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No.824 du 14 au 20 septembre 2011

affaire Bourgi

Sarkozy éclaboussé

2011

la colère

M 01154 - 824 - F: 2,90 €

la vie en Björk

Allemagne 3,80€ - Belgique 3,30€ - Canada 5,75 CAD - DOM 4,20€ - Espagne 3,70€ - Grande-Bretagne 4,80 GBP - Grèce 3,70€ - Italie 3,70€ - Liban 9 000 LBP - Luxembourg 3,30€ - Ile Maurice 5,70€ - Portugal 3,70€ - Suède 44 SEK - Suisse 5,50 CHF - TOM 800 CFP

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j’ai fait un bras de fer avec

Teddy Riner

 I

nitialement, le plan consistait à se retrouver sur un tatami du centre sportif de l’Insep, histoire de voir lequel de nous deux en avait vraiment dans le kimono. Mais Teddy Riner a senti le combat piège. La veille, par l’intermédiaire de son attachée de presse, il a fait valoir une mystérieuse gêne au talon pour annuler l’affrontement, et donner rendez-vous dans un lieu en apparence plus tranquille. Nous voilà donc face à face dans un salon du très bourgeois Plaza Athénée, avenue Montaigne à Paris. Teddy boite un peu (simule-t-il ?) mais il a le sourire. Il ne sait pas encore que le duel aura bien lieu, là, sur une table basse pour le moment couverte de mignardises à la crème. “Un bras de fer ? Sérieux ?”, s’étonne-t-il à l’annonce du programme. Mais, pour vérifier que le champion est aussi balèze qu’on le dit, il ne reste que ça. Vainqueur de sa cinquième couronne mondiale en août à Bercy, Teddy Riner, 22 ans, culmine à plus de deux mètres de hauteur et affiche près de 130 kilos sur la balance. Ses cuisses sont plus larges que celles des plus balèzes cyclistes sur piste alors que ses biceps n’auraient presque rien à envier à ceux d’Arnold Schwarzenegger époque bodybuilding. Pourtant, sur le sujet, l’intéressé fait le modeste. “Dans le judo, mes qualités principales sont la technique, la vitesse, le mental. Pas la force ou la puissance pure. D’ailleurs, je combats régulièrement contre des judokas plus lourds, plus grands et plus puissants que moi. Et ces gars-là me mettent aussi à l’amende en musculation, faut le dire. Je soulève 160 kilos au coucher et 160 kilos au tirage, mais eux, ils font facile 180, 190, 200…”

Riner tente-t-il de nous endormir ou se prépare-t-il psychologiquement à l’éventualité d’une défaite ?

Riner tente-t-il de nous endormir ou se prépare-t-il psychologiquement à l’éventualité d’une défaite ? On est prêts, entraînés. La veille au soir, sur internet, on a revu les meilleures scènes d’Over the Top, avec Sylvester Stalone, et on a bossé la technique sur des sites spécialisés. En matière de bras de fer, le truc consisterait à orienter la main adverse vers soi, puis à tirer, comme un malade, dans l’espoir d’en casser le poignet. Une fois cette technique acquise, tout serait possible, “peu importe le gabarit adverse”, disait même un spécialiste sur un forum. Nous voilà désormais accoudés sur la table basse, nos deux mains droites scotchées l’une à l’autre, les mignardises repoussées au loin. “On y va à fond ?”, demande alors Riner, comme s’il y avait vraiment une alternative. Profitant de la confusion créée par cette question légèrement irrespectueuse, on saisit discrètement, de la main gauche, le pied opposé de la table basse, afin de disposer d’un point d’appui. Il est temps de produire l’effort décisif. Mais après trois secondes d’un affrontement extrêmement intense et serré, Riner finit par l’emporter, à notre grande surprise. A-t-il triché ? Etait-il mieux positionné que nous autour de la table ? A-t-il une technique secrète ? Mystère. Triomphal et un brin arrogant dans la victoire, Riner poussera le vice jusqu’à nous proposer une revanche du bras gauche, “ton meilleur bras, non ?”. Merci, ça va aller. Marc Beaugé photo Renaud Monfourny

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No.824 du 14 au 20 septembre 2011

03 quoi encore ? Teddy Riner

08 on discute courrier ; édito de Serge Kaganski

10 sept jours chrono le paperblog de la rédaction le FN veut élargir son électorat et s’attaque à l’UMP

16 la courbe ça va ça vient ; billet dur

18 nouvelle tête Neil Beloufa

20 ici

Pierre-Philippe Marcou/AFP

14 événement

28

le nuage de Tchernobyl n’a jamais survolé la France

22 ailleurs le réarmement d’Al-Qaeda au Maghreb

24 à la loupe les gros filons du fuck buddy movie Canal+ rachète les chaînes de Bolloré

28 cette colère qui monte printemps arabe, mouvement des Indignés, occupation de Wall Street, rénovation de l’Education, aspiration à une nouvelle égalité : le grand retour de la révolte

43

43 Bourgi jette ses valises le fric de la françafrique

44 les bons comptes…

Ludovic/RÉA

26 parts de marché

62 Blutch/Dargaud

le CSA jongle avec les temps de parole

46 Valls d’étiquettes le candidat à la primaire socialiste veut se défaire de son image sécuritaire

48 presse-citron les politiques en quête de défaite

50 contre-attaque le spleen des gardes forestiers

52 rentrée scènes Buenos Aires à Paris, et vice versa + sélection des spectacles de l’automne

70

62 Blutch fait son cinéma une BD-essai intime et sincère

68 Tom Hardy un Anglais tatoué à l’assaut d’Hollywood

70 Björk l’Islandaise revient avec un projet fou et visionnaire

78 Adam Levin le nouvel auteur culte de l’Amérique

52

Troubleyn/Jan Fabre (Anvers, Belgique), en coproduction avec le Théâtre de la Ville (Paris, France), deSingel (Anvers, Belgique), et le support du Festival Iberoamericano de Teatro de Bogotá

49 que le meilleur perde

Inez Van Lamsweerde et Vinoodh Matadin

revue d’info acide

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80 La Fée de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy

82 sorties Et maintenant on va où ? ; La Guerre des boutons ; Crazy, Stupid, Love… ?

86 festival alors la Mostra, c’était comment ?

88 DVD L’Etrangleur de Paul Vecchiali

90 le marché des jeux en 2010 + Rugby World Cup 2011, Contre jour

92 Balkan Brass Battle les fanfares cinglées débarquent

94 mur du son New Order, Omar Souleyman…

95 chroniques Kid Bombardos, Anthony Joseph, Piers Faccini…

111 morceaux choisis Mark Ronson & The Business Intl, Justice, Wu Lyf…

113 concerts + aftershow Primal Scream

116 Laura Kasischke un roman qui condense toute son œuvre

118 romans/essais James Frey, Christine Montalbetti, Ruwen Ogien…

122 tendance des écrivains écrivent sur des écrivains

125 agenda les rendez-vous littéraires

126 bd la fraternité par Alessandro Tota

128 Brume de Dieu + Le Développement de la civilisation à venir

130 Julio Le Parc + Luca Francesconi

132 à la recherche du cool Nigel Cabourn, Pan Am, Ben Lamb...

134 les mystères de Tibhirine les services secrets algériens en cause ?

136 Christian Rosset auteur-compositeur radio

138 séries Graham Yost, showrunner heureux

140 télévision Arnaud des Pallières rêve d’Amérique

142 MakeSense.org relier bénévoles et entreprises sociales

144 la revue du web décryptage profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 137

145 vu du web l’aspartame

146 best-of le meilleur des dernières semaines

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34 rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs E. Barnett, S. Beaujean, R. Blondeau, T. Blondeau, M.-A. Burnier, B. Catanese, M. Despratx, A. Dreyfus, J.-B. Dupin, P. Dupont, V. Ferrané, J. Goldberg, O. Joyard, J. Julien, C. Larrède, J. Lavrador, P. Le Bruchec, T. Legrand, H. Le Tanneur, L. Mercadet, P. Mouneyres, Na Pincarda Studios, P. Noisette, V. Ostria, E. Pailloncy, E. Philippe, A. Ropert, L. Soesanto, P. Sourd, F. Stucin, G. Villadier, S. Zeghidour lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Delphine Chazelas, Caroline Fleur, Guillaume Falourd, Gaëlle Desportes conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Leily Eslampour publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/ scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté de Paul-Boris Bouzin tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Evelyne Morlot tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 19 98 directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94, Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 chef de publicité junior Chloé Aron coordinateur Guillaume Farez tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/rp Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19 infos 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général David Kessler directeur général adjoint Stéphane Laugier assistante du directeur général Valérie Imbert directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2011 directeur de la publication David Kessler © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages Belgique et Suisse jeté dans l’édition vente au numéro Belgique et Suisse ; un supplément 36 pages “Festival d’Automne à Paris” jeté dans l’édition Paris-Ile-de-France des abonnés et de la vente au numéro ; un encart 2 pages “Bacardi” jeté sur une sélection d’abonnés.

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l’édito

pour la Palestine Le 21 septembre, l’OLP va officiellement demander à l’ONU d’admettre la Palestine comme Etat membre – 125 Etats ont déjà reconnu l’Etat palestinien, la France n’en fait pas (encore ?) partie. Les Etats-Unis vont tout faire pour s’opposer à cette reconnaissance. Les raisons officielles de ce veto concernent l’aspect unilatéral de la demande palestinienne : selon la doctrine américaine, l’Etat palestinien ne peut advenir que par la voie négociée aboutissant à un accord de paix global avec Israël. Les motivations non dites de l’administration Obama sont liées aux liens géopolitiques avec l’Etat hébreu ainsi qu’à l’importante frange juive de l’électorat démocrate. On va sans doute aboutir à un nouveau paradoxe des relations internationales et de l’histoire : le Président américain le plus palestinocompatible depuis Jimmy Carter risque de se retrouver isolé dans son veto. La France devrait rejoindre le camp de la reconnaissance pour de multiples raisons. D’abord, parce que si on remonte à la poignée de mains entre Arafat et Rabin, cela fait bientôt vingt ans que les Palestiniens attendent. Et, si les voies négociées n’ont pas abouti avec un dirigeant aussi modéré que Mahmoud Abbas, on ne voit pas bien avec qui et quand l’objectif pourrait être atteint. Une reconnaissance par l’ONU constituerait un symbole fort. Ensuite, l’Etat palestinien existe dans les faits, avec son peuple, son territoire, ses institutions, son économie, alors pourquoi attendre le bon vouloir des dirigeants israéliens pour le reconnaître ? Enfin, le contexte géopolitique et l’opinion publique mondiale appellent cet événement : les peuples arabes se sont révoltés contre leurs tyrans, on vient de célébrer les dix ans du 11 Septembre, et la majorité des citoyens de la planète tolèrent de plus en plus mal l’injustice faite aux Palestiniens. On peut ne pas avoir de sympathie pour les mouvements nationalistes, on peut admettre que l’avènement d’un Etat palestinien ne réglera pas tous les problèmes des habitants de la région, tout en souhaitant ardemment la reconnaissance internationale d’une Palestine libre et indépendante : parce qu’on a trop attendu, parce que les Palestiniens le méritent mille fois, parce que le monde entier respirera un peu mieux.

Serge Kaganski

Je suis sûre que si on appelle Les Inrocks, on tombe sur le répondeur. A tous les coups, ils sont tous allés voir Primal Scream hier soir… méchamment tweeté par missZazza

hymne aux hommes fous Si certains ont besoin de faire un coming-out pour dire qu’ils n’aiment pas, c’est grave ! Mad Men est la meilleure série actuelle, parce que c’est la seule qui soit encore existentielle, et la quatrième saison est sans conteste (pour ceux qui ne font pas semblant d’aimer) la plus brillante. Comparer Mad Men à des séries “attitude” comme Breaking Bad (antiglamour, glauque, pessimiste…) et The Walking Dead (sympa mais pas très nourrissante intellectuellement), c’est ne pas mettre les choses en perspective, et ne s’intéresser qu’à l’aspect vain et technique de la production

télévisuelle, ce qui est très superficiel. C’est d’autant plus dommage que le vrai drame avec AMC a été la disparition de l’extraordinaire Rubicon, bijou de concentration, d’intelligence et de jeu d’acteur parfait… Mad Men n’est pas seulement là pour nous distraire, c’est un miroir psychologique et sociologique, qui nourrit autant l’intellect que les fantasmes et l’imaginaire. Serais-je seule à l’aimer, je continuerais de l’affirmer haut et fort ! Babevac3 Au sujet de l’article “Mad Men, toujours aussi b ien ?” publié par Olivier Joyard sur lesinrocks.com

les perles de la semaine Depuis que le Phénix du Poitou a tapé du poing sur la table contre l’élévation de la TVA pour les parcs d’attractions, depuis que de nombreux députés UMP se sont inquiétés de l’annulation de la détaxe sur les plus-values immobilières des résidences secondaires, le gouvernement ne cesse de reculer sur les propositions qu’il avait émises par la voix sourde de François Fillon. Ce tango serait fort amusant s’il ne révélait l’incurie et le désarroi dans lesquels la majorité en place patauge. Parmi les perles récentes donc… Un Frédéric Lefebvre en grande forme attribue le nombre croissant de chômeurs à la bonne natalité française : le lien est simple, plus un pays fait d’enfants, plus il fabrique de futurs demandeurs d’emploi. Regardez du côté de l’Allemagne, développe-t-il finement, moins de gosses, donc moins de chômage. CQFD. Seconde perle du week end, notre motodidacte national, Christian Estrosi qui, répondant à un journaliste, développe l’idée fracassante que beaucoup de résidences secondaires sont en fait des deuxièmes résidences principales. Réfléchissez-y quelques minutes et voyez ce qu’on peut tirer dans les conversations de ce nouveau syllogisme. Tout ce qui est second est en fait un deuxième premier. C’est abyssal à en faire peur. Daniel Favre

écrivez-nous à [email protected], lisez-vous sur http://blogs.lesinrocks.com/cestvousquiledites

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction la bonne farce de Jean-Michel Ribes Le 7 septembre, rentrée théâtre au Rond-Point avec René l’énervé de Jean-Michel Ribes, l’opéra-bouffe qui fait dire à son auteur qu’il va finir en prison. Qu’il se rassure ! Son attaque rires et chansons contre Sarkozy tient plus de la farce de chansonnier que de la critique sociale qu’on pouvait attendre de lui. Sévère avec les femmes de gauche, Ribes a Hollande et Jospin dans la salle en guise d’imprimatur du parti de la rose.

le mot

Il n’y a pas que les cohortes kadhafistes qui soient “prises dans l’étau” des forces rebelles. “L’étau de la dette” se resserre sur la France, “l’étau du chômage”, sur Barack Obama. En Bretagne, “l’étau se resserre sur les algues vertes” (dans ce cas, on verrait plutôt un pressoir). On peut changer d’instrument. Exemple : “M. Sarkozy est pris en tenailles entre Jean-Louis Borloo et les durs de la Droite populaire.” Mais tenailles ou étau, l’effet reste le même : on se retrouve coincé. Comme notre époque adore le bricolage, on rencontre souvent quelqu’un qui “enfonce le clou” sauf s’il “donne un tour de vis”. Les journalistes snobs préfèrent “étreinte” à “étau” : “Jean-Louis Borloo resserre son étreinte sur M. Sarkozy”, “Les écologistes resserrent leur étreinte sur les algues vertes.” Ils ont raison : cela vous a un petit côté coquin.

STEPH/Visual Press Agency/courtesy Cinémathèque Française

[étau]

Francis le Gaucher

un show Nanni cool 7 septembre toujours. Bondée, la salle Henri-Langlois de la Cinémathèque à Paris attend Nanni Moretti avec impatience. Arrivé avec une demi-heure de retard, Super Nanni s’excuse, accuse les embouteillages et se lance dans un monologue brillant sur son cinéma et le cinéma. Serge Toubiana, censé animer le débat, n’en place pas une. Suit une projo de La Sconfitta, Pâté de bourgeois et Come parli, frate ?, ses premiers courts métrages en super-8. Toubiana fait remarquer que l’une des premières phrases de Moretti au cinéma est : “Pourquoi es-tu communiste ?” les Français kiffent Microsoft Alors que s’arrachent iPhone et iPad et que le monde entier encense les prouesses d’Apple, un sondage BVA corrige le tir : pour 71 % des Français, l’entreprise qui a le plus changé le monde high-tech s’appelle… Microsoft. logiciel humain Un logiciel de discussion en temps réel a obtenu le pourcentage record de 59,3 % au test de Turing, qui mesure le degré d’intelligence artificielle d’une machine en évaluant sa capacité à imiter l’humain. Plus qu’un simple chat, le logiciel Cleverbot est capable d’intégrer les propos des utilisateurs pour affiner les discussions. Un jour pas si lointain, on se demandera si c’est vraiment à un humain qu’on est en train de raconter sa soirée.

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l’image l’art attaque

Seamus Murphy

Rentrée groupée pour les galeries parisiennes. Où Belleville s’affirme comme la nouvelle place forte de l’art.

de la musique qu’on peut et celles des Anglais ont de la gueule : le Mercury Music Prize a été remporté, pour la seconde fois en dix ans, par PJ Harvey pour son album Let England Shake, devant Anna Calvi, Adele, Metronomy, James Blake et Elbow. “C’est agréable d’être ici”, a-t-elle déclaré pendant la cérémonie au Grosvenor Hotel de Londres. “En 2001 (date où elle avait déjà remporté le prix avec Stories from the City, Stories from the Sea – ndlr), j’étais à Washington en train de regarder le Pentagone brûler par la fenêtre de mon hôtel.” pas morte, Adele La chanteuse a donc perdu mais a de quoi se consoler : son deuxième album, 21, vient de devenir au Royaume-Uni l’album le plus vendu l’année de sa sortie. Paru le 24 janvier, porté par le succès du single Rolling in the Deep, il s’est écoulé à trois millions d’exemplaires : 91 000 par semaine !

Rémi Coignet

gêne dans la guerre des genres Les chercheurs de l’Institut Emilie-du-Châtelet, spécialisé dans les études sur le sexe et le genre, mettent en ligne une pétition contre la demande de retrait des manuels scolaires de SVT première S par quatre-vingts députés UMP. Ces manuels, dans le chapitre intitulé “Devenir homme ou femme”, expliquent le choix de l’identité sexuelle par les stéréotypes socioculturels autant que par le sexe biologique. La présidente, Florence Rochefort, brandit la menace d’une “censure archaïque” et d’une “ingérence religieuse” en matière d’éducation.

Mick Peter, Two Nots (2011), courtesy Crèvecœur

PJ Harvey, queen du Mercury On a les Victoires

Alors que le Marais ressemblait samedi 10 septembre à une fourmilière de jeunes hipsters et de vieux critiques qui se répandait jusque sur le pas des galeries (avec dans la catégorie blockbuster, une mention particulière pour la tentaculaire galerie Perrotin qui inaugurait le show choral de Xavier Veilhan), la surprise est venue de Belleville qui confirmait vendredi soir son statut de nouveau spot de l’art contemporain. Sans tout à fait voler la vedette à la rue Louise-Weiss (qui connut ses grandes heures à la fin des années 90 et avait choisi le même soir pour son vernissage collectif), les galeries de Belleville offraient un paysage anti bling-bling extrêmement réjouissant. Et, au final une vraie homogénéité malgré la diversité des propositions, entre la jubilatoire et très foutraque expo de Neil Beloufa chez Balice Hertling (lire p. 18), les sculptures “publiques” de Mick Peter chez Crèvecœur, le retour miroitant de Julio Le Parc chez Bugada & Cargnel (lire p. 130) ou les peintures postrupestres de Jonathan Binet chez Gaudel de Stampa. Seul point noir : le goût amer laissé par la sélection drastique de la Fiac qui fait dans son édition 2011, du 20 au 23 octobre, l’impasse sur de nombreuses galeries. 14.09.2011 les inrockuptibles 11

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le moment le vert leur va si bien

Ambiance bon enfant et rosé bio au festival écolo We Love Green illuminé par Connan Mockasin et des Metronomy survoltés.

Ayse Kaya

Samedi, on a pris un aller simple pour l’espace avec Connan Mockasin (photo). Sorte de Petit Prince psychédélique, le Néo-Zélandais, mèches blond bébé et bouteille de vin en main, a brillamment ouvert le festival We Love Green en distillant ses comptines entêtantes – dont un magnifique It’s Choade My Dear. Le parc de Bagatelle, au cœur du bois de Boulogne, accueillait la première édition de cette manifestation musicale éco-conçue. Pas de Brésiliens au cœur du village de tipis, plutôt des aspirants Apaches coiffés de plumes, apparemment ravis de se balader dans un espace où tout, du cendrier jetable aux boissons bio et aux meubles en carton recyclé, était pensé dans l’idée de réduire au maximum l’empreinte écologique. Côté programmation, on a pu voir les bondissants Of Montreal livrer un show délicieusement barré, à mi-chemin entre spectacle de catch et arts du cirque, l’enfant terrible Peter Doherty reprendre Can’t Stand Me Now en duo inattendu avec Soko, Selah Sue réchauffer de sa voix suave un public quelque peu refroidi par les averses du dimanche, sans oublier les quatre fantastiques de Metronomy, incontournables têtes d’affiche de l’automne. On attend la deuxième édition, rien que pour siroter du rosé bio pieds nus dans l’herbe, au son des sensations du moment. A la coule, quoi.

la trousse de Cindy Sherman Gonflé : pour sa nouvelle campagne de pub, la marque de cosmétiques M.A.C s’est offert les services de Cindy Sherman, artiste conceptuelle réputée pour ses autoportraits grimés qui dénoncent les stéréotypes féminins. Résultat : trois clichés ultraléchés où Cindy Sherman apparaît maquillée comme un camion volé… en vamp fatale, en milf peinturlurée et carrément en clown. un Laurel Canyon toujours fertile A la fin des années 60, Frank Zappa, les Byrds ou Joni Mitchell s’étaient installés au Laurel Canyon, sur les hauteurs de Los Angeles, au milieu des cactus et des eucalyptus. On y retrouve quarante ans plus tard Jonathan Wilson, jeune songwriter américain amoureux de la nature et des harmonies vocales estampillées West Coast. Le musicien nous invite à redécouvrir ce havre de paix qui lui a inspiré le très bel album Gentle Spirit, à paraître cet automne. Grande nouvelle pour tous les amoureux des Fleet Foxes. au centre du désert vert La société américaine PegasusGlobal Holding va créer dans le désert du Nouveau-Mexique une ville-test de 35 000 habitants pour y tester les technologies émergentes et respectueuses de l’environnement. Pour 200 millions de dollars, le projet, sobrement intitulé “The Centre”, permettra d’expérimenter en réel réseau internet sans fil dernier cri, transports verts et panneaux solaires. ESG, un cabaret très sauvage “Qui veut danser avec cette femme ?”, demande Renee, la chanteuse (tout juste sortie de taule) en désignant sa sœur, la plantureuse Marie, qui ondule avec une sensualité insoutenable. Les sisters du Bronx d’ESG, samplées par de nombreux groupes de hip-hop, auront livré une performance aussi minimale que primale. Point d’orgue de la soirée : le tube punk-funk You make no sense repris en chœur. Une des pépites du festival Jazz à la Villette, déjà électrisé quelques jours avant par le live jusqu’au-boutiste des Néerlandais de The Ex et, le surlendemain, par les retrouvailles des “horny horns” Maceo Parker, Fred Wesley et Pee Wee Ellis dans une Grande Halle en surchauffe. L. M., G. S. et B. Z. et avec la rédaction

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salades niçoises Ralliement démenti, contre-meeting de l’UMP, retour aux fondamentaux, la boussole du FN part dans tous les sens. Un seul objectif : élargir son électorat et faire péter l’UMP.

l’entrée du palais des congrès de Nice, la sécurité des Journées d’été de Marine 2012 ne rigole pas. On passe entre les portiques et l’intérieur des sacs à main est contrôlé. “De la crème solaire ? Normalement, c’est interdit.” “Je suis de la presse.” “Mmm, ok, ça va.” En ce weekend de commémoration des attentats du 11 Septembre, tournant sécuritaire mondial, la candidate à la présidentielle a fait dans le fondamentalisme frontiste. Dans son discours de clôture, le thème de l’immigration est repassé en tête, avec “l’arrêt de l’immigration légale” (gros succès dans la salle), suivi de près par la sécurité. Il a fallu patienter pour l’entendre parler crise et sortie de l’euro, ses sujets de prédilection depuis des mois. A Nice la très droitière, Marine Le Pen est revenue aux fondamentaux disputés par l’UMP. L’ex-maire Jacques Peyrat, à ses côtés dans la salle, compte reconquérir en 2014 la mairie ravie par Christian Estrosi en 2008. Le FN se tasse dans les sondages (de 22 à 18 %, ce qui reste très élevé, d’autant que les scandales d’Etat risquent de lui profiter). Rien de mieux qu’un repli identitaire au moment d’un effacement médiatique dû à la polémique autour

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de la tuerie en Norvège et à la remontée de Sarkozy, paradoxalement reboosté par la crise. A droite, on se rend coup pour coup. Lundi 12 septembre, Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, annonce qu’il veut rapatrier les mineurs roumains délinquants. La veille, Christian Estrosi a transformé sa réunion annuelle en contre-feu aux Journées du FN. Une démonstration de force : 2 000 militants UMP contre 600 grand max aux heures de pointe aux journées marinistes. Dans le Théâtre de verdure, en plein soleil, le chef de la majorité Jean-François Copé achève son discours, non sans avoir taclé le FN : “Le patriotisme, ce n’est pas la haine de l’autre (…) Qui est l’allié objectif du FN ? Les spéculateurs des marchés.” Assis aux côtés d’Henri Guaino et Alain Joyandet notamment, le maire de Nice se lève et entame son discours de clôture. Une spectatrice brandit alors une pancarte et crie “Estrosi complice, pas de mosquée à Nice”. Plusieurs militants de la branche locale du Bloc identitaire, Nissa Rebela, vont successivement l’interrompre. “Aller au congrès du FN ? On n’a rien à voir avec eux”, rétorque l’un d’eux après avoir été sorti vigoureusement par le service d’ordre.

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Journées d’été Marine 2012, Nice, le 11 septembre

Ulrich Lebeuf/M.Y.O.P

pour l’instant, de la société civile, Gilbert Collard reste le seul ralliement médiatique

Samedi, Yvan Benedetti, issu de l’Œuvre française (groupuscule ouvertement fasciste) et “purgé” du FN – selon ses termes – en juin, a tenu une conférence de presse avec Alexandre Gabriac, exclu du parti pour cause de salut nazi. Il fustige et pointe les contradictions de la politique de “dédiabolisation” du FN. “Marine Le Pen déjeune avec Serge Ayoub (figure tutélaire des skins français – ndlr) mais dénonce les tenues vestimentaires et les cheveux courts”, a déclaré le soutien de Bruno Gollnisch. Ce dernier a jugé que cette conférence n’était “pas une bonne idée”. Benedetti a surtout dévoilé l’existence, selon lui, d’“un protocole d’accord” entre le Bloc identitaire et “des membres du cabinet de Marine Le Pen”. Le Bloc retirerait sa candidature en échange de places aux législatives. “J’ai des mails”, insiste Benedetti, tout en refusant de les montrer. “Comme d’habitude, Benedetti ne dit que des sottises”, balaiera plus tard Marine Le Pen. Le lendemain, Arnaud Gouillon, candidat du Bloc, annonce son retrait de la course à la présidentielle. Les raisons invoquées ? Le manque de moyens et la difficulté à réunir les cinq cents signatures. Le même jour, Philippe Vardon, figure historique du Bloc identitaire niçois, est dans la salle pendant le discours de Marine Le Pen. Pour

travailler à la réélection de Jacques Peyrat. Aussi parce que “certains cadres du Bloc identitaire intéressent le FN (…) Ils sont jeunes, activistes, provocateurs sans excès et savent utiliser comme personne les nouveaux médias”, comme l’écrivent les journalistes du Monde Abel Mestre et Caroline Monnot dans Le Système Le Pen (Denoël). Au week-end du Front, les militants FNJ ressemblent certes à des Jeunes pop, mais ils étaient une cinquantaine à tout casser. Echaudé par les intrusions à son meeting, Christian Estrosi a brocardé lundi un FN “allié avec des gens qui servent de la soupe au porc pour discriminer les musulmans”. Furieusement anti-islam sous un drapé de laïcité, le Bloc est partisan du renvoi des immigrés au nom de la sauvegarde des cultures et de la haine du métissage. Ce groupuscule d’extrême droite est antirépublicain, régionaliste et européaniste. A mille lieues du discours de Marine Le Pen sur l’Etat fort, la sortie de l’euro et la nation. Loin aussi du gaulliste souverainiste Paul-Marie Coûteaux, fraîchement rallié au Front national. Ancien proche de Jean-Pierre Chevènement, Philippe Séguin, Charles Pasqua ou Nicolas Dupont-Aignan, son rapprochement fait partie de la stratégie d’élargissement et d’ouverture du FN, engendrée par la “dédiabolisation”. Pour passer le premier tour de la présidentielle comme en 2002, il faut ratisser large. Autre ralliement, celui de l’ultralibéral Alain Dumait, ancien maire UDF du IIe arrondissement de Paris et future tête de liste soutenue par le FN aux sénatoriales. Mais, comme les Identitaires, pas sûr qu’il soit en accord avec les invocations de “l’Etat fort”, de l’intérêt général et de “bonne dépense publique” de Marine Le Pen. Identitaires, souverainistes, ultralibéraux, un alliage hétéroclite de circonstance, qui “repose sur son score à l’élection présidentielle qui doit permettre d’être en position de force aux législatives”, écrivent Mestre et Monnot. Si Sarkozy est battu,

les cartes seront rebattues à droite – 30 % des investitures frontistes pour les législatives sont réservées aux ralliés. Mais cette écurie présidentielle idéologiquement hétéroclite est instable. Avant ces Journées d’été, le Front national avait donné un os aux journalistes. Un rallié de poids y serait dévoilé. Entre deux mini-pans-bagnats, on apprend samedi qu’Yves Bertrand, ancien boss des RG et chiraquien pur jus, a donné une interview au site Causeur.fr. “Marine Le Pen est quelqu’un de respectable et elle devrait pouvoir participer pleinement au débat politique. Elle est victime d’une diabolisation injuste et absurde à cause de son nom”, déclare-t-il avant de plaider pour sa réintroduction dans la famille de la droite républicaine et parlementaire. Voilà le fameux ralliement. Las, le lendemain, Bertrand explique qu’il n’est pas question pour lui d’adhérer et de voter FN. Gêné par ce démenti, le FN adapte son argumentaire : “un pas un arrière, deux pas en avant. Au total, on avance…” Pour l’instant, de la société civile, Gilbert Collard reste le seul ralliement médiatique. Le président du comité de soutien était très présent aux Journées Marine 2012. Il promet de dévoiler la liste des autres ralliés pour octobre. Cette caution “dédiabolisation” aime dire : “Si Marine dérape, je me barre.” Peu subtil et démago, l’avocat a placé à la tribune deux fois les mots “cul” et “couille”, une fois “merde” et aussi le verbe “péter”. Collard flatte la France du bar. Avec un hit : “Qui aura les couilles de faire quelque chose ? (le public scande Marine ! Marine ! Marine !) Comme disait Audiard, il faut avoir les couilles glorieuses !” Son objectif ? Marteler encore et encore que le FN n’est pas raciste, qu’il n’est pas honteux de le rejoindre. A la fin de son discours, commentaire d’une frontiste à chien-chien : “Il le fait par intérêt, pour qu’on parle de lui, j’aime beaucoup Marine Le Pen, mais il est trop tard, on est déjà envahis.” Anne Laffeter 14.09.2011 les inrockuptibles 15

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Bref

les steaks synthétiques

retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

le tennis

“vas-y arrête de soûler avec ta thyroïde, on te dit que le nuage il s’est arrêté à la frontière”

Louis C.K. la flûte à bec

“habemus poppers” entrer par effraction chez Céline Dion et s’y faire couler un bain

les Ch’tis

New Order au Bataclan Mother Festival

New Order au Bataclan Le groupe se produira pour un concert exceptionnel à Paris le 18 octobre. Mother Festival La scène féminine electro et expérimentale sera à Berlin les 22 et 23 septembre. Entrer par effraction chez Céline Dion et s’y faire couler un bain Héros moderne, cet inconnu de 36 ans a été

Eddie Murphy

Denise Truscello

“le monde appartient à ceux qui se lèvent gros”

Jean-luc Bertini

Nouvelle star

arrêté par la police. La flûte à bec Le petit joueur de flûtiau est en larmes, l’instrument n’est plus obligatoire au collège. Les Ch’tis Ils sont les tristes héros de l’horrible téléréalité de W9 Les Ch’tis à Ibiza. Craignos. Eddie Murphy C’est lui qui hostera la 84e cérémonie des oscars en février. D. L.

billet dur

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“100 millions de twittos et pas un pour dire un truc intéressant”

herJoseph Macé-Scaron, L’assourdissant concert d’éloges ayant accompagné la sortie au printemps de ton roman Ticket d’entrée – un tantinet amplifié il est vrai par les hauts et beaux parleurs du copinage inter rédactionnel – semble désormais couvert par le bruit des casseroles. Non seulement le savoureux “roman à clés” sur les mœurs consanguines de l’édition, du pouvoir et du journalisme est devenu le roman bâclé d’un Rubempré du copier-coller prenant ses lecteurs pour des poissons rouges, mais voilà désormais qu’une cascade de révélations te bombarde, Jo Macé-Scarbone, à la tête d’une véritable industrie de la photocopie. Personnellement, j’étais presque prêt à avaler tes sornettes sur l’intertextualité, concept pourtant bien fumeux que tu déterras en urgence pour

tenter de justifier en les surlignant tes peu glorieux larcins commis chez Bill Bryson, Jay McInerney ou Ernst Jünger. Le plagiat, c’était bon pour les loufiats comme Ardisson ou PPDA, alors que toi tu “intertextualisais”, ce qui revenait au même mais en plus chic. Je comprends, après tout, il fallait bien sauver les meubles de l’incendie terrible qui risquait d’anéantir ta position dominante de chroniqueur-journaliste-éditorialiste-critiqueintellectuel-mannequin Fred Perry-sosie approximatif de Marc Almond. Un statut acquis avec panache dans la profession, après t’être fait héroïquement gicler du Figaro Magazine pour avoir, selon tes mots, “refusé de sucer Nicolas Sarkozy”. Las, au regard des récents épinglages de tes multiples siphonnages des articles de tes confrères, il apparaît que Sarkozy sera bientôt la seule personne que tu n’aies pas pompé, mon pauvre ami. Je t’embrasse pas car, pour “intertextualiser” Maupassant, “un baiser légal ne vaut jamais un baiser volé”. Christophe Conte

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Neil Beloufa Tuyauterie apparente chez l’artiste Neil Beloufa, geek rentré et vrai magicien, dont les expos sont des drogueries 2.0.

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n tant que nerd, je suis fasciné par la non-hiérarchisation des infos, le fait qu’il n’y ait plus de mémoire, que tout s’aplatisse”, explique le jeune Neil Beloufa, 26 ans, qui se serait bien vu monter des sites internet et faire du cartoon avant de bifurquer vers les Beaux-Arts de Paris et les Arts-Déco. A Belleville, ce “néopauvre revenu de Star Wars” présente donc un dispositif ramifié, bordélique même, où “tout se vaut :

les calques en plexiglas bleuté comme les films, le vidéoprojecteur et les plantes vertes”. A l’écran, c’est la même confusion qui s’opère : à l’instar de Google Images, Neil Beloufa superpose les discours sur Vancouver, “dictature green”, longtemps “ville la plus agréable à vivre au monde”, où il expose parallèlement. “J’ai demandé aux personnes que j’ai interviewées de me dire pourquoi Vancouver était selon eux un paradis : ils m’ont cité

les condos (ces copropriétés presque autarciques –  ndlr) gigantesques, le vin qui ne soûle pas et le ratio de filles.” Ce qui n’a pas empêché, rappelle le caustique Beloufa, son déclassement au profit de Melbourne. Claire Moulène photo Frédéric Stucin/M.Y.O.P exposition jusqu’au 11 octobre à la galerie Balice & Hertling, 47, rue Ramponeau, Paris XXe www.balicehertling.com

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un autre nuage sur Tchernobyl L’enquête sur les effets de Tchernobyl en France s’est close sur un non-lieu. Les parties civiles n’entendent pas lâcher l’affaire et iront si nécessaire jusqu’à la Cour européenne de justice.

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e nuage de Tchernobyl est-il entièrement dissipé ? Rien n’est moins sûr : “Je suis scandalisée, indignée et meurtrie” dit Michèle Rivasi, députée verte au Parlement de Strasbourg. La fondatrice de la Criirad (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité) ne décolère pas après le non-lieu prononcé le 7 septembre par la cour d’appel de Paris qui met hors de cause le professeur Pierre Pellerin, 88 ans, en charge en 1986 du Service central de protection contre les rayons ionisants lorsque le panache en provenance de Tchernobyl avait, malgré les dénégations des autorités, survolé la France, en s’attardant particulièrement, sur l’est du pays, le Midi et la Corse.

“ce que l’on présente comme une décision de justice irréprochable est en fait un oukase politique”

M. Pellerin était mis en examen pour “tromperie aggravée” à la suite d’une plainte d’une association regroupant 400 personnes qui souffrent de maladies de la thyroïde, selon elles en raison des émanations radioactives dispersées par la centrale ukrainienne. “Ce que l’on présente comme une décision de justice irréprochable est en fait un oukase politique, reprend Michèle Rivasi. Ce n’est pas la juge Marie-Odile BertellaGeffroy, qui instruit cette affaire avec soin depuis 2001, qui a prononcé le non-lieu : elle a été dessaisie du dossier ! C’est la chambre d’instruction qui s’est ralliée à l’avis du procureur général, donc du parquet, aux ordres du pouvoir.” Cette décision, qui clôt de fait l’enquête sur Tchernobyl en France, laisse un goût de cendres. Michèle Rivasi cite un rapport d’experts qui établit qu’une augmentation significative de troubles de la thyroïde a été observée en Corse à cette période. “S’il n’y a pas de justice pour toutes ces victimes, poursuitelle, cela veut dire que nous

ne sommes pas en démocratie dans le cadre du nucléaire.” Si l’augmentation des pathologies thyroïdiennes peut toujours être sujette à caution (même s’il est avéré que l’exposition par voie respiratoire à des éléments radioactifs augmente le risque de cancer), ce non-lieu permet aussi de faire passer par pertes et profits les autres carences des autorités lors de la catastrophe de 1986. L’arrivée du panache de Tchernobyl s’est produite à la veille du week-end du 1er mai . Les ministères sont vides, Chirac et Mitterrand sont à Tokyo pour un sommet de chefs d’Etat et le transport des éléments radioactifs prélevés dans toute la France fonctionne au ralenti. Les informations officielles sur les éventuelles contaminations alimentaires sont rassurantes (“même pour les Scandinaves, la santé n’est pas menacée”, déclare Pierre Pellerin le 29 avril), mais aucun chiffre de contamination n’est communiqué durant la première semaine. Pendant ce temps, en Allemagne,

la consommation de produits frais est interdite. Depuis, de multiples études ont montré que nombre de produits de base (lait, eau, légumes) étaient contaminés, beaucoup plus que le prétendait le professeur Pellerin, tête de pont envoyée au cassepipe par les ministres en charge du dossier (Michèle Barzach à la Santé, Charles Pasqua à l’Intérieur) pour rassurer la population. Sans trop d’illusions sur un coup de théâtre de la Cour de cassation, devant laquelle l’affaire a été portée, les plaignants de ce dossier, d’autant plus sensible que Fukushima est passé par là, en demanderont l’examen par la Cour européenne de justice. Le 12 septembre, suite à une explosion dans un centre de traitement des déchets à Marcoule (Gard), le gouvernement a vite assuré qu’il n’y avait pas de fuites radioactives. Sans doute moins bien renseignés que les cabinets parisiens, les pompiers dépêchés sur place évoquaient, eux, un “risque” de fuite radioactive. Alain Dreyfus

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Troupes du CNT le 10 septembre

la poudrière sahélienne Pendant que certains cherchent Kadhafi aux marges du Sahara, une partie de ses combattants étrangers et de son ancien stock d’armes s’y trouve déjà. Une aubaine pour Al-Qaeda au Maghreb islamique.

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ombien de convois de contrebandiers, de marchandises et de gens entrent dans le désert chaque jour, vers le Soudan, le Tchad, le Mali ou l’Algérie ? Comme si c’était la première fois qu’un convoi traverse vers le Niger !” Mouammar Kadhafi se terre peut-être au fond d’un trou en Libye, priant chaque jour pour que ses derniers partisans ne le livrent pas aux troupes du Conseil national de transition (CNT) ; dans son dernier message, l’ancien dictateur en fuite n’en garde pas moins une certaine ironie face aux rumeurs de la semaine dernière. Après l’arrivée au Niger de son ancien chef de la sécurité, tout a été dit : d’après une source militaire nigérienne, anonyme, on ne compte plus les caravanes de véhicules, camions Mercedes, 4x4 blindés arrivés de Libye. Certains croyaient avoir aperçu le convoi de Kadhafi “en route pour le Burkina-Faso”. Quelques précisions et démentis officiels plus tard, on sait qu’une quinzaine de responsables de l’ancien régime – dont Saadi, l’un des fils Kadhafi –

s’est réfugiée en territoire nigérien. L’ancien guide libyen, lui, serait toujours en Libye et n’inquiéterait pas outre mesure les autorités de Niamey, qui ont promis de le livrer à la Cour pénale internationale si l’idée lui venait de passer la frontière. Pendant que la chasse au dahu battait son plein aux confins du Sahara, quatre pays de la région (Algérie, Mali, Mauritanie, Niger) se réunissaient à Alger pour discuter de menaces bien plus préoccupantes que quelques dignitaires d’une dictature en déroute. Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), enlèvements d’étrangers, trafiquants de drogues, d’armes et d’êtres humains : en quelques années, la bande sahélienne qui traverse le sud du Sahara est devenue l’une des zones les plus dangereuses de la planète. Un territoire aussi grand que les Etats-Unis définitivement “transformé en poudrière” par la guerre en Libye, si l’on en croit le chef de la diplomatie nigérienne Mohammed Bazoum. Dès le mois de mars, le président tchadien Idriss Déby affirmait dans

Mahmud Turkia/AFP

en quelques années, la bande sahélienne est devenue l’une des zones les plus dangereuses de la planète

Jeune Afrique : “Les islamistes d’Al-Qaeda ont profité du pillage des dépôts d’armes en zone rebelle pour s’approvisionner.” Quelques jours plus tard, plusieurs sources au Mali et au Niger confirmaient l’information : Aqmi aurait récupéré des dizaines de véhicules militaires, des lance-roquettes antichar, des stocks de kalachnikov, de munitions, d’explosifs et aurait réussi à transférer le précieux butin dans le Sahel. Le groupe terroriste, dont on sait qu’il commençait à manquer d’armes, semble s’être reconstitué un arsenal impressionnant. On évoque même la disparition en Libye de plusieurs Sam-7 : des missiles sol-air à tête chercheuse. “C’est une arme redoutable, explique un expert militaire présent à la réunion d’Alger. Elle permet d’abattre un hélicoptère à près de 5 kilomètres.” Le général Carter Ham, qui dirige les forces armées américaines en Afrique, prend la menace très au sérieux : “Les nouvelles autorités libyennes doivent résoudre le problème. Le contrôle des armes libyennes est sous l’entière responsabilité du CNT.” Autre source d’inquiétude, le retour au pays de milliers de migrants : “Quelque 20 000 travailleurs maliens sont déjà revenus de Libye, s’alarme Soumeylou Boubeye Maïga, le ministre malien des Affaires étrangères. Maintenant, c’est la seconde vague avec ceux qui étaient impliqués dans les combats qui reviennent avec des armes.” Combattants touaregs alliés de longue date à Kadhafi, ou mercenaires subsahariens recrutés pour mater la rébellion : “Il n’y a pas de travail pour eux, confie un diplomate sahélien. Certains vont peut-être rejoindre leur famille, au Niger, au Tchad ou au Mali. Mais la plupart sont livrés à eux-mêmes, sans aucune ressource.” Dans une des régions les plus pauvres du monde, les bandes criminelles et les groupes terroristes ne devraient pas avoir de mal à recruter ces soldats sans armée. Guillaume Villadier

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amis, amants ou maris Hollywood semble avoir troqué le mythe du prince charmant contre le cliché du “sex friend”. Sans pour autant renouveler le genre de la comédie romantique.

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Sur l’affiche de Sexe entre amis (sorti le 7 septembre), Justin Timberlake et Mila Kunis semblent essayer de nous signifier quelque chose avec leurs mains. Concrètement, ce geste peut évoquer, avec peu de poésie, la pénétration. Il peut également faire référence à un jeu d’enfant, popularisé par la série Malcolm. Appelé “le jeu de l’œil”, il s’agit de former un rond avec ses doigts et d’attendre que son camarade le voie. Si l’autre réagit et est assez prompt pour insérer son index dans le rond en question alors il gagne le droit de taper son copain. S’il ne réagit pas c’est l’autre qui se doit de lui donner un gros coup. Entre signe cru et jeu d’enfant à la “qui aime bien châtie bien”, l’affiche donne le ton : il s’agit là de deux potes (dont la relation ressemble un peu à une “bromance”, la fille n’hésitant pas, par exemple, à traiter son comparse de “gonzesse”) qui décident de coucher ensemble afin de satisfaire leurs besoins vitaux sans s’embarrasser des chagrins d’une relation amoureuse.

girls & boys next door

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Sexe entre amis n’est pas le seul film à traiter du concept de fuck buddies. Plus tôt dans l’année, Sex Friends mettait en scène Natalie Portman et Ashton Kutcher pris dans une histoire similaire. Si la chose était un procédé classique des séries où elle aidait à renouveler un peu l’intrigue (de Dawson à How I Met Your Mother), elle est récemment devenue un ressort majeur de films hollywoodiens. Ainsi dans Love & autres drogues ou encore Mes meilleures amies où un prince charmant (riche, beau, un peu con et réticent à s’engager) se voit déclassé (attention spoiler) au profit d’un mec jusqu’alors beaucoup trop normal pour finir par pécho l’héroïne. “Je ne crois pas au cliché hollywoodien du grand amour”, affirme Mila Kunis dans le film. En réalité, c’est évidemment tout le contraire car la question “vont-ils finir par coucher ensemble ?” se transforme seulement en “vont-ils finir par se mettre en couple ?”. Tous les gros filons de la comédie romantique subsistant ici pour le meilleur ou pour le pire.

fragments d’un discours de “fuck buddies” Loin de l’exemple du jeune Werther, le mythe des sex friends se nourrit de deux théories populaires : l’amitié entre garçon et fille n’existe pas et l’amour, ça fait mal. En ce monde rose fané, au cœur de deux solitudes, les deux personnages principaux commencent par coucher ensemble et, après quelques péripéties, par constater de manière assez prévisible qu’on n’échappe pas aux sentiments. De quoi jouer sur la peur – du couple, de l’intimité ou de l’engagement –, supposée être un problème générationnel. En pratique, la chose permet d’amener des scènes de cul sans background sirupeux. Et de plaire à un autre public que celui des comédies romantiques classiques : les garçons (hétéros). Le mythe de la fille qui boit des bières en pyjama avec son pote avant de coucher avec lui leur parlerait-il plus qu’un baiser passionné sous la pluie ? Diane Lisarelli 24 les inrockuptibles 14.09.2011

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Universal débouté de sa plainte contre Deezer En juin, Universal Music France a attaqué Deezer en justice pour contrefaçon, accusant le site de streaming de diffuser ses morceaux alors que l’accord d’exploitation du catalogue Universal n’était pas renouvelé. La major, qui prônait un modèle gratuit réduit à cinq écoutes d’un même titre, se vengeait ainsi du refus de Deezer. Le 5 septembre, le juge des référés du TGI de Paris a considéré qu’Universal Music France abusait de sa position dominante et l’a donc débouté. Universal a déclaré vouloir contre-attaquer. En attendant, Deezer peut toujours exploiter le catalogue d’Universal sur son offre gratuite, et vient également de lancer ses services Premium (payants) en Grande-Bretagne. couac Hadopi Robert Thollot, l’une des dix personnes à avoir reçu un troisième avertissement de l’Hadopi, ne devrait pas voir sa connexion coupée. D’après le site SOS Hadopi, qui avait aidé le contrevenant présumé à préparer sa défense, “l’Hadopi a annoncé à M. Thollot le report de sa convocation sine die dans l’attente d’informations complémentaires de la part de son fournisseur d’accès”. Cet enseignant de la Loire a toujours répété qu’il n’avait jamais téléchargé et qu’il était en cours à l’heure du flashage. Aubry : haro sur Hadopi Martine Aubry préconise l’instauration d’un prélèvement d’un euro sur l’abonnement mensuel à internet. Cette taxe financerait les droits d’auteur et la création musicale.

Na Pincarda Studios

brèves

un coup dans le PAF Le groupe Canal+ redistribue les cartes sur le marché de la TNT gratuite avec le rachat des deux chaînes du groupe Bolloré, Direct 8 et Direct Star.

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n pleine rentrée télévisuelle, marquée plutôt par une atonie générale, la nouvelle a remué le paysage audiovisuel français : le groupe Canal+ a annoncé, le 8 septembre, qu’il rachetait 60 % des deux chaînes de télé du groupe Bolloré, Direct 8 et Direct Star. Un séisme à l’échelle de la cartographie audiovisuelle française. Un crochet direct dans la gueule de ses concurrents. Mais que vient donc faire la chaîne cryptée dans la galère d’une TNT qui ne lui ressemble guère ? Précisément prendre pied dans la télévision gratuite, à défaut de la transformer de fond en comble (ce qui serait une bonne idée, vu le très faible niveau d’ensemble). Depuis plusieurs mois déjà, le président de Canal+, Bertrand Méheut, avait annoncé la couleur de son ambition, comme si l’élargissement de son territoire à la TNT formait le cœur d’une nouvelle stratégie industrielle axée sur la réalité d’un marché de la télé augmenté et fragmenté. Son projet de chaîne, intitulé Canal 20, rendu public il y a plusieurs mois, restait suspendu à la décision du gouvernement d’autoriser le principe d’une chaîne bonus, à laquelle avaient normalement droit les grandes chaînes TF1, M6 et Canal+ en compensation de leur neutralité au moment du lancement de la TNT. Or, Canal 20 inquiétait TF1 et M6, qui voyaient d’un mauvais œil l’arrivée de la chaîne cryptée sur la TNT gratuite, avec ses ressources importantes

en termes de programmes (fictions, séries, sport, magazines, en deuxième fenêtre). Suite à un travail de lobbying à peine secret de TF1 et de M6, le gouvernement, par la voix d’Eric Besson, ministre de l’Industrie et de l’Economie numérique, avait annoncé à la fin de l’été le choix d’une nouvelle norme technique (le DVB-T2) pour les décodeurs TNT, trop longue à installer pour permettre l’accès cette année à la chaîne honnie. Le subterfuge, gros comme une maison Bouygues, n’a pourtant pas empêché Bertrand Méheut de repartir à l’assaut de la TNT avec ce rachat surprise de Direct 8 et Direct Star. Pour lui, “ce partenariat vise à préparer le groupe Canal+ à l’arrivée dans le secteur de la télévision de nouveaux opérateurs comme Apple, Netflix, Google”. L’opération est valorisée à 465 millions d’euros, sachant que Canal+ aura la possibilité de racheter les 40 % restants du capital de Bolloré Média dans les trois années à venir. Pour le groupe Bolloré, cet accord surprise, qui devrait permettre le développement éditorial et commercial de ses deux chaînes, est aussi le signe de son recentrage sur ses activités de presse (ses journaux gratuits, Direct Matin et Direct Soir) et la publicité (Havas). Pour TF1 et ses chaînes de la TNT (TMC et NT1), comme pour M6 et sa chaîne W9, l’offensive de Canal+ est une déclaration de guerre. La TNT gratuite, démarrée dans un climat de prudence tempérée, est devenue une jungle. Jean-Marie Durand

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Elizabeth Tchoungui

Le Post.fr, filiale du Monde, négocie avec le Huffington Post, célèbre pure player américain, les conditions d’une alliance. Il pourrait donc prochainement y avoir un HuffPo.fr.

bouillons pour France 2 Triste rentrée pour France 2 : le nouveau rendez-vous de Delarue, Réunion de famille, et l’émission culturelle animée par Elizabeth Tchoungui, Avant-premières, sont un échec d’audience, et surtout un échec éditorial.

internet social Le gouvernement veut mettre en place un tarif social d’internet. Pour les allocataires du RSA, un abonnement haut débit et le téléphone illimité coûteront 20 euros. Cela suffira-t-il à réduire la fracture numérique ?

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tweets sur Facebook Il est désormais possible de publier la totalité de ses tweets sur Facebook et vice versa. Avant, il fallait passer par des services tiers. En modifiant les paramètres, les publications peuvent s’afficher sur les deux profils.

Paris Première fête ses 25 ans Pionnière en France des chaînes du câble, Paris Première diffuse le 16 septembre les meilleurs moments de ses émissions historiques, et s’expose pour une journée unique au Grand Palais le 20 septembre.

Ali Mahdavi

Eric Vernazobres

bientôt HuffPo.fr ?

Alexandra Golovanoff

ce soir et toujours La rentrée de Ce soir (ou jamais !) de Frédéric Taddeï, même réduite à une édition hebdomadaire, est une réussite : de Rosanvallon à Fassin, de Buren à Moretti, enfin une parole stimulante et intelligente à la télé. Rare.

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le retour de la revolte

Printemps arabe, mouvement des Indignés, manifestations en Israël, en Chine… : inquiet pour son avenir, insatisfait de ses dirigeants, le monde entier se soulève.

évolution : il y a seulement un an, qui osait s’en réclamer ? Les trotskistes radicaux eux-mêmes avaient abandonné le terme : ils étaient passés de la Ligue communiste révolutionnaire au Nouveau parti anticapitaliste. Et voilà le mot et la chose qui reviennent. Cette fois, cela ne part ni de Berlin, ni de Moscou, ni de Paris comme en 1789, 1848, 1905, 1917 ou 1968. Le mouvement débute là où on l’attendait le moins : d’un marchand ambulant d’un petit village de Tunisie, Sidi Bouzid. Comme en Europe aux XIXe et XXe siècles, cette révolution de jasmin embrase les dictatures voisines du monde arabe, Egypte, Yémen, Syrie, Libye, Maroc et en partie Algérie. Pour une fois, ces révolutions orientales sont des modèles pour l’Occident. Elles touchent l’Espagne, la Grèce, l’Islande, le Chili et Israël… Elles ont trouvé leur nom dans l’opuscule d’un vieux monsieur, résistant héroïque et ancien diplomate, Stéphane Hessel et son indignation : ce sera, international lui aussi, le mouvement des Indignés. Voici une éclaircie inouïe au milieu des dictatures croulantes et des démocraties fatiguées. Les résidus du marxisme en disparaissent, l’islamisme radical n’y est pour rien, la démocratie s’en régénère… Ailleurs, ça tourne mal : en Grande-Bretagne, l’émeute finit dans le pillage et l’incendie. Une fois de plus, nous changeons de monde et les hommes politiques, de droite ou de gauche, n’ont rien vu venir, pas plus qu’en 1789, 1848, 1917 ou Mai 68… Accablée par l’incurie sarkozyste, coincée par la primaire socialiste, la France paraît rester à l’écart. Attention. Souvenons-nous du texte imprudent de Pierre Viansson-Ponté, illustre éditorialiste du Monde, le 15 mars 1968. Il écrivait : “Les étudiants bougent, se battent en Espagne, en Italie, en Belgique, en Algérie, au Japon, en Amérique, en Allemagne, en Pologne même. Ils ont l’impression qu’ils ont des conquêtes à entreprendre, une protestation à faire entendre, au moins un sentiment de l’absurde à opposer à l’absurdité. Les étudiants français se préoccupent de savoir si les filles de Nanterre et d’Antony pourront accéder librement aux chambres des garçons, conception malgré tout limitée des droits de l’homme.” Trois semaines plus tard, Mai 68. L’année 2011 résonne de toutes les révoltes, de la chute des satrapes, du vertige des marchés, de la flambée des chômages. Les chefs n’y peuvent plus grand-chose. Les peuples sauront-ils les guider ? Bernard Zekri

Pierre-Philippe Marcou/AFP

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indignados, les camps du refus Espagne Inspirés par les révolutions arabes, los Indignados appellent le 15 mai à plus de démocratie et d’égalité. Le chômage touche 40 % des jeunes de moins de 25 ans. Les campements poussent. La protestation gagne les syndicats. Aujourd’hui, les camps sont démantelés. Un groupe d’Indignés est parti à pied vers Bruxelles. Zapatero avance les législatives au 20 novembre. Une manif est prévue le 15 octobre.

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AFP

Khaled El Fiqi/EPA/MAXPPP

blogueur insoumis en pleurs

Mohamed Bouazizi : le feu du désespoir Tunisie 17 décembre 2010 : Mohamed Bouazizi, vendeur ambulant, s’immole à Sidi Bouzid. La colère des travailleurs pauvres, rejoints par les jeunes chômeurs diplômés, se propage jusqu’à Tunis. Ils se mobilisent sur Facebook, manifestent en scandant “Dégage !” à Ben Ali, au pouvoir depuis vingt-trois ans. Le 14 janvier, le dictateur fuit avec son clan en Arabie Saoudite. Le souffle de la révolution de jasmin ouvre la voix au printemps arabe. Des tensions se ravivent à l’approche des élections, le 23 octobre.

Egypte Fin janvier 2011, la contestation contre le pouvoir et la pauvreté enfle dans les rues et sur la toile. La répression, relayée par Al-Jazeera, ensanglante le pays. Les opposants occupent la place Tahrir jour et nuit. Le 1er février, huit millions de manifestants réclament le départ de Moubarak, en place depuis trente et un ans. Le cyberdissident Wael Ghonim, tout juste relâché, provoque une vague d’indignation en fondant en larmes à la télé. Après dix-huit jours de révolte, le vieux dictateur démissionne le 11 février.

Chili Du jamais-vu depuis le retour à la démocratie en 1990. Depuis trois mois, les étudiants manifestent contre le coût des études. Camila Vallejo, leader charismatique, parle du “printemps du peuple chilien” et emporte les foules. Deux jours de grève nationale sont endeuillés par la mort d’un étudiant. Le mouvement réclame au président conservateur et milliardaire Sebastian Piñera la réforme d’une organisation sociale et politique en partie héritée de Pinochet.

Martin Bernetti/AFP

étudiants réformateurs de la société

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peuple méprisé, peuple émeutier

Dylan Martinez/Reuters

Angleterre 4 août. Tottenham. Mark Duggan meurt lors d’une fusillade avec la police. La banlieue pauvre de Londres s’enflamme. Affrontements violents avec les forces de l’ordre, pillages et incendies volontaires : les émeutes gagnent Londres, Birmingham, Liverpool, Manchester, Bristol. Le travailliste Ed Miliband dénonce une “crise des valeurs”, tandis que le Premier ministre David Cameron pointe l’effondrement de la famille et l’assistanat. Les émeutiers écopent de peines sévères.

Adnan Abidi/Reuters

David Gray/Reuters

Gandhi sur le pied de guerre

Inde Il se réclame de l’héritage de Gandhi. Anna Hazare lutte contre la corruption. Depuis avril, ce militant de 73 ans est entré en conflit avec le pouvoir, soutenu par un vaste mouvement populaire. Mais la nouvelle star de l’Inde ne fait pas l’unanimité. Autoritarisme, peine de mort pour les coupables, admiration du guerrier Marathi Shivaji, qui coupait les mains des corrompus : on est loin de l’activisme pacifique du Mahatma.

Ai Weiwei : artiste étroitement surveillé Chine Inégalités, brutalité du pouvoir, droits de l’homme bafoués, bas salaires, corruption, modèle de croissance insoutenable, la Chine s’éveille à la contestation. Ça craque de partout chez le géant aux 10 % de croissance : conflits sociaux censurés et réprimés, manifs de travailleurs migrants maltraités, classe moyenne inquiète de l’écologie. Pour l’artiste et activiste Ai Weiwei, défenseur de la justice sociale en liberté surveillée, “Pékin est un éternel cauchemar”. 14.09.2011 les inrockuptibles 31

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Assaf Shilo/Israel Sun/REA

contestation inédite à Tel-Aviv Israël 3 septembre. 450 000 Indignés dans les rues. Une première. Le 14 juillet, Daphni Leef plante une tente dans le centre de Tel-Aviv faute de pouvoir payer un loyer. Suivent huit semaines de mobilisation contre l’injustice fiscale, la corruption et la vie chère dans un pays à l’économie prospère. En cause : la politique ultralibérale du Premier ministre intégriste Benyamin Nétanyahou, les privatisations et les coupes budgétaires.

Minnella/Graffiti/ROPI/REA

Khadafi : la statue abattue

Zohra Bensemra/Reuters

overdose de Berlusconi

Libye Mi-janvier, des manifestants réclament le départ de Khadafi, dictateur depuis quarante-deux ans. Le 15 février, des affrontements avec la police éclatent à Benghazi. Le 17, l’armée libyenne ouvre le feu sur un enterrement. La contestation s’étend à l’ouest et à Tripoli, où elle est violemment réprimée. La rébellion contrôle l’est du pays. La guerre civile fait des milliers de morts. En août, les rebelles prennent la capitale, soutenus par l’Otan. Khadafi reste introuvable.

Italie Pays au bord de la crise de nerfs : révolte des étudiants, mouvements d’indignation face aux partouzes du Premier ministre et à la corruption, grogne sociale contre l’austérité budgétaire. Le front anti-Berlusconi n’a jamais été aussi large. Dans le viseur des marchés, le Cavaliere préfère taxer les retraites que les hauts revenus. Lors d’une écoute, il lâche “dans quelques mois, je m’en vais de ce pays de merde qui me donne envie de vomir”.

Grèce Les manifs des centrales syndicales contre l’austérité sont quasi quotidiennes. A partir de mai, sur l’exemple de l’Espagne et à la suite des appels sur Facebook, la “génération à 600 euros” envahit la place Syntagma en face du Parlement et plante ses tentes. La pays affronte un deuxième plan de rigueur pour pouvoir bénéficier d’un autre plan de soutien financier.

Panagiotis Tzamaros/AFP

en guerre contre l’austérité

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YouTube/AFP

le printemps arabe en 7 questions

incendie social et terreur à Damas

Syrie En mars, des manifestants incendient le siège du parti Baas. Bachar El-Assad réprime les révoltes dans le sang. Le dictateur a succédé en 2000 à son père Hafez, au pouvoir depuis trente ans. Les opposants sont arrêtés, torturés, abattus. Malgré la terreur, les Syriens continuent à réclamer son départ. Seules la Chine et la Russie le soutiennent encore. Pendant l’été, les chars entrent dans les villes soulevées et les massacres continuent. Des milliers de morts sont à déplorer.

Francisco Leong/AFP

halte au chômage et à la rigueur imposée Portugal Manif monstre le 12 mars à l’appel du collectif Geracao a rasca (Génération dans la dèche) via Facebook. Le pays compte 620 000 chômeurs et deux millions de précaires, dont beaucoup de jeunes. En raison des difficultés financières de l’Etat, les Portugais sont soumis à une sévère rigueur en échange d’un plan de sauvetage international. Les syndicats appellent à manifester le 1er octobre, les jeunes le 15 octobre.

1. Quelle est l’étincelle qui a tout déclenché ? C’est simple : ce printemps ne pouvait trouver de héros plus éloquent qu’un vendeur de légumes à la sauvette, archétype de millions d’autres jeunes Arabes exclus de tout. Le Tunisien Mohamed Bouazizi, désormais partout honoré – y compris à Paris, qui a baptisé un square à son nom –, n’a pu supporter une énième confiscation de ses produits par des flics trop tatillons. Il s’est immolé par le feu. 2. Comment s’est propagée la révolte ? Aussi soudain qu’irrésistible, le feu s’est répandu aussitôt, en se moquant des frontières et en faisant fi des forces de répression. De la Tunisie il passa en Egypte, bondit en Jordanie, rebondit au Yémen, bouscula le Bahreïn avant de foncer sur la Syrie, non sans avoir secoué au passage la Jordanie, l’Irak et jusqu’au Maroc et à l’Algérie. Du jamais vu. 3. La démocratie, dans combien de temps ? Le chantier est ouvert. En soi, c’est déjà une révolution, tant le statu quo tuait à petit feu ce pan de la planète. Et quel pan ! N’est-ce pas au sein de cet espace arabe, surtout sa portion s’étendant de l’Euphrate au Nil, que sont apparus les plus grands empires, l’alphabet, les Ecritures et les prophètes ? Il n’empêche, le chantier n’en reste pas moins ardu, miné. Il faut presque partout partir de zéro. Car si la Tunisie et l’Egypte ont connu et assimilé dès le milieu du XIXe siècle les concepts de Constitution, de Parlement et d’élections, d’autres pays, la Libye entre autres, n’ont jamais vécu ne serait-ce qu’un semblant de consultation électorale. 4. Quel est le rôle des islamistes ? Dans ces sociétés privées d’expression politique, la religion s’était trouvée réduite à une culture, sinon une idéologie de substitution, et la mosquée, ou l’église – surtout pour les coptes en Egypte – un lieu de débat, une tribune à l’abri des opérations “coup de poing” des forces de répression. D’où ce poids palpable de la religion dans le quotidien des gens qu’il convient, sous peine d’amalgame, de distinguer de l’islamisme militant, qu’il soit purement piétiste et apolitique ou carrément radical et djihadiste. Pour l’heure, ayant brillé surtout par leur absence dans les protestations, les islamistes font profil bas. Et si jamais les urnes leur ouvrent les portes du pouvoir, ils n’auront pas pour autant la tâche aisée. Soit ils se convertissent à l’Etat de droit et cessent d’être des islamistes, soit ils établissent une dictature façon ancien régime et ils subiront le même sort. 5. Peut-on dire qu’il s’agit d’ores et déjà d’une réussite ? C’est trop tôt, si l’on songe que l’objectif est d’instaurer un Etat de droit, une société apaisée, intégrée au plan régional, national et international. Jusqu’ici, les protestataires ont eu raison, en six mois, de trois dictateurs sexagénaires. Et ce sans trop d’effusions de sang, ainsi qu’on pouvait le redouter. 6. A quoi pourrait-on comparer le printemps arabe ? A la Révolution française ? A la chute du mur de Berlin ? Ni à l’une ni à l’autre. C’est une expérience spécifique, mais ses ressorts intimes tirent leurs forces de l’une et de l’autre : d’un côté le rejet du pouvoir absolu et le mépris de caste, de l’autre le refus de rester enclos dans un univers provincial, faussement unanimiste, à la marge de la marche des hommes du XXIe siècle. 7. Tout va-t-il changer dans le monde arabe ? C’est déjà le cas. Dès que le mur de la peur s’affaisse, c’est la révolution, des esprits d’abord, condition sine qua non de tout vrai changement. On pourrait méditer la maxime du Guépard de l’écrivain sicilien Lampedusa (“Il faudrait que tout change pour que tout reste en place”), mais on n’a pas le droit de jeter un mauvais sort à l’élan libérateur qui enflamme, emporte, enthousiasme le quotidien de millions de jeunes Arabes, qui sont, faut-il le rappeler, nos voisins de palier, et avec qui nos liens historiques, humains et culturels sont extrêmement denses. Slimane Zeghidour Spécialiste du Proche-Orient et du monde musulman, auteur de plusieurs ouvrages, Slimane Zeghidour est rédacteur en chef et éditorialiste à TV5 Monde 14.09.2011 les inrockuptibles 33

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objectif Wall Street Une initiative venue de Toronto, une hydre à quatre têtes, un hacker qui déboule et des médias américains qui s’en mêlent. Et si, le 17 septembre, la surprise venait de l’occupation de la première place financière du monde ? par Pierre Siankowski



ew York, Greenwich Village, un café un peu italien. “J’aurai un T-shirt vert pâle et des lunettes”, nous a expliqué par texto celui qui se fait appeler Bold Jez. Il est assis à une table collée au bar, un café crème et un cahier posés juste devant lui. Sur son T-shirt, “Optimist Club” écrit en gros. Grand sourire. “Hello, asseyez-vous. Alors comme ça, vous voulez savoir comment on va occuper Wall Street ?” Bold Jez, qui se définit comme “philosophe et artiste”, fait partie de la NYC General Assembly, l’un des quatre groupes qui, depuis plusieurs semaines, travaillent sur l’opération commençant à faire trembloter la Grosse Pomme : “Occuper Wall Street” (“Occupy Wall Street” en version originale). A l’origine, une idée lancée presque comme une blague au cœur de l’été par les trublions antipub et anticapitalistes de Toronto, Adbusters. L’idée : la prise démocratique et populaire de la première place financière du monde, façon place Tahrir du Caire. La date : le 17 septembre, celle de la journée mondiale de ceux qu’on appelle volontiers les Indignés (des occupations de banques ou de Bourses sont d’ailleurs prévues le même jour à Londres, Paris, Madrid et Berlin). “Cette occupation de Wall Street, ce sont donc des types de Toronto qui en ont eu l’idée, si l’on y songe”, plaisante Bold Jez. Il poursuit : “Mais depuis, ça a fait son chemin en ville. Beaucoup de gens travaillent dessus. Il y a Adbusters donc, qui donne le ton via le net, et trois autres groupes qui s’occupent de la mobilisation de façon plus pratique : US Day of Rage, OccupyWallSt.org, et la NYC General Assembly.” Circonscrite au départ aux cercles militants, l’idée a, depuis quelques jours, percé chez les grands médias américains, alertés surtout par l’arrivée en fanfare d’un nouveau candidat à l’occupation : le hacker masqué Anonymous, qui a décidé unilatéralement de soutenir la cause et qui affirme avoir des recrues internes à Wall Street capables de planter le système informatique du Stock Exchange. La semaine dernière, le site de CBS parlait pour la première fois du projet d’occupation, avec une certaine ironie, en montrant

l’une des bannières web utilisées par Adbusters pour l’événement – un montage d’une photo de la Bourse de New York et de militants de la place Tahrir, leurs chaussures à la main en signe de protestation (photo ci-dessus). “Des groupes veulent occuper Wall Street, mais leur but n’est pas encore fixé”, expliquait l’article. Bold Jez s’en amuse : “C’est vrai qu’il n’existe pas de bannière commune derrière laquelle tout le monde se range, et c’est peut-être en cela que nous nous différencions des mouvements altermondialistes, qui se structurent souvent autour d’une unique revendication. Bien évidemment, tous les gens qui seront là le 17 septembre sont gênés par une certaine forme de domination liée à l’argent, et ils ont tiré des leçons de ce qui s’est passé récemment dans les pays arabes ou en Espagne. Mais rien n’est figé. L’idée, c’est plutôt de prendre date, de discuter, de s’approprier un lieu, de montrer que nous sommes prêts à faire des choses ensemble, des choses dont nous ignorons encore l’issue.” Bold Jez en a pourtant une idée. Le 1er septembre, en compagnie d’une douzaine de camarades, il sort les sacs de couchage devant Wall Street. Résultat immédiat : une dizaine de flics déboulent, et c’est l’arrestation. Une nuit au poste, et des questions en bataille sur Occupy Wall Street. “Les policiers semblaient désarçonnés. On leur a dit que nous, on était plutôt sur le côté campement et happening, mais que les autres bossaient certainement sur d’autres trucs”, plaisante Bold Jez. Du côté des autres organisateurs, comme par exemple OccupyWallSt.org, on plancherait donc plutôt sur la logistique et les sandwichs : c’est en tout cas ce qu’explique l’un des représentants du groupe, Bill Csapo, un type sympa qui vous appelle “brother” et qui se dit trop occupé à gérer le “ravitaillement” du projet pour répondre aux questions des journalistes français. Il a “plusieurs réunions dans la journée” pour voir “comment il sera possible de nourrir les occupants” pendant la journée du 17 septembre, alors il invite gentiment le journaliste français à prendre contact avec sa camarade Alexa O’Brian, la fondatrice de US Day of Rage. “Si vous voulez parler idéologie, c’est elle

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Photomontage d’Adbusters : un appel à manifester, sur le modèle de l’occupation de la place Tahri, devant la Bourse de New York

adbusters.org

une vie de troc et d’allocs

“ce sont les citoyens qui doivent influer sur la démocratie, et non les entreprises” Alexa O’Brian, militante qu’il faut contacter”, explique-t-il en riant au téléphone. US Day of Rage a été fondé en mars dernier et compte aujourd’hui près de sept cents membres (dont une vingtaine très actifs sur Facebook et Twitter). Plus politisée que Jez ou Csapo, Alexa O’Brian, jeune femme d’une trentaine d’années – qui a sacrifié sa pause déjeuner pour nous rencontrer –, voit le 17 septembre comme l’occasion de rappeler aussi des fondamentaux démocratiques. “En janvier 2010, la Cour suprême des Etats-Unis a autorisé les entreprises à financer librement les campagnes électorales. Cela laisse présager que l’élection de 2012 sera très certainement la plus corrompue que l’Amérique ait jamais connue. Se regrouper devant Wall Street est une occasion de rappeler, notamment, que ce sont les citoyens qui doivent influer sur la démocratie, et non les entreprises”, explique O’Brian, avant de conclure : “Je ne suis pas persuadée que nous partageons les mêmes idéaux, les mêmes aspirations. Par exemple, je n’aime pas toujours les images que diffuse Adbusters, je les trouve parfois trop guerrières, alors que la non-violence sera évidemment de mise. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais cette date du 17 septembre est une prise de position dont nous avons tous envie. Et Wall Street est un endroit idéal pour cela, tellement symbolique.” www.adbusters.org www.usdayofrage.org

Très loin des salles de marché, des millions de personnes survivent dans une économie parallèle où les multiples aides du parapluie social français remplacent les bulletins de salaire. Troc et solidarité font l’appoint.

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ous étions une bande de potes en terrasse d’un rade de province, dans une ville nommée Cognac. A la table d’à côté, un type faisait la tronche devant sa bière vide. Un jeune mec au profil d’Alain Delon, mais empâté, vingt kilos de trop. On l’a invité à se joindre. “Viens boire un coup, l’ami ! – Ouais. Mais non. – Allez. Ça va pas ? – Nan.” Il est venu s’asseoir, a commandé une autre bière, a dit qu’il s’appelait JP et a balancé son tracas. Il parlait d’une voix sans révolte, juste écœuré, épuisé. “C’est à l’intérim. La merde. Ils ont transmis mon CV, mais la boîte m’a pas pris. Ils ont pris un bac + 3.” Sur le CV de JP, il y a que dalle. Bac – 3, zéro qualif, petits boulots depuis un paquet d’années. Le job convoité, c’était manutentionnaire chez Aerazur, fabricant de matériel de sécurité pour l’armée et l’aviation civile à la sortie de la ville. Mais c’est le bac + 3 qui l’a eu. “Pourquoi ils prennent le bac + 3 et pas moi ? Pour manutentionnaire ? La merde, fait chier.” Je ne pouvais pas lui donner tort, en pensant au bac + 3 qui devait flipper lui aussi de son côté à décharger les caisses. JP broyait du noir et éclusait. Puis il a mis sur le tapis sa copine qui, elle, avait trouvé un boulot pour l’été à 1 000 euros dans un truc touristique. Se voyant lui-même nul et dans la lose,

il imaginait l’opinion de la fille sur lui : un nul dans la lose, au chomdu, même pas capable de dégoter manutentionnaire. RSA à 404 euros par mois. Pas qu’il veuille pas travailler, mais y a rien pour lui. Juste que le système est mal fait. 404 euros. De quoi vivre, quand même, avec un loyer social, l’alloc logement, des dépannes au noir. De quoi commander une autre bière à la terrasse du Megamiam. A l’autre bout de la table, Lolo se la pétait cool. Pour une fois, il partait en vacances en sachant où atterrir en septembre. “A la boîte, ils me reprennent.” Le taf : embouteiller du cognac huit heures par jour, de 6 à 14 ou de 14 à 22. Il fait ça depuis deux mois. Des gestes mécaniques en faisant gaffe à la machine, comme dans un roman de Roger Vailland. Il partait dix jours chez sa sœur dans le Sud avec sa vieille caisse et un peu de thune. “J’ai fait un bon mois en juillet. 1 400 au lieu de 1 100, avec les heures sup. J’ai bien bossé.” A la rentrée, l’embouteilleur le reprend pour trois semaines. L’horizon boulot de Lolo se limite à trois semaines, pas mal, mieux que rien. Après ?

des milliards d’euros déversés dans la cocotte-minute pour l’empêcher de sauter 14.09.2011 les inrockuptibles 35

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Retour case intérim et Assédic. Lolo, quand même, a trois soucis. D’abord, il paraît que le gouvernement veut refiscaliser les heures sup. “Ouais, mais s’ils font ça, le boss il me filera plus des heures sup.” Le débat sur la crise mondiale, l’euro et la Grèce se centre pour lui sur cette histoire d’impôt heures sup. Il y va de 300 euros par mois. Deuxième souci : changer le filtre du moteur pour éviter que la caisse n’explose en vol sur l’autoroute. Troisième souci : trouver des potes pour arroser en son absence les douze plants de beuh qui mûrissent dans son living. Cet été, infidèle aux cocotiers et à l’Inde, j’ai zoné en France, et d’un plan l’autre je suis tombé dans le sous-continent allocs et troc, une économie parallèle à des années-lumière du CAC 40, un monde où les multiples aides du parapluie social français remplacent les bulletins de salaire. Ça saute aux yeux : ce pays, la France 2011, vit sous anesthésie. Des milliards d’euros déversés dans la cocotte-minute pour l’empêcher de sauter. Des millions de gens qui se retrouveront à la rue si le gouvernement fait adopter sa règle d’or budgétaire et sabre dans les allocs. Les aides se ramassent à la pelle : RSA, pension d’invalidité, loyers conventionnés, allocs familiales, logement, parent unique, etc. En théorie, il y en a pour tous les besoins. Chez les bénéficiaires, l’idée est la suivante : le système nous nique, niquons le système. L’Etat et les patrons ne font pas de cadeaux, nous non plus. On ne lâchera rien. D’ailleurs ça ne tombe pas tout seul, il faut réclamer des documents, remplir la paperasse, les formulaires. En soi c’est un petit boulot, pas mal payé, au final, comparé au reste. Sans les allocs, que deviendrait Phil, de PortVendres ? Descendu de Paris pour reprendre une vigne bio du cru local, il s’est cassé le dos sur les grappes : pas assez costaud pour le job, Phil. Depuis dix mois, même assis

“pourquoi ils prennent le bac + 3 et pas moi pour faire manutentionnaire?” sans bouger sur un canapé à écouter de la zique, ses lombaires le torturent. Il en chiale. Et touche : pension d’invalidité, RSA, logement conventionné. Résultat : petit F3 mais avec vue sur le port pour 300 euros, royal ! A la campagne, ça roule bien aussi, grâce aux potagers. Du côté de Ribérac, en Périgord, Kevin et Valérie louent un micropavillon entouré d’un immense terrain, des champs, un lac. Légumes à volonté. Ces quatre derniers mois, Kevin a turbiné quatre jours. Intérim logisticien. Viré. “Je ne faisais pas l’affaire. Pourtant, ça me branchait bien, logisticien.” RSA. Avec un max de temps libre, il a fabriqué un four, un vrai, de potier. Valérie vend les vases et les assiettes sur les marchés, l’été, aux Anglais. Quand elle rapporte 30 euros d’une matinée, elle dit qu’elle a fait du chiffre. Ils ont deux gosses : allocs familiales. Au sommet de la chaîne démerde, je mets Guaté. Dans son bled de Camargue, il a dealé avec un maraîcher pour planter son mobil-home au fond des poiriers, devant la haie de peupliers. Dealé un carré de terre pour faire pousser carottes, patates, courgettes, tomates. Dealé l’eau du puits qu’il aspire avec un tuyau. En échange, un coup de main quand c’est chaud pour la poire ou le maïs. Guaté fait maroquinier, le cuir, chaussures et sacs. L’an dernier, le cancer du larynx a frappé. L’hôpital a dégainé l’artillerie lourde de la chimio. Aux Etats-Unis, sans Sécu, Guaté serait déjà mort. En Camargue, il récupère. Potager + pension d’invalidité, il tient le choc. De temps en temps, en échange d’un ressemelage, un copain lui refile trois poulets congelés tombés du camion de l’hyper. Chez ces gens-là, monsieur, on s’aide. Léon Mercadet

l’éducation en vacance Leçons de morale et polémique sur la théorie du genre : deux pare-feux créés par la majorité pour cacher la misère d’une école sacrifiée par quatre ans de sarkozysme. par Alain Dreyfus

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la France détient le record mondial en leçons particulières, dès l’école primaire

Patrick Tournebœuf/Tendance Floue

poursuivi avec aplomb, en prônant pour les élèves un “parcours individualisé”. Un sur-mesure qui sera particulièrement apprécié dans les écoles de village, qui font les frais de l’essentiel des suppressions de classes, sans parler des augmentations exponentielles des frais de transports scolaires. Peu avare en compliments, Jack Lang, qui a occupé à deux reprises son ministère (de 1992 à 1993 sous Pierre Bérégovoy puis de 2000 à 2002 sous Lionel Jospin), salue le “talent d’illusionniste” de Luc Chatel dans un essai sous forme d’adresse à Sarkozy (Pourquoi ce vandalisme d’Etat contre l’école ? – Lettre au président de la République). “Si l’on vous reproche, écrit-il, les suppressions massives de postes, répliquez d’un ton expert qu’il y a davantage de professeurs aujourd’hui qu’au début de années 90. C’est objectivement faux, mais personne sur le moment n’aura le temps de vérifier.”

C

omment faire de plus en plus avec de moins en moins ? Quelle est la différence entre le bien et le mal ? entre un homme et une femme ? S’il fallait une interro écrite pour dérouiller les neurones engourdis des 12 millions d’élèves et des 859 000 enseignants qui viennent de reprendre leurs activités, pourquoi ne pas commencer par ces trois thèmes qui ont fait le buzz de la rentrée ? Quelque 16 000 postes d’enseignants supprimés cette année, cela fait 80 000 pour le quinquennat Sarkozy. “Je pense qu’il est responsable d’assumer cette politique”, a déclaré le ministre de l’Education nationale, Luc Chatel, qui a mis – on fait avec ce qu’on a – l’accent sur le qualitatif au détriment du quantitatif lors de sa conférence de rentrée. “La vraie question, c’est le sur-mesure, et non la quantité”, a-t-il

En attendant, l’individualisation, tête de gondole du libéralisme ambiant, va bon train. La France, où les écoles privées surfent avec béatitude sur la déshérence du secteur public, détient le record mondial en leçons particulières, et ce dès l’école primaire. Les chefs d’établissement doivent aussi faire preuve de compétitivité puisqu’ils disposent à présent d’une prime de résultat (jusqu’à 6 000 euros tous les trois ans pour les proviseurs et les principaux de collège, jusqu’à 22 000 euros pour les recteurs d’académie). A qui va profiter cette manne, censée récompenser, entre autres, un “projet pédagogique”, “de bons résultats scolaires” et, pour faire bon poids, la “capacité d’intégrer des élèves en difficulté” ? Pour en bénéficier, il est, pour les deux premières occurrences, préférable de diriger un lycée du Ve arrondissement de Paris. Ceux qui président aux destinées d’un collège dit sensible de Seine-Saint-Denis, plus concernés par le troisième objectif, devront faire preuve d’inventivité pour toucher le jackpot. Notamment parce qu’ils doivent se passer des Rased (Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté), supprimés, et faire avec la disparition des IUFM (Instituts

universitaires de formation des maîtres). Les nouveaux profs, qui ne bénéficient donc d’aucune formation sur le terrain avant d’être lâchés face aux élèves, vont certes recevoir une rallonge sur leur (maigre) salaire (157 euros en plus pour les certifiés, 250 pour les agrégés). Mais les stages de formation, dans le cadre du master, qui vont pallier ceux organisés jadis par les IUFM ne seront, au mieux, mis en place qu’à la prochaine rentrée, soit – qui sait ? – sous la responsabilité et avec les deniers d’une autre majorité. D’ici là, les violences et les incivilités ne seront plus que de mauvais souvenirs puisque les élèves de primaire vont se voir gratifiés de leçons de morale. Selon la circulaire ministérielle, les instits doivent organiser leur cours à partir de maximes et de dictons simples. Pour le rédacteur en chef du Point, Hervé Gattegno (sur RMC, le 2 septembre), la tâche est ardue : “l’oisiveté est mère de tous les vices” résonne différemment à l’heure du chômage de masse, “bien mal acquis ne profite jamais” au temps de la fraude fiscale et des délits d’initiés et l’anodin “les efforts sont toujours récompensés” sonne bizarrement dans une société où le travail est plus taxé que le capital. Dans ce tableau plutôt affligeant, la querelle sur la théorie du genre lancée par les députés UMP de la Droite populaire arrive à point nommé pour faire diversion. Ils ont écrit à Luc Chatel, avec l’appui d’associations catholiques pas franchement progressistes, pour que l’on supprime de quelques manuels scolaires cette assertion obscène, inspirée des gender studies américaines, qui affirme que l’individu n’est pas uniquement déterminé par son sexe biologique mais aussi par son histoire et son contexte socioculturel. Un rapide sondage sur l’opportunité de cette polémique auprès d’adolescents, tous sexes confondus, donne à une écrasante majorité un sans appel “on s’en bat les couilles”. Pourquoi ce vandalisme d’Etat contre l’école ? – Lettre au président de la République de Jack Lang (Le Félin), 144 pages, 14 € 14.09.2011 les inrockuptibles 37

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Jérôme Panconi

Les Grandes Vacances. Ronde du Soir par Bernard Faucon, Agence vu

“vite revenir à l’esprit de la révolution démocratique” C’est en trouvant les clés d’une égalité réelle et novatrice que notre société se dotera d’un projet commun viable pour les décennies à venir, clame le politologue Pierre Rosanvallon dans un essai capital. par Jean-Marie Durand

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“on ne peut pas opposer le développement de l’individualisme moderne et le sens du collectif”

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a démocratie, la question sociale, l’Etat-providence : l’historien et philosophe Pierre Rosanvallon travaille depuis le début des années 80 sur les transformations de nos sociétés capitalistes, sur leurs dérives et les moyens d’y redéployer un souffle social et démocratique. Professeur au Collège de France et fondateur de La République des idées, lieu vivant de rencontre et de publication de chercheurs en sciences sociales sur l’écologie, la fiscalité, le travail, il élargit aujourd’hui sa réflexion à la question cruciale de l’égalité, dans son livre La Société des égaux.

Quelle est cette “crise de l’égalité” que traversent selon vous les sociétés contemporaines ? Pierre Rosanvallon – Je pars d’un double constat. D’abord ce qui saute aux yeux : l’explosion, dans le monde entier, des inégalités de revenus et de patrimoine, et l’accaparement par 1 %, voire 0,1 % de la population, des fruits de la croissance. Outre cette crise arithmétique de l’égalité, il existe plus profondément une crise sociale qui résulte d’une forme de décomposition des sociétés démocratiques contemporaines. Sur quoi repose cette décomposition ? D’abord sur la multiplication des phénomènes de séparatisme social. La sécession des riches en groupes homogènes en est le phénomène le plus marquant mais il y a aussi une logique de ghettoïsation généralisée. Il n’existe plus tant de communautés nationales qu’une juxtaposition de mondes calfeutrés dans leur homogénéité. C’est pourquoi je parle de “dénationalisation” des démocraties. Les sociétés ne font plus corps. Cette décomposition a aussi une dimension morale qui se traduit par un déclin de la confiance. Les gens ne se comprennent plus. Or l’origine historique des démocraties, c’est précisément que des gens différents puissent vivre ensemble. En quoi nos démocraties actuelles s’éloignent-elles du modèle fondateur du XVIIIe siècle que vous analysez dans le livre ?

La démocratie n’est pas seulement un régime mais une forme de société. Le moteur des révolutions américaine et française du XVIIIe siècle était de la penser sur le mode de ce que Tocqueville appelait une “société de semblables”. La référence à l’égalité s’imposait comme centrale. Comment expliquer le paradoxe que vous soulevez : l’écart entre une conscience générale du problème et l’inertie de l’action publique pour y remédier… Nous trouvons que ces inégalités, considérées globalement et objectivement, sont insupportables. D’autant plus que leur accroissement a été brutal depuis une vingtaine d’années, marquant une régression – une contrerévolution, même –, par rapport à la correction au long terme commencée dans les années 1900 avec la création de l’Etat-providence, l’invention de l’impôt progressif sur le revenu et les grandes lois sociales organisant le travail. Mais d’un autre côté, quand chacun juge aussi les choses à partir de la situation particulière dans laquelle il se trouve, il s’avère dans ce cadre plus réceptif aux thématiques du mérite ou considère légitime l’existence des différences. Le rapport aux inégalités est donc ambivalent. Cette dissociation participe d’un mécanisme sociologique classique : on déplore les conséquences de faits dont on tolère les causes. Mais n’est-ce pas la limite sur laquelle chacun bute aujourd’hui ? Que fait-on fait individuellement de cette question ? La réduction des inégalités ne concerne pas que l’Etat, mais nous-mêmes, dans nos pratiques sociales, comme le choix de l’école, par exemple. On sait en effet que l’école reproduit les inégalités et ne donne pas ses chances à chacun. En même temps, beaucoup tentent d’échapper à la carte scolaire. La question n’est donc pas simplement de résoudre la question des 0,1 % les plus riches, il y a aussi un fait social global dont il faut partir. C’est pour cela que mon livre ne s’appelle pas “Pour réduire les inégalités scandaleuses”, mais La Société des égaux : pour montrer

que c’est le lien social en général et pas seulement la réintégration des riches dans le monde commun qui importe. On ne peut se contenter d’augmenter le taux marginal de l’imposition du revenu, même si j’en suis évidemment le partisan le plus chaud. Au-delà de l’enjeu de la richesse, que faut-il faire ? Il ne suffit pas d’en appeler aux bons sentiments et à la solidarité. Il faut souligner que l’inégalité a un coût très élevé pour la société. Une société plus inégalitaire est une société plus violente, une société dans laquelle les dépenses de santé sont plus élevées, dans laquelle la qualité de vie tend à se dégrader. Une société de l’inégalité a un coût général pour tous, une société moins inégale est une société profitable pour tous. La conscience d’un monde commun ne progresse-t-elle pas néanmoins, comme le prouve aujourd’hui la question écologique ? Depuis une vingtaine d’années, la conscience d’un monde commun s’est développée à partir de la réflexion sur l’environnement. Le sentiment que nous sommes tous dans le même bateau s’est imposé au niveau de la planète. Ce sentiment de former un monde commun et de devoir reformuler notre rapport à la nature manifeste une révolution intellectuelle et peut être une révolution politique dans le monde à venir. Mais nous n’avons pas encore opéré la deuxième révolution, celle qui reconnaît que nous sommes dans le même bateau pour “faire société” au niveau national. Problème beaucoup plus exigeant. Car cela implique des actions de redistribution que le souci écologique ne requiert pas. La solidarité de citoyenneté est plus coûteuse que la solidarité d’humanité. D’où l’urgence de revenir à l’esprit de la révolution démocratique. Quelles peuvent être les modalités de cette nouvelle idée d’égalité ? Il existe trois façons pour les individus d’être égaux : une égalité de position, une égalité d’interaction, une égalité de participation. L’égalité de position repose sur un principe de similarité. Les individus peuvent vivre ensemble parce qu’ils occupent une position 14.09.2011 les inrockuptibles 39

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“la société des égaux oui, mais pourquoi pas l’humanité des égaux ?” équivalente : c’est le principe de similarité. Dans une société des semblables, il n’y a pas de supériorité naturelle, pas de privilèges. C’est un principe universalisable, la règle que chacun a intérêt à adopter. C’est un premier acquis des sociétés démocratiques qu’il faut revivifier, car aujourd’hui le fait de vivre dans une société de semblables semble loin d’être évident : il y a des discriminations, des humiliations, des manques de respect… Dans la ville, le travail, il y a beaucoup à faire pour redonner consistance à cette société de semblables. Sur quoi repose l’égalité d’interaction ? C’est un deuxième principe universalisable, fondé sur les règles de l’échange social. Au moment

des révolutions américaine et française, le marché apparaissait comme progressiste dans la vie économique car il mettait tout le monde sur le même plan. Aujourd’hui, le marché ne peut plus représenter la règle d’interaction entre les individus. D’où la montée en puissance du principe de réciprocité. La vie sociale ne demeure que si elle repose sur l’égalité d’implication des individus. Or les défauts de réciprocité sont très nombreux aujourd’hui dans le rapport des individus aux institutions, aux prélèvements, à l’engagement. Le sociologue Richard Sennett faisait remarquer que dans les sociétés contemporaines, plus encore que l’inégalité, l’insupportable tient au fait qu’un individu doive se soumettre à une règle collective et que d’autres

l’égalité pour commencer Prolongement d’un travail au long cours sur l’état usé de nos démocraties, l’essai de Pierre Rosanvallon, La Société des égaux, pose les bases d’une nouvelle utopie sociale : refonder une société de semblables. L’égalité serait-elle une idée neuve en Europe ? La lecture du nouveau livre de Pierre Rosanvallon, La Société des égaux, soulève l’hypothèse dans un admirable travail de réflexion et d’intervention. Ce livre important consolide la place centrale qu’occupe le fondateur de La République des idées dans le champ intellectuel français, par la pertinence de ses questionnements et de son impact politique. Ebranlée par l’avènement d’un nouveau capitalisme, l’idée d’égalité a été emportée par ce que l’historien appelle un “grand retournement”. Après le XXe siècle de la redistribution, durant lequel s’inventèrent les mécanismes de l’Etatprovidence (impôt progressif, mécanismes assuranciels, régulation collective du travail), les sociétés contemporaines consentent aujourd’hui à la réactivation des inégalités que les révolutions américaine

et française du XVIIIe siècle avaient pourtant combattues. Pour sortir de la société de concurrence généralisée actuelle, indexée sur la crise des institutions de solidarité et la loi d’airain du néolibéralisme, Rosanvallon invite à réinvestir les valeurs fondatrices de nos révolutionnaires, résumées par la formule de Tocqueville : une “société de semblables”. Nous sommes, rappelle-t-il, les héritiers de cet élan démocratique qui défendait une volonté de produire le commun et une “façon de faire société”. Grâce à une analyse des progrès et reculs de l’idée d’égalité à travers l’histoire des trois siècles derniers, mais aussi à une réflexion philosophique sur ses nouveaux impératifs, il pose les bases d’une théorie reconfigurée de l’égalité, conçue avant tout comme relation. L’idée d’égalité se rapporte plus à “une qualité du lien social” qu’à la seule définition

d’une “norme de distribution des richesses”. En se fondant sur trois nouveaux principes, en phase avec notre époque – les principes de communalité, de réciprocité et de singularité –, la société des égaux serait cet espace social et mental où les espaces publics se déploient, où l’attention aux autres se renforce et où chacun affirme en même temps son identité propre. A l’image de la distinction de sexe, laboratoire d’un entrelacement à renforcer entre similarité et singularité, l’égalité englobe la justice, la fraternité et la liberté, qui découlent toutes d’elle. Principe absolu, elle fonde en cela une “utopie parfaitement réaliste”, la seule capable de rendre à la fois plus vivables et plus vivantes nos démocraties dépouillées de leur idéal le plus noble : une idée révolutionnaire. JMD La Société des égaux (Seuil), 428 pages, 22,50 €

y échappent. Quand il n’y a pas de réciprocité, la défiance règne, et quand la défiance règne, chacun réinvente ses règles et empoisonne la vie sociale. L’égalité de participation ? Le suffrage universel en est l’expression centrale. La voix de chacun compte de la même façon, l’ignorant et le savant se retrouvent à égalité. Mais aujourd’hui, on a besoin d’une égalité de participation plus exigeante. Il faut des formes de participation plus continue. Restaurer le sens d’une “communalité”, ce qui est différent de viser l’homogénéité. Cela suppose de multiplier les espaces publics ; de développer aussi la connaissance sociale des différents mondes, l’ignorance étant la mère des préjugés. Sieyès disait en ce sens dès 1789 que le progrès de la démocratie était indexé sur la multiplication des places publiques et des trottoirs. Comment articuler, dans cette reconstruction de l’idée d’égalité, le semblable et le singulier ? Est-ce possible d’être à la fois égal et égoïste ? Les sociétés démocratiques doivent concilier les deux. Les services publics organisent un espace de circulation commun, mais d’autres formes réclament de la singularité. Les services publics doivent ainsi marcher sur deux pieds : produire plus de commun et mieux s’adapter aux individus. Voilà pourquoi on ne peut pas opposer, comme certains le font, le développement de l’individualisme moderne et le sens du collectif. C’est la tentation de l’approche néorépublicaine de dire que l’individualisme contemporain a pourri le sens du collectif, a fait disparaître la volonté générale derrière les caprices individuels. Je pense que les deux tendances doivent fonctionner de pair. On ne doit pas penser l’individualisme comme un repli, une atomisation mais aussi comme la recherche de la construction positive d’un sujet. Il existe une grande différence historique : au XVIIIe siècle, l’individualisme se voulait universalisant ; être un individu, c’était être quelconque. Les artistes ont ensuite développé un individualisme de distinction. Sentiments démocratiques et aristocratie du goût voisinaient chez eux. Aujourd’hui, l’aspiration à la singularité s’est généralisée. Chacun veut à la fois

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être quelconque et quelqu’un, se faire reconnaître comme personne unique. Comment analysez-vous les propositions de la gauche sur cette question ? Les forces de gauche rencontrent une vraie difficulté : elles participent d’une indignation générale en n’y répondant qu’à coup de politiques sectorielles. Celles-ci sont certainement nécessaires, mais il faut leur donner une ligne directrice, autour de cette notion d’égalité. Celle-ci a déjà connu une première panne au XIXe siècle, laissant prospérer une idéologie justificatrice des inégalités, ou provoquant la nostalgie d’un retour à un monde homogène et désindividualisé comme dans l’utopie communiste. Il faut forger une interprétation contemporaine à l’ancien esprit révolutionnaire de l’égalité.

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L’égalité, ce n’est pas seulement la réduction des inégalités mais un principe constitutif d’un type de lien social. Elle dessine de cette façon la perspective d’une démocratie intégrale. Vous annoncez dans le livre un prolongement à venir de cette réflexion. Vers o ù ? Ce que j’ai ouvert avec une théorie de la réciprocité, de la singularité et de la communalité doit se développer. Mais il y a une question que je n’ai fait qu’esquisser : celle du rapport entre la lutte contre les inégalités dans chaque société et la lutte mondiale contre les inégalités. La société des égaux, oui, mais pourquoi pas l’humanité des égaux ? Comment situez-vous votre travail et votre engagement dans le champ intellectuel ?

Je ne pense pas occuper la place de l’intellectuel engagé à l’ancienne. Celui-ci réinvestissait son capital de notoriété dans ses prises de position. Ce modèle reposait sur le fait d’un accès limité à la parole publique. Or cet accès s’est universalisé. On n’a plus besoin de l’intellectuel engagé pour dire que les situations sont insupportables : les indignés n’ont pas besoin de porte-parole extérieur. Le rôle de cet intellectuel correspondait à la vision d’une société muette, totalement aliénée et dominée. Ce monde est derrière nous. En revanche, il existe un double besoin : une production de connaissances sur l’état de la société qui soient socialement appropriables, et une attention à la société, où l’on poserait les bonnes questions, afin de transformer une perplexité diffuse en un questionnement organisé.

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édito

Bernard Makuza, Premier ministre du Rwanda, Nicolas Sarkozy et l’homme à la valise Robert Bourgi, février 2010

Ludovic/RÉA

ils sont encore là, ceux- là !?

les félicitations de Sarkozy à Bourgi L’avocat avoue avoir porté des valises pleines de billets à l’Elysée période Jacques Chirac. Cet argent en provenance de potentats africains aurait permis, notamment, de financer la campagne présidentielle de 2002.

 R

obert Bourgi, pilier de la “françafrique”, s’est mis au service de Nicolas Sarkozy. Malgré son passé sulfureux et ses pratiques douteuses, le Président l’a très discrètement décoré à l’Elysée. Cette cérémonie s’est déroulée le 27 septembre 2007. Aucun membre de la cellule diplomatique de l’Elysée n’était présent. Le président n’a pas tari d’éloges : “Je sais, cher Robert, pouvoir continuer à compter sur ta participation à la politique étrangère de la France, avec efficacité et discrétion. Je sais que sur ce terrain de l’efficacité et de la discrétion, tu as eu le meilleur des professeurs et que tu n’es pas homme à oublier les conseils de celui qui te conseillait jadis de ‘rester à l’ombre

pour ne pas attraper un coup de soleil’… Jacques Foccart avait bien raison”… Plus loin, le Président qui semble maintenant vouloir prendre ses distances avec le douteux porteur de valises de billets précisait : “Ce qui nous unit, Robert et moi, est une amitié de plus de vingt-quatre ans.” Quand Robert Bourgi reçoit ces hommages pour son action passée, il a déjà, selon ses propres dires, raconté à Nicolas Sarkozy son activité de convoyeur trafiquant pour le compte de Jacques Chirac. Ayant eu connaissance de ces faits délictueux, le Président n’alerte pas la justice, mais remet les insignes de chevalier de la Légion d’honneur à Robert Bourgi. T. L.

Deux personnages de trop sont les vedettes de l’actualité judiciaropolitique ces jours-ci : Robert Bourgi et Jean-Noël Guérini. Ces deux personnages n’ont rien à voir l’un avec l’autre mais ce sont deux hommes dont on se demande ce qu’ils font encore là ! Le PS avait largement de quoi savoir quel genre de premier secrétaire fédéral et quelle espèce de président de conseil général était Guérini. Le PS n’a pas voulu ouvrir les yeux sur la réalité d’une puissante fédération et se retrouve maintenant obligé de se désolidariser de celui dont il n’a pas voulu voir le côté équivoque. Robert Bourgi, l’homme qui avoue avoir porté des valises de billets à l’Elysée sous Chirac. Cet homme trouble, incarnation de la “françafrique”, est toujours dans l’entourage de Nicolas Sarkozy, c’est lui qui a transmis au président de la République le souhait, l’injonction, d’Omar Bongo de remplacer Jean-Marie Bockel au ministère de la Coopération. Nicolas Sarkozy, après l’avoir dénoncée, s’est parfaitement adapté à la “françafrique”. Pourtant, cet homme d’affaires est soit un gros menteur, soit un complice du financement occulte de la vie politique. Bourgi et Guérini n’avaient plus rien à faire au PS et à l’Elysée. En les maintenant, les deux grands partis de gouvernement enfournent de belles pelletées de charbon dans la chaudière de la locomotive du FN. Dimanche, Marine Le Pen a pu ajouter, au dernier moment, un petit paragraphe très efficace sur l’UMPS et le “tous pourris”, grâce aux déclarations du Monsieur “françafrique” de Nicolas Sarkozy. Merci pour elle.

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règlement des comptes Entre l’affaire DSK et la primaire du PS, les socialistes s’expriment beaucoup et se font doucement couper le sifflet par le CSA. La règle du pluralisme, et du temps de parole, est toujours d’actualité.

 C

’est la fin d’une épreuve terrible et injuste…” Dominique StraussKahn pourra dire ce qu’il veut aux Français, ses interventions seront comptabilisées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel dans le temps de parole du Parti socialiste. Même s’il entreprend de raconter par le menu ce qui s’est passé dans la chambre 2806, c’est le chronomètre du PS qui se mettra en marche. La règle du pluralisme est simple (au moins au début) : dès qu’un homme politique ouvre la bouche, son temps à l’antenne est mesuré. “Hors période électorale, seules sont décomptées les personnes ayant une carte à tel ou tel parti”, précise Stéphanie Brun, à la communication du CSA. Carla Bruni qui, interviewée dans Sept à Huit, chante les louanges de son mari et persifle “vous avez compris l’épilogue de l’affaire DSK ? pas moi” n’est, par exemple, pas comptée. Le CSA remet régulièrement à jour sa liste des personnalités dont le temps de parole doit être pris en compte. Kouchner et Hirsch (dont le temps de parole était compté avec celui du gouvernement) en sont sortis. Les interventions de Borloo sont encore calculées dans la majorité

parlementaire. “Pour l’instant Gilbert Collard n’est pas décompté, il n’a pas de carte du Front national”, note Christine Kelly, la sage du CSA qui a hérité du dossier pluralisme en début d’année à l’occasion du renouvellement des membres du Conseil. Et ça se complique. Si le premier métier de la personnalité intervenant n’est pas la politique, seuls ses propos politiques comptent. Par exemple, le temps de parole de Philippe Torreton, comédien et ancien conseiller municipal, n’est pas rajouté dans la colonne du PS s’il parle théâtre. Pour ceux dont la politique est le premier métier, tout compte “dès qu’ils ouvrent la bouche”. Daniel Cohn-Bendit qui s’enflamme pour le Barça ? Bingo pour Europe Ecologie Les Verts ! Frédéric Mitterrand invité d’Un dîner presque parfait ? Temps de parole du gouvernement. Dominique de Villepin qui assassine Sarkozy ? C’est la majorité (l’UMP) qui a parlé. Le politique encarté “peut parler du beau temps, des niches fiscales, des cachalots, ou de DSK, il est décompté”, résume Christine Kelly. En l’occurrence, c’est plutôt quand il parle de DSK que des cachalots que cela fait débat. Depuis le mois de mai, l’affaire du Sofitel parasite le temps de parole du PS.

“C’est un sujet qui nous a été imposé, on n’était pas dans le cadre du débat démocratique”, regrette François Lamy, conseiller de Martine Aubry. “Le PS devrait refuser ça, c’est absurde !”, s’étonne encore Jean-Pierre Mignard, l’avocat PS chargé de veiller au déroulement de la primaire. “Le temps de parole des partis politiques devrait être celui qui est consacré à une opinion, à l’expression d’un projet ou d’un programme, pas d’une affaire judiciaire de nature privée !” Même Thierry Thuillier, le patron de l’info de France Télévisions considère que “ça fait partie des cas limites”. Parce que “Le Guen, Valls, Cambadélis et compagnie n’ont pas exprimé d’opinion politique. Ce sont des personnalités, certes socialistes, mais aussi des amis qui viennent parler à titre personnel. Comptabiliser ça dans le temps des socialistes, je m’interroge…” Mais que faire d’autre ? “L’évacuer serait bizarre”, concède un autre responsable de chaîne. A droite, Eric Raoult s’est en tout cas assuré qu’on ne l’évacuerait pas. Le 27 mai, dans un courrier adressé au président du CSA, le député UMP s’est plaint d’un “déferlement d’orateurs et d’intervenants socialistes” et d’émissions interviewant “systématiquement des membres du Parti socialiste” et a demandé

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au Conseil de comptabiliser leurs interventions. La saisine frisait la mauvaise foi puisque, reconnaît Raoult, consigne avait été donnée dans la majorité de ne pas intervenir sur le sujet (“on avait reçu l’instruction de ne pas en parler”). L’opposition parlementaire doit bénéficier d’au moins la moitié du temps d’intervention cumulé du président de la République quand il intervient dans le cadre du débat national (par exemple sur les retraites, mais pas sur la Libye) et de la majorité. Et comme dirait Michel Polacco, qui suit les compte de Radio France, “il va y avoir des difficultés à tenir les équilibres au deuxième trimestre”. L’affaire DSK a fait exploser les compteurs du temps de parole du PS. Plusieurs médias ont, comme France Info, rendu leurs comptes trimestriels accompagnés d’un mot expliquant le déséquilibre (les décomptes du deuxième trimestre seront publiés sur le site du CSA à la fin du mois). Aux troisième et quatrième trimestres, la situation ne risque pas d’être plus régulière : arrive la primaire PS. Avec le même sentiment d’injustice à gauche. Même s’il s’agit d’une bagarre entre socialistes, toute parole est à verser dans le pot commun. Le 8 septembre, le premier secrétaire du PS par intérim Harlem Désir et le député Patrick Bloche sont

allés rencontrer Christine Kelly et Francine Mariani-Ducray au CSA pour s’ouvrir de leurs inquiétudes. “Il ne faudrait pas qu’à l’issue du choix de notre candidat le 16 octobre, ce temps de parole (du PS) ait été épuisé”, résume Bloche, sorti vaguement rassuré de l’entretien. “Le rééquilibrage pourra se faire facilement entre le 16 octobre et fin décembre, l’opposition pourra s’exprimer” (les comptes des journaux d’information doivent être équilibrés par trimestre, ceux des magazines d’info et des programmes par semestre). Dans les télés et les radios, on veille. A Canal+, on a passé des consignes pour que la droite ne soit pas oubliée malgré l’actualité à gauche. Sur France 5, Géraldine Muhlmann a renoncé à inviter Manuel Valls pour la première de C Politique (l’émission a finalement décidé de convier les trois premiers candidats dans les sondages). “A l’exception de Baylet, on a invité tous les socialistes au 20 heures, on s’en tiendra là jusqu’à fin septembre”, assure Thierry Thuillier à France Télévisions, qui a prévu sur France 2 une émission de prime-time, le 15 septembre, où les six candidats de la primaire PS s’exprimeront. Pour compenser, la chaîne a calé, pour le 29 septembre, une émission spéciale, Des paroles et des actes, avec Alain Juppé. Pour éviter les casse-tête de rééquilibrage, le groupe souhaitait qu’il n’y ait plus d’invités politiques dans les programmes (les compte du CSA distinguent les catégories journaux, magazines d’info et programmes). L’invitation de Martine Aubry chez Laurent Ruquier (On n’est pas couché) a rendu dingue à France Télévisions. Comment rééquilibrer 1 h 10 de temps de parole PS dans la catégorie “programmes” (le canapé de Drucker ne permet pas d’inviter tous azimuts) ! On arrive facilement à des situations absurdes. Christine Kelly se souvient que lorsque Nicolas Hulot s’était déclaré candidat, “on avait été obligé de dire à Ushuaïa TV qu’il faudrait qu’ils compensent le temps de parole”. Ces soucis arithmétiques en laissent plus d’un perplexe. Tous les temps d’antenne ne se valent pas. “Etre quelques minutes l’invité de Bruce

Toussaint à 7 h 45, c’est un million et demi d’auditeurs. C’est bien plus intéressant qu’être l’invité d’Elkabbach le dimanche matin pendant une heure”, fait remarquer un journaliste d’Europe 1. Le CSA s’est fabriqué une infrastructure pour veiller à tout cela, mais s’appuie d’abord sur du déclaratif des médias. D’une chaîne à l’autre, d’une radio à l’autre, on passe de grosses usines à gaz à des tableaux remplis au doigt mouillé. Radio France fait appel à Yacast, un institut spécialisé dans la veille des médias, où six personnes travaillent à tout écouter et chronométrer. Un magazine d’info inviterait bien Gérard Larcher. Il lui est répondu qu’il faudra prévoir un représentant de l’opposition des Yvelines puisqu’on est en période sénatoriale. C’est tout le paradoxe de ces règles destinées à préserver la qualité du débat démocratique, ironise Thierry Thuillier à France Télévisions, “moins on fait de politique, mieux on se porte. Le plus simple est de ne pas inviter pour ne pas risquer de mordre la ligne jaune”. Guillemette Faure

le quiz toi aussi, compte les temps de parole 1. Dominique de Villepin, Canal+, 8 septembre. “On a les deux pieds dans la merde.”   2. Martine Aubry, Europe 1/I-Télé, 28 août. “Ce cadavre à la renverse, comme on qualifiait le Parti socialiste quand je suis arrivée, est à nouveau sur pied.” 3. Jean-Louis Borloo, France Info, 6 septembre. Le plan de rigueur du gouvernement à l’Assemblée “n’est pas à la hauteur de la question”. 4. DSK, toutes télés, 23 août. “J’ai hâte de rentrer dans mon pays mais j’ai encore quelques petites choses à faire avant de pouvoir partir.” 5. Carla Bruni, TF1, 4 septembre. “Vous avez compris l’épilogue de l’affaire (DSK) ? Parce que moi non.” Réponses : 1. Bloc majorité 2. Opposition parlementaire 3. Bloc majorité 4. Opposition parlementaire 5. Pas compté

Charlotte Schousboe

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Valls sort du tunnel sécuritaire Lors de son déplacement à Tottenham, au nord de Londres, on attendait le candidat socialiste sur le terrain sécuritaire. Il a préféré s’affranchir de cette étiquette, pour exister dans le débat, au-delà de la primaire et de la présidentielle.



e contrôleur de l’Eurostar se veut rassurant : “Théoriquement, le train repart sans interruption jusqu’à Londres.” Manuel Valls regarde sa montre, “P… une heure trente de retard !” Le déplacement commence mal. Quatre-vingt-dix minutes bloqué dans un tunnel : même pas “The Channel”, mais un vulgaire tunnel à la sortie de la gare du Nord… On imagine déjà les manchettes “Valls coincé dans un tunnel” ou encore “Valls porte la poisse”. Passé quelques secondes d’agacement, le candidat, impuissant, préfère en rire et enchaîne : “Théoriquement, les primaires seront un succès…” Apercevant par la fenêtre le panneau de Sarcelles, le fief électoral de DSK, il rit : “Nous allons voir un ami qui a besoin d’être entouré et qui s’emmerde. Il vient de passer un stage de trois mois aux Etats-Unis.” Très en forme, Manuel Valls, libéré manifestement de la pression des sondages qui ne le créditent même pas de 5 %

d’intentions de vote le 9 octobre. Ni favori ni challenger. Au mieux outsider. Le député-maire d’Evry n’a donc qu’à jouer son va-tout dans cette campagne, pas mécontent d’avoir fait un “coup”. Les médias sont là. De grosses rédactions ont fait le déplacement, des correspondants londoniens l’attendent sur place pour voir le Frenchy, étiqueté à la droite du PS et estampillé pro-sécurité, revenir dans le quartier nord de Londres, à Tottenham. Là où, précisément, les émeutes urbaines ont éclaté, il y a un mois, après qu’un jeune a été tué par la police. Le quartier s’était alors embrasé, les images ont fait le tour du monde. Aujourd’hui encore, sur l’artère principale, les stigmates des affrontements restent visibles. Certains immeubles sont noircis par le feu. Nombre de bâtiments sont toujours en chantier. La vie peine à reprendre son rythme, comme l’explique Niché Mufwankolo, le patron francophone du café Pride

of Tottenham, saccagé pendant les émeutes. Depuis, la fréquentation du lieu a chuté. Mais il ne désespère pas de voir les clients revenir regarder les matchs de foot. “L’espoir fait vivre”, dit-il en souriant. Valls, costard-cravate noir, n’en perd pas une pour rebondir sur son cas : “Et heureusement que l’espoir fait vivre chacun d’entre nous !” On a connu plus fin en pareille circonstance… Il se reprend : “Je suis venu pour voir, pour comprendre et comparer avec l’explosion des banlieues françaises.” Référence faite aux émeutes de 2005 et 2007 notamment à Villiers-le-Bel (Val-d’Oise). Manuel Valls est notamment accompagné d’Ali Soumaré, ancien porte-parole des familles de Villiers-le-Bel, et de David Lammy, député noir travailliste charismatique. Valls fait figure de petite chose à côté de ce grand gaillard. D’autant que le Français peine à s’exprimer dans la langue de Shakespeare quand il essaie de comparer les émeutes françaises

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“je suis le candidat de la gauche inventive, de la gauche populaire, de la gauche moderne”

A Londres mercredi dernier, Valls a prévenu : “Je ne suis pas là pour figurer dans les débats de 2022”

et celles de Tottenham. “I think it’s, euh, the same problem, euh, euh, euh, in Villiersle-Bel, euh, euh… Deux jeunes ?” Ali Soumaré lui souffle la traduction. Valls continue, “Two young peupole, euh, euh, who killed in accident with car police.” Très poliment, le député travailliste acquiesce : “Ah yes !” “Et ça a duré trois jours, hein ?”, demande Manuel Valls à Ali Soumaré. Le socialiste se retourne vers le député : “Oui, c’est ça, three years…” Pour l’anglais, on repassera. A sa décharge, Manuel Valls est bilingue espagnol… Valls se remet alors à parler en français et profite de l’occasion pour aborder la situation des quartiers : “La question du logement, de la formation, ainsi que la politique de la ville sont déterminantes pour casser les ghettos.” Et de poursuivre en mettant en avant son parcours, sous-entendu moi-j’y-suis-au-front : “Je suis élu depuis dix ans à Evry, je vois comment ça se passe. Il faut une politique en matière de sécurité mais surtout

une réponse plus globale aux problèmes des habitants.” Un bel emballage marketing très loin des discours sécuritaires auxquels Manuel Valls nous avait habitués ! “Les étiquettes, c’est vous qui les mettez, rabroue le candidat socialiste. Je tiens des discours clairs et ça ne me gêne pas d’être classé à la droite du PS, mais je trouve que c’est d’une paresse intellectuelle…” On se ferait presque sermonner, pfff. “Ce n’est pas parce que je parle nation, laïcité, république que je ne suis pas à gauche. L’important, c’est ce qu’on fait sur le terrain. C’est comme Lemaitre quand il court : il faut courir bien droit dans son couloir avec une belle foulée.” Pas sûr pour autant que Valls remporte comme Christophe Lemaitre la troisième place aux championnats du monde… à la primaire ! Peu importe pour lui, “les rapports de force au sein du PS ne passent pas forcément par un résultat numérique. Ça dépend aussi de la manière de compter dans le débat, de faire des propositions, d’interpeller.”

Alors Manuel Valls interpelle. Pour lui, le vrai sujet, c’est la manière dont on réussit l’intégration, dont on arrête les politiques de peuplement qui conduisent à des ghettos de plus en plus difficiles à gérer. “Et je prends Tottenham comme contre-exemple : d’un côté vous avez sur un trottoir les classes moyennes et un quartier vivant. Et de l’autre, juste en face, que du logement social.” En somme, un schéma qui ne peut que créer de la frustration et de l’explosion sociale. Pour lui, bien loin des recettes du passé à l’image “du dispositif des emplois jeunes” en France – petit tacle sympa à l’ex-ministre Martine Aubry –, c’est “par un soutien à la formation, à la création d’entreprises, un soutien à l’économie réelle et pas uniquement dans les domaines de la restauration ou de la sécurité comme on le voit souvent”, qu’on fera bouger les lignes, mélangera les populations, créera du dynamisme dans les quartiers. Et d’ajouter, sûr de lui : “Je suis le candidat de la gauche inventive, de la gauche populaire, de la gauche moderne. Je suis le mieux armé pour affronter ces différents aspects.” Comme ça sent la tirade préparée… Mais elle permet aussi à Valls de faire le pari qu’il comptera, dès 2012. Si le PS l’emporte, il sera sûrement membre de l’équipe ministérielle. Si la gauche perd, il pourra prétendre, comme d’autres, au leadership d’un nouveau parti. A Londres, Valls prévient : “Je ne suis pas là pour figurer dans les débats de 2022.” En saluant David Miliband, candidat malheureux à la tête du Parti travailliste que Valls connaît bien, en prenant la pose sur le green devant Westminster façon gosse-beau-moi-je-connais-du-beaulinge, le candidat socialiste souligne que l’Angleterre est politiquement en avance sur la France : les jeunes, ici, accèdent au pouvoir ! Miliband : cadet de Manuel Valls de trois ans et déjà deux fois ministre ! Fichtre. Valls enchaîne en racontant, devant une Guiness, cette anecdote qui en dit long : “Avec David, on était conseillers tous les deux, il y a quinze ans. Un jour, il a été nommé ministre. En apprenant ça, on a tous tiré la langue en France. Nous, on en était encore au même point.” Manuel Valls, lui, décidément, a envie de sortir du tunnel. Marion Mourgue photo Tom van Schelven 14.09.2011 les inrockuptibles 47

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presse citron

par Christophe Conte

Charon se prend les pieds dans le tatami, Villepin fait la leçon et finit en caleçon, Cécilia Attias se reconvertit en blog-trotteuse, Nice prend des airs de baie d’aisance et Ségolène Royal la joue Kramer contre primaire.

les relous Royal, the Best La candidate n’y va pas par quatre chemins ! Pour son meeting à Montreuil, Ségolène Royal est entrée sur scène sur la musique de Tina Turner Simply the Best.  “You’re simply the best, better than all the rest”, résonnait à tue-tête. Ses soutiens politiques n’ont pas rougi devant tant de modestie. “Au moins, comme ça, tout le monde le sait.” Ah bah ouais, on est cons !

“changement” à la mode Pierre Verdy/AFP

Martine Aubry a sorti sa nouvelle affiche de campagne : je regarde droit devant moi, je souris et j’ai mis ma veste rouge. Aucune référence au PS, juste la mention “La volonté du changement”. Tiens, c’est fou ce que le mot est à la mode. Chez François Hollande, le slogan, c’est “Nous avons un avenir à changer”. On parie que pour Sarkozy ce sera “le changement dans la continuité” ?

streep-tease présidentiel Jusqu’ici, elle avait retenu son venin en dedans de sa bouche, préférant la jouer bonne camarade hyperloyale. Mais les sondages calamiteux ont eu raison de la patience de Ségolène Royal, qui a choisi de défourailler l’arme lourde, notamment contre son ex-compagnon en demandant perfidement dans Le Figaro (7/09) : “Est-ce que les Français peuvent citer une seule chose qu’il aurait réalisée en trente ans de vie politique ? Une seule ?” Partie comme ça, la primaire du PS pourrait très vite tourner au mauvais remake de Kramer contre Kramer. Merci la Meryl Streep du Poitou, tu vas tout droit vers l’oscar !

concours de blogs

Ancien de la garde rapprochée de Sarko aujourd’hui en dissidence, Pierre Charon aurait-il cherché à trahir un secret d’alcôve avec sa déclaration pas très classe sur Chantal Jouanno ? Selon lui, la ministre des Sports serait donc aussi celle du sport en chambre car “qu’elle soit sur les tatamis ou au lit, Jouanno sera élue” (I-Télé, 6/09). S’il a de grandes chances de se rétamer aux sénatoriales à Paris, Charon pourra toujours faire acte de candidature au Don Camillo et viser une place de chansonnier macho-beauf entre Bernard Mabille et Pierre Douglas.

“Ah bon, tu vas faire un blog comme Anne Sinclair ?” se serait étonné Nicolas Sarkozy auprès de son ex, apprenant que Cécilia allait coucher ses états d’âme et ses grandes idées pour l’avenir du monde sur le site d’information jolpress.com (Le JDD, 11/09). “Non, comme Alain Juppé”, aurait rétorqué, courroucée, Mme Attias. Parions qu’elle était à deux doigts d’ajouter : “Et si tu fais chier, j’appelle à voter Hollande comme Chirac.”

comique strip L’arroseur arrosé façon bukkake japonais : Dominique de Villepin. Le 3, il dégainait une punchline de la mort dans Libé : “Il faut sortir du strip-tease présidentiel.” Manque de bol, trois jours après, on le retrouvait en maillot de bain à fleurs dans Le Point avec Alexandre Djouhri, intermédiaire sulfureux de l’affaire Karachi. Et dimanche, rebelote, Dodo se faisait mettre à poil dans le JDD par Robert Bourgi pour avoir reçu des valises de biffetons des mains de chefs d’Etat africains. En bermuda avec une valise, c’est pas trop la classe, bogosse !

la promenade des Français Ce week-end, Nice était au cœur d’une rivalité extrême entre Marine Le Pen, qui tenait les Journées d’été de son ramassis de vieilles carnes et l’UMP de Christian Estrosi qui tentait un contre-feu “républicain” à la flamme FN (Libération, 12/09). Entre ces deux remakes de La guerre de ceux qui filent des boutons, il y en a forcément un de trop.

très confidentiel Trois ex de TF1 pour préparer la campagne de Sarkozy : Carreyrou, Villeneuve et Mougeotte. Manque plus qu’Evelyne Leclerc et Charly Oleg !

Renaud Monfourny

dérapage de Pierre

Hamon, gauche, gauche

Quelques jours avant le débat télé de la primaire, Benoît Hamon (photo), en faisant la pub de son livre Tourner la page, a tenu un discours très très à gauche. De quoi gêner Martine Aubry. L’intéressé n’a pas reculé d’un pouce. Pour lui, il faut cliver dans la campagne. Sinon ce sera foutu bouillu pour sa candidate dans la primaire face à François Hollande. Ça n’a pas loupé, le reste de l’équipe de campagne d’Aubry n’a pas du tout apprécié. C’est pas gagné tout ça.

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que le meilleur perde affaires intérieures

primaire PS : vite le débat !

F  

Pascal Pavani/AFP

rance Télévisions a mis les petits plats dans les grands pour le premier débat télévisé de la primaire socialiste, jeudi sur France 2. David Pujadas animera la soirée, qui débutera à 20 h 35 par la profession de foi des six candidats (Aubry, Royal, Hollande, Montebourg, Valls et Baylet). Après tirage au sort, chacun disposera d’une minute, debout derrière un pupitre. Les candidats seront ensuite interrogés l’un après l’autre pendant dix minutes par trois journalistes. Puis viendra le moment que tout le monde attend : la confrontation entre les présidentiables PS, qui pourront s’interpeller directement pendant cinquante minutes. “Les minutes les plus délicates” pour le favori des sondages, François Hollande, qui sait qu’il peut s’attendre au pire. Il est depuis plusieurs jours la cible de ses concurrents, Royal et Aubry en tête. “Ceux qui se mettront trop en conflit ou en confrontation ne seront pas compris”, prévient-il tout en reconnaissant “l’ambivalence” des téléspectateurs qui “aiment la castagne” mais critiquent la désunion. Lui s’en tiendra à ses propositions car “il ne faut surtout pas répondre sur le même ton polémique sur un autre terrain”. Pour se dégager du procès en inexpérience et en inaction qui lui est fait aussi bien par Martine Aubry que par Ségolène Royal, le député de Corrèze a déjà opéré un mouvement d’ampleur sur sa gauche en proposant le rétablissement des quelque 70 000 postes supprimés dans l’Education nationale depuis 2007. Pour l’instant, même si la primaire intéresse un peu plus les Français dans les enquêtes d’opinion, il est difficile de savoir si la compétition entre socialistes attirera les électeurs. Les plus optimistes parient sur quatre millions de votants, les plus pessimistes redoutent de voir le corps électoral chuter sous la barre du million. D’où l’importance des débats. Deux autres suivront, le 28 septembre, sur I-Télé, et le 5 octobre sur BFM TV. Hélène Fontanaud

Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite. par Michel-Antoine Burnier

Que doit faire un bon victoricide s’il s’est avancé ? Reculer, bien sûr. M. Sarkozy se lance avec audace dans une réduction drastique des dépenses de l’Etat. C’est déjà avouer qu’il aurait dû s’y résoudre plus tôt et à moindres frais. Puis il fait semblant d’avoir peur de M. Raffarin ! Enfin, sur l’injonction de celui-ci, il renonce à une taxation accrue des parcs à thèmes. Il recule encore sur les plus-values frappant les résidences secondaires, la baisse des allocations chômage des hauts revenus, la fiscalisation des allocations familiales. Dans l’atmosphère de foire aux échanges qui s’exhale de l’Assemblée nationale (3 % de plus par ici contre 2 % de moins par là), les querelles intestines de la droite semblent du meilleur effet. Pour bien marquer que l’hyperprésident du début s’était transformé en monarque trembleur, le chef de l’Etat va sans doute renoncer à réunir le Congrès et donc à inscrire sa règle d’or financière dans la Constitution. Là aussi, il battra une faible retraite devant les socialistes et les menaces des marchés. En agissant ainsi, l’homme politique avoue en même temps ses craintes et son indécision. En revanche, la relance du scandale autour de Mme Bettencourt ne paraît pas pilotée avec toute la vigueur nécessaire. La loi du genre exige deux ou trois révélations par semaine, des relances, des surprises, des confirmations, des démentis. Dans cette louche

histoire d’enveloppes d’argent liquide, après le fracas dû aux déclarations de la juge Prévost-Desprez, plus rien. Un scandale à succès, ce n’est pas une révélation mais une histoire. On peut aussi se tromper ou se laisser tromper sur les dates. Cela vient d’arriver à M. Chirac : trop tard, les multiples tripotages de la mairie de Paris ne peuvent plus alimenter une quelconque stratégie de la défaite. Il reste toujours amusant de voir des candidats, ici des candidates, Mmes Aubry et Royal, se fâcher contre le bas niveau de leurs chiffres dans les sondages. Elles donnent l’impression d’avoir déjà fait cela à l’école lorsque le professeur leur mettait une mauvaise note et qu’elles la récusaient. L’agressivité de Mme Royal envers les enquêtes d’opinion apparaît d’autant plus louable que ces mêmes enquêtes l’avaient imposée comme candidate il y a cinq ans, et contre les caciques du parti. Quant à Mme Aubry, sa méthode semble fructueuse : jusqu’ici, plus elle fait campagne, plus son pourcentage se tasse. Voici enfin l’affaire de M. Guérini. Mme Aubry se montra longtemps indulgente envers ce grand socialiste des Bouches-duRhône, aujourd’hui mis en examen pour association de malfaiteurs. Voilà qui fait chic dans un parti de gauche. Bien qu’en congé du PS, M. Guérini parviendra-t-il à rester aussi longtemps président du conseil général que M. Woerth ministre de M. Sarkozy ? (à suivre...) 14.09.2011 les inrockuptibles 49

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Thierry Zoccolan/AFP

on coupe des arbres trop jeunes, on ne prend plus le temps de protéger les essences rares

contre-attaque

coupes sombres Gagné par une frénésie productiviste, l’Office national des forêts réduit ses effectifs de façon drastique. Les forestiers en perdent leurs repères, et les suicides se multiplient.



eau gosse aux larges épaules et à la peau burinée par la vie au grand air, Bruno G., 34 ans, offre volontiers le tour du propriétaire de sa maison de fonction de Maison-Blanche, une demeure de charme et de pierre posée au milieu d’un grand jardin, au fond de la forêt domaniale d’Ermenonville, dans l’Oise. Ou plus exactement sur “le triage du Désert” (du fait de la proximité de la Mer de sable), son secteur administratif, soit 1 600 hectares à gérer. Sa passion pour la forêt, ou plutôt son engagement radical pour la défendre, aura eu raison de son couple. Ses deux petits garçons vivent aujourd’hui loin de lui. Il a grandi en bordure de forêt, à côté de Montargis, s’y est aussitôt senti dans son élément, à suivre les renardeaux à la trace. Un premier stage à l’Office national des forêts (ONF) a décidé de sa vocation. Au passage, il s’était bien

sûr avalé L’Appel de la forêt de Jack London et les aventures de Robin des Bois, dans une édition reliée offerte par ses parents et qu’il garde précieusement pour ses garçons. A l’évidence, Bruno a beaucoup lu, si l’on en juge par sa manière de s’exprimer que pourrait lui envier un prof de terminale cultivé. Il s’avoue un peu ours, mais se corrige aussitôt pour affirmer que forestier, c’est un métier de contact. “Faut pas croire, c’est fou ce qu’on rencontre de gens dans les bois. Le métier m’a ouvert aux autres.” Pas un jour qui se ressemble, et ça varie bien sûr avec les saisons. Il faut tout à la fois organiser et surveiller les coupes ; éclaircir ou élaguer des parcelles trop touffues ; préparer les lots de bois à vendre ; anticiper les nouvelles plantations mais aussi contrôler les chasses (dont celles à courre, les bois alentour abritant une grande population

de cervidés) ; faire l’accueil du public, ou plutôt son secours d’urgence, quand promeneurs et autres cueilleurs de champignons se sont perdus la nuit venue ; virer ravers improvisés, quads et motos pétaradants et enfin assurer toutes autres missions régaliennes héritées des attributions des Eaux et Forêts créées sous Philippe le Bel (1291). Du plein temps, sept jours sur sept. “Du boulot, on en a plus qu’il n’en faut, sauf qu’on est moins nombreux pour le faire.” Ils sont onze agents pour les trois forêts d’Halatte, d’Ermenonville et de Chantilly, là où ils étaient des dizaines il y a vingt ans. D’ici à 2015, l’ONF va passer au-dessous du seuil de ses effectifs de 1965, lors de sa création. Dans le même temps, des primes de rendement ont été instaurées pour ses fonctionnaires, progressivement transformés en marchands. Résultat : on coupe

des arbres trop jeunes, on ne prend plus le temps de protéger les essences rares. Une réforme après l’autre a parcellisé le travail. C’est la fin de la gestion en équipe et, pour chaque forestier, la fin d’une vision globale sur son métier. “Les gars ont le sentiment de ne plus pouvoir faire bien le boulot. Ils perdent leurs repères.” Bruno, lui, se maintient, car il fait de la résistance au sein du très actif Syndicat national unifié des personnels des forêts (www.snupfen1.org). N’empêche, vingt-quatre suicides ont eu lieu depuis 2005. Et quatre depuis juin. On n’est pourtant pas sur les plateaux d’appels de France Télécom ou sur les chaînes du Technocentre Renault de Guyancourt, mais à l’air libre ! Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Environnement, a plutôt maladroitement suggéré que ces actes de désespoir étaient dus à la solitude. “Bien sûr qu’il y a quelques sauvageons dans nos rangs. Mais la vraie solitude est celle qu’on nous impose désormais, avec les suppressions de postes et leur cloisonnement.” Un numéro d’appel et des assistantes sociales ont été mis en place par le nouveau directeur de l’ONF, Pascal Viné. “Ce n’est pas ça qui va résoudre les problèmes. Les forestiers sont des gens fiers. Pas du genre à se mettre en arrêt maladie. Ils vont jusqu’au bout. Quitte à péter un câble.” A entendre Bruno, l’ONF se prépare à être vendu à la découpe. “Mes garçons voudraient faire forestiers. Ça me touche autant que ça me fait peur.” [email protected]

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rentrée scènes

sur un air de Buenos Aires L’Argentine débarque au CentQuatre, à Paris, le week-end prochain. Entre tango d’hier et d’aujourd’hui, cumbia-electro et folklore détourné, Buenos Aires va réchauffer la rentrée. Repérages. par Philippe Noisette

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Courtesy ministerio de Cultura de la Ciudad de Buenos Aires

Une milonga à Buenos Aires : la tangomania est prête à frapper Paris 14.09.2011 les inrockuptibles 53

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“ici, les hommes n’ont pas peur de pleurer et de se dire qu’ils s’aiment” Luciano Supervielle, du groupe Bajofondo

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’hiver au mois d’août. Par la grâce de saisons inversées, Buenos Aires s’emmitoufle quand Paris va à la plage. En ce vendredi soir, une petite foule de danseurs a gagné le Centre des expositions. Après les demi-finales du Mondial de tango, c’est une grande milonga (ces salons, parfois décatis, où l’on se retrouve pour danser) qui attend les visiteurs. Sur le plateau, bien alignés, officient plusieurs DJ, dont DJ Inca, Osvaldo Natucci, Mario Orlando – qui illumine les nuits de La Marshàll, la première milonga queer de Buenos Aires –, la jeune Lucia Piazzola et la Française Odile Fillion. On la retrouvera d’ailleurs dans Las Noches de Buenos Aires, soirée organisée par le CentQuatre dans le cadre du Tandem, événement imaginé par l’Institut français et la ville de Buenos Aires, liant le temps d’une saison les deux capitales. A Paris, on verra ainsi jusqu’à la fin de l’année du théâtre, des expos et des films. Entre deux courants d’air, le Centre des expositions prend la température du tango : couples de tous âges, vestiaire plus ou moins étudié, du jean au costume, de la robe fendue au bas de jogging. Cette danse très codifiée a peu à peu gagné un large public. Le tango a connu plusieurs vies depuis ses débuts dans les années 1880. “On y trouve une influence de l’Afrique équatoriale, d’où venaient les esclaves. Le tango est fait d’improvisation, avec un répertoire de figures qui a grandi tout au long du siècle”, raconte Laura Falcoff-Charla, historienne de la danse tanguera, qui donnera une conférence au CentQuatre. “Mais surtout, le tango reste toujours un refuge”, dit-elle encore. Lorsque vous le dansez à deux, vous êtes seuls au monde. Ce divertissement autrefois prisé des marginaux, d’abord pratiqué dans les cafés ou les bordels, a progressé dans la hiérarchie sociale pour devenir peu à peu une danse à la mode. Il doit beaucoup à Paris, qui l’adoube dans les années 1912-1913, quand nombre d’orchestres argentins s’y produisent. A ses débuts, le tango réunissait flûte, violon et guitare. Le bandonéon, venu d’Allemagne, n’interviendra qu’à la toute fin du XIXe siècle. “C’est une danse intense, sentimentale, résume Laura Falcoff-Charla. Grave, pas triste comme on le pense souvent. Danser le tango, c’est naviguer dans la musique.” Les hommes le pratiquaient au départ entre eux, les femmes n’avaient pas

Milena Plebs, star du tango contemporain

le droit de le danser en dehors du cercle de la famille. Le sens de l’honneur veut que le Porteno (l’habitant de Buenos Aires) ne subisse jamais d’affront : on ne dit jamais non à celui qui vous invite, on détourne subtilement la tête pour signifier un refus. Nuance. Dans la ville, les milongas ne désemplissent pas. Pourtant le tango a failli ne jamais connaître cette résurrection après les années de dictature (1976-1983). D’Astor Piazzolla au spectacle Tango argentino créé à Paris, au Châtelet, il a fallu rénover pour ne pas tomber dans l’oubli. Piazzolla fut le grand génie, le premier à jouer du bandonéon le pied sur une chaise. “Piazzolla déclencha une révolution musicale, le tango traditionnel qui devenait autre. Ce n’était plus seulement une musique à danser”, raconte Raúl Lavié, une des grandes voix du genre attendue à Paris. “Mais il y a des anti-Piazzolla ici, poursuit-il. Les partisans de la tradition n’acceptent pas les changements et du coup rejettent Piazzolla. Le plus beau avec lui, c’est que de jeunes musiciens se sont intéressés au tango, des Européens aussi.” On écouterait Lavié des heures durant. Soudain, il se met à fredonner quelques paroles d’un de ses tangos favoris, Ma triste nuit. Pour lui, les tangos sont dédiés à Buenos Aires, à ses quartiers. Musique d’hommes seuls,

d’immigrants : “Au départ, on n’y parlait pas bien des femmes. Au fur et à mesure, le tango donnera une autre image d’elles, qui gagnent leur place dans la société.” A ses yeux, la compositrice Eladia Blázquez est unique. “Alors que les pionnières composaient en neutre ou à la première personne, Eladia revendiqua sa qualité de femme.” En se baladant au café Tortoni, une institution de la ville, on tombera sur des photographies de la dame, beauté sombre et fière. Raúl Lavié parle encore de sa ville, qu’il reconnaît “épuisante, chaotique”. On comprend mieux dès lors la magie du tango, havre de paix entre danse, poésie et musique. Outre l’effet Piazzolla, l’événement qui a réveillé le tango fut la production d’un spectacle, Tango argentino de Claudio Segovia. En 1983, celui-ci réunit sur scène les meilleurs danseurs et musiciens pour un hommage très classe à sa passion. Triomphant à Paris et Broadway, Tango argentino représente un formidable coup de projecteur sur cette discipline endormie. Gloria et Eduardo Arquimbau en furent un des couples vedettes : ils seront au CentQuatre pour donner des cours et fêter leurs cinquante ans de vie commune. “Chaque décennie, depuis ses débuts jusque dans les années 50, le tango a évolué. Mais en arrivant, le rock l’a paralysé”, se souvient Eduardo, qui arrive au rendez-

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Courtesy ministerio de Cultura de la Ciudad de Buenos Aires

Max Van de Voorde et Solange Acosta, champions du monde de tango 2011

vous comme s’il allait danser, parfait. Les jeunes ont alors déserté, regardant du côté de la mode made in USA. Heureusement, après Tango argentino, il y eut encore d’autres renaissances, “le tango nuevo, il y a quinze ans, raconte Laura Falcoff-Charla. Là, c’est la façon de se tenir à travers l’axe du corps des interprètes qui s’est trouvée bouleversée. Cela fait partie de la tradition du tango, ces figures qui naissent”. Puis vint le boom de l’electro-tango, Gotan Project en Europe, Bajofondo en Argentine. “Soudain, le tango a retrouvé une modernité via la musique électronique”, résume Luciano Supervielle, compositeur éminent de ce collectif apparu en 2001, alors que le pays se trouvait en pleine crise économique. Né en France mais ayant grandi en Uruguay, son pays, il raconte ses villes à travers sa musique, dont un dernier projet solo, Rêverie, qu’il défendra en live à Paris. “Lorsque nous avons commencé Bajofondo (“les bas-fonds” en VF – ndlr), le pays allait mal et on ne se demandait pas si on allait vivre de notre art. On en faisait,

“danser le tango, c’est naviguer dans la musique” Laura Falcoff-Charla, historienne du tango

c’est tout. Le tango raconte aussi son époque : il n’a pas vraiment bougé durant la dictature ; à l’avènement de la démocratie, il a connu une nouvelle vie. Le tango, c’est aussi un phénomène d’identité, même si tout le pays ne le danse pas, loin de là. Je dirais qu’aujourd’hui il vit un moment de tension particulière. L’Unesco vient de l’inscrire au patrimoine mondial. C’est aussi une industrie, l’image de Buenos Aires…” Un art mondialisé aussi. En témoignent les nombreux participants au Mondial (les lauréats feront une démonstration au CentQuatre) venus du Japon, de Russie, de Corée, d’Italie, de France, sans oublier la Colombie et le Venezuela. Supervielle, qui vient du hip-hop, a voulu défricher d’autres territoires, comme un autre membre de Bajofondo, Gustavo Santaolalla, couronné de deux oscars pour les BO de Babel et du Secret de Brokeback Mountain. “Certains font une lecture exotique de notre musique. Mais je crois que la nostalgie et la mélancolie, propres aux Argentins et au tango, restent présents dans nos disques. Ici, les hommes n’ont pas peur de pleurer et de se dire qu’ils s’aiment.” Le son des années 2010 est sans doute celui de ZZK, un collectif qui plonge la cumbia colombienne et le folklore latino dans un grand bain mêlant electro, drum’n’bass et reggaeton. Autour de Grant, d’origine américaine, on retrouve une bande d’allumés : Tremor, Andrés El Remolón, Mati ou Chancha Vía Circuito. Ils ont voulu réunir des scènes éloignées les unes des autres sous un label ouvert, ZZK Records, d’abord organisateur de soirées. A Paris, ils viendront animer une Nuit Ouf qui promet. “On n’a jamais vraiment cherché à coller au tango”, dit Grant. Tremor, lui, voit l’electro-tango comme un courant destiné à l’export. “Mais on est amis.” Sur scène, en boîte, dans les festivals, ZZK utilise des instruments traditionnels comme le charango (petite guitare). “La crise de 2001 et l’incendie du club República Cromagnon nous ont sans doute donné l’envie de faire autre chose à Buenos Aires, se souvient Tremor. Il était difficile de sortir du pays et on s’est mis à écouter des musiques de chez nous. Cette période a été très stimulante. Les créations étaient enfin plus personnelles.” Lorsqu’on leur demande comment il faut danser dans leurs soirées, Andrés répond : “Comme des fous !” Ouf, donc. Avec cette saison Tandem Paris-Buenos Aires et ce week-end au CentQuatre pour prendre le pouls du tango et de l’electro-cumbia, que les Noches commencent. Las Noches de Buenos Aires du 16 au 18 septembre au CentQuatre, Paris XIXe, www.104.fr Tandem Paris-Buenos Aires jusqu’au 24 décembre à Paris, www.tandem2011.com 14.09.2011 les inrockuptibles 55

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best de scènes William Forsythe, Vincent Macaigne, Rodrigo García, Maguy Marin : lumineuses têtes d’affiche d’un automne de spectacles affriolant. par Fabienne Arvers, Hugues Le Tanneur, Philippe Noisette et Patrick Sourd Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, mise en scène Vincent Macaigne

étoiles, étoiles Artifact, chorégraphie William Forsythe William Forsythe en trois temps, c’est une fête pour les yeux mais pas seulement. Avec la reprise par le Ballet royal de Flandres de son Artifact, on perce les secrets de la grammaire du chorégraphe, une danse conjuguée au passé du classique et au présent du contemporain, le tout mis en espace par un regard aiguisé. Forsythe en signe les lumières, à la hauteur des trouvailles d’un Bob Wilson. Impeccable. En prime, on goûtera la reprise d’Impressing the Czar et une création avec The Forsythe Company. Qui dit mieux ? du 24 novembre au 17 décembre, Festival d’automne, Théâtre national de Chaillot, Paris XVIe, www.theatre-chaillot.fr et aussi Trisha Brown ouvre ce feu d’artifice avec Early Works, le très rare Opal Loop, des films et une création mondiale (Théâtre national de Chaillot, Paris XVIe). Bouquet d’œillets par la suite avec le Nelken de Pina Bausch (Théâtre de Nîmes) et, pour finir, les adieux de la Merce Cunningham Dance Company avec deux programmes parfaits d’intelligence (Festival d’automne, Théâtre de la Ville, Paris IVe). Au théâtre, on attend la création d’Ubu enchaîné mis en scène par Dan Jemmett, avec Eric Cantona dans le rôle-titre (Phénix de Valenciennes) ou le retour au théâtre de Sophie Marceau dans Une histoire d’âme d’Ingmar Bergman, mis en scène par Bénédicte Acolas (Célestins de Lyon). Arthur Nauzyciel

consacre, avec Jan Karski (Mon nom est une fiction), l’histoire d’un Juste parmi les Justes incarné avec brio par Laurent Poitrenaux (CDN Orléans). Avec Lulu de Frank Wedekind, Robert Wilson et Lou Reed invitent Angela Winkler dans l’univers seventies de la libération sexuelle (Festival d’automne, Théâtre de la Ville, Paris IVe). Robert Wilson s’offre en plus avec La Dernière Bande de Samuel Beckett le plaisir solitaire d’être l’unique acteur de sa propre mise en scène (Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Paris IXe). Transfuge du cinéma, Damien Odoul convie dans Mefausti son ami Mathieu Amalric à jouer Faust avec le triple champion du monde de boxe Fabrice Benichou (Bouffes du Nord, Paris Xe). Glamour hors catégorie, Isabelle Huppert reprend la ligne addictive d’Un tramway sous la conduite de Krzysztof Warlikowski (Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris VIe).

les enragés Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, d’après Hamlet de Shakespeare, mise en scène Vincent Macaigne Flot d’insultes, tsunami d’hémoglobine et déluge d’effets spéciaux, Vincent Macaigne joue au chien fou. Inventant Hamlet en fils mal-aimé et régressif, il rafle la mise du Festival d’Avignon avec une Gertrude exhibitionniste, qui fait l’amour au félon Claudius sous le nez du public dans une fosse d’eau croupie où se décompose le corps

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Christophe Raynaud de Lage Johan Persson

Artifact, chorégraphie William Forsythe de son ex-mari. Les subtilités de Massacre à la tronçonneuse et la pyrotechnie d’Apocalypse Now au service des fulgurances du joyau du théâtre élisabethain. du 2 au 11 novembre au Théâtre national de Chaillot, Paris XVIe, www.theatre-chaillot.fr

de Pascal Rambert pour une scène de ménage d’anthologie (Théâtre de Gennevilliers). Eternel communiste, Bernard Sobel rêve encore de lendemains qui chantent avec L’Homme inutile ou la Conspiration des sentiments d’Iouri Olecha (Théâtre national de la Colline, Paris XXe).

et aussi Blasphémateur sans complexes, Rodrigo García transforme le Nouveau Testament en happening trash dans l’impayable Gólgota Picnic, qui fait déjà scandale (Théâtre Garonne, Toulouse et Festival d’automne, Théâtre du Rond-Point, Paris VIIIe). Avec Regarde le lustre et articule, Les Chiens de Navarre se paient le luxe de caricaturer le théâtre contemporain (Actoral à Marseille). Qui a peur d’Audrey Bonnet et de Stanislas Nordey ? Ils sont à couteaux tirés dans Clôture de l’amour

mauvais genre Danser sa vie Evénement que cette exposition à Beaubourg, une première dans le genre, qui entend se consacrer aux liens des arts visuels avec la danse depuis les années 1900 jusqu’à aujourd’hui. Le sujet, original et fécond, est illustré par les œuvres des plus grandes figures artistiques du XXe siècle, des mouvements 14.09.2011 les inrockuptibles 57

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Ene-Liis Semper Troubleyn/Jan Fabre (Anvers, Belgique), en coproduction avec le Théâtre de la Ville (Paris, France), deSingel (Anvers, Belgique), et le support du Festival Iberoamericano de Teatro de Bogotá

fondateurs de la modernité, ainsi que par les recherches des plus importants artistes et danseurs contemporains. Surtout, un volet performance live (Tino Sehgal, Trisha Brown) permettra de voir la danse autrement. du 23 novembre au 2 avril au Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr et aussi On retrouvera Cecilia Bengolea et François Chaignaud sens dessus dessous avec Castor & Pollux (Actoral, Marseille et Festival d’automne, Théâtre de Gennevilliers) puis Cecilia Bengolea avec Traduction de la luxure et François Chaignaud avec Sous l’ombrelle (Les Inaccoutumés, Ménagerie de verre, Paris XIe). Tout aussi agité, Popydog voit la rencontre d’un couple délicieusement diabolique, Jonathan Capdevielle et Marlène Saldana (CND Pantin). L’Ombre blonde d’Yves-Noël Genod planera sur la rentrée (Théâtre de la Cité internationale, Paris XIVe) autant que sa performance (Actoral, Marseille). Enfin, un contrepoint idéal avec le Black Tie de Rimini Protokoll (Le Granit, Belfort).

promesses NO83 (Comment expliquer des tableaux à un lièvre mort) par N099, conception et mise en scène Tiit Ojasoo et Ene-Liis Semper Les Estoniens rendent hommage à l’une des performances marquantes de Joseph Beuys, qui passa trois heures dans une galerie le 26 novembre 1965 à parler à l’oreille d’un lièvre mort. Sur l’air de “Nous sommes tous des lièvres estoniens”, la troupe venue de Tallin critique la politique culturelle

NO83 (Comment expliquer des tableaux à un lièvre mort) par N099

Quando l’uomo principale è una donna, chorégraphie Jan Fabre

des dirigeants de son pays pour ne pas finir en civet. du 4 au10 novembre à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris VIe, www.theatre-odeon.fr et aussi Révélation d’Avignon avec Christine, d’après Mademoiselle Julie, l’Anglaise Katie Mitchell aime aussi le théâtre pour les enfants, comme en témoigne l’hilarant The Cat in the Hat de Dr. Seuss (Théâtre de la Ville, Paris IVe). Après avoir remixé Mozart dans Don Giovanni. Keine Pause (MC93, Bobigny), David Marton s’attaque à Monteverdi avec Le Retour d’Ulysse, tout aussi ébouriffant (Le Maillon, Strasbourg). Danse élargie, lancé par le musée de la Danse de Boris Charmatz et le Théâtre de la Ville, présente ses lauréats, dont un solo de Simon Tanguy et trois courtes pièces de et avec Noé Soulier, respectivement second et premier prix. Une belle tentative d’élargir les horizons de la création (Théâtre des Abbesses, Paris XVIIIe). Miet Warlop, plasticienne et performeuse, est à suivre avec Springville (Festival mondial des théâtres de marionnettes, Charleville-Mézières et Les Inaccoutumés, Ménagerie de verre, Paris XIe). Après les petits d’Airport Kids, avec Stefan Kaegi, l’Argentine Lola Arias se penche dans Mi vida después sur la génération des parents qui ont vécu sous la dictature (Théâtre des Abbesses, Paris XVIIIe).

une pluie de festivals L’automne n’aurait pas tout à fait la même saveur sans ce rendez-vous indispensable qu’est le festival Mettre en scène au TNB de Rennes.

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Michel Cavalca

Andreas Geissel

Grosse fugue, chorégraphie Maguy Marin

Othello par Thomas Ostermeier

coups de cœur On y retrouvera notamment le foisonnant Courts-circuits de François Verret, Onzième, nouvelle création très attendue de François Tanguy, FAR de Wayne McGregor, Othello par Thomas Ostermeier ou encore Nichons-là de Rémi Luchez et Olivier Debelhoir. du 3 au 19 novembre, www.t-n-b.fr et aussi Défrichages, hybridations, rencontres du troisième type au programme de la dixième édition du festival Temps d’images (CentQuatre, Paris XIXe, et Ferme du Buisson, Noisiel). Dieudonné Niangouna, le Théâtre Aftaab de Kaboul ainsi que le Ballet national algérien avec Abou Lagraa font partie des invités remarqués des Francophonies en Limousin (Limoges). A suivre dans le cadre de la onzième édition d’Actoral à Marseille, dont la marraine est cette année Chloé Delaume : Richard Maxwell, la compagnie Motus, Trajal Harrell ou encore Anja Tillberg. De son côté, le festival Reims Scène d’Europe met le cap sur la Suède, qui domine la programmation de cette manifestation précieuse. Quant à Meg Stuart, Cecilia Bengolea, François Chaignaud ou Grand Magasin, ils s’exposent à la Ménagerie de verre dans le cadre des Inaccoutumés. Enfin, où croiser Romeo Castellucci, Ivo van Hove, Wim Vandekeybus ou Olivier Dubois sinon au festival transfrontalier Next ? (à Lille, Courtrai, Tournai et Valenciennes).

Maguy Marin Loin des classiques qui font les beaux jours du ballet de l’Opéra de Lyon (Cendrillon, Coppélia), Maguy Marin promet cette fois une création résolument contemporaine. “Nous avons voulu travailler avec toute la compagnie. D’où quelques obligations : plus qu’une succession de solos, duos ou trios, c’est un travail sur la masse, la foule. Ils seront vingt-six et toujours sur le plateau”, résume-t-elle. Après le choc Salves, Maguy Marin garde – haut – la main. du 14 au 18 septembre à l’Opéra de Lyon, www.opera-lyon.com et aussi From B to B, dialogue à voix douces, imaginé par Thomas Hauert avec la trop rare Espagnole Angels Margarit. “Devenir l’autre, ce serait radical et démesuré, mais nous devons comprendre son univers, sa façon de fonctionner, de bouger, de marcher”, dit Hauert (Théâtre de la Bastille, Paris XIe). Dans la riche programmation du Festival Automne en Normandie, Red Waters, premier opéra du duo Lady & Bird (Keren Ann et Bardi Johannsson), a fière allure. Ils nous promettent un conte de fées gothique mis en scène par Arthur Nauzyciel avec Clara Furey. Damien Jalet en a conçu une chorégraphie aventureuse sur une idée originale de Sjón, un autre auteur islandais. Dépaysement garanti (à Rouen et Evreux). A l’Opéra de Lille, David Lescot met en scène The Rake’s Progress de Stravinski, où le pathétique cohabite avec un humour cruel.

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rand prix du Festival d’Angoulême 2009 et président de la manifestation l’année suivante, l’inventif Blutch revient avec une bande dessinée érudite et prenante, revisitant ses passions de cinéphile. Alors que le cinéma traverse régulièrement son œuvre, du titre-hommage Mitchum aux émotions du Petit Christian devant John Wayne ou Steve McQueen, il propose dans Pour en finir avec le cinéma une plongée dans son imaginaire façonné par des années d’assiduité au grand écran. Mettant en scène un narrateur très inspiré de sa propre personne, Blutch dépeint parfois avec violence son rapport ambigu au cinéma, entre l’amour et le rejet. Découpé en séquences qui traitent d’un thème ou d’un personnage, Pour en finir avec le cinéma raconte en filigrane le passage du temps, la nostalgie de l’enfance, les relations avec les femmes et un amour sans bornes pour Burt Lancaster.

garcon de salles Dans toute l’œuvre de Blutch coule la sève du cinéma. Entre adoration et rejet, le dessinateur tire de sa relation avec les films une BD-essai profondément sincère. par Anne-Claire Norot et Jean-Baptiste Morain photo Pierre Le Bruchec

Le cinéma traverse ton œuvre… Blutch – C’est un truc d’enfance. Le cinéma ou les films ont eu une grande influence sur l’enfant que j’étais. J’allais voir de Funès, les Gendarmes. Ensuite c’est devenu une sorte de boulimie. Je préférais ça aux dessins animés, à Disney, à Hanna-Barbera. L’animation ne m’a jamais attiré. J’ai toujours préféré les films avec les vrais acteurs. J’aimais John Wayne, moins Bernard et Bianca. Ce livre nous montre ton rapport ambigu au cinéma. D’un côté, on sent ta passion et de l’autre, une sorte de rejet. Parce qu’au fond, d’une certaine manière, la pensée cinématographique n’est pas si intéressante que ça, pas si poussée, pas si drôle. Et le cinéma représente l’art dominant ! Comme je pratique un art inférieur socialement, je dois être un peu jaloux (sourire). C’est le miroir aux alouettes. Question de génération : parmi les gens que j’ai connus, la moitié voulait monter un groupe de rock, l’autre voulait devenir

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“les femmes ont des vies de chien, et a fortiori les femmes actrices. Je pense que ça doit être terrible”

cinéaste. Les arts diffusés, démultipliés ! Tout le monde veut faire des films. Le cinéma, ça veut dire quelque chose. Mais quoi ? Voilà pourquoi j’ai fait cet album. Le cinéma, c’est du temps en conserve. Un livre – BD ou roman – ne donne pas cette illusion du temps. Un film, on le voit tous à la même vitesse, a priori. C’est un moyen fantastique, inédit d’appréhender un discours. Au cinéma, les gens se déplacent en temps réel. Incroyable ! Je voulais tout mettre à plat et réfléchir. Tu gardes une certaine nostalgie du c inéma ? Je ne trouve pas que le cinéma d’aujourd’hui soit plus médiocre mais la plupart du temps, il est très décevant. Je suis sorti fou de rage de certains films, comme Nine, que j’étais allé voir par hasard. J’ai trouvé ça obscène, je n’ai pas décoléré pendant deux jours. Je préfère les séries télé, Breaking Bad, Les Soprano, Six Feet under… Dans le genre récit filmé, monté, elles me donnent davantage de sensations.

Mon bouquin, c’est aussi un règlement de comptes. J’ai des comptes à régler avec des gens, dans le sens où je leur suis redevable de quelque chose. J’avais besoin d’écrire noir sur blanc des noms parce qu’ils vont bientôt être effacés. Je suis redevable à Robert Ryan. Il me paraissait important aussi d’écrire une histoire sur Burt Lancaster. Ne serait-ce que d’écrire son nom, d’en parler. Parce qu’il n’en reste rien, ou que bientôt il n’en restera rien. Et on parle de cinéma mais le bouquin parle beaucoup du temps, c’est peut-être même ce qui peut le plus en ressortir. Le temps, donc le passé. Dans la BD, tu te représentes vieilli. Je ne m’en rends pas compte. C’est du travail d’acteur. Je me sers juste de mon apparence parce que c’est commode et parce qu’il fallait que ce soit vécu, que ce soit senti. Cette forme d’autoportrait me fournit de la viande, de la chair. Je parle des acteurs, eh bien il faut que je me mouille aussi. Moi aussi je paie de ma personne, moi aussi je joue. Mais ce n’est pas de l’autobiographie. Le narrateur paraît violent, aigri, parfois grivois. (Un temps) Les choses molles m’ennuient. Je ne cherche pas à donner une image séduisante de moi-même. Il y a toujours une confusion, un aspect nébuleux quand on se met en scène. Je Tu restes assidu ? pense qu’il faut conserver cet aspect-là. De même que je lis peu de romans, Le passage sur les femmes à l’écran parce que j’écris des histoires et que je n’ai est violent. Elles sont à la merci pas besoin qu’on m’en raconte, j’aime les des hommes. C’est ça, la femme films qui ne racontent pas d’histoires. D’où au c inéma ? mon goût pour F for Fake d’Orson Welles, Je préfère être un homme qu’une sans qui ce livre n’existerait pas. En amont femme. Les femmes ont des vies de de ce livre, il y a les Histoire(s) du cinéma chien, et a fortiori les femmes actrices. de Godard, F for Fake donc, Politique des Je pense que ça doit être terrible. acteurs de Moullet, mais aussi beaucoup Arnaud Desplechin ou Stanley Cavell Léo Ferré, que je cite d’ailleurs. Chez disent que quand on regarde bien Ferré, il y a une libération de la parole qui le cinéma, il n’a fait que participer me décomplexe beaucoup. à la libération de la femme. Pourquoi ne trouve-t-on aucun jeune Tu ne partages pas cette vision ? réalisateur ou acteur dans ton livre ? Mon postulat, c’est qu’au fond rien J’ai une préoccupation littéraire ne change. Un de mes personnages dit : en faisant un livre : pourra-t-on encore “Nous vivons chez les Mérovingiens”. le lire dans dix ou vingt ans ? Donc Je crois que nous y sommes encore. Il y j’utilise des éléments déjà inscrits dans a très peu de vedettes qui ont eu la folie, une certaine histoire. L’avantage des comme Simone Signoret, de se laisser morts ou des gens âgés, c’est qu’ils vieillir devant les gens. Je faisais mon ne peuvent plus nous décevoir. Certains livre quand Liz Taylor est morte. Son comédiens contemporains me fascinent, dernier film vraiment intéressant, c’est comme Denis Podalydès ou Javier Cérémonie secrète de Joseph Losey Bardem, mais ils courent le risque de en 1968. Après, ce sont des apparitions faire des choses épouvantables (rires). de luxe, des téléfilms et de la presse

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“je peux me taper des films immondes pour apercevoir Kris Kristofferson pendant une minute” à sensation. En 1968, elle a 36 ans, on dirait qu’elle en a 55. Elle est usée jusqu’à la corde, la mégère du film. Le nombre d’actrices que j’ai vu apparaître depuis que je vais au cinéma, depuis 1980, et qui ont disparu ! Pourquoi ? Qu’est devenue Valérie Kaprisky ? Je finis mon chapitre sur les femmes par Catherine Deneuve. Je trouve cette femme très digne. Mais elle représentait bien ce que je voulais dire. Peu de femmes font une carrière sans avoir recours à ce qu’on appelait dans le temps le sex-appeal ou la séduction. Peut-être Yolande Moreau. Quand je la vois jouer, c’est Michel Simon parfois. Elle poétise tout. Il y a plein de sexe dans ta BD. Tu accuses d’un côté le cinéma de ne montrer que des femmes nues, et en même temps tu as l’air bien content… Oui, oui, oui. Les pages de garde de l’album, c’est le grain de la peau

de Claudia Cardinale agrandi des dizaines et des dizaines de fois. Voilà. Je plaide coupable, votre honneur (rires) ! Tu as conçu l’affiche du dernier film d’Alain Resnais, Les Herbes folles ? L’as-tu rencontré ? C’est le vieux peintre, très malicieux. On a parlé BD. J’ai vu des albums chez lui qui m’ont impressionné. On a parlé de Charles Boyer, de Guitry aussi. On s’est vus souvent. C’est un bel artiste, curieux des autres. J’ai mis son nom dans l’album mais j’aurais pu développer davantage. Comme je le connais, je n’ai pas osé. Cela dit, je connais aussi Piccoli, et je lui consacre plusieurs pages (rires) ! Je dirais la même chose : bel artiste, curieux des autres. Les acteurs t’intéressent plus que les réalisateurs ? Ma cinéphilie tourne beaucoup autour des acteurs. J’ai aimé le livre de Luc Moullet Politique des acteurs parce qu’il y

exprimait des sentiments qui me travaillaient depuis longtemps sans que je parvienne à les formuler. J’ai aimé John Wayne parce que je pensais que c’était vraiment lui à l’écran, sa personne. De film en film, il me racontait sa vie. Quand j’étais enfant, on allait voir le film “de” De Funès, “de” Coluche, pas de Claude Zidi ou Jean Girault. Ça m’est resté. Je peux me taper des films immondes pour apercevoir Kris Kristofferson pendant une minute ! J’étais allé voir Les Sentiers de la perdition pour Paul Newman. On ne le voyait pas assez, j’étais frustré (rires). Ça me touche presque physiquement. Comme la peinture. Je fais un parallèle, dans cette BD, entre Rembrandt et Deux hommes dans l’Ouest de Blake Edwards, avec William Holden. C’est aussi physique que ça pour moi, il n’y a rien d’intello. Pourquoi as-tu séquencé le livre en épisodes ? J’avais besoin de découper, de savoir que ça allait s’arrêter. D’un seul souffle, j’avais peur que ça soit indigeste. Je me suis dit que j’allais faire un essai en bande dessinée, non pas un feuilleton ou une aventure. Mais je ne voulais pas que le lecteur décroche. Donc respiration, colorisation et classicisme du dessin. J’ai dessiné comme un dessinateur de BD classique américain. Pour les couleurs, j’ai surtout pompé Forest. Dans l’édition de Barbarella de 1964, il y a huit chapitres dont chacun est traité avec une seule couleur : orange, vert, bleu… Je trouve ça très beau et j’ai repris ces couleurs. Ce livre a-t-il changé ta façon de t ravailler ? Je suis content d’avoir fait ce livre. J’ai l’impression que c’est le premier. Je ne sais pas pourquoi. Il y a des types de 45 ans qui partent avec des filles de 25 ans pour refaire leur vie. Moi, je change d’éditeur et je fais un livre comme si je repartais à zéro, comme si j’avais 20 ans. Donc j’ai fait tout ce que je n’avais jamais fait : tracer mes cadres à la règle, par exemple. C’est la forme de l’essai qui te donne cette impression de changer ? Peut-être, oui. J’ai une fiction à faire, maintenant. Et j’ai du mal à écrire un récit auquel je crois. Peut-être ai-je mis le pied dans un piège ? Pourrai-je me remettre à une histoire classique ? Pourrai-je me convaincre ? Il faut arriver à se duper soi-même, à s’étourdir. C’est tellement long de réaliser une BD, alors il faut croire à son utilité. Pour en finir avec le cinéma (Dargaud), 82 pages, 2 0 €

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l’impatient Anglais Massif et tatoué, l’acteur britannique Tom Hardy fait son trou du côté de Hollywood sans se la jouer. Il est à l’affiche du bien nommé Warrior. Présentations. par Jacky Goldberg

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’est en jogging-T-shirt, le crâne rasé et les bras couverts de tatouages (dont un saillant “il figlio mio é bellissimo” – “mon fils est très beau”) que Tom Hardy nous accueille dans sa chambre d’hôtel, à Paris. L’accolade est virile, le salut franc : “Hey mec, comment ça va ?” Sitôt sur le canapé, il montre des signes d’impatience, change de position toutes les deux minutes, parle à toute vitesse d’une voix éraillée, rit comme quatre, se grattouille, bâille, tousse, mais jamais ne se départ du sourire qui éclaire son visage massif, à la Brando. En promotion pour Warrior, il semble n’être pas encore sorti de son rôle – ou c’est en tout cas l’impression qu’il souhaite donner. Il joue, dans ce film de Gavin O’Connor (Le Prix de la loyauté, 2008), un ex-marine champion de free fight (un art martial combiné, très violent), qui croise la route de son frère ennemi dans un tournoi prestigieux. Tous les deux ont besoin de la récompense, un seul rentrera victorieux. Le drame à oscars typique, avec son conflit familial et son scénario de rédemption, dans la veine de The Wrestler ou The Fighter. Lorsqu’on lui demande, non sans arrière-pensée, ce qui l’a attiré dans ce rôle, la réponse fuse : “Franchement ? Je veux être une plus grosse star. (rires) Warrior est un ‘véhicule américain’ : pour un acteur anglais comme moi, c’est vital de décrocher ce genre de rôle. Ça me donne accès à un marché plus grand et me rend plus crédible dans mon propre pays. J’ai passé beaucoup de temps en Angleterre à jouer dans des petits films, avec des compagnies de théâtre, à écrire, etc. Pour percer, j’avais besoin d’une aide extérieure : c’est Hollywood qui me la donne.” Une franchise peu commune, qui tranche avec les habituels : a) “c’est un rôle tellement profond” ; b) “le réalisateur est un génie” ; c) “c’est le meilleur scénario que j’aie jamais lu”.

A 34 ans, Tom Hardy sait qu’il n’a plus de temps à perdre et l’avoue sans honte. Encore peu connu à l’époque où le scénario de Warrior a atterri dans ses mains (“il ne m’était pas destiné, j’ai dû le voler !”), il s’est battu pour convaincre le réalisateur d’abord, le studio ensuite. A coups de “voyages à Los Angeles” et d’“essais tonitruants” ; “je le voulais plus que quiconque”, confie-t-il en tapant du poing contre sa paume. C’était avant la sortie de Bronson (en 2009) et avant le tournage d’Inception (sorti en 2010), deux films qui l’ont depuis mis sur la liste des acteurs à surveiller de près. Dans le premier, sous la direction de Nicolas Winding Refn, il incarne Charles Bronson, “prisonnier le plus célèbre d’Angleterre”. Une bête humaine, monstre de narcissisme et pitre boursouflé dont il garde un bon souvenir, malgré la capacité du réalisateur danois à lui taper sur les nerfs : “C’est un emmerdeur de première mais je l’admire. Sans lui je serais peut-être pas là. Mais sans moi, il n’en serait peut-être pas là non plus.” Entre ambitieux, on se comprend… L’année suivante, Christopher Nolan lui offre son premier rôle d’importance à Hollywood (après des petits cachets en tant que soldat au début des années 2000 dans La Chute du faucon noir et Frères d’armes). Ce sera Eames, l’un des membres du commando d’Inception, l’expert en fausse identité, le beau parleur aux costumes chic capable, en cas de grabuge, de nettoyer le terrain au M16. Un dandy punk qui colle parfaitement à ce que recherche Tom Hardy au cinéma : “J’aime mélanger le classique et le moderne, l’anarchique et le structuré, la folie et la maîtrise. Avant tout, j’aime quand les choses sont poussées à leur extrémité. Si je joue un fou, il doit être hyperfou. Si je joue un enfoiré, ça doit être le pire enfoiré qui existe. Et s’il est poli et propre sur lui, c’est encore mieux.” Ses acteurs préférés ? Gary Oldman (“Dracula is big !”), De Niro et Pacino jeunes, Michael Shannon “pour son intensité”, Sam Rockwell “pour sa vélocité

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“j’aime quand les choses sont poussées à leur extrémité. Si je joue un fou, il doit être hyperfou”

et son habileté”, ainsi que Vincent Cassel, qu’il a trouvé brillant dans Mesrine – une évidence, tant les deux semblent dessiner le même type de jeu, entre allégeance à la “méthode”, cabotinage shakespearien et outrances physiques. Plus surprenant, l’acteur voue un culte à Isabelle Huppert, dont l’intériorité insondable le fascine. Avant le cinéma, Tom Hardy a fait beaucoup de théâtre, pour lequel il garde une tendresse particulière. “J’étais une petite frappe qui ne savait pas quoi faire de ses dix doigts. Acteur est tout simplement le premier boulot qui s’est présenté. Ma mère dansait, mon père écrivait, j’ai donc grandi dans un environnement très

favorable à l’expression artistique. Mais à 15 ans, je faisais n’importe quoi. C’est le théâtre qui m’a sorti de la rue. Seulement, bon, c’est pas ça qui va payer l’école de mes trois gosses.” (rires) Un personnage qu’il rêverait de jouer ? A nouveau la même franchise, désarmante, imparable : “Tartuffe, de Molière. Débonnaire et doux à l’extérieur, un vrai chien dès que les gens ont le dos tourné. Pour être honnête, je ne le connaissais pas il y a deux heures, mais je suis passé devant une affiche et quelqu’un m’a pitché la pièce. Je n’ai pas besoin de plus : je l’aime déjà.” Nous aussi, on l’aime déjà. lire critique de Warrior page 83 14.09.2011 les inrockuptibles 69

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la vie en Björk Mêlant technologie, performance, écologie, applications et instruments sur mesure, l’Islandaise revient avec Biophilia, une œuvre dantesque qui va très au-delà du disque. par Stéphane Deschamps photo Inez Van Lamsweerde et Vinoodh Matadin

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vouons-le : on n’a pas tout de suite tout compris à Biophilia, le nouveau projet musical de Björk. Biophilia, c’est d’abord une thématique globale, qui fusionne dans un maelström cosmique et viral les sciences (de la microbiologie à l’astronomie), l’écologie, le son, l’enseignement de la musique aux enfants, les nouvelles technologies, les cheveux de Sonia Rykiel au réveil et des vêtements importables sur la planète Terre. Biophilia, c’est aussi une collection de chansons 2.0, composées sur tablette tactile mais jouées avec des instruments acoustiques chimériques (créés spécialement pour Björk), dont la vente a commencé cet été sous forme d’applications (lire encadré), avant une sortie digitale le 10 octobre. Et pour les nostalgiques, il y aura même un CD. Biophilia, c’est en sus une tournée conceptuelle, presque une performance, prévue dans quelques capitales du monde pour des salles de 1 800 personnes, avec la scène au centre et Björk chantant entourée de ses instruments géants et d’un chœur de vingt-cinq jeunes Islandaises en toge (ça aussi, c’est géant). Biophilia, c’est enfin “l’amour de la vie” (étymologie). Et là, fini de rigoler. Après sa tournée de 2008, Björk avait perdu sa voix. Puis l’économie de son pays, l’Islande, s’effondrait encore plus vite que le marché du disque. “La crise, quelle crise ?”, aurait dit Björk, déjà lancée dans le projet le plus ambitieux, collectif, excentrique et visionnaire de sa très longue carrière. Björk se prendrait-elle un peu pour Dieu, voire pour Terrence Malick ? En tout cas, elle fait preuve d’une énergie et d’un optimisme surhumains, remarquables, surtout pour quelqu’un victime d’une attaque de champignons. La technologie des applications pour tablettes tactiles est apparue alors que le projet Biophilia était déjà bien avancé. Est-ce que ça a bouleversé tes pl ans ? Est-ce la première fois qu’une nouvelle technologie a une telle influence sur la façon dont tu crées ta musique ? Björk – Oui et non, car j’ai toujours connu des surprises technologiques. Ça a débuté tout simplement, quand j’ai commencé à chanter avec un micro, vers l’âge de 13 ans. Ça a été un gros choc pour moi. Plus petite, je chantais sans micro. Quand j’ai fait Debut, j’ai utilisé des ordinateurs, des rythmes

“j’ai écrit certaines des chansons avec une manette de Nintendo. C’est la première fois que je fais ça”

électroniques. Puis, sur Homogenic, j’ai essayé de donner une touche islandaise à ces sons électroniques, en reproduisant des sons d’éruption de lave par exemple. Pour Vespertine, j’avais mon laptop. Tout le monde disait que les ordis portables nous transformaient en robots, qu’ils n’avaient ni chair ni sang. Vespertine était un album qui cherchait le lien entre le laptop et les états émotionnels. Mais c’est vrai qu’avec la tablette tactile quelque chose a changé.

Avant, je trouvais la plupart de mes mélodies en marchant dans la nature, puis je rentrais à la maison et je les arrangeais. Les deux étaient séparés. Avec l’écran tactile, je peux tout faire en même temps, arranger la musique et chanter. Ça se rapproche sans doute de la façon de travailler d’un guitariste ou d’un pianiste. J’ai aussi écrit certaines des chansons de Biophilia avec une manette de Nintendo. C’est la première fois que je fais ça. Quand j’étais petite,

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je marchais dans la nature et j’entendais la musique secrète de la pluie, du blizzard, de la lave, de la mousse. J’entendais la musique des montagnes dans mes oreilles. Puis j’ai commencé ces groupes punk, en rêvant du moment où je pourrais me débarrasser des guitares et de la batterie. C’était de la pollution, pour moi, par rapport à la musique de la nature. Avec les tablettes tactiles, la façon dont je fais de la musique ressemble plus à ce que

j’imaginais quand j’étais enfant. J’ai attendu cette technologie toute ma vie, sans savoir ce que ça allait être. Après la tournée Volta, tu as perdu ta voix. Comment l’as-tu vécu ? C’était très effrayant, je ne savais pas si je rechanterais un jour. J’ai vu plusieurs médecins à New York, des profs de chant, des spécialistes de la voix, des ostéopathes pour chanteurs… Je me disais : si ma voix est vraiment partie, qu’on me le dise rapidement

et je passerai à autre chose, il y a tant de choses que j’ai envie de faire, comme le tour du monde en stop. Finalement, ma prof de chant m’a dit que ça allait s’arranger, que depuis vingt ans je chantais avec une mauvaise technique. Depuis trois ans, je prends donc des leçons de chant, je me débarrasse des nodules sans chirurgie, en les étirant, par une technique spéciale. Et puis j’ai complètement changé de régime alimentaire. A cause du candida, 14.09.2011 les inrockuptibles 73

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“mon idée de l’indépendance, c’est que la maison de disques distribue la musique, rien de plus”

un champignon qui a infecté ma gorge et mes sinus, j’ai arrêté de manger du sucre et de la farine. C’était très chiant au début, mais en fait ce n’est pas une mauvaise chose de se débarrasser de ça. Ma voix est revenue lentement et j’ai décidé de composer des mélodies qui collaient à ma nouvelle voix. En travaillant d’anciennes chansons pour préparer les concerts de Biophilia, j’ai découvert que j’avais retrouvé la même, sinon une plus grande étendue vocale qu’avant. Je me suis aussi soignée sans le savoir en passant sept mois à Porto Rico. J’ai regardé des cartes, en cherchant uniquement les endroits où il y a au moins 70 % d’humidité, sans savoir pourquoi. J’avais aussi besoin de m’éloigner de tout pour commencer ce projet. On a fabriqué nous-mêmes le premier pendule sur place, avec de la corde, des élastiques et des bouteilles en plastique. C’était très Robinson Crusoé. Je marchais tous les jours sur la plage pour chauffer ma voix. Quand je suis rentrée, après sept mois à Porto Rico, j’étais guérie, les nodules étaient partis. Mon docteur m’a dit qu’il n’avait jamais vu une guérison pareille. C’est grâce à l’humidité, qui provoque un renouvellement rapide des cellules. Le projet Biophilia semble très sérieux sur le fond, mais plutôt drôle sur la forme… Bien sûr, il y a de l’humour dans ce projet. Je sais que la plupart des choses

sont ridicules. Le fait de monter sur scène et d’être entourée de gens qui se taisent pendant que je chante, c’est totalement ridicule, très difficile à prendre au sérieux. On me parle encore de la robe cygne que je portais aux oscars il y a dix ans. J’étais sur le tapis rouge, avec l’élite d’Hollywood, cette robe ne pouvait donc être qu’une plaisanterie de ma part… Pourtant, des gens ont cru que j’étais sérieuse. Mon humour étrange n’amuse parfois que moi. Je pense qu’on me prend parfois un peu trop au sérieux. Je crois qu’on peut être à la fois drôle et sincère. J’espère que mon humour n’est pas sarcastique, cynique. Au moins, il est très honnête. La perruque rousse de Biophilia, c’est de l’humour ? Il y a plusieurs raisons à cette perruque, qui de toute évidence est ridicule. Pour soigner mon candida, j’ai dû me badigeonner la gorge et faire des gargarismes avec de l’eau oxygénée pendant un an, tout en ayant des cotonstiges dans les oreilles. Le candida, c’est un champignon, l’oxygène le tue. Mais en faisant ça une ou deux fois par jour, je sentais l’effet sur mon cerveau. Les médecins disent que quand le candida atteint le cerveau, c’est le début de l’Alzheimer. J’étais de plus en plus hébétée, je plaisantais avec mes amis en leur disant que mon cerveau commençait à se dissoudre. Et surtout, j’ai constaté

qu’avec ce traitement mes cheveux commençaient à roussir. La perruque, c’est une exagération de ce phénomène. Quand ce projet a pris forme, il y a eu un moment difficile, où je ne savais pas comment me positionner. Dès le départ, Biophilia ne parlait pas de moi, mais de la rencontre entre le do-it-yourself, la musicologie, la biologie et la technologie. Trois ans plus tard, ça englobait l’univers et tout le reste… Un des thèmes du projet, c’est le mouvement des sons et leur enseignement aux enfants. Quand je chante une note, elle va jusqu’à toi, c’est un phénomène physique. Les atomes et les planètes fonctionnent de façon très similaire. Alors que les humains et les animaux ne fonctionnent pas comme ça, selon des règles physiques. Evidemment, la créature qui explique tout ça a la tête dans les nuages. J’ai donc imaginé un personnage de prof de musique frustrée. Les enfants vont dans les autres cours, très pragmatiques, et quand ils arrivent en cours de musique ils se retrouvent face à cette hippie un peu flippante qui veut leur apprendre la musique en leur parlant des galaxies. Il fallait donc que ma perruque ressemble un peu à un nuage. Et c’est définitivement du second degré. Depuis quand t’intéresses-tu aux s ciences ? J’ai toujours été comme ça. Je regardais les émissions scientifiques de la BBC quand j’étais petite. Quand

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je suis allée au lycée, j’ai dû choisir des matières, et j’ai choisi physique et maths, ma préférée. J’étais la seule fille dans cette classe scientifique. A ton concert de présentation de Biophilia, à Manchester, tu terminais avec une ancienne chanson, Declare Independence. L’indépendance est-elle une notion fondamentale pour toi ? L’indépendance, ça vient de mon background punk. A Reykjavík, quand j’étais adolescente, il y avait deux labels principaux, dont un indé où tout le monde travaillait bénévolement : on décidait tout, on faisait les affiches de concerts nous-mêmes. Je viens de ce système. L’autre label, plus gros, distribuait les disques du label indé. C’est un peu comme ça que je travaille encore aujourd’hui. Mon idée de l’indépendance, c’est que la maison de disques distribue la musique, rien de plus. Pour ce projet, nous avons fait le tour des labels pour avoir un soutien financier. Ils étaient tous intrigués par le projet, et ça s’est arrêté là. J’ai fait tout ça sans le soutien des maisons de disques. Mais je ne leur en veux pas. Leur refus de s’impliquer a permis au projet de rester ce qu’il était censé être dès le départ : un travail do-it-yourself. Si quelqu’un nous avait arrosés d’argent il y a deux ans, on ne serait sans doute pas allés au bout de notre vision, on serait devenus paresseux. Ce projet, est-ce ta réponse à l’effondrement de l’industrie du disque ? Il y a quelques années, j’avais donc perdu ma voix, je n’avais plus de contrat, et en découvrant les tablettes tactiles je me suis dit que tout ce vieux système ne fonctionnait plus. J’ai démêlé, fait le tri, pour repartir de zéro. Ça a été une libération pour moi. Après avoir mis de côté le candida et les problèmes de voix, je me suis demandé : qu’est-ce qui reste, qu’est-ce qui marche ? C’est très simple : il y a des gens qui ont envie d’entendre de la musique, des gens qui en font, et il y a internet. Alors qu’est-ce qu’on fait ? On distribue la musique par internet. Pour moi, ce qui se passe aujourd’hui n’est pas une crise. C’est plutôt comme si on portait des vêtements vieux de vingt ans, et qu’on se rendait compte qu’ils sont usés. Mais en fin de compte, il y a encore des gens qui veulent des CD. J’ai donc fini par resigner avec une maison de disques pour distribuer l’album. Parallèlement à cet album, tu as enregistré des morceaux avec le musicien syrien Omar Souleyman. Est-ce important pour toi ? J’adore la musique pop occidentale, mais il y a autre chose. Pour moi, l’Islande est un pays du deuxième monde : ce n’est ni le tiers-monde, ni le premier monde. Il y a soixante ans, en Islande, on vivait

comme au Moyen Age, très en dessous du seuil de pauvreté. Nous sommes maintenant au milieu, comme la majorité des pays dans le monde, où l’industrialisation est récente, où l’anglais n’est pas la première langue. Depuis les crises financières, les Islandais se sont lancés dans l’écriture d’une nouvelle constitution. Tu y participes ? La nation a élu soixante personnes pour écrire la nouvelle constitution. Celle d’avant venait du Danemark. Parmi les élus, il y a mon père. Il dirige un syndicat d’électriciens. Il a toujours été dans l’opposition. On l’appelle le “Lech Walesa islandais”. Il a été élu pour défendre les intérêts de la classe ouvrière. Mais je jure que je ne l’influence pas, c’est plutôt lui qui m’a toujours inspirée. album Biophilia (Universal), sortie le 10 octobre www.bjork.com

iBiophilia, iophilia, mode d’emploi Bi hili estt un enfant Biophilia f t de d la l technologie : t h l i dépassant dé épassant largement du cadre strictement musical, m usical, des applications iPhone et iPad dédiéess à chacune c de ses chansons sont là pour le rappeler. ra ppeler. Un disque étant avant tout un disque, soit forcémentt so oit une collection de chansons et pas forcémen plus, pl us, beaucoup pourront se passer de la version iPhone iP hone ou iPad de Biophilia. Beaucoup, plus sûrement sû ûrement encore, n’auront de toute façon pas le choix : la tablette d’Apple reste un luxe. Exclusivité regrettable, expérience tronquée ? Sans Sa ans doute, oui. Car bien au-delà de sa moelle musicale, m usicale, Biophilia est un “concept album” qui qu ui ne galvaude pas ses expérimentations tous to us azimuts. Les applications dédiées à chacun uniques ch hacun des morceaux du disque, toutes unique es mais m ais réunies dans une cosmogonie cohérente et soigneusement pensée, semblent une fois lancées la ncées être d’indispensables clés de compréhension co ompréhension d’un univers total et de ses concepts co oncepts particuliers. Le tactile et le son, less bits et l’image, les animations et le texte, le point po oint de jonction entre art et nature et corps et technologie, jouerr te chnologie, la possibilité de littéralement joue avec av vec les morceaux, de comprendre l’origine et le sens de leurs paroles, de voir ou recréer leurs le urs structures et de faire joujou avec leurs sons : so ons : ces applications prolongent les chansonss de e Biophilia, précisent leur sens, éclatent leurs interprétations int terprétations et constituent une interface ultime ul time entre l’album et son spectateur. C’est parfois un peu fumeux, les jeux ne valent va alent pas toujours un bon vieux casse-brique, less instruments musicaux sont rudimentaires et seules trois des applications étant disponibles lignes,, dis sponibles à l’heure où sont écrites ces lignes il faudra f attendre pour juger. Mais le projet est es st artistiquement, intellectuellement et techniquement dantesque. Le fan absolu de e l’Islandaise, qui souhaitera à raison saisir la moindre nuance de Biophilia, devra passer par pa ar là : à 1,59 € la chanson/application, et à près de 500 € minimum l’appareil capable de e les lire, c’est certes une belle œuvre, mais c’est c’e est une belle œuvre chère. Thomas Burgel

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la divine comédie Son premier roman Les Instructions, épopée furieuse et démente adoubée par la presse américaine, a déjà l’aura d’un livre culte. Découverte du phénomène Adam Levin. par Elisabeth Philippe photo Elise Pailloncy

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n s’attendrait presque à rencontrer un gamin de 11 ans. Normal, après avoir passé plus de mille pages en compagnie de Gurion (oui, comme David Ben Gourion, le fondateur de l’Etat d’Israël), on s’est attaché à ce pré-ado supérieurement intelligent et archiviolent qui se prend pour le messie, héros des Instructions, le premier roman génial et réjouissant d’Adam Levin. Mais non, l’écrivain américain originaire de Chicago a bien 34 ans et il a quitté le collège il y a longtemps. Sweat à capuche gris, crâne rasé et lunettes à épaisse monture noire, il nous attend, tranquillement attablé dans un café de l’Est parisien. Cela dit, à y regarder de plus près, on décèle sans peine la part d’enfance dans le visage un peu rond de l’auteur, un côté espiègle et sale gosse quand il ponctue ses phrases de “fuck” et de “assholes”. Et si, finalement, Gurion c’était lui ? “Je n’étais pas aussi intelligent et violent que Gurion, mais je me battais pas mal, répond Levin en riant. Je n’étais pas sûr d’incarner le messie mais, comme beaucoup de petits garçons juifs, je me disais qu’il y avait une chance que ce soit mon cas. Ça m’est passé à 13 ans, quand j’ai embrassé une fille pour la première fois. Je me suis dit que c’était ça qui me plaisait dans la vie et ça ne me semblait pas compatible avec les préoccupations d’un messie.” Gurion aussi tombe amoureux, ce qui ne l’empêche pas de croire sérieusement en sa destinée néobiblique. Il en est tellement sûr qu’il convertit sa petite copine Eliza June Watermark, une “gentille”. Il a aussi rédigé son propre texte sacré – “Les Instructions” – et il se fait appeler “rabbin” par ses anciens copains de yeshiva. Fils prodige de Judah Maccabee, avocat défenseur de néonazis au nom de la liberté d’expression, et d’une psy d’origine éthiopienne qui a combattu dans les forces spéciales israéliennes (la mère de Levin est arrivée d’Israël à 17 ans aux Etats-Unis ; son père était à la tête d’une compagnie d’assurances), Gurion s’est fait virer de plusieurs collèges avant d’atterrir à Aptakisic, sorte de centre de redressement pour élèves à problèmes où il est condamné à suivre le programme Cage. Là, celui qui s’est auto-intronisé sauveur des “Israélites” – terme qu’il préfère à Juifs – organise la résistance en armant ses camarades de lutte de “fusils-à-cents” (le mode d’emploi figure dans le livre sous forme de calligramme) et prend la tête d’une insurrection monumentale : du Cecil B. DeMille suédé par Michel Gondry, les guerres judéo-romaines revues par les frères Coen, l’apothéose des quatre journées qui se déploient dans ce livre-monstre, teen-novel théologico-dément, hilarant, follement érudit et plus dérangeant qu’il n’y paraît. “En écrivant, j’avais en tête les films qui ont marqué mon adolescence comme Outsiders ou Violences sur la ville, où il est toujours question des ‘good guys’ contre les ‘bad guys’, explique Levin. Je voulais me servir de ces codes-là et les pervertir en créant des personnages beaucoup plus ambivalents et complexes. Je voulais aboutir à un récit

dynamique et explosif, un peu comme dans End Zone de Don DeLillo, un livre dont l’énergie me fascine.” Adam Levin a mis cinq ans à écrire son épopée “gurionique”, remaniant sans cesse son texte. Son manuscrit a enthousiasmé les très exigeantes éditions McSweeney’s dirigées par Dave Eggers. A la sortie des Instructions aux Etats-Unis, la presse a abondamment comparé Adam Levin à David Foster Wallace, l’auteur du cultissime Infinite Jest – livre jamais traduit en français –, qui s’est suicidé en 2008. “Evidemment, ça m’a beaucoup flatté, mais la comparaison me paraît superficielle, rectifie Levin. OK, comme dans Infinite Jest, il est question d’un petit génie. Mais les ressemblances s’arrêtent là. Chez Foster Wallace, la narration est ultrafragmentée, alors que mon livre est plutôt linéaire.” Inserts de mails, plans, calligrammes, néologismes, notes de bas de page : le roman d’Adam Levin affiche nombre de gimmicks chers à la littérature postmoderne, sans jamais verser pour autant dans des expérimentations hermétiques ou prétentieuses. Les influences de Levin sont davantage à chercher du côté de Philip Roth et J. D. Salinger que de Mark Z. Danielewski. Philip Roth, par-dessus tout. L’auteur de Pastorale américaine apparaît d’ailleurs en gueststar dans Les Instructions, pour une scène d’anthologie. “J’ai envoyé mon livre à Roth mais je pense qu’il ne l’a pas lu. Il a récemment déclaré qu’il ne lisait plus de fiction. Les mille pages des Instructions, ça fait quand même beaucoup de fiction ! J’admire Philip Roth, la diversité de son œuvre. Il a écrit des livres très différents les uns des autres, mais l’empreinte de son intelligence les marque tous. Il est même parvenu à m’intéresser au base-ball avec Le Grand Roman américain.” En lisant Les Instructions, on pense aussi au Livre de Dave de Will Self et au Dernier Testament de Ben Zion Avrohom de James Frey (Flammarion, lire p. 118), deux livres où il est également question de messies peu orthodoxes : un chauffeur de taxi raciste pour le premier et un zonard bisexuel et drogué pour le second. “Je ne sais pas si cette tendance messianique est dans l’air du temps ou si elle a un rapport avec la montée du fanatisme religieux, s’interroge Levin. Ce sont plutôt le 11 Septembre et un personnage comme Ben Laden qui m’ont inspiré. Je voulais essayer de comprendre ce qui peut pousser des gens à suivre aveuglément un homme, la part de séduction et de charisme qu’il y a là-dedans.” La discussion dévie sur la folie nationaliste post-11 Septembre aux Etats-Unis, l’émergence du Tea Party, Sarah Palin, “un cartoon” qui l’effraie moins que Michele Bachmann, “plus intelligente et donc plus dangereuse”. Adam Levin aborde tous les sujets avec humour et esprit, s’inquiète sans cesse de la pertinence de ses réponses et ne se prend pas au sérieux. Il pourrait, cependant : son premier roman a tout pour devenir un livre culte. Les Instructions (Editions Inculte), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Barbara Schmidt et Maxime Berrée, 1 056 pages, 29,90 € 14.09.2011 les inrockuptibles 79

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La Fée de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy Dans la veine de L’Iceberg et Rumba, le trio creuse son sillon gaguesque à la Tati. Mais son univers filmique gagnerait à s’ouvrir encore.



om est gardien de nuit dans un hôtel miteux du Havre. Un soir, débarque à son comptoir une grande rousse dégingandée qui lui annonce tout à trac qu’elle est une fée et qu’il peut faire trois vœux. Dom, qui a, comme nous le savons depuis le premier plan du film, de sérieux soucis de chaîne avec son vieux vélo, lui commande illico : 1) un scooter, 2) de l’essence à volonté jusqu’à la fin de ses jours. La Fée Fiona (oui, c’est son prénom) les exauce immédiatement. Pour le troisième vœu, Dom se fera un peu plus attendre. Mais, sans vouloir trahir un secret qui n’est jamais dévoilé dans le film, que recherchons-nous tous dans la vie ? Après L’Iceberg et Rumba, on pouvait craindre que le filon burlesque du trio franco-canado-belge Abel/Gordon/Romy

ne s’épuise un tantinet. Danger intelligemment écarté dans La Fée, présenté en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en mai dernier. Nos trois auteurs, qui ne manquent pas de métier, savent parfaitement relancer la mécanique narrative au moment où le récit commencerait un peu à s’épuiser dans des gags un peu étirés (le chien dans le sac écossais) ou les chorégraphies du couple Abel/Gordon certes gracieuses et cocasses mais qui finissent par lasser un peu. Côté inventivité gaguesque, on peut souvent compter sur eux : le burlesque est un romantisme, qui octroie aux objets inanimés une âme malicieuse qui reflète au plus juste l’humeur des êtres animés qui en sont victimes. Or c’est leur métier, aux Abel-Gordon, et ils le font bien. Ils savent comme personne (ou plutôt

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intentions secrètes Quand les cinéastes usent d’effets subliminaux.

Abel, Gordon et Romy savent comme personne épuiser les lieux et le comique gymnastique que l’on peut en tirer

comme Tati) épuiser les lieux et le comique gymnastique qu’on peut en tirer. L’enseigne géante de l’hôtel leur permet par exemple de décliner toute une gamme de poursuites plus drôles les unes que les autres. Tout ici est géométrique, architecturé, calculé, dans une belle mise en scène au plan fixe ou au travelling droit. Même si l’on peut regretter que La Fée, qui garde un certain rythme, manque parfois un peu de cette vitesse qui empêche qu’on prévoie la chute du gag avant qu’elle n’advienne. La grande sensibilité du trio comique leur permet aussi de s’ouvrir sur autre chose, et c’est sur cet “autre chose” qu’il faudrait insister parce qu’ils pourraient sans doute s’y ouvrir encore plus dans l’avenir. Jamais auparavant nos trois comiques n’avaient su agrandir leur univers comme ici (pas si grand que cela mais très ordonné, symétrique et logique), et y introduire, pour le perturber, des personnages secondaires à la fois très passagers et pourtant marquants (une infirmière à l’hôpital psychiatrique, une équipe féminine de rugby, etc.) qui apportent un peu d’air frais dans ce petit théâtre légèrement asphyxiant. On notera que Tati lui-même avait progressivement fait disparaître Monsieur Hulot de son cinéma au profit de l’époque, de l’urbanisme, d’autres personnages (la blonde de Trafic). On en regrette d’autant plus qu’Abel-Gordon-Romy n’aient pas pris soin, jusqu’à présent, de montrer davantage

le monde contemporain qui nous entoure. Humilité ? Timidité ? Pusillanimité ? Parce qu’ils viseraient à l’intemporel ? Certes, on voit dans La Fée trois jeunes clandestins africains rêver de passer le Channel. Mais nos trois cinéastes n’en font pas grandchose, se contentant de l’allusion. L’habillement de leurs personnages, depuis L’Iceberg, rappelle à la fois celui des Deschiens ou des créatures d’Aki Kaurismäki (qui lui aussi vient de tourner un très beau film au Havre, intitulé judicieusement Le Havre), sur un mode désuet qui a un peu vécu. Les morceaux de musique entendus dans le film, d’ailleurs très beaux, ne nous rajeunissent pas… Le burlesque devrait-il toujours rimer avec passé ? Il y a un gag, pourtant, magique, qui laisse augurer d’un versant plus politique et actuel du trio : celui qui nous montre des malades agglutinés devant la porte de leur hôpital, tous en train de fumer au milieu d’un énorme nuage tabagique. L’inscription dans le présent, elle est là. Pourquoi ne pas la développer davantage ? Nous les avons désormais adoptés, nos trois adorables clowns de cinéma. Nous aimerions maintenant savoir ce qu’ils pensent de notre époque. Jean-Baptiste Morain La Fée de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy, avec eux-mêmes (Fr., Bel., 2011, 1 h 33)

Dans l’interview que J. J. Abrams a accordée récemment aux Cahiers du cinéma, le réalisateur de Super 8 apporte une petite précision technique qui donne son titre à l’entretien : “Les yeux de sa mère”. La voici : à la fin du film, Joe, endeuillé par la mort de sa mère, se retrouve face à l’épouvantable extraterrestre qui sème la mort dans toute la région depuis quelques jours. L’ET, qui a subi mille tortures de la part des militaires et scientifiques américains, hait les humains. Il est sur le point de tuer Joe quand l’enfant sort de ses gonds, et crie à la créature qu’il faut savoir tourner la page, parce que “life hurts” (la vie fait mal), répète-t-il. A ce moment-là, explique Abrams aux Cahiers, le regard du monstre est le résultat d’une incrustation numérique des yeux de l’actrice qui joue la mère de Joe. L’effet est impossible à deviner. D’autres cinéastes ont eu recours à un tel procédé. Hitchcock, bien sûr, qui dans Psychose superpose pendant une demiseconde le visage momifiée de la mère de Norman Bates sur le visage de ce dernier. Un effet visible, mais fugace. On sait moins, peut-être, qu’il eut recours à un autre subterfuge, sans trucage aucun. A la fin de Vertigo, la religieuse qui sort soudain de l’ombre et prononce quelques mots, effrayant ainsi Kim Novak et provoquant sa chute mortelle du haut du clocher, est postsynchronisée par Kim Novac. Abrams, lui, avoue son forfait. Mais combien de grands cinéastes ont eu recours à de tels subterfuges subliminaux dont nous ignorons tout ? Sont-ils efficaces (le cerveau du spectateur les perçoit-il réellement) ? Ou ne servent-ils qu’à donner à un film, pour son propre auteur, un supplément d’âme, de sens, et d’interdit ?

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Fright Night de Craig Gillespie avec Anton Yelchin, Colin Farrell, Toni Collette (E.-U., 2011, 2 h 00)

Et maintenant on va où ? de Nadine Labaki Après le remarqué Caramel, la réalisatrice s’attaque aux conflits religieux qui empoisonnent le Liban. Un peu trop prévisible mais plein de charme.

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t maintenant on va où ?”, c’est la question littérale posée par des villageois durant un enterrement, alors qu’ils hésitent entre le carré musulman à droite, et la section chrétienne de leur cimetière à gauche. C’est aussi la question posée par la réalisatrice Nadine Labaki à propos de son pays, le Liban, et plus généralement aux sociétés déchirées par la gangrène des conflits religieux. Remarquée pour son premier long métrage, Caramel, Labaki confirme qu’elle est la chef de file d’un nouveau sous-genre cinématographique : le film arabe auteuristopopulaire (Caramel fut un succès et celui-ci est parti pour faire aussi bien, voire mieux). Ce qui relève du cinéma d’auteur chez Labaki se situe du côté du scénario et des thématiques abordées : ici, l’aveuglement religieux, la violence intégriste, la brutalité machiste et plus largement les guéguerres qui ne devraient même pas exister, mais que s’invente l’homme pour avoir le sentiment d’exister. Ce qui appartient au registre populaire, c’est la façon qu’a Labaki de traiter un sujet grave par la légèreté, l’injection de bonnes doses de comédie, une mise en scène claire et classique qui fait la part belle aux acteurs et aux dialogues. Pour rester dans les références méditerranéennes, il y a indubitablement du Pagnol ou

de la comédie italienne dans le cinéma de Nadine Labaki, mélange de sujets forts et de truculence. La principale réserve que soulève Et maintenant où on va ?, c’est que cinématographiquement, on sait toujours parfaitement où on est (dans une tragicomédie) et où on va : vers un message d’espoir, de tolérance et de vivre-ensemble. Message sans doute nécessaire mais pour le moins prévisible. On regrette également que dans ce Clochemerle entre musulmans et chrétiens, il y ait aussi peu de place pour les athées, mais ce trait est sans doute fidèle à la réalité. Cela posé, pour aller vers son “vouloirdire” sans mystère, le film emprunte des tours et détours parfois irrésistibles, que l’on ne dévoilera pas, sauf pour indiquer que les femmes et une spécialité libanaise bien connue y jouent un rôle aussi hilarant que déterminant. Si ce n’est pas ici que l’on trouvera l’ombre d’une révolution du cinéma arabe (pour ça, voir plutôt du côté d’Elia Suleiman, Ghassan Salhab, Joreige-Hadjithomas ou Danielle Arbid), Et maintenant où on va ? est un feel-good movie au meilleur et moins cynique sens du terme. Serge Kaganski

Un film de vampires pas très finaud mais plutôt rigolo. Les remakes ont parfois du bon : Fright Night revitalise un film eighties (au titre français ridicule, Vampire, vous avez dit vampire), au pitch d’horreur domestique beau comme du Stephen King (un ado découvre que son voisin est un vampire nommé Jerry), mais exécuté avec l’énergie de Madame est servie. La mouture 2011 a la bougeotte, parfois trop quand elle coupe court à son côté Fenêtre sur cour pour sortir les personnages de chez eux et les envoyer sur la route. Au rayon altérité (thème du vampirisme par excellence), le film n’est pas très finaud quand le héros doit choisir entre son meilleur copain nerd et sa petite amie blonde. Reste le plaisir du casting, qui casse certains rôles attendus : Christopher Mintz-Plasse (l’immortel McLovin de SuperGrave) offre une variation aigrie à son emploi habituel de supernerd tandis que Colin Farrell s’amuse. L’acteur amuse surtout, parce qu’il ne choisit pas vraiment entre ses modèles de vampire pour définir l’humeur de son prédateur, bad boy en marcel. Un entre-deux bancal qui insuffle un second degré bienvenu : sauvage et fleurant bon la sueur comme dans Aux frontières de l’aube (Kathryn Bigelow), vaguement ringard comme dans Génération perdue (Joel Schumacher). Léo Soesanto

Et maintenant où on va ? de Nadine Labaki avec Claude Baz Moussawbaa, Leyla Hakim, Antoinette Noufaily, (Fr., 2011, 1 h 50)

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La Guerre des boutons de Yann Samuell C’est rance et ça sent la naphtaline : si on aurait su on l’aurait pas vu. remière salve de la guéguerre La guerre entre voisins, c’est tellement des boutons qui se prolongera bien, une bonne vieille tradition qui envoya la semaine prochaine avec la sortie dès 1914 toute une génération de jeunes de La Nouvelle (sic) Guerre des Européens à la fosse commune, leurs noms boutons de Christophe Barratier, l’immortel gravés sur les monuments aux morts auteur des Choristes et de Faubourg 36. dans des villages désormais moribonds. Mais pourquoi cette obstination à aller On imagine bien à quels spectateurs ce film rechercher La Guerre des boutons, roman est destiné : les retraités lecteurs du Figaro populaire écrit par Louis Pergaud en 1912 qui, le dimanche, aiment emmener au cinéma et déjà adapté au cinéma plusieurs fois, leurs petits-enfants en groupe, pour les notamment par Yves Robert en 1962 ? occuper et leur montrer comme l’enfance Hélas, la réponse vient très vite. était belle, travailleuse et charmante Cette histoire un peu dégoûtante dans le temps, à l’époque où l’on se traitait de petits garçons qui se foutent à poil de “couilles molles”, de “peigne-cul” ou baigne dans une atmosphère vieille France de “fesse-mathieu”. Le peuple était rigolo, qui doit en rassurer certains. Ici, c’est alors. En attendant la version Barratier, on la progéniture des paysans de deux villages se dispensera donc de ce triste opus filmé voisins, rivaux depuis toujours, qui à la caméra sauteuse, sans doute idéal pour se regroupe en bandes pour se tabasser bercer la sieste de grand-papa pendant et se couper les boutons de culottes. la projo. Rien à voir. Jean-Baptiste Morain Passionnant. Tout cela sous le regard complice de leurs instituteurs (pauvres La Guerre des boutons de Yann Samuell, avec Elmosnino et Chabat), qui eux-mêmes, Eric Elmosnino, Alain Chabat, Mathilde Seigner quand ils étaient petits… (Fr., 2 011, 1 h 35)

P

Warrior de Gavin O’Connor avec Tom Hardy, Joel Edgerton (E.-U., 2011, 2 h 20)

Burné, académique, mais regardable. Après The Wrestler et The Fighter : Warrior. Sans son article défini, le film de Gavin O’Connor est-il armé pour rivaliser avec ses glorieux prédécesseurs aux oscars ? Il en a en tout cas le gabarit (poids lourd, très lourd même), le nez (cassé mais encore sensible) et l’uppercut (qui permet

d’arracher la victoire, aux points). Soit : un scénario écrit avec un logiciel de scriptwriting, auquel on aurait indiqué “sport de combat + frères ennemis + père alcoolique et mère décédée + rédemption” ; une mise en scène banale qui réussit toutefois à emballer les scènes de combats, viscérales, tendues ; et un duo

d’acteurs talentueux (Joel Edgerton et Tom Hardy) qui trouvent le ton juste, contrairement à Nick Nolte, un peu fatigant en papa déglingué. Résolument académique, donc, mais pas déplaisant, Warrior devrait se frayer un chemin vers le ring. Jacky Goldberg lire le portrait de Tom Hardy page 68 14.09.2011 les inrockuptibles 83

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en salle cinémas arabes L’Association du cinéma euro-arabe organise, en partenariat avec le cinéma La Clef à Paris, un festival sur le printemps du cinéma arabe. Une sélection riche de films en provenance de la Tunisie, l’Egypte, la Syrie, le Maroc, le Yémen mais également des pays du Golfe, fictions ou documentaires, tournés sous les anciens régimes ou dans l’urgence des révolutions. Certains cinéastes viendront présenter leur film, comme la Franco-Marocaine Leïla Kilani (Sur la planche) ou Nadia El Fani (Laïcité inch’Allah). Printemps du cinéma arabe du 15 au 18 septembre, cinéma La Clef, Paris Ve, www.cinemalaclef.fr

hors salle Tintin animé Avant la sortie (que l’on imagine très médiatique) du grand projet 3D du binôme Steven Spielberg-Peter Jackson, Tintin retrouve déjà la cote en librairie. Le reporter belge est à l’affiche du dernier essai de Philippe Lombard, Tintin, Hergé et le cinéma : une étude inédite sur les rapports qu’entretient le célèbre personnage de bande dessinée avec les images animées. Entre adaptation cinéma foireuse, longue tradition de petit écran et références plus ou moins cachées (Polanski, Spielberg, Resnais) : tour d’horizon des aventures de Tintin en mouvement. Tintin, Hergé et le cinéma de Philippe Lombard (Democratic Books), 200 pages, 18,95 €

Q de Laurent Bouhnik avec Déborah Révy, Gowan Didi, Hélène Zimmer (Fr., 2011, 1 h 43)

Du cul au pied de la lettre gâché par une certaine prétention. Au départ, le projet de Laurent Bouhnik était intéressant : faire un film d’auteur avec de vrais morceaux de sexe non simulé dedans, dans la lignée de L’Empire des sens, Romance ou Ken Park. Hélas, à l’arrivée, ça ne fonctionne pas, faute d’un scénario à la fois tarabiscoté et schématique, de dialogues clichés et de comédiens à la limite de la parodie : par exemple, la très sexy Hélène Zimmer en pucelle amoureuse et pure, c’est une convention pas plus crédible que dans un Dorcel habituel. Pourtant, certaines scènes de sexe sont assez réussies, élégantes, bandantes, soignées dans leur éclairage, leur découpage et leur son, évoquant plutôt Brisseau que l’ordinaire performatif et les atroces lumières médicales du porno. Bouhnik aurait sans doute dû faire entièrement confiance à son désir de faire faire de jolies choses à de jolis jeunes gens en les filmant joliment sans s’appuyer sur des béquilles scénaristiques, sociologiques ou métaphysiques qui sonnent ici très toc. Serge Kaganski

Freakonomics

box-office habemus public Distribué sur le plus grand nombre de copies, le dernier film de Nanni Moretti, Habemus papam, réalise un très bon démarrage et a pris la tête du box-office en première séance à Paris, devant Présumé coupable ou Sexe entre amis. En deuxième semaine, La guerre est déclarée poursuit sur sa lancée et dépasse la barre des 200 000 entrées sur 129 copies (bientôt 90 de plus), alors que le cinquième volet de Destination finale squatte toujours le haut du tableau avec près de 500 000 spectateurs. Romain Blondeau

autres films Kinshasa Symphony de Claus Wischmann et Martin Baer (All., 2010 ,1 h 38) La Boîte à malice de Koji Yamamura (Jap., 2011, 38 min., 2011)

d’Heidi Ewing, Alex Gibney, Seth Gordon, Rachel Grady, Eugene Jarecki et Morgan Spurlock (E.-U., 2010, 1 h 25)

Un docu collectif qui, globalement, échoue à rendre sexy l’économie. On connaît le film à sketches, moins le docu à sketches : Freakonomics est adapté d’un best-seller expliquant par l’économie des phénomènes sociaux en apparence incongrus. Faut-il payer les écoliers pour qu’ils aient de bonnes notes ? La légalisation de l’avortement a-t-elle un impact sur la criminalité ? Divers réalisateurs s’emploient ici à rendre sexy les statistiques. Avec un succès très inégal. Morgan Spurlock (Super Size Me) échoue à faire rire sur “le choix d’un prénom influence-t-il le futur statut social d’un enfant ?”. Seul Alex Gibney émerge via la corruption chez les sumos : c’est graphique, intrigant lorsqu’il dissèque les subtilités de la langue nippone, ou trace un parallèle avec Bernard Madoff. Léo Soesanto

Un tigre parmi les singes de Stefano Incerti avec Toni Servillo, Mi Yang, Hal Yamanouchi (It., 2010, 1 h 27)

Film noir banal sauvé par l’étrangeté de son héros. Un engrenage infernal mène un caissier de la prison de Naples, accro au jeu, à s’endetter pour les beaux yeux d’une jeune Chinoise… Récit relativement simple. Trajectoire fataliste de film noir ordinaire. Le personnage principal, Gorbaciof, est particulièrement chargé, mais c’est justement cette figure excessive qui pimente cette sombre bluette. Il est incarné par Toni Servillo – déjà vu cet été dans un autre film noir italien, Une vie tranquille –, acteur de composition à l’ancienne, qui emploie force tics et grimages pour particulariser cet être surréel. On ne parlera pas de cabotinage, plutôt d’étrangeté burlesque. Tout, dans la gestuelle, le masque, les actions, de Gorbaciof, contraste avec les pulsions profondes de son personnage presque candide. Ultraviolent et fleur bleue en même temps. Bref, le film ne vaut que pour ce “tigre” expressif. Le reste fait un peu littérature de gare. Vincent Ostria

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Crazy, Stupid, Love de John Requa et Glenn Ficarra Les réalisateurs d’I Love You Phillip Morris proposent un film creux fondé sur un scénario retors. Peut mieux faire.

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Love You Phillip Morris, le premier film de John Requa et Glenn Ficarra, était un brillant traité de superficialité à la gloire de Jim Carrey, la parfaite démonstration que, sous le masque du bouffon, ne se trouve qu’un autre masque et sous ce masque encore un masque, et ainsi de suite jusqu’à l’absurde. La réussite du film, à la lisière du cynisme, tenait principalement au génie de son acteur, capable d’insuffler de la croyance envers et contre tout, capable même, dit-on, de faire pousser de l’herbe on the moon. Hélas, la petite mécanique tourne à vide dans Crazy, Stupid, Love. Pire : à l’épreuve de la comédie chorale, elle apparaît rouillée, ses engrenages trop abîmés pour extraire un peu d’émotion, autre que frelatée, de personnages maltraités par les jeux de l’amour et du hasard. Soit Steve Carell, quadra dépressif et tout juste divorcé d’avec Julianne Moore (totalement transparente), qui trouve en Ryan Gosling le parfait coach en séduction, avant que celui-ci ne décide de raccrocher lorsqu’il tombe amoureux d’Emma Stone (absolument charmante, mais sans rien à jouer). La mise en scène clipesque de Requa et Ficarra (travellings à gogo et transitions chiadées), qui glissait si bien à la surface du visage de Carrey, apparaît ici boursouflée, soulignant la vacuité de l’ensemble.

La caméra trouve cependant un meilleur appui sur la dégaine frimeuse de Gosling (très drôle en mauvais génie de la drague, faisant preuve d’une autodérision qu’on ne lui connaissait guère) que sur celle de Carell, empêtré dans son habituel rôle de Calimero grimaçant, incapable de dégoter un vrai bon rôle depuis 40 ans, toujours puceau – ne l’aurait-on pas un peu surestimé ? Cet écart entre les deux personnages principaux, l’un en papier glacé l’autre en buvard, dit bien l’essence du cinéma de Requa et Ficarra, sa réussite et ses impasses : reluisant à l’extérieur, creux à l’intérieur. Crazy, Stupid, Love clame le titre. Si l’amour est certes une folie, il ne rend pas obligatoirement bête, et c’est cela, au fond, qui agace ici : l’impression de voir des pantins tenus par des fils épais et gluants, se cognant les uns contre les autres en dépit de toute intelligence, par la simple nécessité d’un scénario roublard. C’est toute la différence entre la haute couture discrète d’un James L. Brooks et le prêt-à-filmer criard d’une paire de cinéastes que l’on est tout de même curieux de voir évoluer. Jacky Goldberg Crazy, Stupid, Love de John Requa et Glenn Ficarra, avec Steve Carell, Ryan Gosling, Emma Stone (E.-U., 2 011, 1 h 58) 14.09.2011 les inrockuptibles 85

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quelle heure à Venise ? David Cronenberg, Abel Ferrara, William Friedkin : retour sur les films marquants de la dernière Mostra.

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uelques jours avant que le jury présidé par Darren Aronofsky n’ait fait son œuvre (le palmarès n’est pas encore connu à l’heure de la rédaction de ce texte), aucun film de la Mostra 2011 ne peut se flatter d’avoir mis tout le monde d’accord. Cronenberg a dominé la sélection pour certains, Polanski pour d’autres, Ferrara en ce qui me concerne. Mais s’il y a bien une chose que personne ne peut contester, c’est qu’un comédien a tout déchiré cette année : Michael Fassbender. Les grands acteurs dressent des ponts entre les films, leur permettent de se répondre, développent leur propre logique d’auteur par des chemins de traverse. C’est ce à quoi est parvenu Fassbender dans deux films, parmi les plus attendus et commentés : A Dangerous Method de David Cronenberg et Shame de Steve McQueen (l’auteur de Hunger). Dans A Dangerous Method, il interprète Carl Gustav Jung dans ses jeunes années, lorsqu’il soigne et s’éprend de Sabina Spielrein (Keira Knightley), une patiente qui s’initie peu à peu à la psychanalyse. Il fréquente aussi son aîné, Sigmund Freud. Se forme alors un triangle fait de désir, de jalousie et de convoitise, traité par Cronenberg avec un certain détachement ironique. La retenue un peu glacée du film tient aussi bien au classicisme raide de sa mise en scène que dans le regard sans empathie que le cinéaste porte sur les personnages. Dans ce film de naturaliste penché sur les insectes qu’il épingle, Fassbender apporte beaucoup en Jung sanguin, qui fait jouir sa patiente en lui administrant des fessées. Mais ce n’est rien comparé à l’intensité de sa compulsion sexuelle dans Shame. Il y incarne un yuppie qui ne vit que pour baiser, au détriment de toute fixation affective. Il y a beaucoup de puissance dans la façon dont McQueen s’immerge dans les abîmes de son personnage, et un vrai brio dans l’exécution formelle (tempo haletant,

Willem Dafoe dans 4:44 Last Day on Earth d’Abel Ferrara

force plastique de chaque plan). On peut néanmoins être assommé par le dolorisme d’un film plus prompt à stigmatiser le mode de vie de son personnage qu’à en accompagner l’ivresse. Dans la fascination du cinéaste pour un comédien qui lui donne une fois encore entièrement son corps (martyrisé dans Hunger, filmé sous tous les angles dans Shame), quelque chose résiste néanmoins au prêchi-prêcha dispensé par le récit. Autre acteur qui donne beaucoup de son corps : Willem Dafoe dans 4:44 Last Day on Earth. Mais pour Ferrara, contrairement à McQueen, le sexe est une extase sans contrepartie ni culpabilité, le seul recours de l’humanité à l’heure de l’anéantissement. Dans cette série B ne bénéficiant pas des moyens du Contagion de Steven Soderbergh (autre fiction d’une catastrophe sanitaire, assez peu passionnante celle-là), le cinéaste filme à l’économie mais de façon poignante une apocalypse perçue seulement entre les quatre murs d’un loft high-tech. Ferrara filme avec un même lyrisme la dématérialisation du monde (fait d’écrans, de pixels, de présence virtuelle) et la matière humaine (peau, chair, orgasme). La mise en scène, tout en fondus enchaînés éblouissants, faisant de chaque plan une unité liquide qui déborde sur la suivante, est proprement éblouissante. Eblouissante aussi, la maîtrise intacte de William Friedkin en matière d’éloquence

pour Ferrara, le sexe est le seul recours de l’humanité à l’heure de l’anéantissement

visuelle, de scansion des scènes, d’expressivité plastique. Killer Joe est une pièce d’orfèvrerie hors pair. On y suit les abominables manigances d’une famille d’affreux qui s’entretuent pour récupérer une police d’assurance. Le film ne retrouve que rarement l’ampleur méditative et la profondeur de fable de Bug, mais on s’amuse beaucoup dans ce joyeux saccage, où rien ne peut endiguer la sauvagerie et le cynisme des personnages. Parmi les beaux films du festival, il faut compter aussi Un été brûlant de Philippe Garrel. On reviendra dans quinze jours (lors d’un long entretien avec le cinéaste) sur cette chronique obsédante d’une décomposition, où, aux côtés de Louis Garrel, Monica Bellucci irradie comme jamais. Signalons la découverte du festival : un premier film français, intitulé Louise Wimmer et signé Cyril Mennegun. Louise Wimmer (l’inconnue mais plus pour longtemps Corinne Masiero) est une quadra précaire, sans logement, femme de chambre à temps partiel, dont chaque journée constitue un nouveau champ de bataille. Avec une très grande habileté scénaristique, le film rend haletante cette lutte pour la survie en pleine France du délitement social, documente de façon très précise une précarité contemporaine en expansion, sans forcer pour autant sur la noirceur et refuser d’envisager toute issue pour son beau personnage. En cette année de Biennale d’art contemporain, la Mostra accueillait plusieurs films signés par des plasticiens de renom : Steve McQueen bien sûr, mais aussi Rirkrit Tiravanija, dont le Lung Neaw Visits His Neighbours est un documentaire contemplatif assez planant, une balade down tempo (un peu trop parfois) dans la Thaïlande rurale, élégiaque et ouatée.

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Mais la plus belle hybridation art/cinéma est venue de la Biennale elle-même grâce au chef-d’œuvre de Christian Marclay, The Clock, une expérience hypnotique inouïe, issue d’un travail de titan. Dans ce film de 24 heures, diffusé de minuit à minuit, chaque minute comprend un plan prélevé

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à l’histoire du cinéma (dans un film de John Ford, Jacques Doillon, Wong Kar-wai, Antonioni, etc.) comportant un plan de cadran (montre, horloge…) dont l’indication chronologique est toujours identique à l’heure qu’il est pour le spectateur. Outre la stupeur admirative que sucite le travail

The artist, courtesy White Cube, London and Paula Cooper Gallery, New York, photo Todd-White/Art Photography

The Clock de Christian Marclay

d’archives insensé nécessité par l’œuvre, outre la délectation fétichiste qu’il y a à se plonger dans ce siècle d’images en mode shuffle, on reconnaît là ce qu’au fond on attend depuis toujours du cinéma : qu’il nous donne l’heure dans laquelle on vit. Jean-Marc Lalanne

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Le Beau Serge Les Cousins de Claude Chabrol avec Gérard Blain, Jean-Claude Brialy, Bernadette Lafont (Fr., 1958-1959, 1 h 35 et 1 h 45)

Eva Simonet

L’Etrangleur de Paul Vecchiali Tout l’art de l’échappée belle du cinéaste, toute la grandeur d’un cinéma français en liberté. Le film A l’étrangleur qui lui demande juste avant de la tuer “Qu’avez-vous fait aujourd’hui ?”, Hélène Surgère répond, consciente du danger mais s’y jetant à corps perdu : “J’ai perdu mon temps, j’ai perdu ma vie.” C’est une des plus belles répliques du cinéma français, c’en est aussi la définition parfaite, le cinéma n’étant jamais aussi fort que lorsqu’il s’avance, téméraire, s’accordant des pas de côté, des digressions, des décrochages, en faisant fi de la vraisemblance et de la droite ligne du récit. De la déclaration de Serge Rousseau à Claude Jade dans Baisers volés (Truffaut) aux paroles d’amour de Jean Gabin chez Grémillon en passant par Vecchiali, un art de l’échappée belle se dessine : d’un coup, un personnage délivre une vérité aussi essentielle que solitaire, d’un coup, une séquence qui n’a d’autre vertu que son excentricité rêveuse surgit. Puisque le ridicule et le courage ne font qu’un, L’Etrangleur est le plus français des films. Un jeune homme (Jacques Perrin) étrangle des femmes la nuit. Il est poursuivi par un flic (Julien Guiomar) et une femme (Eva Simonet) qui se lient pour le traquer. Les motivations des uns et des autres sont changeantes, au gré de désirs dont la violence se conjugue à l’imprévisibilité – qui désire qui, en fin de compte ? L’art de l’échappée belle, Vecchiali le pratique avec son intelligence dialectique aiguisée

(sens dissonant du montage) et son lyrisme sans peur, prompt à accueillir, au sein de la grande nuit parisienne qui est le décor du film, l’humanité jacassante, émouvante, de gens de peu de choses que l’oubli engloutira bientôt. Le rôle principal est tenu par Jacques Perrin, unique avec sa tête d’enfant tiré du lit, au visage si sensible qu’il se fane déjà, brutalisé par la vie. A la fin d’une magnifique parade à la Jean Genet où la mauvaise rencontre devient la clé érotico-tragique de l’existence, Perrin pleure, adossé à un arbre. Sel de la cruauté, douceur des larmes, grandeur du cinéma français. Le DVD Deux entretiens en bonus. L’un avec Paul Vecchiali qui permet de vérifier qu’il est l’un des cinéastes français les plus intelligents qui soient. L’autre avec Jacques Perrin, quarante ans après le film : où l’on constate que l’éternel jeune homme est devenu un sexagénaire avisé mais capable, en dépit de la raison des ans, d’insister sur l’essentielle “trace” que doivent laisser les films, capable même de se laisser envahir par le trouble quand Vecchiali évoque la pudeur de l’acteur qui le fit résister, un peu, aux audaces du film. Axelle Ropert L’Etrangleur de Paul Vecchiali, avec Jacques Perrin, Julien Guiomar, Eva Simonet, Hélène Surgère (Fr., 95 min., 1972), La Vie est belle éditions, environ 20 €

La Nouvelle Vague débute avec ces deux films. Les films Les deux premiers films de Claude Chabrol (qui ne réalisa pas de court métrage au préalable), autoproduits, marquèrent le véritable début de la Nouvelle Vague (budget réduit, décors naturels, pellicules très sensibles, nonprofessionnalisme des cinéastes, jeunes acteurs de leur temps). Le Beau Serge est curieusement très catholique (vive la rédemption), Les Cousins plutôt anarchiste. Le premier fut écrit par Chabrol seul (qui pensait le voir produire sous l’égide de Roberto Rossellini), l’autre coécrit avec son compère haut en couleur Paul Gégauff. Le premier (avec sa belle image signée Henri Decaë), reçut le prix Jean-Vigo, le second remporta l’Ours d’or à Berlin. Les DVD Des versions “entièrement restaurées en haute définition”. Chaque film bénéficie d’un documentaire avec des témoignages (on y voit Chabrol, Lafont, Claude de Givray, etc.) Dans l’édition Blu-ray, chaque film est accompagné d’un court métrage de Chabrol tiré d’un film à sketches (L’Avarice pour Le Beau Serge, L’homme qui vendit la tour Eiffel pour Les Cousins). Jean-Baptiste Morain (Gaumont), environ 17 € chaque

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Patrick Kovarik/AFP

y a un rapport ? Le Centre national de la cinématographie vient de publier une étude sur le marché vidéo en 2010. Un bon indicateur qui oublie pourtant les ventes de jeux d’occasion ou en téléchargement légal.

 R joueurs nous sommes 61 % 61,1 % des Français ont goûté aux délices vidéoludiques au cours du dernier semestre 2010, selon la dernière étude CNC-GfK sur les pratiques de consommation des jeux vidéo (qui n’inclut pas les simples utilisateurs de jeux préinstallés sur leur téléphone portable ou leur PC). Majoritairement masculine (mais de peu, à 52,4 %), cette population affiche une moyenne d’âge de 34,3 ans, qui apprécie de plus en plus le jeu online gratuit – 75,8 % des gamers s’y adonnent.

ien ne va plus dans le monde vidéoludique. C’est en tout cas ce que l’on pourrait déduire du rapport sur le marché du jeu vidéo sur support physique en 2010, réalisé par le Centre national de la cinématographie avec l’institut GfK. L’an dernier, il s’est vendu en France 36,9 millions de jeux, soit 4,8 % de moins qu’un an plus tôt, pour des recettes (1,38 milliard d’euros) en baisse de 4 % et même de 16,5 % depuis 2008. Quant au marché des jeux pour consoles portables, il a fondu de moitié en deux ans à cause, notamment, du piratage qui, sur Nintendo DS, est littéralement devenu un jeu d’enfant. Seules les consoles de salon sauvent l’honneur grâce à la PS3, devenue le support favori des gamers français avec 29,8 % des jeux achetés contre 24 % pour la Wii, 16,7 % pour la Xbox 360, 13,8 % pour la DS et 11,1 % pour le PC. “Ce n’est pas vraiment que les gens achètent moins, mais ils font plus attention, confie le vendeur d’une boutique parisienne. Ils ne veulent pas risquer de se tromper alors ils vont vers les valeurs sûres ou, au contraire, cherchent des affaires en occasion.” L’occasion : voilà le premier angle mort de l’étude, qui ne prend pas en compte cette portion du marché aussi délicate à évaluer que mal vue des éditeurs à qui elle ne rapporte rien. L’autre non-dit,

c’est le téléchargement légal. Or, sur PC au moins, son développement compense en partie la baisse des ventes en magasin (- 16,6 %). Aujourd’hui, ce phénomène touche aussi les consoles, ce dont témoigne l’évolution de la stratégie d’un éditeur comme Lexis Numérique, fameux pour ses titres PC (In Memoriam) et DS (Léa Passion) et qui, après Red Johnson’s Chronicles, s’apprête à lancer avec Amy son deuxième gros jeu de console à télécharger. “La dématérialisation est une évolution inévitable, note son fondateur Eric Viennot. Ce n’est pas une inquiétude, Lexis prend cela comme une opportunité ! Les plates-formes comme le XBLA, le PSN, le Wiiware ou Steam permettent aux développeurs indépendants de tirer leur épingle du jeu en proposant des concepts qui n’auraient jamais pu voir le jour sur le marché traditionnel limité pas la taille des rayons. Ces plates-formes permettent un contact plus direct avec le public qui a la possibilité de tester des jeux moins chers, ce qui est important en période de crise économique.” Reste une difficulté : celle de “créer des jeux compétitifs avec des budgets cinquante fois moins élevés” que les grosses productions. “Il faut compenser cette différence de budget en imaginant des concepts originaux, inventifs, reprend Viennot. En étant malin.” Erwan Higuinen

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ballon d’essais Le rugby a la réputation d’être difficile à retranscrire sur console. Malgré quelques manques, Rugby World Cup réalise de très bonnes passes. our des raisons qui et une chance : le créneau tiennent un peu à étant nettement moins sa nature (en cause : encombré – même si la difficulté de la sortie du concurrent retranscrire le jeu collectif Jonah Lomu Rugby Challenge sans ballon) et beaucoup est imminente –, le jeu à sa popularité toute pourra compter sur relative à l’échelle du globe, un sentiment de fraîcheur le rugby occupe une place et sur l’indulgence très réduite dans l’histoire du joueur. Il en aura bien du sport sur consoles. besoin car Rugby World Pour le jeu officiel Cup 2011 est très limité. de la Coupe du monde Pour y passer du bon néo-zélandaise, c’est temps, mieux vaut oublier à la fois une limite – il ce que propose, dans n’existe pas, comme pour le registre voisin du football le foot virtuel, de système US, la série Madden NFL (le de conventions ludiques volet 2012 vient de paraître), établi sur lequel s’appuyer – autant en termes de variété

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des modes de jeu (ici, il n’y a que la Coupe du monde, sa préparation et des test-matches isolés) que de sophistication stratégique. Si l’intelligence artificielle laisse aussi à désirer – il est rageant d’encaisser un essai parce que la machine a mal positionné nos joueurs –, tout n’est pourtant pas à jeter dans ce jeu Rugby World Cup 2011 qui retranscrit correctement les variations de rythme et dont le jeu de passes se révèle bien conçu. Ainsi, c’est en frissonnant que l’on aplatit le ballon dans l’en-but adverse pour la toute première fois. Le plaisir est fugace, mais c’est déjà ça. E. H. Rugby World Cup 2011 sur PS3 et Xbox 360 (HB Studios/505 Games, environ 6 0 €)

Contre jour Sur iPhone, iPod Touch et iPad (Mokus/Chillingo, 0,79 € ou 2,39 €) Le gameplay de Contre jour pourrait sembler banal. Le joueur y est chargé de mener une petite créature jusqu’à la sortie de chaque niveau en agissant sur son environnement, en modifiant le relief du sol pour créer une pente, en l’attachant à une corde, en la propulsant grâce à une sorte de catapulte – Cut the Rope, Angry Birds, vous avez visiblement marqué les esprits. Mais, au-delà de son exécution sans faille, c’est l’ambiance de Contre jour qui fascine. Son noir, blanc et bleu vaporeux. Sa bande-son inhabituelle. Qui achèvent de nous plonger dans une étrange et belle mélancolie.

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bands de fanfarons Après s’être affrontées en Europe centrale, deux fanfares cinglées exportent le conflit en France. Attention, sur disque ou en tournée, la Balkan Brass Battle fait briller les cuivres.

 D Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

eux doigts sur la jugulaire, pour vérifier. Il est 9 heures du matin dans la pension Dracula de Capatineni, dernier village avant les monts Fagaras, et le réveil vient de sonner : une salve de notes de clarinettes et de tubas qui fait trembler les murs, comme un bombardement de cuivres. Qu’est-ce qui nous a amenés au pied du plus haut massif de Roumanie, au pays de Dracula (il a eu un château dans le coin, ça fait venir les touristes), au bout d’une route en nids-de-poule gros comme des dindons, bordée de chiens errants, où d’increvables Dacia Berlina (la cousine locale de la Renault 12) dépassent encore des carrioles tirées par des chevaux ? La guerre. Une bataille rangée, pour l’honneur et la musique, entre deux des meilleures fanfares des Balkans. D’un côté, le Boban & Marko Markovic Orkestar, arrivé de Serbie à 4 heures du matin après un périple de fou : onze heures de route pour parcourir 500 kilomètres. De l’autre, la Fanfare Ciocarlia, formée dans un village extrêmement isolé de Moldavie,

au bord de l’Ukraine. Eux sont arrivés la veille, après avoir fait 400 kilomètres en se perdant derrière la montagne à cause des cols fermés. Les deux groupes ont donc des kilomètres au compteur, ont sorti des albums et joué dans le monde entier, portés par la mode manouche lancée un peu plus tôt par les films de Kusturica ou le Taraf De Haïdouks. Mais souffler fort, vite et bien dans des trompettes n’empêche pas le vent de tourner. Alors que l’intérêt du public pour la musique balkanique (et pour la musique tout court) tend à s’émousser, le producteur Henry Ernst (jeune Allemand manager de la Fanfare Ciocarlia, qu’il a découverte au village en 1996) a eu l’idée de relancer la machine avec un projet scénarisé comme un western : Balkan Brass Battle, un défi sur disque et sur scène entre les deux prétendants au titre de meilleure fanfare du monde. “Bien sûr, c’est une façon de faire exister ces groupes. Un disque, ce n’est pas que des chansons enregistrées. On a besoin de projets, de broder des histoires autour des disques. Mais il n’y a pas que ça. L’idée est née en tournée

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Le Boban & Marko Markovic Orkestar

on connaît la chanson

flash-black session

Arne Reinhardt

Grâce à Bernard Lenoir, beaucoup ont été contaminés par le rock. Merci.

il y a quelques années : à chaque fois qu’on jouait quelque part, on voyait les affiches de Markovic, on nous disait qu’ils étaient très bons, mais on ne les croisait jamais. Il y avait une curiosité réciproque. Il était temps qu’on se rencontre pour mettre les choses au clair.” La rencontre a donc lieu dans la salle de restaurant de la pension Dracula, aménagée en studio. Henry a prévu un générateur électrique, en cas de coupure de courant. Les douze Roumains sont là, avec leurs bidons de vin et leur rakija dans des bouteilles plastique, tout fait maison. Les treize Serbes préféreront dévaliser le bar de la pension. Question de style. Globalement jeune et chaussé de baskets, le groupe de Boban Markovic ressemble à une équipe de rugby, épais pack à la virtuosité démonstrative. En souliers vernis, la Fanfare Ciocarlia n’est pas moins véloce, mais plus âgée, familiale, campagnarde, traditionnelle. Les deux groupes parlent la même langue – ce n’était pas gagné, il y a 26 dialectes chez les Tziganes des Balkans – mais les Markovic parlent plus fort, avec plus de mots. La prise de contact est amicale – et que je te montre mon tuba, et qu’on éclate de rire. Mais dès que la répète commence, la tension monte. Les groupes s’affrontent sur des morceaux communs (Caravan, l’hymne tsigane Devla, le thème de James Bond), avec une énergie hors du commun. Des escaliers de notes dévalés à clochepied. Des tubas éléphantesques et des

un projet scénarisé comme un western, un défi sur disque et sur scène

trompettes qui piaillent. Un mur du son en feu. Engagés dans un cor à cor brûlant, la Fanfare Ciocarlia sonne comme le groupe de ska le plus rapide du monde, et le Markovic Orchestra comme une fanfare militaire de jazz progressif. Au terme du premier round, l’avantage est aux Marko – c’est un Hummer contre un tracteur. Mais rien n’est joué : le Marko suréquipé tend à perdre le fil de ses constructions baroques, alors que la terrienne Cioca colle à la route et aux émotions. C’est un lièvre contre une tortue, peut-être. Nous quitterons le champ de bataille avant la fin, sans pouvoir présager du vainqueur, en laissant le dernier mot à Henry Ernst : “C’est le public qui décidera.” Et le moment du verdict à l’applaudimètre est arrivé : la tournée et l’album débarquent en France. Stéphane Deschamps album Balkan Brass Battle (Asphalt Tango/Abeille Musique) concerts les 14 et 15 octobre à Strasbourg, le 19 à Paris (Cabaret Sauvage), le 22 à Marseille. www.asphalt-tango.de

A une époque, il n’y avait pas internet, il n’y avait même pas de radios “libres”. Ça paraît dingue, mais il fallait parfois attendre des mois pour trouver un disque, patienter des semaines pour lire la presse anglaise, se contenter de rêver des groupes au lieu de les entendre live… Tout se méritait : la frustration de culture a fait de quelques-uns d’entre nous des missionnaires à vie. Mais déjà, dès la fin des années 70, un homme se battait à la radio, fédérait dans les lycées ceux qui avaient envie d’autres sons, d’autres sensations que les shows de Maritie et Gilbert Carpentier. Comme on découvrira un peu plus tard, en Angleterre, les émissions vitales de John Peel, on écoutait Bernard Lenoir sous les draps, avec l’impression qu’il y avait un homme de bon sens et de mauvais esprit sur les ondes, qui refusait de capituler, d’accepter la fatalité du néant. Il parlait, c’était bizarre, d’une voix grave et amusée de voile et de rock West Coast aussi bien que de punk-rock ou de new-wave naissante. Il diffusait des concerts – que l’on enregistrait religieusement sur cassettes –, invitait New York en direct, faisait gagner des albums à ses auditeurs fidèles – merci encore pour le premier Echo & The Bunnymen ! Dans la nuit, il était mon phare : il faisait alors très sombre en France. Lenoir vient de quitter l’antenne : pas par lassitude de la musique, juste par angoisse de ne plus pouvoir la défendre avec la dignité et le respect qu’il lui a toujours réservés. Alors bien sûr, il existe aujourd’hui des milliers d’autres façons d’être informé, relié au monde, de ne pas se sentir isolé, insulaire. Mais il ne faudra jamais oublier que Lenoir, infatigable passeur, a été un déclic fondamental, pour plusieurs générations. Caresses et bises à l’œil, belle vie en Euskadi.

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New Order à Paris On l’annonçait il y a quelques mois, c’est maintenant officiel : New Order remontera sur scène cet automne pour deux concerts caritatifs à Bruxelles et Paris les 17 et 18 octobre – concerts organisés pour aider leur vieux copain Michael Shamberg, producteur des clips de True Faith, Touched by the Hand of God et Regret. Séparé depuis 2006, le groupe verra le retour attendu de la claviériste Gillian Gilbert mais pas de Peter Hook, parti amer en 2007 et trop occupé à reprendre Joy Division sur les scènes de la terre entière. concerts le 17 octobre à Bruxelles et le 18 octobre à Paris (Bataclan)

Cette semaine

Alors qu’il a l’air de bien s’amuser au Congo, où il peaufine les titres de sa nouvelle création, DRC Music, aux côtés de musiciens locaux, Damon Albarn s’arrêtera

C’est auréolé de sa récente collaboration avec Björk et de son indéfectible turban que le Syrien electro-trad à moustaches, Omar Souleyman, revient faire tourner les mouchoirs pour deux dates en France. le 14 septembre à Paris (Point Ephémère) et le 16 à Lyon

Rama

Comme chaque année, le Fair (Fonds d’action et d’initiative rock) a livré la liste des groupes en développement qui bénéficieront de son soutien durant les mois à venir. Si l’on y retrouve des noms déjà bien connus de nos services (The Shoes ou La Femme et Concrete Knives que l’on verra au Festival Les Inrocks Black XS en novembre), on se réjouit d’y voir aussi de jeunes pousses prometteuses, souvent croisées sur l≤e site des Inrocks Lab : Sarah W. Papsun, John Grape, Manceau, Oh ! Tiger Mountain, Art District, Emel Mathlouthi, GiedRé, Hollysiz, Kidwithnoeyes, Lamarca, Lisa Portelli et Peau. www.lefair.org

Awesome Tapes from Africa, c’est l’inépuisable blog d’un Américain qui depuis cinq ans déniche et met en ligne des enregistrements rares de musique africaine. Bonne nouvelle : le blog devient label, et la première sortie (18 octobre) sera consacrée à la chanteuse malienne Nâ Hawa Doumbia. www.awesometapes.com

Damon Albarn : après le Congo, Marseille

Omar Souleyman de retour en France le Fair dévoile ses lauréats

d’étonnantes cassettes d’Afrique, et un label

neuf

Peter Murphy Kim Churchill

Prince Rama Incantations hallucinées, percussions païennes, boucles échappées de cauchemars alcoolisés : la musique de Prince Rama n’invite pas à la paix des sens. Découverte et signée par Avey Tare (Animal Collective) la troupe de Brooklyn crée un Bollyvoodoo captivant et dangereux. www.myspace.com/ princeramaofayodhya

cet automne à Marseille pour un unique concert français d’Another Honest Jon’s Chop Up, immense projet monté avec Tony Allen, Flea des Red Hot Chili Peppers, Fatoumata Diawara, l’Hypnotic Brass Ensemble et Theo Parrish, entre autres. Un joli cadeau pour clôturer la vingtième édition de l’excellent festival Fiesta des Suds, qui aura lieu du 14 au 30 octobre. le 30 octobre à Marseille (festival Fiesta des Suds), programmation intégrale à retrouver sur www.dock-des-suds.org

Il faut être bien égoïste pour se servir avec une telle férocité à la distribution des dons : beau gosse, musicien inouï, chanteur troublant et songwriter d’altitude, l’Australien Kim Churchill pourrait très vite rejoindre le club des cool dudes dont Ben Harper est président nonchalant. www.kimchurchill.com

X Bien avant The XX, il y eut X, groupe sorti amoché et glorieux de l’insurrection punk de Los Angeles. Un coffret de cinq albums (le fondamental Los Angeles, ainsi que Wild Gift, Under the Big Black Sun, More Fun in the New World et Ain’t Love Grand!) rend hommage à ce rock exaspéré et implosif, souvent cité en exemple par ses héritiers énervés. www.xtheband.com

A l’époque de Bauhaus, on ne voyait pas souvent le groupe ténébreux de Peter Murphy à Paris. Regard toujours intense, visage toujours émacié, le chanteur qui donna charisme et silhouette au rock gothique de la charnière 70’s-80’s revient pour un concert unique à la Flèche d’Or, le 20 octobre. Eviter de porter du fluo. www.petermurphy.info

vintage

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une vision de la fugue, avec cette urgence de ceux traqués par l’âge adulte

kids à bloc Félins et nonchalants, les jeunes Kid Bombardos règlent depuis Bordeaux le conflit entre rock US et pop anglaise.

A  

vant même la première note en 2009, avant que la première de ces guitares vintage se mette à vociférer avec éloquence et gouaille, on savait. On était certains que les Kid Bombardos n’étaient pas venus dans le rock en touristes, en badauds, en frimeurs bientôt ailleurs. Ils possédaient cette grâce, cette félinité, cette morgue (ou plutôt : elle les possédait) que ne peuvent décemment porter, comme les cuirs usés et les lunettes de soleil la nuit, que ceux qui savent, méritent : nés dedans, sans poses, sans plan B, sans ticket de retour. Au départ, il y avait bien entendu plus d’attitude

que d’aptitude : mais ils tenaient déjà une chanson sur laquelle tout pouvait se construire, I Round the Bend. Les Kid Bombardos étaient un fantasme, une œuvre romanesque, le best-of d’un livre d’images du rock : des gueules à être shootées par Mick Rock, croquées par Guy Peellaert. D’ailleurs, le groupe a débuté dans un livre : celui de leur oncle, qui les mettaient en scène, musiciens en vrac, en rage et en chasse, avant même qu’ils ne jouent. Qu’on ne s’étonne donc pas, à côté de tentations bien de leur âge (des Strokes pour la voix et de The Coral pour la nonchalance branleuse), de retrouver dans ce rock des références beaucoup trop vieilles pour eux.

Des pochettes MILF, en somme, de vieux vinyles familiaux, dans lesquels on pense reconnaître Velvet, Gun Club ou Modern Lovers. Car ce premier album se moque bien des guéguerres antiques entre pop anglaise et rock américain : il joue de la pop avec ce détachement hautain des New-Yorkais, du rock avec cette vieille classe mélodique des gouapes de Manchester ou de Glasgow. Chez Kid Bombardos, le blues peut ainsi devenir un argot de Liverpool, le rockabilly une invention de Camden – ou le skiffle un patois de Nashville, les vols (qualifiés) transatlantiques opérant ici dans les deux sens. Etranges chansons, à la fois crâneuses et humbles, souillons et précieuses,

à l’exemple d’un Sundays susurré tout en roublardise dans un seul but : faire danser les filles. La voix de crooner malin de Vincent Martinelli est ce que Dutronc appelait un piège à filles : on la soupçonne de postillonner des phéromones phénoménales. Elle se traîne, aguiche, se languit dans les voyelles longues en bouche, caresse quand autour, le groupe tabasse, nerveux, sec, précis. Une telle connivence, comme autrefois chez les Kings Of Leon ou les Kinks (deux influences possibles, dont on ne souhaite pas le destin sinistre aux Bordelais), ne peut être qu’histoire de famille : ici trois frangins dandys salopés plus un copain devenu Martinelli comme eux, sans espoir de sortie. Hymne à l’adolescence gâchée ensemble, à rêver ensemble de mythes et de vinyles, à ressasser ensemble les histoires et prédire l’avenir sur les routes, Kid Bombardos incarne une très belle et romantique vision de la fugue. Et quitte à fuire en avant, autant le faire en courant, avec cette urgence de ceux traqués par l’âge adulte, mais aussi la désinvolture des tireurs de sonnettes. Une de leurs chansons s’appelle Running for Time et c’est tout cet album, bluffant, qui cavale contre la montre. JD Beauvallet photo Vincent Ferrané album Turnin’ Wrong (Sober & Gentle/Sony Music) www.myspace.com/ kidbombardos 14.09.2011 les inrockuptibles 95

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Fred Thomas

un saut à l’élastique dans l’espace-temps du groove roots

rubber soul Signé Anthony Joseph, un trésor de soul-music qui mélange les époques et les genres en un gumbo épicé et bienfaiteur.

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ire que c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes tient du cliché lyophilisé. Mais Anthony Joseph lui-même nous a tendu la grande cuillère en bois. Dans sa grosse marmite musicale de sorcier caribéen, posée sur un feu de bois, bouillonnent et tourbillonnent les âmes légendaires de James Brown, Fela, Sun Ra, Sly Stone, Jimi Hendrix, Dr. John, Lee Perry, Marvin Gaye, George Clinton, Gil Scott-Heron et Phil

Cochran, saupoudrées d’herbes magiques africaines. Et la sauce a pris. Rubber Orchestras, son troisième album, est un incroyable trip, un saut à l’élastique dans l’espacetemps du groove roots. Un disque qui commence très haut et va très loin, écrasant la concurrence et annulant d’emblée l’ouverture du procès en passéisme. La néo-soul et le post-afrobeat, on aime. Mais on en a soupé, on finit toujours par lui trouver un petit goût de réchauffé. La musique d’Anthony Joseph est un fantasme

– comme le titre de son premier roman, sorti en Angleterre en 2006, The African Origin of UFOs. Mais elle est surtout réelle, essentielle, enflammée, viscérale – et pimentée par la production perlimpinpin de Malcolm Catto, des Heliocentrics. “Personne ne m’a dit quoi jouer. C’est la musique que j’aime, que je rêve d’entendre. Il faut être soi-même”, déclare le très beau, très élégant et très musclé chanteur – qui ressemble un peu à un croisement entre Isaac Hayes, Aaron Neville et Smokey Robinson. Dans le genre vintage, Anthony Joseph a d’autres ambitions : “J’aimerais pouvoir retourner à Trinidad avant l’arrivée de Christophe Colomb, avant l’esclavage, pour sentir l’énergie de la terre, l’esprit originel.” Anthony Joseph est né à Trinidad en 1966, élevé à la campagne par ses grandsparents. Il s’est installé à Londres en 1989, rêvant de devenir rock-star. Après quelques années de rock sans devenir une star, Anthony Joseph lâchait la musique pour se consacrer à sa sœur siamoise, la poésie. “J’ai commencé à écrire des poèmes vers l’âge de 10 ans, comme des paroles de chansons. Ma poésie est née du désir d’écrire de la musique parlée.” Plus successful en poésie qu’en musique, Anthony Joseph devient en Angleterre un auteur reconnu. “Je faisais des lectures, et j’ai commencé à inviter des musiciens pour m’accompagner. Petit à petit, c’est devenu un groupe, j’ai compris que je refaisais de la musique. Et ça me manquait : à part le sexe et certains trips au LSD,

il n’y a rien de mieux que d’être sur scène avec des musiciens qui donnent tout et le public qui hurle.” Son album précédent, déjà mémorable, s’appelait Bird Head Son en hommage à son père, prêcheur baptiste, que les habitants de Trinidad avaient surnommé “Tête d’oiseau”. Avec Rubber Orchestras, Anthony Joseph s’affranchit de la génétique et se choisit un autre père, spirituel. “Orchestres de caoutchouc” : les deux mots sont empruntés à un poème de l’artiste noir américain Ted Joans (1928-2003), poète de la beat generation, musicien, plasticien affilié au surréalisme et grand voyageur. Adepte de la poésie orale, Ted Joans est considéré comme un des précurseurs du slam. A partir des mots “rubber orchestras”, Anthony Joseph a commencé par écrire des poèmes (“Je voulais des poèmes qui bougent sur la page”). Puis les poèmes se sont transformés en un disque si solide et élastique que dans sa quête des origines, Anthony Joseph a fini par atteindre la stratosphère. Stéphane Deschamps album Rubber Orchestras (Heavenly Sweetness/Naïve) concerts le 15 septembre à Paris (New Morning), le 30 à Marseille (festival Marsatac), le 21 octobre à Tourcoing, le 26 novembre à Montpellier. www.anthonyjoseph.co.uk

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Jan Rasmus Voss

Ganglians Still Living Souterrain Transmissions/Pias Branleurs doués, les Américains plongent la pop dans la folie et le désordre. ffreux, bêtes mais sans la politesse. Il règne sur le branque doute pas méchants, et branlant Still Living la drôle on avait laissé Ganglians d’impression de rencontre entre sur Monster Head Room, ordre et folie : les tubes pop sont sorti en 2009 et toujours très sciemment salopés, il y a du poison écouté depuis. Un disque cinoque, dans les friandises, des menaces un monstre gentil, mal peigné et dans les arpèges, des clous rouillés sans doute un peu drogué, brillant dans les coussins harmoniques, et slacker, où les quatre branleurs les joliesses formelles ne servent de Sacramento télescopaient les qu’à camoufler, à peine, le chaos Beach Boys et un psychédélisme génial des idées. Thomas Burgel violent, des coups de soleil et des coups de grisou. Bonne nouvelle : www.myspace.com/ganglian les garçons n’ont depuis appris En écoute sur lesinrocks.com ni la propreté, ni la logique, ni avec

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The Raincoats Odyshape Distiller/Modulor Pour ses 30 ans, réédition d’un trésor toujours influent de l’after-punk. Chef-d’œuvre, dès pour ainsi réduire le rock et une simplicité sa naissance en 1981, à quelques crissements identiques. Ça doit être d’une forme de rock de violon, quelques soupirs si dur à conserver, cette primitif, fauché, Odyshape de piano et des incantations remarquable incompétence. JD Beauvallet reçoit l’hommage d’une en dehors de tout. belle réédition, adoubée De Warpaint à Hole, cette www.theraincoats.net d’un texte touchant musique sans attaches d’une disciple toujours nettes (du reggae au folk émue : Kim Gordon en passant par le freede Sonic Youth. “Des gens rock) a eu beau chuchoter, ordinaires jouant une murmurer, elle a été musique extraordinaire”, reçue, génération après dit-elle et ce pourrait être génération, comme un cri : l’inverse, tant il fallait appel à l’insoumission. alors un toupet, une vision, Les Raincoats tournent ou de l’inconscience, toujours, avec une naïveté 98 les inrockuptibles 14.09.2011

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TV Guests Franklin 101 Izica/MVS

The Chase The Chase Pias Venue du sud de la France, de l’electro-pop à l’essence de Marsupilami. ssu de la folle imagination ou I Like U, deux des tubes certifiés du multi-instrumentaliste d’un groupe peu économe Cyril Douay et du producteur en sucreries. Souvent nostalgique Mark Plati (Bowie, les Cure, (Cyril Douay voue un culte à la Rita Mitsouko), The Chase ne cache débauche eighties de Manchester), pas son ambition de synthétiser, délicieusement légère, futuriste en une douzaine de titres, toutes ou composée les doigts les obsessions musicales de son dans la prise, l’electro-pop aussi créateur et de ses compagnons singulière qu’infatigable de de route, dont l’espiègle et sexy ces Montpelliérains prend ainsi Sophie au chant. Elle fait merveille, des allures de course folle toute en perversité retenue, et enfantine vers l’océan un jour à la fois aguicheuse et distante, de fin d’été. Ondine Benetier sur des bombinettes élastiques www.myspace.com/thechaseofficiel comme Butterfly (In My Stomach)

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The Golden Age of Apocalypse Brainfeeder/Pias

The Wild Swans The Coldest Winter for a Hundred Years Occultation

JDB www.thewildswans.co.uk

Théo Jemison

thundercattheamazing.tumblr.com

www.tvgueststheband.com

Le retour des héros d’une pop 80’s hautaine et influente. Pour les esthètes de la pure pop, les accros de l’arpège en cristal, du refrain en miel de libellule, les Wild Swans de Liverpool représentent, depuis leur phénoménal single The Revolutionary Spirit (1982), le prototype même du groupe flamboyant et maudit, pillé par tous et connu de personne. Presque trente ans plus tard, reformé une fois de plus (avec deux Bunnymen à bord), le groupe du dandy Paul Simpson revient avec le même romantisme adolescent, la même élégance légère, le même lyrisme grognon : on connaissait le portrait, on admire désormais la voix de Dorian Gray.

Thundercat Un bassiste virtuose californien passe du punk au jazz cosmique. Stephen Bruner, l’âme et fine lame de Thundercat, a résolument plusieurs cordes à sa basse : il lui offre des bonds de zébulon avec ses punk-skaters de Suicidal Tendencies, des slaps joufflus et pervers derrière Snoop Dogg ou, ici, un jazz cosmique et illuminé par la production de Flying Lotus. Tout ceci ne pourrait être que pure crânerie athlétique si ce premier album mutant ne possédait pas la fragilité et la grâce qui font de ces Return to the Journey ou For Love I Come (reprise du héros George Duke) des allers simples vers une outre-musique. S. T.

Des Parisiens épris de pop visitent leur Mecque : la Californie. Déni de réalité : les TV Guests sont physiquement de Paris, mais ils vivent depuis si longtemps dans les refrains bariolés de quelques orfèvres pop dérangés que la Californie est leur home sweet home. On ne sait pas si, comme Kubrick pourtant installé en Europe, ils vivent à l’heure californienne au quotidien, dans une bulle spatio-temporelle où il y aurait plus de Mustang que de Peugeot, de KROQ que de RTL, de Denny’s Diner que de Pomme de Pain… Une seule certitude : la vie est plus douce et supportable dans un “lalala” de la sunshine-pop. Cette fuite en avant les a menés à Los Angeles, dans le studio du grand Jason Falkner (Beck, Jellyfish), homme idéal pour l’épanouissement de ce psychédélisme, lui qui arpenta notamment l’arc-en-ciel au sein de The Three O’Clock. Et ensemble, de Do I Still Love? à Pop Seeds, ils jouent à saute-mouton sur les nuages roses, en une pop fertile en zigzags zinzins et zozos. Simon Triquet

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various artists Invasion of the Mysteron Killer Sounds Soul Jazz/Discograph

Brillant exposé, en musique, sur le chemin parcouru par le dub. Compilateur infatigable du reggae le plus turbulent et chercheur, Kevin Martin s’allie au label londonien Soul Jazz pour traquer le dub dans ses voyages hors-Jamaïque. Il est même allé très loin : on le retrouve, déformé et détourné, aussi bien dans le sombre et minimal grime anglais que dans l’electro spasmodique de Diplo (le génial Diplo Rhythm). Priorité aux rythmiques, réduites voire cadavériques, sur ce luxueux double album qui rappelle que des studios expérimentaux de Kingston aux laboratoires glaciaux de l’electronica de Londres ou Berlin, le chemin est très court, même si sinueux. JDB www.souljazzrecords.co.uk

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Unison Unison Lentonia Records/Module

Lent, romantique et déréglé, le rock atmosphérique de Français doués. ’est un rock qui a poussé sur un champ de ruines : ce qu’il restera quand tout aura fondu. De My Bloody Valentine à Salem, on y entend des restes calcinés d’electro, de shoegazing, de post-punk, de pop défoncée à l’éther. Dans toute sa grandeur amochée, sa mélancolie collante aussi, la musique des Français d’Unison a bien entendu ce chant du cygne – noir. En position fœtale, homme contre femme, machines contre âme sensible, elle attend patiemment le chaos, chantonnant dans le noir des berceuses lacérées, jouant avec la peur

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et les nerfs. Et ce chant est poignant, lové contre une électronique hébétée, romantique, dont la noblesse est de rester harmonique même dans les hauts quartiers de peine – peut-être le nom du groupe vient-il de cette belle et triste chanson des Canadiens Great Lake Swimmers, Unison Falling into Harmony. Abandonnée en fin d’album, une ballade ankylosée, anéantie et pourtant radieuse réclame : Put Your Hands in the Air. Avec l’ultime énergie, on vote oui, à deux mains. JD Beauvallet www.weareunison.com

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Alice Dison

Piers Faccini My Wilderness Tôt ou Tard Avec un album enregistré à la maison, Piers Faccini confirme son statut de musicien en or. epuis 2004 et la sortie Prattico) à participer à l’entreprise de Leave No Trace, son – voire l’entreprose d’ailleurs. premier album, Piers Car Piers Faccini, que sa bio Faccini s’est plu à afficher décrit comme un “putain de poète”, différentes facettes de sa en est bel et bien un. Un musicien personnalité. On l’a connu tout rare car capable de faire rimer aussi bien seul sur scène précision et émotion, virtuosité et qu’entouré de gros noms, comme sapidité, quand la plupart se vautrent Ben Harper, sur disque. On l’a vu dans l’exercice de style ou négligent nicher ses joyaux sonores dans le flacon. Ainsi de My Wilderness, l’écrin fastueux des studios de qu’il faut pourtant prendre le Renaud Letang, le temps de ce qui temps d’apprivoiser, tant il semble, fut son album le plus pop, Two de prime abord, moins riche Grains of Sand. On l’a entendu en véritables chansons que son chanter en anglais ou revisiter des prédécesseur. Plus épuré et moins chansons napolitaines. On l’a poli, le disque séduit sur la longueur, religieusement écouté lors de par son côté brut et polychrome, concerts qui ressemblaient à des mariant musiques africaines parenthèses enchantées. (Tribe) et folk terrestre (No Reply, Sur My Wilderness, son partagé avec le violoncelliste quatrième album, Piers Faccini a Vincent Ségal), cuivres d’ailleurs tout joué et enregistré dans la et formats plus classiques. maison qu’il occupe dans les Convié sur The Beggar & the Thief, Cévennes depuis quelques années, le trompettiste Ibrahim Maalouf invitant ses amis musiciens avec fait des merveilles. des noms en O (Jules Bikoko, Surtout, Piers Faccini continue Rodrigo d’Erasmo et Simone d’y chanter comme si les dieux lui étaient tombés sur la tête. On a souvent fait la comparaison avec Nick Drake, mais c’est parce que c’est vrai : si le River Man était vivant en 2011, c’est lui qui aurait chanté Say But Don’t Say ou le bouleversant Strange Is the Man.

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Johanna Seban www.piersfaccini.com 15.09.2010 les inrockuptibles 103

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Tarwater Inside the Ships

Dog Highrez

Bureau B/La Baleine

John Martyn Heaven and Earth various artists Johnny Boy Would Love This… A Tribute to John Martyn Hole In The Rain Music/V2 Benelux

Un album posthume et un tribute : retour en force du grand John Martyn. mporté en 2009 par une pneumonie et une notoire intempérance, l’Anglais délivre un album posthume et joyeux, où rayonne le grommellement le plus vigoureux de ce côté-ci de la soul aux yeux bleus. L’ancien compagnon de Nick Drake soulève toutes les chansons (un funk-rock pesant et immobile) de sa voix de grenouille en bordure de marécage, et c’est un Phil Collins, éternel ami bien plus grand ici qu’ailleurs, qui offre, avec Can’t Turn Back the Years, le sommet nostalgique et impressionniste de l’album. Un Collins figurant aussi, naturellement, sur le pléthorique (trente artistes) album-hommage à l’homme du Surrey : un casting en grand écart (de Robert Smith, merveilleux interprète de Small Hours, à Joe Bonamassa, en passant par un Beck, attaché avant tout à faire du Beck), qui confirme l’ouverture absolue de la musique de John Martyn. Trois générations d’artistes pour la célébration de trente années de notre mémoire commune. Christian Larrède

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Retour de l’electro-pop alanguie et hypnotique du duo de poètes allemands. En onze albums, les Allemands de Tarwater ont inventé une electropop livide, impassible, murmurée d’une voix horizontale, immatérielle. Elle pourrait sembler glaciale, hostile, elle incarne juste, poussée aux limites de la nature morte, le spleen baudelairien. On n’est donc pas surpris d’entendre ici le duo adapter Baudelaire sur une fin en pente douce ; on est par contre plus étonné de le voir abandonner son songwriting si particulier, à l’aquarelle, pour investir les chansons hermétiques de deux autres duos (Lennon & Yoko Ono ou leurs compatriotes D.A.F). Mais la banquise paisible de Tarwater colonise et aplanit ces terres escarpées, avec ce mélange de flegme et de rigueur qui fait la grandeur discrète de leur outre-pop. JD Beauvallet www.tarwater.de

/ www.johnmartyn.com sortie le 26 septembre 15.09.2010 les inrockuptibles 105

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Mista Savona Warn the Nation SoulBeats/Socadisc

L’album torride et riche d’un producteur venu… du reggae australien. on nom sent le propre et le passé simple. Mais tout n’est pas si simple, ni propre. Mista Savona est un producteur de reggae australien qui ne manque pas d’idées, toujours noires. Entre reggae roots, dancehall, hip-hop et sons du monde, ses instrumentaux psychédéliques avancent et (Wu) tanguent comme des coulées de lave, sombres, brûlants et menaçants. Ivresse toxique, ambiance duel au soleil sur un goudron collant. Mista Savona avait enregistré son album précédent en Jamaïque avec quelques gloires locales. Pour Warn the Nation, première sortie internationale, il a fait fructifier son carnet d’adresses, et affiche un impressionnant casting : Sizzla, Capleton, Anthony B, Burro Banton, Horace Andy, Alton Ellis (enregistré peu avant sa mort) et quelques autres, tous pris au piège d’un disque terriblement soulful qui, en dépit de sa thématique écolo-humaniste, contribue gravement au réchauffement de la planète. Stéphane Deschamps

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www.myspace.com/mistasavona En écoute sur lesinrocks.com avec

IamOmni IamOmni NH Records/RVCA Pas venu pour rire, du rap californien produit par Tricky. Le premier titre de l’album du rappeur californien s’appelle “Chasseur de diamant” et il n’a qu’à se baisser pour les ramasser, dans les sables mouvants/ émouvants, noirs et toxiques, de ce magma produit par un Tricky idéal en metteur en son azimuté. En latin, le préfixe “omni” renvoie à la notion de “tout” : c’est ici un faux ami, tant Tricky a recentré le son sur une idée fixe, obsessionnelle, creusée sans répit, jusqu’aux abysses. Un son méandreux, filandreux, déchiqueté, à peine humanisé par une femme qui murmure (une constante dans les meilleurs productions de Tricky), sert ainsi de hamac en barbelés pour les raps anxieux, anguleux mais captivants de cette voix venue de la terre, un jour où elle a tremblé de peur. L’album, qui n’a pas vu un rayon de soleil de l’été, est offert en téléchargement gratuit sur le site d’Omni. C’est aux risques et périls de la joie. Benjamin Montour www.iamomni.com

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The Dead Trees Whatwave Affairs of the Heart/La Baleine

Hyetal Broadcast Black Acre, en import Entre dubstep et BO de Carpenter, un choc thermique venu de Bristol. Originaire de Southampton mais localisé torsadées du dubstep, ou pilonnés par depuis cinq ans sur la turbulente scène des beats contondants, donne forcément dubstep de Bristol, David Corney – alias un caractère à la fois familier et mutant Hyetal – prolonge seul et en grand format aux dix morceaux sans temps mort les travaux souvent collectifs (avec de Broadcast. Beach Scene démarre Baobinga ou Peverelist) entamés depuis comme du Cure période Pornography quelques saisons en maxi. Moins orienté pour s’abîmer sur un rivage semblable dance-floor que son autre projet, Velour, à celui d’Alerte à Malibu, mais après une Hyetal est un réceptacle assez fascinant attaque de requins. Le final grandiose d’influences disparates, allant de la de Black Black Black, avec la voix d’une cold-wave aux soundtracks synthétiques sirène inconnue nommée Alison Garner, et anxiogènes des années 80 dont renoue quant à lui avec les plus belles John Carpenter a déposé le brevet, du funk heures gothiques de Massive Attack ascétique de Prince aux paysages boréaux période Protection. Christophe Conte de Boards Of Canada. Tout ceci digéré www.myspace.com/hyetalmusic à travers les boyaux en forme de basses

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Adoubés par les Strokes, quatre Américains font de la pop antidépressive. Impossible de se tromper sur la filiation : The Dead Trees ont beau venir de Boston, c’est dans le sillage de Julian Casablancas et sa bande qu’ils ont grandi. Héritée des Strokes donc, saluée par Albert Hammond, Jr., leur pop ne sent pourtant pas le réchauffé, mais plutôt les délicieux 25 ° C annuels de Los Angeles où ils se sont exilés : aux rues étriquées et au brouillard newyorkais, Whatwave préfère les grands espaces et le soleil brûlant. Et fait office de parfait psychotrope pour éviter la dépression automnale. Ondine Benetier www.myspace.com/ thedeadtrees En écoute sur lesinrocks.com avec

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Clayton Hauck

The Cool Kids When Fish Ride Bicycles Green Label Sound Grands espoirs du rap américain, les Cool Kids ont failli se perdre : ils nous font aujourd’hui perdre la tête. e premier album gelés, pimentent la fête Sale (2008), inventé un des Cool Kids a failli robotique. Mélange dosé corps de mélodies racées ne jamais voir le de rap underground et de et affirmé un feeling neuf jour. Depuis la sortie névroses vintage étudiées qui enrichit leur identité. du single Black Mags en autodidacte sur YouTube, Armé d’un minimalisme (2007), le crew s’est paumé When Fish Ride Bicycles un peu cradingue, le duo en annonces, annulations semble un carrefour revisite son funk digital et changements de label intergénérationnel, un sur le fil de structures jusqu’à laisser penser disque d’aujourd’hui bercé évolutives, travaillant des que tout était fini. Il n’en de nostalgie, fruit de constructions en kit était rien, et le méchant l’ambition étrange de deux bourrées de ruptures, attirail rapologique que gamins dégoûtés d’être de breaks inopinés qui trimballe aujourd’hui le nés trop tard, de ne pas forcent un groove assoupli. duo de Chicago légitime avoir eu leur Marley Marl Repeint de samples ces chemins de traverse. ou leur Bambaataa, robotiques et de synthés Les collaborations et qui réinventent ce passé froids, When Fish Ride souterraines et les contacts Bicycles se faufile ainsi fantomatique sans liés avec Kanye West, pouvoir passer à travers entre un rap digital Curren$y, Drake ou le singe millésimé 80 et un funk le modernisme dans Yelawolf ont en effet lequel ils ont grandi. dance-floor aux émotions Thomas Blondeau forcé la présence sur ce glacées, idéal pour breaker disque de Bun B, Mayer en doudoune dans www.coolxkids.com Hawthorne, Ghostface les rues de Windy City. Killah ou Pharrell Williams, En dépit des flows donnant à Chuck Inglish monocordes, le choix et Sir Michael Rocks pertinent des invités la hauteur nécessaire vivifie la fête : les rimes pour dépasser le public de cinglées de Ghostface, twitto-nerds qui les suivait le gangstérisme jusque-là. Mieux, les pittoresque de Bun B gamins ont dépassé entre et les codas de Mayer temps les breaks un peu Hawthorne, qui traîne ses cheap de leur ep The Bake soleils soul sur les lacs

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Mark Ronson & The Business Intl Record Collection 2012 Kitsuné/Topplers Remixé par des DJ aux doigts de fée, le producteur stakhanoviste reprend le chemin des clubs. n l’a vu cette année aux et les deux rappeurs anglais Wiley manettes du sixième album et Wretch 32 en featuring, l’original des foutraques Black Lips, de Ronson fonctionne habilement puis pleurer sa protégée mais s’avère plutôt faible aux côtés Amy Winehouse qu’il avait amenée du remix cheesy et pourtant au sommet avec Back to Black. imparable des Brésiliennes de CSS Si le Britannique ne s’était pas et de ceux, totalement grisants, remis à la production de ses de Perseus et Plastic Plates. Ondine Benetier propres titres depuis plus d’un an, c’est grâce à Record Collection 2012 qu’il s’apprête à squatter de www.markronson.co.uk nouveau les dance-floors. En écoute sur lesinrocks.com avec Avec MNDR, Pharrell Williams

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Justice Audio Video Disco Après Civilization et en attendant la sortie de l’album fin octobre, le prochain single du duo vient de filtrer sur le net et donne déjà lieu à pléthore de débats : Justice triomphera, triomphera pas ? www.somekindofawesome.com

Little Roy Come As You Are (Nirvana Cover) Alors que l’on s’apprête à fêter les vingt ans de Nevermind, le vétéran jamaïcain Little Roy y va de son hommage enfumé : tout un album de reprises de Nirvana en reggae. www.battleforseattle.com

Wu Lyf Go Tell Fire to the Mountain Terminé une nuit d’insomnie par Ellery Roberts, le morceau qui devait conclure l’album des Mancuniens fait surface sur leur site. Dépouillé mais puissant, il confirme ce que l’on savait : l’année 2011 sera Wu Lyf ou ne sera pas. www.worldunite.org

Robi Oh chéri chéri Robi ne chante pas les papillons et les petits cœurs. Son écriture noire renvoie davantage à un Dominique A, au féminin, pour une musique dense, sombre, résolument sauvage. www.lesinrockslab.com/robi 14.09.2011 les inrockuptibles 111

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dès cette semaine

4 Guys From The Future 16/11 Paris, Point Ephémère Amadou & Mariam 14 & 15/01/12 Paris, Cité de la Musique Angil 24/9 SaintEtienne, 29/9 ClermontFerrand, 30/9 Tours, 1/10 Rivede-Gier, 2/10 Angers, 3/10 Orléans, 4/10 Paris, International, 5/10 Besançon, 6/10 Lille, 8/10 Chérisay, 9/10 Dijon, 25/11 Lyon Dick Annegarn 16/9 La Courneuve, 29/9 Lattes, 1/10 Bruxelles, 8/10 Nancy, 9/10 Montbéliard, 18/10 Nantes, 19/10 Vilaine, 4/11 SaintMarcel, 5/11 Aubergenville, 11/11 Amiens, 17/11 Avermes, 18/11 Auxerre, 25/11 La Tronche, 6/12 Cavaillon, The Antlers 21/11 Paris, Nouveau Casino Aphex Twin 28/10 Paris, Grande Halle de la Villette Apparat 8/10 Caen, 9/10 Tourcoing, 10/10 Cenon, 11/10 Angers, 12/10 Paris, Gaîté Lyrique Architecture In Helsinki 20/10 Lille, 22/10 Caen, 25/10 Montpellier Art Brut 27/9 Paris, Maroquinerie Arthur H 27/10 Paris, 104, 8/11 Rennes, 9/11 Caen, 10/11 Brest, 16/11 Lyon, 17/11 Limoges, 19/11 Genève, 23/11 Nantes, 24/11 Bordeaux, 2/12 Strasbourg, 9/12 Villejuif, 15/12 Agen Asian Dub Foundation 9/10 Caen, 20/10 Limoges, 21/10 Cahors, 22/10 Toulouse, 25/10 La Rochelle,

nouvelles locations

en location

Festival Electro Alternativ du 16 au 24/9 Toulouse, avec Ellen Allien, Jackson, Beataucue...

Festival Les Inrocks BlackXS – du 2 au 8/11 à Paris, Nantes, Lyon, Lille, Caen, Marseille et Toulouse avec Anna Calvi (photo), Friendly Fires, Dum Dum Girls, Florent Marchet, Alex Winston, Yuck, James Blake, Miles Kane, Timber Timbre, Saul Williams, EMA, Agnes Obel, La Femme, Cults, Morning Parade, Wu Lyf, Foster The People, etc. 28/10 Besançon, 29/10 Meisenthal, 10/11 Beauvais, 11/11 Cognac Band Of Skulls 18/10 Paris, Maroquinerie Battant 28/9 Limoges, 29/9 La Rochesur-Yon, 1/10 Bordeaux, 13/10 Paris, Gaité Lyrique Baxter Dury 23/9 Paris, Point Ephémère, 29/9 Bordeaux, 6/10 Reims, 10/12 Paris, Maroquinerie Blood Orange 12/11 Paris, Nouveau Casino Bonaparte 4/11 Paris, Point Ephémère Bonnie Prince Billy 3/11 Paris, Trianon Brigitte 31/10 Paris, Olympia John Cale 17/10 Paris, Maroquinerie Bill Callahan 26/10 Paris, Gaîté Lyrique Cascadeur 7/10 Paris, Cigale Chokebore 21/10 Dijon, 22/10 Besançon, 23/10 Fumel, 24/10 Montpellier, 25/10 Marseille, 26/10 Lyon, 27/10 Perigueux, 28/10 Vendôme, 29/10 Brest, 31/10 Paris, Machine, 1/11 Caen, 3/11 Amiens, 4/11 Tourcoing,

5/11 Bruxelles, 7/11 Allones, 8/11 Angoulême, 9/11 Poitiers, 11/11 Metz, 12/11 Le Locle, 13/11 Lausanne Concrete Knives 21/10 ClermontFerrand, 11/11 Villefranchesur-Saône, 25/11 Brest Culture Pub On Tour Du 22/10 au 9/12 à Rennes, Toulouse, Lyon etc avec Poni Hoax, Tahiti 80, Housse De Racket, etc. Cut Copy 28/10 Paris, Grande Halle de la Villette Death In Vegas 1/10 Marseille, 2/10 ClermontFerrand, 3/10 Lyon, 4/10 Caen, 31/10 Lille, 1/11 Paris, 3/11 Toulouse, 4/11 Montpellier, 5/11 Angoulême Dels 27/10 Paris, Nouveau Casino Deus 14/10 Le Havre, 19/10 Strasbourg, 20/10 Dijon, 21/10 Lyon, 22/10 ClermontFerrand, 24/10 Paris, Trianon, 25/10 Caen, 27/10 Bordeaux, 28/10 Vendôme, 29/10 Reims, 30/10 Lille Digitalism 16/9 Paris, Machine Doctor Flake 12/10 Paris, Boule Noire

Julien Doré 27/10 Nancy Dum Dum Girls 5/11 Lyon, 7/11 Paris, Olympia, 8/11 Nantes, 9/11 Roubaix Dutch Uncles 28/10 Paris, Flèche d’Or EMA 7/11 Paris, Olympia The Excitements 30/9 Paris, Maroquinerie Piers Faccini 25/10 Paris, Café de la Danse Fatcat Records Tour 16/9 Paris, Flèche d’Or, avec We Were Promised Jetpacks, The Twilight Sad et Mazes Feist 20/10 Paris, Olympia Thomas Fersen 5/3/12 Paris, Olympia Festival BBmix du 21 au 23/10 à BoulogneBillancourt, avec Silver Apples, The Monochrome Set, Etienne Jaumet & Richard Pinhas, Arch Woodman, Zombi, The Luyas, etc. Festival des Cultures d’Islam du 7 au 17/9 à Paris, Institut des cultures d’Islam, avec The Kominas, Hassan Hakmoun, Hasan Salaam, etc.

Festival Elektricity du 4 au 8/10 à Reims avec Yuksek, Emmanuelle Parrenin, Metronomy, Herman Dune, Baxter Dury, etc. Festival Les Rockomotives Du 22 au 31/10 à Vendôme avec John Cale, The Dø, Yann Tiersen, Diabologum, dEUS, Chokebore, Mondkopf, Pneu etc. Festival Mama Event Les 21 & 22/10 à Paris, avec Bewitched Hands, Gush, Mr Nô, Rodeo Massacre etc. Festival Marsatac Rendez-vous incontournable de l’automne, le festival marseillais rafle le prix de la meilleure programmation de la rentrée. Immanquable donc. Du 29/9 au 1er/10 à Marseille, avec Theophilus London, The Dø, Friendly Fires, The Shoes, Stupeflip, Brodinski, Cascadeur, Oh!Tiger Mountain, Yuksek, Housse De Racket, etc. Festival Scopitone du 12 au 16/10 à Nantes, avec Agoria, Discodeine, Etienne de Crécy, Mondkopf, Housse De Racket, The Shoes, Sebastian, Yuksek, Is Tropical, Danger, etc. Flotation Toy Warning 1/10 Bruxelles, 22/10 Evreux, 23/10 Paris, Café de la Danse, 24/10 Bordeaux,

26/10 Toulouse, 27/10 Montpellier, 28/10 Hyères, 29/10 St-Gallen Brigitte Fontaine 17/9 Marseille Fool’s Good 5/11 Paris, Trianon Foster The People 4/11 Lille, 5/11 Paris, Cigale, 6/11 Nantes, 8/11 Toulouse Lulu Gainsbourg 2/11 ClermontFerrand, 8/11 Paris, Casino de Paris, 10/11 Bruxelles, 12/11 Saint-Lô Ganglians 1/10 Paris, Point Ephémère General Elektriks 19/10 La Rochelle, 20/10 Massy, 21/10 Bordeaux, 22/10 Limoges, 28/10 Aulnaysous-Bois, 3/11 Bruxelles, 4/11 Sannois, 6/11 Lille, 8/11 Fontaine, 9/11 Lyon, 10/11 Six-Fours, 11/11 Les PennesMirabeau, 12/11 Bourglès-Valence, 15/11 Toulouse, 16/11 Nantes, 18/11 Perpignan, 19/11 Mourenx, 24/11 Strasbourg, 25/11 Sedan, 30/11 Paris, Cigale Girls 18/11 Strasbourg, 19/11 Paris, Maroquinerie, 24/11 Toulon Handsome Furs 20/9 Paris, Point Ephémère Heather Nova 20/11 Paris, Bataclan, 2/11 Tourcoing Housse De Racket 20/10 Paris, Gaîté Lyrique Ben Howard 5/10 Paris, Café de la Danse

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dès cette semaine

Inrocks Indie Club septembre 23/9 Paris, Flèche d’Or, avec Boogers, Eldia et Figurines Inrocks Lab Party septembre 14/9 Paris, Flèche d’Or, avec Miracles Fortress, Motion Of Hips et Manceau Bon Iver 29/10 Paris, Grande Halle de la Villette Jehro 10/10 Paris, Cigale Jay-Jay Johanson 6/10 Nancy, 17/11 Lille, 18/11 Caen, 21/11 Paris, Trianon, 22/11 Lyon, 23/11 Toulouse, 25/11 Montpellier, 26/11 Marseille The Jim Jones Revue 5/10 Alençon, 6/10 Saint-Avé, 8/10 Bègles,

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9/10 Angoulême, 11/10 Mulhouse, 14/10 Creil, 15/10 Massy Juveniles + Coastal Cities + The Nodz 24/9 Paris, Flèche d’Or Kaiser Chiefs 29/11 Olympia Kasabian 22/11 Paris, Zénith Kitsuné Club Night 7/10 à Paris, Machine, avec Is Tropical, Logo, Beataucue, The Twelves, Jerry Bouthier, Alexis Taylor et Icona Pop The Kooks 18/10 Paris, Casino de Paris, 19/10 Bordeaux, 20/10 Toulouse, 24/10 Lyon L 3/10 Paris, Café de la Danse, 7/12 Paris, Cigale

Les Internationales de la guitare du 24/9 au 15/10 à Montpellier & LanguedocRoussillon, avec The Divine Comedy, Gaetan Roussel, Kaki King, Anna Calvi, Dick Annegarn, Catherine Ringer, Saul Williams, etc. M83 30/11 Paris, Gaité Lyrique Maad in 93 du 22/9 au 8/10 à Saint-Ouen, Montreuil, Bagnolet etc. avec The Afrorockerz, Viva & The Diva, Cheveu, Milk Coffee & Sugar, Yom, Louis Sclavis, etc

Madchester 2011 du 21 au 23/9 Paris, Roubaix et Rennes, avec Water Signs, Stay et XXXY Florent Marchet 7/10 Franconville, 13/10 Illkirch, 2/11 Paris, Casino de Paris Metronomy 5/10 Dijon, 6/10 Caen, 7/10 Lille, 8/10 Reims, 8/11 Lyon, 9/11 Montpellier, 10/11 Paris, Olympia, 11/11 Amiens, 12/11 Nantes, 13/11 ClermontFerrand Miossec du 20 au 23/9 Paris, Nouveau Casino, 28/9 Rennes, 29/9 Brest, 30/9 Laval, 1/10 Caen, 4/10 Annecy, 5/10 Nancy, 6/10 Metz, 7/10 Tourcoing Connan Mockasin 7/10 Strasbourg, 10/10 Paris, Maroquinerie, 11/10 Lille, 15/10 Marseille Mondkopf 16/9 Bordeaux, 22/9 Lyon, 30/9 Bordeaux, 1/10 Marseille, 6/10 Caen, 7/10 Amiens, 8/10 Nancy,

15/10 Nantes, 22/10 Dijon, 26/10 Vendôme, 28/10 Paris, Grande Halle de la Villette, 5/11 Rennes, 25/11 Laval, 9/12 Fontenaysous-Bois, 10/12 Strasbourg Mother Mother 8/10 Paris, Flèche d’Or Motörhead 23/10 Toulouse, 25/10 ClermontFerrand, 26/10 Nantes, 31/10 Lille, 21/11 Paris, Zénith Nasser 16/9 Paris, Cigale, 17/9 Canejan, 29/9 Montpellier, 1/10 Nantes, 7/10 Calais, 8/10 Nancy, 22/10 Marseille, 28/10 Massy, 29/10 Alençon, 4/11 Rennes, 5/11 SaintJacut-les-Pins, 12/11 Chemillé, 18/11 Valenciennes, 25/11 Vauréal, 2/12 Arles, 10/12 La Rochelle Nuit SFR 8/10 à Paris, Grand Palais, avec Carte Blanche, Cassius, Crystal Fighters, etc. Agnes Obel 15/9 Lille, 16/9 Rouen, 17/9 Laval,

19/9 Toulouse, 23/9 Bordeaux, 20/10 Limoges, 21/10 Poitiers, 22/10 La Rochesur-Yon, 24/10 Brest, 25/10 Vannes, 26/10 Angers, 28/10 Marseille, 29/10 Nice, 1/11 Lyon, 2/11 Paris, Casino de Paris, 3/11 Caen Oh La La Festival du 29/9 au 1/10 à Los Angeles, avec Nouvelle Vague, Tinariwen, Birdy Nam Nam, etc. Oh Land 15/11 Paris, Maroquinerie Peter Philly 13/10 Paris, Point Ephémère, 14/10 Bruxelles

Pitchfork Festival Le webzine américain exporte cette année pour la première fois son festival à l’étranger et c’est Paris qui a l’honneur de l’accueillir. On pâlit

d’avance devant les groupes déjà annoncés : de la belle Lykke Li (photo) au stakhanoviste Bon Iver, le mois d’octobre sera chaud. Les 28 et 29/10 à Paris, Grande Halle de la Villette, avec Aphex Twin, Wild Beasts, Fucked Up, Washed Out, Stornoway, etc. Catherine Ringer 4/10 ConflansSainte-Honorine, 8/10 Rennes, 10/10 Nancy, 11/10 Montpellier, 14/10 Rouen, 19/10 Toulouse, 22/10 Genève, 26/10 Troyes, 8/11 Paris, Olympia, 17/11 Strasbourg, 22/11 Lille Gaëtan Roussel 16/9 La Courneuve, 17/9 Saint-Nolff, 23/9 Rodez Shabazz Palaces 25/9 Paris, Point Ephémère The Shoes 12/11 Nancy Soirée Chapter Two 28/9 Paris, Flèche d’Or, avec Rwan, Zoufris Maracas, Tom Fire et Lesken

nouvelles locations

en location

Sound Of Rum 6/11 Paris, Cigale

Toddla T 7/10 Paris, Nouveau Casino

Omar Souleyman 14/9 Paris, Point Ephémère, 16/9 Lyon

The Toxic Avenger 29/9 Paris, Cigale

The Specials 27/9 Paris, Olympia Staff Benda Bilili 11/10 Paris, Olympia Stranded Horse 1/10 Bruxelles, 3/11 Pau, 4/11 Bayonne, 6/11 Toulouse, 7/11 Valence, 8/11 ClermontFerrand, 9/11 Allonnes, 10/11 Evreux, 17/11 Martingues, 24/11 Paris, Maroquinerie, 26/11 Bourgen-Bresse, 27/11 Dijon The Subways 11/10 Paris, Maroquinerie Selah Sue 2/11 Paris, Olympia, 25/11 Nancy Hubert-Félix Thiéfaine 22/10 Paris, Bercy Timber Timbre 3/11 Paris, Cigale, 4/11 Strasbourg, 5/11 Lyon, 6/11 Marseille Tinariwen 21/9 Paris, 104

Viva Brother 4/11 Paris, Boule Noire Washed Out 28/10 Paris, Grande Halle de la Villette, 29/10 Strasbourg The Wave Pictures 16/9 Paris, Café de la Danse Wild Beasts 25/10 Tourcoing, 26/10 Nantes, 27/10 Vendôme, 28/10 Paris, Grande Halle de la Villette Steven Wilson 26/10 Paris, Bataclan Wire 11/11 Lorient Patrick Wolf 7/11 Paris, Maroquinerie Wu Lyf 2/11 Paris, Cigale Young Galaxy 28/10 Paris, Flèche d’Or Yuck 5/11 Paris, Boule Noire, 6/11 Montpellier, 9/11 Rennes, 10/11 Roubaix Zola Jesus 28/9 Paris, Point Ephémère

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Trip Fontaine

aftershow

Primal Scream le 6 septembre à Paris (Cigale) Bobby Gillespie et ses amis étaient passés, au beau milieu d’un été pourri, remettre le soleil dans le ciel de Hyères, dans le cadre de l’excellent Midi Festival. La semaine dernière, Primal Scream venait jouer à la Cigale, quelques mois après la réédition de son chef-d’œuvre drogué Screamadelica. Un disque fondateur et dément, qui avait organisé il y a vingt ans, dans l’allégresse et l’ecstasy, les noces des guitares et de la dance. Movin’ on up, sous haute influence Rolling Stones, ouvre le bal. Guitares assassines et mélodie moulinette, il ne faut que quelques secondes au groupe pour embraser une Cigale qu’on n’avait pas vue aussi extatique depuis des

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années – merci les Anglais dans la salle. Puis c’est la fête de la basse avec Slip Inside This House et ses séquences dub et house hallucinées. Entre rock, house, dub, electro, pop et krautrock, les titres s’enchaînent, portés par un Gillespie impressionnant qu’on devine encore, par instants, sous l’emprise de substances absorbées jadis, notamment le temps d’un Higher Than the Sun insensé. Point d’orgue d’une prestation explosive, qui s’achèvera au rappel sur une triplette de singles issus d’autres albums (Jailbird, Rocks, Country Girl) avant que LE tube de Screamadelica, Loaded, se charge de replonger la Cigale dans la moiteur des années acid-house. Johanna Seban

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Strike! de Sarah Kernochan (1998)

le club des tueuses Ignorée en Amérique, culte en France, la géniale Laura Kasischke revisite le roman noir pour affirmer son obsession : toute vie se fonde sur la mort. Frissons gothiques garantis.



vec ce roman, Laura Kasischke va confirmer ce dont on se doutait déjà : étrangement négligée dans son pays, elle est l’un des meilleurs écrivains américains du moment. Culte pour les lecteurs français dès son premier roman, A Suspicious River, cette grande romancière du bizarre revient menacer le réel en revisitant deux genres typiquement américains : le roman noir et le campus novel, relookés ici en conte gothique, farce métaphysique, constat d’une jeunesse en perdition, rompue au cynisme d’une société capable d’attaquer l’Irak à l’aide

de mensonges… C’était déjà le propos de son puissant A moi pour toujours, décliné de façon encore plus effrayante dans La Couronne verte. Sauf qu’irréductible à un thème sociétal, il y a quelque chose de génialement pervers chez elle à s’emparer d’un genre mainstream – le thriller, disons – pour mettre une ultime fois en scène son véritable sujet : que toute vie n’est qu’une fiction, écrite en palimpseste pour camoufler la mort. Si chacun de ses romans est une cérémonie sacrificielle, c’est avec Les Revenants qu’elle va se confronter à la mort le plus directement. Le roman

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en marge un grand roman paranoïaque où se concentre ce qui se jouait jusque-là en sourdine dans l’œuvre de Kasischke s’ouvre d’emblée sur un accident qui va le modeler jusqu’à la dernière page : Shelly, une prof de fac, découvre une voiture accidentée et, à côté, deux jeunes corps, ceux de la jolie Nicole et de son amoureux, Craig, encore vivants… Pourtant, plus tard, on apprendra que Nicole en est morte, tellement défigurée que même sa famille ne pouvait la reconnaître. C’est autour de cette mort bizarre que va tournoyer tout le roman, ses intrigues, ses personnages, passant tour à tour, dans un mouvement circulaire de manège infernal, d’étrangetés en révélations. Car Nicole semble revenir hanter le campus. La sororité, les Omega Thêta Tau, à laquelle elle appartenait se livre à des cultes étranges, comme celui de la “renaissance” (faire perdre connaissance à une jeune fille puis la ramener à la vie). Craig, le survivant de l’accident, et son meilleur ami, Perry, vont être harcelés par ces filles, qui leur reprochent la mort de leur “sœur”. Enfin, vont être mêlées à toute l’affaire deux professeurs du campus : Shelly, parce qu’elle a vu l’accident et pourrait témoigner de certains faits gênants, et Mira, qui enseigne tout ce qui a trait aux croyances entourant la mort. Chacune d’elles, sans jamais se rencontrer, va mener l’enquête… Shelly, lesbienne, ne parvient jamais à installer une histoire d’amour ; Mira est mariée et a deux enfants mais son mari la plaque ; Craig et Perry, mal remis de la disparition de Nicole, resteront célibataires. Si Les Revenants suinte la solitude, c’est avant tout d’une solitude métaphysique qu’il s’agit : parce que la vérité échappe à ces protagonistes, parce qu’ils en sont sans cesse exclus, n’appartiennent pas au groupe qui “sait” ou qui se ficherait de savoir. Ils naviguent dans ces limbes réservées aux vivants, entre savoir et non-savoir, ignorance et doutes au sujet de la mort. Car il y a toujours une vérité cachée dans les romans de Laura Kasischke, généralement celle d’un sacrifice humain pour que d’autres puissent rester en vie, qui revient moins sous forme de symptôme que de menace constante pour les survivants. Tôt ou tard, ils devront payer leur ignorance du meurtre ou du mensonge sur lequel se fonde leur vie. Comme si, chez Kasischke, la narration d’une existence ne pouvait s’écrire que sur le récit d’une mort, que l’une et l’autre s’enchevêtrent jusqu’à ce que la dernière prenne le dessus. Si, dans ses précédents

romans, Un oiseau blanc dans le blizzard, La Vie devant ses yeux, A moi pour toujours ou Rêves de garçons, cette vérité surgissait malgré les humains, elle n’advient dans Les Revenants qu’au terme d’une enquête. C’est le grand changement romanesque de Kasischke : une volonté de savoir, à ses risques et périls. Shelly, parce qu’elle veut comprendre qui est réellement sa jeune maîtresse, Josy, qui appartient à la même sororité que la défunte Nicole ; et Mira, parce que mal remise de l’ambivalence d’une scène fondatrice dans son enfance : “Elle eut le souffle coupé quand sa mère se retourna, paraissant moins recevoir ette lumière qu’en être la source, debout au centre de la réserve directement sous l’ampoule nue, vêtue de ce que Mira prit d’abord pour une sorte d’aube blanche, qu’elle n’avait jamais vue et qui était faite de plumes, comme des ailes géantes repliées autour du corps, les yeux clos mais les lèvres et joues fardées d’un rouge criard (…). Sa peau paraissait humide, couverte d’un film de rosée ou de transpiration, et la fillette eut la nette impression que sa mère venait d’éclore ou bien qu’elle revenait d’entre les morts.” Qui sont les autres : nos parents qui nous transmettent en premier lieu l’ambiguïté de leur intimité ; nos proches qui nous trompent ; notre entourage qui nous ment ? Et qu’est-ce que le réel, corrompu si facilement par le surnaturel ? Les Revenants s’impose comme le grand roman paranoïaque de Laura Kasischke, le concentré de tout ce qui se jouait jusque-là en sourdine dans son œuvre. Personne n’est innocent, et sûrement pas ceux qui s’affichent comme tels, à l’instar de cette sororité de filles blondes aux ongles peints en rose nacré, qui se prétendent vierges mais baisent avec tout le monde, trahissent, trompent et tuent. Ecrire, pour Kasischke, tient moins dans une construction que dans une déconstruction : démonter le récit des vivants, qu’on l’appelle mensonge ou illusion, pour faire apparaître la narration des morts – la faire, en somme, “revenir”. Il n’y a pas plusieurs revenants dans les romans de Kasischke, mais un seul : l’écriture, qui broie sur son passage ces faux-semblants qui nous font vivre. Nelly Kaprièlian Les Revenants (Christian Bourgois), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Eric Chédaille, 588 pages, 22 €

my way Un humour stoïque et un sens de la métaphore : et si Marilyn Monroe était aussi écrivaine ? C’était une actrice, habile dans l’art de faire semblant. Pourtant, quand Marilyn Monroe écrit sa vie, elle affiche carrément, contrairement aux hommes politiques, grands amateurs de probité, le nom de son “nègre” en couverture. Il faut dire que son nègre, c’est Ben Hecht, célèbre scénariste hollywoodien, qui accouche la star de sa vie en la rencontrant dans les années 50 chez un homme du sérail qui invitait la “petite” à ses dîners parce qu’elle était jolie. Monroe n’est pas Tolstoï, Hecht non plus, mais il a un immense talent : restituer la voix d’une fille qui sort du fond du gouffre et observe les petites mesquineries des uns et des autres avec une hauteur, un fatalisme dignes de Plutarque (si, si). Même si ça ne l’empêche pas de chialer, surtout quand des producteurs comme Zanuck la virent parce que pas assez photogénique, ou quand son tout premier amour la baise en la méprisant. On avait oublié Confession inachevée, qui sera réédité par Robert Laffont fin octobre, et c’est comme un petit coffre aux trésors de lucidité, de malice et d’humour. De son enfance saccagée qui la talonnera toute sa vie et expliquerait ses retards célèbres sur les plateaux, à ses années d’échecs et de dèche à Hollywood, des plans drague de George Sanders fliqué par sa femme Zsa Zsa Gabor à ses démêlés avec Joan Crawford qui la harcèle de conseils de mode et d’élégance alors qu’elle ne possède qu’une robe et un tailleur, c’est plus qu’à une autopsie de l’industrie du cinéma que se livre la star. Une vision cash des rapports hommes-femmes ou femmes-femmes. Le tout avec un art poétique et drôle de la métaphore. Comme quoi, on peut avoir un nègre, c’est avant tout la voix qui compte. Marilyn, meilleur écrivaine que certains de nos contemporains ?

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Philippe Matsas

James Frey, la rédemption L’enfant terrible et mythomane de la littérature américaine ressuscite un Jésus destroy dans le New York d’aujourd’hui. Vrai faussaire ou grand écrivain ?

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our s’être payé la tête d’Oprah Winfrey – grande prêtresse du TV show américain – et de quelques millions de lecteurs, James Frey a longtemps hérité du statut peu enviable d’écrivain “controversé” : honni par la presse, désavoué par ses fans, Oprah au premier chef, après que ses “mémoires” se sont révélées un tissu d’affabulations. Au final, Mille morceaux, sur la rédemption d’un toxico, sorti en 2003 et rebaptisé “Mille mensonges” deux ans plus tard, embellit surtout la carrière criminelle de

l’auteur, pour des besoins essentiellement “mélodramatiques”, finira par se défendre celui-ci. Heureusement, tout est bien qui finit bien : en mai dernier, l’animatrice pas revancharde a invité Frey pour parler de son nouvel opus, et l’interview s’est terminée par un hug lacrymal – grand moment de télévision à l’américaine. Alors, James Frey, écrivain repenti ? Vrai-faux voyou rangé des voitures ? Rien n’est moins sûr. Il suffit pour s’en convaincre d’ouvrir Le Dernier Testament de Ben Zion Avrohom, trois ans après l’excellent L.A. Story, et d’en apprécier la trame un poil grandguignolesque : rien de moins que la vie de Jésus transposée à New York de nos jours, prétexte à une longue errance trash, miroir de l’Amérique pas joli-joli. Le Messie prend ici les traits d’un vigile le jour, alcoolo la nuit, victime un beau matin d’un accident de chantier. Son périple jusqu’à l’hôpital, son statut de miraculé exposé dans la presse, ses retrouvailles avec sa famille (des juifs convertis au catholicisme) et son passé trouble sont relayés par une suite de témoignages calqués sur le Nouveau Testament. Prostituée portoricaine, chirurgienne plastique fana des Yankees, sudiste facho et tout ce que les Etats-Unis comptent de religieux extrémistes érigent ce Christ inférieur en icône de saleté et de sainteté, un ange de perversion bivouaquant des sous-sols du métro aux squats junkies et autres ghettos défavorisés. Frey y mêle un certain goût de la provoc, cette jubilation toc qui revient à pisser sur une icône. Dans notre monde, celui d’internet et de la chirurgie esthétique, des bars à putes et des trafics en tout genre, Jésus ne peut donc que troquer ses habits de prophète pour ceux d’un mec paumé, SDF élu gourou

d’une secte religieuse, bon client pour l’HP (ses crises mystiques sont associées à de l’épilepsie). Ce monde n’en est pas moins un lieu d’affrontement entre, d’un côté, un matérialisme cynique sans âme, dénué de toute spiritualité, et, de l’autre, le fanatisme religieux. Ce sont ces deux Amériques que Frey renvoie dos à dos, à sa manière parfois débridée, voire tartignole. A cet égard, ses velléités de moraliste s’effritent quelque peu au contact d’orgies souterraines transmuées en grand chant d’amour gay – aimez-vous les uns les autres, surtout vous, les mecs – même si Frey ne fait là que tirer le fil de délires fameux autour de la Bible (l’homosexualité de Jésus, le contenu érotique des textes). Des années après avoir fait d’une falsification un coup littéraire (Frey a avoué par la suite avoir remplacé “roman” par “récit” pour booster les ventes), l’auteur est sûr de faire encore jaser par ses propos iconoclastes. Frey, génie du marketing ? Reste qu’on ne goûte pas à son bouillon de culture blasphématoire, cuisiné à la mitraillette, sans lui en être à la fin reconnaissant pour l’éternité. Amen. Emily Barnett Le Dernier Testament de Ben Zion Avrohom (Flammarion), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michel Marny, 384 pages, 23 €

une nouvelle factory ? Ses récentes déclarations pourraient passer pour une provoc de plus. En révélant son projet de créer une maison d’édition où il engagerait de jeunes écrivains censés produire “le prochain Twilight”, l’écrivain de 42 ans ne fait pas que tirer à vue sur la mafia vénale de l’industrie du livre. A condition que cela soit ironique : avec Frey, on n’est jamais à l’abri du premier degré. Sur un plan artistique, l’auteur relativise la toute-puissance de l’écrivain pour lui substituer un idéal créatif qui se rapproche des pratiques du monde de l’art – de l’atelier ultra fréquenté de De Vinci à celui de Warhol comme laboratoire de création. 2012, année de la Factory appliquée au roman ?

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Hélène Bamberger

le tonton fugueur Un jeune homme part sur les traces de son oncle disparu, prétexte pour Christine Montalbetti à la recréation d’un Japon mythique. Une fantaisie légère et délicate. hristine Montalbetti est un écrivain “les frondaisons plumeuses des bambous”, pirate. De livre en livre, elle détourne les femmes en kimono et socques les genres pour mieux les démonter, de bois, les cloisons en papier de riz, les dynamiter. Il y eut d’abord Western, les samouraïs… L’aspect factice long travelling littéraire peuplé de cow-boys, est parfaitement assumé. Comme si tout puis, il y a deux ans, Journée américaine, cela était d’abord un jeu. En témoignent road-novel quasi statique dans des USA les irruptions ironiques du narrateur, de carton-pâte. Avec L’Evaporation de l’oncle, mise en scène et mise en abyme espiègles titre aussi énigmatique qu’un haïku, de l’acte d’écriture. la romancière, admiratrice revendiquée Dès le prologue, le décor de ce petit de l’œuvre d’Haruki Murakami, quitte théâtre nô est planté, les personnages les grands espaces américains pour les identifiés et l’enjeu du drame annoncé. paysages d’un Japon intouché, tout droit Enfant, Yasu est fasciné par son oncle, un sortis d’une gravure d’Hokusai. voyageur mutique. Un jour, l’oncle disparaît. La prose, délicate, est saturée de clichés Il s’évapore. Des années après, Yasu part japonisants tels les cerisiers en fleurs, à la recherche de cet oncle mystérieux,

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fantôme, fantasme. Tout le roman baigne dans une atmosphère brumeuse et liquide, enveloppée dans le halo des vapeurs du thé ou du saké, floutée par un rideau de pluie ou la lumière opalescente d’un croissant de lune. Les personnages avancent en eaux troubles, opaques les uns aux autres à cause des secrets – d’alcôves pour la plupart – et des non-dits. Au fil des saisons, leurs liens se délitent, se dissipent. Mais ce qui compte dans les romans de Christine Montalbetti, c’est moins l’action que l’illusion, l’art de susciter une réalité, de lui donner forme, de la modeler, par la seule grâce de l’écriture. Et celle de Montalbetti est d’une précision étourdissante. Ses textes sont comme des enluminures ou, plus adaptées ici, de minutieuses calligraphies, sur lesquelles se déploie un vaste monde dessiné dans ses détails les plus infimes. La romancière manifeste ainsi un goût prononcé pour les insectes et autres bêtes minuscules. Dans L’Evaporation de l’oncle, ce sont les poissons d’argent qui ont droit à quelques pages. Autre lubie de l’auteur : les objets qui parlent et mènent leur vie propre. Cette fantaisie désamorce le danger de l’ultraformalisme. C’est aussi la marque de fabrique du style Montalbetti, à la fois maîtrisé à l’extrême et délicieusement léger. Elisabeth Philippe L’Evaporation de l’oncle (P.O.L), 336 pages, 19 €

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S-21, la machine de mort khmère rouge, documentaire de Rithy Panh (2003)

trois questions à Patrick Deville Après le Mexique et le Congo, pourquoi avoir choisi d’écrire sur le Cambodge ? Les révolutions m’ont toujours intéressé. La révolution des Khmers rouges est celle qui est allée le plus loin. Je voulais comprendre comment on en est arrivé là, comment l’une des dernières grandes utopies du XXe siècle a pu terminer en boucherie. Vous mettez en cause la colonisation, mais aussi les dangers inhérents à l’idée même de révolution… Sans pour autant remettre en question l’idée de révolution. Ce serait être totalement réactionnaire. Toutes les révolutions n’aboutissent pas à la barbarie ! Les sandinistes qui ont pris le pouvoir par les armes, ont ensuite su respecter le verdict des urnes. Et aujourd’hui, on ne peut qu’applaudir les révolutions arabes. En quoi votre livre est-il un roman plus qu’un récit ? Ce n’est pas un livre d’histoire sur le procès, mais bien de la littérature, un livre sur la vie des hommes dans ce qu’elle peut avoir de magnifique et d’horrible. Kampuchéa mélange de nombreux genres littéraires, passe sans cesse d’un siècle à l’autre, et il fallait une subjectivité pour faire tenir l’ensemble.

En trois ans, huit mois et vingt jours, près de deux millions de Cambodgiens disparurent

la mort en ce pays La révolution khmère rouge vue par Patrick Deville : une traversée subjective du Cambodge où l’effroi se mêle au sublime.

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e n’est pas un récit de voyage, pas plus un reportage, encore moins un livre d’histoire. Kampuchéa est une dérive romanesque sur le Mékong, une traversée vaporeuse et délétère du Cambodge, de sa géographie et de son histoire, qui mène le lecteur au cœur des ténèbres. De Conrad, il est souvent question. De Malraux aussi – La Voie royale, le pillage du temple de Banteay Srei – de Pierre Loti, Blaise Cendrars, mais également du colonel Kurtz d’Apocalypse Now ou de David Carradine et de sa “petite mort” fatale dans un hôtel de Bangkok au cours d’un auto erotic game. L’écrivain Patrick Deville, grand voyageur, auteur de Pura Vida, La Tentation des armes à feu ou Equatoria, remonte le fleuve et le temps pour tenter de

comprendre ce qui a pu conduire à la révolution khmère rouge et à la barbarie engendrée par cette “utopie meurtrière” portée par de jeunes étudiants idéalistes, dont Pol Pot et Douch, qui, à Paris, avaient étudié et appris par cœur les poèmes de Rimbaud et Alfred de Vigny. Entre 1975 et 1979, en trois ans, huit mois et vingt jours, près de deux millions de Cambodgiens disparurent, “entre un quart et un tiers de la population”. C’est à la source de cette histoire que le narrateur pense puiser un début de réponse, au moment où, en 1860, un certain Henri Mouhot, découvre le site d’Angkor. L’ancien royaume khmer commence à fasciner les Occidentaux, à attiser leur convoitise et devient un protectorat français, intégré à l’Indochine. En finir avec la décadence de l’Occident

sera l’un des mots d’ordre des Khmers rouges qui mèneront la révolution (“la plus belle et la plus intransigeante, l’absolue table rase”) et leur propre peuple à l’anéantissement. “Le procès des Khmers rouges est l’aboutissement d’une histoire vieille d’un siècle et demi. La fascination monstrueuse de deux peuples égarés dans l’espace et le temps”, écrit Deville qui s’égare à son tour, sinue entre le passé et le présent, superpose les strates temporelles en une architecture aussi complexe qu’harmonieuse où l’horreur côtoie des descriptions délicates, fragments impressionnistes faits de soie émeraude, moiteurs cendrées, vapeurs d’alcool, de cigarettes et d’opium. Sur ce chemin qui tient autant de l’expédition que de la quête personnelle, Patrick Deville,

reconnaissable à travers le narrateur, rencontre toutes sortes d’individus : des rescapés du régime khmer rouge, un ancien aviateur, un policier qui ressemble au commissaire Maigret et surtout le père Ponchaud qui fut le premier à témoigner des atrocités perpétrées au Cambodge, à dire le peuple réduit en esclavage, le pays transformé en immense camp de travaux forcés. Pendant des années, personne ne l’a cru. A la fin de sa vie, Henri Mouhot, malade, amer, avait trouvé quelques paillettes d’or dans le lit d’une rivière du Laos. De son immersion cambodgienne, Patrick Deville extirpe à son tour une pépite, un livre superbe dont on ressort à la fois éprouvé et ébloui. Elisabeth Philippe Kampuchéa (Seuil), 264 pages, 2 0 €

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Adepte de la philosophie morale expérimentale, Ruwen Ogien pousse à se débarrasser du moralisme hérité du passé. Une invite à la prise de responsabilité. st-il permis de tuer une personne pour prélever ses organes et sauver la vie de cinq malades en attente de greffe ? Est-il immoral de nettoyer les toilettes avec le drapeau national ? Les dix-neuf dilemmes moraux qu’analyse le philosophe Ruwen Ogien dans son essai pourraient n’offrir qu’une admirable proposition de foi libertaire, s’ils n’étaient surtout la démonstration que rien n’est simple lorsqu’il s’agit de morale. Plus que la morale en soi, c’est le moralisme que vise l’auteur, qui cherche depuis des années à se débarrasser

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Kristiina Hauhtonen

l’amoral de l’histoire de tous les clichés sur la nature humaine, sur les intuitions communes et le paternalisme ambiant (cf. La Vie, la Mort, l’Etat, 2009). Pour Ogien, il ne fait guère de doute que les humains sont “beaucoup trop moraux” et “trop enclins à juger les autres, à faire la police morale, à fouiner dans la vie des gens, à se prendre pour des saints”. Pour étayer son point de vue, Ruwen Ogien s’appuie sur une discipline encore méconnue, la philosophie morale expérimentale, qui mêle l’étude empirique de l’origine des normes morales et la réflexion sur la valeur de ces normes.

Ses conclusions s’avèrent déstabilisantes et… évidentes : il n’y a pas de sens moral inné ; la morale ne se distingue pas de la religion ou des conventions sociales ; il n’y a ni unité ni continuité empirique significative dans les conduites des gens... La philosophie expérimentale fait ainsi douter “de la robustesse et de l’universalité de nos intuitions morales”, souligne-t-il. Plutôt que de se laisser intimider par les grands mots des moralistes – vertu, dignité, devoir… –, Ogien invite à les déconstruire pour déployer une pensée radicale de la liberté, où tout est permis dès lors que nos actions ne causent aucun tort. Le livre se présente ainsi comme un dépassement des trois courants dominants de la philosophie morale : “l’éthique des vertus”, inspirée d’Aristote, qui prône le souci de soi et le contrôle des passions ; le “déontologisme”, nourri de Kant, qui pose l’existence de contraintes morales sur nos actions ; et le “conséquentialisme” pour lequel l’important est de faire en sorte qu’il y ait au total le plus de bien ou le moins de mal possible dans le monde. A la fois très savant et très accessible, Ruwen Ogien nous convainc de l’influence de l’odeur amoraliste sur l’intelligence humaine. Jean-Marie Durand L’Influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine (Grasset), 280 p., 18,50 €

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Denis Rouvre Patricia Marais

François Bégaudeau

Arnaud Cathrine Frédéric Beigbeder

les autres, et moi, et moi, et moi Trois écrivains prennent pour objet… d’autres écrivains. Du hit-parade à l’antimanuel en passant par l’autoportrait, l’exercice d’admiration dans tous ses états. omme la bar-mitsva, ou feu Même si Premier bilan après l’apocalypse le service militaire, il est un rituel n’est pas une surprise venant d’un auteur de passage auquel l’écrivain, qui s’est déjà frotté à l’exercice (Dernier le vrai, doit se soumettre : écrire inventaire avant liquidation) et s’échine, par sur d’autres écrivains. Certains l’ont ailleurs, à équilibrer dans son CV egotrip fait avec succès (de Gracq à Sagan), et inlassable curiosité des autres. Dans ce alors pourquoi pas lui ? Le point épineux “hit-parade intime”, Frédéric Beigbeder nous de l’affaire réside dans le timing : ni trop livre ses cent coups de cœur du siècle dernier tôt – qui va s’intéresser aux fétiches – sorte d’adieu sentimental au livre imprimé littéraires d’un postado ayant vendu ployant sous le “bourreau numérique”. 43 exemplaires de son premier livre ? –, ni Une short list, donc, où tous les dandys trop tard – au risque de signer un essai se sont donné rendez-vous (de Fitzgerald intitulé de force par son éditeur “La Fureur à Jean-Jacques Schuhl), plus un top 3 chic de lire”, ou encore “La Sainte Odeur (Ellis, Gide, Nizon). Beigbeder sait parfois de la littérature” et d’être par conséquent convaincre, à coups de formules fusant confondu avec Jean d’Ormesson. plus vite qu’une ligne de C dans une fosse Expression de la maturité, dégonflage nasale (pardon), capable hélas aussi de l’ego : de fait, il n’est pas anodin de tout, c’est-à-dire d’enthousiasme forcé que le premier des trois romanciers à ou simplement bâclé sur un coin de table. ouvrir cette parenthèse enchantée jouisse Après l’éloge comme contrepoison d’une reconnaissance médiatique XXL. (narcissique), le voici érigé en art

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de la riposte. François Bégaudeau met une fessée aux stéréotypes : parmi les antipréceptes drolatiques que dresse cet abécédaire, le “vrai” écrivain se doit d’être pauvre, maudit, hanté, visionnaire, dénué de corps, sans oublier de vivre planqué (éviter les plateaux télé). Sur la forme, nombre de passages sont à hurler de rire ; sur le fond, il ne fait pas de doute que l’auteur d’Entre les murs règle ses comptes. Distribuant les claques, des “jurés octogénaires du Goncourt” à la scène littéraire, “cette noble farce”, l’auteur parfois écorché par la critique renvoie l’ascenseur (“les journalistes sont les plus prompts à repérer les tendances. Dans la mesure où le temps leur manque pour lire les œuvres, c’est leur seule chance d’en parler quand même”). On pourrait faire la gueule, mais non. Car cet essai n’épargne pas même les écrivains, fortiches dans l’élaboration de leur propre mythe (“j’ai toujours rêvé d’écrire”, etc.) A l’inverse de Bégaudeau, Arnaud Cathrine se voue à cette mythologie de l’écrivain envahi de solitude et de fantômes, de passions désaxées, de chagrins contractés en ville et cuvés en bord de mer. Nos vies romancées atteste d’un rapport sacralisé à la littérature, pris en charge par une plume précieuse ou nerveuse et abstraite. Pour dire quoi ? Sa reconnaissance à six livres, six auteurs (Carson McCullers, Sagan, Barthes, Fritz Zorn, Sarah Kane et Jean Rhys), sur le terrain, cette fois, de l’autoportrait en creux. Moins chien fou que les deux autres, et plus intimement engagé, Cathrine paie de manière touchante son tribut aux aînés, et à ses doubles romanesques car “une fois réinventé dans le miroir, on a peut-être une chance de tenter le coup de l’unique (…), et d’accéder, par défaut, un heureux défaut, à ce qui ne ressemble qu’à nous-même”. Emily Barnett Premier bilan après l’apocalypse de Frédéric Beigbeder (Grasset), 432 p., 20,50 € Tu seras écrivain mon fils de François Bégaudeau (Bréal), 128 p., 14,90 € Nos vies romancées d’Arnaud Cathrine (Stock), 216 p., 18,50 €

la 4e dimension à tout prix éditeurs vs Google, la trêve Albin Michel, Flammarion et Gallimard ne poursuivent plus Google pour contrefaçon. La procédure a perdu son sens depuis que Google et le Syndicat national de l’édition ont repris des négociations et que le moteur de recherche a enfin accepté de demander l’autorisation des ayants droit avant de numériser des ouvrages.

Les premières listes du Goncourt et du Renaudot viennent de paraître. On retrouve du bon dans les deux – Emmanuel Carrère, Eric Reinhardt, Simon Liberati – et du moins bon : Morgan Sportès, Delphine de Vigan et Alexis Jenni.

la grosse angoisse de Martine Aubry “Personnellement, je serais catastrophée que les livres disparaissent”, a répondu la candidate à la primaire socialiste, interrogée sur l’émergence du livre numérique par le site Evene. “J’aime bien toucher les livres dont je suis entourée, les garder, les annoter, mais j’appartiens peut-être à une autre génération.”

bonne nouvelle Le livre est le bien culturel qui se porte le mieux. Ou plutôt le moins mal, avec une progression en valeur de 0,9 % sur les sept premiers mois de l’année. Mais si la vente en ligne progresse, les librairies indépendantes, elles, voient leur chiffre d’affaires chuter.

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On démonte le mécanisme du Système Victoria avec Eric Reinhardt, dont le dernier roman ausculte les liens entre capitalisme et sexualité à travers la passion qui unit une DRH ultralibérale et libérée et un directeur de travaux de gauche.

mercredi 14

17 h 30, Fnac Montparnasse, Paris XIVe

prend ses billets pour Nancy jeudi 15 On afin d’admirer la place Stanislas, Emanuele Scorcelletti

certes, mais surtout pour la 33e édition du Livre sur la place, présidée par Laure Adler. Des débats, des lectures et des rencontres avec Sophie Fontanel ou David Vann. du 16 au 18 septembre, www.lelivresurlaplace.fr Sophie Fontanel

On s’offre une rentrée littéraire grandeur nature avec le festival Bibliothèques idéales, à Strasbourg, qui réunit Marie Darrieussecq, Emmanuel Carrère, Simon Liberati, John Burnside, et des concerts, des projections, des hommages à Semprun ou Debord et une rencontre avec Maurice Nadeau.

vendredi 16

du 17 au 25 septembre, www.bibliotheques-ideales.strasbourg.eu

On se met dans la peau d’un loser magnifique, à l’occasion d’une rencontre avec Emmanuel Carrère pour son roman Limonov qui s’empare de la vie d’Edouard Limonov, voyou en Ukraine, écrivain branché à Paris, soldat dans les Balkans.

17 h, Cahiers de Colette, 23-25, rue Rambuteau, Paris IIIe, www.lescahiersdecolette.com

Roberto Frankenberg

samedi 17

Simon Liberati

revit les joies de la puberté dimanche 18 On avec la romancière Marie Darrieussecq, invitée de l’émission Eclectik (France Inter, 10 h 10) pour son dernier livre, Clèves, qui brosse le portrait de Solange, jeune fille en pleine révolution intime et sexuelle dans les années 80. ultradoué ? On se fait lundi 19 Romancier sa propre idée de Jonathan Franzen

20 h, Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris VIe, 12 €, www.theatre-odeon.fr

Bernard Brun/FTV

grâce à une rencontre exceptionnelle, organisée au Théâtre de l’Odéon en partenariat avec Les Inrocks, avec l’auteur de Freedom, sa nouvelle fresque familiale après Les Corrections. Echange animé par notre collaboratrice Nelly Kaprièlian et lectures en français par Charlotte Rampling. Charlotte Rampling

On voyage au hasard avec pour guide Traverses, de Jean Rolin, qui paraît en poche (Points, 128 p., 5,50 €). Une flânerie littéraire à la destination aléatoire, qui promène l’écrivainvoyageur et son lecteur de la vallée de la Fensch à Marseille, en passant par Clermont-Ferrand.

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Anouk Ricard Coucous Bouzon Gallimard/collection Bayou, 96 pages, 16 €

mon frère, mon pair Une vision complexe de la fraternité et de la précarité par Alessandro Tota. Quelques facilités, mais une grande justesse.

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n “frère”, un vrai, c’est le camarade idéal. Le sang n’a jamais rien eu à voir là-dedans. La fraternité se veut depuis longtemps affaire d’amour, de solidarité indéfectible, exempte de bassesse et de trahison. Plus encore en Italie, terre connue pour ses divisions, où l’hymne national, Fratelli d’Italia, invite à l’union sous une même bannière. Alessandro Tota dépeint donc cette fraternité-là. Au début à travers le destin de deux vrais frères, en mal d’argent, en deuil de père, en quête de drogue, pieds nickelés qui projettent de brader l’héritage familial pour une poignée de cacahuètes. Les errances et les accidents trahissent l’impuissance de leur affection l’un pour l’autre. La misère ronge les liens, désœuvrement et petitesse gagnent. Les nouvelles suivantes parachèvent cette déconstruction des relations humaines, l’aveu de leur rachitisme, la solitude qu’elle installe. Les frères éclipsés par l’intrigue, amis et gens du quartier passent sur le devant de la scène. Là encore, failles et mensonges transparaissent à mesure que les agressions de la vie s’amplifient. Les tentatives d’honnêteté avortent, l’abandon triomphe.

Alessandro Tota fait partie de ces rares auteurs qui proposent une vision complexe de la précarité. On pense évidemment à Gilles Rochier et à son très juste TMLP, paru au début de l’année. Tous deux ont la qualité d’introduire du détail et de la nuance dans ces environnements souvent caricaturés, d’insuffler de l’ambivalence dans les destins, de ne pas appuyer sur le caractère inextricable du quotidien. Tous deux pèchent également par excès de romantisme. Alessandro Tota, c’est dommage, souligne avec pesanteur les regards déçus, les silences contrariés, alors que l’embarras paraît déjà évident sans ce maniérisme du dessin. En dehors de cette légère complaisance graphique, Fratelli apparaît comme un livre juste, parfaitement au courant de son sujet, le plus souvent émouvant. Stéphane Beaujean

Chronique sociale à l’humour doucement absurde. Régulièrement, Anouk Ricard s’invite dans le monde des adultes, son petit baluchon d’illustratrice jeunesse à l’épaule : dessin naïf et limpide, couleurs franches, personnages animaliers, belles anglaises appliquées pour les dialogues… En mettant cette grammaire visuelle enfantine au service de scénarios où l’incongruité des situations n’a d’égale que la bêtise des protagonistes, elle crée des histoires à l’humour absurde et charmant, qui raillent moins leur sujet que la façon dont ils sont ordinairement traités et perçus. Après avoir ainsi torpillé en douceur le récit policier (Commissaire Toumi) et la science-fiction (Galaxie Chérie, dessinée par Hugo Piette), Anouk Ricard s’attaque à la vogue des chroniques sociales avec Coucous Bouzon. Embauché dans cette PME qui fabrique des coucous suisses, Richard se plie avec résignation aux excentricités de son patron et supporte la mesquinerie de ses collègues, mais finit par découvrir que quelque chose ne tourne par rond dans l’horlogerie… Sorte de The Office illustré par Richard Scarry, Coucous Bouzon est une parodie de la parodie ; le pire est qu’elle contient encore des traces de vérité. Jean-Baptiste Dupin

Fratelli (Cornélius), traduit de l’italien par Aurore Schmid, 168 pages, 1 9 €

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Brigitte Enguerand

pris aux mots Mis en scène par Claude Régy, Laurent Cazanave interprète avec une rare intensité un extrait du roman de Tarjei Vesaas, Les Oiseaux. Eblouissant.

première Crossing the Line Pour l’inauguration de la 5e édition du festival annuel du Fiaf, Arthur Nauzyciel présente Jan Karski, de Yannick Haenel, créé cet été au Festival d’Avignon, mais avec une nouvelle distribution et en anglais. A voir également : Xavier Le Roy, Kimberly Bartosik, Cuqui Jerez, Jos Houben… du 17 septembre au 16 octobre au French Institute Alliance Française, New York, www.fiaf.org

réservez Roméo et Juliette de Shakespeare, mise en scène Olivier Py Pour son premier Shakespeare, Olivier Py a choisi cette mythique histoire d’amour qui finit mal. “Leur amour est impossible, donc il a lieu”, résume Py. Avec Mathieu Dessertine en Roméo et Camille Cobbi, tout juste sortie du Conservatoire, en Juliette. du 21 septembre au 29 octobre à l’Odéon – Théâtre de l’Europe, Paris VIe, tél. 01 44 85 40 40, www.theatre-odeon.eu

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n ne pénètre pas innocemment dans un texte. Claude Régy croit au pouvoir de l’écriture. On pourrait même dire que tout son théâtre est au service de ce pouvoir. Le mot ne vous saute pas à la gorge. Il n’y a pas de force de frappe du langage. Le mouvement est d’un tout autre ordre, il s’agit d’écouter avec la plus grande précaution ce que les mots nous transmettent. “L’attention est la prière naturelle de l’âme”, disait Malebranche. Certes, mais tout cela ne va pas de soi. C’est d’abord une affaire d’oreille. Et cela suppose une préparation, un effort propitiatoire pour faire entendre à travers le texte ce vers quoi il pointe, et qui se situe peut-être au-delà des mots. C’est précisément ce à quoi l’on assiste dans Brume de Dieu, spectacle construit à partir d’un court extrait du roman de Tarjei Vesaas, Les Oiseaux. Le comédien Laurent Cazanave en fait entendre seulement quelques pages. Sa diction d’une lenteur extrême donne le sentiment que chaque syllabe est étirée et comme brisée. On assiste à une désarticulation de la langue, dont l’effet dérangeant accentue prodigieusement l’intensité dramatique. Comme si dans un même mouvement, la syntaxe se détruisait et se reconstituait. Par cette déchirure opérée au sein de la langue, des images puissamment évocatrices s’engouffrent tandis que la salle est plongée dans une semi-pénombre. Il y a une forme de radicalisme dans ce théâtre, où la plénitude naît du vide

et du silence. On y est suspendu dans un espace intermédiaire proche du rêve, comme pris quelque part entre vie et mort. Une atmosphère à la fois étirée et tendue, qui rappelle beaucoup l’univers de Jon Fosse, autre auteur norvégien dont Claude Régy fut d’ailleurs le premier à monter des textes en France. Bien qu’adulte, Mathis, le héros du roman de Tarjei Vesaas, voit le monde avec des yeux d’enfant. Parti pêcher sur un lac dans une barque qui prend l’eau, il rumine sa situation, en particulier ses relations compliquées avec sa sœur Hege sans laquelle il ne survivrait pas. Ses pieds baignent dans l’eau qui monte dans le fond de la barque. “Blubb !, dit l’eau”, écrit Vesaas. Car l’eau parle dans le monde poétique de Mathis. Perdu dans ses pensées, le jeune homme s’aperçoit tout à coup que la barque s’enfonce dans le lac. Il écope tant qu’il peut, de plus en plus angoissé car il ne sait pas nager. Il craint de mourir noyé. Il hallucine : deux yeux l’observent dans l’eau qui monte. Il crie : “Hege !” Englouti par le noir, le corps du comédien réapparaît aussitôt ; corps lumineux, léger et souple se détachant sur l’obscurité. Et tandis qu’il tourne doucement ses épaules vers le fond de scène, il semble littéralement flotter dans l’espace. Comme s’il venait de traverser la mort pour revenir à la vie. Intense et prenant, du très grand art. Hugues Le Tanneur Brume de Dieu du 15 septembre au 22 octobre à La Ménagerie de verre, Paris XIe, Festival d’automne à Paris, www.festival-automne.com

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poupée disséquée L’Argentin Daniel Veronese s’empare de la Maison de poupée d’Ibsen pour en donner une vision dépoussiérée : vibrant et efficace. ue faire des semble le plus saillant c’est la rapidité du rythme, à classiques ? – non sans prendre quelques l’opposé du développement A cette question, libertés avec l’original. progressif de l’original. Italo Calvino Déjà, en renommant C’est là que l’art de Veronese répondait que, par exemple, la pièce Le Développement s’avère particulièrement on pouvait les lire. de la civilisation à venir/ efficace dans sa capacité à “La lecture d’un classique El Desarrollo de la civilización gérer, quasi simultanément, doit toujours nous venidera. Titre volontairement une relative tranquillité réserver quelque surprise ironique, qui fait en outre et une rapidité d’action par rapport à l’image référence à une autre œuvre violemment intrusive. que nous en avions”, d’Ibsen, Hedda Gabler. La vie meilleure, remarquait-il notamment. Il en résulte une version harmonieuse, à laquelle La chance du théâtre, scénique resserrée à aspire Nora, se brise devant c’est sa capacité presque l’extrême, dans laquelle l’accusation de mensonge congénitale à se confronter on découvre Nora et que lui renvoie Helmer. aux classiques par le biais son époux Helmer en train Ce qui frappe alors, c’est du répertoire. Pour autant, de commenter le film le mur d’incommunicabilité le metteur en scène n’est de Bergman, Scènes de qui isole les deux époux. pas obligé de se transformer la vie conjugale. Effet Comme si, depuis le début, en conservateur de musée. de boomerang amusant ils ne parlaient pas Ainsi, quand il aborde une quand on sait que Bergman la même langue. œuvre aussi emblématique a lui-même monté Très bien interprété, qu’Une maison de poupée plusieurs pièces d’Ibsen. ce spectacle est à comparer d’Ibsen, Daniel Veronese Nora dévore des sucreries avec une autre création commence par sonder sa tandis qu’Helmer la gronde de Daniel Veronese, d’après capacité de résistance : que sur un ton paternel, mais au La Mouette de Tchekhov, reste-t-il de cette pièce après fond peu assuré. Son côté rebaptisée Les enfants se des années de féminisme bon gars, gentiment pataud sont endormis. H. L. T. et de libération sexuelle ? et parfois rude laisse Le Développement Le théâtre est un art transparaître une certaine de la civilisation à venir qui se conjugue au présent. fragilité. Quant au docteur d’après Une maison C’est donc ce qu’il a à dire Rank, amoureux de de poupée d’Henrik Ibsen, du sur notre époque qui Nora, c’est ici une femme 27 septembre au 2 octobre nous intéresse avant tout. qui assume parfaitement Les enfants se sont endormis Il ne s’agit pas de “forcer” son homosexualité. d’après La Mouette d’Anton Ibsen, mais de le mettre En apparence, nous avons Tchekhov, du 21 septembre à l’épreuve du temps. affaire à la vie d’une famille au 2 octobre Pour cela, Daniel Veronese sans histoire, appartenant Mises en scène D. Veronese, opère en chirurgien. Il ouvre à une classe moyenne spectacles en espagnol le texte comme on ouvrirait relativement évoluée. Mais surtitrés en français, Théâtre un corps pour le disséquer. ce qui surprend aussitôt, de la Bastille, Paris XIe, Il taille au scalpel, s’efforçant dans ce dispositif proche Festival d’automne à Paris, www.festival-automne.com de faire ressortir ce qui lui parfois de la sitcom,

Sergio Chiossone

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Pionnier de l’art optique dans les années 60, Julio Le Parc a droit à une belle rétrospective. Identique à celle que cet artiste anticonformiste avait refusée en 1972.

 S vernissage Roumanie-Ivry Le Crédac emménage à la Manufacture des œillets. Et c’est Mircea Cantor (nominé pour le prix Marcel Duchamp 2011) qui inaugure le lieu. Images faussement reconnaissables, toujours à double tranchant : chaîne d’ADN en forme de baiser et arcs-en-ciel barbelés. More Cheeks than Slaps au Crédac, Ivry, du 15 septembre au 18 décembre, www.credac.fr

Buenos Aires-Lyon Une biennale réalisée depuis Buenos Aires par Victoria Noorthroom. Deux tendances fortes cette année : la présence d’artistes historiques comme Cage et Giacometti et une scène venue d’Amérique du Sud (Gabriel Acevedo, Eduardo Basualdo…). Sans oublier les valeurs montantes de l’art européen : Katinka Bock, Ulla von Brandenburg, Benjamin Seror... du 15 septembre au 31 décembre à Lyon

oyons francs, tout le monde avait un peu oublié que Julio Le Parc vivait encore près de Paris, qu’il travaillait toujours à 83 ans passés et finalement qu’il avait été si important. Il faut dire que l’artiste lui-même a tout fait pour qu’on l’oublie. Au faîte de sa gloire, en 1972, il refuse une proposition qui ne se refuse pas : sa rétrospective au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Il pèse alors le pour et le contre, et s’avoue finalement incapable d’en décider. Tire donc à pile ou face. Perd (ou gagne) et décline l’offre, au risque de se voir apposer l’étiquette du type qui ne sait pas ce qu’il veut. En fait, ce refus est motivé par une opposition contre l’institution et contre le pouvoir. Un engagement radical partagé à l’époque par les Buren et les Mosset, entre autres, qui conduit Julio Le Parc, arrivé de Buenos Aires dix ans auparavant, à être expulsé du territoire pour sa participation active aux ateliers populaires de Mai 68. La mobilisation de ses pairs le ramène en France cinq mois plus tard. Ce qui n’empêche pas le lauréat du Prix de peinture à la Biennale de Venise de 1966, récompense suprême, à continuer le combat et à en tirer les conséquences sur sa propre carrière. Matthieu Poirier, commissaire de cette exposition, parle de ce tournant et de ces retraits successifs comme d’un “suicide artistique”. D’autant que ce pionnier de l’op’art en France renouvelle alors sa pratique et ne fait plus ce qu’on attend de lui. Au lieu de ses étourdissantes

installations cinétiques, il peint des tableaux, aux motifs certes effervescents, mais désormais inanimés. On ne les verra pas à la galerie Bugada & Cargnel, qui remonte le temps et imagine ce qu’aurait pu être la rétrospective au musée d’Art moderne si la pièce de monnaie était tombée du bon côté. Ce retour dans l’arène de Julio Le Parc était dans l’air. Trop d’artistes (de Jeppe Hein à Philippe Decrauzat, en passant par Carsten Höller) s’appuient aujourd’hui sur son œuvre pour que des pièces historiques restent cachées dans l’atelier de Cachan. Lunettes pour voir à l’envers, tableaux en forme de cibles, stand quasiment forain où, appuyant sur des touches, le spectateur met en branle des formes géométriques, le tout ayant été réalisé entre 1959 et 1971 : l’exposition réenclenche les principes et les formes de l’art perceptuel. A commencer par cette espèce de paravent, fait de lames verticales réfléchissantes agitées par un petit moteur, bricolé avec les moyens du bord, qui décompose le mouvement et hachure l’image de ce qu’on perçoit au travers. Ou plutôt de ce qui vous perçoit. Car l’op’art renverse la polarité : ce n’est pas l’œuvre qui est visé, mais l’œil du spectateur. Attention, vous êtes la cible. Judicaël Lavrador L’Œil du cyclope (œuvres de 1959 à 1971) jusqu’au 5 novembre à la galerie Bugada & Cargnel, 9, rue de l’Equerre, Paris XIXe, tél. 01 42 71 72 73, www.bugadacargnel.com (au Centre Pompidou-Metz, l’exposition Erre, jusqu’au 5 mars, consacre une salle à Julio Le Parc)

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Luca Francesconi vue de l’exposition De labore solis

Julio Le Parc, Cercle en contorsion sur trame, 1966. Courtesy Bugada & Cargnel

l’œil du mal vu

l’ère du temps Luca Francesconi propose une exposition solaire où les objets racontent des histoires. e pense les œuvres en tant qu’unités puis je les utilise comme des instruments sémantiques”, explique en préambule de la visite l’artiste italien Luca Francesconi. Et, de fait, chacune de ses pièces peut se lire comme une entité autonome, formant un petit îlot à la dérive, ou comme un détail d’un ensemble plus vaste, en l’occurrence l’exposition elle-même. Dans un recoin donc, cette composition en trois dimensions où pactisent une série d’objets muets : une coloquinte déshydratée, un totem de marbre noir, des vases en laiton ramassés, paraît-il, dans un cimetière, et un bouquet de blé sauvage séché. Au centre, un torse de marbre noir monté sur socle et dont l’entrejambe renferme un fragment de quartz, qui réfléchit, comme l’explique joliment Francesconi “la lumière et les objets alentour de manière créative”. En arrière-plan : deux structures de bois et métal noir surmontées de disques en laiton (inspirée par une Annonciation de la pré-Renaissance italienne) et une citrouille desséchée, un “utérus végétal” qui boucle la boucle du temps qui passe, gardant la mémoire d’un objet boursouflé, démesuré, revenu à son poids et à sa taille initiale. “Les murs de l’espace d’exposition sont peints en gris anthracite parce qu’entre des murs blancs les pièces s’apparenteraient davantage à des idées”, précise encore l’artiste dont on avait pu découvrir une partie du travail lors de la Biennale de Venise. Bien plus que des idées qui auraient séché sur place – même s’il s’agit la plupart du temps “d’objets morts”, les pièces de Francesconi racontent en effet des histoires. Celle du temps qui passe, et du soleil qui altère. L’expo s’intitule d’ailleurs De labore solis que l’on pourrait traduire par “du travail du soleil”. Avant cette exposition solaire, Francesconi prélevait plutôt ses fétiches dans le lit des rivières, dans le Pô plus précisément qui baigne la région où il est né. C. M.

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Luca Francesconi, vue de l’exposition De labore solis. Courtesy Galerie chez Valentin, Paris

De labore solis jusqu’au 8 octobre à la galerie Chez Valentin, 9, rue Saint-Gilles, Paris IIIe, www.galeriechezvalentin.com

encadré

on met ça où ? A Beaubourg, les collections les plus contemporaines sont à l’étroit. Une fois passé l’épisode houleux du palais de Tokyo confié à Jean de Loisy, c’est l’avenir d’un autre mastodonte de l’institution qui fait question : rien moins que le musée national d’Art moderne, qui expose ses collections du XXe siècle sur deux étages du Centre Pompidou. Mais quid de la partie la plus contemporaine de ce trésor public, trop à l’étroit pour pouvoir être montrée à Beaubourg ? Quid d’un musée du XXIe siècle, dont la nécessité se fait déjà sentir ? Tandis que le Cnap (Centre national des arts plastiques), autre grand collectionneur public, riche de ses Frac (Fonds régionaux d’art contemporain), présentera nombre d’œuvres au Tri Postal à Lille à partir du 5 octobre, faisant la preuve qu’il y a un patrimoine contemporain à défendre et à exposer, l’ex-ministre de la Culture et ancien président du Centre Pompidou Jean-Jacques Aillagon, rencontré récemment à l’occasion de son départ du château de Versailles, évoque l’urgence à créer un deuxième site pour un Centre Pompidou “prisonnier d’un bâtiment qui ne lui permet plus de mener son action : paradoxalement l’architecture de Piano et Rogers, avec ses plateaux bas de plafond et sa configuration muséale finalement assez classique est plutôt adaptée à l’art du XXe siècle, mais il faudrait un autre site pour montrer la partie contemporaine. Le ministère devrait se pencher sérieusement sur cette situation”, analyse-t-il en rappelant sa préférence pour un site parisien ou en région parisienne. Et de dénoncer au passage certaines orientations actuelles : “Au lieu de se lancer sur des projets contestés comme la Maison de l’histoire de France, on ferait mieux de s’engager sur des projets qui représentent pour la France, y compris sur la scène internationale, une véritable nécessité.” A bon entendeur...

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dans cette campagne aristo-pimp shootée par Olivier Zahm pour la marque italienne Piombo

où est le cool cette semaine ? Olivier Zahm

par Laurent Laporte et Marc Beaugé

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dans les écussons de l’ancestrale maison Julien Faure

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de moins en moins dans ce type de semelles compensées

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dans les illustrations mode de l’Anglais Ben Lamb, ici pour le magazine Pica-Post

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malgré son prix (presque 1 000 euros), dans ce sac de pêcheur conçu par Nigel Cabourn avec la marque Brady

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pour toujours dans l’uniforme des hôtesses de la Pan Am, aujourd’hui ressuscité par une série diffusée sur ABC

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retour à Tibhirine Quinze ans après l’assassinat des sept moines de Tibhirine, Jean-Baptiste Rivoire ouvre de nouvelles pistes mettant en cause les services secrets algériens.

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epuis le film de Xavier Beauvois, Des hommes et des dieux, l’enlèvement et l’assassinat des sept moins trappistes du monastère de Tibhirine en Algérie, dans la nuit du 26 mars 1996, ont pris une dimension affective particulière dans l’opinion, touchée à l’évidence par l’évocation de leur destin tragique. Sans que les conditions de leur mort ne soient pourtant élucidées. Qui a décapité les moines ? Quand ? Pourquoi les corps n’ont-ils toujours pas été retrouvés ? Si le film de Beauvois esquive la question, c’est que la vérité judiciaire n’a pas été établie. Les zones d’ombre flottent aujourd’hui encore dans ce dossier complexe, à l’image de la “sale guerre” (200 000 morts et 20 000 disparus) qui opposa dès 1991 les islamistes algériens et les autorités officielles. Depuis le milieu des années 90, le journaliste Jean-Baptiste Rivoire a suivi cette guerre à travers de nombreux reportages pour Zone interdite, Envoyé spécial ou Le Vrai Journal. De l’assassinat de Matoub Lounès en Kabylie aux attentats de 1995 à Paris, du massacre de Bentalha (des centaines de morts au sud d’Alger en septembre 1997) aux affaires de corruption, il s’est frotté au plus près de cette guerre civile. Dès 1998 il réalise pour Canal+ un sujet sur la mort des moines de Tibhirine, dont il pressent déjà qu’elle cache des éléments non avouables : l’implication de la sécurité algérienne dans le drame et la possibilité d’une bavure de l’armée. A l’époque, la version officielle, généralement

documentaire admise, insistait à l’inverse sur la responsabilité des islamistes sanguinaires du Groupe islamique armé (GIA), conduits par leur chef Djamel Zitouni. La nouvelle enquête de Jean-Baptiste Rivoire – près de deux ans de travail – apporte d’autres éléments de compréhension, sans que la justice n’ait encore validé son hypothèse d’un faux “enlèvement islamiste” ordonné par le général Smaïn Lamari, chef des services secrets algériens, et d’une manipulation ayant mal tourné. Décliné sous une forme télévisuelle – une enquête pour Canal+ – et écrite - un récit paru aux éditions La Découverte -, son travail s’appuie sur les révélations de nouveaux témoins, décisifs : ceux d’anciens agents du Département de renseignement et de sécurité (DRS), ex-Sécurité militaire, considérée comme la principale source du pouvoir dans le pays. Karim Moulaï affirme ainsi que ce sont les responsables du DRS qui ont missionné un commando de tueurs pour exécuter les otages. A partir de ces confessions sur le tard, Rivoire a interrogé plus de soixante témoins, en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Suisse, au Maroc… “Quinze ans après le drame, j’ai le sentiment d’avoir rassemblé assez de pièces de ce sinistre puzzle pour donner enfin à voir comment et pourquoi, entre mars et avril 1996, le destin des sept moines trappistes a basculé”, avance-t-il. Rivoire rappelle combien les moines étaient appréciés des islamistes eux-mêmes, notamment pour leur aide médicale. La bienveillance

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au poste

cumul de mandats

Magnéto Presse

Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt et squattent le poste jusqu’au soir.

les zones d’ombre flottent aujourd’hui encore dans ce dossier complexe de frère Luc et de frère Christian excédait les généraux algériens. D’où la volonté des autorités de ratisser la région avant de les faire enlever. Via un échange téléphonique tendu, ici filmé, le commandant Redha, membre du commando, confirme l’enlèvement. “Oui, on a tué les moines, et on va terminer le boulot en te tuant, toi aussi ! Et puis, je vais te dire une chose : nous, on est des hommes en Algérie, pas des pédés comme vous”, lâche le militaire au complice de Rivoire qui l’appelle. Etape par étape, de révélations en révélations, le journaliste reconstitue l’histoire, tente de démêler le vrai du faux, recoupe ses informations, met à nu les faux semblants qui, depuis le début, ont recouvert d’un voile d’ignorance la vérité de cette histoire. Confronté à une affaire d’Etat, concernant aussi bien le gouvernement algérien que les services secrets français, Rivoire s’interroge au passage sur l’omerta qui règne sur le plus grave massacre de Français survenu en Algérie depuis la guerre d’indépendance. Que penser du silence des nos autorités alors qu’enfin un homme compétent, le juge Marc Trévidic, a pris en main le dossier ? “En refusant de faire la lumière sur l’assassinat des moines, la France contribue à garantir une scandaleuse impunité aux

dirigeants du DRS, qui restent les vrais maîtres de l’Algérie en 2011, soumettant toujours leur population aux effets dramatiques de leur politique de rapine et de violences”, écrit Rivoire. Aucun des acteurs clés du drame de Tibhirine n’a en effet été inquiété par la justice : le général Mohammed Médiène, dit Toufik, chef du DRS, ne s’est par exemple jamais expliqué. Si le crime de Tibhirine attend encore son verdict, cette enquête en fournit des indices décisifs, fruits de la ténacité de Jean-Baptiste Rivoire. Depuis une quinzaine d’années, il a traversé beaucoup d’épreuves, dont une “campagne de calomnie” suite au suicide d’un confrère, Didier Contant, travaillant aussi sur l’Algérie. La cour d’appel de Paris l’a finalement innocenté en juin dernier : Rivoire est carré. Aujourd’hui encore, il prend toutes les précautions pour parler, n’utilise pas son portable, menace des services secrets oblige. Le jour de notre conversation sur son travail, il venait d’apprendre, choqué, la mort par torture d’un ancien officier franco-algérien, arrêté en août près de Blida. La mort toujours. Le mystère des frères le poursuit : il attend l’intervention de la justice pour se libérer totalement de leurs spectres. Jean-Marie Durand Le Crime de Tibhirine Enquête de Jean-Baptiste Rivoire, lundi 19 septembre, 22 h 35, Canal+ Des hommes et des dieux Film de Xavier Beauvoix, sur Canal+, le mercredi 21 septembre En livre, le 22 septembre : Le Crime de Tibhirine, révélations sur les responsables (La Découverte), 256 pages, 2 0 €

Journalistes en vue, ils parlent à la radio le matin, ils montrent leur visage à la télé le midi, en fin de journée, le soir, la nuit, ils commentent l’actualité à tout va, ils saturent tous les plateaux télé entre 19 h et minuit, ils touchent aussi bien (du moins le pensent-ils) à la politique qu’aux arts vivants, à la vie internationale qu’aux affaires culturelles, ils dirigent des journaux, quotidiens, hebdos, ils écrivent des éditoriaux, ils les récitent en se faisant filmer sur le site de leur journal, ils sortent des livres tous les ans, ils tweetent toutes les quinze minutes, ils ont déjà lâché Facebook, sauf pour faire leur autopromo, ils animent des rencontres publiques, ils connaissent tout le monde, ils sont toujours en forme, jamais fatigués, comme si le virus de l’actu leur servait d’amphétamines… Leur santé nous épuise, leur énergie est notre purge, leur don d’ubiquité nourrit nos tourments. Mais comment font-ils ? Leur omniprésence médiatique surgit-elle de leur force surnaturelle ? Ou leur force surnaturelle surgit-elle de leur omniprésence médiatique ? Dès qu’on leur pose la question, les mêmes réponses fusent : l’actu, c’est ma drogue, je dors quatre heures, je travaille vite, tellement vite que j’ai même le temps de jouer au tennis, de faire du théâtre, de jouer avec mes enfants, de lire des romans, voire d’en recopier… Leurs heures ne sont jamais perdues. Trop forts, les gars. On en connaît qui animent des matinales à la radio à 5 h ou 7 h du matin, qui se retrouvent à 19 h dans le poste de télé. La logique cumulative a gagné l’élite journalistique : comme en politique, elle n’a que faire du cumul des mandats, puisque c’est la règle vicieuse que lui impose un système médiatique où la parole ne vaut que lorsqu’elle se répète.

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Virginie Vincienne

à l’écoute de la BD En regroupant les portraits radiophoniques de dessinateurs, Christian Rosset, “auteur-compositeur radio”, donne littéralement à entendre la bande dessinée. Le premier livre-disque édité par L’Association.

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our Thomas Baumgartner, producteur à France Culture, la radio et la bande dessinée sont des modes d’expression partiels qui exigent un “comblement” par leur public. L’une fournit la voix et le son, l’autre les visages, les décors, l’espace. Mais les associer pour créer une forme pleine s’est toujours avéré très ardu, comme si leurs natures allusives ne pouvaient se mêler sans perdre de leur force d’expression : la radio peine à (se) représenter la BD, art parfois insaisissable de l’image miniature et démultipliée, aux styles difficilement descriptibles. Un homme de l’onde, pourtant, s’obstine à voir la bande dessinée non comme un thème journalistique mineur mais comme une nappe phréatique susceptible d’irriguer la pensée critique ou l’émotion esthétique. Christian Rosset est un sourcier, un des derniers. Au long des ses productions antérieures sur Culture (l’Atelier de création radiophonique, Surpris par la nuit), il n’a jamais cherché d’équivalent sonore à la BD, jamais voulu la plagier ni l’imiter. Mais, pour en exfiltrer le geste créatif , il s’est évertué à en sonder les soubassements jusque dans la psyché des auteurs qu’il

interroge. Conduite patiente qu’il a encore affinée pendant les deux saisons des Passagers de la nuit – la quotidienne d’effervescence sonore de Thomas Baumgartner, sèchement supprimée depuis cet été. Edité non par Radio France, mais par l’Association – signe de reconnaissance du monde de la BD –, un livre-objet signé Christian Rosset vient aujourd’hui sceller l’aventure. Avis d’orage dans la nuit se lit comme une oasis de réflexion dans une rentrée fiévreuse et angoissée. La première partie de cet ouvrage hybride livre une “e-correspondance” avec Thomas Baumgartner, un échange en miroir révélant l’envers de l’émission. Subtil mais parfois trop précieux. La seconde relate le parcours d’un auteur-compositeur radio fidèle à France Culture depuis 1975 mais doté d’une indépendance d’esprit et d’un non-

“Il fouine comme un neurochirurgien mais c’est pour nourrir son propre cabinet de curiosités mental” J.-C. Menu

conformisme salvateurs. Petit précis d’esthétique pour une radio élaborée, cette audiobiographie témoigne d’un artisanat “non négociable, à prendre ou à laisser” et de la volonté de fer de lutter contre l’insignifiance. Une quête dont le bonus du livre constitue l’aboutissement. Dans un CD MP3, Rosset a réuni en 6 heures 40 les vingt-six entretiens-portraits réalisés pour les Passagers de la nuit. Occasion rare d’entendre David B., Jochen Gerner, Fred ou Killoffer, très lus mais peu visibles dans le paysage médiatique. Mieux qu’un interviewer, Christian Rosset apparaît comme un éveilleur en osmose, permettant à la pensée de se ressourcer, de rebondir ou de se ramifier dans d’inattendues voies de traverse. C’est J.-C. Menu qui le résume : “Il fouine comme un neurochirurgien mais c’est pour nourrir son propre cabinet de curiosités mental. Donc évidemment on se fait couillonner. On se retrouve à foutre sur la table ce qu’on n’avait pas du tout prévu de déballer.” Mieux qu’une dédicace. Pascal Mouneyres Avis d’orage dans la nuit L’Association, 124 pages avec CD, 18 € Emission spéciale dans Les Ateliers de la nuit, mardi 20 septembre, 23 h, France Culture

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offres abonnés 14.09.2011

avantages exclusifs

RÉSERVÉS AUX ABONNÉS DES INROCKS pour bénéficier chaque semaine d’invitations et de nombreux cadeaux, abonnez-vous ! (voir page 42, ou sur http://boutique.lesinrocks.com)

festival Marsatac du 29 septembre au 1er octobre à la Friche la Belle de Mai (Marseille)

rencontre avec Jonathan Franzen

musiques C’est désormais une tradition, à la fin du mois de septembre, des artistes de toutes origines débarquent à Marseille pour célébrer les cultures électroniques au sens large. Au programme cette année : The Dø, Yuksek, Friendly Fires, Chinese Man, Death In Vegas, The Shoes, etc. A gagner : 2 invitations pour 2 personnes le jeudi 29, et 5 invitations pour 2 personnes les vendredi 30 et samedi 1er

le 19 septembre à l’OdéonThéâtre de l’Europe (Paris VIe)

livres A l’occasion de la sortie de son nouveau roman Freedom, l’Odéon-Théâtre de l’Europe et Les Inrockuptibles proposent une rencontre avec Jonathan Franzen. Cette deuxième épopée familiale est déjà auréolée d’un immense succès aux Etats-Unis. A gagner : 20 invitations

Inrocks Indie Club

Roméo et Juliette

le 23 septembre à la Flèche d’Or (Paris XXe)

du 21 septembre au 29 octobre à l’Odéon-Théâtre de l’Europe (Paris VIe)

musiques

La nouvelle édition des Inrocks Indie Club accueillera le groupe Figurines que le public a déjà pu découvrir lors des premières parties de Cold War Kids et Kaiser Chiefs. Seront également présents Boogers, Pinkunoizu et Eldia. A gagner : 10 invitations pour 2 personnes

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scènes

La célèbre pièce de Shakespeare mise en scène par Olivier Py. Celui-ci a fait le pari de la concentration, de la simplicité et de la jeunesse, en confiant le couple des amants à Matthieu Dessertine et à Camille Cobbi. A gagner : 15 invitations pour 2 personnes le mercredi 28 septembre à 20 h

NOUVEAU

rétrospective Nanni Moretti du 5 au 25 septembre à la Cinémathèque française (Paris XIIe)

cinéma A l’occasion de la sortie de son nouveau film Habemus papam, la Cinémathèque française propose une rétrospective intégrale de la filmographie de Nanni Moretti. Cet événement rend hommage au principal héritier de la comédie italienne, observateur sarcastique de la réalité de son pays.  A gagner : 20 invitations pour 2 personnes

pour profiter de ces cadeaux spécial abonnés munissez-vous de votre numéro d’abonné et participez sur 

www.lesinrocks.com/ special/club fin des participations le 18 septembre

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Thomas Balay/Orange cinéma series

“le personnage le plus cool de la télévision” Graham Yost, créateur de Justified, s’amuse beaucoup avec sa série western. Rencontre avec un scénariste épanoui.

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ustified est un intéressant western contemporain à base de flingues, de Kentucky et de camions boueux. A l’occasion de la diffusion française de la deuxième saison, son créateur, Graham Yost, était de passage au Festival du cinéma américain de Deauville. L’occasion de parler Speed, western, et Steven Spielberg. Mes débuts de scénariste “Au début des années 90, je traînais mes guêtres comme scénariste de sitcom, notamment un truc avec les sœurs Olsen, La Fête à la maison, dont je suis parti avant qu’on me vire. Puis j’ai réussi à vendre le scénario de Speed (1994). Je ne suis revenu sur le petit écran que pour De la Terre à la Lune, la minisérie avec Tom Hanks. Aujourd’hui, je m’épanouis à la télé, même si c’est une époque difficile car il y a trop de bonnes séries ! Se démarquer est devenu dur. J’avais essayé avec la première série que j’ai créée, Boomtown, en 2002. J’ai toujours le cœur brisé par son annulation. On a tourné une saison de dix-huit épisodes, la chaîne nous a arrêtés après six épisodes de la deuxième saison. Cruauté du système ! “ Ma méthode de showrunner “Justified se porte très bien et ce luxe permet de voir venir avec sérénité. Avec mes scénaristes, nous commençons par imaginer la saison en entier, les orientations des personnages, les thèmes.

Ensuite on évoque ces idées avec la chaîne, et l’écriture concrète commence. Les scénaristes individuels qui signent les épisodes en sont aussi les producteurs. Ils vont sur le plateau, travaillent de très près avec le réalisateur, parlent avec les comédiens. Mais pour moi, en tant que showrunner, ce serait une perte de temps que d’aller sur le plateau. Je ne suis pas un dictateur.” Elmore Leonard, ce héros “Sur Boomtown, j’avais envie que tout soit à mon image car la série était mon bébé. Avec Justified, j’essaie de servir et d’honorer Elmore Leonard, dont les nouvelles ont inspiré la série. J’admire son travail depuis vingt-cinq ans. J’essaie de rendre le plus vivant possible ce monde bizarre, drôle et jamais précieux, qu’il a créé. On travaille tous pour être à sa hauteur. Il n’est pas vraiment impliqué dans la fabrication. Il a 85 ans. Il touche ses chèques et il regarde la série. Savoir qu’il l’aime est ma meilleure récompense.” Western, mon amour “Mes préférés sont les westerns tardifs. The Big Country de William Wyler (1958),

“en tant que showrunner, ce serait une perte de temps d’aller sur le plateau. Je ne suis pas un dictateur”

La Horde sauvage de Sam Peckinpah (1969) et Impitoyable de Clint Eastwood (1992). J’aime les réinventions du genre. Cela dit, j’adore My Darling Clementine (1946) de John Ford. Timothy Olyphant, l’acteur principal de Justified, a un côté Henry Fonda, même si tout le monde évoque Eastwood. Clint, pourtant, vous maintient à distance. Les yeux bleus de Fonda impressionnaient, mais son humanité vous ramenait à lui. Je crois que Timothy Olyphant possède cela. Avec de l’humour. La façon dont il interprète Raylan Givens me plaît. Je savais qu’on pourrait avoir le personnage le plus cool de la télévision. Un U. S. Marshall direct et classe, drôle et sans vergogne.” Mon ami Spielberg “J’ai participé à la saison 1 de Falling Skies, produite par Steven Spielberg. Je ne serai pas sur la saison 2 car j’ai envie de voir ma famille ! Je connais Spielberg depuis pas mal d’années (Band of Brothers, Boomtown) et il m’impressionne. Je me rappelle d’une longue téléconférence avant le début de Falling Skies. Il proposait quelques idées de mise en scène. C’était comme une masterclass privée. Il ne nous imposait rien et avançait par périphrases, mais je peux vous dire qu’il avait souvent raison !” Recueilli par Olivier Joyard Justified, saison 2. A partir du 18 septembre à 20 h 40 sur Orange Cinéchoc.

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brèves Tony Soprano de retour… On n’avait plus revu le massif James Gandolfini à la télé depuis la fin des Soprano en 2007. Son absence ne durera pas éternellement. Il vient de signer avec HBO pour développer une nouvelle série dont il devrait être à la fois le producteur et l’acteur principal. Big Dead Place est une comédie dramatique située en Antarctique. A l’écriture, un pilier de Breaking Bad, Peter Gould.

… Ab Fab aussi Jennifer Saunders et Joanna Lumley ont décidé que le monde avait besoin d’elles. Les héroïnes camp d’Absolutely Fabulous vont reprendre leurs rôles mythiques pour trois épisodes. La diffusion est prévue en 2012 pour célébrer les vingt ans du programme sur la BBC. Vingt ans !

Dernière chance pour Friday Night Lights ?

focus

Emmy Awards : à qui le tour ?

Les oscars de la télé ont lieu dimanche à Hollywood et pourraient amorcer la fin de règne de Mad Men. Engrenages en tournage epuis 2008, la célèbre phrase de La meilleure série française Gary Lineker sur le foot (“Et à la fin, aura mis deux ans à revenir ce sont les Allemands qui gagnent”) à l’antenne après sa saison 3. s’appliquait aux Emmy Awards, les Le tournage de la quatrième oscars de la télé. A la fin, Mad Men repartait a commencé le 22 août avec la statuette de la meilleure série en région parisienne et se dramatique. Mais cette année, la cérémonie, poursuivra jusqu’en avril 2012. présentée par Jane “Sue Sylvester” Lynch, L’intrigue se situe dans les pourrait valider le buzz légèrement négatif milieux de la gauche radicale autour de la création de Matthew Weiner, et tous les membres du casting défaite par Boardwalk Empire aux Golden original seront présents, Globes en janvier. Surtout, le réveil de HBO de Caroline Proust à Philippe Duclos, en passant par Audrey pourrait être validé, avec la nouvelle venue Fleurot et Grégory Fitoussi. Game of Thrones, série d’heroic fantasy ambitieuse, et favorite. L’absence de deux des plus fortes propositions esthétiques du moment, Breaking Bad et Treme (comme The Wire en son temps) rend l’affaire encore plus claire. Côté comédie, on notera l’oubli de Shameless (Canal+, le 15 à 22 h 25) Version l’inventive Community. US plutôt réussie d’une série anglaise C’est pourtant moins le changement malpolie sur une famille déjantée au d’ère qui nous intéresse que les derniers patriarche irrécupérable (William H. Macy, feux de l’aventure Friday Night Lights. Ignoré un peu cabotin quand même). Une des durant ses quatre premières saisons, cet bonnes surprises de l’année. hymne sentimental et sensuel au Texas (et au football américain comme métaphore du Platane (Canal+, le 19 à 20 h 55) Une monde) a été rattrapé pour son dernier tour comédie française drôle et inventive, de piste. “C’est comme dans la série, a ça n’arrive pas souvent. On lui commenté le showrunner Jason Katims, pardonne ses petits claudiquements et on applaudit cet autoportrait d’Eric l’équipe marque dans les dernières secondes.” Judor jusqu’au bout. Si la montagne semble raide pour dépasser Game of Thrones et consorts côté meilleure série dramatique, Kyle Chandler et Connie The Killing (Arte, le 20 à 22 h 30) Britton, les acteurs principaux, ont une Ce thriller politique/existentiel danois chance de repartir heureux. Good luck, y’all, a été adapté aux Etats-Unis avec comme on dit dans la série. O. J. succès. L’original vaut le détour,

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agenda télé

comme le prouve la captivante saison 2. Note à la télé française : on peut assurer avec peu d’argent.

Emmy Awards , en direct sur Série Club, dans la nuit du 18 au 19 septembre à partir de minuit. 14.09.2011 les inrockuptibles 139

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A Prime Group

émissions du 14 au 20 septembre

Mathieu PotteBonneville Philosophie. Dimanche 18 septembre, 13 h 30, Arte

l’Amérique imaginaire

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rocédant selon le principe du “found footage”, à partir de films d’archives anonymes allant de 1906 à la fin des années 60, Arnaud des Pallières explore l’Amérique. C’est le deuxième documentaire, après Disneyland mon pays natal, qu’il consacre à ce continent, où il n’a jamais mis les pieds. Après les triomphales images de lancement de fusée du début et le premier des cartons émaillant cet ébouriffant patchwork (“L’Amérique est le plus grand pays de l’histoire du monde. Pourquoi ? A cause de la libre entreprise”), on constate que pour des Pallières, ce pays est une curiosité, voire une anomalie. Trois thèmes dominent, liés aux conquêtes des Occidentaux : le sort des Indiens, maltraités par les envahisseurs depuis les origines ; l’emprise sur la nature, avec le défrichage systématique des forêts ; l’expansion dans le cosmos, nouvelle frontière américaine après 1950. Curieusement, il y a un grand manque, un grand vide dans ce parcours poétique et ludique : la ville, qui est en général la première chose que voit un voyageur arrivant en Amérique. Ici, à part quelques plans de femmes déambulant sur un trottoir de Los Angeles, la mégalopolis américaine grouillante est ignorée au profit de la maison individuelle. Choix intéressant, traduisant sans doute la subjectivité du cinéaste pour qui la famille est, en Amérique, l’entité dominante, en opposition avec la nature. Au-delà de la beauté et de la diversité de ces images d’amateurs de toutes époques, ce film réinvente brillamment une civilisation à partir de quelques bribes, condensant en une heure trente un processus de plus de cinq cents ans. Vincent Ostria

Poussières d’Amérique Documentaire d’Arnaud des Pallières. Mercredi 14 septembre, 0 h 00, Arte

Dans la tête d’Al Qaida Documentaire de Paul Jenkins et Georges Malbrunot. Jeudi 15 septembre, 22 h 35 France 2

L’ex-garde du corps repenti de Ben Laden déballe tout sur Al-Qaeda Ce documentaire tourne autour du témoignage de Nasser Al-Bahri, alias “Abu Jandal” (“le Tueur”), principal garde du corps de Ben Laden (jusqu’en 2000). Arrêté au Yémen et retourné par les services secrets américains, Al-Bahri les informa sur Al-Qaeda avant et après le 11 Septembre. Toujours vivant, coulant des jours tranquilles au Yémen, il parle librement devant une caméra occidentale, tantôt encensant Ben Laden, tantôt très critique sur les attentats. Intéressant, instructif, mais bizarre. V. O.

Audiovisuel Multimedia INT Prod

Arnaud des Pallières cultive son ironie poétique par un montage d’images.

Raphaël Enthoven reçoit un jeune philosophe qui monte. Spécialiste de l’œuvre de Michel Foucault, président de l’assemblée collégiale du Collège international de philosophie, cofondateur de la revue Vacarme, Mathieu Potte-Bonneville se prête au jeu déambulatoire de l’émission Philosophie pour interroger la notion de différence. Qu’est-ce qu’un autre ? Une errance réflexive par l’un des tout meilleurs jeunes philosophes français, que l’on pourra retrouver dans un coffret de six DVD de cette passionnante émission dès le 21 septembre. JMD

L’Archipel du cas ’O Cinéma de notre temps. Documentaire de Sébastien Juy. Dimanche 18 septembre, 23 h 15, Ciné Cinéma Classic

La vie et l’œuvre du cinéaste et dramaturge d’avant-garde Marc’O. Curieux à quel point Marc Gilbert Guillaumin, alias Marc’O, a pu nous échapper. Curieux également qu’André S. Labarthe consacre un numéro de sa collection Cinéma de notre temps à un cinéaste aussi peu prolixe, qui a surtout œuvré au théâtre. Mais son film mythique, Les Idoles (tiré d’une pièce), synthétise presque tout l’underground français des années 60. En sont sortis Pierre Clémenti, Jean-Pierre Kalfon et Bulle Ogier, pop stars de l’époque. Seul ou avec Labarthe, Marc’O promène son regard d’octogénaire amusé sur la vie, scrutant le passé et l’avant-garde d’antan, en particulier le lettrisme, dont il fut un pilier. V. O.

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Marie-Laurence Harot

Roth, toujours debout

A l’école du rugby Série documentaire en quatre épisodes de Bruno Sevaistre. Mercredi 14 septembre, 20 h 35, France 4

Pascal Mouneyres

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n “pauvre vieux type qui va bientôt mourir et dont tout le monde se fout” : il y a dans la magnifique confession de Philip Roth à William Karel et Livia Manera une part de lucidité maladive, mais diluée dans une énergie vitale. Il rit pleinement, comme si la perspective de la mort, sujet de son dernier roman, Le Rabaissement, l’obligeait à cette désinvolture. “La vieillesse est un massacre”,

insiste-t-il, rappelant que l’écriture lui permet de tenir la dépression à distance. Filmé dans son appartement new-yorkais et dans sa maison du Connecticut, perdue dans les arbres, l’écrivain se prête à l’exercice du retour sur soi. Ses souvenirs défilent : ses débuts en littérature, les malentendus sur son identité juive ou sur sa supposée sexualité compulsive, le succès gigantesque, en 1969, de

François Reumont

Tout tourne rond pour les futurs champions du ballon ovale. Un peu trop ? Les clichés foulés aux crampons : le rugby est ici montré comme un monde apaisant, avec des joueurs doux comme des nouveau-nés et des éducateurs sensibles et fins psychologues. En suivant le quotidien de la filière formation de la Fédération française, Bruno Sevaistre réussit un contre-pied aux images attendues. “L’école de la rudesse”, “le jeu de combat” ne génère pas de séquenceschocs, mais tout y est vécu dans la mesure et l’acceptation des règles. Reflet de la réalité ou vision édulcorée, le rugby s’affirme ici comme un sport de contacts, mais de contacts humains, bien plus mature que le football.

A 78 ans, l’écrivain adulé affronte le passé et l’avenir avec élégance et lucidité. Portnoy et son complexe, l’invention des personnages de Nathan Zuckerman et Kepesh, la psychanalyse… Roth décrit aussi ses dispositifs d’écriture – toujours debout – et les règles d’organisation de ses récits. Plutôt qu’un rabaissement, cette confession est un ravissement. JMD Philip Roth, sans complexe Documentaire de William Karel et Livia Manera. Lundi 19 septembre, 2 2 h 05, A rte

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“on n’est pas obligé d’être mère Teresa pour changer le monde” Christian Vanizette.

bon sense

Lancé par deux jeunes Français dynamiques, Makesense.org propose de mettre en relation bénévoles et entreprises sociales. Et démontre toute l’utilité des réseaux sociaux.

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i certains doutent encore de l’utilité des réseaux sociaux, MakeSense pourrait bien les faire changer d’avis. Ce projet, créé par deux anciens étudiants à l’Ecole de commerce marseillaise Euromed, Christian Vanizette et Romain Raguin, utilise toutes les possibilités du web 2.0 pour développer le bénévolat auprès d’entreprises sociales. Selon la définition de Muhammad Yunus, le père du microcrédit, une entreprise sociale est une société qui agit pour une cause sociale et/ou environnementale, à laquelle elle consacre la totalité de ses bénéfices. Pour fonctionner, elles ont besoin d’argent mais aussi de bénévoles qui apportent expérience et compétences. MakeSense propose précisément “de mettre en relation tous ces entrepreneurs sociaux aux quatre coins de la planète avec des individus qui peuvent les aider en leur donnant du temps ou des technologies”, explique Christian Vanizette.

Pour pouvoir mettre en place le projet, il fallait donc commencer par trouver des entrepreneurs sociaux ayant besoin d’aide. Christian Vanizette et Romain Raguin sont partis sac au dos il y a un peu plus d’un an pour rencontrer une centaine d’entre eux en Asie. Aujourd’hui, 170 membres de la communauté – les “gangsters” –, répartis dans le monde entier, du Danemark au Mexique, sont également habilités à recommander des projets, et trois équipes de gangsters globe-trotters sillonnent la planète pour en dénicher d’autres. Quelque 200 entrepreneurs sociaux ont ainsi déjà été repérés. Le site Makesense.org est le point de ralliement pour ces entrepreneurs, qui peuvent aussi se signaler spontanément, et les bénévoles, qui viennent proposer leur savoir-faire. Pas question cependant d’en faire un lieu rébarbatif et c’est avec un vocabulaire ludique que l’équipe, optimiste et dynamique, y communique. “On n’est pas obligé d’être mère Teresa pour changer le monde”, sourit Christian Vanizette. Chaque bénévole, ou “sensemaker”, doit donc enregistrer sur le site une cause qui lui tient à cœur, un “superpouvoir” (ses compétences), et sa disponibilité en tant que “superhéros” (soir, journée, week-end…). “En fonction de ces critères, on leur propose des défis qu’ils peuvent résoudre, qui touchent les domaines qu’ils ont choisis, et qui nécessitent la compétence indiquée”, explique Christian Vanizette. Les mises en relation entre entrepreneurs sociaux et les sensemakers se font ensuite via Facebook. C’est avec une utilisation intensive des sites communautaires que fonctionne MakeSense et que tout ce petit monde se coordonne, et finit par se retrouver concrètement (un “hold up” dans la terminologie de MakeSense) pour travailler ensemble ou simplement héberger un membre en mission. “On utilise beaucoup Facebook, Twitter, Foursquare – ce qui explique la moyenne d’âge très jeune des gangsters et des sensemakers –, sachant que ce ne sont que des moyens pour se retrouver dans la réalité. On n’aurait jamais pu faire ça sans Facebook et ses fantastiques possibilités pour relier les gens. En Chine, MakeSense vient de commencer, avec des comptes sur Weibo et Renren, les Facebook et Twitter locaux.” Le web 2.0 fournit encore d’autres outils, comme les sites Paper.li et Scoop.it, qui permettent la réalisation en ligne de revues de presse sur le social business, à l’intention de la communauté. Un jeune entrepreneur de Lettonie, Fionn Dobbin, a déjà bénéficié de l’aide de MakeSense. Via son entreprise Mammu, il fait fabriquer des écharpes par des mères d’enfants en bas âge sans travail, à qui il reverse 60 % des revenus. Un de ses buts était de lancer la marque à Paris. A l’issue d’un “hold up” parisien, une séance photo a été organisée dans la capitale pour le faire connaître. “Une étudiante lui a proposé de faire tout son business plan sur Paris, dans le cadre de ses cours à l’école. Elle a résolu le défi”, se réjouit Christian Vanizette. Anne-Claire Norot

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in situ les hackers se classent Un classement de hackers, il fallait y penser. Le site Rank My Hack l’a créé. En fournissant des preuves de ses piratages, n’importe quel hacker peut faire partie du palmarès. Il existe même un système de bonus, si le pirate réussit à détourner des sites racistes, gouvernementaux ou militaires. rankmyhack.com

l’origine des images Tinyeye est un moteur de recherche dédié à l’image. Il suffit de télécharger une image ou de fournir son adresse pour que le moteur cherche d’où elle vient, sur quels sites elle existe et informe l’internaute sur sa résolution. Pratique pour effectuer une recherche ou trouver l’image de la meilleure qualité possible. www.tineye.com

Nokia remix Pour moderniser sa célèbre sonnerie, immuable depuis 1994, Nokia invite les internautes à créer des sonneries inspirées de l’original. Ce concours permettra au lauréat de gagner 10 000 dollars. Et, privilège absolu, d’avoir une œuvre écoutée par les millions de personnes qui acquerront un Nokia en 2012… http://nokiatune.audiodraft.com

vu d’Europe “Regarder ailleurs. Mieux comprendre ici.” Son slogan résume l’état d’esprit de ce site d’information sur l’actualité européenne. Myeurop.info propose un regard décalé sur l’Europe. Basé à Paris, le site s’appuie sur un réseau de correspondants pour publier des sujets de société, politiques, ou économiques. Quant aux “eurofocus”, ils comparent la situation de plusieurs pays européens par rapport à un thème d’actualité (les retraites, la pauvreté, etc.). fr.myeurop.info

la revue du web The Guardian

Le Progrès

BBC

histoire de genres (musicaux)

La Duchère, un quartier, douze portraits

six mois en Libye

D’où vient notre besoin de caractériser une musique, un morceau qu’on écoute ? Seule la musique commerciale a besoin d’être identifiée, pensent certains. Pourtant, de nombreux artistes ont donné naissance à des genres bien connus aujourd’hui. L’afrobeat ou le free jazz ont été inventés par Fela Kuti et Ornette Coleman. Si la radio a popularisé le mot “rock’n’roll”, c’est bien souvent une anecdote, une manière de parler, qui façonne des genres musicaux, tels le trip-hop, le rocksteady, la jungle, le heavymetal, etc. bit.ly/nlC5p3

Le collectif The Womps s’est immergé pendant deux ans dans le quartier populaire de La Duchère, à Lyon. Il a réalisé douze portraits d’habitants sous forme de diaporamas sonores. Les immeubles de ce quartier sont nés dans les années 1960 pour faire face à la crise du logement. Aujourd’hui, on détruit, on reloge, on s’installe ou on se réinstalle. Mais chacun a au moins une bonne raison de rester. Ou comment vivre dans un quartier en pleine mutation. http://bit.ly/ot24GS

Le journaliste de la BBC Paul Danahar suit la révolution libyenne depuis ses prémices. Il a interrogé des rebelles, des soldats pro-régime et même Kadhafi en personne. En quelques clichés commentés, il nous propose sa vision des événements. Il ne s’agit pas d’un récit au long cours, mais des faits qui l’ont marqué et qu’il estime représentatifs de l’évolution du conflit et de l’état d’esprit des Libyens. http://bbc.in/qUiHjW

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l’aspartame sous pression La taxe sur les boissons sucrées, qui doit rapporter 120 millions d’euros à l’Etat, peut-elle nuire à la santé ?

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st-ce que, oui ou non, l’aspartame pose des difficultés ?” C’est la question (bit.ly/p2ew0v) que pose Xavier Bertrand, ministre de la Santé, à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses, anses.fr). Tout a commencé avec la nouvelle taxe “obésité” (bit.ly/pNVViw) sur les boissons sucrées. Le député PS Gérard Bapt, qui a déjà obtenu l’interdiction des biberons au bisphénol A en Europe, s’inquiète (bit.ly/ nhACMJ) du risque d’une ruée vers les boissons allégées, épargnées par la nouvelle taxe, et donc d’une surconsommation d’aspartame. En attendant les conclusions de l’Anses fin 2011, le doute reste entier : les boissons light sont-elles dangereuses ? Plusieurs études tendent à montrer que oui (bit.ly/ n3JMk2) : l’aspartame pourrait être, entre

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vu du net

autres, cancérigène et responsable d’accouchements prématurés. Certains crient même à un nouveau scandale type Mediator (bit.ly/nrwhSP). Le hic, c’est que cet édulcorant, qui a pour nom de code E951 sur nos étiquettes, est aussi là où on ne l’attend pas, dans plus de 6 000 produits (bit.ly/q15Mu6) : chewing-gums, yaourts, médicaments, et même certaines bières ! La mise sur le marché de l’aspartame aux USA en 1982 ne s’est pas faite sans pratiques douteuses (bit.ly/nMLclc), selon les films L’Aspartame, un doux parfum de poison (bit.ly/ pzoCMs) et Notre poison quotidien (bit.ly/ heRaWc). En France, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa, bit.ly/ reF5cT) aurait simplement suivi l’avis des instances américaines, sans nouvelles études, ce que dénonce l’eurodéputée Corinne Lepage (bit.ly/j0F8nk).

De plus le Corporate Europe Observatory (CEO) a découvert que des experts de l’Efsa ont “omis de déclarer qu’ils collaboraient activement avec l’industrie alimentaire”, dont Coca-Cola (bit.ly/nMFrFu) ! Malgré la volonté des marques et des lobbies (bit.ly/pxL2DT, bit.ly/rgaQaN) de nous faire avaler l’utilité de l’aspartame, à coups de calculateurs de calories (aspartame.org), son efficacité n’a pas été démontrée (bit.ly/nmlVuN). Les médecins s’inquiètent (bit.ly/mxky8N) et le grand public aussi (bit.ly/pCRJjl). Reste à dépister l’aspartame sur les étiquettes, à adopter son concurrent naturel, la stévia (bit.ly/njq8kb), ou à se servir un petit coup de rhum ou de vin sans culpabiliser, puisque ces deux-là, au moins, sont à la fois exempts de taxe obésité et d’aspartame. Béatrice Catanese

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livre 1984 de George Orwell, L’Ecume des jours de Boris Vian Lectures d’adolescence dont j’ai l’impression de ne m’être toujours pas remis.

Habemus papam de Nanni Moretti D’abord très plaisant, pour finalement s’affirmer cinglant, le périple d’un pape en proie au doute.

Miossec Chansons ordinaires Un album rock, fameux et dangereux.

Providence de Juan Francisco Ferré Un cinéaste raté part tenter sa chance en Amérique. Un campus novel trash et onirique.

Drukqs d’Aphex Twin Je me suis fait pas mal de courbatures au cou en dansant sur cet album. Un modèle de perfection tant dans les compositions électroniques que dans les pièces pour piano. Je voulais devenir Aphex Twin quand j’avais 19 ans, mais ne connaissant personne qui faisait de la musique électronique à Saintes, j’essayais de faire des beats similaires avec une machine á écrire !

film Stalker d’Andrei Tarkovski Comme les protagonistes du film, j’ai l’impression de suivre une quête dont la logique m’échappe et se module à mesure que j’avance. J’ai un rêve récurrent, dans lequel je dois échapper à un danger invisible en zone de guerre, qui ressemble scène par scène à ce film. recueilli par Johanna Seban

Sexe entre amis de Will Gluck Une comédie romantique qui joue habilement sur les attentes du genre, portée par un duo de comédiens drôle et sexy.

La guerre est déclarée de Valérie Donzelli Un couple, un enfant, la maladie : bouleversant et gracieux.

Frànçois & The Atlas Mountains Le groupe français, mené par François Marry (photo), publiera son deuxième album E Volo Love, le 3 octobre. En concert au Festival Les Inrocks Black XS le 6 novembre, à Paris (Boule Noire).

The Rapture In the Grace of Your Love De la dance hédoniste et sombre. Des titres, jaillis des décombres, plus brillants que jamais. Limonov d’Emmanuel Carrère Portrait d’un écrivain culte, voyou, glauque. Trépidant.

Les Meilleurs Ennemis de Jean Pierre Filiu et David B. Les relations des Etats-Unis et du Moyen-Orient depuis 1783.

Tinariwen Tassili L’inventeur du rock du désert revient avec un disque lumineux qui crée des oasis dans la vie.

Le Ravissement de Britney Spears de Jean Rolin L’histoire cocasse d’un agent secret envoyé à L. A. pour sauver Britney d’un complot. Noir et drôle. Blake Edwards – rétrospective Cinémathèque française Burlesque pop et analyse pénétrante des déboires conjugaux.

Tom Cops

disque

En mer de Drew Weing Hommage à la poésie et à la mer. Limpide.

Beirut The Rip Tide Un road-trip phénoménal sans bouger du hamac. Radieux et apaisé.

Intrégale Huillet et Straub, vol. 6 Saisissante plongée dans le cœur de l’art. Prime Cut de Michael Ritchie. Un polar seventies stylisé et brutal. RoGoPaG de Rosselini, Godard, Pasolini et Gregoretti. Film à sketches sixties étonnant.

Le Système Victoria d’Eric Reinhardt Anti-conte de fées ample et tragique qui mêle sexe, jeux de pouvoir et onirisme.

L’Inscription de Chantal Montellier Roman graphique militant porté par un trait sublime.

Brume de Dieu de Tarjei Vesaas, mise en scène Claude Régy Ménagerie de verre, Festival d’automne à Paris Laurent Cazanave interprète avec une intensité fascinante des pages des Oiseaux. Eblouissant.

Médée opéra de Luigi Cherubini, mise en scène Krzysztof Warlikowski, direction musicale, Christophe Rousset La Monnaie de Bruxelles Une reprise qui transpose le drame de Médée à notre époque.

Oncle Gourdin mise en scène Sophie Perez et Xavier Boussiron Théâtre du Rond-Point, Paris Jeu de massacre pour lutins irascibles.

Frantz Gertsch Kunsthaus de Zurich Peintre hyperréaliste qui déjoue les frontières entre figuratif et abstrait.

My Winnipeg Maison Rouge, Paris Regards croisés sur une ville canadienne de second plan et son étonnante scène artistique.

Philippe Ramette Crac de Sète Photos truquées et “prothèsessculptures” qui renversent notre rapport au monde.

Xenoblade Chronicles sur Wii Jeu de rôle électrisant qui rafraîchit le genre sans rien sacrifier sur le fond.

Blocks That Matter sur PC, Mac et Xbox 360 Succès indie de l’été qui réconcilie classique et moderne. Malin.

From Dust sur Xbox 360 et PC Coup de maître mystico-écolo d’un vétéran français du jeu vidéo.

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