et ses deux chiens. Dans son atelier situé à deux pas de l’hôtel Melia Cohiba, ce Picasso caraïbe expose de gigantesques toiles représentant des corps et des animaux aux couleurs vives qui s’entrelacent pour donner forme à des centaures. “Nous sommes des enfants de la Révolution, note Fabien Pisani, nous avons été formés par le système, nous y avons cru. Mais quand notre tour est arrivé de nous exprimer, nous nous sommes heurtés à un très haut mur. A défaut, ils nous ont laissés partir. Ça a été la débandade. Après toutes ces années, si l’on revient, c’est pour retrouver notre voix. Et raconter notre histoire, celle, extraordinaire, d’un peuple que l’on ne lit pas sur les murs de la ville où brillent les slogans de la propagande.” Cuba regorge de paradoxes, dont celui-ci : ses habitants souffrent un martyre collectif mais restent fiers de deux richesses inestimables : leur île, si convoitée, et leur culture, ce supplément d’âme hérité d’une histoire unique. [email protected]

hymne à l’amour Petit bijou de cinéma du réel, Habana muda cherche distributeur inspiré. Habana muda, réalisé par Eric Brach, français et cubain d’adoption, et produit par Quad Productions, conte l’histoire de Chino, père de deux enfants, éleveur de porcs, et tenu de se prostituer avec des homos de passage pour nourrir sa petite famille. Ses clients, souvent mexicains, l’amènent à rêver d’une vie meilleure ailleurs. Anaylis, sa femme, pourrait en vouloir à son tapin de mari. Non, elle le soutient avec bienveillance. Dans une scène rare, Chino et Anaylis traversent un bal populaire et se mettent à danser un slow langoureux. Détail qui a son importance : les deux principaux protagonistes du film, qui jouent leur propre rôle sous l’œil de la caméra de Brach, sont l’un et l’autre sourds et muets. Ils n’entendent rien des bruits de la rue, des klaxons, du tumulte urbain et de la musique populaire qui occupe l’espace. Habana muda est un magnifique hymne à l’amour. Mais plus encore, une jolie métaphore de la parole confisquée.

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retour de hype

le baby-foot

Nanni Moretti à la Cinémathèque

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

“ça fait longtemps qu’on n’a plus bu de Suze, non ?”

l’expression “torrent de merde”

“C’est à cause du soleil les croûtes que t’as sur la tête ?”

CPNT

les frites en rab “c’était qui Pete Doherty, déjà ?”

Frédéric Nihous le sorbet citron Mia Hansen-Løve

les cigarettes sur ordonnance

François-Marie Banier

“je mate Secret Story pour pas qu’ils soient tristes si personne regarde et que l’émission s’arrête”

Les cigarettes sur ordonnance Pour lutter contre le tabac, l’Islande songerait à commercialiser les cigarettes uniquement en pharmacie et sur ordonnance. Les frites en rab Une étude révèle que quand on commence à manger un aliment riche en graisses, les cellules de l’appareil digestif produisent des

Marcel Pagnol “y a Nagui qu’a fait fermer le compte YouTube de Lady Gaga”

endocannabinoïdes, qui empêchent par exemple de se limiter à une seule frite. Frédéric Nihous Le candidat de Chasse, pêche, nature et traditions aurait recruté l’ancien rédac chef de Minute et dirigeant du Bloc identitaire, Bruno Larebière, pour le conseiller lors de sa campagne. Euh… ok. D. L.

billet dur

 C Christophe Peus

her David Douillet, En devenant sous-ministre à moins d’un an de la présidentielle, n’as-tu pas comme la vague impression de récolter les pièces jaunes du sarkozisme ? Sûr que ton gros cul l’a bien mérité ce strapontin, après toutes ces heures de train à supporter les humeurs de mémé Bernadette, à devoir bisouiller des enfants baveux par douzaines – la plupart d’entre eux te confondant avec Shrek – à tendre ta grande louche pour une poignée de ferraille, et à encombrer la photo municipale comme jadis l’homme à trois couilles jaunissait sur celle des foires. Bon, ton “domaine d’expertise”, comme on dit chez les énarques, c’était plutôt le sport. Manque de bol, depuis 2007, tu t’es fait claquer Laporte au nez, on aura préféré le ramage de Rama Yade à ton plumage d’ancien poids lourd des tatamis, et pire que tout, en troisième choix, tu as encore dû faire

ceinture, rétamé sur le podium par une femelle karatéka, Chantal Jouanno. Quand je pense qu’en 2008, pour les JO de Pékin, tu arborais fièrement un badge “Pour un monde meilleur” qui fit trembler tous les dictateurs du monde pas bien, et qu’à l’arrivée personne ne songeait à t’en remercier, tu sais quoi, on ne te mérite pas. Et puis si, finalement, car te voilà nommé secrétaire d’Etat chargé des Français de l’étranger. Un truc qui n’a jamais existé auparavant et qui n’existera sans doute plus après ton passage, tant on se demande à quoi il peut bien servir sinon à t’offrir un petit hochet et profiter ainsi de ta popularité en vue de la présidentielle. J’ai toutefois une suggestion à te faire, pour t’occuper. Tu devrais faire douiller tous tes copains sportifs – les Leconte, Prost et compagnie – exilés à l’étranger pour raisons fiscales. Crois-moi, ça rapporterait beaucoup plus que les pièces jaunes. Je te propose d’appeler ça “Opération Amex noire”. Je t’embrasse pas, j’ai pas de monnaie. Christophe Conte

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Lola Créton A l’affiche de deux films cet été, cette jeune bachelière est l’actrice qui monte. etite puce de Paris Xe, tout juste bachelière, Lola Créton incarne la mélancolie postadolescente en ce début de millénaire. On a découvert son visage enfantin et diaphane au festival de Berlin 2010, dans Barbe bleue de Catherine Breillat, adaptation du célèbre conte, jamais sortie sur grand écran. Puis cette année, à la Quinzaine des réalisateurs, dans En ville de Valérie Mréjen et Bertrand Schefer, en ado qui se cherche et se trouve auprès d’un homme de 40 ans – film qui sortira à la rentrée. C’est finalement Un amour de jeunesse de Mia HansenLøve qui grille la politesse aux autres films et qui permet au public de découvrir Lola. Ses grands yeux tristes, sa lèvre supérieure délicatement ourlée, son corps vif d’enfant-jeune fille-jeune femme y font merveille. Dans la vie, la comédienne est moins mélancolique et tourmentée que ses personnages, croquant à pleines dents son âge, entre baccalauréat et douces obligations d’une carrière prometteuse qui lui a déjà offert trois premiers rôles pour ses trois premiers films.

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Serge Kaganski photo Cyrille Weiner

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brèves Eric Besson checke la RATP La reproduction du plan du métro de Paris appartient à la RATP. C’est pourquoi celle-ci a refusé à l’appli gratuite CheckMyMetro de l’utiliser. Une affaire qui a fait plus de bruit que prévu car, dans d’autres villes, les régies de transports en commun ont, elles, libéré leurs données (horaires, cartes...) au nom de l’OpenData. Du coup, pour suivre cette tendance, le cabinet d’Eric Besson a contacté la RATP pour trouver un arrangement. l’Hadopi de pis en pis Les studios et les éditeurs pourraient désormais obtenir des dommages et intérêts (en plus de la coupure du net et des 1 500 € d’amende) de la part des pirates accusés par l’Hadopi, et ce sans passer par des avocats. Comment ? En utilisant une ordonnance pénale, procédure de jugement simplifiée réservée aux délits “légers” et qui ne nécessite aucun débat contradictoire. Le problème, c’est que cet amendement diminue considérablement la possibilité de contestations techniques, ce qui concerne pourtant largement l’Hadopi (piratage d’adresse IP…). Riposte “graduée”, défense muselée ? Suite au prochain numéro. tu ne supprimeras point On ne supprime pas n’importe quoi sur Wikipédia. Le tribunal de Paris vient de condamner une société à verser 25 000 euros de dommages et intérêts pour avoir ôter le nom d’une entreprise concurrente dans une liste de prestataires donnée en exemple pour des services de micropaiement.

Fred Dufour/AFP

Assemblée générale dans les locaux de La Tribune, le 4 juillet

tribuns de “La Tribune” En proie à de graves difficultés financières, le titre mise sur le numérique. Les salariés contestent ce choix et le plan social qui l’accompagne.



l’heure où la quasi-totalité des quotidiens nationaux perdent de l’argent, la crise que connaît La Tribune est sans doute cette année la plus symbolique d’une presse papier exsangue. Une grève de deux jours, les 4 et 5 juillet, durant lesquels le journal a cessé de paraître, a ainsi été décidée par les salariés après l’annonce le 28 juin d’un plan social qui prévoit de licencier dix-sept journalistes (dont treize au service édition). Une mesure vécue comme un coup de massue par la rédaction. “Il y a un ras-le-bol généralisé, explique Fabien Piliu, journaliste. La rédaction s’est quasiment vidée de sa substance en quelques mois et le personnel est lessivé.” Pour la direction, cette réorganisation “trop longtemps repoussée” est pourtant jugée “indispensable”. Le plan social s’inscrit dans une stratégie de développement bimédia, avec une place centrale accordée au numérique. Dans un communiqué, la pdg de La Tribune, Valérie Decamp, s’est défendue de vouloir enterrer le papier et a précisé que “l’édition papier sera maintenue, repensée et réorganisée”. Mais les salariés sont inquiets de la décision prise par la direction de faire paraître le quotidien uniquement sous forme numérique du 8 au 22 août. Un choix qui apparaît à beaucoup comme une mise à mort annoncée du print aux conséquences désastreuses. “La marque La Tribune, c’est avant tout celle du journal papier, précise Fabien Piliu. Sans compter que 98 % du chiffre d’affaires est réalisé par le papier. Paraître uniquement sur le web ne serait pas viable.” Des craintes fondées car le journal, actuellement sous le coup

les salariés réclament une participation de la direction aux efforts en vue de préserver les emplois

d’une procédure de sauvegarde, connaît des pertes financières très importantes depuis deux ans. Revendu par LVMH à Alain Weill (NextRadioTV) en 2008, le quotidien n’a cessé de s’enfoncer dans la crise, perdant 14 millions d’euros en 2009 et 9 millions en 2010. “Après la période Bernard Arnault, les journalistes ont salué l’arrivée d’Alain Weill comme le messie, raconte un journaliste de la rédaction. Mais il n’a pas réussi à redresser la barre et pour finir il a revendu le titre pour un euro symbolique à Valérie Decamp…” De fait, la pdg cherche 5 millions d’euros pour recapitaliser le titre. Plusieurs investisseurs sont intéressés, mais ils souhaiteraient déployer la marque sur internet. Les salariés de La Tribune estiment eux que le recentrage sur le numérique peut s’opérer sans plan social et réclament que les personnels menacés (principalement les postes de secrétaires de rédaction) fassent l’objet d’un reclassement plutôt que d’un licenciement sec. Ils réclament notamment une participation de la direction aux efforts en vue de préserver les emplois. En effet, selon Christian Lefranc, délégué syndical Info’com-CGT, cinq membres de la direction représentent “892 000 euros de masse salariale sur 2010”. “Ils doivent accepter de réduire leurs salaires. Les nôtres sont bloqués depuis 2008, et on demande encore des réductions de personnel, c’est un peu choquant.” En ce début d’été, le sort de la rédaction à la rentrée apparaît donc plus qu’incertain. Le nouveau directeur de la rédaction nommé début juin, Jacques Rosselin (cofondateur de Courrier international qui a participé à la création de Canalweb et de l’hedomadaire Vendredi), pourra-t-il rassurer ses équipes tout en accélérant le virage vers le numérique ? Marjorie Philibert

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Tout ou rien

Cnil vs l’Hadopi ? La Cnil vient de mettre en demeure TMG, la société chargée par l’Hadopi de surveiller les réseaux P2P au profit des ayants droit et de relever les infractions. La Cnil a constaté “la faiblesse des mesures de sécurité mises en œuvre par TMG” et une mauvaise application de la loi Informatique et libertés. TMG a trois mois pour régler ces problèmes.

Le Parisien licencie Une réduction d’effectif de 40 à 50 postes – journalistes essentiellement – a été annoncée au Parisien. En parallèle, le quotidien a prévu un projet de 30 millions d’euros d’investissements pour créer un magazine hebdomadaire et développer des services à la personne (e-commerce, achat groupé) basés sur son image de marque.

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C’est le titre du hors-série de Trois couleurs (magazine distribué gratuitement par MK2), et qui s’habille en Dupuy et Berberian. Les pères d’Henriette et de Monsieur Jean chroniquent à leur sauce “tout ou rien” sur la musique, des films, des expos, réunissant ainsi Jacques Higelin, Moebius et le musée de la Chasse et de la Nature, en dessin et en couleur. En librairie, 6,90 €.

média-tic Twitter, la petite bête qui monte Twitter serait bientôt valorisé à 7 milliards de dollars, soit près du double de sa valeur de décembre dernier. Créé en 2006, 200 millions de tweets paraissent aujourd’hui sur ses pages quotidiennement, soit trois fois plus que l’an dernier.

politique et culture La revue trimestrielle Cassandre/Hors Champ interroge les politiques sur la place de la culture dans la société et leur vision d’une nouvelle politique culturelle.

Spotify aux Etats-Unis Attendu depuis de long mois, le site d’écoute en streaming disponible en Europe est enfin venu à bout de ses négociations avec les maisons de disques et va s’implanter aux Etats-Unis.

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LMFAO, sans rire Ces deux jeunes gens signent le tube de l’été autoproclamé. Il fait pourtant trop chaud pour manger de la soupe.

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mélanome pour mélomane Quasi immanquablement, le tube de l’été est un morceau atroce. Répété en boucle, il segmente, vous laisse une fois de plus du côté des rabat-joie. Ceux qui n’arriveront décidément pas à s’amuser sur la même musique que leur cousin avec qui tout a changé depuis 1997. Et ce triste été qu’il a passé à chanter “yakalelo yakalelo” tout en se teignant les cheveux avec de l’eau oxygénée. Marketé par des employés de maisons de disques rêvant de reproduire le carton intersidéral de La Lambada, le tube de l’été de base est souvent “exotique”. Elu au suffrage universel direct, il est celui qui fera danser le plus de gens possible (le post-rock est donc exclu d’emblée) au mépris de toute exigence de qualité. Pourtant, par mégarde, il arrive que le tube de l’été soit un bon morceau. C’est celui que l’on fredonne heureux et bronzé, partageant un de ces si rares moments de communion avec de parfaits inconnus au McDo ou au bar de la plage. Il s’insinue insidieusement dans les têtes, colonise les lecteurs MP3, le poste de la 106 et marque la saison de sa douce mélodie. Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir : ce n’est absolument pas le cas de Party Rock Anthem de LMFAO qui fait clairement partie de la catégorie des morceaux de l’enfer.

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Question : qu’est-ce que c’est que ce nom de groupe ? Réponse : c’est un nom de groupe pourri. Il n’en est pas moins générationnel, ce qui peut éventuellement lui conférer une petite légitimité. Car le terme “LMFAO” est une version améliorée du “LOL” qui, comme chacun sait, est l’acronyme de “laughing out loud” soit “je ris aux éclats”. En vertu de la loi Toubon, le “LOL” peut être francisé en “MDR” soit “mort de rire”. De ce fameux “MDR” découle le “PTDR” soit “pété de rire” sous-entendant une hilarité plus puissante que le simple “MDR” (à supposer qu’“être pété” soit plus fort qu’“être mort”). Pareil en anglais donc, où LMFAO signifie “laughing my fucking ass off” soit “je rigole à me mettre mon putain de cul par-dessus tête”. Une version particulièrement imagée de ce qu’Henri Bergson appelait “le rire”.

Redfoo, SkyBlu et la Motown Si en photo Redfoo et SkyBlu (ce sont leurs noms d’artistes) n’ont pas particulièrement l’air éveillé intellectuellement, en vidéo, ils ne cessent de bouger dans tous les sens en souriant, prouvant ainsi qu’ils ne sont pas du genre habités par le doute. Adeptes du look “pseudo branché de 2006” caractérisé par des couleurs fluo, des grosses lunettes à monture hypervoyante et insolite à la fois, ou des T-shirts à message, les deux ressemblent à leurs morceaux que l’on pourrait qualifier de faciles, clinquants, cheapos et un tout petit peu ridicules. Pourtant, comme leurs pseudos ne l’indiquent pas, Stefan Kendal Gordy et Skyler Husten Gordy ne sont autres que le fils et le petit-fils de Berry Gordy, aka… le fondateur de la Motown (Stefan est l’oncle de Skyler). Espoir, espoir : peut-être apprendrons-nous bientôt que René la Taupe est le filleul de Leonard Cohen. En attendant, pour échapper à LMFAO, une seule solution : cet été, rester sous l’eau. Diane Lisarelli

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“à la télévision, il faut se presser lentement” Quand Michel Denisot a commencé à faire de la télé, elle était encore en noir et blanc. Quarante-trois ans plus tard, son Grand Journal cartonne auprès du jeune public. Portrait d’un indestructible. par Michel-Antoine Burnier et Bernard Zekri

Jacques Torregano/Fedephoto.com

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ichel Denisot ne s’est pas construit en un jour, Le Grand Journal non plus. “Au début, dit-il, l’émission s’est progressivement mise en place. A la télévision, il faut se presser lentement, c’est ça le secret.” Lui aussi s’est pressé lentement. A 15 ans, le jeune Michel n’a qu’une certitude : il veut devenir journaliste. C’est un autodidacte. Il néglige ses études, entre comme localier dans un journal de Châteauroux, dans le Berry, sa région natale. Bien sûr, il rate son premier bac (à l’époque le bac se déroulait en deux parties), réussit enfin, passe en terminale, ne suit pas les cours, échoue et, le coup suivant, ne se présente même pas à l’examen. Les maths et la philo ne l’intéressent guère : il préfère l’information. Localier, il rend compte des accidents, des décès, du départ d’un gendarme à la retraite. “C’est là que j’ai obtenu ma première carte de presse, précise-t-il, n° 27 329.” Voilà un chiffre de senior : aujourd’hui, les jeunes journalistes obtiennent un numéro supérieur à 100 000. Il ajoute : “La presse régionale

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“je m’intéresse à ce qui va se produire. Je suis fou de compétition. J’arrive tous les matins à 9 heures, je regarde les chiffres de l’Audimat. Je n’ai jamais fait ce métier pour l’argent” représente une formidable école. Un localier n’a pas le droit de se tromper : tout le monde connaît tout le monde, à la première erreur, les notables ou les individus en cause débarquent dans votre bureau. J’ai appris ainsi la religion des faits.” Huit ans plus tard, en 1968, il découvre l’information télévisée. Il se retrouve à l’ORTF Limoges, puis à Paris, rue Cognacq-Jay, dans cet immeuble hideux mais historique près de la Seine. Il n’existe que deux chaînes, en noir et blanc, on filme encore sur pellicule, on tripote les premiers magnétos qui interdisent encore tout montage. Vient, en 1972, une troisième chaîne, en couleur, immense nouveauté. Denisot intègre le journal télévisé naissant de FR3. Deux ans plus tard, il arrive sur la Une, audience et prestige. Un jour, raconte-t-il, on lui propose un sujet sur un voyage de Madame Pompidou à Rennes. Georges Pompidou est alors président de la République. Denisot répond d’un télex : “Non, sauf s’il y a un incident.” Peu après, le président Pompidou tient une conférence de presse, pompeuse cérémonie encore imitée du général de Gaulle. Comme son auguste prédécesseur, Pompidou pense que la télévision représente “la voix de la France”, soit celle de l’Etat et du gouvernement. Il fulmine contre les prudentes libertés que les journalistes cherchent à conquérir. En exemple, il secoue un télex devant les caméras, celui de Denisot ! “Ça y est, pense celui-ci, je suis bon pour retourner à Châteauroux.” François-Henri de Virieu, grand esprit et grand seigneur, dirige alors les informations de la chaîne. Il vient le voir : “Si tu as des ennuis, tu réponds que c’est moi qui t’ai fait écrire ça.” Denisot reste sur TF1, où il présente le premier journal de 13 heures avec Yves Mourousi. Mourousi, très professionnel, se révèle homme de culture, d’amitié, de rigolade et d’impertinences calculées. C’est lui qui, plus tard, assis sur l’angle du bureau présidentiel, demandera à François Mitterrand s’il est “branché”. “Avec Mourousi, rappelle Denisot, le journal de 13 heures était très rock’n’roll.” Il répartissait les rôles entre lui et son collaborateur. A force de se pratiquer, tous deux se renvoyaient avec bonheur

sujets et répliques. “Mais, dit Denisot, il pouvait arriver dix minutes avant le début du journal, très fatigué par une nuit effervescente, et m’avertir : ‘Je dis bonjour (le fameux bonjour de Mourousi) et tu fais le reste’. En réalité, même si cela n’arrivait que rarement, je devais me préparer chaque jour comme si j’avais à présenter le journal à moi seul. J’ai beaucoup appris avec Mourousi. Il y avait aussi Jean-Michel Desjeunes, le premier journaliste de télévision à porter des cheveux longs. Au-delà du métier, lui et Mourousi m’ont fait découvrir Paris, ses nuits, ses boîtes, ses restaurants et ses spectacles.” Sous son apparence sérieuse, sa retenue, ses costumes impeccables et son sourire entendu, Michel Denisot est un bon vivant, amateur de vins (il achètera quatre hectares de vignes dans le Val de Loire), de cigares, de cinéma, de foot et de chevaux – un gourmand discret. Orgueilleux sans doute mais aussi modeste : il sait qu’il n’a pas fini d’apprendre et il aime ça. Il a eu des maîtres mais il apprécie de voir grandir ceux qu’il a révélés à euxmêmes : Christophe Dechavanne, JeanLuc Delarue, Jean-Pierre Coffe, MarcOlivier Fogiel, Ali Baddou, Jean-Michel Aphatie, Yann Barthès…Il précise : “En télé, on voit assez vite les gens qui vont réussir. Louise Bourgoin arrivait très tôt le matin, bossait comme une malade, se regardait après l’émission pour se critiquer et se corriger. J’ai l’expérience et le recul pour déceler le potentiel d’un jeune : je vis dans l’avenir, pas dans le passé.” C’est un homme de découvertes. Il a inventé Le Zapping, la télévision le matin, les émissions sur les médias après avoir participé à la création de la troisième chaîne ou au 13 heures de TF1, d’absolues nouveautés à l’époque. Un jour de 2001, il sort de son domaine : on le nomme directeur général délégué de Canal+ SA. Cela lui va mal et il le reconnaît volontiers : “Je n’étais pas à ma place. Je ne suis pas un homme de marketing.” Ceux-là, il ne les récuse pas pour autant. Il les écoute avec intérêt. Il cite l’un de ses amis, responsable du marketing d’Oprah Winfrey, qui lui avait expliqué : “A priori, dans ton émission, tu peux tout changer parce que toi, les gens te retrouveront. Si en revanche tu te teins les cheveux en jaune, c’est la fin. Le téléspectateur a besoin de repères : ici, ton personnage.” Denisot conclut : “Le type a raison.”

Le Grand Journal de Canal+, au-delà de la culture, s’impose parmi les émissions politiques d’importance. De là une première pour Canal+ : une invitation pour l’entretien institutionnel qu’accorde de temps à autre le président de la République. Avec Claire Chazal pour TF1 et David Pujadas pour France 2, Michel Denisot va interroger Nicolas Sarkozy. Dans la république médiatique, cela se conçoit comme une consécration : il y a si peu d’élus et souvent les mêmes d’une année sur l’autre. De quoi stresser ? “Non, répond Michel Denisot, à mon étonnement, je suis resté parfaitement cool et zen. Mais un entretien avec le président de la République, c’est toute une affaire, un tas de réunions préparatoires auxquelles j’ai dû assister. Entre TF1 et France 2, ils peuvent discuter trois heures pour savoir qui va dire bonjour en premier ! Moi, toujours aussi cool, je les laissais faire.” “Vous savez, Sarkozy, c’est une bête de télévision. Il adore ça et c’est un défi de l’interviewer. Après l’émission, je me suis repassé le film dix fois dans la tête. On ne peut pas s’en empêcher : j’aurais dû dire ceci, pourquoi ai-je laissé passer cela… Lors de l’entretien, quand Sarkozy s’en est pris à Claire Chazal, je regrette aujourd’hui de ne pas avoir réagi.” A propos de Nicolas Sarkozy, Michel Denisot raconte une autre histoire. C’était peu avant que le président de la République soit interviewé pour Le Grand Journal. Au détour d’un commentaire, Denisot déclare : “Nicolas Sarkozy a changé.” Sarkozy le prend mal. Très fâché, il appelle Denisot : “Ah bon ? J’ai changé ? Vraiment ?” Quand il arrive au Grand Journal, il n’a pas oublié sa colère et se montre à peine poli. Mais quinze jours plus tard, lors d’un meeting, il s’écrie : “J’ai changé !” Michel Denisot a appris autre chose : que les hommes politiques ne mesurent pas toujours leur parole, et encore moins l’impact, heureux ou malheureux, qu’elle peut avoir. Peu avant la présidentielle de 2007, au Grand Journal, on demande à Arnaud Montebourg quel est le principal défaut de Ségolène Royal. Montebourg, alors porte-parole de la candidate, répond : “Son compagnon”. Il dit ça d’un air ravi, comme une bonne astuce. Il ignore que le couple est en train de se séparer. Après l’émission,

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Didelot/Sipa Boutroux/Presse Sports

En 1986, avec Yves Mourousi, il présente le journal de 13 heures de TF1

Mai 2006, avec Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur

Rebours/Sipa

Elodie Grégoire/Gamma

Le 9 mai 1996, Michel Denisot, président du PSG, célèbre la victoire de son club en coupe d’Europe

Pierre Buet/Canal+

Frédéric Proust/Sygma/Corbis

Le 4 novembre 1984, ouverture de l’antenne de Canal+

Avec Coluche lors du Festival de Cannes 1986

En janvier 1975, il présente it1, les informations télévisées de TF1 13.07.2011 les inrockuptibles 29

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“les journaux télévisés, je les trouve trop longs, trop lents. Cette grand-messe devrait disparaître” l’assistante de Denisot le raccompagne à sa voiture. Montebourg se tourne vers la jeune femme : “Vous croyez que je risque de passer au Zapping ? – Le Zapping ? Au moins”, répond-elle. Devant la saison présidentielle qui va s’ouvrir, Denisot prépare sa stratégie et ajuste son émission. Il confirme : “Nous donnerons une place plus importante à la politique et les invités resteront jusqu’aux Guignols.” Il a une théorie. La campagne électorale qui va s’ouvrir sera différente de la précédente. “En 2007, dit-il, les personnages étaient neufs.” En effet, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal n’avaient jamais concouru à une élection présidentielle, Bayrou lui-même ne s’était présenté qu’une seule fois, en 2002, et ses 6,80 % n’avaient pas marqué les mémoires. “On était en plein storytelling. C’est impossible aujourd’hui. Les personnages existent, ils sont là, on les connaît. Rien à faire : cela ne peut pas se passer comme la dernière fois.” Le Grand Journal changera lui aussi. Denisot veut réduire une séquence, en développer une autre. “Le Grand Journal est très rythmé, explique-t-il, tout en laissant un large temps de parole aux invités. Avec l’accumulation des saisons, je commence à avoir une horloge dans la tête, tout rentre dans l’émission, on ne coupe jamais rien.” C’est réglé  : l’équipe répète chaque jour à 17 heures, “ce qui, signale Denisot, donne à l’émission cette sorte de sérénité.” “On nous demande souvent comment nous faisons pour recevoir autant de stars américaines. D’abord, Hollywood c’est tout petit. Si cela se passe bien avec le premier, les autres suivent. Nous avons commencé avec Will Smith. Il est venu, tout s’est parfaitement déroulé, il avait l’air content, les autres ont suivi : ils savaient qu’on les traiterait bien.” Normal : en France, on les fait parler de leur film, de leur travail. Aux Etats-Unis, après quatre mots, on leur demande de faire rire le téléspectateur. Depuis, Will Smith envoie un petit mot à Denisot chaque fois qu’il passe par Paris. Au Grand Journal, quels seront les changements ? “Il y en a chaque année, répond Michel Denisot. Charlotte Le Bon quitte la météo, elle fera des sketches, Tania Bruna-Rosso s’en va, Ali Baddou (remplacé par le romancier et philosophe Ollivier Pourriol – ndlr)

part animer La Nouvelle Edition.” Quant au Petit Journal de Yann Barthès, il devient une émission à part entière et obtient davantage de place. “La force du Petit Journal, c’est qu’il ne contient rien de faux. Les journalistes ne se cachent pas, ils n’inventent rien. Les hommes et les femmes politiques ont été contraints d’en prendre leur parti. Plus d’échappatoire : Le Petit Journal existe et la preuve, c’est que ses journalistes sont accrédités pour les voyages officiels du président de la République.” Denisot dit qu’il est libre et n’a jamais connu la moindre intervention. Il constate que les patrons de chaînes ne sont plus des journalistes : l’époque des Desgraupes, des Lescure, et même des Mougeotte et des Carolis est révolue. Les hommes du marketing dirigent désormais les télévisions. “Ce ne sont peutêtre pas des gens de contenu, dit Denisot, mais ils savent comprendre et s’adapter. A Canal, ils ont sauvé le groupe.” Les médias modernes ont tout bouleversé. On consomme la télévision sur de nouveaux supports, on l’appréhende d’une autre façon, on peut regarder le soir l’émission du matin, ou revenir en arrière, choisir de plus en plus ce que l’on veut sans se soucier des horaires. Michel Denisot cite un mot barbare : “Atawad”. Il explique : “Anytime, anywhere, any device, soit n’importe quand, n’importe où, sur n’importe quoi”. On peut suivre un match de foot et se trouver sur un chat en même temps. “Pourtant, corrige-t-il, le contenu garde un avenir et on devrait y réfléchir davantage. Les journaux télévisés, par exemple, je les trouve trop longs, trop lents. Cette grand-messe devrait disparaître. Les gens veulent s’informer vite.” Denisot pense à cette phrase de Godard : “Au cinéma, il faut lever les yeux pour regarder un film et les baisser pour regarder la télé.” Il assure : “Désormais, on peut lever les yeux pour regarder la télévision.” Maintenant, il faut songer aux autres Denisot. Celui du cinéma : il voit cent films par an, se réjouit qu’après une cohabitation forcée, les hommes de cinéma et les hommes de télévision soient parvenus à s’entendre. Depuis dix-huit ans, il officie comme directeur artistique des cérémonies d’ouverture et de clôture du Festival de Cannes ;

depuis dix-sept ans comme producteur et animateur de la cérémonie des César. Enfin, le foot. On sait qu’il fut président délégué du PSG, qu’il a dirigé la division des sports de Canal+ et présidé Sport+. “Le foot, dit-il, ça a été un moment super dans ma vie et, plus le temps passe, plus je n’en garde que des bons souvenirs. Sur le moment, cela me paraissait parfois compliqué et moins agréable.” Y retournerait-il ? “J’ai reçu de grosses propositions. Un jour, en sous-main puisqu’il possédait déjà l’OM, Robert LouisDreyfus m’a demandé de reprendre le PSG. Il a fait fort. Il s’est enquis de mes revenus et m’a offert le double. Bazin (l’homme qui a vendu le PSG au Qatar – ndlr) voulait lui aussi me voir revenir. J’ai refusé dans les deux cas. Je préfère conserver des souvenirs heureux plutôt que de leur adjoindre d’éventuelles déceptions. On me demande souvent s’il est vrai que Ginola passait une mi-temps à gauche de George Weah puis l’autre à sa droite pour jouer les deux mi-temps devant la tribune présidentielle. Oui, c’est vrai. En revanche, il n’avait pas de peigne dans son short.” “J’ai une autre raison pour ne pas retourner dans le foot, ajoute-t-il : on trouve aujourd’hui plus d’agents que de joueurs, et des agents pas très bons. Comme ils gagnent beaucoup plus dans les transferts que dans le reste, le turnover s’accélère de façon déraisonnable. A l’époque, les joueurs restaient six ou sept ans au PSG. Maintenant, ils partent au bout d’une saison.” Michel Denisot est le seul du Canal+ historique qui ait traversé les tempêtes et se trouve toujours là. Si on l’interroge sur cette rare longévité, il montre des cartons au pied de son bureau : “Je ne les déballe jamais. Je m’intéresse à ce qui va se produire. Je suis fou de compétition. J’arrive tous les matins à 9 heures, je regarde les chiffres de l’Audimat. Je n’ai jamais fait ce métier pour l’argent. Je suis arrivé parce que je l’aimais. C’est ça qui me nourrit. Mais j’ai été à l’aise après.” “J’ai vu beaucoup d’individus débarquer à la télévision pour l’argent, mais sans passion”, ajoute-t-il. Le secret de Michel Denisot, qui n’en est pas vraiment un car on le devine vite, se trouve dans la matière qu’il brasse. Et cette matière, ce sont les gens, parce que leur vie l’intéresse.

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la télé, non merci Les jeunes regardent moins la télévision et certains ont même décidé de s’en passer. Enquête au sein d’une minorité.

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’ai arrêté de regarder la télévision. J’ai arrêté d’un coup, définitivement, plus une émission, pas même le sport. J’ai arrêté il y a un peu plus de six mois, fin juillet, juste après la fin du Tour de France.” C’est par ces mots que débutait La Télévision de Jean-Philippe Toussaint, roman paru en 1997 dans lequel le narrateur décidait de se défaire d’un média (et d’un meuble) qui l’empêchait de plancher sur Le Titien. L’œuvre de Toussaint n’a pas vraiment lancé la mode puisque les Français sont dans l’ensemble plus nombreux qu’en 1997 à regarder la télévision, selon la dernière enquête menée par le sociologue Olivier Donnat en 2008 pour le ministère de la Culture.

Installation de Kutlug Ataman, musée MAXXI, Rome, 2010

Rocco Rorandelli/TerraProject/Picturetank

par Thomas Pietrois-Chabassier

Tous les Français ? En fait, non. Si, après 45 ans, les Français regardent de plus en plus la télévision, le comportement des jeunes générations a profondément changé : pour la première fois depuis l’arrivée de la télé dans les foyers, le temps consacré à Nikos Aliagas, Michel Denisot et Laurent Ruquier a cessé d’augmenter voire a diminué chez les jeunes. Raison première et évidente : le jeune sort. Mais il sortait aussi en 1997. Alors quoi ? Alors internet, évidemment, dont la télé ne serait que l’ancêtre (dixit PPD aux Guignols). Mais pas seulement. Semblable à Jean-Philippe Toussaint, il existe une minorité de “jeunes” qui refuse aujourd’hui catégoriquement d’installer dans leur salon ce que Jean-Luc Godard a qualifié de “moyen de transmission” plutôt que de “moyen d’expression” et ont appris à vivre sans pointer leur mobilier vers le petit écran. “Je n’ai pas la télé, ça coûte trop cher pour ce que c’est et même si j’en avais une, je ne la regarderais pas, la qualité des programmes est trop faible”, raconte Laetitia, 24 ans, étudiante en philosophie 13.07.2011 les inrockuptibles 33

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“je regarde la télé en replay. Un peu d’Arte et un petit Confessions intimes de temps en temps” Maïwenn, 29 ans et six ans sans télévision. L’idée de payer la redevance pour Zemmour et Naulleau, ou pour Omar et Fred, ou Bataille et Fontaine, en a fait fuir plus d’un. Mais c’est surtout le dégoût et le sentiment de dépossession de soi qui dominent. “Quand j’ai emménagé dans mon nouvel appart, se souvient Benoît, 33 ans, intermittent du spectacle, quatorze ans sans poste, il y avait une télé et un câble mais personne ne s’en servait. Un jour, mon coloc a branché la télé et je me suis retrouvé deux soirs de suite seul à la maison à regarder des conneries pendant des heures. Alors on a décidé de couper l’antenne avec un sécateur.” “Tu allumes cinq minutes et trois heures plus tard, tu te retrouves devant Motus”, plaisante Maïwenn, 29 ans, commissaire d’exposition et attachée de presse, cinq ans sans télévision. Elle préfère suivre certaines émissions sur Twitter grâce au liveblogging, cette mode étrange qui consiste à raconter et à commenter de manière un peu caustique et en direct sur le réseau social les émissions qu’on regarde (“Han, Gérard perd en finale de Nouvelle star. Bouh”, ce genre). Ce sentiment d’aliénation est plus extrême encore pour Antoine, 23 ans, étudiant en lettres, quatre ans sans télé. “Moi, j’ai arrêté en 2007, quand je suis parti de chez mes parents, raconte-t-il. J’ai vécu dans une famille où tous les repas se faisaient devant la télé. On a cessé de se parler et de se regarder pour diriger nos regards vers ce meuble. Je hais la télé parce qu’elle a endommagé mon rapport à mes parents et à mes frères et sœurs avec des programmes débiles. Je pense qu’elle n’appartient pas à notre génération.” “Maintenant, je regarde des programmes en replay mais au moins je choisis. Un peu d’Arte et un petit Confessions intimes de temps en temps”, admet pourtant Maïwenn. A part le fait de ne pas avoir de télé, Benoît, Laetitia, Antoine et Maïwenn ont un autre point commun : regarder certains programmes par internet,

sur les sites de France Télévisions (pluzz. fr) ou de Canal+. Des émissions en décalé (Le Grand Journal, etc.), quotidiennes ou hebdomadaires (Ce soir (ou jamais !), le zapping, la chronique de Nicolas Bedos, etc.), et des séries (américaines, surtout) téléchargées (pas toujours) légalement. “Je suis devenu mon propre directeur de programmes, raconte Antoine, je n’ai pas à subir le flux continu.” En attendant, qu’il s’agisse d’argent ou de temps perdu, certains parlent de la télé comme d’un véritable intrus qui ne les concerne pas. “En Grande-Bretagne, tout doit être organisé autour de la jeunesse, explique le producteur de documentaires et de séries Bruno Nahon. En France, ça n’est pas le cas. Quand on est trop vieux, on ne veut plus de vous et quand on est trop jeune c’est même pas la peine. La France, pour beaucoup, c’est seulement les 35-55 ans. Et pour les télés françaises, c’est pareil. Elles ont une vision de la jeunesse totalement erronée. On n’arrive pas à écrire, à raconter un jeune comme le font Gus Van Sant ou Gregg Araki. Un gars de 25 ans, c’est pourtant aussi complexe qu’un type de 50 ans.” Si l’industrie de la télévision, en tant que produit technique, tente de s’adapter tant bien que mal aux bouleversements d’internet avec la vidéo à la demande, les télévisions connectées ou en 3D, le contenu global des chaînes commerciales, lui, semble encore, toujours, trop loin de toute préoccupation de la jeunesse et de ses sous-cultures. “Il n’y a qu’à voir la musique que certaines chaînes diffusent pour comprendre qu’elles sont complètement à côté de la plaque”, analyse Jean-Pierre Esquenazi, sociologue de la culture et auteur de Mythologie des série télé. “Aux Etats-Unis, la jeunesse a un gros pouvoir d’achat donc on s’adresse aux jeunes. En France aujourd’hui et dans l’Europe entière, sauf en Allemagne, les jeunes entre 18 et 30 ans perdent du pouvoir d’achat sans arrêt car ils travaillent moins. C’est pourquoi la télé commerciale s’adresse de moins en moins à eux et de plus en plus

aux personnes âgées.” Et Canal+, alors ? “C’est vrai qu’avec l’arrivée de François Mitterrand, c’est l’une des seules chaînes qui a fait le pari du renouvellement, notamment avec Antoine de Caunes, nuance le sociologue, mais cela reste une chaîne payante et donc réservée à une certaine jeunesse qui a de l’argent et qui est très connivente.” Alors, à part quelques rendez-vous exceptionnels, la télévision aurait donc totalement abandonné l’idée de séduire les jeunes téléspectateurs ? “Il y a deux télévisions, reprend Bruno Nahon : celle que je pratique et la télé majoritaire, TF1, M6, massivement regardée par des jeunes. C’est compliqué parce que les jeunes font des choix totalement incohérents : ils passent d’un gros programme sur M6 à la série Glee. Ils peuvent tout aussi bien regarder Plus belle la vie que des séries américaines plus complexes. C’est pour ça que c’est difficile de savoir quoi faire, quoi produire.” Si la télévision française semble cruellement manquer d’imagination en matière de jeunesse, il semble pourtant que “les choses soient en train de changer dans le domaine de la fiction”, nuance Jean-Pierre Esquenazi. Un espoir dans les séries ? “Elles ont une grande importance. C’est le médium le plus inventif de la télévision depuis vingt ans, c’est incontestable.” Aujourd’hui, les séries de Canal+ ou les webséries comme La Vie secrète des jeunes et le Twenty Show laissent entrevoir la possibilité d’un renouvellement de la création. “Mais il y a encore de la marge, remarque le sociologue. Lorsque j’enquêtais sur les séries, je me rappelle avoir demandé à une jeune fille si elle connaissait les séries télé françaises. Elle m’a répondu : Oui, je sais que ça existe. C’est assez parlant.” Ce qu’il faut à la télé, souligne JeanPierre Esquenazi, c’est “changer de formes, changer de format et changer d’attitude”. “Il va falloir être original et pertinent, et ça c’est très stimulant”, conclut Bruno Nahon.

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Programmé pour tuer de Brett Leonard

écran total

On annonce déjà la télé connectée : la convergence sur l’écran télé des programmes audiovisuels traditionnels et d’internet. par Anne-Claire Norot



vec la vidéo à la demande, les enregistreurs numériques et le flot de possibilités distillé par internet (streaming, téléchargement, interactivité), on ne consomme plus la télévision comme il y a dix ans. Fini le journal TV, le zapping tranquille et l’assoupissement devant une rediffusion de Columbo (RIP). La TV du futur (proche) sera connectée et offrira sur un seul terminal – le poste de télévision – des contenus personnalisés mêlant programmes audiovisuels traditionnels et services web. Le téléspectateur bénéficiera d’encore plus d’images, ce qui faisait dire récemment à Michel Boyon, le président du CSA : “La TV connectée sera une cure de jouvence pour la télé.” Les enjeux de la TV connectée sont énormes et le métier des acteurs traditionnels de l’audiovisuel va s’en trouver bouleversé. Chez les patrons de chaînes, la méfiance, voire l’hostilité, sont de mise. Nonce Paolini, pdg de TF1, s’en prenait il y a peu à internet : “Tout oppose le monde d’internet et le monde de la télévision, que ce soit en matière de protection des enfants, de pluralisme, de droits d’auteur, de véracité, d’authenticité des informations diffusées. A côté de l’univers d’internet où il n’y a aucune règle, il y a un univers particulièrement régulé : la télévision. Et les deux vont se trouver en compétition.” Les chaînes, qui ont déjà signé une charte sur la TV connectée en novembre dernier, craignent que les applications à l’écran ne parasitent leurs programmes et n’incitent les spectateurs à zapper. L’audience pourrait se fractionner, entraînant notamment une perte d’influence et une baisse des recettes publicitaires.

Qui alors pour financer la création ? Les fournisseurs d’accès à internet (FAI) mettront-ils encore plus la main à la poche ? Et comment faire cohabiter les règles strictes de la télévision française avec celles, plus souples et mondiales, d’internet ? Nicolas de Tavernost, patron de M6, propose “d’adapter les règles absurdes de la télévision”. Outre les chaînes, les opérateurs pourraient eux aussi voir leur modèle remis en question. Frédéric Sitterlé, président du site MySkreen qui référence l’offre audiovisuelle en ligne, annonce la fin des box : “Merci d’avoir fait l’effort de créer des box internet, mais quel est leur usage alors que c’est maintenant par la télévision connectée à internet qu’on accède aux programmes ?” Certains se positionnent déjà pour tirer parti des opportunités qui se profilent. Les FAI font la promotion du très haut débit, les fabricants espèrent renouveler les appareils, les créateurs entrevoient de nouveaux débouchés, les géants du web lorgnent sur la publicité qui pourra être toujours mieux ciblée grâce aux données collectées. Pour l’instant, le parc de téléviseurs connectés grandit doucement. En 2010, 770 000 postes de télévision vendus en France étaient connectables et environ 15 à 20 % de leurs propriétaires ont utilisé cette fonctionnalité. En 2011, il devrait s’en vendre 2,6 millions. En l’absence de standard reconnu par tous les acteurs, il est encore un peu difficile pour le consommateur de s’y retrouver. Avec sa force de persuasion, Apple, dont le système Apple TV existe depuis 2007, pourrait booster le marché. L’entreprise envisagerait d’ailleurs de lancer son propre téléviseur connecté d’ici la fin de l’année. 13.07.2011 les inrockuptibles 35

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“internet a absorbé les autres médias” En 2006, le sociologue des médias Jean-Louis Missika prédisait la fin de la télévision. Qu’en pense-t-il aujourd’hui ?

V

otre livre La Fin de la télévision1 est paru en 2006. Presque six ans plus tard, avez-vous le sentiment que votre prophétie s’est réalisée ? Jean-Louis Missika – Un exemple : je viens d’assister à une conférence du patron de Google, Eric Schmidt. Il racontait une histoire personnelle : un soir, il regarde la télé avec son jeune fils et le gamin lui demande de visionner à nouveau le dessin animé. Impossible, lui répond son père. Il a été obligé de lui expliquer ce qu’est une télévision et comment ça fonctionne. Cette anecdote illustre bien l’effacement progressif de la télévision traditionnelle pour les jeunes générations. Votre diagnostic était donc juste ? Les indices de la fin de la télé sont aujourd’hui confirmés. La chute d’audience des grandes chaînes généralistes a continué ces trois dernières années. L’éparpillement et l’ultra fragmentation de l’offre télévisuelle se poursuit. Sans parler de la montée en puissance de tous les services audiovisuels sur les réseaux de type ADSL, dédiés à la télévision (la télé de rattrapage, le pay per view) et le succès gigantesque des plates-formes vidéo du web : sur YouTube, quarantehuit heures de vidéo sont postées chaque minute ! Le processus est pourtant loin d’être achevé, non ? Tout à fait. Prenons l’exemple du football sur lequel j’avais écrit un chapitre. Aujourd’hui, une chaîne de télé pilotée par la ligue professionnelle, consacrée à la ligue 2, a été créée avec des émissions, des animateurs vedettes : ce que je disais dans le livre – que les fabricants d’événements finiraient par produire eux-mêmes leurs chaînes ou leurs services audiovisuels – est en train de se réaliser sous nos yeux, et même un peu plus tôt que je ne le pensais. D’un point de vue technologique, la télé connectée représente l’étape suivante. Elle fait peur aux opérateurs de chaînes, à tel point qu’ils essaient de contrer le phénomène en poussant le Parlement à encadrer son émergence, voire à l’interdire.

En quoi la télé connectée inquiète-t-elle la télé actuelle ? La box est intégrée au téléviseur ; ça veut dire que l’accès à internet et le contenu audiovisuel sont aspirés directement sur l’écran de télé. Vous aurez ainsi Apple TV, Google TV, Microsoft TV, Warner TV, que sais-je encore ?, qui vont offrir aux téléspectateurs du monde entier des contenus qui ne sont pas “intermédiés” par les chaînes traditionnelles. Auront-ils les ressources pour produire du contenu ? Ils en produisent déjà ! Je vous rappelle que Google est propriétaire de YouTube et veut l’organiser de manière plus simple et plus lisible, c’est-à-dire avec une offre qui ressemble à des chaînes, à des services thématiques. Ils ont des outils de gestion qui permettent grâce à la télé connectée d’adresser de la publicité ciblée à des gens dont on connaît le profil de consommation. On entre dans un autre monde. Comment les chaînes traditionnelles peuvent-elles résister à ça ? Il existe trois stratégies possibles. La résistance pure et dure qui semble être celle qui se développe en France à travers le lobbying auprès des parlementaires en vue d’obtenir une législation et exiger des autorisations du CSA pour pouvoir émettre de la télévision connectée. Deuxième solution, à mon avis la bonne : proposer à ces grands groupes de passer des accords en amont, histoire d’être un partenaire clé de ce type de service. Troisième possibilité : faire sa propre télé connectée. C’est difficilement réalisable pour des chaînes françaises qui ne disposent pas, ou peu, de portefeuille de droits. Le légitime et nécessaire système de soutien à la création vous paraît-il dépassé ? Tel qu’il fonctionne aujourd’hui, oui. Nous devons essayer de construire quelque chose qui soit fondé sur l’attractivité audiovisuelle du territoire mais la probabilité que l’on puisse faire évoluer ce système en douceur est faible. L’hypothèse la plus probable est une crispation de plus en plus forte du système avant un effondrement.

Xinhua/Zuma/RÉA

recueilli par Jean-Marie Durand

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Quels sont les points faibles de la production française ? Malgré un volume financier significatif pour le soutien aux œuvres, le marché de la production reste faible et la qualité des œuvres peu convaincante. En France, on a longtemps privilégié les 90 minutes alors que le format standard est le 52 minutes : les chaînes du monde entier ont des grilles adaptées à ce format. Autre exemple de cette déconnexion du système français : l’interdiction de diffuser des films certains soirs. Ça n’a plus aucun sens. Dans ce paysage reconfiguré, les grandes chaînes manquent-elles de vision stratégique sur le long terme ? Le retard de France Télévisions sur le numérique est patent. Bruno Patino, nommé récemment responsable du numérique au sein du groupe, tente de le rattraper. La simple mise en place d’un player, outil qui existe à la BBC depuis des années, a consommé beaucoup de temps et d’énergie. La plupart des chaînes de télé françaises considèrent qu’internet n’est qu’un complément de l’offre diffusée sur l’antenne, c’est absurde et dépassé. Seule Arte a mieux compris la logique éditoriale d’une marque de contenus qui peut produire des choses différentes sur différents supports, voire inverser la chronologie des médias et passer du web à la télé pour des œuvres innovantes. Le web est une source de créativité de plus en plus importante, un lieu d’innovation et d’expérimentation pour l’audiovisuel. C’est cela aussi l’indice de la fin de la télévision. Comment expliquer le paradoxe entre la transformation que vous décrivez et la persistance d’une symbolique forte de ce média de masse qu’est la télé ?

La télévision reste un monde très connu, balisé, mesuré par l’Audimat, qui rassure les annonceurs. Il est difficile aujourd’hui de comparer l’efficacité publicitaire de la télévision et du web, mais ça viendra. Les achats d’espaces ou le marketing des grands annonceurs sont encore dirigés par des responsables qui appartiennent à la génération analogique, pour qui le web est juste un investissement complémentaire. Quand les outils permettront de comparer cette efficacité et qu’une nouvelle génération de managers prendra les commandes du marketing des grands groupes, le changement sera visible et important. Quand sortirons-nous de ce que vous appelez “l’âge de la post-télé” ? On est encore dedans. Nous allons vers un temps où ce que nous appelons “télévision” sera un service audiovisuel parmi d’autres, et pas le plus important. Internet sera le média dominant et la télévision le média dominé. On m’a souvent opposé l’argument selon lequel la presse écrite n’a pas été tuée par la radio qui n’a pas été tuée par la télé. Sauf qu’internet est un média qui absorbe les autres médias. L’univers web sur l’écran de télé est en train de grignoter du temps du téléspectateur, soit par l’intermédiaire de la consommation différée soit par l’apparition de nouveaux acteurs avec la télé connectée. Internet n’est pas un média de plus qui vient se poser à côté des trois autres, c’est comme une éponge qui vient les absorber. Vous enseignez la sociologie des médias à Sciences-Po. Vos étudiants achètent-ils des journaux et regardent-ils la télé ? Non, ils sont sur le web. 1. Seuil (La République des idées), 108 pages, 11,50 € 13.07.2011 les inrockuptibles 37

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Mon oncle Charlie, série créée par Chuck Lorre et Lee Aronsohn

Pour 7,99 dollars par mois, un servicei llimité des treaming tous supports

beau Flix

L’audiovisuel traditionnel se sent menacé par Netflix, géant américain de la VOD et première source de trafic internet aux Etats-Unis. par Anne-Claire Norot

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usqu’en mars, le géant américain Netflix se contentait de louer des DVD et de proposer, contre abonnement et en streaming, des rediffusions de films et de séries. Aujourd’hui, coup de tonnerre dans l’audiovisuel US : Netflix se lance dans l’achat de contenus originaux. La société vient de devancer HBO en achetant pour plus de 100 millions de dollars une série que réalisera David Fincher, House of Cards. Avant d’en arriver là, l’entreprise a parcouru un incroyable chemin. A son lancement en 1998, le site propose la location par correspondance de cassettes vidéo, puis de DVD. Un système d’abonnement mensuel illimité est rapidement mis en place. En 2008, sur une partie de son catalogue, Netflix introduit le streaming vidéo sur PC, puis dans la foulée sur la télé. Depuis, fort d’accords avec de nombreux studios (Paramount, MGM…) et chaînes, Netflix propose pour 7,99 dollars par mois un service illimité de streaming tous supports (TV, ordinateur, iPad et iPhone). Réputé pour sa simplicité et l’efficacité de son service clients, Netflix s’enorgueillissait en avril de 23,6 millions d’abonnés, contre moins de 9 millions en 2008. Le site serait par ailleurs la première source de trafic internet aux Etats-Unis (30 % du trafic le soir aux heures de pointe). Mais ça se complique pour Netflix. Les chaînes et les producteurs de contenus commencent à se sentir menacés par le succès du site et sa nouvelle politique d’achat de contenus exclusifs. Ils veulent renégocier leurs accords. La chaîne Starz ne lui permet plus de diffuser

sa série Camelot moins de 90 jours après l’avoir diffusée elle-même. Depuis juin, Sony interdit le streaming de ses films. Showtime n’autorise plus la diffusion de ses productions star, Dexter et Californication. HBO (Sopranos, Sex and the City, Game of Thrones) a, quant à elle, toujours refusé de fournir son contenu à Netflix, les royalties n’étant pas assez élevées. Devenir moins dépendant des chaînes est une des raisons qui poussent aujourd’hui Netflix à acheter du contenu exclusif. Le site s’est lancé au Canada il y a un an, arrivera en Amérique latine et aux Caraïbes avant la fin de l’année et une implantation en Espagne est envisagée dès 2012. Selon Le Figaro, la Grande-Bretagne et la France pourraient devenir ses prochaines cibles. Alors qu’en France la VOD progresse (+ 12 % en volume au premier trimestre), les chaînes doivent-elles s’inquiéter ? L’installation de Netflix en France est loin d’être acquise. Pour proposer une offre attractive, le site devra composer avec la “chronologie des médias”, qui impose un délai de trois ans avant la diffusion en VOD par abonnement de toute œuvre cinématographique (contre quatre mois pour la VOD à l’acte) après sa sortie en salle. En attendant, quelques concurrents nationaux se positionnent. Vidéo Futur vient de lancer une offre à 6,99 euros combinant location de DVD par correspondance et VOD à 2,99 euros le film. Dailymotion va également lancer une offre payante d’ici la fin de l’année, qui permettra de visionner des films sur TV connectée, PC et appareils mobiles.

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pour quelques téléspectateurs de plus… Canal+ a annoncé la création d’une chaîne bonus gratuite et généraliste. TF1 et M6 s’énervent, l’Elysée s’empêtre. par Simon Piel

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Minority Report de Steven Spielberg

elon un récent sondage TNS Sofres, les Français souhaitent à 87 % que l’offre sur la TNT soit élargie. Mais il n’est pas sûr que les chaînes historiques – TF1, M6 et Canal+ – disposent, comme le leur accorde une loi de mars 2007, d’un canal supplémentaire avant mai 2012. L’alliance traditionnelle des chaînes historiques a explosé en vol quand Bertrand Meheut, pdg du groupe Canal+, faisant fi d’une mise en demeure de la commission européenne, a annoncé en mars dernier la création de Canal 20, une chaîne gratuite et généraliste. Une déclaration de guerre à TF1 et M6 qui craignent de voir leur part publicitaire se réduire. L’arrivée de Canal 20 “crée une situation inacceptable” a assuré au Monde Nonce Paolini, pdg de TF1. “Avec ses moyens et son catalogue, le groupe Canal+ pourrait vite en faire une chaîne rentable”, analyse un vieux routier du PAF. Pour le moment, l’arrivée de cette chaîne est plus qu’hypothétique, la commission européenne ayant estimé en novembre dernier que l’octroi de ces chaînes bonus était non conforme au

droit européen car il ne respectait pas les règles de la concurrence. A l’origine, cela avait pour objectif de compenser les pertes potentielles liées à l’arrivée de la TNT. “Favoritisme”, a tonné Bruxelles. L’Elysée va devoir composer avec une loi votée sous Chirac, les ambitions du groupe Canal, les crispations de TF1 et M6, les revendications des Bolloré (Direct 8), Weill (BFM TV) et Baudecroux (NRJ 12), et désormais le non catégorique de Bruxelles. Tout cela à un an de l’élection présidentielle… “Si Meheut pouvait arrêter de faire de la politique et faire de la télévision…”, soupire-t-on à l’Elysée. La présidence assure qu’elle attend l’avis motivé de la commission européenne, manière de donner du temps au temps tout en essayant de ne pas trop froisser les amis du Président, au premier rang desquels Martin Bouygues et Vincent Bolloré. Du côté du Château, on a donc décidé de ne rien décider. Michel Boyon, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), a été chargé par Matignon de proposer des pistes de sortie pour fin juillet.

“Le groupe Canal a avec lui les parlementaires, le monde de la création et l’opinion publique”, décrypte un ancien de la commission Copé. De plus, précise-t-on du côté de Canal+, “TF1 et M6 sont en situation quasi oligopolistique sur le marché publicitaire avec 76 % du gâteau en 2010”. Manière de signifier que les craintes des deux chaînes privées sont infondées. Pendant ce temps, les lobbyistes maison travaillent. Canal+ choie les députés, Martin Bouygues (TF1) et Vincent Bolloré (Direct 8) activent leurs leviers élyséens, quand Nicolas de Tavernost (M6) explique à qui veut l’entendre que “si la voie de la sagesse ne prévaut pas et qu’on décide de créer de nouvelles chaînes, on rentrera dans la bagarre”. Derrière cette guerre pointe aussi l’angoisse liée aux concurrents venus d’ailleurs qui pourraient perturber l’équilibre économique des chaînes historiques. Les opérateurs dits over the top, comme Netflix, vont avec l’arrivée imminente de la télévision connectée changer la donne. Il ne s’agirait pas que les chaînes se fassent avoir comme les majors du disque avec le MP3.

Un projet qui pourrait rendre le groupe Canal tout-puissant 13.07.2011 les inrockuptibles 39

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édito

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renversement

les leçons d’Eva Joly Il ne suffit pas toujours d’avoir les médias et les instituts de sondage derrière soi pour gagner.

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’élection de 2012 ne ressemble pas à celle de 2007. Chez les écolos, le chouchou des sondages et des médias vient de prendre une rouste face à Eva Joly, l’ex-juge d’instruction “à l’accent bizarre”, déjouant ainsi tous les pronostics. “L’écologie de combat” a convaincu, pas “l’écologie ouverte et décomplexée”. Pour Yannick Jadot, soutien d’Eva Joly, c’est une victoire politique. Selon lui, les électeurs écolos ont sanctionné le manque de crédibilité politique de Nicolas Hulot et son positionnement idéologique flou. En déclarant avoir envisagé un tandem avec Jean-Louis Borloo, il a heurté les convictions politiques historiques des écologistes, ancrées à gauche. A contrario, le camp Hulot voit dans la victoire d’Eva Joly un repli identitaire. Sa victoire est une défaite pour ceux qui, chez Europe Ecologie-Les Verts, prônent l’ouverture au centre.

“La brièveté de sa campagne a handicapé Nicolas Hulot”, veut croire Yves Cochet, un de ses soutiens. Il est entré en campagne en mars 2011, un an après Joly, il avait toujours un train de retard. Pour briser son image d’homme lié à TF1, il a surjoué la probité et la sobriété. Des qualités déjà attribuées à Eva Joly. Malgré son insistance sur la justice sociale, Hulot n’a pas réussi à casser la suspicion à propos des liens de sa fondation avec les grandes entreprises. En face, Eva Joly avait fait plier Elf il y a plusieurs années. Après la bataille, c’est le temps du rassemblement. Hulot a promis de rester, mais s’impliquera-t-il ? Ce sera à Cécile Duflot de garantir ce “rassemblement”. Une “convention de réconciliation” aura lieu à la mi-août à l’université d’été de Clermont-Ferrand. Si Eva a gagné, Hulot le médiatique reste indispensable pour la campagne présidentielle. Anne Laffeter

Il fut un temps où les socialistes confondaient insécurité et sentiment d’insécurité. Ils ont perdu nombre d’élections avec cette erreur d’analyse. Ils se sont souvent fait avoir par la droite sur ce terrain miné et clivant. Mais depuis qu’ils dirigent quasiment toutes les régions, plus de 60 % des départements et la plupart des grandes villes, les socialistes sont obligés d’être au clair avec les questions de sécurité. Le sentiment d’insécurité est basé sur une réalité et pas simplement sur un fantasme alimenté par le 20 heures de TF1. De nombreux Français qui vivent dans les quartiers populaires des grandes agglomérations n’ont pas besoin d’un papy Voise ou des images de voitures qui brûlent dans le 9-3 pour être en insécurité... Il y a la vie de tous les jours. Et ce n’est pas la fermeté du discours de Claude Guéant qui peut les rassurer. Le rapport de la Cour des comptes publié la semaine dernière, qui dénonce la politique inégalitaire et inefficace menée en la matière par Nicolas Sarkozy depuis 2002, est la marque d’un renversement. Il démontre qu’aujourd’hui c’est la droite qui confond la réalité et la perception de la réalité. Nicolas Sarkozy confond sécurité et sentiment de sécurité. Le discours d’autorité, le menton haut, le verbe menaçant et les postures répressives ne donnent rien. La politique du chiffre appliquée en même temps qu’une politique de réduction des coûts pousse à remplacer l’action, onéreuse, par une gesticulation médiatique vaine. Le thème de la sécurité, traditionnellement favorable à la droite, devient un thème porteur pour le FN bien sûr, mais aussi pour la gauche, parce qu’il est de plus en plus lié à un sentiment (et à une réalité) d’injustice et d’inégalité.

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la télé de papa en campagne En dépit de la consolidation du rôle d’internet et des chaînes d’information, les télévisions “classiques” veulent continuer de mener la danse pour la campagne présidentielle 2012.

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’était en 1988. Au siècle dernier. Les communicants de François Mitterrand, candidat à sa réélection sur le thème de “la France unie”, avaient mis au point un ballet bien réglé avec les journaux télévisés du soir. Chaque grand meeting du président sortant commençait à 20 heures pile, offrant aux militants et aux téléspectateurs la même image de François Mitterrand remontant une allée de drapeaux et ses premiers mots à la tribune. Aujourd’hui, Franck Louvrier, responsable de la communication de Nicolas Sarkozy, président sortant, estime que la campagne 2012 “se fera surtout sur les chaînes d’info continue et internet”. “Tout le monde va sur LCI, BFM ou I-Télé, sachant que la parole va être démultipliée, et tout le monde a un compte Facebook et un compte Twitter.” Au Parti socialiste, on estime qu’il “faut être présent sur tous les plans”. “C’est une campagne qui a deux instances : il faut la mener dans l’immédiateté, le tweet, les blogs, les bonnes formules. Pour les quelques-uns qui font l’opinion. Mais il y a aussi la grande opinion, qui ne vit pas à ce rythme. Le 20 heures, ça ne touche que la province, les quartiers populaires mais pas les quartiers bobos. Si vous touchez la première catégorie, vous avez l’illusion que la campagne fonctionne, mais vous avez perdu le gros des troupes. Si vous n’avez pas la première et que vous n’avez que le journal télévisé, vous êtes bousculé par les questions de la première catégorie”, explique un dirigeant de la rue de Solférino. Fabien Namias, chef du service politique et économique de France 2, ne s’inquiète pas du tout de la montée en puissance des nouveaux médias et des petites chaînes d’info. “Quand Martine Aubry est l’invitée du 20 heures un dimanche soir, elle fait 5,5 millions de téléspectateurs. Aucun média n’est capable d’en faire autant, l’impact des journaux télévisés reste totalement dominant”, souligne-t-il. Pour ce journaliste, qui est passé par LCI et Europe 1, “il ne faut pas casser le côté grand-messe du 20 heures, qui donne du poids aux interventions”. “Que les chaînes d’information continue fassent plus en quantité, c’est normal mais 13.07.2011 les inrockuptibles 43

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1965, la première campagne télévisée

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L’élection présidentielle de 1965 est restée dans l’histoire comme la première ayant donné lieu à une campagne moderne. Notamment en raison de l’irruption de la télévision comme acteur incontournable de la vie politique. Il y a alors un peu plus de 6 millions de petits écrans en France. Un foyer sur deux est équipé. La campagne électorale officielle garantit un principe d’égalité entre les candidats à la télévision. Assuré de sa réélection, le général de Gaulle décide de ne pas utiliser le temps de parole qui lui est attribué. Il sous-estime ainsi la puissance de ce nouveau média, dont ses opposants, plus jeunes, s’emparent avec appétit. François Mitterrand, candidat de toute la gauche unie, a travaillé son expression avec des spécialistes de la communication. Le centriste Jean Lecanuet, surnommé le Kennedy français en raison de son goût pour le marketing à l’américaine, y gagne des électeurs. Au premier tour, contre toute attente, Mitterrand met de Gaulle en ballottage, avec 32 % des voix contre 43 % au fondateur de la Ve République. Jean Lecanuet obtient plus de 15 % des voix. De Gaulle accepte alors de se prêter à l’exercice télévisuel en accordant trois interviews. Au second tour de scrutin la participation atteint 84,7 % et de Gaulle devance Mitterrand de près de 2,5 millions de voix. H. F.

casse-tête de la primaire PS Les médias audiovisuels sont confrontés à un premier casse-tête. La primaire socialiste aura lieu les 9 et 16 octobre. Télévisions et radios sont très courtisées en ce moment au PS. “A chaque fois qu’on invite un candidat ou un de ses soutiens, on est confronté à des sollicitations venues du camp d’un autre candidat, avec le risque de lasser les téléspectateurs”, déplore Fabien Namias, chef du service politique et économique de France 2. “Pour le CSA, la primaire socialiste est une affaire entre socialistes et on doit équilibrer les temps de parole habituels entre gauche et droite. Nous avons notre propre ligne, en deux temps. Jusqu’au premier tour, on respecte l’équité entre

les candidats, en fonction du poids qu’on leur prête. Entre les deux tours, on respecte une stricte égalité entre les deux finalistes”, explique-t-il. Mais l’inquiétude des responsables des services politiques est ailleurs. L’UMP pourrait exiger un temps de parole égal à celui accordé au PS. “Pour l’instant, elle ne demande rien, elle a tout intérêt à laisser le PS se débattre avec l’affaire DSK et la primaire, mais nous savons bien que nous serons redevables en temps de parole”, reconnaît Namias. Tout dépendra aussi du dispositif arrêté pour les débats entre candidats à la primaire. Y en aura-t-il avant le premier tour ? Les prétendants ne sont pas d’accord entre eux. H. F.

les chaînes traditionnelles offrent des rendez-vous identifiés dans la journée (JT) et des émissions spécifiques. Il faut savoir aussi que l’audience cumulée des chaînes d’info sur une journée est inférieure à celle d’un 20 heures sur TF1 ou France 2 ! Il ne faut pas sous-estimer les chaînes d’info mais il ne faut pas les surestimer non plus”, précise-t-il. Même discours chez François Bachy, chef du service politique de TF1. “On n’est pas dans le même ordre de grandeur. Quand François Fillon est venu dans notre nouvelle émission, Parole directe, il a réuni six millions de téléspectateurs.” François Bachy, qui officie aussi sur LCI, note d’ailleurs que “les chaînes d’info sont utilisées par les politiques, au même titre que l’AFP, pour donner des réactions rapides sur tout type d’événement”. Réactions qui sont généralement reprises, recyclées dans les 20 heures. Rien ne se perd. Tout se transforme. Dans l’attente de la campagne de 2012, qui débutera réellement quand le candidat socialiste sera connu et quand Nicolas Sarkozy entrera en piste, TF1 et France 2 préparent leur dispositif. “On veut être la chaîne de la présidentielle, avec beaucoup de politique dans les journaux, on a déjà un à deux sujets par 20 Heures et très souvent un invité politique. On a une émission spécifique, Des paroles et des actes, qui est mensuelle mais dont le rythme va s’intensifier. On peut arriver à une émission par semaine dans la dernière ligne droite, et puis le dimanche il y aura deux rendez-vous, à 13 heures et à 20 heures”, explique Fabien Namias.

“On sait que la campagne se fera beaucoup en direct, d’où sans doute cette référence des politiques aux chaînes d’info, mais on a prévu beaucoup de directs. On a beaucoup à apprendre du modèle anglo-saxon, avec des directs très efficaces et aussi l’expertise, le recul, la possibilité de passer au banc d’essai toutes les propositions des candidats. Sur France 2, on a fusionné les services politique et économique, on a les ressources en matière grise pour suivre la campagne. Elle existera chez nous, c’est un fait objectif”, conclut-il. Sur TF1, Parole directe a été introduite dans le 20 heures. Elle est coanimée par Laurence Ferrari et François Bachy. D’autres rendez-vous seront créés mais “il est trop tôt encore pour le dire”, explique le chef du service politique. Du côté des chaînes d’info, on joue le partenariat avec les radios pour accroître la visibilité et les possibilités de reprise. LCI est alliée à RTL et au Figaro et I-Télé a passé un accord avec Europe 1 pour retransmettre l’émission Le Grand Rendez-Vous, le dimanche, et les interviews politiques d’Arlette Chabot, la patronne de la rédaction de la rue François-Ier. L’accord concerne aussi le quotidien Le Parisien. Rien ne garantit toutefois que faire de bonnes audiences soit synonyme de popularité ou de succès électoral. Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen attirent toujours beaucoup de téléspectateurs. Mais “en politique, souligne un responsable du PS, il faut distinguer le bruit, l’intérêt et le bruit positif”. Réponse en mai 2012. Hélène Fontanaud et Marion Mourgue

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presse citron

les relous par Christophe Conte

Tandis que la gauche se chamaille pour le dernier Kinder Bueno et que la droite s’empiffre de sauciflard de triste âne, la girafe Nathalie pourrait bien se décider dans une décennie ou deux à faire campagne.

avec Sarkozy, tu arrêtes la drogue Hermann Fuster, qui a agrippé Nicolas Sarkozy par le col de la veste, le 30 juin, à Agen, est prêt à présenter ses excuses. “Sur le plan personnel, cette histoire a eu un impact positif : j’ai arrêté de fumer du cannabis et je sors davantage avec des amis au lieu de rester seul chez moi”, a déclaré au Parisien le repenti, employé au conservatoire d’Agen. Sarkozy, mieux que la “rehab” !

Charles Platiau/Reuters

victime de la rumeur, moi aussi

la girafe sophistiquée Long portrait bienveillant de Nathalie Kosciusko-Morizet dans Marianne (9/07), à l’occasion de son livre anti-FN. C’est vraie qu’elle est cool, NKM, dont on apprend qu’elle met les pieds sur les accoudoirs du salon de son ministère, qu’elle fume des clopes, qu’elle a un mari socialiste et plein de copains à gauche, qu’elle claque la bise à José Bové et gère elle-même son compte Twitter. Dominique Paillé voit carrément en elle “la première femme présidente de la République”. Si Dodo dit vrai, cela devrait se jouer aux alentours de 2027, et il semble acquis qu’on préférerait la victoire de la girafe Nathalie à celle de François Babouin.

bad nom

saucisson pignoufs

L’avocat français de DSK, Jean Veil, remarquait avec perfidie récemment que la mère de Tristane Banon portait le prénom Anne, ce qui en disait long sur ses intentions pour sa fille. On apprenait pourtant dans Libération (6/07) que Tristane se prénomme en vérité Marie-Caroline et qu’elle s’est choisi elle-même cet œdipienne identité de substitution. A la quête d’un avocat pour plaider sa cause, elle aurait dû préférer celle, bien plus urgente, d’un bon psy.

Dans un récent portrait de L’Express, le député des Alpes-Maritimes Eric Ciotti citait ses références culturelles : Céline, Michel Sardou, Jean Reno et Max Gallo. Sur sa chanson préférée, il répondait Ici les enfoirés, le tube 2009 des Restos du cœur. Son courant à l’extrême droite de l’UMP, la Droite populaire, en plus de rouler des pelles à la fille Le Pen, annonce qu’il va organiser un apéro saucisson-pinard pour le 14 Juillet (Le Point 08/07), suçant ainsi la roue des Identitaires. Pour accompagner ces restos du haut-le-cœur, on propose comme hymne Ici les enculés, pour faire plaisir à monsieur Ciotti.

la gauche Kinder Au PS, toutes les occases sont bonnes pour se foutre une bonne trempée entre camarades. On avait déjà le crêpage de chignasse de la primaire, voilà maintenant qu’on se chicane aussi pour le poste de premier secrétaire intérimaire, contesté à Harlem Désir par Cambadélis et Hamon (Le Nouvel Obs, 7/07). Ça promet de belles batailles à venir, dans la grande tradition socialiste de Léon Blum ou de François Mitterrand. Pour les meilleures places à la cantine de Solférino, pour l’obtention des chèques-vacances au prochain CE et pour le dernier Kinder Bueno.

Martine à l’amer Alcoolique, atteinte d’une tumeur au cerveau, mariée à un dangereux islamiste : des rumeurs dégueulasses circulent à propos de Martine Aubry sur cette “saloperie d’internet” comme auraient pu le dire d’une seule voix Alain Delon et Jacques Séguéla. Au point que la candidate PS à la primaire monte au créneau dans le JDD (10/07). Certaines rumeurs prétendent également qu’elle serait sympa, et ça c’est vraiment ignominieux.

Après le trash de l’affaire DSK et les effluves nauséabonds concernant Martine Aubry, Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche à la présidentielle, dénonce la “rumeur” que “s’amusent à répandre certains journalistes”, selon laquelle il ne serait pas assidu au Parlement européen. On a envie de lui dire qu’il n’est pas le seul. Marine Le Pen n’est pas non plus très friande des séances à Strasbourg. Logique pour deux personnalités qui ont voté non à la Constitution européenne en 2005.

chômeurs, aux fourneaux ! A Thonon-les-Bains, la mairie UMP a décidé que les enfants de chômeurs n’auront qu’un “accès limité” à la cantine. A la rentrée, il faudra fournir un justificatif de présence à un entretien d’embauche ou à une formation pour que son enfant puisse déjeuner avec ses petits camarades. Le maire Jean Denais explique vouloir donner “la priorité aux familles qui travaillent et ne peuvent pas garder les enfants”. Les chômeurs n’ont qu’à faire à manger eux-mêmes à leurs bambins. Ils pourraient aussi faire médecine pour les soigner eux-mêmes. 13.07.2011 les inrockuptibles 45

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Gérard Julien/AFP

Jean-François Copé est galvanisé par l’approche de 2012, qui le rapproche de 2017, l’élection où il veut être le candidat UMP. Il a fait la fête avec ses amis dimanche à Maussane-lesAlpilles.

brèves

couvre-feu, petits comptes entre amis, PS en Avignon, Fillon en hôte licence IV mais couvre-feu Gérard Schivardi, le candidat à l’élection présidentielle 2007, sous la bannière du Parti des travailleurs (aujourd’hui Parti ouvrier indépendant, POI), est de retour. Non seulement il devrait se présenter à la prochaine présidentielle, mais il vient aussi de décréter un couvre-feu pour les moins de 17 ans dans son village de Mailhac (Aude). L’arrêté municipal interdit aux mineurs, s’ils ne sont pas accompagnés de leurs parents, de se promener après 22 heures et jusqu’à 6 heures dans les rues de ce village de 500 habitants. “Si tous les maires faisaient comme moi, il y aurait moins de faits divers”, a affirmé le secrétaire national du POI.

Larcher devient la cible Gérard Larcher vient de se faire taper sur les doigts par la préfecture des Yvelines. Le maire de Rambouillet – également président du Sénat –, est contraint de présenter une nouvelle fois

à son conseil municipal les comptes 2010… la dernière délibération étant entachée d’une double illégalité ! Tout d’abord, les quelque 800 pages de ces comptes d’administration et de gestion n’ont été remises à l’opposition que quelques heures avant le conseil. De plus, Gérard Larcher a participé et même présidé les débats… ce que la loi interdit formellement !

embouteillage culturel Quasiment tous les candidats à la primaire socialiste ont sorti leur guide culturel pour ces derniers jours de campagne avant la coupure estivale. Il y aura embouteillage en Avignon en fin de semaine : Martine Aubry, François Hollande, Arnaud Montebourg et Manuel Valls. Un festival de “off” en perspective. Et c’est double effet Kiss Cool pour Hollande et Montebourg qui iront aussi au festival des Vieilles Charrues, à Carhaix. La présidentielle est une fête !

Fillon paie son coup Qui l’aurait dit il y a quelques mois ? François Fillon est toujours Premier ministre. Il offre ce mercredi un pot de fin de session aux parlementaires UMP. Conforté à Matignon, le chef du gouvernement peut désormais penser à la suite : les législatives de 2012 à Paris dans la deuxième circonscription (Ve, VIe et VIIe arrondissements), également convoitée par Rachida Dati (maire du VIIe), et la mairie de la capitale en 2014. Mister Nobody est décidé à devenir quelqu’un.

Borloo poursuit son chemin Le possible candidat centriste a réuni lundi ses proches et des personnalités de la société civile pour plancher sur sa campagne présidentielle en 2012. Jean-Louis Borloo résiste pour l’instant aux appels à la raison lancés par l’UMP. Dernier en date, Jean-François Copé, le patron du parti sarkozyste, qui a mis en garde l’insoumis contre les risques d’un “21 Avril à l’envers”. Même pas peur.

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Martine Aubry passe à l’offensive

E  

lle a déclaré sa candidature le 28 juin. Une entrée en campagne perturbée par une série d’événements. Face au parasitage organisé par le camp sarkozyste, elle répond au second degré : “C’est terrible, que des sales coups depuis le 28 juin ! Mais la Terre ne va quand même pas s’arrêter de tourner parce que je me suis déclarée candidate.” Elle a beau jeu de plaisanter, la maire de Lille… D’autant plus que son début de campagne a été pollué par des rumeurs, sur son mari ou sur son supposé alcoolisme. “Nous avons appelé les intéressés pour que ça s’arrête, commente un proche de Martine Aubry. C’est si massif que ça ne peut être qu’organisé. Ça ne peut pas être une propagation spontanée comme cela peut arriver sur le net. On sait que c’est orienté.” Pas question pour Martine Aubry de se laisser atteindre. Elle en a vu d’autres, veut-elle croire. Qui plus est, dans cette affaire, elle a reçu le soutien de François Hollande, Ségolène Royal ou encore Arnaud Montebourg. Pardon, mais cette fraternité vaut d’être signalée… Sinon, Martine Aubry - qui n’a donc qu’un adversaire, “Monsieur Sarkozy” - a officialisé son organigramme de campagne. Outre ses fidèles comme son directeur de campagne François Lamy, le fabiusien Guillaume Bachelay (chargé de coordonner le contenu) ou l’ex-royaliste David Assouline (aux initiatives), qui souhaite “une campagne vivante et réactive”, des petits nouveaux font leur apparition : Anne Hidalgo, la dauphine de Bertrand Delanoë à Paris, comme l’une des porte-parole, Olivier Dussopt, député de l’Ardèche, et Caroline de Haas, un des nouveaux visages du féminisme et proche de Benoît Hamon. De grands élus seront aussi associés : Michel Destot, député-maire de Grenoble, coordonnera les relations avec les élus locaux, Pierre Cohen, député-maire de Toulouse, s’occupera du dossier urbanisme et logement. Des experts mettront aussi la main à la pâte comme l’économiste proche du PS, Daniel Cohen. Enfin, un conseil politique réunissant les grandes figures du parti – Bertrand Delanoë, Laurent Fabius, Henri Emmanuelli, Jean-Christophe Cambadélis, Benoît Hamon… – se réunira autour de Martine Aubry. Histoire d’écraser les autres candidats ? Alors là vraiment, c’est pas le but de l’exercice, qu’on nous dit. Marion Mourgue

Des militants de l’UMP le 10 juillet.

que le meilleur perde Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite. par Michel-Antoine Burnier

Gérard Julien/AFP

affaires de campagne

Tourneboulés par la place qu’occupent les tribulations judiciaires de M. StraussKahn et la plainte pour tentative de viol déposée par Mme Banon, les socialistes se lancent dans cette primaire qui pour l’heure paraît irréelle. D’un côté, un scénario sexuel aux extraordinaires rebondissements et le soupçon d’un complot, de l’autre l’aridité des programmes : au début des vacances, le public a choisi. Cette démonstration imprévue semble laisser M. Sarkozy et ses amis victoricides démunis. Bien sûr, ils tentent d’exciter contre eux la mauvaise humeur des masses en allongeant à 41 ans et demi la durée de cotisation pour la retraite. Mais en plein mois de juillet, cette méchanceté sournoise n’a aucune chance de faire lever le moindre manifestant. Là-dessus, quelques esprits fatigués repartent dans une énième attaque contre les 35 heures. Comment les croire puisqu’en quatre ans M. Sarkozy n’est pas plus arrivé à s’en défaire que M. Chirac après 2002. Une idée, cependant, et fort utile à terme : l’instauration d’une TVA sociale que chacun pressent antisociale. On se souvient qu’en 2007, à la veille des législatives, les amis de M. Sarkozy avaient déjà menacé le peuple d’une semblable exaction. Cette simple évocation avait freiné l’essor de la droite, qui en avait perdu quelques pour-cent et quelques sièges. L’UMP a raison d’y revenir. Maintenant, la primaire écologiste. Il n’échappera

à personne que le meilleur a perdu. Mais considérons le choix lui-même des deux candidats de tête. Voilà du beau savoir-faire : juges et présentateurs de télévision appartiennent à des corporations peu nombreuses et parmi les plus fermées au monde. Ils apportent une garantie d’inexpérience politique, donc de gaffes. Surtout, juge et présentateur pratiquent tous deux un métier qui, par son statut, exclut tout dialogue réel. Un magistrat n’a pas l’habitude qu’on lui réplique : faites-le avec un peu de vigueur, il vous inculpera pour outrage. Quant au présentateur, il ne rencontre dans son émission que des hommes et des femmes choisis pour lui, briefés, chapitrés et faciles à corriger au montage. Ce sont bien sûr ces gens-là que l’on expédie à la rencontre des Français. Notez que les écologistes avaient pris quelques précautions préalables : écarter les conseils de ce M. Cohn-Bendit, un maladroit qui les avait portés presqu’au niveau du PS lors des élections européennes d’il y a deux ans ; se choisir un nom et un sigle des plus malaisés à garder en mémoire, tel EELV, Europe EcologieLes Verts. On peut encore prononcer “je vote péesse” ou “je vote u-aimepé” ou même “hump’”. Mais comment lâcher un “je vote euheuh élevé” ? Pourquoi cela ? Simple : lors de leur récente coalition, les Verts n’ont jamais voulu se nommer Ecologistes ni les Ecologistes, Verts. (à suivre...) 13.07.2011 les inrockuptibles 47

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la certitude de trouver à chaque page quelques pépites en forme de maximes

débat d’idées

de l’inconvénient d’être né Ses écrits sont d’une telle modernité qu’il est difficile de croire qu’ils datent de 1976. Günther Anders, un philosophe visionnaire, donc désespéré.



l’époque des médias électroniques, il n’existe plus d’endroit où l’on pourrait ne plus être informé ou plutôt désinformé, ou encore, pour être plus précis, plus d’endroit où l’on pourrait échapper à la contrainte d’être informé ou plutôt désinformé, puisqu’il n’existe plus aucune province, il n’existe donc plus d’endroit où l’on n’a pas les oreilles saturées des bavardages sur la “perte du sens” des philosophes ordinaires, des psychanalystes et des prêcheurs des ondes.” Avec ce texte écrit à la fin des années 1970, on voit que Günther Anders, né à Breslau en 1902, mort à Vienne en 1992, n’a pas eu besoin

d’attendre la création d’internet pour en développer une des critiques les plus ravageuses. Ceci avec une scansion répétitive aussi savoureuse que celle d’un autre Autrichien, Thomas Bernhard, dont il partage l’humour, l’outrance et le goût de l’exagération. Elève exaspéré d’Heidegger dont il détestait les théories de l’enracinement, mari éphémère d’Hannah Arendt, Günther Anders a toujours refusé les hochets académiques et les systèmes trop systématiques des philosophes. Epris de littérature – il vomissait Kafka et ses personnages veules broyés par le pouvoir,

mais adorait ceux, plus retors dans leur désespoir, de Beckett – Anders est l’auteur de Die molussische Katakombe (la Catacombe molussienne non traduit en français), une fiction machine de guerre contre le nazisme. Cette opposition frontale à Hitler, qui plus est de la part d’un Juif, lui commande dès 1933 l’exil, qui le conduit d’abord à Paris, puis trois ans plus tard en Californie. Où il retrouve entre autres Adorno, Thomas Mann, Döblin et Brecht, dont il était l’ami, et qui le cite à plusieurs reprises dans son Journal de travail1, sous son vrai nom, Günther Stern. Anders, “autrement” en allemand, est le pseudo qu’il s’est choisi parce qu’un directeur de journal berlinois était embarrassé de voir la signature de ce touche-à-tout surgir dans toutes les rubriques. “Vous n’avez qu’à m’appeler autrement”, lui a-t-il répondu. Aussitôt dit… Le côté inclassable du personnage explique en partie que son œuvre parvienne dans le désordre. Qu’importe : on peut commencer par le tome II de son grand œuvre, L’Obsolescence de l’homme – Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle, qui vient de sortir, avec la certitude d’y trouver à chaque page quelques pépites en forme de maximes. Qu’est-ce que la mode ? “La mode, répond Anders, est la mesure à laquelle l’industrie a recours pour faire en sorte que ses produits aient besoin d’être remplacés.” La publicité ? “Toute publicité nous invite implicitement à renoncer aux objets que nous possédons déjà, à les mettre définitivement de côté, c’est-à-dire à être sans pitié. Toute publicité est un appel à la destruction.” Cette folie destructrice, qui commande un renouvellement frénétique de la marchandise, trouve son apogée dans le commerce des armes, puisqu’il “est aussi peu loisible de lancer deux fois une bombe au napalm que de manger deux fois un petit pain”. Sur le nucléaire, on se référera avec profit à un petit texte enjoué sous forme d’entretiens, publié par Allia en poche, doté d’un joli titre même s’il ne respire pas la joie de vivre : Et si je suis désespéré, que voulez-vous que j’y fasse ? Alain Dreyfus 1. Editions de l’Arche, Paris, 1976. L’Obsolescence de l’homme, tome II – Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle. Fario, 430 pages, 30 € ; Le tome I est disponible à l’Encyclopédie des nuisances (25 €).

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tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents punks Fille modèle et malicieuse, Hollie Cook rénove avec grâce le reggae. On en oublierait presque ses parents terribles : une pop-star des eighties et un membre des Sex Pistols. par Francis Dordor photo Benni Valsson

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on sourire fait oublier l’absence de soleil dans le ciel londonien et éclaire l’arrièresalle d’un pub de Camden. Sous un joli palmier de cheveux bouclés, Hollie Cook, 25 ans, irradie. Elle est d’une candeur et d’une politesse à faire douter d’être vraiment en 2011 (elle s’efface devant vous en tenant la porte). Il n’y aurait rien d’absurde à vouloir féliciter les heureux parents d’une fille si épanouie et si bien éduquée. Son premier album va sans doute devenir l’une de ces confiseries dont on ne se lasse pas par temps chaud, notre bâtonnet de crème glacée de l’été. Sous une enveloppe craquante de lovers rock à l’ancienne et incrustée de pépites de vrai dub, les mélodies fondantes mêlées à la voix vanillée d’Hollie font merveille. Preuve que la meilleure pop contemporaine, parfum reggae, n’est pas nécessairement tenue aux gros mots de Lily Allen, ni au comportement destroy d’Amy Winehouse. Et qu’un futur potable dans ce pays n’est pas réservé aux seules Kate et Pippa Middleton. Qui est donc cette jeune fille modèle qui semble incarner le parfait contreexemple d’une nouvelle génération à la

dérive si souvent exposée dans les médias britanniques, celle du binge drinking sur les trottoirs, du sexe non protégé dans les squats, du no future irrévocable ? Son père s’appelle Paul Cook. Il a été batteur des infâmes Sex Pistols, le groupe qui vomissait “There’s no future in England’s dreaming” en 1977. Etonnant pied de nez. Il est vrai que l’on conservait jusque-là une image un peu dégradée de la relation familiale chez les punks. Rappelons qu’à l’adolescence, le chanteur Johnny Rotten a été viré de chez lui par son père à coups de pompe dans le cul avant de trouver refuge dans un squat où croupissait son pote John Ritchie, futur Sid Vicious. Ce dernier mourut en 1979 d’une overdose, quelques mois après avoir été accusé du meurtre de sa petite amie, Nancy Spungen. On dit que sa mère, qui lui avait fourni la dose d’héroïne fatale, était tellement ivre le jour de son incinération que dans un pub elle a renversé l’urne où refroidissaient les cendres de son fils. On les ramassa à l’aide d’un balai, d’une pelle et d’une serpillière et elles finirent dans le caniveau dans un mélange de sciure, d’eau sale et de Javel. Voilà pour la filiation.

Comparée à ces sordides échos, l’histoire d’Hollie Cook ressemble à un inédit de la comtesse de Ségur. Son père Paul a rencontré sa mère, Jenny, alors qu’elle était membre d’une première mouture du groupe de Boy George, Culture Club. Ils ont eu une fille, fruit unique d’une union qui dure toujours. Cette fille, ils vont la couver. “Ils m’ont trimballée partout avec eux, aux concerts, dans les fêtes. Ma mère m’emmenait aux répétitions de Culture Club dans un panier en osier. Mon père venait la chercher en voiture, ils m’installaient à l’arrière et nous rentrions à la maison avec T. Rex dans l’autoradio.” A 3 ans, sur un lecteur cassettes à l’effigie de Winnie l’Ourson, elle écoute des mixtapes que lui confectionne papa. “J’en ai encore une avec Deee-Lite et des chansons de Bart Simpson.” Comme toutes les gamines de sa génération, elle a sa période Spice Girls, à laquelle ses parents se gardent de mettre un frein. “Ils ont moins aimé ma phase Marilyn Manson.” A 14 ans, ils l’inscrivent dans une école d’art où elle suit des cours de danse, de chant et de théâtre. Elle s’en lasse au bout de quelques trimestres et travaille

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“ma mère m’emmenait aux répétitions de Culture Club dans un panier en osier”

dans un salon de coiffure. Les Cook accompagnent en douceur les méandres d’une adolescence pas franchement turbulente. “Avoir des parents punks, ça n’aide pas à se rebeller.” Ça peut aider à trouver sa place. La sienne est avec les autres rejetons du milieu punk londonien. Tous font de la musique. Ses meilleures copines sont la fille de Tessa Pollitt des Slits, pendant féminin des Pistols, celle de Mick Jones de Clash, celle d’un musicien du groupe Rip Rig & Panic. Elles grandissent sous le regard bienveillant d’une marraine au look de sorcière, Ari Up, chanteuse des Slits. “Ari était très consciente du potentiel de la seconde génération. Quand elle a voulu reformer les Slits, elle a fait appel à nous.” Hollie fait ses débuts comme choriste sur Revenge of the Killer Slits, le maxi qui signe le retour du groupe en 2006. Vingt-sept ans plus tôt, Cut, leur premier album produit par l’Anglo-Jamaïcain Dennis Bovell, célébrait les noces tribales du punk et du reggae. “Ma mère est originaire de Sainte-Lucie, une île des Caraïbes. J’ai grandi en écoutant du reggae mais c’est avec les Slits que je me suis mise à le chanter pour la première fois.” Une révélation. Ari Up la prend sous son aile – ou plutôt sous ses filaments car avec ses dreadlocks géantes teintes au henné, on la surnomme “la méduse” – et l’entraîne en tournée. La jeune fille n’a pas 18 ans.

“Quand je suis partie sur la route, ma mère s’est mise à me suivre et à se pointer avant les concerts. Je crois qu’elle était heureuse et inquiète à la fois.” Après deux semaines de concerts aux Etats-Unis, il est prévu que Hollie rentre et reprenne ses études. “J’ai téléphoné à mes parents pour les prévenir que finalement je ne rentrais pas. Même si je leur ai un peu forcé la main, ils se sont montrés compréhensifs.” Hollie a tenu à dédier son premier album à Ari Up, décédée des suites d’un cancer en octobre dernier à l’âge de 48 ans. Entre deux sanglots, Hollie avoue qu’Ari a été la personne la plus importante de sa vie, “celle qui m’a révélée à moi-même”. Celui qui pourrait bien la révéler au reste du monde est un certain Mike Pelanconi, alias Prince Fatty. Ce producteur anglo-italien, DJ à ses heures, a fait ses classes comme ingénieur du son dans les grands studios londoniens à une époque où ceux-ci tournaient à plein. Installé aux Etats-Unis pendant deux ans, il a travaillé avec Quincy Jones, Stevie Wonder ou The Pharcyde. Depuis, il a remonté la cote de plusieurs gloires déchues du reggae, dont Gregory Isaacs, et contribué au lancement de la fusée pop délurée Lily Allen. Son credo : faire comme si rien n’avait changé depuis trente ans, comme si l’analogique

et les vrais instruments joués par de vrais musiciens demeuraient la norme. A Brighton où il vit, il a équipé son studio de vieux amplis Ampex importés des Etats-Unis. A l’heure où tous les studios ferment, Mike dit avoir commis “un suicide commercial”. N’empêche : Nick Cave, Manu Chao et les gens du label Mo’Wax figurent parmi ses clients. Et deux albums de reggae-dub, Supersize et Survival of the Fattest, sont venus légitimer par le succès ce titre de “prince”, clin d’œil à deux têtes couronnées de la musique jamaïcaine, King Tubby et Prince Jammy. Dans le métier, on l’appelle aussi le “Mourihno du dub”, en référence à l’actuel entraîneur du Real Madrid. “Pour mes séances, je sélectionne les meilleurs musiciens dans chacun des groupes de reggae anglais, principalement Mafia & Fluxy et The Ruff Cut Band.” Sur l’album d’Hollie Cook, Mike a convoqué ce qu’il appelle sa dream team : Carlton “Bubblers” Oglivie aux claviers, Mafia à la basse, et à la batterie un certain Horseman, mastard rasta qui tartine des toasts à la Big Youth. L’esthétique sonore n’innove en rien. Des riddims qui vous titillent la mémoire du côté de Studio One et des productions Joe Gibbs, des sons d’orgue qui ressuscitent le génial Jackie Mittoo, des cuivres qui font reluire le patrimoine de Tommy McCook et ses Supersonics. En somme, un recyclage de vieux tuyaux de producteurs dont on peut tirer encore de vrais tubes, comme That Very Night ou Milk & Honey, perles coécrites par le Français Barth Corbelet. Du vintage réimprimé à l’ancienne, en conformité avec ces deux vertus cardinales du reggae : l’enracinement et la volupté. Alors pourquoi s’en émouvoir ? Parce que Prince Fatty vous dit le plus sérieusement du monde qu’il veut “remettre de l’amour dans la musique”. Parce qu’Hollie Cook est une ingénue dans un monde de sluts, très loin de ce féminisme glam fascisant à la BeyoncéGaga. Qui avoue, sourire éblouissant aux lèvres, que si ce disque n’était pas le sien, ce serait celui qu’elle aimerait écouter. Et que ses parents sont très fiers d’elle. album Hollie Cook (Mr Bongo/Pias) concert Prince Fatty & Hollie Cook, le 5 août à Pauillac (Reggae Sun Ska Festival) www.holliecook.com

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l’esprit des jeux Comme la mode ou le design, le jeu vidéo devient sujet d’études dans des revues lifestyle et des ouvrages érudits qui analysent sa philosophie et son histoire. par Erwan Higuinen

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ertains hasards ont des airs de signe des temps. Depuis le mois de juin, le livre d’un jeune universitaire, Mathieu Triclot, fait parler de lui. Son titre annonce la couleur : Philosophie des jeux vidéo. Peu après sa parution, Yellow Media, le principal éditeur de magazines spécialisés (Joypad, Joystick, Jeux Vidéo Magazine (JVM)...), était placé en redressement judiciaire. L’époque est paradoxale : la presse spécialisée est au plus mal mais il ne s’était jamais imprimé en France autant de textes passionnants sur le sujet. “En tant qu’objet culturel, le jeu vidéo a été très schizophrène, ces dix dernières années, estime William Audureau qui, après avoir écrit dans bien des magazines, vient de publier une formidable Histoire de Mario (éditions Pix’n Love) et de coordonner l’adaptation française de l’ouvrage 1 001 jeux vidéo à paraître en septembre chez Flammarion. D’un côté, c’est l’un des médias qui génèrent le plus d’attachement, de passion et donc d’envie de lire et d’écrire. De l’autre, la communauté des joueurs, par nature très technophile, a été l’une des premières à migrer sur le net et ce faisant à participer à l’extinction progressive d’un de ses vecteurs culturels historiques, la presse spécialisée. L’édition permet

Nintendo DS de Joseph Ford et Antoine Mairot, le genre de visuel arty et amusant de la très lancée revue Amusement

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www.josephford.net/3D par Antoine Mairot

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Albinet, éditions FYP), la star du rayon pourrait être L’Histoire de Nintendo dont le troisième tome vient de paraître chez Omaké Books, maison d’édition de son auteur, Florent Gorges, qui y relate avec un luxe de détails ahurissant l’histoire de la console NES. Pendant ce temps, les kiosques font grise mine. Malgré l’érosion de ses ventes, seul Jeux Vidéo Magazine semble encore résister. “Notre rôle principal est de conseiller le consommateur en quête d’un divertissement qui lui conviendra, note Gianni Molinaro, chef de rubrique à JVM. Un jeu coûte entre 45 et 70 euros. Ce n’est pas rien. L’avis des spécialistes, ça compte. Il est bien entendu aussi question de connaître ceux qui font l’industrie, de suivre des titres durant leur développement, d’apprendre le jargon technique.” Et pour résister au web ? “La presse écrite bénéficie encore d’exclusivités de la part des éditeurs. Les premières infos et images d’un jeu apparaissent souvent dans un magazine papier. Ensuite, les sites et blogs doivent faire paraître news et tests au plus vite. La presse papier peut prendre son temps, faire preuve de recul, développer une information.” La tendance est aux dossiers, avec trente pages sur les jeux de course dans le JVM estival.

“l’information brute est disponible sur internet. Donc il faut proposer autre chose” Abdel Bounane, directeur de la rédaction d’Amusement aujourd’hui de remettre la culture jeu vidéo sur ses deux jambes : la viabilité économique et la passion.” Bien qu’encore très artisanale, la société Pix’n Love mène la danse après avoir lancé en 2007 la revue du même nom (dont le numéro d’été célèbre le jeu de flipper Macadam Bumper) sur le retrogaming (qui consiste à jouer et à collectionner des jeux vidéo anciens). A son actif : des sommes érudites (La Saga des jeux vidéo de Daniel Ichbiah, Des pixels à Hollywood d’Alexis Blanchet), des biographies (Gunpei Yokoi, Michel Ancel) ou des ludothèques raisonnées. Sans oublier une étonnante revue tout simplement baptisée Les Cahiers du jeu vidéo qui mobilise journalistes, universitaires, amateurs éclairés et professionnels et dont chaque livraison se penche sur un thème différent. “L’édition se partage pour l’instant entre une approche historique, amateur et nostalgique et une tentation plus universitaire, analytique et pluridisciplinaire, plus marginale, reprend William Audureau. Mais les passerelles sont nombreuses. Je crois que la littérature sur le jeu vidéo est encore trop jeune et peu étoffée pour offrir de vrais débats d’école. Il n’y a même pas de rayon dédié à la Fnac. Pour l’instant, l’édition comble un manque, en offrant au jeu vidéo une mémoire écrite, quelque chose à partager, à raconter.” A côté de guides pratiques pour apprentis game designers façon Concevoir un jeu vidéo (Marc

Deux publications renouvellent cependant le genre en rompant avec le guide d’achat. “J’ai créé Amusement en observant qu’il y avait une très grande variété de magazines de qualité sur la mode, le design, l’art contemporain, se souvient Abdel Bounane, son directeur de la rédaction. Ces magazines produisent des contenus créatifs (en photo, illustration, graphisme), mais aucun magazine dédié aux loisirs numériques n’a jamais eu le même type d’ambition. L’information brute est disponible sur internet. Donc il faut proposer autre chose. Nous produisons des séries photo ou de longues interviews.” Prochaine étape du follement élégant Amusement : l’ouverture à d’autres domaines. “On va s’intéresser de plus en plus aux thèmes liés à la culture interactive, et plus uniquement au jeu, avec plus de création numérique. Evoluer d’une passion vers des sujets plus larges, c’est le propre de tout magazine lifestyle.” Né en 2009, IG flirte plutôt avec la revue, multipliant les angles au fil de ses 268 pages. “Dès le début, l’idée était de proposer une alternative aux previews et tests des sites et magazines existants, précise Bounthavy Suvilay, sa rédactrice en chef. Nous mettons l’accent sur différents aspects car le média mérite mieux qu’une simple note à la fin d’une critique subjective faite par un journaliste blasé et seulement pressé de recevoir le nouveau titre gratuit de l’éditeur…” Ça marche : le magazine publié par Ankama (à qui l’on doit les jeux Dofus et Wakfu) a atteint l’équilibre financier. Ce qui a de quoi réjouir pour un bimestriel capable de faire voisiner des ensembles sur l’art contemporain et sur les chats dans le jeu vidéo. “Ce qui me satisfait ? Le fait que, lorsque je leur demande un dossier sur les interfaces utilisateurs ou la barre de vie, un article sur les jeux utilisant le noir et blanc ou des interviews de petits développeurs iPhone, les pigistes ne me regardent plus bizarrement”, ajoute Bounthavy Suvilay. En plus de son numéro 15 (en kiosque le 22 juillet), IG propose un hors-série en forme de collection d’anecdotes. Qui aura sa place, entre Philosophie des jeux vidéo et L’Histoire de Mario, dans le sac de plage du gamer lettré.

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GTA : plongée dans “une ville où l’on peut tout faire sauf ce qu’on y ferait vraiment”

“c’est le plaisir du jeu qui m’intéresse” Entretien avec Mathieu Triclot, auteur de Philosophie des jeux vidéo.

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’ouvrant sur un échange de haute volée entre Socrate et Mario, Philosophie des jeux vidéo1 renouvelle l’approche du médium en s’interrogeant sur l’expérience du joueur. Que connaît de près Mathieu Triclot, maître de conférences en philosophie des sciences à l’université de technologie de Belfort-Montbéliard. Qu’est-ce qui vous a amené à écrire cette Philosophie des jeux vidéo ? Mathieu Triclot – Cela correspond à un moment où j’ai arrêté de beaucoup jouer, par équipe, en compétition. A la même époque, je me retrouve enseignantchercheur avec des élèves ingénieurs et je me demande quel cours leur faire. J’avais travaillé sur le cinéma, alors pourquoi pas les jeux vidéo ? Je lis alors ce qui s’est écrit, les game studies anglo-saxonnes et je suis très déçu. Je n’y retrouve rien de ce qui m’a intéressé, des états vidéoludiques. Vous renvoyez dos à dos les deux grandes écoles des game studies. Ma vraie déception ne vient pas des narratologues, même si je trouve légitime d’étudier les formes du récit. De la ludologie, on pourrait attendre quelque chose de plus proche des actes de jeu mais elle s’intéresse aux règles, aux systèmes formels. Je vois ce mouvement comme une tentative de fabriquer un bon objet. Les jeux vidéo, c’est indigne socialement, donc on surjoue le théorique pour prendre le maximum de distance. C’est l’inverse qui m’intéresse : le plaisir du jeu. Se compromettre jusqu’au bout.

On compare beaucoup le jeu vidéo au cinéma mais votre livre donne le sentiment qu’il a plus à voir avec les jeux classiques. Il y a des deux dans les jeux vidéo. Du côté du jeu, c’est évident si on pense aux catégories de Roger Caillois (Les Jeux et les Hommes) : compétition, vertige, simulation... Il y a une continuité et, pourtant, ils inventent un régime spécifique. Ce qui m’intéresse, c’est de repérer le point où ça diverge. J’ai travaillé sur les traductions de jeux en film en me demandant ce qu’il pouvait rester des expériences ludiques. Je pense au formidable Silent Hill de Christophe Gans qui reprend la lecture de la carte, la recherche dans l’inventaire, et cela donne des moments assez saugrenus. Sur le fond, il y a chez Christian Metz, dans Le Signifiant imaginaire, des descriptions fabuleuses de l’état filmique. Le film vient se projeter sur le spectateur à demi assoupi. Le jeu vidéo produit de l’hallucination et de l’immersion mais pas par un état de relâchement. C’est parce qu’on est affairé, dans un état de tension maximale. Pourquoi avoir donné une orientation politique aux derniers chapitres ? Le jeu vidéo n’est pas isolé du reste des expériences sociales. Le travail informatisé n’est pas très différent. On manipule des paramètres qu’on essaie d’optimiser. Sauf que dans les jeux, on s’éclate. Au point que certains managers disent : pourquoi n’arriverait-on pas à reproduire cet engagement au travail ? Il y a une parenté dans les formes d’expérience. Cela fait partie de la valeur culturelle des jeux.

La littérature et le cinéma peuvent dépeindre cette transformation du monde de l’extérieur alors que c’est la matière même du jeu vidéo. Ce qui peut paraître paradoxal, c’est que ce livre écrit par un joueur offre une vision peu favorable de jeux comme les Sims ou World of Warcraft. Je suis plutôt bienveillant vis-à-vis du médium mais je ne suis pas dans sa défense. Les jeux vidéo sont intéressants parce qu’ils sont à cheval entre quelque chose qui peut être profondément et politiquement émancipateur, une réflexion sur les dispositifs de pouvoir informatique, mais aussi tout à fait catastrophique dans leur reconduction sans réflexion. Que pensez-vous de GTA ? Si on réfléchit à l’histoire des plaisirs ludiques, un genre a mystérieusement disparu : le simulateur de vol. On prenait l’avion, on avait le temps de regarder en bas et on voulait passer sous le pont ou entre les gratte-ciel. GTA a repris ce plaisir de la promenade. C’est aussi une série qui colle aux limites du médium. Le jeu reproduit une ville où l’on peut tout faire sauf ce qu’on y ferait vraiment. C’est assez rare que les gens roulent sur des passants. En revanche, ils discutent, ce qu’on ne peut pas faire dans GTA pour une raison simple : l’ordinateur ne sait pas générer une conversation. Cette manière de remplacer la parole par le poing dans la figure est un coup de génie esthétique. recueilli par Erwan Higuinen 1. (Zones), 252 pages, 19 € 13.07.2011 les inrockuptibles 57

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1. le bar du Pulp : dans la journée, le lieu servait de thé dansant 2. flyer réalisé par Rebecca Bournigault 3. le logo du club 4. Justice aux platines

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5. le Pulp accueillait souvent des performeurs. Ici, BuBu de la Madeleine, de Kyoto (à gauche) 6. l’écrivain queer Guillaume Dustan (accroupi)

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Pulp fictions Entrée gratuite, pas de carré VIP, musique qui défonce : dans un esprit crade et énervé qui venait rompre avec les années French Touch, le Pulp a rythmé dix ans de nuit à Paris. Et accompagné l’affirmation d’une nouvelle identité lesbienne. par Géraldine Sarratia

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’est l’été 1997. Abus de bières mexicaines, éclair de génie ou inconscience passagère, Jacques Chirac a dissous l’Assemblée nationale. Lionel Jospin prend ses fonctions de Premier ministre. A Paris, c’est la canicule. Les touristes, mouchoir sur la tête, s’allongent sur les bancs à la recherche d’un coin d’ombre. Dans sa maison du XIXe arrondissement de Paris, Michelle Cassaro prépare le défilé de l’Europride. Le téléphone sonne : il faut absolument qu’elle trouve le nom de son nouveau club pour que soit validée sa demande de char. Michelle vient de reprendre l’Entracte, un petit club lesbien sur le déclin, boulevard Poissonnière. Elle monte les escaliers et frappe à la porte de DJ SexToy, une des colocataires de la maison qu’occupe aussi Rachid Taha. “Un nom, me faut un nom.” – “Pulp”, lui répond SexToy avant de se rendormir. Michelle redescend et reprend le combiné : ce sera le Pulp. La référence – aux magazines populaires de superhéros, polar ou SF imprimés sur un papier de mauvaise qualité dans les années 1950 et au film de Tarantino (Pulp Fiction, 1994) – est parfaite : pendant dix ans, c’est bien une fiction d’un nouveau genre, populaire, puissante, dark et subversive, menée à un rythme d’enfer, que va projeter le club des Grands Boulevards sur la nuit parisienne. Comme dans le film de Tarantino, plusieurs récits s’entrecroisent : la montée des droits homosexuels (le pacs sera voté en 1999), l’affirmation d’une nouvelle identité lesbienne, la démocratisation de la nuit et le retour d’un esprit

“rock” dans la dance music (que l’on appellera l’electroclash), la fin des années French Touch. A l’époque, Paris ne jure que par la house : Dimitri From Paris, Cassius ou le duo Daft Punk, qui sort Homework en 1997. On clubbe aux Bains (chez les Guetta), aux soirées Scream, ou encore aux Respect qu’organisent David Blot, Jérôme Vigier-Kohler et Fred Agostini au Queen. Les filles y sont belles, les garçons jolis et tout le monde rêve de grandes piscines à Miami. Punk, crade, énervé, l’univers du Pulp va venir éclabousser ces rêves disco proprets. Le club, qui pendant la journée sert de thé dansant à des octogénaires, est totalement défraîchi : une centaine de mètres carrés, des fauteuils en skaï bordeaux un peu lacérés, une piste de danse au plancher fatigué. Deux mètres de hauteur sous plafond à tout casser, des chiottes peu fréquentables. “On éteignait les lumières pour que les gens ne puissent pas voir les murs. Il y avait du papier peint qui partait en lambeau”, se souvient Sophie, qui gérait le club avec Michelle. Au début, l’endroit, ouvert six jours sur sept, est peu fréquenté. Derrière le bar et dans la salle, uniquement des filles. “Il y avait des tabourets devant le bar, Delphine (alias SexToy – ndlr) passait des disques et nous on jouait aux cartes. C’était plus un salon qu’une boîte. Il n’y avait pas un rat”, se souvient Fany Corral, programmatrice musicale du club pendant de longues années et fondatrice du label Kill The DJ avec Chloé et Ivan Smagghe, deux des DJ stars du Pulp. “Très vite, on a eu envie de s’ouvrir, se souvient Michelle, qui tient aujourd’hui le Rosa Bonheur, dans le parc des ButtesChaumont (Paris XIXe). Que mes potes garçons ne restent 13.07.2011 les inrockuptibles 59

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de ringarde et invisible, la lesbienne devient tatouée, sexuelle, subversive pas dehors. L’ouverture, ça a toujours été une idée importante. C’est comme ça que tu fais bouger les choses.” Petit à petit, un noyau d’habitués se constitue. Michelle, Sophie et SexToy y fêtent leurs anniversaires déguisées en carotte, en tomate, en new wave, dans le club redécoré de pied en cap. “Un soir, j’étais à Nova avec Laurent Garnier, se souvient Fany. On avait fini à une heure du matin, je lui dis : ‘Viens, je vais boire un pot dans une boîte, c’est l’anniv d’une copine.’ Il m’accompagne et voit Rachid Taha en train de faire un live. Garnier me regarde et me dit : ‘C’est quoi ce bordel ?’ Des gouines, des Rebeus, des pédés, des trans… Il a adoré. Il est venu mixer quelques mois après. Ce bordel, c’est ce qui séduisait.” Housewife, le fanzine du Pulp créé par Dana Wyse et Axelle Le Dauphin, se charge de colporter l’esprit du lieu. Hardcore, irrévérent, plein d’humour, Housewife est composé de collages, de textes autofictionnels, de détournements d’images publicitaires. Il devient la publication la plus underground et branchée de Paris. “Nous voulions montrer ce que cela signifiait d’être une femme dans notre genre. On buvait. On prenait de la coke. On riait aussi et on disait la vérité”, explique Dana Wyse. De ringarde, invisible et gazon maudit, la lesbienne devient tatouée, sexuelle, subversive. Médiatiquement cent fois plus excitante que les homos mecs, désormais un peu plus acceptés socialement. Immortalisée par des portraits dans la presse branchée et le roman Superstars d’Ann Scott, SexToy devient une icône. “Elle était le Pulp. Du cul aux tatouages, cœur énorme à fleur de peau, la fragilité qui fait qu’une attitude n’en est pas une”, résume Smagghe. Jeudi, c’est electro. Deux ans après ses débuts, le club décolle ce soir-là de la semaine. La nuit voit débarquer les organisateurs de soirées. Naissent alors les Soirées# de Guido & Desprez, les No Dancing Please de Fany Corral, qui rameute tous les DJ de Nova, ou encore les Paradise Massage de Delphine Queme et Serge Nicolas qui, en janvier 2000, invitent le DJ et producteur Arnaud Rebotini. “Pour la première fois, il y avait la queue sur le boulevard”, se souvient Sophie. Le scénario va désormais se répéter toutes les semaines. C’est la Kill The DJ ou La Naked des Scratch Massive. On se bouscule pour venir écouter Chloé, Jennifer Cardini, Ivan Smagghe ou leurs invités en provenance de Londres ou de Berlin. Désormais, tout branché fan d’electro qui se respecte “pulpe” le jeudi et va en découdre sur le mini dancefloor surchauffé. Les mercredis deviennent plus rock, les vendredis, majoritairement “filles”, sont plus expérimentaux. Chloé, Rebecca Bournigault (qui réalise tous les flyers du Pulp à l’aquarelle) y invitent artistes et musiciens. Les samedis, animés par DJ Ivan, sont 100 % filles. A la porte, Christine, qui anime les soirées rock Dans mon garage, a du mal à contenter tout le monde. Comment faire rentrer 1 500 personnes dans un club prévu pour 300 ? Au Pulp, on ne croise pas, ou peu, de stars. Quand c’est le cas, elles sont là incognito. Emmanuelle Béart qui danse, une bière à la main,

seule au monde. Catherine Deneuve et Björk qui débarquent lors de la sortie de Dancer in the Dark. “C’était l’émeute, toutes les meufs voulaient les toucher”, se souvient Sophie. Despentes et Rocco Siffredi, Roman Polanski, Monica Bellucci, Frédéric Taddeï, Delarue, un Romain Duris débutant scotché au comptoir, et la branchitude parisienne décadente de l’époque : Eudeline, Tintin le tatoueur… Le Pulp est aussi arty : Nan Goldin y immortalise Axelle Le Dauphin et Joana Preiss sur la banquette des habituées, à droite du bar ; le galeriste Emmanuel Perrotin et Caroline Bourgeois sont souvent de passage. Pour les recevoir, pas d’espace VIP, pas de voiturier ou de tapis rouge. Barbara Bui repart, dépitée. “Avec Michelle, on a voulu ça dès le départ, raconte Sophie. Ça, et l’entrée gratuite. On voulait que tout le monde puisse entrer.” Au Pulp, pas de sélection au faciès ou au look comme au Privilège et au Palace. Seule règle, précisée sur les flyers : “Le Pulp est une boîte de filles où les garçons aiment bien venir aussi.” Les filles sont toujours prioritaires. Les garçons n’entrent que s’ils sont accompagnés. Ils y entreront pour beaucoup maquillés, juchés sur des talons et accompagnés de filles à moustaches à partir de 2004. Androgyny, Mort aux jeunes, Jacqueline Coiffure : la vague queer naissante déboule sur les Grands Boulevards. Les identités sont mouvantes, les envies de jeux palpables. C’est l’époque de MySpace, des DJ selector, d’une nouvelle explosion de do it yourself, avec ce qu’elle peut avoir d’approximation, de naïveté. On mixe Alizée avec un track d’electro minimale. On fait la fête en lisant les slogans dadaïstes irrévérencieux ou juste couillons affichés aux murs. Printemps 2007. Sarkozy est élu. Les murs du Pulp sont rachetés par la mairie de Paris. Elle veut transformer le lieu en HLM et en parking. Fin mai, le club ferme ses portes en invitant tous ceux qui l’ont façonné. Quatre ans plus tard, le Pulp est déjà un mythe. La jeune génération de clubbeurs en parle avec des étoiles dans les yeux, les trentenaires et les quadras s’en souviennent avec regret. Pour la musique, les litres de transpiration, les sets de folie de Smagghe, Chloé et consorts, les vodkas qui cisaillent la tête en deux le lendemain, les conversations surréalistes avec Kouët, le monsieur pipi, la machine à CB en panne, les loges dans le local à poubelles. Pour l’accueil que réservaient Michelle et Sophie. Pour ce frisson qui vous prenait le jeudi matin. A mille lieues de la nuit bourgeoise, de l’entre-soi du VIIIe arrondissement qui s’affirmera dans les années suivantes, le Pulp aura été un laboratoire sexuel, musical et social. Un lieu dirigé par des femmes dans lequel les garçons ne mouftaient pas. “C’était un espace d’éducation hétérosexuelle, conclut en riant Fany Corral, et d’ajouter : Je me souviens avoir expliqué à un mec qu’on avait sorti : ‘Ecoute mon garçon, le monde t’appartient. Nous, on a cent mètres carrés. Donc ici, si on te dit non, c’est non.’” Une très belle utopie. la semaine prochaine le Sept, à Paris

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1, 3 et 6. trois flyers 2. le fanzine Housewife, vite culte, a fait la réputation du club

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4 et 5. soirées Mort aux jeunes 7. l’artiste Dana Wyse et DJ SexToy, disparue en 2002 13.07.2011 les inrockuptibles 61

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le livre dort Un phénomène étrange frappe le monde de l’édition : depuis février, les ventes de livres ont brutalement chuté. A la veille de la rentrée littéraire et ses 654 romans, comment se sentent les éditeurs ? par Elisabeth Philippe

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u jamais vu depuis la guerre du Golfe. Le constat revient en boucle dans la bouche d’éditeurs ou de libraires. En 1991, alors que les images des missiles dans le ciel de Bagdad scotchent les téléspectateurs devant leur écran, les librairies sont désertées. Olivier Cohen, qui a fondé les Editions de l’Olivier au beau milieu de cette crise il y a vingt ans, en garde un souvenir très vif : “Nous étions catastrophés. Les livres que nous lancions ne se vendaient pas.” 1991 reste une annus horribilis pour l’édition française. Mais 2011 pourrait être pire. Malgré un début d’année encourageant, les ventes de livres ont brutalement chuté à partir du mois de février. Depuis, la baisse se confirme. Premières victimes, les librairies dont la fréquentation s’est effondrée. S’appuyant sur le rapport du cabinet d’expertise Xerfi publié lors des Rencontres nationales de la librairie en mai, la déléguée générale du Syndicat national de l’édition (SNE), Christine de Mazières, souligne que, si cette

tendance se poursuit, “dans cinq ans, sur les 2 500 librairies indépendantes actuellement existantes, 1 000 auront disparu”. Même si les éditeurs disposent d’autres sources de revenus que les ventes en librairie (droits dérivés, ventes à l’étranger…), ils restent très dépendants de cette activité. “On ne comprend pas ce qui se passe, poursuit Olivier Cohen. Et à la différence de 1991, le ralentissement semble durable.” Une situation d’autant plus alarmante que personne, ou presque, ne semblait l’avoir vue venir. Jusqu’à présent, le marché du livre résistait plutôt bien à la crise économique. Après une bonne année 2009, il s’était stabilisé en 2010, avec un chiffre d’affaires de 2,8 milliards d’euros. Mais des succès spectaculaires comme celui d’Indignez-vous ! de Stéphane Hessel, avec plus de 2 millions d’exemplaires vendus ou, dans un autre genre, celui, hyperprotéiné, des livres de régime du Dr Dukan, ont pu faire croire à une embellie. Pour le secteur du livre, la baisse du pouvoir d’achat aurait donc agi comme une bombe

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Olivier Roller

Olivier Cohen, des Editions de l’Olivier, a réduit de 20 % son programme de la rentrée littéraire pour éviter “un gâchis épouvantable”

“même les livres qui traitent des sujets d’actualité ne trouvent pas leur public”

Olivier Dion

Olivier Nora, pdg de Grasset et Fayard

à retardement qui explose maintenant. “Il faut d’abord payer le loyer, la bouffe, l’essence. Le livre n’est pas une priorité”, estime Olivier Michel, de la librairie L’Humeur vagabonde dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Les clients font plus attention à ce qu’ils dépensent et auraient tendance à se rabattre sur les éditions de poche, plus accessibles que les nouveautés. S’ajoute à cette morosité ambiante une actualité exceptionnelle : les révolutions arabes, Fukushima, la mort de Ben Laden, l’affaire DSK… Les éditeurs s’accordent à dire que cette avalanche d’événements spectaculaires a joué en leur défaveur au profit de la presse. “Face à ce déferlement, les gens sont avides d’actualité chaude, analyse Olivier Nora, pdg des éditions Grasset et Fayard. Même les livres qui traitent des sujets d’actualité ne trouvent pas leur public. Le sentiment d’accélération de l’histoire est tel que le livre paraît obsolète.” Les libraires pointent aussi la concurrence des sites internet comme Amazon, de plus en plus importante. Ils peinent à rivaliser avec le catalogue et le fonds considérable de ces plates-formes qui grappillent de plus en plus de parts de marché et représentent aujourd’hui 8 % des ventes de livres en France. “Amazon donne le sentiment que tout est disponible partout, tout le temps, souligne JeanMarie Sevestre, directeur de la librairie Sauramps à Montpellier et viceprésident du Syndicat de la librairie française. Même les urbains qui vivent à proximité de nombreuses librairies

commandent sur internet pour gagner du temps.” Certains acteurs du secteur, sans doute désespérés, mettent leur mauvaise fortune sur le compte de la chaleur et du beau temps, notamment dans le Sud. Les Français auraient fui les centres-ville pour aller se faire dorer sur les plages. Sans même ressentir le besoin d’acheter un bon gros pavé pour bloquer la serviette. Soleil ou pas, la situation n’est pas au beau fixe. Dans ce contexte, les éditeurs se montrent solidaires des libraires. Le SNE, présidé par Antoine Gallimard, a annoncé le lancement d’une grande campagne de presse en faveur de la librairie durant l’été. Surtout, les éditeurs font preuve de prudence et réduisent leur production. Résultat, la rentrée littéraire s’annonce plus resserrée, avec 654 romans contre 701 l’an passé. Olivier Cohen explique ainsi avoir réduit son programme de 20 % pour éviter “un gâchis épouvantable”. Certaines petites maisons comme Viviane Hamy, pourtant forte du succès tonitruant de L’Armée furieuse de Fred Vargas, ont carrément décidé de ne rien publier. Dès son arrivée à la tête des éditions Fayard il y a deux ans et demi, Olivier Nora a lui aussi pratiqué une réduction drastique à la rentrée, en passant d’une vingtaine de livres à huit. “Pour beaucoup d’auteurs, la rentrée littéraire d’août-septembre s’apparente encore à la montée des marches du Festival de Cannes. Mais plus il y a de livres, plus on risque de se prendre les pieds dans

le tapis. Je suis soucieux de ne pas les envoyer à la boucherie.” Beaucoup se replient sur des valeurs sûres comme Amélie Nothomb ou sur des romans étrangers qui ont déjà fait leurs preuves, tel Freedom de Jonathan Franzen. Même si la rentrée littéraire représente une part des ventes moins importante que la période estivale (quelques éditeurs militent d’ailleurs pour une rentrée littéraire en juin) ou les fêtes de fin d’année, elle donne un coup de projecteur unique sur le livre. “On parie sur la rentrée littéraire car c’est une mise en scène, un événement un peu artificiel qui suscite une attente et une excitation chez les lecteurs, avec les prix littéraires dans la foulée”, décrypte Olivier Cohen. Les éditeurs savent qu’ils risquent gros, et plus encore les petites maisons d’édition qui doivent frapper fort pour ne pas se noyer sous le flot de parutions. Alexandre Civico des éditions Inculte en est conscient : “L’enjeu est important, on est pris dans l’engrenage. On a décidé de mettre le paquet sur Les Instructions d’Adam Levin, le livre qui a le plus fort potentiel. On fait venir l’auteur, on organise un événement autour de la sortie. Nous ne l’aurions peut-être pas fait dans un autre contexte.” Dans les grosses structures, le discours est plus optimiste. Teresa Cremisi, pdg de Flammarion qui a réalisé une belle année 2010, notamment grâce au Goncourt de Michel Houellebecq et à d’autres succès (livres illustrés, jeunesse…), refuse de verser dans le “catastrophisme habituel” : “Le secteur reste stable

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“l’édition a été confrontée à des mutations continuelles mais a toujours su s’adapter” Teresa Cremisi, pdg de Flammarion

dans son ensemble. En trente ans, l’édition a été confrontée à des mutations continuelles mais a toujours su s’adapter. C’est un métier qui fonctionne par ajustements successifs.” Un point de vue partagé par Françoise Nyssen des éditions Actes Sud : “C’est un métier intranquille, on se remet sans cesse en cause mais il faut s’accrocher au contenu et à l’éthique.” Ou par Leonello Brandolini, pdg de Robert Laffont : “Le métier d’éditeur consiste à gérer l’aléatoire. Et même si ce début d’année est difficile, le second semestre se révèle toujours plus favorable.” Les plaintes de certains éditeurs et des libraires ne seraient-elles que des cris d’orfraie, symptômes de ce que Manuel Carcassonne, directeur général adjoint de Grasset, appelle “la crisologie des éditeurs” ? Mais lui-même s’inquiète de la situation, en particulier de la concentration des ventes sur les best-sellers comme les romans de Marc Levy ou Guillaume Musso : “Ils absorbent 80 % des ventes et ne laissent plus de visibilité aux ‘écrivains du milieu’. A l’autre bout de la chaîne, on observe une augmentation des petites ventes, sous les 5 ou 6 000 exemplaires. C’est l’effet sablier.” Plus que la mauvaise conjoncture actuelle, c’est une tendance de fond qui inquiète certains acteurs du secteur. Le nombre de grands lecteurs (qui déclarent lire vingt livres et plus par an) est passé de 28 % en 1973 à 16 % en 2008. Surtout, la valeur sociale du livre semble avoir décliné, comme l’analyse Olivier Rubinstein qui vient de quitter

les éditions Denoël pour diriger l’Institut français de Tel-Aviv : “Ce qui se dit sur le nivellement par le bas, sur la disparition du livre en tant que symbole social, me semble de plus en plus prégnant. J’ai lu récemment un entretien du patron de Lacoste. A la question sur son livre de chevet, il a répondu ‘Jamais de livres’. Il y a dix ans, le même patron aurait dit ‘ Je relis Proust’, même s’il ne l’a jamais lu. Aujourd’hui, on peut afficher sans complexe qu’on se fiche des livres. Avant, même un politique devait parler de livres – on a vu ce que ça a donné avec Frédéric Lefebvre et son Zadig et Voltaire. Et puis, il y a l’importance des réseaux sociaux. Aujourd’hui les jeunes vont sur Facebook, communiquent toute la journée. La lecture est une activité solitaire, minoritaire qui plus est.” Le livre numérique peut-il changer les c hoses ? “Si les gens n’ont pas envie de lire sur papier, ils n’auront pas plus envie de lire sur écran”, répond Olivier Rubinstein. Toujours est-il que le marché du livre numérique, quasiment inexistant en France pour l’instant, représente un défi majeur pour l’édition. “Les éditeurs français vont devoir opérer leur conversion au numérique en pratiquant une politique de prix en phase avec ce que les lecteurs sont prêts à payer sur internet, en proposant une offre suffisamment abondante et attractive ou encore en convainquant leurs auteurs que ce n’est pas un piège”, juge l’économiste Françoise Benhamou, spécialiste de l’économie de la culture. Pour elle, il n’y a pas de crise mais beaucoup d’incertitudes. 13.07.2011 les inrockuptibles 65

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dans les pas de Jan Karski

A Avignon, Arthur Nauzyciel adapte le roman de Yannick Haenel consacré à Jan Karski. Nous l’avons accompagné à Varsovie et à Auschwitz, où le metteur en scène d’origine polonaise et son équipe se confrontaient aux traces de la Shoah. par Patrick Sourd

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Frédéric Nauzyciel

Le comédien Laurent Poitrenaux dans le décor de l’opéra de Varsovie. Il interprète le résistant polonais Jan Karski. En 1942, celui-ci avait alerté les alliés de l’extermination des Juifs de Pologne dans le ghetto de Varsovie et dans les camps. En vain 13.07.2011 les inrockuptibles 67

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Szymon Roginski

Le chorégraphe Damien Jalet et le comédien Laurent Poitrenaux devant un des ex-voto apparus dans les immeubles du ghetto à partir de 1943

Les limites de l’enceinte murée du ghetto, sur les trottoirs de Varsovie

E

n plein centre de Varsovie, la tour du Novotel Centrum où nous logeons compte une vingtaine d’étages. Elle offre une vue imprenable sur l’ancien emplacement du ghetto où la population juive vécut le martyre de 1940 à 1943. Un quartier d’affaires moderne l’a remplacé. L’hôtel fait face au palais de la Culture et de la Science offert par Joseph Staline au peuple polonais. L’immense bâtisse de pierre, construite dans la grande tradition de l’architecture “pâtissière” soviétique, domine de ses 231 mètres un plan d’urbanisme datant des années 50 et démontrant le peu de souci du régime communiste de l’époque pour la préservation des traces du passé. Nous avons rendez-vous au restaurant du Théâtre TR de Varsovie, lieu emblématique de la jeune garde du théâtre contemporain polonais dirigé par le metteur en scène Grzegorz Jarzyna (en 2002, au Festival d’Avignon, il présenta sa pièce Festen d’après le film de Thomas Vinterberg). Nous croisons Krzysztof Warlikowski, un habitué des scènes françaises, avant de retrouver Arthur Nauzyciel et sa troupe – le comédien Laurent Poitrenaux, la danseuse Alexandra Gilbert, le danseur et chorégraphe Damien Jalet et l’artiste vidéaste polonais Miroslaw Balka.

“Au début, je voulais venir répéter seul à Varsovie, raconte Arthur Nauzyciel. J’avais besoin d’un temps de repli et d’une salle de répétition pour me confronter au texte de Yannick Haenel et commencer à l’apprendre. En France, je n’y arrivais pas. Répéter au Théâtre TR et m’entendre prononcer les mots de Jan Karski ont d’un coup concrétisé le projet. Etant sur les lieux dont parle Karski, je pouvais enfin prendre le relais de son témoignage pour dire ce qui était arrivé ici.” C’est le troisième séjour d’Arthur Nauzyciel à Varsovie pour préparer son spectacle : un temps d’approche et d’immersion nécessaire pour comprendre l’histoire de Jan Karski et celle des Juifs de Pologne. “Il y a une très grande différence entre dire à quelqu’un qu’il n’y a plus rien à voir du ghetto de Varsovie et le fait qu’il s’en rende compte par lui-même. C’est ainsi que s’est imposée l’idée de faire venir l’équipe. Pour des raisons personnelles et familiales, j’ai une certaine conscience de la Shoah, mais je ne voulais pas que ce soit LA vérité unique à transmettre à mes camarades. Etre confrontés à la réalité de l’absence des traces de la Shoah est un point de départ que nous devions avoir en commun. Après, à l’intérieur du spectacle, chacun fera son chemin personnel, trouvera sa propre autonomie, son propre regard.” En allant en Islande pour créer Le Musée de la mer de Marie Darrieussecq,

en montant Jules César de Shakespeare l’année des élections présidentielles aux Etats-Unis (en 2008 à Boston) ou en créant Combat de nègre et de chiens de Bernard-Marie Koltès à Atlanta, ville à 80 % noire, Arthur Nauzyciel a toujours suivi le même protocole pour chercher l’adéquation entre un lieu et un projet théâtral. A Varsovie, il applique cette méthode comme un révélateur pour le théâtre. “Je n’agis pas ainsi parce que c’est Jan Karski. J’ai travaillé de la même manière pour mes autres mises en scène : je commence toujours par inscrire un projet sur un territoire.” Le lendemain matin, sur le parvis du palais de la Culture et de la Science, nous retrouvons notre guide, Elzbieta, pour un long parcours dans la ville à la recherche des vestiges du ghetto. Une première plaque de bronze scellée sur l’une des façades du bâtiment et un clou signalant l’endroit où nous sommes sur le plan nous permet de constater que le palais stalinien est construit à la limite sud de l’enceinte qui emmurait la population juive de Varsovie. A quelques mètres de là, de longues plaques de bronze incrustées dans les trottoirs marquent l’emplacement des murs qui bouchaient les rues menant au ghetto. C’est en suivant la ligne discontinue de ce marquage au sol que nous prenons conscience de l’étendue du ghetto (à l’époque, il couvrait près d’un tiers

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Arthur Nauzyciel devant une plaque reproduisant l’emplacement du ghetto

de la ville). Notre guide nous entraîne de rue en rue et nous montre les bâtiments qui ont résisté au temps. La plupart d’entre eux sont répertoriés aux monuments historiques mais faute de moyens pour les entretenir, ils sont à l’abandon, comme si l’on attendait qu’ils s’écroulent pour récupérer du terrain à bâtir. Dans de nombreuses cours intérieures d’immeubles encore habités, on retrouve souvent de petites chapelles dédiées à la Sainte Trinité polonaise : le Christ, la Sainte Vierge et le pape. Apparus juste après l’extermination des Juifs du ghetto en 1943, ces ex-voto se sont multipliés : acte de contrition en souvenir de la souffrance des Juifs morts en ces lieux ou prière au bon Dieu pour préserver de tout désagrément les nouveaux habitants qui les occupent depuis ? La question demeure sans réponse. Reste que c’est en 1947, longtemps après la fin de la guerre, que le dernier pogrom a été perpétué en Pologne. Et faut-il rappeler que de nombreux survivants furent définitivement convaincus de quitter

la Pologne en 1968 après une dernière campagne xénophobe. Au final, le recensement de 2005 ne dénombre pas plus d’un millier de Juifs en Pologne… Mais l’on devait alors choisir entre cocher la case “Polonais” ou la case “Juif” car le formulaire ne permettait pas d’être les deux à la fois. D’origine polonaise, la famille d’Arthur Nauzyciel a émigré vers la France dès les années 20. “Déchus de leur nationalité française en tant que Juifs étrangers dès 1941 pour l’un et en 1942 pour l’autre, mes grands-pères maternel et paternel, partis par les premiers convois depuis les camps de Pithiviers et Drancy, ont été déportés à Auschwitz avec mon oncle Charles et d’autres membres de la famille. Ils ont passé trois ans à Auschwitz et font partie des 3 % de Juifs de France à avoir survécu : un miracle. A Varsovie, quand j’ai commencé à lire le texte que je devais interpréter sur scène, je me suis retrouvé dans un état indescriptible, comme si le fait que je reprenne à mon compte les paroles de Jan Karski correspondait à une impensable réparation au regard

“les cendres se sont déposées sur les feuilles, ont glissé avec la pluie, ont servi d’engrais”

du destin de ma famille. Aboutir à ce spectacle représente pour moi un long chemin dans mon rapport à la Shoah, cette histoire intime qui m’habite et me hante depuis toujours. Aujourd’hui je peux la partager avec d’autres et ça fait une sacrée différence. Il ne s’agit plus de ce moteur secret, de cette colère souterraine et de cette douleur cachée qui existent derrière chacun de mes spectacles. Paradoxalement, aborder la Shoah de front est une façon de la mettre à distance. Même si cela reste très personnel, je la vis d’une tout autre manière, et comme le fait dire Haenel à Karski en paraphrasant Kafka, ce dont on parle, c’est l’histoire mondiale de nos âmes.” C’est en avion que nous faisons le voyage de Varsovie à Cracovie avant de prendre une voiture pour nous rendre à Auschwitz. A l’entrée du camp, en passant sous la pancarte marquée de la sinistre sentence “Arbeit Macht Frei” (“Le travail rend libre”), Arthur Nauzyciel me fait observer la lettre “B” :  les déportés qui ont réalisé la ferronnerie avaient volontairement inversé le gros ventre en le plaçant en haut. Une alerte à l’adresse des nouveaux arrivants pour les informer du mensonge obscène inscrit au-dessus de leurs têtes. Parmi la foule des visiteurs de toutes nationalités et des groupes d’adolescents polonais, Teresa, notre guide, nous entraîne dans la visite des blocks de brique rouge transformés en musée. 13.07.2011 les inrockuptibles 69

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Frédéric Nauzyciel

Répétition de Jan Karski (Mon nom est une fiction)

“ce dont on parle, c’est l’histoire mondiale de nos âmes” Dans l’une des salles, une carte relie Auschwitz à toutes les villes d’Europe d’où parvenaient les convois des déportés. “On ne parle jamais assez du nombre de personnes qui ont participé à la réalisation du plan des nazis. Les Juifs de Salonique ont même dû payer un ticket pour faire le voyage, précise Arthur Nauzyciel. Les trains venaient de quatorze pays d’Europe et c’est avec les chemins de fer nationaux que les Juifs ont été acheminés jusqu’ici, dans des wagons à bestiaux. A cette époque, Auschwitz était le centre de l’Europe.” Un block est consacré aux effets personnels et aux cheveux coupés des déportés, considérés par les nazis comme une source de matière première. Dans une grande salle, d’immenses empilements de chaussures, une monstrueuse pelote de lunettes enchevêtrées, des collections de valises et une montagne de cheveux derrière des vitres… Les chaussures broyées devenaient des courroies pour les moteurs, les cheveux servaient à la réalisation des tissus ou à la fabrication du feutre. “Auschwitz 1 était un camp de concentration. On y mourait affamé, de froid ou du typhus. On y mourait battu à mort ou d’une balle dans la tête, d’une piqûre de phénol dans le cœur à l’infirmerie, pendu ou fusillé à la prison. Vingt fois par jour, le hasard faisait que l’on pouvait être assassiné ou vivre encore quelques heures.” Nous reprenons la voiture pour parcourir la distance qui sépare Auschwitz 1 du camp de Birkenau, appelé aussi Auschwitz 2. Cent soixantedouze hectares de terre marécageuse

morcelés en plusieurs unités fermées par une clôture de hauts poteaux en béton et des kilomètres de barbelés électrifiés. Les déportés étaient entassés à plus de quatre cents dans des baraques en bois, en fait des écuries préfabriquées prévues pour une cinquantaine de chevaux. Ici, la mort devenait une industrie dans un process terrifiant qui menait sans transition la plupart des déportés du quai où ils descendaient des trains jusqu’aux chambres à gaz et aux fours crématoires. Il ne reste presque plus rien à Birkenau, seule subsiste l’immensité hallucinante d’un paysage vide entièrement dédié à l’extermination des humains. “On ne peut pas passer des millions de personnes dans des fours pour les transformer en cendres et en fumée sans qu’il n’en subsiste rien. Tout ça s’est déposé sur les feuilles des arbres, a glissé avec la pluie, a servi d’engrais et se retrouve dans les légumes que l’on mange. En se déplaçant sur cette terre, on sait bien que l’on marche à chaque pas sur un cimetière. C’est encore dans l’air que l’on respire à Varsovie et pas seulement en Pologne, je le ressens aussi à Paris. Quand je suis ici, je me dis que les chances étaient infimes pour que je me retrouve un jour à raconter cette histoire.” Avec son roman, Yannick Haenel pose la question de la fin du témoignage de la Shoah par les vivants. Représentant d’une génération qui voit disparaître les derniers déportés, Arthur Nauzyciel utilise le roman pour s’interroger sur la manière d’être encore aujourd’hui un témoin. “Le livre me permet de me connecter à une réalité très difficile à appréhender. A travers le fait que l’on

savait depuis 1942 ce qui se passait en Pologne et qu’on a laissé faire, le roman rappelle une vérité qui est finalement assez peu connue. On n’a rien tenté pour éviter ce qui s’est passé à Auschwitz et dans le ghetto de Varsovie. Le message porté par Karski aurait dû sauver des vies, au lieu de ça, il est resté inscrit dans son corps dans l’attente d’un résultat. Là est le tragique du destin de Jan Karski : après avoir tout tenté pour convaincre les alliés et avoir publié aux Etats-Unis son autobiographie, Mon témoignage devant le monde, dès 1944, il s’est finalement retranché durant trente-cinq ans dans le silence parce qu’il n’avait pas réussi à se faire entendre.” Arthur Nauzyciel appréhende d’abord le texte de Yannick Haenel comme l’expression d’une urgence à continuer, par tous les moyens, à faire passer le message de Jan Karski. “Comme Claude Lanzmann l’a fait en interviewant Karski dans son film Shoah, comme Karski lui-même l’a fait en écrivant son autobiographie, et comme Yannick Haenel le fait en relatant ces deux étapes et en se plaçant sur le terrain d’une fiction littéraire pour créer une autre façon de témoigner. La décomposition du texte en trois temps liste les formes possibles du témoignage. Elle ouvre aussi le champ à la mise en place d’un dispositif théâtral et nous invite à en inventer d’autres, car il faut prolonger ce geste-là.” Ainsi, les fils de la mémoire et ceux du temps présent s’entremêlent. Depuis sa décision de monter ce roman au théâtre, Arthur Nauzyciel avait, sans savoir pourquoi, la certitude qu’il ferait des claquettes sur scène. “C’est à Varsovie, en me replongeant dans le cahier où mon oncle Charles a consigné le récit de ses trois ans passés à Auschwitz, que j’ai compris pourquoi j’avais eu cette intuition des claquettes. Charles était âgé de 15 ans quand il a été déporté et il avait la chance de porter une bonne paire de chaussures… Elles lui avaient sauvé plusieurs fois la vie alors qu’il était embrigadé dans les “Kartoffel Kommando”, où les déportés tiraient des “Trages” dans la boue et la neige, sortes de brouettes en bois sans roues remplies de pommes de terre, et où chuter signifiait le plus souvent mourir avec une balle dans la tête. Un jour, un kapo le priva de ses chaussures et Charles dut porter les claquettes en bois des déportés.” Cet acharnement à tant vouloir apprendre à faire des claquettes venait enfin de prendre sens. Jan Karski (Mon nom est une fiction) d’après le roman Jan Karski de Yannick Haenel, du 6 au 16 juillet (relâche le 10) www.festival-avignon.com

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Gérard Julien/AFP

Pierre Arditi en total look vintage dans L’Ecole des femmes : une certaine idée du théâtre à Avignon

festival d’inepties contre Avignon A quand un bon vieux Molière dans la cour d’Honneur ?, se lamentent les journalistes du Figaro et de Marianne. On rit ou on pleure ? par Fabienne Arvers



ourquoi tant de haine ? Le 4 juillet, à deux jours de l’ouverture de la 65e édition du Festival d'Avignon, Le Figaro titre “La liste noire du Festival d’Avignon”. Et la décline : la Comédie-Française, Molière, Fabrice Luchini, Pierre Arditi, Christian Schiaretti, Didier Bezace, Emmanuel Demarcy-Mota et Eric-Emmanuel Schmidt. Signé Nathalie Simon, l’article reprend les noms déjà défendus le 29 juin par Armelle Héliot, journaliste au Figaro, lors d’un “déjeuner off” auquel nous étions conviés avec d’autres journalistes par Frédéric Mitterrand, “pour parler du spectacle vivant en ces débuts de festivals”, mais dont rien ne devait filtrer. un chapelet de contrevérités On observe que Le Figaro parle d’une seule voix et met un point d’honneur à éreinter systématiquement la ligne artistique défendue depuis 2004 par les directeurs du Festival d’Avignon, Vincent Baudriller et Hortense Archambault, en jetant l’opprobre : “Qui connaît les artistes invités ? Les auteurs et metteurs en scène sont négligés au profit d’artistes étrangers dont on doit décrypter les notes d’intention pour comprendre les pièces.” On s’étonne que Le Figaro qui s’intéresse tant, comme le ministère de la Culture, au destin de l’Odéon–Théâtre de l’Europe, s’émeuve de leur présence. Outre les propos aux relents xénophobes concernant les artistes étrangers, cet article à charge débite un chapelet de contrevérités. Sur trente-deux artistes invités – metteurs en scène, chorégraphes, performeurs ou chanteurs, vingt-deux sont français. L’artiste associé Boris Charmatz, Patrice Chéreau, Arthur Nauzyciel, Pascal Rambert, Vincent

Macaigne, Etienne Daho, Rachid Ouramdane, Jeanne Moreau, Juliette Binoche et tant d’autres, apprécieront la qualification d’artistes “que personne ne connaît”. Le “meilleur” de l’article reste à venir : “Pourquoi bannir des institutions comme la Comédie-Française ou négliger des metteurs en scène comme Didier Bezace ou Christian Schiaretti ? A quand un bon vieux Molière monté dans les costumes d’époque avec un comédien ‘fédérateur’ comme Pierre Arditi ou Fabrice Luchini ?” Oui, à quand la mort de la création et le retour à une culture embaumée qui sent la naphtaline ? Jamais, à Dieu ne plaise. Rappelons qu’Avignon est un festival de création, depuis sa première édition en 1947 sous l’égide de Jean Vilar, qui programme des artistes et des œuvres et non des structures institutionnelles. Liste noire… Le terme évoque l’ère du soupçon, du secret et du pouvoir occulte. Mais on tombe des nues quand Fabrice Luchini, cité dans l’article, déclare que “la manifestation est désormais le lieu d’une secte”. Cherchez le guide spirituel… Où l’on constate que l’acteur partage avec Céline, son auteur fétiche, un même goût pour la provocation haineuse, se souciant comme d’une guigne de la portée et des conséquences de ses accusations. fréquentation en hausse constante depuis 2004 Quant au public, ce fameux “spectateur lambda”, dont Le Figaro croit utile de préciser “celui qui achète son billet en espérant être diverti ou ému”, il serait perdu en route. Enfonçant le clou, Gérard Gelas, directeur du Théâtre du Chêne noir d’Avignon, côté off, assène : “Pour le théâtre, c’est suicidaire.” Mais les faits sont têtus et les chiffres infirment, pour ne pas dire qu’ils explosent, ces propos. N’en déplaise au Figaro, la fréquentation du public d’Avignon est en constante augmentation depuis 2004 et atteignait en 2010 un taux record de 95 % (116 000 billets délivrés pour une jauge totale de 122 000 places). La preuve par A plus B de la confiance toujours renouvelée du public. On sait gré à Frédéric Mitterrand d’avoir remis les pendules à l’heure le 6 juillet sur France Inter. Interrogé sur la polémique avignonnaise déployée comme un beau plan média, du Figaro à Marianne, le ministre de la Culture a loué la présence des artistes français, critiqué les attaques de Fabrice Luchini et rappelé que créations et fréquentation en hausse du public distinguent plus sûrement le Festival d’Avignon que toute cette panoplie d’étiquettes péjoratives dont Marianne se fait le fidèle rapporteur. Dans un article de Virginie François qui donne inégalement la parole à l’auteur Jean-Marie Besset, à Armelle Héliot, Laure Adler, Laurent Brunner (ancien conseiller de Jean-Jacques Aillagon), Greg Germain (président du off), pour la descente en flammes, à François Le Pillouër (directeur du TNB de Rennes) ou Bernard Faivre d’Arcier pour la défense d’Avignon, on s’amuse de constater que si Le Figaro reproche au Festival d’inviter trop d’artistes étrangers, Armelle Héliot regrette, pour Marianne, qu’“Avignon ne soit pas un grand festival de théâtre européen”. Eloge de la contradiction… En chœur avec Laure Adler, qui juge la programmation d’Avignon “surbranchée” et se verrait si bien aux commandes du Festival, Armelle Héliot porte l’estocade finale : “Au fil des années, Avignon est devenu le festival officiel des Inrockuptibles.” Si l’attaque est perfide, nous, on prend ça comme un compliment. 13.07.2011 les inrockuptibles 71

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John Moulder-Brown et Jane Asher dans Deep End (1970)

les joyaux de Jerzy Retour en force avec le génial Essential Killing, hommage cet été au Festival Paris cinéma : c’est l’année Jerzy Skolimowski, couronnée par la ressortie de ses deux chefs-d’œuvre Deep End et Travail au noir.



n a pu dire que les meilleurs films anglais modernes avaient été réalisés par des étrangers : Blow up d’Antonioni, Répulsion de Polanski et surtout Deep End de Jerzy Skolimowski. En règle générale, les films des grands cinéastes en exil possèdent une qualité d’étrangeté et d’observation qui les rend fascinants. Skolimowski, dans Deep End, ne quitte presque jamais les locaux d’une piscine (filmés à Munich, coproduction oblige !), mais un coin de rue, une entrée de boîte de nuit et un bout de campagne enneigée suffisent à restituer le Londres de l’époque, beaucoup moins glamour que celui d’Antonioni mais absolument authentique,

avec ce mélange de mauvais goût, d’ambiances glauques et de candeur érotique. Considéré à juste titre comme un des meilleurs films jamais réalisés sur l’état d’adolescence (thème déjà traité dans les premiers films de Skolimowski et son premier long métrage hors de Pologne, Le Départ, tourné en Belgique avec Jean-Pierre Léaud), Deep End fut longtemps confiné à un culte confidentiel en raison de sa rareté, seulement visible dans de pauvres copies 16 mm ou 35 mm en mauvais état qui avaient survécu aux outrages du temps depuis le début des années 70, période sinistrée des nouveaux cinémas du monde entier, dont la redécouverte est toujours autant d’actualité.

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raccord “Deep End” est un chefd’œuvre de mélancolie et de cruauté, ancêtre des teen-movies de Gus Van Sant

Ceux qui avaient eu la chance de le découvrir par hasard en gardaient un souvenir ébloui. Ils n’avaient pas rêvé. La ressortie providentielle de Deep End en apporte la preuve éclatante. Le film enfin restauré avec ses rutilantes couleurs pop venant balafrer la grisaille londonienne est un chef-d’œuvre de mélancolie et de cruauté, ancêtre pas si lointain des teen-movies sensibles signés Gus Van Sant dans son exploration empathique des émois définitifs de l’adolescence. C’est un film de peintre (ce que le réalisateur deviendra lorsqu’il cessera de mettre en scène pendant dix-sept ans), de poète (ce qu’il avait été avant de faire des films) mais aussi de boxeur, autre activité du cinéaste dans sa jeunesse, qui a maintenu dans tous ses films une violence incisive, une précision du geste et une énergie virile qui n’appartiennent qu’à lui. Un jeune garçon timide devient employé dans des bains publics de l’East End londonien. Chargé d’assister les client(e)s, il découvre un univers clos où la promiscuité et la nudité humide des corps

sont propices à divers échanges et trafics pas très éloignés de la prostitution. Il s’amourache surtout de sa collègue, une belle fille à la réputation facile qu’il épie et tente maladroitement de séduire. Deep End a l’idée géniale d’inverser les rôles : au garçon de jouer les pucelles effarouchées devant les avances sexuelles des rombières ménopausées, tandis que la fille (Jane Asher, fiancée de Paul McCartney au moment du tournage), cynique et libérée, s’amuse avec les hommes et les envoie balader à la première occasion. La beauté de porcelaine de John Moulder-Brown, petit prince prolo et héros rimbaldien de ce roman d’apprentissage désastreux en vase clos, ajoute au charme fou d’un film tour à tour drôle et tragique, où explose l’art de Skolimowski : ce mélange de poésie et de trivialité, d’énergie et de morbidité que l’on a retrouvé intact dans son dernier opus, le superbe Essential Killing (encore une histoire de désir vital et de voyage vers la mort). Douze ans après Deep End, Skolimowski réalise un deuxième chef-d’œuvre à Londres, Travail au noir. Un film ouvertement politique, mais avant tout une aventure humaine absurde et obsessionnelle, comme toujours chez le cinéaste. Décidé et filmé dans l’urgence, Travail au noir répond au traumatisme du coup d’Etat polonais de décembre 1981, vécu de loin par l’exilé perpétuel Skolimowski.  Le contremaître Nowak et trois maçons polonais viennent travailler au noir à Londres pour effectuer des travaux dans la maison d’un riche compatriote. Lorsque Nowak, le seul à parler anglais, apprend la nouvelle du coup d’Etat militaire, il décide de ne pas en informer les ouvriers, de les maintenir dans un état d’ignorance et de retarder le plus possible l’échéance de leur retour impossible au pays. Encore un film de claustration, Travail au noir est l’histoire d’un projet insensé voué à l’échec, et la métaphore astucieuse de la douleur d’un pays et de ses exilés. Jeremy Irons, plus que crédible en travailleur polonais, y livre une performance extraordinaire. Olivier Père Deep End de Jerzy Skolimowski, avec John Moulder-Brown, Jane Asher, Karl Michael Vogler (G.-B., RFA, 1970, 1 h 30, reprise) Travail au noir de Jerzy Skolimowski, avec Jeremy Irons, Eugene Lipinski, Jirí Stanislav (G.-B., RFA, 1982, 1 h 40, reprise)

le spleen de la comédie US Les récents exploits au box-office américain de Very Bad Trip 2 et Mes meilleures amies (sortie France le 10 août) n’empêchent pas le coup de spleen dans l’industrie US : le modèle économique de la comédie américaine, lentement, décline. Une récente enquête du Los Angeles Times a confirmé ce que l’on soupçonnait depuis quelques années déjà : l’ancien genre roi d’Hollywood (d’Eddie Murphy aux champions du Frat Pack) aurait perdu son pouvoir d’influence, jusqu’à devenir un boulet commercial pour les studios. Plusieurs raisons expliquent ce divorce, dont les premiers signes concordent avec l’explosion d’internet et d’une cinéphilie 2.0. En screener arraché à l’intimité d’une salle de cinéma ou en DVD pirate, la comédie a perdu les bénéfices d’un marché vidéo qui lui étaient pourtant indispensables. Les studios envisageraient en réaction de développer un modèle de comédie low-cost, expérimenté dans Bad Teacher de Jake Kasdan : des budgets réduits, des acteurs sous-payés, un marketing sommaire… Qu’importe, Judd Apatow a suffisamment prouvé que le génie comique pouvait s’épanouir dans un cinéma “pauvre”. Mais un autre mal affecte la comédie américaine, plus profond. Ses films accusent une baisse de recettes à l’exportation, lorsqu’ils arrivent encore à atteindre les marchés étrangers (combien de chefsd’œuvre comme Adventureland condamnés aux réseaux DTV ?). C’est toute une nouvelle génération de cinéastes américains qui est fragilisée : ces disciples du stand-up et d’un comique du texte, dont l’humour repose en partie sur les références à la culture pop – intraduisibles à l’étranger –, donc invendables. On pourrait parier sur le paysage futur de la comédie US que nous préparent quelques industriels frileux : des mamas pétomanes et des animaux qui parlent, certains, eux, d’être entendus par tout le monde.

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I’m Still Here de Casey Affleck (E.-U., 2010, 1 h 40)

Le Moine de Dominik Moll La sauvagerie gothique du célèbre roman anglais domestiquée en triste jardin à la française.

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onne idée que celle d’adapter Le Moine, ce célèbre roman gothique écrit à la fin du XVIIIe siècle par un jeune diplomate britannique nommé Matthew Gregory Lewis, qui fit scandale en son temps, fascina les romantiques anglais, le marquis de Sade lui-même, puis les surréalistes (André Breton ou Antonin Artaud, qui le retraduisit à sa sauce). Longtemps convoité par Buñuel (Nazarin ou Simon du désert en sont peut-être des versions déguisées), il avait été adapté une première fois au cinéma, au début des années 70, par le critique et réalisateur Ado Kyrou, plume historique de la revue Positif, sur un scénario justement écrit par le maître hispano-mexicain et son compère Jean-Claude Carrière, et interprété par Franco Nero (un film qui n’a guère laissé de souvenir…). Mais pour raconter ce genre d’histoires aujourd’hui, il faudrait être Pedro Almodóvar, Guy Maddin ou Raúl Ruiz… Ce qui veut dire croire un minimum au diable et au bon Dieu (disons au bien et au mal), aux vertus du baroque et des plaisirs honteux et conjugués de la fiction et de la chair ; il faut aimer Sade (la vertu violée par le mal), exprimer quelque pulsion de folie, se jeter avec enthousiasme dans les détours du romanesque, les invraisemblances jubilatoires, les digressions sinueuses.

Faire dans la stylisation, pas dans l’image pubarde, le naturalisme benoît. Dans l’adaptation rationaliste qu’en livrent Dominik Moll et sa scénariste Anne-Louise Trividic, le roman de Lewis semble avoir été passé à la moulinette, réduit à une série de péripéties sans péché. Lissé, modernisé, débarrassé de ses oripeaux anticléricaux (la belle affaire), plus rien n’y est scandaleux, torride, subversif. Tout n’y est que constat désenchanté, sans point de vue personnel, sans malaise existentiel. L’inceste et le matricide ? Des faits divers banals, malencontreux, fâcheux, auxquels on retire toute charge poétique, toute force symbolique, tout poids métaphysique. La distribution, internationale, bancale, n’arrange rien. D’un côté, Vincent Cassel, en saint puceau tenté puis dévoyé par le diable, est à peu près aussi convaincant dans le rôle d’un moine que le serait Scarlett Johansson dans le rôle de Mère Teresa. De l’autre, Sergi López, dont on devine immédiatement, à son regard tordu, qu’il est Satan. Tout cela est trop sage, trop scolaire, trop référentiel (à Hitchcock, au cinéma bis italo-hispanique, on imagine), jamais habité, hanté. Quel gâchis.

Petite crise étouffée de Joaquin Phoenix contre la société du spectacle. Comme Banksy avec le monde de l’art boursicoteur, Joaquin Phoenix voulait “se faire” Hollywood. Pirater de l’intérieur, et sur le même principe de l’ennemi intime, cette puissante machine d’uniformisation, cette somme d’ego qui sacrifie au dieu dollar toutes les individualités (ici le calvaire d’un acteur qui se rêvait rappeur). Mais si le projet est noble – quoiqu’un peu dépassé –, c’est la méthode employée par Joaquin Phoenix et son complice Casey Affleck qui pose problème. Certifié 100 % faux documentaire (après un long débat assez vain), I’m Still Here met en scène le décrochage d’une star (l’avatar Phoenix : grossi, camé, pathétique) dans une série de séquences trash dont la provoc, si elle cite Debord, dépasse difficilement le stade Jackass. L’acteur, sublime à l’économie chez James Gray, échoue surtout dans sa tentative de dynamitage d’un milieu dont il reproduit les plus vieux codes (performance Actors Studio très gênante). On retrouvera bientôt Joaquin Phoenix dans le nouveau film de Paul Thomas Anderson – ce qui dit bien le degré de rébellion de son coming out antisystème. Romain Blondeau

Jean-Baptiste Morain Le Moine de Dominik Moll, avec Vincent Cassel, Déborah François, Catherine Mouchet, Sergi López (Fr., Esp., 2010, 1 h 41)

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La Mujer sin piano de Javier Rebollo avec Carmen Machi, Jan Budar (Esp., Fr., 2009, 1 h 35) Dérive nocturne d’une femme sans caractère : inquiétante étrangeté et art du plan. a Mujer sin piano appartient Cela peut rebuter pour ces raisons à la catégorie non dite des films mêmes ; de tels films intensifient presque orphelins, qui mettent en scène maladivement le réel, au détriment du des figures singulières et solitaires sentiment, de la pâte humaine. La banalité évoluant au sein de la société, mécanique de ces univers confine au mais toujours un peu dans les marges. mortifère. Pas le moindre affect, ou si peu, Le cinéma espagnol en a proposé donc, dans La Mujer sin piano, histoire plusieurs de ce type, passés inaperçus d’une parenthèse désenchantée : une par leur nature même, comme Las Horas quinquagénaire ordinaire, esthéticienne del día de Jaime Rosales, La Influencia à domicile, ignorée par son mari chauffeur de Pedro Aguilera ou Ce que je sais de Lola de taxi, part à l’aventure une nuit et fait du même Rebollo. Un cinéma fascinant des rencontres, entre autres avec un jeune pour sa pureté graphique, qui fait la part Polonais déphasé. Un fantastique nocturne belle au plan, dans lequel sont enserrés finement détaillé par Rebollo, qui a choisi ses personnages, au détriment du récit, une voie difficile mais souvent captivante lui-même souvent accessoire. pour qui aime regarder. Vincent Ostria

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Les Deux Chevaux de Gengis Khan de Byambasuren Davaa avec Urna Chahar-Tugchi (All., Mong., 2009, 1 h 27)

La quête pittoresque d’une chanteuse mongole à travers la steppe. On se sent sommé d’aimer précédentes réalisations ce type de film minoritaire de la même réalisatrice et bourré de générosité (cf. L’histoire du chameau folklorique, avec de vrais qui pleure). Mais ce cinéma autochtones, et une gentille touristique, exclusivement musicienne-chanteuse destiné aux Occidentaux qui arpente les steppes (et coproduit par eux), en mongoles à la recherche reste aux images d’Epinal, des paroles d’une à la vision idyllique d’un chanson ancestrale. C’est monde ancestral figé dans presque aussi charmant une joliesse éternelle. et pittoresque que les Les yourtes, les chevaux

sauvages galopant sur des plaines infinies… A la fin, on se demande ce que ça représente. A quelle réalité cela correspond-il ? Il faudrait prendre des leçons chez le voisin chinois dont les films sont moins complaisants et n’ont que faire des cartes postales. Un peu de fougue, que diable ! V. O.

La Traque d’Anthony Blossier avec Grégoire Colin, François Levantal, Bérénice Bejo (Fr., 20010,1h20)

Une partie de chasse dégénère. Un film fantastique assez réussi. Si La Traque était un mash-up, il tenterait le croisement improbable entre Claude Chabrol et Russell Mulcahy (qui ? Mais le réalisateur d’Highlander, bien sûr). Du Français, il voudrait prélever les ambiances toxiques de famille de notables provinciaux trop sûrs d’eux. De l’Australien, il repique le pitch de son film Razorback (1984) – une histoire de sanglier géant meurtrier. La surprise est que la greffe prend plutôt naturellement. Malgré le manque de moyens, le film réussit sa partie de chasse qui tourne mal. Il laisse la plupart du temps les prédateurs hors champ, et mise sur le groupe qui se déchire, avec claustrophobie, hystérie collective et bain de fluides façon The Descent. La Traque est alors handicapé par sa musique envahissante et un léger manque d’ambition : mais dans le plat pays du film de genre français, ce one-shot fait mouche, sans une once de parodie sous ses airs de numéro dégénéré de l’émission Histoires naturelles. Léo Soesanto 13.07.2011 les inrockuptibles 75

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en salle ciné corsaire En attendant la sortie du beau film de pirates de João Nicolau, L’Epée et la Rose (20 juillet), le cinéma indépendant parisien La Clef consacre une rétrospective à ce genre contrebandier depuis longtemps laissé aux seules attractions Disney (Pirate des Caraïbes). On y verra sept films (des années 1920 aux 2000’s) : Les Contrebandiers de Moonfleet de Fritz Lang, Le Pirate noir d’Albert Parker, Pirates de Roman Polanski, le superbe Cyclone à la Jamaïque d’Alexander Mackendrick, récemment ressorti en salle, ou le sous-estimé L’Ile aux pirates de Renny Harlin. Cycle de films de pirates jusqu’au 26 juillet au cinéma La Clef, Paris Ve

hors salle

Kristen Wiig dans Mes meilleures amies (Bridesmaids) de Paul Feig, sortie le 10 août

la femme la plus drôle du monde

deux fois intime En juillet 2009, le cinéaste Vincent Dieutre était à Beyrouth, l’éditeur et écrivain Gilles Collard à Paris. Ils ont tenu un journal où ils consignaient leurs sentiments, leurs désirs, leurs lectures et quelques souvenirs virtuels (mails, SMS)… Réunis sous le titre crypté 07/09 X 2 dans un projet éditorial commun à l’appel de la revue Ah !, ces deux carnets intimes forment un ensemble fragmentaire où les mémoires se confrontent et les pensées se heurtent. 07/09 X 2 de Vincent Dieutre et Gilles Collard (éditions Ah !), 166 pages, 22 €

box-office case banque La comédie sur l’esclavage Case départ rafle tous les suffrages en première séance à Paris : sur un nombre équivalent de copies, le film du duo Thomas N’Gijol et Fabrice Eboué réunit deux fois plus de spectateurs que la romance de Tom Hanks, Il n’est jamais trop tard. Loin derrière, le dernier film de Mia Hansen-Løve, Un amour de jeunesse, démarre dans la douleur avec un faible taux de fréquentation par salle. Rien pour arrêter la machine Transformers 3, qui réalise la meilleure première semaine d’exploitation de l’année avec plus d’1,3 million d’entrées. Romain Blondeau

autres films Harry Potter et les reliques de la mort – 2e partie de David Yates (E.-U., G.-B., 2011, 2 h 10) Les Mythos de Denis Thybaud (Fr., 2011, 1 h 27) Trois fois 20 ans de Julie Gavras (Fr., 2011, 1 h 28) Le Journal d’un dégonflé – Rodrick fait sa loi de David Bowers (E.-U., 2011, 1 h 34)

Pilier du Saturday Night Live, l’extraordinaire Kristen Wiig confirme tout le bien que l’on pense d’elle dans la prochaine comédie produite par Judd Apatow, qui sort en août. resseuse d’ours. Prof de yoga. d’improvisation théâtrale situé Femme de rock-star. Productrice à Los Angeles. Elle se découvre là de télé lunatique. Chirurgienne une passion pour la comédie, qui gaffeuse. Gérante de parc la titillait depuis longtemps sans qu’elle d’attractions. Championne de roller-derby. n’osât franchir le pas. Bigote borgne… Pour peu que vous ayez Dans ce lieu qui a formé un tas d’acteurs vu une ou deux comédies américaines du Saturday Night Live (SNL) (Will Ferrell, ces cinq dernières années, vous avez Chris Kattan, Maya Rudolph – qui joue forcément aperçu Kristen Wiig dans l’un de justement à ses côtés dans Bridesmaids), ces rôles. A chaque fois, c’est certain, vous elle prend confiance en elle : “Je reste vous êtes demandé qui était cette jeune malgré tout très timide, surtout en groupe femme qui vous faisait tant rire, sans ou devant les journalistes ; là, par exemple, réussir à mettre un nom sur son visage je n’ai pas l’air, mais je suis très intimidée… cartoonesque (grands yeux, nez en boule, bon, c’est faux, je suis surtout jetlaguée.” fossettes larges). Et du coup ne tarde pas à se présenter Après avoir vu Bridesmaids, qui sort au palier suivant : le SNL. en salle le 10 août sous le titre pas folichon Pilier de l’émission depuis 2005 (Lorne de Mes meilleures amies, il vous sera Michaels, le fondateur et producteur désormais impossible de l’oublier : du show, la considère comme une des trois on n’oublie pas la femme la plus drôle ou quatre plus douées… de l’histoire), du monde. Dans cette excellente comédie elle y déploie un rire excentrique mais de filles produite par Judd Apatow (enfin !), jamais hystérique, comme si les situations plus gros succès de l’écurie, elle tient les plus bizarres et inconvenantes étaient enfin son premier grand rôle, après six ans pour elles normales. Elle n’a besoin d’apparitions dans les films de la bande de rien pour provoquer l’hilarité, figeant (En cloque, mode d’emploi ; Sans Sarah rien son corps et laissant rouler ses yeux ne va ; Walk Hard ; Adventureland ; Paul…). d’enfant prise la main dans le sac – un Au début des années 2000, ses études petit quelque chose de Katharine Hepburn d’arts appliqués abandonnées et une qui la rend irrésistible. infinité de petits boulots accrochés à son Désormais l’égale des meilleurs CV (dont “dessinatrice de portraits pour comiques masculins de sa génération, montrer aux gens à quoi ils ressembleraient Kristen Wiig règne sur le box-office après la chirurgie esthétique, vendeuse américain. Mais ne soyez pas surpris si un d’articles de pêche, secrétaire dans jour vous la croisez en train de jongler avec un cabinet d’avocats ou designer floral des chiots ou tester des lessives : il n’est – mon préféré”), elle décide de frapper pas un métier sur terre qu’elle n’exercera à la porte des Groundlings, un groupe avant de mourir. Jacky Goldberg

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Andy Serkis lors d’une prise de vues en motion capture pendant let ournage de La Planète des singes – Les Origines (sortie le 10 août)

emotion capture Du Seigneur des anneaux à La Planète des singes, Andy Serkis est la nouvelle star d’un cinéma américain où l’émotion humaine pointe comme une trace sous les masques numériques.

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l était accro, limite junkie, à l’anneau du Seigneur des anneaux. A fait les yeux doux à Naomi Watts en King Kong. Et va crier “anacoluthe” dans le Tintin de Spielberg. En août, il sera César, chimpanzé surdoué et révolutionnaire, dans La Planète des singes – Les Origines, reboot de la célèbre série de films SF simiesques. Le visage de lutin et le nom d’Andy Serkis (aucun lien avec Nicolas Sirkis du groupe Indochine) gagnent néanmoins encore à être connus. Le personnage est inévitable dès que l’on parle de motion capture au cinéma – cette technique qui enregistre les mouvements d’un acteur pour les voir reproduits via un avatar à l’écran. Au début des années 2000, Serkis a marqué les esprits chez Peter Jackson en Gollum, hobbit schizo et malingre. Au point que les

“jouer le singe César est peut-être ce que j’ai fait de plus subtil dans ma carrière”

producteurs ont milité pour sa nomination à l’oscar du meilleur second rôle. “Mais à cause de la connotation effets spéciaux, le métier d’acteur pour motion capture est encore incompris à Hollywood, même après Le Seigneur des anneaux”, regrette Serkis. “Tout y est pourtant possible, et cela ne devrait pas être réservé à donner vie à des monstres.” Un progrès tout de même : c’est lui qui vient présenter les premières images de La Planète des singes à Paris, en solo, sans la présence de la star James Franco. Andy Serkis s’est investi corps et âme dans la motion capture, jusqu’à monter The Imaginarium, son propre studio londonien dédié à la technique. “Je ne fais aucune différence comme acteur entre motion capture pour les films, jeux vidéo (le jeu Enslaved sur PS3, dont il a dirigé les acteurs – ndlr) et films en prises de vues réelles.” On fait remarquer à ce bûcheur multimédia en diable que la motion capture induit peut-être un jeu plus physique, plus appuyé :

“Cela demande en effet à l’acteur une meilleure gestion de son espace, de mieux calibrer ses mouvements, mais avec César j’ai en fait appris à être immobile.” Les singes seraient-ils de bons profs d’art dramatique ? “Ils pourraient enseigner aux acteurs une certaine intelligence émotionnelle. L’idée pour César était de le rendre intelligent sans passer par l’anthropomorphisme : c’est peut-être ce que j’ai fait de plus subtil dans ma carrière.” Le charme de la motion capture tient à ce balancement entre révolu et révolutionnaire, l’expressivité du film muet (“Pour Kong, Gollum ou César, les émotions passent beaucoup par les yeux”) et l’ère digitale. Comment voit-il l’avenir ? “La technique devient transparente, si bien qu’on ne pourra plus que juger la performance de l’acteur. Il y a pour l’instant le problème de jouer avec un casque qui enregistre vos expressions ; ça casse le charme des scènes intimes ou en tête à tête.”

Le fait de plonger dans la technologie lui a donné envie par réaction de s’intéresser aux origines du cinéma : Serkis va réaliser Freezing Time, biopic d’Eadweard Muybridge, photographe anglais du XIXe siècle passionné par le mouvement. On peut aussi le voir en chair et en os chez Christopher Nolan (Le Prestige) ou le dernier John Landis (Cadavres à la pelle). Il a même incarné deux monstres, plus sacrés et d’un genre plus rock : Martin Hannett, légendaire producteur de Joy Division et New Order dans 24 Hour Party People, et Ian Dury, l’auteur de Sex & Drugs & Rock & Roll dans un film du même nom en 2010 (“J’y ai fait mon fanboy en recréant l’enregistrement de ses chansons avec son groupe”). On risque pourtant de ne pas voir la vraie bouille de Serkis à l’écran pendant un temps : Peter Jackson l’a convoqué pour être le réalisateur de seconde équipe du Hobbit, prequel du Seigneur des anneaux attendu pour 2012. Léo Soesanto 13.07.2011 les inrockuptibles 77

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Memory Lane de Mikhaël Hers avec Lolita Chammah, Thibault Vinçon, Didier Sandre, Marie Rivière (Fr., 2010, 1 h 38)

Les Yeux de Julia de Guillem Morales Eclairé par les grands modèles Hitchcock ou Argento, un film d’horreur espagnol d’une singulière brillance. Le film Le cinéma espagnol, depuis surtout dans la seconde moitié, une ambition une dizaine d’années, s’est constitué plus profonde. C’est en effet lorsqu’il comme l’un des seuls en Europe à même s’hybride, puisant à la source (chez Hitchcock) de produire du genre, en l’occurrence et dans ses confluents (Argento), que le film de l’horreur, de façon convaincante. devient passionnant, bien plus qu’un exercice Dans cette cohorte de films aux saveurs de style roublard : un véritable prototype gothiques, zestés de gore et lestés de giallo paëlla. Psychopathe ganté, lames de sous-texte politique, Les Yeux de Julia de couteau brillant dans le noir, héroïne n’est pas loin d’être le plus réussi. – pure blonde hitchcockienne – traquée Pour commencer parce qu’il a la bonne sans merci : tous les éléments sont là, ne idée d’ouvrir les fenêtres et d’épousseter reste qu’à les animer. Et la mise en scène les meubles déjà un peu vermoulus de Morales, ultraprécise, ludique et habitée, de ses confrères. se révèle follement efficace à ce petit jeu Produit par la même équipe que auquel le spectateur se prête, terrorisé L’Orphelinat (avec Guillermo Del Toro en au fond du fauteuil. parrain prestigieux) et réalisé par un quasiLes torsions infinies du scénario et débutant, Guillem Morales, le film s’ouvre certains gimmicks visuels un peu appuyés sur une scène assez brillante qui ne cessera, (tous ces efforts pour cacher le visage de pendant deux heures, d’être reproduite l’assassin) ne doivent surtout pas masquer sous toutes les coutures : un jeu du chat l’essentiel : tout ici est guidé par un principe et de la souris entre une femme aveugle et de plaisir, sans le moindre cynisme, son bourreau invisible. Belén Rueda, quadra et par un goût plastique certain (richesse lumineuse qui jouait déjà dans L’Orphelinat, des cadres, splendeur de la photo). enquête ici sur le suicide de sa sœur Moins abstrait et arty qu’Amer, l’autre belle jumelle, auquel elle ne croit pas ; atteinte, variation giallesque récente, Les Yeux comme cette dernière, d’une maladie de Julia n’en est pas moins fascinant et dégénérative de l’œil, elle voit sa vue baisser devrait ouvrir à son réalisateur, on l’espère, progressivement, situation propice à tous les les portes d’une carrière brillante. faux-semblants dans cette grise province Le DVD Making-of d’autocongratulation, espagnole peuplée de freaks suspects. tout ce qu’il y a de plus banal, mais L’argument, a priori rébarbatif pour le coup mérité. Jacky Goldberg – un whodunit chez les péquenots –, ouvre à mille variations théoriques que Morales Les Yeux de Julia de Guillem Morales, avec explore avec un systématisme de bon élève Belén Rueda, Lluis Homar, Julia Gutiérrez Caba (Esp., 2010, 1 h 56), Universal, environ 20 € croit-on d’abord, avant qu’il ne révèle,

Le premier long d’un cinéaste prometteur, assorti de ses précédents travaux. Le film Le premier film d’un jeune réalisateur déjà auteur de moyens métrages remarqués dans les festivals pour leur ton assez singulier, basé essentiellement sur le délicat instrument de narration qu’est le non-dit (à force de non-dit, on risque de ne rien dire du tout). Dans Memory Lane, Hers filme une bande de jeunes gens, un groupe d’amis que la vie est sur le point de séparer puisque l’âge adulte approche. Hers filme toujours les frontières : les limites entre la ville et la campagne, entre la folie et la raison, la maladie et la mort, le passé et le futur. Des zones indistinctes, vives et fugaces, qui nous rappellent l’univers d’un grand écrivain : Patrick Modiano. Le DVD En complément de programme, les trois moyens métrages d’Hers : Montparnasse, Charell (d’après De si braves garçons de Modiano) et Primrose Hill, ainsi qu’une analyse limpide de son cinéma par le fabuleux Luc Moullet, auteur de formules du genre : “le cinéma d’Hers, c’est ‘Il était une fois dans la banlieue ouest” ou “Mikhaël Hers est le John Ford français”. Moullet y énonce également le “principe de Speedy Gonzales” (que nous vous laissons découvrir par vous-mêmes). J.-B. M. Ad Vitam, environ 20 €

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La Chamade d’Alain Cavalier En 1968, Cavalier filme une Deneuve éclatante de jeunesse et de talent, dans un film empreint de modernité. Le film Adaptation du roman à succès de Françoise Sagan, La Chamade est d’abord un film délicat, qui évite les aspects potentiellement scabreux, vulgaires du sujet : une jeune femme, Lucile (Catherine Deneuve), prise entre deux amants et qui ne sait lequel choisir – l’un quadra grand bourgeois raffiné (Michel Piccoli), l’autre jeune journaliste et éditeur, également bourgeois mais qui ne roule pas sur l’or (Roger Van Hool). La mise en scène d’Alain Cavalier impose une vision ironique des rites de la bourgeoisie parisienne gaulliste et peut-être aussi des clichés de l’univers de Sagan (le whisky, le luxe, le plaisir) mais elle reste toujours légère, discrète dans ses traits, se concentrant essentiellement sur

le flux et le reflux des sentiments de son héroïne, l’impossibilité de choisir un bonheur contre un autre, en agissant par petites touches. Le film, aux couleurs chaudes, est composé de manière pointilliste, par une succession de courtes scènes et d’ellipses qui constituent chacune une pierre singulière dans le récit. Deneuve y explose de l’éclat de sa jeunesse et de son talent, mais aussi du métier qu’elle possède déjà : à chaque seconde son visage semble exprimer la multiplicité des sentiments qui la parcourent. Elle s’y montre d’une vivacité incroyable, enchaînant la joie, la tristesse, l’humour, la futilité, l’espoir, l’ennui avec la même simplicité, le même allant, le même naturel. Qui ne

tomberait immédiatement amoureux d’elle ? Et l’on sent vite et bien la fascination de Cavalier pour son actrice et son désir de réaliser, en contrebande de l’histoire, son portrait documentaire, à la fois comme actrice et comme femme française de 24 ans. De dix ans plus jeune que Sagan, sa Lucile est une jeune femme de son époque (le film fut tourné en plein Mai 68), qui exerce sa liberté d’aimer qui elle veut, quand elle veut, et de faire ses choix de vie par elle-même. Tout en acceptant toujours d’en assumer les conséquences : sujet tabou à une époque où l‘IVG n’existe pas, Lucile part pour la Suisse se faire avorter de l’enfant qu’elle attend de son deuxième amant, avec l’argent du premier !

Juste un détail : en 1971, Deneuve fera partie des signataires du “manifeste des 343 salopes” qui affirmeront, afin d’en obtenir la légalisation, avoir pratiqué l’avortement. L’actrice, lors de l’intégrale que lui avait consacrée la Cinémathèque française il y a deux ans, avait choisi La Chamade comme film d’ouverture. Y voir un hasard serait sans doute une erreur. Le DVD En bonus, un court film d’Alain Cavalier intitulé Elle seule, où le “filmeur” a juxtaposé toutes les scènes où Catherine Deneuve est seule dans La Chamade. Jean-Baptiste Morain La Chamade d’Alain Cavalier, avec Catherine Deneuve, Michel Piccoli, Roger Van Hool (Fr., 1968, 1 h 45), Solaris/ Arcadès, environ 17 € 13.07.2011 les inrockuptibles 79

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“le design fait aussi le jeu” Le fameux dessinateur d’anime Nobuteru Yuki a conçu les personnages du mystérieux Solatorobo. Eclaircissements.



’îles flottant dans l’espace en souterrains mystérieux, l’hommechien vit de folles aventures. Jeu de rôle très rythmé, Solatorobo n’est pas que l’un des jeux de l’été. C’est aussi le lieu de rencontre de deux mondes : le jeu vidéo et l’animation japonaise. Après avoir dessiné les personnages des Chroniques de la guerre de Lodoss et d’Escaflowne, Nobuteru Yuki a conçu ceux de ce projet, qu’il a rejoint sur le tard pour lui apporter un nouveau souffle.

people Matsuno rejoint Level-5 Pour les amateurs de jeux de rôle japonais, c’est un rêve devenu réalité. Concepteur de Final Fantasy XII, Tactics Ogre et Vagrant Story, Yasumi Matsuno vient d’être embauché par l’excellent studio Level-5 (Dragon Quest VIII et IX, Professeur Layton, Inazuma Eleven) et se serait vu donner carte blanche par ses nouveaux patrons. Selon ses déclarations au magazine japonais Famitsu, Matsuno entendrait mener à bien un projet qui l’obsède depuis dix ans.

La conception des personnages de jeu vidéo est-elle très différente de celle des héros de dessins animés ? Nobuteru Yuki – Je me limite beaucoup plus pour le dessin animé parce que le personnage sera redessiné et animé par un grand nombre de personnes différentes. Il faut donc penser à ne pas ajouter trop de détails. Les personnages de jeu vidéo sont modélisés en polygones une fois pour toutes. Ensuite, ils vivent leur vie. Que manquait-il aux premières esquisses de Solatorobo ? Au niveau des illustrations, c’était parfait, mais il manquait ce qui fait un personnage de jeu de rôle japonais. Mon travail a consisté à leur ajouter la patte d’un dessinateur de manga. Il est important que, dès qu’on ouvre le manuel du jeu, on soit dans l’ambiance.

Qu’est-ce que cela vous apporte de passer d’un médium à un autre ? Ce n’est pas comme si je l’avais voulu. Des gens sont venus me dire : “Vous ne voudriez pas dessiner un manga ? Vous ne voudriez pas faire un jeu vidéo ?” Je les en remercie mais mon occupation principale reste le dessin animé. Quel regard portez-vous sur les personnages de jeux vidéo actuels ? Dragon Quest, c’est Akira Toriyama, il possède un trait simple, mais on sait tout de suite que c’est lui. Le design fait aussi le jeu. Le problème, c’est que les jeunes créateurs travaillent parfois sur des parties du personnage au lieu de prendre en compte son identité. Ils partent des même bases et se disent que ce serait bien qu’il ait un bracelet, lui mettent une armure parce que c’est plus classe… On se retrouve avec le même personnage habillé différemment. Vous pensez qu’il est important que l’on fasse appel à des gens comme vous qui viennent d’ailleurs ? Ça dépend du style de jeu. Ce ne serait pas aussi important pour un jeu d’action que pour Solatorobo. Mais un dessinateur de manga, de comics ou de bande dessinée a l’habitude de faire porter une histoire par son personnage. Erwan Higuinen Solatorobo sur DS (CyberConnect 2/ Namco Bandai, environ 40 €)

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Resident Evil – The Mercenaries 3D

chroniques mortelles Dans la peau d’un privé, une enquête low-tech gorgée d’énigmes. Addictif. l pouvait difficilement de Sony. Car Red Johnson’s plus mal tomber. Chronicles, au fond, arrive Le 20 avril devait sortir à point nommé. Le bon vieux Red Johnson’s Chronicles, jeu d’aventures point & click le premier jeu du studio (héritier de Monkey Island, français Lexis Numérique des Chevaliers de Baphomet) destiné au service de revient au goût du jour téléchargement de la PS3. dans le sillage de la saga Le 20 avril, c’est Professeur Layton. L’enquête précisément le jour où policière, elle, règne sur le les serveurs de Sony ont box-office grâce à L.A. Noire. été victimes d’une attaque Et Red Johnson’s Chronicles pirate (assortie du vol se révèle précisément de nombreuses données à l’intersection de ces deux personnelles) qui eut pour approches du jeu vidéo. conséquence leur fermeture Dans la peau dudit Red, pour de longues semaines. détective privé de son état, le Il serait pourtant dommage joueur doit tirer au clair une que cette séduisante sinistre histoire de meurtre. histoire de détective finisse Il devra donc examiner les en victime collatérale lieux du crime, analyser les de l’exploitation malveillante indices, dialoguer finement des négligences apparentes avec divers personnages

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(dont une veuve nullement éplorée) et résoudre tout un tas d’énigmes loin d’être aussi simples qu’on pourrait le croire. Avec son ambiance soignée et sa narration facétieuse, Red Johnson’s Chronicles compense sans mal les limites découlant de sa réalisation low-tech. Et ne tarde pas à nous accrocher pour de bon. Signé Paul Cuisset (Flashback), le prochain jeu Lexis à télécharger ne devrait plus tarder. On l’attend évidemment avec impatience. E. H.

Sur 3DS (Capcom, environ 45 €) Mode bonus des Resident Evil 4 et 5, The Mercenaries se voit promu au rang de jeu à part entière pour faire patienter les fans de la saga jusqu’à la sortie de son “vrai” épisode 3DS, Revelations. Ce pourrait être une expérience : que deviendrait Resident Evil si on lui retirait son récit de série B et sa mise en scène angoissante ? Le résultat est un pur jeu d’action, une lutte tendue contre la montre et les zombies dont aucun ne devra nous avoir échappé lorsque le compte à rebours sera achevé. Et tourne, pour le joueur, au pur exercice de style mitrailleur. Limité, mais entêtant.

Red Johnson’s Chronicles sur PS3 (Lexis Numérique, env. 10 € en téléchargement)

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lèvres en feu Les Black Lips introduisent la pop dans leur garage. Rencontre avec ces vauriens d’Atlanta au flower-punk animal, désormais produits par l’omniprésent Mark Ronson.

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Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

issipons d’emblée un malentendu : les Black Lips ont beau détenir une réputation de sales gosses incontrôlables à l’humour un peu régressif, ils n’en restent pas moins de gentils garçons polis et bien plus malins qu’ils ne voudraient le faire croire. Derrière leurs pitreries scéniques et leur sens un peu exacerbé du jusqu’au-boutisme, ils cachent une sidérante connaissance du monde née de leurs nombreuses heures passées à le sillonner dans un van pourri – un apprentissage en 3D pour une bande de gamins jetés de l’école post-Columbine pour leur forte tendance à la provocation. “On est tous allés dans une école merdique, raconte Jared Swilley, bassiste du groupe. Quand j’avais 13 ou 14 ans, on m’a envoyé une lettre disant : ‘Tu ne devrais pas essayer d’aller à la fac, tu n’as aucun espoir d’y aller un jour.’ Puis ils m’ont viré : je voulais leur montrer qu’ils avaient tort.” Plutôt que d’attendre que le monde vienne à eux au fin fond de leur Géorgie natale, les quatre Lips sont donc partis à sa rencontre, éthique punk en bandoulière. L’Inde, Israël, le Mexique, l’Europe sous toutes ses coutures, l’Amérique latine, bientôt le Moyen-Orient, peut-être l’Afrique : les Américains ont avalé des kilomètres de paysages, joué partout où ils le pouvaient, testé toutes les spécialités (y compris les drogues). Potes depuis quinze ans, ils en ont déjà passé plus de dix sur scène. D’où un esprit de gang solide : les Black Lips tournent ensemble plus de trois cents jours par an, vivent les uns à côté des autres à Atlanta et suivent à la lettre un processus démocratique concocté par leurs soins, où chacun écrit, compose et chante sans

jalousie, sans rôle préétabli, ni limites. Depuis la formation du groupe, Jared, Cole, Ian et Joe n’ont pas de plan B. D’où ce besoin impérieux de tout faire à fond – précepte qui prend tout son sens sur scène et que les Américains hyperactifs expliquent par leur amour profond du gospel. “J’ai grandi dans une église gospel et, bien que je ne croie pas en Dieu, je pense qu’on ne peut pas faire plus authentique que cette musique. Ces gens chantent pour ce qu’ils croient être l’éternité, on peut difficilement faire plus puissant que ça, confie Jared, dont le père pasteur dirige une grosse congrégation aux Etats-Unis. Quand j’étais gamin, les gens qui venaient pour l’office de mon père devenaient fous, le tout à 10 heures du matin, un dimanche, sans alcool et sans intention de baiser. Je sais qu’on ne pourra jamais recréer ça au même niveau avec les Black Lips, mais on essaie de s’en approcher.” Trop punks pour être hippies mais trop hippies pour être punks, les Black Lips ont donc créé leur propre religion, le “flower punk”, et pourraient bien vivre aujourd’hui leurs plus belles heures grâce à Arabia Mountain, sixième album épique, brûlant, instinctif et viscéral produit par le peroxydé Mark Ronson, spécialiste des sixties depuis son travail sur Back to Black d’Amy Winehouse. “Un mec très gentil, très flegmatique, ouvert d’esprit et très flexible”, indique Cole Alexander, guitariste et encyclopédie vivante du punk. Même si produit au cordeau, Arabia Mountain sent toujours l’urgence, la mauvaise bière et la descente d’acide. Il rend ivre sans boire, défonce sans dope (la fascinante et psychédélique Mr. Driver) et, comme les messes gospel, il suinte la passion et le lâcher-prise si cher au groupe.

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on connaît la chanson

l’été indé Courageusement et passionnément, le label parisien Ekler’O’Shock défriche et c’est riche.

Lancés à 300 km/h sur une route de montagne, une bouteille de vodka à la main, l’autre sous la jupe d’une fille, les Black Lips passent ici maîtres dans l’art du tube animal, celui qui parle au corps plutôt qu’à la tête, avec Go out and Get It, Bone Marrow – où l’on reconnaît un hommage à Plastic Bertrand que le groupe loue pour sa jeunesse au sein du groupe Hubble Bubble – et Raw Meat (“Viande crue”) pour lequel le gang, un peu Jackass sur les bords, a failli tuer Mark Ronson en lui faisant avaler du foie cru avarié. “Le groupe

a été une bonne manière de canaliser notre énergie, nos manières de sauvages. Je crois que sans ça je serais en train de braquer une banque”, déclare Jared en rigolant. De vraies canailles sauvées par le dieu punk. Ondine Benetier photo Rüdy Waks album Arabia Mountain (Vice/Cooperative/Pias) concerts le 28 septembre à Tourcoing, le 30 à Paris (Cigale), le 1er octobre à Marseille, le 3 à Clermont-Ferrand, le 4 à Lyon interview intégrale à lire sur En écoute sur lesinrocks.com avec

Avant qu’il ne devienne parfois un salon mondain, une secte, une usine dissimulée en artisanat ou un tremplin pour carrière cynique, un label indépendant était souvent une affaire d’obligation : on sortait des disques à ses frais, sans businessplan, parce qu’on n’avait pas le choix, parce qu’on ne pouvait garder pour soi de tels secrets. Les grands labels ont ainsi toujours été question de goûts, de choix et donc de mauvaise foi : les artistes comptant plus que l’ego du fondateur et l’homogénéité, l’identité même de son entreprise, l’acheteur restait prêt à l’inconnu, à la surprise. Une leçon immortalisée par Rough Trade : l’excellence dans l’incohérence. Depuis neuf ans, le label parisien Ekler’O’Shock s’attache à n’être rattaché à aucune scène, aucune mouvance. “Rien n’est plus dangereux que d’être trop moderne ; on risque de devenir soudain ultradémodé”, ricanait Oscar Wilde. Le catalogue hétéroclite d’EOS, de l’electro qui fait mal aux jambes à la chanson française qui ouvre des portes de palais, préserve le label du chic de saison. Une compilation témoigne de la vivacité et de l’excentricité d’un label qui ne se met autrement jamais en avant, au-dessus de ses artistes : parmi les trésors dénichés depuis 2002, on ne se lasse pas des chansons dandy, à la John Barry, d’Alexandre Chatelard, des assauts discovandales de l’électronicien Data ou du songwriting instable de Sacha Di Manolo, Parisien traitant avec la même classe nonchalante folk, hip-hop ou electro. Ekler’O’Shock continue de dépeigner large, comme le prouvent ses dernières recrues, des BO mélancoliques sur növö piano de Maxence Cyrin aux expérimentations spatiales des fascinants Limousine. various artists EOS.MMX The Summer Solstice, Edition One (Ekler’O’Shock) www.eckleroshock.com

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encore de la prison pour Doherty ? les 2 Many DJ’s relancent leur Radio Soulwax Têtes pensantes des excellents Soulwax, offerts à la gloire internationale par les mash-ups extraordinaires enregistrés et joués live sous le sobriquet désormais fameux de 2 Many DJ’s, les frangins Dewaele viennent de redonner vie à Radio Soulwax et s’apprêtent à livrer une série de vingt-quatre mixes d’une heure intitulés Introversy, à découvrir en ligne chaque semaine sur leur site. http://radiosoulwax.com

A peine sorti de prison où il a passé deux mois pour possession de cocaïne, l’ex-Libertines pourrait se voir de nouveau condamné pour vol et effraction en Allemagne, où il a tourné le film Confessions d’un enfant du siècle avec Charlotte Gainsbourg. Le propriétaire du magasin de disques de Regensburg, auquel le rockeur aurait entre autres dérobé une guitare, s’apprêterait selon la presse anglaise à porter plainte contre lui. Récidiviste, Pete Doherty risque jusqu’à cinq ans de prison.

cette semaine

Drew Kaiser

we love Friendly Fires

Pitchfork organise son festival à Paris Le célèbre site américain de musique indie organisera deux jours de festivités à la Grande Halle de la Villette à Paris, les 28 et 29 octobre. Une dizaine de noms devraient bientôt rejoindre ceux de Bon Iver, Wild Beasts et Cut Copy déjà annoncés, ainsi qu’une surprise pour le samedi. www.pitchfork.com

Pour sa soirée de juillet, We Love Art invite l’ex-LCD Soundsystem James Murphy et les agités Friendly Fires au Parc floral pour un concert qui promet d’être très chaud. le 13 juillet à Paris (Parc floral), avec James Murphy, Friendly Fires, Superpitcher, Mount Kimbie et Nosaj Thing

Jarvis Cocker : un recueil en octobre Que Jarvis Cocker soit l’un des (sinon le plus grand) paroliers britanniques des vingt-cinq dernières années ne fait absolument aucun doute. Auteur de dizaines et de dizaines de textes grandioses, acides ou amers, hilarants ou désespérés, angoissés ou lumineux, le génial leader de Pulp et ses innombrables fans bénéficieront en octobre de la compilation de ses textes, dans un recueil publié par Faber en Grande-Bretagne, intitulé Mother, Brother, Lover: Selected Lyrics. Forcément indispensable.

neuf

Buddy Holly Pelican Fly

The Weeknd Seuls les utilisateurs de Minitel ont raté l’invasion virale de ce nom estropié. En offrant en téléchargement gratuit son album House of Balloons, premier volet d’une trilogie étalée sur l’été, le Canadien rejoignait l’élite de la dance music enkylosée, belle comme un r’n’b frappé de stupeur, de The XX à James Blake. the-weeknd.com

En lien direct avec les meilleurs labos soniques de Baltimore, Londres ou Paris, le label belge Pelican Fly participe au brasier qui pointe : grand nettoyage du dance-floor à l’acide et au trichlo dans cette dance music compressée, oppressante et déprimée, incarnée par le génial Mascotte de Richelle. Le grain de sel de Bruxelles. www.pelicanfly.tv

Cardinal En 1994, trois esthètes s’unissaient le temps d’un album de pop baroque et signaient quelques-unes des pop-songs les plus audacieuses tentées depuis Love ou Left Banke. Un chef-d’œuvre ignoré par le public, comme le seront les albums de ses membres Eric Matthews ou Richard Davies. Une riche réédition rend hommage à ce trésor absolu.

Premier geek officiel de l’histoire du rock, Buddy Holly n’a jamais cessé d’influencer tout un pan romantique et sensible de la pop music. Pour fêter en son absence ses 75 ans (il est mort en 59), ses héritiers (de McCartney à Cee-Lo Green, Patti Smith aux Black Keys, ou de Julian Casablancas à Lou Reed) se mobilisent sur un album hommage.

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cocktail party Premier album d’electro-pop lascive et rêveuse pour Washed Out, projet d’un Américain dont le laptop vous veut du bien.

cette musique se sirote à la paille, et s’inviterait sans souci chez Sébastien Tellier la nuit

Dan Wilton

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n évoquait, il y a quelques mois, la vengeance des geeks. Condamnés pendant des années par leurs lunettes, leurs pulls moches et leurs rapports privilégiés avec les ordinateurs au statut de surdoués solitaires de l’école, des anciens timides devenaient soudain les nouveaux héros de ces dames. Leurs noms : Hot Chip, Passion Pit, Metronomy… Le couronnement des geeks entériné, c’est au tour d’une autre catégorie de musiciens, plus modérée, de monter sur le trône. A mi-chemin entre les geeks et les rois du lycée, ils affichent un profil d’anciens étudiants discrets et polis – leurs pulls n’étaient ni beaux ni laids. Dans cette famille de musiciens, Ernest Greene – un nom comme échappé d’un roman policier – succède, avec son projet Washed Out, à Panda Bear, Toro Y Moi (qu’il a d’ailleurs fréquenté sur les bancs de l’université) ou Memory Tapes. Comme eux, l’Américain a tout appris seul dans sa chambre, le laptop posé sur le bureau. “J’ai grandi en Géorgie et je suis parti étudier dans le Colorado. Je me suis retrouvé seul avec du temps à tuer. La musique est devenue une obsession. Elle a longtemps été mon unique compagnon, je lui ai consacré mes journées et mes nuits. J’ai l’impression que nous sommes nombreux à afficher ce profil aujourd’hui, c’est un peu la gloire des timides.” Il y a deux ans à peine, le musicien met en ligne une poignée de titres sur le net. “Je n’avais jamais pensé enregistrer de

la musique sérieusement. Je pensais devenir instituteur. Je n’envisageais pas du tout une suite.” Elle arrive pourtant rapidement : en quelques heures, les blogs les plus savants de la planète voient en Greene le nouvel ambassadeur d’une scène de pop de chambre. Life of Leisure, un réjouissant premier maxi d’electro lo-fi, se charge alors de mêler ses influences. “J’aime l’idée de me situer quelque part entre le hip-hop, la pop et la dance-music. J’ai eu beaucoup de chance : le son que je développe est devenu à la mode au moment où je m’y suis mis, c’est un concours de circonstances.” La suite, aujourd’hui, c’est un premier album qui s’intitule Within and Without, qui a été enregistré avec Ben Allen (Deerhunter, Animal Collective) et qui fait l’effet d’un citron pressé au bord d’une piscine de Floride. A la fois sensuelle et rafraîchissante (Soft, You and I), la musique de Washed Out

est pareille à une fameuse boisson gazeuse censée inviter au plaisir des corps – elle se sirote à la paille, et s’inviterait sans souci chez Sébastien Tellier la nuit. “On a salué le côté minimaliste de mes morceaux, on en a fait quelque chose de sexy. La vérité, c’est que c’est la solution de facilité pour moi. Je n’aurais pas les compétences pour faire autrement”, avoue Greene avec modestie. Passionné d’arts visuels, l’Américain consacre la moitié de sa vie à la photographie, et aime décrire ses morceaux comme des instantanés. Passer dès aujourd’hui en mode diaporama est une bonne option pour quiconque cherche la joie. Johanna Seban album Within and Without (Weird World Records/Domino/Pias) concert le 7 août à Paris (Nouveau Casino) www.myspace.com/thebabeinthewoods 13.07.2011 les inrockuptibles 85

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Stefan Stern

Ricardo Villalobos (à gauche) et Max Loderbauer, voyage à travers le mythe ECM

odyssée sonore Sur le papier, le projet semble osé, voire rasoir : faire remixer l’élite du catalogue de musique contemporaine ECM par deux électroniciens en vue. Le résultat est un enchantement.

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eux musiciens électroniques entreprennent de retravailler des morceaux du catalogue ECM, label garant depuis 1969 d’une haute idée de la contemporanéité. Le projet peut sembler casse-gueule, voire casse-bonbons. Au final, le résultat s’avère tout bonnement magistral. Il faut dire que les deux musiciens en question sont loin d’être les premiers bidouilleurs venus. Max Loderbauer a dardé de puissants rayons avec Sun Electric et opère actuellement au sein

“ce projet constitue une forme d’émancipation vis-à-vis des clubs” Ricardo Villalobos

du Moritz von Oswald Trio. Quant au Germano-Chilien Ricardo Villalobos, astre de la technosphère actuelle, il est particulièrement réputé pour ses DJ sets homériques. De leurs communes investigations sonores est né Re: ECM, double album dont les dix-sept morceaux, formant un ensemble aussi ardent que cohérent, témoignent d’une entente optimale. Les rencontrer dans le studio berlinois de Villalobos, baraque plantée dans l’ombre imposante du club techno Berghain, rend cette entente encore plus frappante : quel que soit celui qui parle (le Germano-Chilien est sans conteste le plus loquace), tous deux semblent s’exprimer d’une même voix.

“Nous avons tous les deux grandi dans des environnements familiaux très propices à l’ouverture musicale, en ayant accès à de vastes collections de disques. Chacun de nous a découvert ECM vers l’âge de 12-13 ans, et notre passion pour ce label n’a jamais faibli. Pour nous, ECM signifie avant tout une grande pureté sonore et une grande exigence esthétique. Nous avons commencé à faire de la musique ensemble il y a cinq ans, sans objectif particulier. Et puis, lors d’une de nos sessions, en partant d’un morceau de Bennie Maupin, a jailli l’idée d’un projet basé sur le catalogue d’ECM. Lorsque quatre ou cinq morceaux ont été finis, Manfred Eicher (directeur et fondateur d’ECM – ndlr) est venu nous voir. Après avoir

écouté ce que nous avions fait, il nous a donné l’autorisation d’utiliser tous les morceaux que nous voulions, sans restriction.” De cette autorisation, les deux compères ont su faire un usage irréprochable, respectant l’identité du label tout en parvenant à donner un nouveau relief au matériau originel. Leur patte se ressent plus spécialement sur les morceaux les plus longs, qui sonnent comme de lancinantes invitations à la transe – sinon à la danse. “Ça fait des années que j’ai pris l’habitude d’insérer dans mes DJ sets des fragments du catalogue ECM, précise Villalobos, notamment des morceaux d’Arvo Pärt et d’Alexander Knaifel. Les morceaux que je compose s’apparentent toujours plus ou moins à des expériences sonores. Je cherche, et Max cherche également, à composer de la musique électronique expérimentale. Mais je n’oublie jamais le dance-floor. Ça reste une caractéristique vitale de ma musique. Un projet comme Re: ECM constitue une forme d’émancipation vis-à-vis des clubs – et aussi une façon de protéger mes oreilles, car elles souffrent beaucoup (rires)…” Les nôtres ne souffrent pas une seconde au contact de Re: ECM, mais s’ouvrent tout du long, happées vers une terra incognita flottant superbement entre électronique et organique. Jérôme Provençal album Re: ECM (ECM/Universal) www.ecmrecords.com

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Dona Confuse Ghost Healers’ Fascinating Box Ted Bois

Le Son du Maquis/ Harmonia Mundi

Destroyer Kaputt Dead Oceans/Differ-ant La pop sans limites d’un crooner canadien formidable. e cerveau secoué comme un Orangina de Destroyer s’appelle Bejar, mais il faudrait franchement être daltonien des oreilles pour lui reprocher de faire dans le beige art : loin des sépias de la pop rabâchée, c’est un songwriting bariolé qu’offre l’excentrique Canadien. Disciple de Bowie, de Broadway et de tous ceux pour qui la pop est un art illimité, désinhibé, ce fugueur des New Pornographers bâtit depuis une dizaine d’albums une discographie ambitieuse, obsessive même, comme d’autres reproduisent le Carnegie Hall avec des allumettes : un art du détail qui en fait, avec ses manières angéliques, l’un des songwriters les plus radicaux de sa génération. Car qu’il s’attaque, comme ici, aux musiques fantasmées pour after-disco du début des années 80 (pensez Blow Monkeys, Orange Juice, Lotus Eaters, Prefab Sprout…) comme il s’était attaqué, sur Your Blues (2004), à la pop symphonique, c’est toujours avec ampleur, de l’intérieur, en toute intimité et éloquence, en immersion et en ennemi du kitsch comme du cliché. Un trésor caché qu’il serait judicieux de fêter avec tambours, trompettes, violons et mellotrons, de son vivant. Avant que le monde tel qu’on le connaî(ssai)t ne soit effectivement kaputt. JD Beauvallet

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www.myspace.com/destroyer

Du rock narcotique, venu du cosmos et atterri à Toulouse. A Toulouse, le cosmos est à portée de main : il suffit de s’embarquer en clandestin dans une des fusées entreposées à la Cité de l’Espace. C’est visiblement là, peut-être dans la vaste station Mir (couleurs), que Dona Confuse a installé son studio, à l’écoute contemplative d’étranges signaux venus d’ailleurs. Ailleurs, c’est souvent ici la Grande-Bretagne qui, de Pink Floyd à Brian Eno, de Thom Yorke aux Boards Of Canada, fournit à ces mélopées flottantes leur plan de vol, libre et impassible. Dans une veine assez proche de M83 et donc Tangerine Dream, Dona Confuse compose ainsi avec des bruits blancs, de l’écume, des nuages, des murmures, des soupirs, des parasites, des dérèglements et des échos éternels de bien ravissantes symphonies de poche – il faudra des poches particulièrement vastes pour accueillir cette BO de la Voix lactée. Simon Triquet www.donaconfuse.fr 13.07.2011 les inrockuptibles 87

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Dye Taki 183 Tigersushi

Miami Horror Illumination EMI La pop à la fois mélancolique et fêtarde d’Australiens cool. ans un français cinéphile de ascendance et descendance (Kraftwerk/ contrebande, une chanson s’appelle Moroder d’un côté, Daft Punk de l’autre), Grand Illusion. La grande illusion, dans ce va-et-vient lubrique entre orgasme c’est d’entendre New Order chez et chagrin, funk moite et chant sec, sueur des nerds venus de Melbourne, Australie. et larmes. Le groupe redéfinit ainsi toute New Order en pleine forme : un pied sur le la coolitude d’une certaine pop music dance-floor, l’autre dans les nuages, la tête insouciante, qui porte des lunettes de soleil dans la lune et les gestes dans les maths. dans la nuit, des pupilles dilatées comme Si l’hommage se rapproche du pastiche sur une assiette de fruits de mer et une morgue le brillant Sometimes, tube absolu pour qui que seuls peuvent s’offrir les authentiques aime se trémousser d’un air douloureux, il anxieux, les tatillons contrariés. Miami est plus insidieux ailleurs. Dans cette façon, Horror n’étant pas né avec cette sensualité notamment, d’obliger spleen et liesse à se débraillée, avec cette fantaisie tonitruante, livrer à un frotti-frotta indécent, rarement il les porte avec d’autant plus de classe aussi maîtrisé que dans ce club-boxon. et d’insolence. JD Beauvallet Pas un hasard si on croise ici les ombres www.miamihorror.com de New Order donc, mais aussi leurs

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L’electro-pop nostalgique d’un Français au riche CV. Ceux qui, en France, aiment la dance music de traviole connaissent déjà Dye. Sous le nom de Juan De Guillebon, il a offert sa basse animale à Botox ou Joakim. Là, ce n’est pas sa basse mais une vie de fan, d’érudisco qu’il offre en pâture. Une vie riche de sons obliques et pourtant dansants : l’érudit Taki 183 a installé son dance-floor dans les épines, au bord du vide. Car si on danse, la lumière est noire : la nostalgie des insouciances adolescentes vire vite au spleen, la liesse à la gueule de bois. Qu’importe : le DIY de Dye est délicieux. Lucie Dunois www.facebook.com/thedye

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Ichliebelove Life-Enhancing Solutions We Are Unique/La Baleine

Une vie de fan de musiques défoncées racontée en un album. Parmi les “solutions qui améliorent la vie” que préconise le titre de l’album, on trouverait sans doute : la méditation joyeuse, la danse de traviole, l’écoute religieuse du rock planant et flamboyant d’une Angleterre nineties hagarde de drogues – de Spiritualized à Primal Scream. Pendant son long trip à travers les musiques diffractées, déréglées, du baggy au shoegazing, du krautrock au psychédélisme, le Tourangeau a joué le buvard : il n’en a pas perdu une miette, il raconte toutes ces histoires en une, amoureuse, toute en couleurs impétueuses. Simon Triquet www.ichliebelove.com

Para One & San Serac

Benjamin Biolay Pourquoi tu pleures ?Naïve Pour le cinéma, une jolie collection de chansons amoureuses par BB. enjamin Biolay est énervant : lorsqu’il emprunte son Reste-moi là où quiconque se fidèle à Enrico Macias – c’est dire. vautrerait lamentablement, Entre bossa-nova, pop, folk il brille de mille feux. et chanson douce, Pourquoi Revisitant le Mon amour ma chérie tu pleures ? est plein de charme, d’Amadou & Mariam avec un malgré quelques faux pas simple piano, il fait de la chanson (Pas la forme). Dans le film, BB joue un poème simple et bouleversant. un jeune homme sur le point Ce trésor illumine la bande de se marier. C’est souvent pour originale qu’il signe cet été pour le meilleur et pour le meilleur Pourquoi tu pleures ?, le film avec lui. Johanna Seban de Katia Lewkowicz dont il tient www.benjaminbiolay.com le premier rôle. Même réussite

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Slice & Soda Six Pack France Un activiste de l’electro française et un crooner américain : joli couple. Entre le hip-hop de l’adolescence, la production audacieuse, entre autres, de TTC, ses études à la Fémis (son petit film génial : It Was on Earth That I Knew Joy), les BO, les DJ sets hooligans et les chansons pour Alizée, Para One n’est pas du tout le slacker qu’il simule être. A 30 ans passés, il s’offre une pause bilan et taille dans une matière souple, légère et chamarrée un funk espiègle comme en raffole Hot Chip : du sur mesure pour la voix de crooner snob de l’Américain San Serac, avec qui il forme Slice & Soda, qui fait somptueusement rimer Chicago, disco et italo. JDB www.myspace.com/sliceandsoda

Sonny Simmons, Delphine Latil

Michel Kristof

Symphony of the Peacocks Improvising Beings/Orkhêstra Rencontre étonnante de cuivres free-jazz et d’une harpe classique. Certains musiciens ne s’essoufflent pas. commune ? A l’écoute du disque, la réponse Il en est même qui continuent à avoir est non. Mais peu importe, car on trouve le verbe haut : c’est le cas de Sonny sur Symphony of the Peacocks un folk inédit Simmons lorsqu’il porte en bouche dans lequel un cor vindicatif ou un alto un cor anglais (son premier instrument) vitupérant n’en finissent pas de se prendre ou un saxophone alto (avec lequel le pavillon dans les cordes. C’est rare, il s’est fait entendre auprès de Don Cherry, et même mystique. Guillaume Belhomme Eric Dolphy ou Sonny Rollins). www.sonnysimmons.org Figure historique du free-jazz, Simmons n’en trahit pas moins un intérêt des plus classique pour les cordes et enregistre ici en duo avec la harpiste Delphine Latil. Est-il vraiment possible que jazz et classique fassent musique de chambre

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Madeleine Peyroux Standing on the Rooftop Emarcy/Universal

Jazz délicat et chansons intimistes égaient le nouvel album de l’Américaine. Madeleine Peyroux semble aimer les parties de cache-cache. Après chaque disque, l’Américaine disparaît dans la nature – en 2004, sa maison de disques avait engagé un détective privé de peur de perdre sa trace. La position géographique de la chanteuse est pourtant simple : entre Billie Holiday et Judy Garland, Joni Mitchell et Norah Jones. Son nouvel album s’ouvre sur une époustouflante réinterprétation de Martha My Dear, la chanson que McCartney avait composée pour sa chienne. Madeleine Peyroux y chante comme Feist, flirtant plus que jamais avec le format pop. Celle qui avait revisité Fred Neil ou Elliott Smith sur Careless Love s’attaque brillamment au Love in Vain de Robert Johnson. Epaulée par Marc Ribot et Me’Shell Ndegeocello, elle signe un disque gracieux, dont les quelques lourdeurs (The Kind You Can’t Afford) sont pardonnées par son timbre, plus léger qu’une plume. Plus le droit de dire que c’est pas le Peyroux – Madeleine vaut de l’or. J. S.

Kaiser Chiefs The Future Is Medieval Fiction/AZ/Universal Rusé et démagogue, un album de pop emphatique fait de dizaines d’albums de pop. n Angleterre, on le futur est effectivement anglaise chez Kaiser les appelle le KKK : ici histoire de passé. Chiefs. Au départ, avant trois groupes sur On dit que c’est à sa façon cette sortie physique lequels l’industrie d’accomoder les restes de treize titres, les fans – notamment celle, lourde, qu’on reconnaît un grand pouvaient déjà eux-mêmes des festivals – avait chef : à cet exercice, bâtir leur album, parié qu’ils deviendraient les Kaiser Chiefs ne créent en achetant dix titres parmi des monstres de stades rien de neuf, mais recyclent les vingt téléchargements faisant claquer les drapeaux proposés (pour une avec une malice et un au vent et beugler en entrain communicatifs des douzaine d’euros, pochette chorale instable les mâles pans entiers d’une histoire personnalisée comprise). houblonnés. Aucun des qui ne se croisaient Nouvelle technique trois n’a atteint le statut pas avant ces chansonsde commercialisation escompté par ces business- rusée pour gruger un peu collages. plans machiavéliques Bien sûr, les recettes les charts, mais qui – Coldplay ou U2 restent, virent un peu, après quatre aurait mérité une offre plus comme l’a prouvé le récent albums, au fast-food mais plantureuse : on doute Glastonbury, les valeurs il reste ici, entre deux même que certaines refuges de ces kermesses – chansons, faces Z plutôt ragoûts peu ragoûtants mais The Kooks, Kasabian et trois chansons graillons, que faces B, aient et Kaiser Chiefs ne sont de vraies trouvailles à l’arrivée trouvé preneur pas à l’abri du tube de pop populaire, voire au-delà du cercle qui les propulserait dans démagogique (Child of des fans hardcore. cette Premier League the Jago, When All Is Quiet, Compacté pour aux revenus vertigineux. Dead or in Serious Trouble) The Future Is Medieval, Les trois, en quelques qui, une fois encore, ce catalogue se resserre mois, reviennent feront merveille sur scène autour des fondamentaux d’ailleurs avec un appétit – là où le cynisme anglais, voire rabelaisien : album du rock-critic se dissout anglocentriques : des poplum pour Kasabian, dans la transpiration. Beatles à Madness, JD Beauvallet songwriting appliqué de Bowie (ou est-ce et abondant chez The Kooks Gary Numan, sa version www.kaiserchiefs.com et leçon d’histoire Findus ?) à Pink Floyd,

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Mary Ellen Mark

www.madeleinepeyroux.org

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Stay + Stay +/Young Luv Double Denim Records Glacée et pourtant torride, de la dance-music idéale pour l’Apocalypse. ous le nom sulfureux de surtout que nous sommes bel Christian Aids, vite interdit et bien entrés dans une période par l’œuvre caritative de glaciation, qui a visiblement Christian Aid, ce collectif touché Manchester avant mystérieux de Manchester s’est fait le reste de l’Europe. Entre vacarme un joli nom sur tous les danceindustriel, rave qui vire au carnage floors. On parle de ceux de Shéhol, et dubstep étranglé, ces deux titres Géhenne ou Saqar, quartiers aussi obsédants qu’accablants chauds de l’enfer. Bal des composent le générique d’un truc zombies : c’est Joy Division qui sans doute important à venir. revient, hagard, danser sur Ça va mal finir : dans les larmes, les décombres de Madchester. le sang et le feu. JD Beauvallet Cette musique blafarde, des années après Burial, confirme christianaids.bandcamp.com

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Total Slacker Crystal Necklace Auteurs d’une poignée de bons singles, décrits par ceux qui veulent absolument les décrire comme du shitgaze, du shoegaze plus traînant et crasse, ces Américains – dont le batteur est le petit frère de Zach Condon de Beirut –, s’extraient à coups de guitares saignantes et de mélodies lascives de la nasse indie. www.myspace.com/totalslackerband

The Horrors Still Life Nouveau single de Farid Badwan et sa bande, Still Life promet un retour brillant aux Anglais, dont le troisième album, Skying, est à écouter d’urgence en avant-première sur lesinrocks.com. www.lesinrocks.com

April Fool Killing Kiss Digne héritier du post-punk des années 80, April Fool revendique des compositions garage-pop à l’énergie décomplexée, véritable défouloir d’une société en crise. Sortez les extincteurs, cette bande-là risque de déclencher une émeute www.lesinrockslab.com/april-fool

Unknown Mortal Orchestra Ffunny Ffriends Quelque part entre Of Montreal et MGMT, le nouveau groupe de Ruban Nielson, néo-zélandais d’origine, livre un psychédélisme funk, taré mais tubesque sur ce titre extrait de son premier album. http://unknownmortalorchestra.com 92 les inrockuptibles 13.07.2011

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Dès cette semaine

Angus & Julia Stone 14/7 Aix-lesBains, 16/7 Carhaix, 22/7 Lyon, 23/7 Six-Foursles-Plages, 24/7 Arles Asa 19/10 Paris, Zénith Asian Dub Foundation 23/7 Biarritz, 19/10 Caen, 20/10 Limoges, 21/10 Cahors, 22/10 Toulouse, 2/10 La Rochelle, 27/10 ClermontFerrand, 28/10 Besançon, 29/10 Meisenthal, 10/11 Beauvais, 11/11 Cognac Beirut 12/9 Paris, Olympia The Black Lips 28/9 Tourcoing, 30/9 Paris, Cigale, 1/10 Marseille, 3/10 ClermontFerrand, 4/10 Lyon Brigitte 31/10 Paris, Olympia Camille Du 1er au 13/9 à Paris, couvent des Récollets Clap Your Hands Say Yeah 12/9 Paris, Maroquinerie Concrete Knives 14/7 SaintTropez, 15/7 Musillac, 16/7 La Rochelle, 28/8 Saint-Cloud, 21/10 ClermontFerrand, 11/11 Villefranchesur-Saône, 25/11 Brest Da Brasilians 14/7 Les Sablesd’Olonne, 15/7 SaintBrévin-les-Pins, 21/7 Blois Deus 14/10 Le Havre, 19/10 Strasbourg, 20/10 Dijon, 21/10 Lyon, 22/10 ClermontFerrand, 24/10 Paris, Trianon, 25/10 Caen, 27/10 Bordeaux, 2/10 Vendôme, 29/10 Reims, 30/10 Lille

Fiest’A Sète Du 25/7 au 8/8 à Sète, avec Afrocubism, Seun Kuti, Maceo Parker, Ebo Taylor, etc. Electrelane 22/7 Paris, Glazart Family Of The Year 16/7 Carhaix Bryan Ferry 21/7 Arles, 22/7 Carcassonne, 25/7 Lyon, 30/7 Monte-Carlo Thomas Fersen 5/3/12 Paris, Olympia Festival Astropolis Du 28 au 30/8 à Brest, avec Laurent Garnier, Cassius, Carl Craig, The Shoes, The Toxic Avenger, Nouvelle Vague, La Femme, etc. Festival BB Mix Du 21 au 23/10 à BoulogneBillancourt, avec Silver Apples, The Monochrome Set, Etienne Jaumet & Richard Pinhas, Arch Woodman, Zombi, The Luyas, Bardo Pond, etc. Festival Cabaret Vert Du 26 au 28/8 à CharlevilleMézières, avec Vitalic, The Bewitched Hands, Lilly Wood & The Prick, The Shoes, Selah Sue, etc. Festival Les Inrocks BlackXS Du 2 au 8/11 à Paris, Nantes, Lyon, Marseille et Toulouse, avec Friendly Fires, Dum Dum Girls, Florent Marchet, Alex Winston, Yuck, James Blake, Miles Kane, Timber Timbre, Saul Williams, Ema, Agnès Obel, La Femme, Cults, Morning Parade, Wu Lyf, Foster The People, etc. Festival Les Nuits Secrètes 5, 6 & 7/8 à AulnoyeAymeries, avec Katerine, Peter, Bjorn & John, Gablé, Wild Beasts, etc.

Les Francofolies Du 12 au 16/7 à La Rochelle, avec Cocoon, The Dø, Yelle, Katerine, Asa, etc. Lulu Gainsbourg 2/11 ClermontFerrand, 8/11 Paris, Casino de Paris, 10/11 Bruxelles, 12/11 Saint-Lô Le Grand Souk all VIP Du 21 au 23/7 à Ribérac, avec Two Door Cinema Club, Katerine, The Bewitched Hands, Tahiti 80, Violens, etc. Nick Howard 19/10 Paris, Flèche d’Or Hushpuppies 15/7 La Rochelle Jehro 10/10 Paris, Cigale

Kaiser Chiefs 29/11 Olympia Miles Kane 15/7 Carhaix, 26/8 Saint-Cloud Kasabian 16/7 Aix-lesBains, 22/11 Paris, Zénith Kill The Young 25/9 Arras, 7/10 Avignon, 8/10 Mulhouse, 14/10 Rennes, 15/10 Guéhenno, 11/11 Nancy The Kooks 18/10 Paris, Casino de Paris, 19/10 Bordeaux, 20/10 Toulouse, 24/10 Lyon L 5/10 Paris, Café de la Danse The Lanskies 16/7 Bôle, 23/7 Briouze Metronomy 21/7 Biarritz, 5/10 Dijon, 6/10 Caen, 7/10 Lille, 8/10 Reims, 8/11 Lyon, 9/11 Montpellier, 10/11 Paris, Olympia, 11/11 Amiens,

12/11 Nantes, 13/11 ClermontFerrand Connan Mockasin 7/10 Strasbourg, 10/10 Paris, Maroquinerie, 11/10 Lille, 1/10 Marseille Nasser 15/7 Carpentras, 16/7 Carhaix, 20/7 Nyon, 29/7 Domaize, 6/8 TrévouTréguignec, 10/8 Pau, 12/8 Luxey, 20/8 Centrès, 27/8 Saint-Thélo, 10/9 Chatou, 29/9 Montpellier, 1/10 Nantes, 8/10 Nancy Les Nuits de Fourvière Jusqu’au 30/7 à Lyon, avec Arctic Monkeys, Catherine Ringer, Beirut, Lou Reed, Two Door Cinema Club, Agnes Obel, Tame Impala, etc. Agnes Obel 15/9 Lille, 16/9 Rouen, 17/9 Laval,

19/9 Toulouse, 23/9 Bordeaux, 20/10 Limoges, 21/10 Poitiers, 22/10 La Rochesur-Yon, 24/10 Brest, 25/10 Vannes, 26/10 Angers, 28/10 Marseille, 29/10 Nice, 1/11 Lyon, 2/11 Paris, Casino de Paris, 3/11 Caen Oh Land 1/11 Paris, Maroquinerie Other Lives 1/9 Paris, Flèche d’Or Peter Philly 13/10 Paris, Point Ephémère, 14/10 Bruxelles Catherine Ringer 14/7 Lyon, 16/7 Six-Foursles-Plages, 20/7 Biarritz, 21/7 Carcassonne, 22/7 Arles, 30/7 Malestroit, 4/10 ConflansSainte-Honorine, 8/10 Rennes, 10/10 Nancy, 11/10 Montpellier, 14/10 Rouen, 19/10 Toulouse, 22/10 Genève,

26/10 Troyes, 8/11 Paris, Olympia, 17/11 Strasbourg, 22/11 Lille Rock en Seine Du 26 au 28/8 à Saint-Cloud, avec The La’s, Interpol, Foo Fighters, Arctic Monkeys, The Kills, Blonde Redhead, Herman Dune, Cage The Elephant, Anna Calvi, Miles Kane, The Vaccines, etc. Gaëtan Roussel 15/7 Aix-lesBains, 16/7 Macon, 17/7 Dour, 23/7 Ribérac, 24/7 Sedan, 25/7 Bandol, 27/7 Pau, 28/7 Cognac, 30/7 Estavayerle-Lac, 2/8 Ramatuelle, 3/8 Nice, 4/8 Saint-Hilairede-Riez, 5/8 Crozon, 11/8 Colmar, 27/8 Metz, 31/8 Châlonsen-Champagne, 2/9 Dijon,

3/9 Lyon, 16/9 La Courneuve, 17/9 Saint-Nolff, 23/9 Rodez La Route du Rock Du 12 au 14/8 à Saint-Malo, avec The Kills, Fleet Foxes, Blonde Redhead, Mogwai, Battles, Electrelane, Crocodiles, Cat’s Eyes... Royal Republic 22/10 Amiens, 7/11 Lyon, 8/11 Angers, 9/11 Paris, Flèche d’Or, 10/11 Rouen Santigold 6/9 Paris, Gaîté Lyrique Omar Souleyman 14/9 Paris, Point Ephémère, 16/9 Lyon

En location

Selah Sue 16/7 Aix-lesBains, 20/7 Arles, 27/7 Six-Foursles-Plages, 29/7 Vienne, 30/7 Malestroit, 3/8 Saint-Florent, 27/8 CharlevilleMézières, 2/11 Paris, Olympia Swans 22/7 Paris, Maroquinerie The Toxic Avenger 16/7 Villefranche-surMer, 29/7 Brest, 30/7 Domaize, 29/9 Paris, Cigale Erik Truffaz 4/11 Paris, Trianon TV On The Radio 13/7 à Paris, Olympia

Stromae 3/11 Paris, Olympia

We Love Fantasy 13/7 Paris, Parc floral, avec James Murphy, Friendly Fires, Superpitcher, Mount Kimbie, Nosaj Thing

Success 27/8 Bréalsous-Montfort

Patrick Wolf 7/11 Paris, Maroquinerie

The Strokes 20/7 Paris, Zénith

aftershow

Les Eurockéennes de Belfort Du 1er au 3 juillet

Tyler The Creator

Yannick Bossez

Ellen Alien 13/7 Paris, Espace Cardin

Nouvelles locations

Le soleil tape très fort lorsqu’on arrive sur le site des Eurockéennes qui promettent encore cette année de grands concerts, à commencer par celui des farfelus Savy Fav, leur rock jusqu’auboutiste et leur inénarrable leader en slip que l’on préférera largement aux shows plus costauds (mais moins drôles) de Motörhead et Kyuss Lives!. Côté jeunes pousses, Wu Lyf et Odd Future – dont le cerveau, Tyler The Creator, venu en chaise roulante et plâtré après s’être cassé le pied – volent la vedette à leurs ennuyeux aînés Beth Ditto et Beady Eye, programmés en même temps. Tandis que, comme Metronomy, le Staff Benda Bilili transforme le festival en fête de fin d’année géante, c’est chez la brillante Anna Calvi que l’on viendra prendre une leçon de rock et de chant sur la scène de la Greenroom qu’House Of Pain secouera plus tard au son du mythique Jump around, avant de laisser la place, le lendemain, à l’amuseur public Katerine et son one-man show irrésistible. Les trois plus grosses claques du festival sont pourtant données par des monuments déjà bien installés et très attendus : Queens Of The Stone Age et son stoner-rock brûlant, Arcade Fire, toujours aussi impressionnants, et Arctic Monkeys, dont le show rodé et testostéroné clôture les Eurocks en beauté. Ondine Benetier 13.07.2011 les inrockuptibles 93

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spécial

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pseudosune

Il existe mille et raisons de prendre un pseudonyme la en littérature. Tour de es qu el question avec qu grands “noms”.

le nom du non Masque, travestissement, changement de genre, le pseudonyme a permis à nombre d’écrivains de se libérer d’une identité trop restrictive. Un essai qui vient de paraître aux Etats-Unis nous en livre les clés à travers l’étude de plusieurs cas.

 L

ongtemps avant James Dean, Ian Curtis ou Kurt Cobain, il aura inventé le mythe du “live fast, die young” : en août 1770, un poète de 17 ans avale dans une mansarde d’Holborn une dose létale d’arsenic. Au cours des deux siècles suivants, sa mort inspirera peintres, poètes et musiciens – d’un portrait préraphaélite d’Henry Wallis à un roman de Peter Ackroyd et d’un drame romantique d’Alfred de Vigny à un tube sixties de Serge Gainsbourg, on ne compte plus les hommages rendus à un auteur qui, de son vivant, ne signa jamais la moindre de ses œuvres. Car, plume en main (et dictionnaire d’anglais médiéval sur les genoux), Thomas Chatterton se glissait dans la robe de bure d’un moine du XVe siècle, Thomas Rowley. Et, dans une langue aussi lyrique que truffée d’archaïsmes, concoctait des odes présentant suffisamment de gages d’authenticité pour abuser nombre d’érudits. Trois siècles plus tard, la brève carrière littéraire de Thomas Rowley trouvera un écho dans celle de JT LeRoy, l’ado white trash, transexuel et prostitué derrière lequel se dissimule en 1996 une trentenaire rousse et rusée, Laura Albert. Culte de l’immaturité et fascination postmoderne pour l’indétermination sexuelle obligent, on n’a plus affaire à un môme se faisant passer pour un adulte mais à l’exact inverse… En revenant dans l’introduction de Nom de plume – A (Secret) History of Pseudonyms sur la retentissante affaire JT LeRoy, la journaliste américaine Carmela Ciuraru fait du goût de la supercherie (où du désir de s’infiltrer dans tous les créneaux du marché

hommes de papier En 1832, Victor Hugo s’enthousiasme pour “le plus beau roman de mœurs publié en France depuis vingt ans”. L’auteur d’Indiana, monsieur George Sand, se nomme en fait Aurore Dupin, aime se déguiser en homme et collectionne des amants des deux sexes. En 1858, la presse londonienne salue la publication d’histoires attribuées à “un homme d’église… aimant les enfants, les dramaturges grecs et les

chiens”. Derrière le clergyman en question se cache en fait Marian Evans qui, sous le nom de George Eliot, léguera à la littérature anglaise deux de ses chefs-d’œuvre, Middlemarch et Le Moulin sur la Floss. En 1934, le New York Times trouve que les personnages d’un certain “Mr Dinesen” manquent de chair. L’auteur de La Ferme africaine est aujourd’hui plus connue sous le nom de Karen Blixen.

de la culture) l’une des clés du recours à une identité fictive. Paritairement divisés entre biographies d’écrivains (généralement hétéros) et de femmes de lettres (souvent lesbiennes), les seize chapitres de son “histoire (secrète) des pseudonymes” mettent toutefois en lumière les multiples autres fonctions que peut remplir un pseudo. Avant tout, écrire sous un nom d’emprunt permet de prestement bâillonner son surmoi, de désinhiber son imagination et de décomplexer sa plume. Ou encore de scier les barreaux de l’autocensure et d’envoyer valdinguer une conception carcérale de l’identité. Depuis l’ère élizabéthaine – chez Shakespeare, le roi Lear déniait à quiconque le droit de lui dire qui il était –, la littérature anglaise fournit de multiples exemples d’un tel refus de se voir assigner à résidence dans un domicile identitaire fixe, de fuguer loin des pieuses conventions pour mieux aller arpenter les landes du fantasme et se frotter aux ronces de l’interdit. Au début du XIXe siècle, c’est en masquant leur féminité que les sœurs Brontë s’inventent une destinée, Anne, Charlotte et Emily devenant respectivement Acton, Currer et Ellis Bell – ce qui évitera aux débordements de violence physique et psychique des Hauts de Hurlevent d’être associés à une fille de pasteur irlandais. A l’aventure des trois sauvageonnes du Yorkshire répond, dans l’ultime chapitre de Nom de plume, celle d’une femme aux trois patronymes – Dominique Aury, née Anne Desclos mais devenue, sous le nom de Pauline Réage, la scandaleuse et célébrissime auteur d’Histoire d’O. Entre ces figures de femmes contraintes de se réinventer s’insèrent les cas de poids lourds de la littérature patrimoniale (Mark Twain/Samuel Clemens ou George Orwell/ Eric Blair), des inconnus parfois illustres (Henry Green/Henry Yorke), des suicidées plus (Victoria Lucas/Sylvia Plath) ou moins (James Tiptree Jr./Alice Sheldon) connues et un (?) écrivain absolument hors norme, Fernando Pessoa. Doté, en guise de miroir, d’une boule à facettes survoltée, l’auteur du Livre de l’intranquillité était le théoricien de l’hétéronymie – une “œuvre hétéronyme” étant, pour lui, celle d’un “auteur écrivant en dehors de sa propre personnalité”. Des personnalités alternatives (et souvent en conflit), Pessoa s’en découvrit plus

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renaissance

JT LeRoy, faux auteur et vraie supercherie

refus de se voir assigner à résidence dans un domicile identitaire fixe de soixante : mi-Fantômas, mi-Zelig, ce phénomène à l’inspiration polycéphale reste un inégalable modèle de plasticité littéraire. A force d’explorer des carrières placées sous le signe de la dualité, l’ouvrage de Ciuraru finit parfois par succomber à une forme de schizophrénie. Si, en surface, il célèbre les vertus du travestissement, une tendance à la délation finit par y transparaître. Digne d’un quiz pour presse people, le caractère racoleur des accroches placées en ouverture de chapitre (“elle aimait les chaînes et les fouets” ou, plus tordu, “se curer le nez lui procurait une jouissance sexuelle” – qui ça ? Sylvia Plath) relève du sensationnalisme de bas étage

– faire de Patricia Highsmith (qui, plus qu’à sa saga d’un as de l’imposture nommé Tom Ripley doit sa présence dans le livre à une romance saphique qu’elle signa Claire Morgan) une détraquée cachant des escargots sous ses seins afin de leur faire franchir la douane revient à outrancièrement privilégier le “misérable petit tas de secrets” auquel Malraux réduisait toute vie. Si le recours à un pseudonyme doit ainsi entraîner des vocations de limiers portés sur l’outing, la préservation d’un minimum d’intimité risque de passer par l’apparition d’écrivains en pixels, frères sans chair de S1mOne, la star d’Hollywood virtuelle dont le prénom fournit en 2002 le titre d’un passionnant film d’Andrew Niccol. Bruno Juffin Nom de plume – A (Secret) History of Pseudonyms de Carmela Ciuraru (Harper), en anglais, 244 pages, 24,99 $ (18 €)

Brad Renfro/Bloomsbury

Et l’enchanteur Gary créa Ajar pour mieux renaître, s’affranchir du réel et écrire un roman total. Parmi tous les cas de pseudos, le plus flamboyant fut peut-être celui de Romain Gary/Emile Ajar. Le plus fascinant aussi : Gary écrivit sur ce cas, s’expliqua, se livrant encore plus lui-même au lieu de s’échapper dans la vitesse de la démultiplication de soi. Il écrit Pseudo, un roman sur la folie de l’écrivain à être autre, à ne supporter aucune limite ni assignation à résidence d’une identité ; il conclut l’affaire avec le beau texte Vie et mort d’Emile Ajar en 1981, dans lequel il écrit : “La vérité est que j’ai été très profondément atteint par la plus vieille tentation protéenne de l’homme : celle de la multiplicité. Une fringale de vie (…).” Et plus loin : “Dans un tel contexte psychologique, la venue au monde, la courte vie et la mort d’Emile Ajar sont peut-être plus faciles à expliquer que je ne l’ai d’abord pensé moi-même. C’était une nouvelle naissance. Je recommençais. Tout m’était donné encore une fois. J’avais l’illusion parfaite d’une nouvelle création de moi-même, par moi-même. Et ce rêve de roman total, personnage et auteur, dont j’ai si longuement parlé dans mon essai Pour Sganarelle, était enfin à ma portée.” Le pseudo : une création de soi comme personnage de fiction. M’ont toujours troublée ces titres en forme de noms propres. Deux noms sur la couverture du roman : celui de l’auteur et de sa créature… A moins que ce ne soit l’inverse ? Ou encore : l’auteur et son pseudo. Flaubert et Madame Bovary, Nabokov et Lolita, Tolstoï et Anna Karénine, autant de réinventions de soi ou de renaissances en autres, c’est-à-dire en femmes, pour mieux s’affranchir des limites d’un genre, d’une vie masculine et bourgeoise, d’une vie d’écrivain. Et peut-être est-ce dans cet enjeu, l’affranchissement d’un soi, cette narration dictée par la société et le roman familial, que réside la marque des plus grands écrivains.

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Histoire d’O de Just Jaeckin, d’après Pauline Réage, alias Dominique Aury

le pseudo cache-sexe

En prenant le nom de Pauline Réage, la secrétaire de la NRF, discrète jusqu’à l’effacement, se dédouble. Derrière son masque, la “clandestine” provoque, excite et séduit. Devenir autre, jusqu’à disparaître ? “J’écris pour effacer mon nom.” La phrase, qui rappelle la “disparition élocutoire du poète” prônée par Mallarmé, est de Georges Bataille. Archiviste à la Bibliothèque nationale, il ne souhaitait pas être reconnu comme l’auteur d’Histoire de l’œil. Mais son désir d’anonymat relève davantage d’une démarche à la fois psychanalytique et littéraire. C’est son analyste qui l’encouragea à écrire ce livre. Bataille le publie en 1928 sous le pseudonyme de Lord Auch (il en prendra d’autres), nom qui, raconte-t-il “se rapporte à l’habitude d’un des (mes) amis : il ne disait plus ‘aux chiottes !’, abrégeait, disait ‘aux ch”. En écrivant Histoire de l’œil, récit des expérimentations sexuelles du jeune narrateur et de son amie Simone, Bataille se soulage de ses fantasmes et obsessions d’enfance. L’auteur s’efface, se retire, pour laisser le lecteur jouir pleinement du corps du texte. Elisabeth Philippe

Trop “sale” pour mériter un nom propre ? La littérature érotique s’écrit souvent sous pseudonyme. Quand le nom d’emprunt sert de cache-sexe. errière le masque, de l’éros, obscurs sujets Ce roman est avant les fantasmes. du désir. Honte ? tout celui d’une femme Il suffit d’un loup, Fausse pudeur ? Peut-être éperdument amoureuse d’un bandeau certains ont-ils aussi qui, à travers ce texte, s’est de cuir ou de satin, de jugé ces écrits indignes offerte – littéralement – masques vénitiens, comme du reste de leur œuvre. corps et âme à son amant, dans l’orgie baroque d’Eyes Guillaume Apollinaire (né Jean Paulhan. Il l’avait Wide Shut de Kubrick, pour Wilhelm Albert Wlodzimierz mise au défi d’écrire un tel que le visage disparaisse Apolinary de Wazlivre. Toujours dans sa et qu’avec lui identité Kostrowitzky) n’a pas signé confession au New Yorker, et inhibitions s’abolissent. de son nom de plume Dominique Aury expliquait : Seuls subsistent le corps, ses textes érotiques. Mirely “Je n’étais pas jeune, je la chair, abandonnés ou le petit trou pas cher, n’étais pas jolie. Il me fallait au désir et aux pulsions. Les Exploits d’un jeune don trouver d’autres armes.” Lorsqu’ils s’aventurent juan ou Les Onze Mille Verges Ce sera la littérature. sur le terrain de l’érotisme, parurent sous couverture les écrivains aussi muette ou seulement signés avancent masqués. Ils des initiales G. A. préfèrent utiliser un nom Mais des raisons plus d’emprunt. Un pseudonyme profondes, parfois intimes, André Pieyre de Mandiargues L’auteur, proche en guise de cache-sexe. peuvent se cacher derrière des surréalistes, qui obtiendra en 1967 le Goncourt Comme si leur nom propre ce jeu de masques qui pour La Marge, publie L’Anglais décrit dans le château ne convenait pas à des contribue à érotiser encore fermé, récit de la dernière orgie de l’excentrique textes qui dégoûtent un peu plus le discours M. de Montcul, sous le pseudonyme de Pierre Morion. les défenseurs de la morale. sexuel. En 1994, quarante ans Pierre Mac Orlan, né Dumarchey L’auteur du Quai Souvent, c’est d’ailleurs après la publication des brumes écrivit de nombreux textes érotiques sous pour échapper à la censure d’Histoire d’O de Pauline divers pseudos kitsch comme Sadie Blackeyes ou ou aux poursuites pour Réage, Dominique Aury Sadinet. Mais il publia La Comtesse au fouet sous son outrage aux bonnes mœurs (Anne Desclos de son vrai nom de naissance, pour contrarier l’oncle qui l’avait que les auteurs choisissent nom) révèle au New Yorker élevé et avec qui il entretenait de mauvaises relations. de dissimuler leur identité, qu’elle est bien l’auteur Louis Aragon Il a écrit Les Yeux d’Elsa, mais aussi Le Con d’Irène, sous le nom d’Albert de Routisie. hérauts anonymes du chef-d’œuvre sulfureux.

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érotiques anonymes

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un nom pour tout Joyce Carol Oates change de nom pour écrire des polars. Une autre corde à son arc infini.

Ni happening littéraire, ni délire narcissique, le recours aux pseudonymes d’Antoine Volodine correspond davantage à une posture éthique et politique.

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ous ceux qui l’ont interviewé le savent : se retrouver seul dans une pièce avec Antoine Volodine confine à une expérience existentielle forte, voire paranormale. Posez-lui une question sur son travail, son enfance, sa vie, il vous répondra systématiquement par ce déconcertant pronom personnel : “nous”. Délire narcissique ? Melon delonien ? C’est tout le contraire. Auteur réputé inclassable depuis la fin des années 80, Volodine a encore aggravé son cas en publiant sous pseudo au début des années 2000. Sous les noms d’Antoine Volodine ou Lutz Bassmann, il produit des romans à la noirceur radicale, où une poignée de résistants constituée d’écrivains évoluent dans des mondes postapocalyptiques (Des anges mineurs, Bardo or not Bardo, Haïkus de prison). Sous les hétéronymes Elli Kronauer puis Manuela Draeger, il s’est illustré dans des romans pour la jeunesse à peine moins dark (une quinzaine de titres à L’Ecole des loisirs). Mais c’est à la rentrée 2010 que tout cela a pris un tour encore plus surprenant puisque sont sortis simultanément trois livres du même

auteur, sous trois pseudonymes et chez trois éditeurs différents : Ecrivains, signé Volodine (Seuil), Onze rêves de suie, signé Draeger (L’Olivier) et Les aigles puent, signé Bassmann (Verdier). Au-delà du happening littéraire, le recours à l’hétéronymie par Volodine remonte à beaucoup plus loin : “L’idée d’une communauté d’écrivains imaginaires a d’abord pris forme dans la fiction, avec notamment Le Post-Exotisme en dix leçons, leçon onze. A partir des années 2000, ces figures d’auteurs inventées ont basculé dans le monde réel et ont commencé à exister dans le monde éditorial.” A travers le temps et les publications, l’écrivain a construit un édifice romanesque à plusieurs voix, dont il se dit le simple porte-parole. Ce qu’on pourrait prendre pour un furieux cas de schizophrénie vise en fait un idéal : condamner l’ego tout-puissant de l’écrivain individualiste, au profit d’une collectivité d’auteurs imaginaires partageant la même utopie. L’usage du pseudonyme se retrouve ainsi au service d’une posture éthique et politique. Tout en lui offrant en échange une conversion en phénomène littéraire inédit. Emily Barnett photo David Balicki

Marion Ettlinger

les cas Volodine

Pour la grande prêtresse du roman US, l’hétéronymie n’a jamais été un secret bien gardé. Plutôt un aveu inconscient de toute-puissance. Auteur prolifique, à la tête d’une bibliographie comptant soixante-dix titres (à raison d’une à deux parutions par an), Joyce Carol Oates a également publié depuis la fin des années 80 une dizaine de livres sous pseudo, tous des polars. Rosamond Smith et plus récemment Lauren Kelly règnent ainsi sur plusieurs titres, pour certains traduits en français. Double diabolique, Emmène-moi, emmène-moi ou Masque de sang mettent en scène des strip-teaseuses psychopathes, des étudiants assassins, des disparitions d’adolescentes. Si elle s’est fait des admirateurs dans l’univers du roman policier (Elmore Leonard, auteur de Rum Punch, alias Jackie Brown), la romancière aborde clairement le genre sur un mode récréatif : intrigues rondement menées plutôt que romansfleuves (grande spécialité de JCO), respect des conventions, limpidité du style… Chez Oates, le pseudo joue bien son rôle d’avatar déculpabilisateur, un masque derrière lequel le grand écrivain s’essaie à un genre dit “mineur” de la littérature. Il est aussi l’expression d’une identité d’écrivain si ample et productive qu’elle nécessite de se démultiplier, comme une plante et ses nombreuses arborescences. E. B.

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L’Eden et après d’Alain Robbe-Grillet (1969)

labyrinthes et miroirs Alors que Catherine Robbe-Grillet signait sous le pseudo Jeanne de Berg, Alain Robbe-Grillet aurait écrit sous celui de Robert de Berg. Et Jean de Berg dans tout ça : leur enfant ?

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es pseudonymes ont-ils une vie pseudosexuelle ? Pour aborder cette question essentielle mais rarement posée de la vie littéraire, on se penchera sur le trio singulier formé par Jean de Berg, Jeanne de Berg et Robert de Berg. Triangle livresque, mais ô combien sulfureux, largement échangiste, tendance SM. Sous le pseudonyme de Jeanne de Berg, on sait maintenant que se cache (ou plutôt se dévoile) la maîtresse femme Catherine Robbe-Grillet, auteur de plusieurs ouvrages où elle nous initie à ses pratiques à la fois intimes et collectives : dans Cérémonies de femmes (Grasset, 1985),

n’oublions pas derrière tous ces textes l’ombre de Jean Paulhan, amant d’Aury, ami intime des Robbe-Grillet

plus récemment dans Le Petit Carnet perdu (Fayard, 2007), cette libertine nous fait pénétrer dans l’antichambre de ses rituels. D’où le pseudonyme : “L’érotisme, écrit-elle, s’accommode mal de la transparence sans mystère”. Mais flirtant avec la vérité, Catherine Robbe-Grillet a aussi fait parler son propre pseudonyme, le temps d’un saillant Entretien avec Jeanne de Berg (Les Impressions Nouvelles, 2002). Enfin, elle a publié sous son nom son Journal de jeune mariée (Fayard, 2004), où elle rapporte ses relations exquisement perverses et libertines, avec son mari l’écrivain Alain RobbeGrillet et, entre autres, l’éditeur Jérôme Lindon. Le cas de Jean de Berg est déjà plus complexe, bien que très connu lui aussi : tout est encore mystère et opacité autour de ce seul livre, L’Image (Minuit, 1956), récit d’une aventure

sadomasochiste. Le texte est signé au masculin Jean, mais attribué à Catherine Robbe-Grillet, et peut-être écrit à quatre mains avec Alain, qui sait ? Malicieusement, cette nouvelle érotique est dédicacée à Pauline Réage – soit l’auteur pseudonyme de la fameuse Histoire d’O (Jean-Jacques Pauvert, 1954), écrite en réalité par Dominique Aury (elle-même née sous le patronyme d’Anne Desclos). Pauline Réage apparaît encore dans L’Image comme l’auteur possible de la préface, signée des seules lettres “P. R.” Ou a-t-elle été écrite en vérité par un(e) autre ? Dans la foulée, n’oublions pas derrière tous ces textes l’ombre de Jean Paulhan – amant d’Aury-Réage, ami intime des Robbe-Grillet, amoureux de la littérature. Bref, il y a là plus qu’une suite de pseudonymes : plutôt un entremêlement de personnes, un jeu

de rôle, des messages envoyés par livres interposés, des clins d’œil complices adressés au lecteur. Bienvenue dans le cercle, forcément étroit, des amateurs. Auquel il faut ajouter le surnom de Lolita : car c’est ainsi qu’on appelait Catherine RobbeGrillet dans les salons littéraires des années 60. Reste alors le très méconnu Robert de Berg. On le croise du côté de la fiction : dans les romans Djinn et surtout Topologie d’une cité fantôme d’Alain Robbe-Grillet, où il apparaît comme un personnage de peintre – son nom étant inspiré par l’artiste Robert Rauschenberg. Mais Robert de Berg est aussi une figure trouble de l’auteur : le pape du nouveau roman racontait avoir publié sous ce masque, exclusivement en Allemagne, des romans de type populaire dont on ne trouve nulle trace. Seul nous parvient, indisponible, un recueil d’essais et d’interviews, intitulé Der Voyeur (Belleville, Munich, 1995). Si la référence au nouveau roman Le Voyeur (Minuit, 1955) d’Alain Robbe-Grillet himself est assez évidente, il semblerait qu’il s’agisse en fait d’interviews… de Catherine Robbe-Grillet, alias Jean, alias Jeanne de Berg. Quand on l’interroge, troublé, sur toute cette affaire, la dominatrice fait l’innocente : “J’ai oublié tout ça, dit-elle au téléphone alors qu’elle prend le café sur une barque avec une amie, je n’ai plus qu’un vague souvenir de cette publication. Vous le lirez en allemand et vous me direz, d’accord ?” A vos ordres, maîtresse. Jean-Max Colard

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Duras dans les années 30

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renommer, fit-elle Marguerite Duras est née Marguerite Donnadieu. Elle a changé de nom pour se réinventer et recréer sa vie dans ses romans. La sublimer. e n’ai jamais cherché à savoir pourquoi avait pris ce pseudonyme car elle n’était pas je tenais mon nom dans une telle fière de son frère, elle voulait fuir son identité horreur que j’arrive à peine à le non littéraire.” Changer de nom lui a permis prononcer.” Ce nom que Marguerite de se réinventer par l’écriture, de réécrire Duras rejette et réfute aussi viscéralement, sa vie, geste fondateur de sa prise c’est celui qu’on lui a donné, celui du père : de pouvoir démiurgique. Donnadieu. Mais comme toujours chez Après s’être autonommée, elle Duras, l’ambiguïté est de mise. Dès qu’elle nommera ses personnages : Lol V. Stein, publie son premier roman, Les Impudents, Anne Desbaresdes dans Moderato Cantabile, en 1943, elle abandonne le nom du père Aurélia Steiner, Anne-Marie Stretter mais choisit pour pseudonyme le nom qui apparaît dans plusieurs textes dont de la terre paternelle, Duras, ce village Le Vice-Consul ou India Song. Chacun du Lot-et-Garonne dans lequel Henri de ces noms, mystérieux, signifiants, est Donnadieu est né et dans lequel il est en lui-même chargé d’une histoire et donne revenu mourir, laissant en Cochinchine lieu à une dérive onomastique et poétique. une veuve et trois orphelins, dont la petite Ainsi l’étrange Lol V. Stein, avec ce V. Marguerite âgée de 7 ans. L’absence central dans lequel on peut lire le vide de la figure paternelle hante toute l’œuvre vertigineux auquel s’abandonne l’héroïne. de Duras, un fantôme dont les amants Même hors de la fiction, Marguerite des héroïnes durassiennes, souvent Duras nomme, renomme, pour mieux des doubles fictionnels de l’auteur, ne sont recréer un réel dont elle s’accommode mal, que des avatars plus ou moins incestueux. ou peut-être asseoir son emprise quand Face à l’envahissant absent se dresse elle sent que tout lui échappe. Elle est déjà la mère, omniprésente, que ce soit âgée, dévastée par l’alcool, lorsqu’elle dans L’Amant, Un barrage contre le Pacifique, rencontre Yann Andréa, né Yann Lemée, L’Amant de la Chine du Nord… Mère un jeune homme qui l’admire. La relation courage, mère ravage. En se renommant, trouble qui les unit, émaillée de violentes Marguerite Duras rompt avec ses origines, disputes, inspire à Duras le roman Emily L. sa famille – la folie de sa mère, la violence Ils se cannibalisent l’un l’autre. de ses frères – et son passé, qu’elle Duras rebaptise son compagnon, en fait ne cesse pourtant de ressasser dans ses un personnage de fiction : Yann Andréa textes. Dans la biographie qu’elle a Steiner. Steiner comme Lol V. Stein consacrée à Duras, Laure Adler avait ou Aurélia Steiner. Elle l’a sublimé comme recueilli ces propos de Dionys Mascolo, qui elle a sublimé toute sa vie à travers vécut avec l’écrivaine : “Elle m’a dit qu’elle son œuvre. Elisabeth Philippe



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Usumaru Furuya Litchi Hikari Club Imho, traduit du japonais par Naomiki Sato et Marie-Saskia Raynal, 328 pages, 18 €

mon chemin de croix Il y a quarante ans paraissait aux Etats-Unis Binky Brown…, une œuvre fondatrice signée Justin Green, qui inventait l’autobiographie en BD.

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aus n’aurait jamais existé sans Binky Brown, avoue Art Spiegelman. Et Chris Ware estime que, sans lui, les comics ne seraient pas ce qu’ils sont. Mais qu’est donc ce Binky Brown qu’appréciaient également Federico Fellini et Tom Wolfe ? Près de quarante ans après sa publication aux Etats-Unis, une magnifique version française permet de découvrir cette œuvre fondatrice – et son auteur, Justin Green. Binky Brown, double de Justin Green, est un jeune garçon éduqué dans le catholicisme le plus strict. De ces années de puritanisme et de rigidité inculqués par les sœurs, il hérite une névrose obsessionnelle. Obnubilé par la peur du péché, il se soumet à des rituels purificateurs qui tournent peu à peu à la manie absurde et paralysante : l’adolescent décide que le rayon qui prolonge son pénis ne doit jamais croiser toute ligne droite en provenance d’un objet religieux. Jusqu’à l’âge adulte, sa vie sera régie par cette crainte invraisemblable et par des actes de contrition (prières, mantras…) destinés à lui éviter la damnation éternelle. Véritable inventeur de l’autobiographie en BD, Justin Green est le premier auteur

à avoir ainsi mis en scène ses souvenirs intimes. “On n’avait pas encore en ce temps-là défini de normes, ni écrit de livres accessibles à tous sur le sujet de la narration visuelle. Je cherchais mon chemin à tâtons”, écrit-il en postface. Pourtant Binky Brown est une œuvre parfaitement maîtrisée, dans laquelle Justin Green se livre autant par le propos que par le trait. Avec humour, franchise et inventivité, et tout en fustigeant la religion, il raconte tout ce que son comportement avait de pathétique mais aussi d’insurmontable. Par ailleurs, même si on ne voit jamais Binky Brown lire de comics, c’est toute son enfance de baby-boomer fan de BD que révèle son style. On y reconnait autant la folie des auteurs de Mad ou les comics de chez DC qu’il dévorait que le dessin rigide et sentencieux des illustrés religieux distribués à l’école. Contre-culture et échappatoire, les comics furent pour Justin Green sa “pierre de Rosette pour déchiffrer l’existence”. Son Binky Brown novateur et iconoclaste joua le même rôle pour plusieurs générations d’auteurs. Anne-Claire Norot

Manga ultraviolent sur une jeunesse sans horizon. Litchi Hikari Club est une pièce d’une troupe japonaise underground des années 80, Tokyo Grand Guignol – nom inspiré par le théâtre parisien du début du XXe spécialiste des spectacles macabres et grotesques. Usamaru Furuya a adapté Litchi Hikari Club en une BD gore et sanguinolente. On y découvre une poignée d’ados sans repères manipulés par un chef psychopathe, réunis au sein d’une organisation secrète, qui fabriquent une sorte de créature de Frankenstein supposée leur procurer des filles. Des désaccords les amèneront à s’entretuer sauvagement. Ce manga très théâtral comporte certaines caractéristiques du Grand-Guignol : nihilisme, violence extrême confinant au grotesque, destinée à procurer des frissons malsains. A la manière de Sa Majesté des Mouches, Litchi Hikari Club livre une vision noire et désespérée de la jeunesse. A.-C. N.

Binky Brown rencontre la Vierge Marie (Stara), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Harry Morgan, 64 pages, 1 9 €

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premières Bussang, Théâtre du Peuple – Maurice Pottecher Pour sa 116e édition, le plus ancien festival de France en appelle pour rire à 15 heures à la lutte des classes avec une tragi-comédie industrielle, Le Brame des biches de Marion Aubert, mise en scène par Pierre Guillois. En soirée, un cabaret “spectral” dénommé Grand fracas issu de rien hypnotisera le public sur des textes de Valère Novarina et des airs de Purcell, Gounod, Bernstein. du 14 juillet au 27 août à Bussang (88), tél. 03 29 61 50 48, www.theatredupeuple.com

Binôme, édition 2 Binôme fonctionne par paires : un scientifique et un auteur créent ensemble une œuvre originale. Pour sa deuxième édition organisée à Avignon, cinq rencontres sont prévues : Mathieu Bertholet et Nicole El Karoui, Stéphanie Marchais et Patrick Martin, Gérard Watkins et Edmond Dounias, Scali Delpeyrat et Karin Tarte, Virginie Thirion et Charles Lecellier. du 15 au 20 juillet dans la cour de l’hôtel Viala, préfecture du Vaucluse, Avignon, entrée libre, www.universcience.fr

ultima Pina Avec sa toute dernière pièce, la dame de Wuppertal offre en héritage le cérémonial dionysiaque d’une somptueuse ode à l’amour.

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ne main se dérobe, des lèvres se détournent, un corps s’efface… Il suffit de gestes infimes pour que ce qui arrive sur le plateau débonde l’enfoui de nos souvenirs et réveille l’à vif de nos blessures amoureuses. La danse de Pina Bausch fonctionne dans ces reflets fugaces et se joue en miroir de nous-mêmes. Jusqu’au vertige, elle témoigne d’une solitude qui n’est jamais aussi grande qu’à l’instant intime de nos corps à corps avec l’autre. Se positionnant à cet endroit précis où notre désir d’aimer croise notre

besoin de consolation, Pina Bausch ose nous offrir depuis toujours le spectacle de notre mise à nu et, dans la lucidité de son incroyable cruauté, sa danse parle alors à chacun d’entre nous. “… Como el musguito en la piedra, ay si, si, si…” (Comme la mousse sur la pierre), sa dernière pièce, trouve son inspiration dans une résidence de la troupe au Chili en 2008. Créée au Tanztheater de Wuppertal le 12 juin 2009, elle précède d’une quinzaine de jours le décès de la chorégraphe. Un ultime message où Pina Bausch persiste à honorer l’amour dans tous ses états. Alors, et comme si de rien

n’était, s’abandonner sans tristesse à sa magie devient la seule règle de conduite. Dans la scénographie magnifique de Peter Pabst, le plateau se craquelle en larges morceaux sous la mystérieuse action d’une respiration venue des profondeurs de la terre. Comme on danse sur un volcan, des femmes en robe de soirée et des hommes en costume strict s’aventurent sur les territoires périlleux de cette carte du Tendre en mouvement. De marivaudages cruels en badinages frivoles, l’élégance inégalée de la troupe a de quoi redonner du courage à tous les amants du monde. Affronter l’autre encore et toujours pour que le rire et le plaisir s’équilibrent sans contrarier l’émotion à fleur de peau et les larmes qui perlent. D’un duo fulgurant réunissant Silvia Farias Heredia et Damiano Ottavio Bigi à un solo sublime de Dominique Mercy, d’un beckettien jeu de cordes entre Rainer Behr et Tsai-Chin Yu à cette chenille formée au sol où chacun s’épouille joyeusement, les images se superposent comme les morceaux d’un puzzle où chaque pièce contient sa part de vérité. Traversées du plateau et saynètes théâtrales répondent à l’éclectisme d’une bandeson mixant le trip-hop de Kruder & Dorfmeister à Deja la vida volar de Víctor Jara. Au début du spectacle, c’est à quatre pattes qu’une jeune femme ouvre le bal en aboyant comme un chiot ayant perdu son maître. C’est sur elle qu’au finale les dernières lumières se concentrent. On l’avait oubliée, abandonnée au grotesque de son désespoir, mais c’est à travers elle que Pina Bausch signe sa pièce, un ultime crochet à nos idées reçues qui nous laisse abasourdi, le cœur en mille morceaux. Patrick Sourd “… Como el musguito en la piedra, ay si, si, si…” mise en scène et chorégraphie Pina Bausch, au Théâtre de la Ville, Paris IVe, compte rendu

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week-end surprises

Katrin Simonett

Formes hybrides et plaisir absolu au Week-end international à la Cité, à Paris. public circule au cœur d’une scénographie mouvante. Les panneaux coulissent, s’ouvrent, se ferment. On fonce dans une cloison qui recule au dernier moment. Dans ce labyrinthe où l’on évolue telle une caméra subjective, apparaissent et disparaissent des danseurs dans une extrême proximité. D’agencement, il est aussi question avec Les Rois du suspense, où Pascal Murtin et François Hiffler de Grand Magasin déjouent YanDuy vendak en virtuoses les codes de la dans You’re Dead! représentation. Que va-t-il oucher du doigt réel et virtuel, interprétant se passer un peu plus tard ? le virtuel. un personnage qui est Cette question idiote En quelques minutes, à la fois le joueur et le ou banale est la clé de la Yan Duyvendak se soldat, passant à coups de nouvelle création désopilante transforme en héros de jeu grenades et de mitraillette de ce duo pince-sans-rire, vidéo. Dans le hall de la d’une dimension à une dont on ressort euphorique, Cité internationale, il enfile autre. Intitulée You’re Dead!, comme en apesanteur. une tenue de camouflage cette performance date Un bon week-end. Hugues Le Tanneur pour, armé jusqu’aux dents, de 2004. On pouvait la voir entraîner le public à sa suite pour la première fois You’re Dead! dans un dédale de couloirs, à Paris dans le cadre de et par Yan Duyvendak d’escaliers et de salles du Week-end international. Birdwatching de et par jusqu’aux sous-sols Ce festival ouvert aux Benjamin Vandewalle du bâtiment. Sa démarche formes hybrides accueillait Les Rois du suspense à la fois souple et robotique aussi Birdwatching, du de et par Grand Magasin. est irrésistible. Mais le clou, chorégraphe belge Benjamin A la Cité internationale, c’est à la fin quand, devant Vandewalle. Une expérience Paris XIVe, dans le cadre des images de jeu vidéo, finement agencée où, assis de Week-end international à la Cité, compte rendu il brouille les rapports entre sur des gradins mobiles, le

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la nature de l’homme Mise en musique et en sensations de l’expérience qui consiste pour l’homme à être au monde, par Jean-François Peyret, d’après Thoreau. omme s’ils devaient se frayer à leurs avatars numériques présents un chemin entre proximité à l’écran. Cette “réalité augmentée” et étonnement, les mots trébuchent produisait une déconcertante sensation sur les lèvres des comédiens. de perte. Avec Re : Walden, la virtualité Ce sont des extraits de Walden, où l’auteur, forcément schématique des avatars Henry David Thoreau, se surprend à apparaît comme le fantôme de cette autre éprouver telle ou telle sensation au détour virtualité qui est celle du plateau. d’un sentier, frappé de découvrir en lui une Les transformations incessantes de l’étang conjonction de sauvage et d’homme civilisé. de Walden envahissent l’espace, comme Livre unique en son genre, Walden tient si toutes les saisons se déroulaient en de l’essai au sens où Montaigne employait quelques secondes. L’ensemble dégage une cette expression. Thoreau y médite douce mélancolie soulignée par la musique son expérience de vie pendant deux ans omniprésente. Ou comment, de Walden en pleine nature au bord de l’étang au numérique, l’homme éprouve l’étrangeté de Walden dans une cabane construite de sa présence au monde. H. L. T. de ses mains. A cette immersion d’un Re : Walden d’après Henry David Thoreau, précurseur de l’écologie en milieu naturel, mise en scène Jean-François Peyret, musique Jean-François Peyret adjoint Alexandros Markeas, avec Clara Chabalier, une expérimentation sur le numérique. Jos Houben, Victor Lenoble et Lyn Thibault, Il y a un an, une première version au Théâtre Paris-Villette, dans le cadre de ce spectacle confrontait les acteurs du festival Open, compte rendu

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la parole aux artis arstistetess Tout l’été, de e parlent de leur pratiqu x jeu et des en de l’art d’aujourd’hui. Cette semaine : Ryan Gander

vernissages des filles

des prothèses Dans ses photos comme dans ses “prothèses-sculptures”, Philippe Ramette met en place des trucages qui défient notre manière de voir le monde. jusqu’au 2 octobre au Crac de Sète, crac.languedocroussillon.fr

des bibelots Sur invitation du Frac Champagne-Ardenne, Sylvie Auvray présente son travail de sculpture. Des bibelots et figurines trouvés au hasard qu’elle détourne et triture pour en faire des objets d’art. à partir du 7 juillet à la Chapelle de l’ancien collège des jésuites, Reims

Nathan Pask, courtesy gb agency

Les Ateliers des Arques, dans le Lot, exposent le fruit de trois mois de résidences d’artistes. Directrice artistique 2011, Eva-Gonzalez Sancho a réuni Lara Almarcegui, Dominique Ghesquière, Susanne Kriemann, Gitte Schäfer et Katrín Sigurdardóttir autour de l’idée de “promenade”. à partir du 2 juillet aux Ateliers des Arques, www.ateliersdesarques.com

libre comme l’art Pour l’Anglais Ryan Gander, l’art est un vaste terrain où toutes les digressions sont permises. Et l’œuvre juste son “accusé de réception”.

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roisé en France il y a deux ans dans les jardins de la Villa Arson à Nice, où il était invité pour une exposition personnelle en forme de poupées russes, le plasticien anglais Ryan Gander (35 ans) fait aujourd’hui un point sur son rapport aux formats, à la figure du double, ses liens décomplexés avec le marché de l’art et ses projets à venir.

A quoi va ressembler ton été ? Ryan Gander – Je prépare l’installation d’un projet intitulé A Locked Room Scenario avec Artangel à Londres et je pars dans le sud de la France avec ma femme et ma fille. Depuis le début des années 2000, quand tu as commencé à montrer ton travail, quelles ont été les principales évolutions et fractures dans ta pratique ? Je suis motivé par le besoin de faire

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“je trouve plutôt fun de faire de la liberté une profession” avancer l’histoire de l’art. Je veux la dégager d’une certaine idéologie obsédée par le support et la maîtrise technique, qui repose sur une conception ridicule du style, envisagé comme une marque de fabrique, une “griffe”. Ma pratique évolue mais je ne peux pas contrôler sa trajectoire, chaque nouvelle démarche dessine ses propres fluctuations. Tu passes régulièrement d’un format à l’autre, de la sculpture au livre, de la conférence à la vidéo en passant par la rédaction de notices et de cartes postales. Une façon de te ménager une certaine marge de manœuvre dans le champ des formes ou de brouiller les p istes ? Je fais tout ce que l’idée exige. Ce n’est pas vraiment une prise de décision. Je ne peux pas faire une peinture avec le même détachement que permettrait un poème ou un diaporama. Ce qui est frappant dans ton travail, c’est cet aller-retour permanent, cette contradiction presque, entre le fait que tu distribues quantité de commentaires, de paratextes, de clés de lecture tout en cultivant ouvertement le mystère, en dérobant sans cesse tes œuvres à une lecture univoque. Comment expliques-tu cette double contrainte ? C’est un travail très complexe. Et qui demande énormément de temps de la part du spectateur s’il veut espérer en tirer quelque chose. Parfois, je lui ménage des accès. Le plus souvent, j’espère que le public sera suffisamment intrigué pour parvenir à la compréhension par ses propres moyens. Il m’arrive aussi de lancer des fausses pistes pour garder mon propre esprit en alerte. La figure de l’artiste (qu’il s’agisse de toi ou des artistes fictifs qui jalonnent ton travail) occupe-t-elle une place centrale dans ton œuvre ? Non, mais on ne peut pas l’en séparer. Avoir autant de doubles et de personnages fictifs à l’intérieur comme à l’extérieur de ma pratique peut être vu comme un dispositif qui m’aide à me défaire de certaines choses avec lesquelles je me sens mal à l’aise. Pourquoi privilégies-tu principalement les formes brèves et miniatures, l’anecdote et le microrécit ? L’œuvre physique est le reliquat ou le sous-produit de l’œuvre, et non l’œuvre en elle-même. L’anecdote, l’histoire qu’il y a derrière une œuvre, le processus d’invention, c’est l’art. La sculpture, la photo, le ballet, le livre, etc. ne sont que les accusés de réception de son existence. C’est un fait, mais parfois j’oublie que tout le monde n’envisage pas les œuvres d’art de cette manière.

Quelle place occupe la notion de jeu dans ton travail ? Tout est un jeu. Je trouve plutôt fun de faire de la liberté une profession, d’expérimenter les jeux de langage, de jouer avec la compréhension et l’interprétation de l’histoire de l’art et du marché de l’art. C’est probablement le meilleur boulot au monde. Je suis un type chanceux. Comment regardes-tu aujourd’hui la jeune génération ? Te sens-tu particulièrement proche de certains artistes, certaines démarches ? Pas vraiment. Je me sens proche de l’aspiration, de la détermination et des tentatives de certains jeunes artistes mais le travail de création est plutôt une affaire singulière, quand il est bon, donc je me dis rarement “j’aurais aimé avoir fait cette œuvre”. Mon chemin est tracé et, à mes yeux, il n’est pas parallèle à ceux des autres. J’aime trouver des jeunes artistes qui “en veulent” et qui ont du potentiel pour avancer, et je peux leur donner une impulsion. Le public et les médias adorent l’idée du jeune artiste, de l’enfant prodige ou du petit protégé, mais c’est un terrain dangereux où l’on devrait s’aventurer avec prudence. Quelles relations entretiens-tu avec le marché de l’art ? Je suis un artiste, le marché de l’art est donc l’endroit où je peux échanger mes œuvres contre de l’argent, ce qui me permet d’acheter d’autres choses ou de produire plus d’art et d’en vivre. Pour moi, il est pareil à tous les autres marchés et je ne pense pas que le prix de l’art soit trop élevé. Je dirais même que le prix de mes œuvres est dérisoire. Mais il est préférable que je m’en sépare pour laisser d’autres s’en occuper, cela me permet de travailler sur des idées nouvelles plutôt que de rester caché sous mon lit. Quelles sont les pistes que tu vas développer dans les prochains mois, les prochaines années ? Je suis en train d’écrire le scénario d’un long métrage sur Hitler et l’invention d’un moule à brique qui va révolutionner les stratégies d’autoconstruction dans les pays du Tiers-Monde. Une question plus personnelle enfin. Quelle place occupe ton handicap (Ryan Gander se déplace en fauteuil roulant – ndlr) dans ta pratique artistique ? La même place que j’accorde au fait que je porte des lunettes, que je suis un homme désespérément charmant ou que j’ai une aversion pour le maïs doux. recueilli par Claire Moulène et Alice Poujol Ryan Gander expose jusqu’au 27 novembre dans le cadre d’ILLUMInations à la Biennale de Venise et jusqu’au 7 août à l’occasion de l’exposition collective Nul si découvert, au Plateau, Frac Ile-de-France, Paris XIXe 13.07.2011 les inrockuptibles 105

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fun on the beach A contre-courant des très sérieuses tendances preppy et workwear, les Californiens de Warriors of Radness, enfants terribles des plages, ont surtout décidé de se marrer.

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l était grand temps qu’une marque vienne foutre le bordel dans nos petites armoires parfaitement rangées. Basée à Los Angeles, Warriors of Radness semble prête à relever ce défi. “On veut faire un truc pour déconner un peu, quelque chose qui nous rappelle nos années surf quand on était gamins…”, raconte Bill Hebner, l’operation manager de la marque. Créée par Rick Klotz, le fondateur de Freshjive, marque historique ultra influente dans le développement de la street culture, Warriors of Radness s’inspire largement du look californien fin 80’s-début 90’s. Concrètement, cela se traduit par des fringues colorées, portées par des mannequins que l’on n’est pas près de voir monter sur des podiums. Sur le look-book de la prochaine collection, ceux-ci se livrent à des jeux et des acrobaties ridicules sur la plage, non loin de glacières remplies de bières. L’ensemble est hilarant. De même pour les vidéos de la marque, tournées avec une caméra 8 mm vintage et mettant en scène une brochette de filles aux seins nus. Côté musique, Rick Klotz ne laisse rien au hasard non plus. Passionné par le son “surf”, il a monté son label et son groupe, les Gantez Warriors, qui arrosent de mélodies fraîches et efficaces ses clips. La marque innove encore en laissant les morceaux en téléchargement gratuit pourvu que l’on tweete le lien de la marque. Un carton. C’est dans ce même esprit foutraque, rigolard mais innovant et qualitatif, que Warriors of Radness crée ses vêtements. Fabriquée aux Etats-Unis, chaque pièce respecte une histoire et un procédé technique. C’est le cas du mineral wash, qui donne cet aspect délavé et plus léger, ou de l’impression à une face qui permet sur les chemises un décalage entre l’intérieur et l’extérieur. Des techniques souvent utilisées dans les années 80, mais devenues rares : “On se retrouvait face à des fabricants qui avaient beaucoup fait ça pendant un temps mais qui ne se souvenaient

plus du tout de la technique à suivre…”, précise Bill. Tout cela explique que les fringues de WOR ne soient pas données. Il faut compter environ 50 euros pour un T-shirt avec ses fameux gros imprimés et 120 euros pour les chemises, les deux basiques de la marque. Mais la marque propose aussi pantalon à taille élastique, pull-over col rond, coupe-vent, débardeurs délavés et surtout de fameux maillots en hommage aux beach bums, ces types qui vivaient sur la plage à l’époque où le surf n’appartenait encore qu’à la culture alternative. Une culture qui trouve de plus en plus d’écho, à en juger par les collaborations menées par WOR. La très hype marque américaine Opening Ceremony vient de s’associer avec eux pour une collection assez conséquente alors que le géant du cool japonais, BEAMS, lui a commandé “une petite ligne de quatre shorts et T-shirts”. “Les Japonais sont des grands fans de la culture américaine et le surf en fait partie”, reprend Bill Hebner. Aujourd’hui, Warriors of Radness a donc le vent en poupe au point que Rick Klotz, son designer, a été nominé l’an dernier par GQ pour l’élection du meilleur designer masculin de l’année. Il ne l’a pas emporté mais il s’en fout. Chez Warriors of Radness, on ne cherche pas la reconnaissance ou la gloire, on veut d’abord s’amuser et surprendre. Régulièrement, la marque collabore par exemple avec la GLSA (Gay and Lesbian Surf Association). “T’as déjà vu un sport plus homophobe que le surf ? Non, alors on a fait des trucs avec eux…”, plaisante Bill. Il règne donc une atmosphère insouciante au-dessus des têtes pensantes des WOR, en recherche permanente de ce qui est “rad”… “Rad ? C’est comme groovy, mais groovy, c’est ringard, répond en riant le mannequin attitré de la bande. Rad, c’est cool parce que ce n’est pas dans le dictionnaire, mec.” Laurent Laporte illustration Alexandra Compain-Tissier

De la couleur, de la qualité, du fun : les basiques de Warriors of Radness

Warriors of Radness

Warriors of Radness

chez WOR, on ne cherche pas la gloire, on veut s’amuser et surprendre

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Jimmy

Nathalie Guyon

Elisabeth Tchoungui

Bruce Toussaint

les uns et les uns Les grilles de rentrée des télés et radios se finalisent et le mercato des animateurs vedettes s’achève. Départs surprises, transferts stratégiques… : le PAF orchestre le petit rituel des changements d’affectation des éternelles têtes de gondole.



a fin annoncée dans sa configuration actuelle (voir notre dossier pp. 26 à 37) n’empêche pas la télévision de donner le change, c’est-à-dire d’échanger ses pions. En jouant à les déplacer sur son grand échiquier, elle feint de croire (et de faire croire) en son éternel recommencement. D’une certaine manière, sa croyance en son éternité rejoint l’impression de répétition qui traverse le téléspectateur. A la télé, on prend les mêmes et on recommence. On se contente simplement de modifier les cases où les animateurs se positionnent. Les vedettes du PAF, souples comme des anguilles, s’adaptent à chacune d’elles. Le cirque, au fond, change à peine. Tel un rituel immuable, sur lequel son éclipse proche n’a même pas d’effet, le mercato estival forme l’indice le plus éclairant de sa respiration artificielle. Plus ou moins achevé depuis quelques jours, le ballet des têtes couronnées du PAF en sacrifie certains pour mieux en servir d’autres. De ces allées et venues des vedettes des médias passant d’une chaîne à une autre, d’une chaîne

à une station, d’une station à un désert, quelques faits saillants se dégagent. Quai des départs L’infidélité, subie ou forcée, de nombreuses vedettes à leur chaîne historique donne le ton mélancolique de ce mercato. Du côté de Canal+, Bruce Toussaint s’en va. Animateur populaire de L’Edition spéciale, après avoir tout fait ou presque (les JT, la matinale, des magazines, des jeux…), celui qui est présenté depuis des années comme le nouveau Denisot fait le grand saut. De la télé vers la radio. Sur Europe 1, il présentera la matinale, abandonnant l’exhibition de son corps au profit de l’exposition de sa voix. C’est Ali Badou qui le remplacera le midi sur Canal+, qui serait lui-même remplacé au Grand Journal par Ollivier Pourriol, animateur de Studio Philo sur Orange Cinenovo. A France Télévisions, où le flou (guère artistique) persiste sur l’identité à venir des nouvelles grilles mises en place par les équipes du président Rémy Pflimlin, les départs se font en cascade. Guillaume Durand (Face aux Français), Serge Moati

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Guy Lagache

Pascalito

la meilleure idée dans ce mercato demeure la décision de RTL de débarquer Robert Ménard

(Cinémas), Mireille Dumas (Vie privée, vie publique), Christophe Hondelatte (Faites entrer l’accusé), Franz-Olivier Giesbert (Semaine critique !), Daniel Picouly (Café Picouly), Jean-Luc Lemoine (Le Bureau des plaintes), Eric Zemmour et Eric Nauleau, quittent le groupe. Même si certains d’entre eux (FOG, Dumas…) pourraient animer bientôt d’autres émissions. Mais pour beaucoup, le départ a un goût d’amertume – Guillaume Durand en particulier, qui pourrait rejoindre Paris Première pour réactiver l’émission animée autrefois par Thierry Ardisson, 93, faubourg Saint-Honoré. A M6, le départ le plus spectaculaire reste celui de Guy Lagache, animateur de l’émission Capital. Après seize années passées sur la chaîne, sur laquelle il inventa un ton nouveau dans le traitement de l’information économique et environnementale (Capital Terre), il préfère rejoindre la chaîne de Yannick Bolloré, Direct 8, où il prendra la direction des programmes et de l’information. Sur France Inter, Stéphane Bern laisse son Fou du roi aux mains d’Isabelle Giordano (Service public) pour rejoindre RTL, emportant avec lui son chroniqueur fidèle Régis Mailhot. Mais la meilleure idée de RTL dans ce mercato demeure la décision de débarquer Robert Ménard, obligé de se replier sur Sud Radio, où il pourra hurler les horreurs qui lui tiennent à cœur (les pédés au bûcher, vive Le Pen…). Quai des arrivées Les nouvelles aventures annoncées de plusieurs animateurs donne le ton offensif

(et comique) de ce mercato. Sur TF1, le transfert le plus étonnant concerne Nicolas Canteloup qui, déjà affairé le matin sur Europe 1 avec sa Revue de presque, parodiera l’actualité avec des détournements d’images, vers 20 h 35 tous les soirs après le JT de Laurence Ferrari. L’émission sera animée par Nikos Aliagas, chargé de relancer l’imitateur. Sur France Télévisions, les nouvelles têtes annoncées, souvent surgies de la TNT, ce réservoir d’animateurs de troisième zone, laissent encore songeur. Les nouveaux venus font presque peur : Alexandre Devoise qui débarque de W9 (pour élever le niveau culturel du service public ?) ; Virginie Guilhaume qui quitte M6 (pour animer des télé-crochets ?), Cyril Viguier, le revenant associé à David Hallyday dans une société de production, qui animera un talk-show sur France 3 ; sans parler de Flavie Flament, auteur du roman Les Chardons (brûlants), qui fait son apparition sur le service public pour animer un magazine à 19 h sur France 2. Karl Zéro serait aussi en embuscade… Autre nouveauté qui sera très suivie : le remplacement du duo Zemmour-Nauleau dans l’émission de Laurent Ruquier par deux femmes journalistes censées couvrir de manière complémentaire et opposée l’espace idéologique : Audrey Pulvar et Natacha Polony. Une autre animatrice sera en première ligne : Elizabeth Tchoungui quitte les Maternelles de France 5 pour animer l’émission culturelle du vendredi soir à la place de FOG. Mais le retour le plus cocasse reste celui de Jean-Luc Delarue, qui après sa très médiatisée campagne de désintoxication, replongera son nez dans l’agitation télévisuelle avec une émission, Réunion de famille. France 2 se transformerait-elle en dame patronnesse du PAF ? En accueillant autant de ringards et de drogués repentis, elle prend le risque d’offrir un spectacle pathétique. Le vrai intérêt de la rentrée télé résidera, comme toujours, dans les marges des grilles. Au-delà du ballet des animateurs, les chaînes affirmeront leur identité à travers l’audace ou la tiédeur des œuvres (documentaires, fictions…) qu’elles diffuseront. L’avenir à court terme de la télé se joue surtout sur sa capacité à produire des séries, téléfilms, enquêtes, réflexions, qui impriment la mémoire contemporaine. Dans la profusion des images à disposition, une certaine télé sait heureusement se distinguer, celle pour qui le mercato n’est qu’un mot barbare et creux.  Jean-Marie Durand

au poste

cliqueur ou spectateur ? Avec le webdocumentaire, la notion d’œuvre s’efface au profit du ludique. Depuis quelques années, on présente le webdocumentaire comme une forme spécifique conjuguant multimédia et interactivité, information et ludisme. Si l’on y regarde de plus près, les webdocs ressemblent aux CD-Rom d’antan. On y trouve un menu, dans lequel des vignettes attendent d’être activées pour délivrer leur contenu. Certains webdocs sont de simples courts métrages divisés en tranches plus ou moins brèves. Les plus sophistiqués ont de nombreuses ramifications. Exemple : le réputé Prison Valley de David Dufresne et Philippe Brault, qui décrit Cañon City, ville américaine spécialisée dans l’industrie carcérale. Deux possibilités : soit on visionne ce webdoc comme un simple documentaire, en cliquant à la fin de chaque segment de 10 minutes environ ; soit on rayonne dans différentes directions (forums, mini-interviews, textes). Bref, un calendrier de l’Avent virtuel, où chaque fenêtre représente une possibilité de découvrir un aspect du sujet. Cela au nom de la sacrosainte interactivité, qui recouvre des pratiques banales comme le zapping ou le jeu vidéo. Mais qui a le temps et l’envie d’explorer toutes les branches annexes d’un webdoc touffu ? De plus, il n’y a aucune organisation du temps et de l’espace dans un webdoc. Vous pouvez vous tromper, revoir deux fois le même segment et en louper un autre. On abandonne la notion d’œuvre construite en prônant une liberté illusoire. Mais si on va au cinéma, c’est pour être captif d’une œuvre qui nous transporte. On a envie d’être baladé, pas de se balader. L’interactivité est réservée aux fondus de jeux vidéo, qui prétendent gérer des récits qui n’en sont pas. Avec le webdoc, parfois constitué de plans non montés, pas de dramaturgie possible. C’est le cinéma en kit.

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Association L’Elan retrouvé

Enregistrement d’une émission pour Radio Citron

radio thérapies S’inspirant d’une expérience argentine, Radio Citron offre la parole à des malades mentaux. Une radio démente.

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’est la loi qui est folle : le tour d’écrou sécuritaire voulu par Nicolas Sarkozy sur les soins psychiatriques par contrainte a consterné une bonne part du milieu médical. Il a pourtant eu le mérite de libérer les colères et de délier les langues, celles maîtrisées des soignants mais aussi les autres, celles qui fourchent, hésitent et prennent des chemins plus tortueux pour se faire comprendre. Ces voix au psychisme troublé que l’usage social tend à étouffer, on peut aussi les entendre sur Radio Citron, bastion d’intelligence acide et petite enclave de liberté dont l’existence même constitue un affront, ou au pire un démenti à la paranoïa présidentielle. “Parler sous la menace d’enfermement, ce n’est plus parler, comme le dit Armelle. La stigmatisation et notre prétendue dangerosité facilitent la dévaluation

le vécu radiophonique devient une vertu thérapeutique

de notre parole de patient. C’est pourtant elle qui indique, oriente, libère, qui est le soin.” Parce qu’elle vise à la réinsertion psychosociale et citoyenne des souffrants, la webstation – en ligne depuis 2009 – déjoue l’image catastrophique de la maladie mentale produite par quelques faits divers récupérés par les combinards politiques. Ni radio sur la psychiatrie, ni séances analytiques comme le furent les émissions de Françoise Dolto, Citron, gérée par l’association L’Elan retrouvé, s’ancre d’abord dans le réel de l’expérience : le vécu radiophonique devient une vertu thérapeutique. En provenance de divers établissements parisiens (hôpital de jour, centre de socio-thérapie et SAVS – Service d’accompagnement à la vie sociale), ce sont avant tout les schizophrènes, bipolaires ou dépressifs profonds qui s’approchent des micros pour leur jeter un sort. “L’auditeur, c’est le tiers qui n’existe pas dans leur repliement, précise Colette Laury, psychologue et chef de service au SAVS Cadet. Faire de la radio permet à ce tiers manquant de s’élaborer. Tu t’adresses

à un autre mais sais-tu si ce que tu dis va l’intéresser ?”. Qu’on ne s’y méprenne pas : si elle dénoue le langage et fait émerger la vérité des psychismes, Citron n’a rien d’un défouloir pour crises existentielles. Celle qui s’inspire de la célèbre Colifata émettant depuis un HP de Buenos Aires est avant tout une radio élaborée. Qui revisite, lors d’une séance publique mensuelle méticuleusement préparée, les genres classiques de la radio (chroniques ciné, musicales, lectures poétiques, etc.). Mais sait aussi s’en affranchir avec des textesconfessions souvent mélancoliques ou des interventions sur le vif. “Pour nous, c’est une reconnaissance, confie Eliane. Et un exemple fort pour ceux qui sont dans les HP et n’en sortent pas.” Chaque mois face aux auditeurs, les paroles sortent nues, sans arrière-pensées ni volonté de s’afficher. Devant le courage absolu des animateurs chahutés de Citron, leur trac et leur foi dans l’impact des mots, cette certitude : la radio a retrouvé sa virginité. Pascal Mouneyres www.radiocitron.com Et tous les week-ends de l’été sur France Inter à 6 h 18

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the walking queen La deuxième saison de The Walking Dead est en plein tournage et sa légendaire productrice Gale Anne Hurd a récemment fait un saut à Paris pour en parler. lle a été l’épouse de James Cameron puis celle de Brian De Palma. Elle a produit les trois premiers Terminator ainsi qu’Aliens, le retour, Abyss, Tremors, Armageddon, sans oublier le Hulk d’Ang Lee et L’Incroyable Hulk de Louis Leterrier. The Walking Dead, la triomphale série zombiesque de la chaîne AMC vendue à ce jour dans 130 pays et dont la saison 2 est attendue la bave aux lèvres par des millions de geeks enragés, c’est elle aussi. Sportive accomplie, mordue de foot, globetrotteuse, lectrice de comics Marvel depuis son enfance de garçon manqué, elle se décrit comme “une droguée d’adrénaline”. Alors forcément, lorsque Gale Anne Hurd vous tend la main, juchée sur ses sandales compensées de cuir noir, la ligne svelte parée d’un jean et d’une petite veste cachant un T-shirt Arsenal, il s’agit de bien la serrer. Poigne de fer et séduction, cette piquante brunette, ex-assistante chez Roger Corman avant la gloire Terminator, fournit depuis presque trente ans moult blockbusters bur(i)nés, qu’elle entreprend via sa société Valhalla – “Je suis passionnée de mythologie nordique, j’aurais d’ailleurs adoré produire Thor mais hélas, ça ne s’est pas fait…” Ne manquerait plus que l’amour des armes pour en faire le parfait pendant féminin de John Milius.

“Hollywood est conduite par la peur, celle du plongeon des revenus DVD”

TWD Productions/Courtesy of AMC

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Gale Anne Hurd

Mais c’est le cas, nous précise-t-elle ! “Et je suis une excellente tireuse… “ Invitée de marque, le 1er juillet dernier, de la troisième édition du salon Comic Con’ à Paris, la quinquagénaire a sauté dans un avion la veille depuis le plateau de The Walking Dead, en plein tournage à Atlanta. Bon timing promo : le DVD de la saison 1, décrivant la lutte d’un groupe de survivants errant dans un monde envahi par des zombies, sort en France le 5 juillet. Une consigne nous est transmise avant notre tête-à-tête : éviter de parler à Gale de la relative déception suscitée par cette courte saison (six épisodes), passé un flamboyant pilote réalisé par le showrunner Frank Darabont. “Dès le début, Robert Kirkman (auteur du comic book culte adapté par la série, dont il est aussi coscénariste – ndlr) a bien précisé qu’il s’écarterait de la bande dessinée pour que les fans acharnés gardent un peu de surprise.

On gardé le personnage de Shane, qui meurt assez vite dans la BD, pour conserver en saison 2 un triangle amoureux avec Rick (joué par Andrew Lincoln – ndlr) et Lori (Sarah Wayne Callies). D’autres protagonistes qui durent longtemps dans le comic ne feront pas forcément long feu chez nous… “. Mais qu’attendre, donc, de cette saison 2 ? Fini le road trip : “Avec treize épisodes commandés par AMC, il était plus simple de concentrer l’action sur un même lieu”, explique Gale Anne Hurd. L’arc narratif principal se déroulera dans l’enceinte de la ferme tenue par le vétérinaire Hershel où nos héros trouvent refuge, conformément au fil de la BD. De nouveaux personnages forcément, dont Hershel (joué par Scott Wilson) et sa fille Maggie (Lauren Cohan) mais Hurd n’en dira pas plus. La sabreuse black Michonne, adulée des fans du comic book, sera-t-elle de la partie ? “Il y a peu

de chance, mais il nous reste encore cinq épisodes à écrire…” Ah, ce teasing ! Toujours est-il que les nouvelles recrues de la “writer’s room”, tel Evan Reilly (Les Soprano, Rescue Me) ou Angela Kang (Terriers), semblent augurer d’une moisson plus mordante. De son côté, Gale Anne Hurd ne tarit pas d’éloges sur ses relations avec AMC et laisse pointer, sous l’armure, un brin d’amertume sur l’évolution de Hollywood au cinéma : “Les studios s’intéressent toujours moins aux histoires et aux personnages, toujours plus aux effets visuels et au gigantisme des explosions. Mais ces films marchent et personne ne veut plus prendre de risque. Cette industrie est conduite par la peur, celle du plongeon des revenus DVD. Je me recentre moi-même vers les séries télé parce qu’il m’est de plus en plus difficile de monter des films.” On a beau avoir produit Terminator, on n’en est pas moins vulnérable… Philippe Guedj 13.07.2011 les inrockuptibles 111

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brèves Ricky Gervais sur HBO La chaîne star du câble américain a annoncé la diffusion en 2012 de la nouvelle série de Ricky Gervais et Stephen Merchant – auteurs de The Office et Extras. Life’s Too Short aura pour personnage principal un acteur nain (Warwick Davis) en quête de come-back et prendra la forme d’un faux documentaire. Une première diffusion est prévue avant la fin de l’année par le commanditaire de la série, la chaîne anglaise BBC2.

Borgia à Deauville Pour la deuxième année consécutive, le Festival du cinéma américain de Deauville (2-11 septembre) va consacrer une section spéciale aux séries lors de son premier week-end. Au programme, la présentation en avant-première de Borgia, série événementielle de Canal+ créée par Tom Fontana (Oz), qui donnera pour l’occasion une masterclass.

John Locke à Hawaï Après Daniel Dae Kim, un deuxième acteur de Lost effectue son retour à la télévision dans le remake de Hawaii, police d’Etat – Hawaii Five-O, en VO. Terry O’Quinn (John Locke) rejoint l’île pour la deuxième saison, à partir de septembre, dans le rôle d’un ex-marine vétéran du Vietnam. Voilà qui s’annonce moins philosophique que son personnage de Lost.

agenda télé Raising Hope (Canal+ Family, le 15 à 20 h 45) Un glandeur décide d’élever le bébé qu’il a eu par accident avec une tueuse en série. Première saison d’une comédie passable par le créateur de My Name Is Earl. Entourage (Série Club, le 17 à 19 h 05) La huitième et dernière levée de cette visite guidée de l’envers hollywoodien commence le 24 juillet sur HBO. Révisons un peu notre Turtle illustré avec des rediffs – ici, la fin de la saison 3. Private Practice (France 2, le 18 à 20 h 35) Après avoir attendu quatre ans pour le diffuser, faut-il s’étonner que ce spin-off de Grey’s Anatomy ne marche pas ? Pourtant, ce mélo hospitalier se laisse voir tranquillou.

la foire du trône Retour sur la première saison de Game of Thrones, série événementielle qui vient de se terminer sur HBO.

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l y a quelques semaines (Les Inrocks n° 805), nous avions publié nos premières impressions largement négatives sur Game of Thrones, la nouvelle série d’heroic fantasy signée HBO, dont les premiers épisodes venaient d’être diffusés dans un concert de louanges. Un exercice nécessaire, mais pas suffisant : la critique de séries a ceci de particulier qu’elle s’attaque à un genre parfois évolutif, voire contradictoire. Elle ne peut se résumer à la critique de pilotes. Ou alors, autant autoriser les journalistes de cinéma à n’évoquer que le premier quart d’heure d’un film. La liste des séries ayant

passé le cap difficile des premiers épisodes avant de s’épanouir compte de grands noms, même si tout est discutable. Friday Night Lights nous a ensorcelés à partir du milieu de saison 1, Mad Men a d’abord dérouté avant de bouleverser, et Breaking Bad a attendu une année et sept épisodes avant de devenir grande. Une vision d’ensemble des dix heures de la première saison permet de cerner les intentions de David Benioff et D. B. Weiss, les deux créateurs de Game of Thrones. A partir du canevas des livres éponymes écrits par George R. R. Martin se dessine un monde de familles et de territoires, où les luttes pour la

domination font verser des litres de sang. Des thèmes adultes, dont l’originalité provient de la place accordée aux personnages d’enfants qui les incarnent. De la fin du premier épisode à la fin de la saison tout court, ce sont eux, 10 ans, 15 ans à peine, qui maintiennent notre attention plus que les autres – à l’exception du passionnant personnage de Tyrion Lannister, un fils à papa très spécial. Un prince falot devenu roi cruel, un autre victime d’une tentative de meurtre, une princesse énergique devenue enfant des rues, tout cela ouvre à une thématique centrale de la série telle qu’elle apparaît désormais : une réflexion sur l’ombre tenace du

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une réflexion sur l’ombre tenace du destin

destin, celui qui nous enserre, celui que l’on croit tenir et qui nous échappe. Cette première saison de Game of Thrones est hantée par l’image de la chute, les déclassements et les pertes de statut, les naissances maudites et les menaces funestes, la lutte impossible à maîtriser entre pulsion de mort et pulsion de vie. De ce point de vue, la cohérence de l’objet est totale et la tension va plutôt crescendo, surtout à partir du septième épisode. Les touches de fantastique restent parcimonieuses. Game of Thrones ressemble à une série historique contemporaine bien produite, dans la lignée de Rome, davantage qu’au

Seigneur des anneaux. Mais cela n’empêche pas quelques défauts envahissants. Souvent, les créateurs semblent confondre le besoin de profondeur avec une certaine lourdeur démonstrative. Game of Thrones donne constamment la preuve de son savoir-faire, comme s’il lui fallait exhiber les marqueurs d’une double appartenance : d’un côté, à la série en costumes prestigieuse, un genre éternel à la télévision ; de l’autre, à la “grande série moderne” où les scènes longues et fouillées sont fréquentes. Un peu de conservatisme parsemé d’innovation, en somme. L’équilibre n’est pas toujours juste. A certains moments pataude et peu inspirée visuellement, Game of Thrones devient prétentieuse. Ce caractère artificiel de la mise en scène des enjeux la démarque à nos yeux de vrais chefsd’œuvre comme The Wire, Rubicon, Friday Night Lights ou Breaking Bad (liste incomplète), qui semblent avoir inventé la forme qui leur convenait sans aucun calcul. Des séries marquées par une certaine humilité malgré leur ambition extrême, qui acceptent de chercher avant de trouver. On préférera toujours ces objets fragiles et entêtants aux démonstrations de puissance, même brillamment orchestrées. Olivier Joyard Game of Thrones Saison 1. Episode 10 le 14 juillet à 22 h 05 sur Orange Cinéchoc.

focus

dead Kennedys La saga de la dynastie Kennedy formatée sous couvert d’innovation. Un comble. n avait presque oublié à quel point les mauvaises séries continuent de sévir dans la plus grande impunité. Il faudra pourtant s’y faire : elles existent encore et elles n’ont même pas honte. Quoique dans le cas de The Kennedys, une petite ambiguïté demeure. Prévue pour être diffusée sur la chaîne américaine History, la saga a été refusée par son diffuseur originel et vendue au plus offrant. En France, le plus offrant s’appelle France 3, qui s’offre une jolie campagne de communication, mais ne parviendra pas à s’imposer comme chaîne référence des séries avec ce maelström visuel et narratif frôlant le kitsch. L’idée de base des concepteurs des huit épisodes (parmi eux, deux anciens de 24 heures chrono et républicains notoires, Joel Surnow et Jon Cassar) consiste à offrir une vision non glorieuse de cette famille américaine mythique, et d’appuyer sur les moments de tragédie, la souffrance de la conquête et de l’exercice du pouvoir, les rapports père/fils. Tous les éléments d’une tragédie sont là, mais rien n’existe au-delà de l’anecdote. On peut malgré tout jeter un œil à Kennedys pour les acteurs, qui se débattent du mieux qu’ils peuvent dans ce bordel triste et formaté. Greg Kinnear campe un JFK très petit garçon, Barry Pepper un Bobby plutôt habité, Tom Wilkinson un patriarche usant et machiavélique, tandis que Katie Holmes, sortie du désert pour l’occasion, endosse plutôt favorablement les tenues de Jackie, un genre de madame Bovary du XXe siècle. Tout cela ne dure que huit épisodes et c’est tant mieux. O. J.

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The Kennedys Tous les mardis à 20 h 35, France 3 13.07.2011 les inrockuptibles 113

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émissions du 13 au 19 juillet

Furieuse

RB/Redferns/Arte

Téléfilm de Malik Chibane. Mercredi 13 juillet, 20 h 40, France 2

Aretha Franklin, 1960

au bonheur des dames Les filles de la pop et de la soul font chanter Arte tout l’été.

Summer of Girls. Icons and idols le mardi 19 juillet : The Rose (20 h 40), Janis Joplin, derrière la légende ( 22 h 50), Anna Calvi en concert au Trianon de Paris (23 h 45), Arte Queens of pop Aretha Franklin le 18 juillet, Diana Ross le 19, Donna Summer, le 20, tous les jours jusqu’au 29 à 18 h 30, Arte

Le Spectateur imaginaire Emission de Judith Sibony. Tous les jours jusqu’au 22 juillet, de 11 h 52 à 11 h 59, France Culture

Quel regard les hommes de théâtre portent-ils sur leurs spectateurs ? Dans un exercice d’inversion des rôles, Judith Sibony explore l’imaginaire des metteurs en scène et auteurs de théâtre confrontés au mystère du spectateur. Quelle idée se font-ils de leur public ? Que pensent-ils de cette foule silencieuse dans l’obscurité ? Des metteurs en scène, Joël Pommerat, Ariane Mnouchkine, Alain Françon ou encore Antoine Vitez et Jean Vilar, auxquels Jeanne Balibar et Guillaume Gallienne prêtent leurs voix, s’interrogent. JMD

Ali Rebeihi

Christophe Abramowitz

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e Debbie Harry à Anna Calvi, de Tina Turner à Madonna, de Nina Hagen à Vanessa Paradis, d’Aretha Franklin à Kate Bush, de Diana Ross à Beyoncé, de Donna Summer à Britney Spears, l’été sera féminin et pop sur Arte. La programmation “summer of girls” qui se poursuit jusqu’à la fin août fait la part belle aux icônes de la soul et du rhythm’n’blues comme aux nouvelles stars planétaires sans panache type Lady Gaga. Plutôt que la fine dentelle des subtiles voix du rock féminin, Arte s’attarde sur quelques grosses coutures prévisibles. Cette semaine, on pourra cependant s’attarder sur le portrait de la “reine de la soul” Aretha Franklin, qui inaugure la collection documentaire de Christian Bettges, Queens of Pop, constituée de films de 26 minutes évoquant à la va-vite la carrière des chanteuses : celle d’Aretha Franklin force immanquablement le “Respect”, titre d’un hymne définitif et identitaire de la soul music, que même les succès de Diana Ross (Upside down) ne pourront totalement égaler. Plus proche de nous dans le temps, le concert donné en avril dernier au Trianon par la révélation 2010 du rock féminin Anna Calvi a fait l’objet d’une belle captation par Fabien Raymond. La fille fantasmée de PJ Harvey et de Jeff Buckley confirme à l’écran ce qu’elle confiait l’an dernier aux Inrocks : “Sur scène, je suis plus courageuse, plus fière que je ne le serai jamais dans la vie de tous les jours.” Volcanique et habitée, elle annonce, après PJ Harvey la semaine dernière, la chaleur de l’été, qui comme le chantait Sébastien Tellier, pousse à clamer “Aaah”. Jean-Marie Durand

Ascension d’une chanteuse marseillaise. Gentil mais convenu. Malik Chibane, qui fut un des premiers porte-parole au cinéma des enfants d’immigrés, et un pionnier du film de banlieue avec Hexagone, s’est transporté à Marseille pour tourner cette fable désincarnée sur l’ascension d’une chanteuse d’origine maghrébine. Prônant vaguement et implicitement le métissage, flirtant timidement avec la comédie musicale, le film reste une vision en vase clos, passe-partout et sans réelle identité (y compris sur le plan musical). Chibane élude autant la réalité marseillaise qu’il avait su capter le climat de la périphérie parisienne. V. O.

Micro Fictions Emission présentée par Ali Rebeihi. Du lundi au vendredi à 11 h, France Inter

Un regard ludique sur la culture sous toutes ses formes. Pour le troisième été consécutif, Ali Rebeihi, doublure de Pascale Clark, explore les multiples formes de récit qui agitent la création contemporaine. Une heure quotidienne consacrée à la culture au sens extra-large, . Débats, chroniques (“L’Incroyable Age d’or des séries télé” par Hubert Prolongeau, ou encore les “Chroniques ciné-philosophiques” d’Olivier Pourriol), mais aussi tentatives d’éclaircissement de grandes questions du type : “Comment Proust peut changer votre vie”. Un regard ludique sur les microfictions au cœur de nos vies réelles. JMD

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Sylvain Bergère

Marisha Pessl

Romans made in New York Documentaire de Sylvain Bergère et Nelly Kaprièlian (2008). Lundi 18 juillet, 23 h 05, Arte

A la rencontre des jeunes loups et louves du roman américain. Tour d’horizon de la brillante et nouvelle génération des romanciers américains, interviewés par notre collaboratrice Nelly Kaprièlian sur le lieu de leurs agissements, New York, “cocotte-minute de la culture américaine”, selon l’expression de Rick Moody. Une exploration de l’imaginaire romanesque d’auteurs aussi décisifs que Rick Moody, Jonathan Franzen, Jay McInerney, Nicole Krauss ou Marisha Pessl qui, à partir d’un paysage marqué par le choc du 11 Septembre, inventent des territoires narratifs hantés et parfois macabres avec une pure énergie d’écriture. Explosive et réfléchie, la génération new-yorkaise des années 2000 s’expose. JMD

Portland : bobo, bio, vélo Documentaire de Vladimir Vasak, Francis Plourde, Sébastien Guisset, Florence Touly. Samedi 16 juillet, 19 h 15, Arte

L’écologiquement correct envahit l’Oregon. Portland dans l’Oregon, serait la mecque américaine du vélo et la ville la plus cool des Etats-Unis. Tour d’horizon de cette cité “écolofriendly” où apparemment il fait assez bon vivre, malgré la banalité apparente de son décor urbain. Cette modernité de bon aloi, dénigrée avec talent, semble-t-il, dans la sitcom Portlandia, dont on voit plusieurs extraits, a pour effet pervers de “gentryfier” le centre-ville et de renvoyer les classes pauvres à la périphérie. Ce que ce documentaire, qui ne se contente pas de s’extasier sur l’essor du bio et de la petite reine à Portland, a le mérite de souligner. V. O.

les labos forcent la dose Les mensonges du secteur pharmaceutique, ce danger public. Un diagnostic alarmant.

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n nous fait vraiment avaler n’importe quoi. En moyenne, 83 % des nouveaux médicaments mis sur le marché sont d’une efficacité nulle. Mais la conclusion de cette enquête à l’ironie cinglante ne porte pas seulement sur les fausses pilules miracles. Elle s’applique aussi aux effets d’annonces, dérives marketing et autres manipulations que déploie une industrie pharmaceutique confrontée à une crise de la recherche sans précédent. A travers des exemples très précis, Les Médicamenteurs excelle à dévoiler les

faux-semblants d’un secteur qui fait passer le profit avant tout et sait jouer des failles ahurissantes des instances de régulation. Un système s’effondre sous nos yeux, dans un silence assourdissant. Gracilité du rythme et inventivité visuelle inédite, on retrouve dans ce film la patte de Stéphane Horel dont France 5 avait diffusé La Grande Invasion, consacré aux méfaits du plastique. Pascal Mouneyres Les Médicamenteurs Documentaire de Stéphane Horel, Brigittte Rossigneux et Annick Redolfi. Samedi 16 juillet, 19 h, France 5 13.07.2011 les inrockuptibles 115

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enquête

la primaire s’amuse A onze mois de la présidentielle, lemonde.fr lance le newsgame Primaires à gauche, une nouvelle façon, ludique et interactive, de penser l’actualité.

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artine Aubraïe, François Hollov, Ségolène Royic... Dans Primaires à gauche, toute ressemblance avec des personnes réelles n’est pas fortuite. Le joueur incarne un candidat du PS, représenté par une caricature, et tente de remporter la primaire. Pour cela, il devra utiliser la bonne stratégie en fonction de l’actualité, choisir les bons coéquipiers et s’imposer en débat face à ses adversaires. Conçu par une équipe de journalistes du Monde.fr, ce newsgame est une première en France. Développé en collaboration avec KTM Advance, société spécialisée dans les “serious games” pédagogiques, et avec l’Ecole supérieure de journalisme de Lille, Primaires à gauche a mobilisé pendant dix-huit mois une équipe de cinq personnes, dont un directeur artistique et un game designer, ainsi que des chercheurs. Revu et corrigé maintes fois pour trouver le bon dosage fun-éditorial et pour échapper aux affres de l’affaire DSK, le jeu est enfin en ligne. Et il est prêt à évoluer au gré de l’actualité et des retours des utilisateurs. Un jeu vidéo journalistique, pour quoi faire ? Sur le blog1 associé au jeu, les journalistes et concepteurs Florent Maurin et Nabil Wakim expliquent : “Le défi, sur ce projet, était d’essayer une autre approche, de construire un système entier, une représentation cohérente quoique simplifiée de la réalité.” En mêlant le plaisir du jeu à la démarche journalistique, les internautes

découvrent de façon ludique “le calendrier d’une primaire, ses rebondissements et ses principaux acteurs”.  Conscients des réticences de certains face aux jeux, souvent considérés comme futiles et manipulateurs, les créateurs précisent d’emblée que Primaires à gauche “n’a pas l’intention de refléter la réalité dans toute sa complexité ni de prévoir les résultats de cette échéance”. Pour Florent Maurin, “ce type de jeu ne peut pas s’appliquer à tout type d’actualité. Et il ne remplacera jamais un article ou une vidéo. Il s’agit d’une nouvelle façon d’aborder l’actualité, d’un complément.” Joueur depuis son plus jeune âge, c’est en devenant journaliste que Florent Maurin a pris conscience des liens entre journalisme et jeu. “Ces problématiques complexes que l’on essaie d’expliquer, avec leurs multiples tenants et aboutissants, comme la crise des subprimes, c’est un langage que je connaissais déjà dans le jeu vidéo.” Le newsgame permet en effet de modéliser un système avec ses causes, ses conséquences et ses acteurs. “Cette approche globale est impossible dans un article lambda.” En se basant sur la primaire de 2006 et en analysant l’actualité politique, l’équipe du Monde.fr a défini cinq modes d’actions (alliances, terrain, coups bas…) associés à huit orientations (écologie, éthique, plus au

mêler le plaisir du jeu à la démarche journalistique

centre...) et au poids politique (d’un à cinq points) des personnages publics – les avatars de Lionel Jospin, Robert Badinter ou Jamel Debbouze n’ont pas la même influence. Au final, le jeu est très riche : environ 270 personnages et actions sont disponibles. Le jeu repose également sur l’actualité : en cas de crise nucléaire comme celle de Fukushima, les candidats orientés écologie sont avantagés. Mais rares seront ceux qui gagneront du premier coup. Comme dans les serious games, c’est en expérimentant par lui-même, en faisant des “essais-erreurs” que le joueur comprend progressivement le système. “Je perds, donc je réfléchis à ce qui n’a pas marché, explique Florent Maurin. Je vais essayer la stratégie d’Arnaud Montebourg… Le jeu laisse aussi un souvenir plus durable qu’un article classique.” Si Primaires à gauche est bien accueilli, sa structure pourra être utilisée par la rédaction du Monde pour d’autres actualités et proposée à d’autres journaux. Les utilisateurs sont pour l’instant très enthousiastes. Certains réclament même le retour de DSK avec un profil “mis à jour” et un jeu mettant en scène tous les candidats à la présidentielle. Et l’un d’eux précise : “Je n’ai pas hésité à être un peu opportuniste et à me recentrer.” C’est le métier qui rentre. Béatrice Catanese Primaires à gauche : jouez votre campagne tinyurl.com/6d3opce  1. http://newsgames.blog.lemonde.fr

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HORS SÉRIE

in situ l’aventure du copyright en BD La propriété intellectuelle est un concept abstrait et l’a toujours été, de Gutenberg à iTunes. Cette bande dessinée numérique nous raconte l’évolution de la problématique “copyright et libre partage des idées” à travers ses mutations technologiques et politiques. Simple, drôle et pédagogique. hardabud.com/alabordage

la matrice à sons : Matrixtone Le Matrixtone, c’est comme un piano numérique qu’on jouerait sur un damier avec sa souris, mais en mieux. On a beau créer la musique la plus répétitive du monde, on s’émerveille devant son propre talent de DJ electro-minimaliste. Dur à comprendre ? Il suffit d’essayer (mais après,impossible d’arrêter). lab.andre-michelle.com/tonematrix

A l’occasion du 50e anniversaire des Beach Boys et de la sortie prochaine du mythique Smile, Les Inrockuptibles mettent le cap sur la côte Ouest des Etats-Unis. Une balade à la rencontre des grandes figures et des hauts lieux de la Californie des années 60 et 70.

Apple (ré)invente la roue Steve Jobs invente la roue, lisse, blanche, pure... Une technologie inédite, car “lorsqu’elle arrive au bout de sa rotation, sa forme lui permet de reprendre de zéro comme si de rien n’était”. Une petite touche d’ironie numérique, qui ne plaît pas à Apple France qui a même demandé que la page soit retirée. www.tetedampoule.com/roue

terre d’accueil Juillet 1938, la conférence d’Evian réunit 32 nations pour discuter du sort des réfugiés juifs allemands et autrichiens. Tous refuseront de les accueillir sauf la République dominicaine, qui deviendra donc terre d’accueil exotique pour le peuple juif. L’INA retrace dans Shalom amigos cette odyssée outre-Atlantique vers la ville de Sosua. ina.fr/web-documentaire

la revue du web Largeur

Wire

Brain Magazine

symphonie en toux mineure

“je suis un bourreau de la CIA”

Prince, top of the pop/flop

Le silence des salles de concert classiques est “un écrin pour la musique”, mais il laisse aussi la place au moindre bruit parasite, comme la toux des spectateurs. Thomas Hampson, un baryton américain, régulièrement victime des tousseurs, donne son explication poétique  du phénomène : “Les hommes éprouvent un besoin social de chanter en chœur, comme les oiseaux.” Du coup, les cordes vocales frustrées sauteraient sur l’occasion pour se détendre, et se faire entendre… http://bit.ly/iDAoWs

Glenn Carle est un ancien de la CIA. Après le 11 Septembre, l’organisme capture un membre présumé d’Al-Qaeda. S’ensuivent des séances de tortures par “dérèglement psychologique de la perception du temps” et des interrogatoires sur un homme qui, finalement, n’était pas un djihadiste. Dans un livre témoignage (censuré à 40 % par la CIA au nom du “secret défense”) et dans cette interview, Glenn Carle raconte ce que c’est qu’interroger un homme dans un endroit “trop sombre pour la loi elle-même”. bit.ly/my0x0l

Un bon moyen d’explorer en sons et en images la carrière de l’artiste funky pop Prince alias Prince Rogers Nelson “1,58 m grand maximum”, multi-instrumentiste, produit par Warner à 19 ans. Entre chefs-d’œuvre incontournables ou erreurs de parcours, on découvre la carrière tortueuse d’un artiste ambitieux. Une manière détournée de comprendre pourquoi Prince n’a rempli que la moitié du Stade de France le mois dernier... bit.ly/iAEooP 13.07.2011 les inrockuptibles 117

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CD exclusif 12 titres

Brian Wilson et les Beach Boys repris par Alex Chilton, The High Llamas, The Free Design, Norman Blake (Teenage Fanclub), Kim Fowley…

En kiosque le 2 juillet 08/07/11 11:39

The Doors (1/2) Tout l’été en avant-première, un groupe de rock vu par un dessinateur de BD. Cette semaine, Prosperi Buri trouve Jim Morrison super beau.

Cette série d’été est extraite de Rock Strips – Come Back dirigé par Vincent Brunner, à paraître le 14 septembre aux éditions Flammarion 118 les inrockuptibles 13.07.2011

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à suivre la semaine prochaine 120 les inrockuptibles 13.07.2011

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NOUVEAU

L’Epée et la Rose

La Route du rock

de João Nicolau

du 12 au 14 août à Saint-Malo (35)

musiques

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Au programme de la 21  édition du festival : vendredi 12 août, Fort de Saint-Père : Aphex Twin, Mogwai, Sebadoh, Electrelane, Suuns, Anika, Etienne Jaumet ; samedi 13 août, Fort de Saint-Père : The Kills, Blonde Redhead, Battles, Low, Cults, Still Corners, Dirty Beaches ; dimanche 14 août, Fort de Saint-Père : Fleet Foxes, Crocodiles, Okkervil River, Cat’s Eyes, Dan Deacon, Here We Go Magic A gagner : 25 pass pour 2 personnes pour les 3 jours

Deep End de Jerzy Skolimowski

cinéma Mike vient de sortir du collège et trouve un emploi dans un établissement de bains londonien. Susan, son homologue féminin, arrondit ses fins de mois en proposant ses charmes à la clientèle masculine. Amoureux de la jeune femme et jaloux, Mike devient encombrant. A gagner : 20 places de cinéma

Winter’s Bone de Debra Granik

DVD Ree Dolly a 17 ans. Elle vit seule dans la forêt des Ozarks avec son frère et sa sœur dont elle s’occupe. Quand son père sort de prison et disparaît sans laisser de traces, elle n’a pas d’autre choix que de se lancer à sa recherche sous peine de perdre la maison familiale, utilisée comme caution. Ree va alors se heurter au silence de ceux qui peuplent ces forêts du Missouri. Mais elle n’a qu’une idée en tête : sauver sa famille. A tout prix. A gagner : 20 DVD

cinéma A 31 ans, Manuel plaque tout et embarque pour une durée indéterminée sur le Vera Cruz, caravelle océanique portugaise du XVe siècle. Il se consacre alors à la vie en mer selon les seules lois valides à bord, celles de la piraterie. Le rêve de l’homme libre est revisité, souvent en chanson, par cette fiction fantasque, colorée et quelque peu mélancolique. A gagner : 20 invitations pour 2 pour l’avant-première, en présence du réalisateur, au Nouveau Latina (Paris IVe), le 18 juillet à 20 h

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livre Tu dois changer ta vie de Peter Sloterdijk Le dernier livre de mon gourou philosophique se lit comme un roman, apprend que l’art contemporain vit “dans la selfishness” et donne des clés pour être heureux. Indispensable, un livre qui “transe forme”.

album Bon Iver Bon Iver Ce folkeux américain se réinvente en apesanteur.

Aveux non avenus de Claude Cahun Figure hors genre du monde de l’art, photographe reconnue, Claude Cahun était aussi écrivaine.

The Family Sign d’Atmosphere L’album de ce groupe du Minnesota s’écoute en boucle, comme un mantra et passe du folk hip-hop à l’electro bondissante avec un track explosif comme une éjaculation neuronale : She’s Enough.

film Black Swan de Darren Aronofsky Dans ce film exceptionnel, Darren Aronofsky mixe Michael Powell et David Cronenberg pour inventer le mélo futuro space. recueilli par Judicaël Lavrador

Chico & Rita de Fernando Trueba et Javier Mariscal L’adaptation légère et swinguante d’un riche roman graphique.

Pater d’Alain Cavalier L’histoire d’une amitié vive, d’une idée culottée, où Alain Cavalier et Vincent Lindon jouent au Président et au Premier ministre. Génial.

Fabrice Bousteau est rédacteur en chef de Beaux Arts Magazine et co-commissaire de l’exposition Paris-Delhi-Bombay jusqu’au 19 septembre au Centre Pompidou, à Paris.

Jacno Future Bel album hommage au dandy punk où se côtoient Brigitte Fontaine, Etienne Daho, Philippe Katerine et Alex Beaupain. La Castiglione – Vie et métamorphoses de Nicole G. Albert Une biographie raffinée de cette courtisane mythique de la fin du XIXe siècle.

My Little Princess d’Eva Ionesco Le regard d’Eva Ionesco sur sa propre mère au comportement abusif, mais peut-être aussi libérateur.

Fabrice Bousteau

crédit

Un amour de jeunesse de Mia Hansen-Løve La chronique vibrante d’une liaison, de l’adolescence à l’orée de l’âge adulte.

Misteur Valaire Golden Bombay Plus qu’un album : une invitation à venir jouir avec le groupe sur scène, et à assassiner les tristesses.

Sebastian Total A rebours d’une electro formatée, Sebastian sort un album démesuré qui malmène le genre.

Panic sur Florida Beach de Joe Dante. Teenagemovie, hommage au genre du film catastrophe. Coffret Albert Capellani. Redécouverte de l’un des pionniers du cinéma français. Stuck de Stuart Gordon. Le retour d’un cinéaste culte des 80’s avec un conte moral morbide.

L’Assassinat de Mickey Mouse de Pierre Pigot Le Petit Livre bleu d’Antoine Buéno Deux essais ludiques et pointus décryptent la face cachée des mythes de notre enfance.

Le 89 arabe de Benjamin Stora et Edwy Plenel Un livre clé pour comprendre le “printemps arabe”.

Le Perroquet des Batignolles de Stanislas Adaptation ébouriffante d’un feuilleton radiophonique de Tardi et Michel Boujut.

Le Dieu du 12 d’Alex Barbier Des récits où la folie le dispute au réel.

Le Quartier des marchands de beauté de Ben Katchor Déambulation décalée dans une ville à la fois étrange et familière.

Levée des conflits chorégraphie Boris Charmatz Festival d’Avignon Epousant le concept de la danse en canon, l’artiste associé du Festival d’Avignon signe ici une de ses pièces les plus fortes.

Jan Karski de Yannick Haenel, mise en scène Arthur Nauzyciel Festival d’Avignon Nauzyciel utilise le roman d’Haenel pour s’interroger sur la manière de continuer à transmettre le message de Karski.

Oncle Gourdin mise en scène Sophie Perez et Xavier Boussiron Festival d’Avignon L’entrée fracassante d’une bande de lutins, drôles de monstres se livrant à un exorcisme aussi barbare que purificateur.

Dimensions in Modern Management Galerie Jousse, Paris Nous travaillons tous sans le savoir quand nous utilisons internet. C’est le point de départ d’une exposition déstabilisante de Julien Prévieux.

Dystopia CAPC de Bordeaux Venue d’outreManche, la dystopie se décline au CAPC dans une expo aux relents de SF.

Consortium de Dijon Défricheur et unique dans le paysage national, le Centre d’art fait peau neuve.

Child of Eden sur Xbox 360 ; sur PS3 à la rentrée Expérience visuelle et ludique hors du commun qui détourne les codes du jeu de tir.

Duke Nukem Forever sur PS3, Xbox 360 et PC Le personnage le plus outrancier du jeu vidéo revient quinze ans après son premier succès.

Infamous 2 sur PS3 Ce second tome d’Infamous gagne en intérêt dans le mode de partage online des créations des joueurs.

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