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No.832 du 9 au 15 novembre 2011

les cathos de l’extrême

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Dati en campagne

Allemagne 3,80€ - Belgique 3,30€ - Canada 5,75 CAD - DOM 4,20€ - Espagne 3,70€ - Grande-Bretagne 4,80 GBP - Grèce 3,70€ - Italie 3,70€ - Liban 9 000 LBP - Luxembourg 3,30€ - Ile Maurice 5,70€ - Portugal 3,70€ - Suède 44 SEK - Suisse 5,50 CHF - TOM 800 CFP

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j’ai rejoint Vichy avec

Rachida Dati

Q  

uand on ne fait rien, c’est facile de rester haut. C’est quoi les idées de Fillon en matière d’éducation ? d’immigration ? de sécurité ?” Dans le train pour Vichy, Rachida Dati crache sa pastille. “Qu’est-ce qu’il va dire en campagne à Paris ? Travailler plus pour gagner plus ? A Paris, ça ne marchera pas...” Le Premier ministre François Fillon a annoncé sa candidature aux législatives dans une circonscription de Paris (la deuxième) qui regroupe une partie du VIIe arrondissement dont Rachida Dati est maire et qu’elle convoite. “Je n’attaque pas le Premier ministre mais les méthodes”, dit-elle. Et si on avait besoin de se faire un avis : “Demandez à Borloo, à MAM, Jégo et Boutin ce qu’ils en pensent.” Le train file. Rachida Dati est attendue à Vichy pour une conférence qui doit s’appuyer sur son livre, Rachida Dati – Fille de M’Barek et de Fatim-Zohra. Ministre de la Justice. Elle a demandé de l’aide à l’écrivain Lionel Duroy pour “structurer” son livre. Celui-ci a rencontré le père de Dati, ses frères et sœurs. Le résultat est trop argumentaire pour en faire de la bonne littérature mais le parcours reste sidérant. Et quand on apprend dès le deuxième chapitre que c’est Anne Lauvergeon qui lui a recommandé son gynécologue, on ne regrette pas ses 19,90 euros. On lui dit qu’on est frappé par le nombre de lettres qu’elle a osé écrire. “Non”, proteste-t-elle, pas tant que ça. “A part à Marceau Long (du Conseil d’Etat), à qui j’ai écrit ?” A Dominique Perben, maire de Chalon-sur-Saône, quand elle était jeune pour demander que ses parents aient la Médaille de la famille. A l’ambassade d’Algérie pour être invitée à une fête où elle rencontrera Albin Chalandon. A Sarkozy en 2002, après son discours sur la sécurité, “mais c’était pas une lettre, c’était une carte”. Et à Sarkozy encore, récemment, pour une demande de rendez-vous qu’il a laissée sans réponse, affirme Paris Match.

“je suis élue, je suis légitime et je serai candidate”

Mais on n’en parle pas pour ne pas gâcher l’ambiance de la voiture 12 du train Corail. Elle en a assez qu’on dise qu’elle est superficielle et qu’elle écrit des petits mots, s’offusque-t-elle, en feuilletant le dernier numéro de Elle. Nous, on a pris Le Nouvel Obs dans lequel Jean-François Copé, à qui l’on demande pourquoi il n’a pas “désavoué Rachida Dati après ses violents propos contre François Fillon”, répond qu’il n’a pas souvenir que François Fillon ait volé à son secours quand il a été attaqué, qu’avec Fillon, “il n’y a jamais de réciprocité” et déplore “la maladresse abyssale dont certains ont fait preuve” à l’égard de Rachida Dati, “une star qu’on le veuille ou non”. Star, elle le sait. Elle en parlera d’ailleurs quelques heures plus tard aux Vichyssois venus l’écouter, expliquant qu’elle n’avait pas sollicité Paris Match pour la couverture qui lui a valu tant de critiques mais qu’on lui court après parce qu’elle fait vendre. Sa présence en une a valu à l’Obs “la meilleure vente en 2007”. Elle cite encore Gala, Le Point, Le Fig mag…, “records de vente”. C’est Nicolas Sarkozy qui l’a convaincue, d’un “T’es faite pour la politique”, de se présenter aux municipales dans le VIIe à Paris. “J’ai été élue avec dix points de plus que mon prédécesseur.” Et à propos des législatives et des circonscriptions parisiennes : “Je suis élue, je suis légitime et je serai candidate.” François, si tu m’entends. Rachida Dati est applaudie. Le public fait la queue avec son livre. Séance dédicace, Dati signe à Vichy. Le train repart vers Paris. Et qui monte à la gare suivante ? Michel Chevalet. Décidément, le Vichy-Paris, c’est le nouveau Saint-Tropez. Le journaliste scientifique vient saluer Rachida Dati, et explique que c’est une “insuffisance de dévers” qui fait que le train roule légèrement penché. Puis s’enquiert de sa bataille politique. Rachida Dati l’imite, hilare. “Alors, la mairie de Paris : comment ça marche ?” Guillemette Faure

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No.832 du 9 au 15 novembre 2011

07 quoi encore ? Rachida Dati courrier ; édito de Bernard Zekri

14 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

30

Emmanuel Pierrot/VU

12 on discute

16 on décrypte Serge July, sens dessus dessous ; l’ère de rien ; le mot

18 événement la nouvelle croisade des catholiques intégristes

20 en images 22 la courbe

43

ça va ça vient ; billet dur

24 nouvelle tête Audrey Ewell

26 ailleurs

Guillaume Binet/M.Y.O.P

le 24e Festival Les Inrocks Black XS

rencontre avec Curtis McCarty, dix-neuf ans dans le couloir de la mort

28 à la loupe Mozart – L’opéra rock au cinéma en 3D ils ont basculé dans la précarité et adopté la débrouille pour s’en sortir

43 le plan de Sarkozy comment il pense pouvoir rebondir

46 Le Foll sort de l’ombre le lieutenant d’Hollande s’affranchit

48 que le meilleur perde les politiques en quête de défaite

50 spermatozoïdes, vos papiers le difficile anonymat des donneurs de sperme aux Etats-Unis

54 58

Nouck Bertin

30 comment survivre à la crise ?

54 California dream l’electro française se plaît bien à Los Angeles. M83 y a composé un épique péplum pop

58 on the road movie again un livre magnifique retrace l’histoire d’un genre toujours en mouvement

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64 les gamers au musée les jeux vidéo auront-ils un jour leur Cinémathèque, leur musée du Louvre ? En attendant, grosse expo à Paris 9.11.2011 les inrockuptibles 9

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

68 Bonsái de Cristián Jiménez

70 sorties Toutes nos envies, Contagion, Michael, Nos ancêtres les Gauloises...

76 dvd Portier de nuit, Senna

78 superhéros de console Spider-Man vs Batman, comparatif

80 Tom Waits + David Lynch leurs nouveaux albums

82 mur du son Stone Roses, Fatboy Slim, festival Nouvelles Voix en Beaujolais

83 chroniques Slow Joe, Battant, Plaid, Spank Rock, Jeffrey Lewis, Apparat, Kim…

90 morceaux choisis Olaf Hund, The Black Keys…

91 concerts + aftershow Pitchfork Music Festival

92 Annie Ernaux un recueil de l’ensemble de son œuvre

94 romans David Plante, Joseph Wambauch, Didier Eribon, Dumitru Tsepeneag…

96 tendance deux visions d’Américains à Paris

98 idées les folies de l’évaluation

100 bd Soldats de sable, American Splendor 3

102 Robert Wilson + Marco Berrettini + Jacques Osinski

104 Pugnaire & Raffini + les palmiers dans l’art

106 où est le cool cette semaine ? le tweed, Saturdays, Isson…

108 culture transatlantique la Villa Gillet se délocalise à New York

110 polémiques énigmatiques drapeaux hacktivistes

112 Jean-Louis Comolli en dvd le travail filmé dans tous ses états

114 séries Laura Dern brille dans Enlightened

116 programmes quand la finance joue à la roulette

118 Steve Wozniak l’autre créateur d’Apple

120 la revue du web sélection profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 113

121 vu du net le bon vieux temps des radios libres

122 best-of le meilleur des dernières semaines

rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs E. Barnett, S. Beaujan, G. Belhomme, N. Bertin, G. Binet, R. Blondeau, J.-C. Bourcart, J. Brézillon, M.-A. Burnier, D. Doucet, M. Despratx, S. Ducros, J. Goldberg, L. Guien, E. Higuinen, O. Joyard, J. Jullien, L. Laporte, C. Larrède, P. Le Bruchec, G. Le Guilcher, H. Le Tanneur, T. Legrand, R. Lejeune, L. Mercadet, B. Mialot, P. Mouneyres, P. Noisette, F. Ortelli, V. Ostria, Y. Pereau, E. Philippe, E. Pierrot, S. Plasse, J. Provençal, A. Ropert, L. Soesanto, P. Sourd lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Amélie Modenese, Gaëlle Desportes conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Amankaï Araya publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/ scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté de Paul-Boris Bouzin tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Evelyne Morlot tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 19 98 directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94, Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 chef de publicité junior Chloé Aron coordinateur Guillaume Farez tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 coordinatrice Sarah Carrier tél. 01 42 44 15 68 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/rp Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 assistante promotion marketing Margaux Scherrer tél. 01 42 44 16 68 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19 infos 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général David Kessler directeur général adjoint Stéphane Laugier assistante du directeur général Valérie Imbert directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2011 directeur de la publication David Kessler © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages Belgique et Suisse jeté dans l’édition vente au numéro Belgique et Suisse ; un programme “Transmusicales” encarté dans l’édition générale.

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Sarkozy aurait pu choisir de faire bloc avec l’Italie et l’Espagne pour contrer la puissance allemande. Au lieu de cela, il a favorisé l’Allemagne, préférant les riches aux fauchés. Avec Mme Merkel, pas de débat : elle tient l’argent et la puissance, elle ne sait pas ce qu’elle veut et pourtant il faut la suivre à chaque palier de ses hésitations. “Le monde change”, répète le Président sortant. Quelle erreur ! Il ne change pas d’aujourd’hui, il a changé. Depuis 2008, le centre de gravité est passé de l’Occident à l’Asie. C’est là qu’on trouve une volonté d’innover et une jeunesse avec l’appétit d’entreprendre. En face, de vieux pays craintifs, dont la France qui se chercherait “un Président protecteur”. Un vieux rêve et pas une idée : déjà en 2007, le PS proclamait “la gauche qui agit, la gauche qui protège”. Comme souvent sans imagination, la droite copie. La dernière affiche de l’UMP assure : “La République qui agit, la République qui protège.” Première remarque : la République de Sarkozy agit peu, elle réagit et toujours avec retard. Deuxième remarque : la protection, toute indispensable qu’elle soit, ne fait pas un programme. De Gaulle puis Pompidou avaient parié sur le développement, aéronautique et TGV, l’amitié avec le tiers-monde ; Giscard sur une modernité, libéralisation des mœurs, légalisation de l’avortement, majorité à 18 ans ; Mitterrand appelait à changer la vie. Bref, bien ou mal, ceux-là parlaient d’avancées et d’avenir. Sarkozy 1 avait mené une tentative (avortée) en ce sens. Sarkozy 2 se montre régressif. Danger : aujourd’hui, une part croissante de la France s’accroche à son passé, souvent un passé mythique. Selon un sondage Ipsos, le pourcentage des Français souhaitant “revenir en arrière” atteint 29 % contre 13 % en 2007. Que veulent-ils, à la fin ? Demander de l’argent à la Chine ou au Brésil et leur fermer nos marchés ? Ô grands politiques, bonne chance ! Notre pays ne va pas indéfiniment chanter la chanson du “C’était mieux avant”. Avant quoi ? La mondialisation, qui remonte à l’Empire romain ? Avant 1940, avant Mai 68, avant Sarkozy et l’honnête Chirac ? Le passéisme et les frontières ne nous protégeront plus. Il y a un nouveau monde à construire. On en sera ou on n’en sera pas. Vous voulez vous protéger : sautez dans l’avenir.

Bernard Zekri

méchamment twitté par rocknrobot jeunisme

Renaud Monfourny

protections

Benni Valsson

l’édito

hâte de lire dans @lesinrocks de la semaine prochaine : “J’ai bu du viandox avec @BarackObama” Donc votre histoire a 25 ans. Certains l’ont suivie depuis les débuts, pas moi malheureusement. Non pas que je n’aurais pas voulu mais la décision ne m’appartenait pas. Dame nature ne m’a autorisé à arriver que neuf ans plus tard. Je lis Les Inrocks depuis un peu plus d’un an maintenant. Je suis tout de suite devenu accro à cette nouvelle formule. Enfin un hebdo politique et culturel qui mélange humour et un ton plus sérieux. Chaque mercredi, je passe vous acheter dans un kiosque avant d’aller en cours. J’ai le temps de lire “quoi encore ?” où je découvre que Sianko a rencontré Snoop ou que J.-B. Morain s’est engueulé avec Monica Bellucci (c’est pas de chance). Je regarde en vitesse la courbe de Diane Lisarelli et (il faut l’avouer) je ne comprends pas grand-chose à la première lecture. Je ris d’avance en voyant que ce “Cher Christophe Conte” ne veut embrasser personne. Et puis j’ai pas le temps de tout lire parce que je dois aller à l’école. A la fin de la journée, j’essaie de trouver une bonne place dans mon bus et sors le magazine de mon sac Eastpak (t’as vu !). Je suis toujours d’accord avec Serge Kaganski, j’essaie de comprendre Jean-Marc Lalanne, j’aime bien JD Beauvallet. Malheureusement, je ne connais personne de mon âge qui vous lit alors pour parler ou débattre je suis un peu tout seul. Je lis les commentaires sur votre site mais c’est le grand foutoir, tout le monde veut prouver qu’il a raison. Je préfère donc m’abstenir de rédiger quelque chose de peur de me faire démolir. Je me suis décidé à écrire ces quelques lignes pour quelque chose de très simple finalement : vous remercier. Je vous embrasse et vous souhaite que votre histoire s’écrive encore longtemps. Eliès, un jeune lecteur

grabataire Aujourd’hui, l’aube ne s’est pas levée. Ou peut-être hier. C’est une journée habituelle où l’on ressasse les conséquences de nos actes, Les Inrockuptibles regarde les vingt-cinq dernières années dans le rétroviseur et aujourd’hui, je n’ai plus de Thorazine pour oublier qu’il n’y a pas de pétrole en Libye. Attentat suicide en Afghanistan – six morts. Dans la rue, des gosses traînent leurs rêves édentés le long des vitrines, ils jouent au ballon et font rebondir leurs idéaux contre les murs : Berlin n’a qu’à bien se tenir, la jeunesse est dans la rue. Dans la rue à défaut d’avoir un toit, un toi auquel s’offrir pour unique horizon, la Grèce pleure sur les marches de l’Olympe, faudrait pas oublier que, bientôt, tes petites mains travailleront sur une machine chinoise. Wall Street est occupé, mon banquier aussi. Paraît-il qu’il s’est

suicidé, il n’y a pas de parachutes dorés pour les défenestrés ? La Palestine rentre à l’Unesco et tente d’introduire les restes du fauteuil roulant de Cheikh Yassine au patrimoine mobilier mondial – la France obtient son énième refus pour Liliane Bettencourt. Je préfère encore écouter le rire des enfants car si eux ne sont pas protégés, ils ont le mérite d’apporter au monde un supplément d’humanité. Séisme en Turquie – 601 morts. Je me suis lavé les cheveux, rien que du vide, que du vent. Technikart fête ses 20 ans. Ejaculation sur la page 37 des Inrockuptibles. La Révolution est en marche. Aujourd’hui, l’aube ne s’est pas levée. C’était ton anniversaire et j’ai oublié d’embrasser ta mémoire. Pour l’espoir qu’un jour la révolution se fasse ailleurs que dans le ciel, bel anniversaire mon petit vieux. Julien Vélu

écrivez-nous à [email protected], lisez-vous sur http://blogs.lesinrocks.com/cestvousquiledites

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction leurs vies (presque) martiennes Mieux qu’un bouquin de Sartre ou qu’un loft Endemol, l’opération “Mars 500”. Soit six astronautes volontaires enfermés pendant 520 jours dans un faux vaisseau spatial recréant une simulation de vol sur Mars. Libérés le vendredi 4 novembre de leur module de 180 mètres carrés sans porte ni fenêtre, à l’abri dans un hangar moscovite, les cobayes avouent une forme d’enfer. “Mais alors, vous vous êtes engueulés ou pas ?”

le moment François Fillon en mode “Six Feet under” Maquillage Halloween, teint blafard, cernes appuyés. Il fallait bien ça pour tenter de vendre aux Français le second plan d’austérité en quelques mois. François Fillon, que la presse aime bien décrire comme un Premier ministre “churchillien”, s’y est collé lundi. “Sang et larmes” au programme. Pour que la France sauve son triple A, alors que la tempête financière a déjà atteint l’Acropole et le Colisée, le gouvernement met l’Etat à la diète et les Français au régime sec. Objectif : économiser un peu plus de 100 milliards d’euros “pour arriver à zéro déficit d’ici 2016”. François Fillon avance notamment d’un an – de 2018 à 2017 – la mise en application de la retraite à 62 ans et relève la TVA de 5,5 % à 7 % pour “tous les produits et services, à l’exception des produits de première nécessité”. “La faillite n’est plus un mot abstrait”, a insisté François Fillon, appliquant la vieille formule selon laquelle la peur est la meilleure alliée des gouvernements.

Oleg Voloshin/Lightroom Photos/ESA/MAXPPP

Le Premier ministre tire une gueule d’enterrement pour faire peur aux Français.

Bamako, photo, écolo Vendredi 4 toujours : clôture de la neuvième édition des Rencontres de Bamako, biennale africaine de la photographie. Cette année, le festival se positionnait “pour un monde durable” avec une réflexion sur les nouvelles résistances et l’écologie. Parmi les trouvailles, les travaux de 45 photographes d’Afrique et des Caraïbes, un focus sur l’actualité des pays arabes, une expo consacrée au Sud-Africain David Goldblatt et un hommage au touche-à-tout Goddy Leye, artiste camerounais disparu en février, qui défendait une “colonisation artistique du monde”. Weiwei-thon Samedi 5, bonne nouvelle à Pékin ! La collecte pour aider l’artiste dissident Ai Weiwei dépasse déjà les 600 000 euros. Rappelons qu’après son arrestation en avril pour “fraude fiscale”, le fisc chinois lui réclame 1,7 million d’euros à payer sous 15 jours. DSK porn-star La pipe du Sofitel sert de pitch à divers scénarios, dont celui d’un film de cul, DXK de Christophe Clark, financé par des internautes. La plate-forme My Porn Productions est à l’origine du projet, ultrabuzzé depuis son lancement. Tout ça sent moins la vraie bonne idée cochonne que l’opportunisme (200 000 euros de la poche des internautes pour un porno, c’est beaucoup). Les connaisseurs seront heureux de retrouver Katia Dé Lys dans le rôle de Nafissatou Diallo et Roberto Malone dans celui de l’ex-patron du FMI.

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l’image Loulou de la Falaise dévisse

L. M., G. S. et B. Z. avec la rédaction

Jack Nisberg/Roger-Viollet

mollahs vs. cinéma iranien Condamnée en juillet à un an de prison et quatre-vingt-dix coups de fouet pour avoir tourné dans My Tehran for Sale, film critique du régime iranien, l’actrice Marzieh Vafamehr voit sa peine réduite en appel. Elle écope de trois mois de prison (déjà purgés) et une amende de 12 millions de rials (environ 900 euros), au lieu de la flagellation initiale. Quant à lui, le cinéaste Jafar Panahi a vu sa condamnation confirmée : six ans de prison et vingt ans d’interdiction de filmer. corsattitude Epinglé dans les colonnes de Bakchich : un proche de DSK, François Pupponi, maire PS de Sarcelles, qui s’était adjoint de 2006 à 2007 les services d’une coûteuse société de sécurité basée en Corse et contrôlée par le grand banditisme insulaire. Le nom de Pupponi apparaissait déjà dans l’enquête sur les cercles de jeux Wagram et Concorde (poker, roulette, black-jack) détenus par des membres du milieu corse. échangisme franco-allemand Alors que Sarkozy et Merkel tentent un sauvetage du système bancaire européen, la France et l’Allemagne envisagent d’échanger leurs pavillons nationaux lors de la prochaine biennale de Venise. “C’est une donnée nouvelle et nous choisirons des artistes qui accepteront la règle du jeu”, a expliqué Sylviane Tarsot-Gillery, la directrice générale déléguée de l’Institut français lors d’une interview au Quotidien de l’art. Parmi les noms côté français, celui de Tatiana Trouvé (plasticienne, auteur de la série des Modules), née en Italie. L’Europe des artistes va bien, elle. l’immobilier hasta siempre ! A partir du 10 novembre,les Cubains pourront acheter ou vendre leur logement. La réforme attendue depuis des années se concrétise sous Raúl Castro. Jusqu’ici, quand un Cubain voulait déménager, il devait échanger sa casa ou passer par des dessous-de-table. le docu pour y voir clear Dimanche 13 à 20 h 35 et 21 h 35 sur France 5, les deux premiers volets de Manipulations, une histoire française. Pierre Péan et Vanessa Ratignier enquêtent sur l’affaire Clearstream, grande farce politicojudiciaire. Un thriller haletant ou “comment un mec armé d’un simple tableau Excel a réussi à entuber journalistes et hommes de pouvoir”.

Elle n’aura survécu que trois ans à celui dont elle fut la muse. Loulou de la Falaise est décédée le 5 novembre, à 63 ans. Ex-mannequin (elle pose pour Richard Avedon, Helmut Newton…), vraie originale, cette femme-liane devenue responsable des bijoux et accessoires YSL emporte avec elle un peu de poussière de ce dandysme seventies – du Sept au Palace –, qu’elle incarna auprès de son ami et mentor de toute leur élégance racée.

Avec son mari, Thadée Klossowski de Rola, 1978

petitpatrick2003/flikr

Marzieh Vafamehr dans My Tehran for Sale de Granaz Moussavi (2009)

Entrée chez YSL en 1972, l’amie et inspiratrice du créateur s’est éteinte.

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Inserm/Patrice Latron

sens dessus dessous Jean-Marc Lemaitre, chercheur à l’Institut de génomique fonctionnelle à l’université de Montpellier.

l’ère de rien

à la recherche du cancer

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ros buzz scientifique la semaine dernière : des chercheurs de l’université de Montpellier ont réussi à “rajeunir” des cellules de nonagénaires, et même de centenaires. Rajeunir, c’est-à-dire les ramener à l’état de cellules souches, comme celles des embryons, capables de fabriquer un foie, un pancréas, ou de la peau. Aussitôt, les médias de s’ébahir : on entend les mots “jeunesse éternelle”, “immortalité”, “cellules de jouvence”. Mais voyons ça de près, sous le microscope du labo. Comment les biologistes ont-ils procédé ? Le problème des vieilles cellules, c’est qu’elles cessent de se diviser, de se reproduire. Nos amis ont réussi à les reprogrammer, en modifiant leur ADN. Miracle : “Au bout de quinze jours, elles ont recommencé à proliférer.” L’immortalité, donc, au coin de la rue ? Pas si vite, et pour deux raisons. D’abord, il s’agit d’expériences sur des cultures in vitro, des lambeaux de peau. On est encore loin de l’inoculation à l’homme, et même au rat. Ensuite et surtout : la prolifération de cellules, les médecins savent trop bien de quoi il s’agit : cela s’appelle cancer. Ainsi se conclut l’article du Monde : “Les chercheurs sont d’autant plus prudents que les facteurs de croissance utilisés sont pour certains impliqués dans des cancers.” Au prix d’un incontestable exploit techno-scientifique, l’équipe de Montpellier a donc réussi à réinventer… le cancer. La jeunesse éternelle, peut-être, on peut rêver, il faut rêver, mais pas avant longtemps. Léon Mercadet

le mot

Francis Le Gaucher

petite musique “François Hollande fait entendre sa petite musique”, répètent les journaux, Ségolène Royal aussi – manifestement il ne s’agit pas de la même partition. Marine Le Pen a sa “petite musique”. On notera que Nicolas Sarkozy, coutumier d’harmonies plus brutales, n’a pas de “petite musique”. En revanche, Mario Draghi, nouveau président italien de la Banque centrale européenne, fait lui aussi “entendre sa petite musique”. Pourquoi petite, pourquoi musique ? Nous ne le saurons pas. D’où sort cette musique ? Mystère : dans les médias, on la fait “entendre”, on ne la joue jamais. Vient-elle d’ailleurs ? Un quotidien fameux, pourtant familier des “petites musiques”, vient de découvrir un équivalent rare. Il écrit, encore à propos de Mario Draghi, que celui-ci “sème les petits cailloux de sa différence”. D’où sort ce Petit Poucet de la finance et que ne sème-t-il des euros ? Un autre journal, moins inventif, assure qu’“il met son grain de sel” ; un troisième, plus sportif, qu’il “marque ses distances”. En réalité, ces expressions pourraient simplement se traduire par “exprimer quelques idées originales” et qui ne le sont pas toujours. M.-A. B.

demandez le programme ! Le 27 octobre les dirigeants de la zone euro s’accordaient dans la douleur pour sauver la Grèce. Depuis 2010, c’est la troisième fois et ce n’est toujours pas une solution pérenne : il y a trop de blancs dans cette montagne de rustines. Et chaque blanc de ce miniplan, c’est un choix fondamental qui n’a pas été tranché. par Serge July Des programmes franco-européens. Nicolas Sarkozy vient de donner une démonstration, malgré lui, que l’Europe ce n’est pas une fois de temps en temps, mais en permanence pour un chef d’Etat ou de gouvernement qui doit se partager entre deux exécutifs: le national et l’intergouvernemental européen. Cet accord et ses blancs forment un moule dans lequel devra être coulé le bronze de tous les programmes présidentiels. La dette avec ou sans croissance. Sans vision d’avenir, le court terme l’emporte toujours. La méthode pour réduire la dette en urgence consiste à augmenter les impôts et à baisser les dépenses publiques. Mais sans croissance personne n’a jamais remboursé ses dettes. Preuve du bricolage franco-allemand, il n’y a rien sur la croissance. Carence confirmée au G20. Quelle digue face à la contagion de la dette. Les Etats européens ne pouvaient pas s’engager plus, et l’Allemagne s’opposait à la mutualisation des dettes, et à une Banque centrale à qui elle interdisait de racheter de la dette, preuve s’il en est que ce géant industriel entend bien rester un nain politique. D’où l’idée d’un fonds de secours, à ceci près qu’on ne sait pas ni comment ni par qui l’abonder, les nouveaux pays riches répugnant à s’y engager. C’était pourtant l’élément central du plan. Enfin la gouvernance européenne. La crise actuelle est d’abord une crise politique, produit d’une décennie d’échecs européens : de la stratégie de Lisbonne qui consistait à promouvoir l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde, au rejet de la Constitution en 2005. Ces échecs ont favorisé le développement d’un pilotage de l’Europe qui a fait le vide autour de lui. Confirmation : il n’y a pas de monnaie unique sans euro fédération ni sans institutions communautaires fortes, avec des votes à la majorité qualifiée et un parlement européen compétent sur les questions monétaires et budgétaires. Car il n’y a pas d’efficacité politique sans contrôle démocratique. C’est peu dire que cet accord est fragile et incomplet, mais tous les candidats en 2012 devront l’avoir complété.

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les cathos de l’extrême Du saccage du Piss Christ d’Andres Serrano à la manifestation contre la pièce de Romeo Castellucci : le retour fracassant des chrétiens fondamentalistes.

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genoux sur le sol trempé, les mains serrant un chapelet, une centaine de catholiques fondamentalistes ont une nouvelle fois manifesté contre la pièce de Romeo Castellucci, Sur le concept du visage du fils de Dieu, qui s’est jouée la semaine dernière au CentQuatre dans le XIXe arrondissement de Paris. Au Théâtre de la Ville, ils avaient réussi à interrompre le spectacle à de multiples reprises en envahissant la scène ou en jetant des boules puantes sur le public. Au CentQuatre, ils n’y sont pas parvenus. Ils se sont retrouvés cette fois face à des fouilles au corps, inspections des sacs, un portail métallique et plusieurs compagnies de CRS. Les militants catholiques ont dû se contenter de prier devant l’une des entrées, en essuyant quelques jets d’œufs des habitants de la rue Curial. Une semaine auparavant, le samedi 29 octobre, ils étaient 1 500 chrétiens fondamentalistes dans une grande manifestation allant de la place des Pyramides à la place André-Malraux dans le Ier arrondissement de Paris. Au son du tambour, ils ont défilé, récitant des cantiques et bravant la pluie pour réclamer la déprogrammation de cette pièce

de théâtre qu’ils jugent “blasphématoire”. Ils reprochent notamment à Romeo Castellucci la fin de son spectacle où “le visage du Christ est recouvert de merde”. En vérité, l’immense toile représentant le Christ est aspergée d’encre avant d’être déchirée par des danseurs. Depuis 1988 et l’incendie d’un cinéma diffusant La Dernière Tentation du Christ de Martin Scorsese, la France avait fini par oublier les capacités d’action des ultras catholiques. Au cours des dernières années, les cathos traditionalistes regroupés autour de Bernard Antony et de l’Agrif (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne) ont préféré multiplier les actions en justice contre toutes les œuvres relevant du “racisme antichrétien” plutôt que de descendre dans la rue. Jugeant que “la voie juridique ne paie pas”, les cathos intégristes de l’Institut Civitas, épaulés par les militants nationalistes du Renouveau français, ont fait le choix d’un retour à l’activisme de terrain. Depuis le début de l’année, les deux groupes multiplient les actions. Ce sont eux qui sont à l’origine de la destruction, à Avignon, de la photographie Immersion (Piss Christ) d’Andres Serrano en avril dernier. Civitas, un millier d’adhérents, constitue

le gros des troupes. Le mouvement rassemble essentiellement des cathos intégristes proches de la Fraternité Saint-Pie-X fondée par Mgr Marcel Lefebvre et qui a rompu avec l’Eglise officielle. Depuis qu’il en a pris la tête il y a deux ans, Alain Escada cherche à politiser ce mouvement majoritairement constitué de cathos intégristes : “Face aux provocations antichrétiennes, il n’y a plus de place pour les tièdes. Avant, les gens n’avaient pas le réflexe de défendre leur foi, désormais ils la réaffirment avec nous”, explique t-il. A ses côtés, le Renouveau français fournit les troupes de choc. On reconnaît ses militants à la fleur de lys stylisée qu’ils ont cousue sur leurs polos bleus. Ils sont jeunes et extrêmement politisés. Ils se revendiquent nationalistes-catholiques et contre-révolutionnaires, et ont comme référents politiques Maurras, Franco ou bien encore le maréchal Pétain. Leur chef, le trentenaire Thibault de Chassey,

la promesse “d’un automne catholique” après “le printemps arabe” pour Civitas et le Renouveau français

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se bat contre une société moderne qu’il juge décadente. Pour lui, “l’homosexualité est un vice qui ne doit pas devenir une norme sociale”. Quand on lui demande son programme s’il arrivait au pouvoir, Chassey va droit au but : il “abolirait le Parlement et mettrait en place un Etat nationaliste fort et indépendant des lobbies.” Pendant la campagne interne du Front national opposant Marine Le Pen à Bruno Gollnisch, ces nationaux catholiques avaient soutenu Gollnisch. Marginalisés après sa défaite, ils durcissent aujourd’hui leur discours pour retrouver une visibilité médiatique. Toutes ces familles radicales ont une sorte de vieux parrain tutélaire, l’ancêtre respecté. Dans la famille des nationauxcatholiques, c’est Pierre Sidos, 84 ans, le dirigeant de l’Œuvre française, mouvement nationaliste et pétainiste dont les militants ont participé au grand défilé contre la “christianophobie”. Dans son local du XIIIe arrondissement de Paris, vêtu d’un costume impeccable, il se montre optimiste devant l’avenir qui s’ouvre à eux : “Il y a une recomposition de la famille nationale catholique et un retour du sentiment religieux comme dans toute période de crise.” Pour ce vieux défenseur de l’Eglise, de la famille et de la patrie, les positions de Marine Le Pen sur l’avortement poussent

Zacharie Scheurer/Visual

Paris, le 2 novembre, rassemblement de catholiques intégristes devant le CentQuatre

de plus en plus de catholiques traditionalistes à quitter le Front national pour des groupes politiques plus intransigeants sur les valeurs chrétiennes. “Rien que le fait que Marine Le Pen puisse dire récemment que les curés doivent rester dans la sacristie passe mal dans notre famille”, ajoute Sidos. Malgré les condamnations de l’Eglise des “violences perpétrées” au Théâtre de la Ville, les revendications des catholiques intégristes “dépassent le simple cadre de l’extrême droite et trouvent un écho favorable au sein d’un électorat qui vote habituellement à droite”, analyse le politologue Jean-Yves Camus. Pour ces défenseurs du Christ, le théâtre contemporain, blasphématoire, n’a pas fini d’entendre parler d’eux. Promettant un “automne catholique” après le “printemps arabe”, Civitas et le Renouveau français projettent de s’attaquer à une nouvelle pièce après celle de Castellucci. A l’affiche du 16 au 20 novembre au Théâtre Garonne de Toulouse, Gólgota Picnic de l’Argentin Rodrigo García est déjà dans la ligne de mire des catholiques fondamentalistes qui lui reprochent d’avoir “parodié la Crucifixion du Christ”. Dans un communiqué publié sur son site, le théâtre s’est dit “légitimement inquiet”. David Doucet 9.11.2011 les inrockuptibles 19

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Quelques minutes après la prestation du rossignol français Rover devant le rideau, les héros mancuniens de WU LYF montent sur la scène de la Cigale pour un concert dense, sans pause dans sa grande tension, sans creux dans son intensité frappante. Ellery Roberts (photo) éructe avec force, en prédicateur romantique et apocalyptique, avec ou sans chemise.

l’union inrockéenne

Sept villes pour sept soirées, des artistes rock, electro, folk et de la chanson pour le Festival Les Inrocks Black XS 2011. Retour sur quelques belles prestations de ce grand cru. par Johanna Seban photo Pierre Le Bruchec

Après la noisy-pop romantique du duo Cults, le crooner James Blake s’invite sur la scène de la Cigale : porté par un dubstep qui franchit largement les frontières de l’electro, le jeune Anglais conquiert les cœurs en deux morceaux.

Ed Macfarlane, chanteur de Friendly Fires, danse au milieu de la foule, lors du concert explosif des Anglais. Plus tôt, Foster The People et Miles Kane s’étaient déjà chargés de transformer la Cigale en club géant.

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La France en grande forme : tandis que Fránçois & The Atlas Mountains illumine la Boule Noire des chansons fascinantes d’E volo love – l’un des grands disques de l’année –, Sebastian déballe, à la Cigale, son electro sombre lors d’un set à la scénographie folle, provocatrice et violente.

Freak show formidable et spectacle total, troupe en blanc et en blond : La Femme signe un concert mécanique, fluide, sec, cold et bouillant à la fois.

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“non je fête pas Noel, je préfère Liam”

La Femme

retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

Zooey Deschanel célib

“depuis que j’ai ma carte de presse je fais un cauchemar récurrent où y a Mélenchon qui m’engueule”

“où est Charlie ? Nan parce que maintenant qu’ils ont plus d’adresse officielle, c’est une question qui se pose”

la meuf de Alice

Atopic Festival

Cannes en Espagne

le mariage de Kim Kardashian

le bo bun

“OH WOW. OH WOW. OH WOW.”

“je comprends pas… Sean Paul a annulé son RDV avec Marine Le Pen ?”

les référendums le troisième album de Berlusconi

Atopic Festival Troisième édition du festival du film Machinima du 14 au 17 novembre à Paris. Le troisième album de Berlusconi En raison de la crise financière (merci), Berlusconi a repoussé la sortie de son troisième album intitulé True Love. Zooey Deschanel célib Zooey a rompu avec son mari. Peut-être la chance de votre vie. “OH WOW. OH WOW. OH WOW.” Soit les derniers mots

du prophète Steve Jobs. Cannes en Espagne Bravo CNN. La meuf de Alice La meuf de la pub Alice (oui celle qui faisait “wooohooohoo”) a défendu la famille Kadhafi dans les médias. Famille qu’elle connaissait pour avoir eu une longue liaison avec un des fils du clan. Wooohooohoo. Le mariage de Kim Kardashian Elle aussi divorce après moins de trois mois de mariage. Respect. D. L.

billet dur

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History of Rap

her Laurent Wauquiez, Tu veux bien me rappeler ce qui est écrit sur ton badge ? Droite SO-CIA-LE, c’est ça ? Ces deux mots louchant l’un sur l’autre n’ont pas toujours eu cette gueule d’oxymore, tu sais. Jadis on leur prêtait le visage d’un vieux panda bourru mais respecté de tous, Philippe Séguin. Aujourd’hui disparu, ce brave Monsieur Séguin nous a légué ses chèvres – Christian Jacob – et un premier dauphin, toi, Mister Puy-enVelay. De l’extérieur, rien à dire, ton allure de beau gosse poivre et sel qui circule à vélo et se rend sans garde du corps aux concerts jeunes et pop – je t’y ai croisé une fois – te confère une certaine prestance métrosexuelle qui dépoussière l’image ringarde de la droite Guéant/Copé. Au cours de la prochaine campagne, tu seras n’en doutons pas aux avant-postes, paravent

humaniste opportunément dressé pour masquer les vieux soudards de la Droite populaire, l’effluve de ton after-shave vétiver-menthol dissimulant leurs relents saucisson-pinard. Le problème, ce sont tes propositions, qui visent à lutter avec des armes parfaitement dégueulasses contre l’assistanat, “ce cancer de la société”, formule qui valut à ton costard Hugo Boss un gentil remontage de bretelles il y a quelques mois. A l’époque, tu proposais de faire trimer gratos les bénéficiaires du RSA, ces feignasses, mais loin de te démonter tu as récemment décidé d’aller encore plus loin. Par exemple en proposant de réserver en priorité les logements sociaux à ceux qui travaillent, priant les autres, ces feignasses, d’investir dans une tente Quechua suffisamment grande pour y loger leurs portées de mammifères accrochés aux pis de notre belle République nourricière. SO-CIA-LE la droite, mais de droite, merde, faut pas pousser non plus ! Je t’embrasse pas, je t’envoie un assistant. Christophe Conte

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Audrey Ewell Pour contrer le silence médiatique réservé aux indignés US, cette cinéaste mobilise des réalisateurs autour d’un projet collectif.



epérée en 2008 pour son documentaire fascinant sur le black metal (Until the Light Takes Us, signé avec son boyfriend Aaron Aites), la jeune cinéaste newyorkaise Audrey Ewell devait tourner son premier film de fiction, le thriller Dark Place. Mais l’actualité en a décidé autrement mi-septembre, lorsque des centaines de manifestants – que l’on n’appelait pas encore “indignés” – se ruèrent sur Wall Street pour protester contre la culture du fric. “Des personnes se faisaient arrêter sur le pont de Brooklyn, mais il n’y avait au début du mouvement aucune information dans la presse”, se souvient Audrey Ewell. En réaction à ce “media blackout”, elle a mobilisé une dizaine de réalisateurs de tout le pays pour le projet 99 Percent: The Occupy Wall Street Collaborative Film, un documentaire collectif sur les indignés américains – “pour la mémoire”. Encore en cours de tournage, le film avance au rythme du mouvement, dont Audrey Ewell pressent déjà la fin : “Ça ne pourra pas tenir longtemps, on attend la réaction des politiques.” Romain Blondeau photo Jean-Christian Bourcart

A Wall Street, le 26 octobre

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“l’institution judiciaire ne m’a présenté aucune excuse”

“on nous maintenait en vie juste pour nous tuer un jour” Curtis McCarty a passé dix-neuf ans dans le couloir de la mort avant d’être innocenté. Rencontre avec un homme dévasté par les failles du système judiciaire américain.

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rotagoniste d’un excellent documentaire sur la peine de mort (Honk, en salle), Curtis McCarty a passé vingt-deux ans en prison dont dix-neuf dans le couloir de la mort pour un crime qu’il n’a pas commis. Vingt-deux ans et trois procès pour prouver que l’enquête avait été bâclée et que l’analyste de la police avait falsifié les preuves. Aujourd’hui, Curtis McCarty est un militant antipeine de mort, un révélateur des failles du système judiciaire américain (le 3 novembre, un tribunal du Texas a refusé d’accorder les tests ADN que réclamait Hank Skinner pour prouver son innocence, à six jours de son exécution), mais aussi un homme dévasté qui raconte son expérience avec douceur, la voix parfois brisée par l’émotion. Dans un pays comme les Etats-Unis, il est troublant de constater que la justice est si fragile, parfois si corrompue… Curtis McCarty – Il y a cette philosophie représentée par un des personnages de Honk qui dit qu’il s’en fiche si le système judiciaire tue parfois des personnes innocentes. C’est obscène, mais c’est la philosophie véhiculée pendant des années par les gouvernements conservateurs. Comment se sent-on quand on est envoyé dans un couloir de la mort ? Au début, j’étais dans le déni. Quand on grandit aux Etats-Unis, on est élevé dans

la croyance que notre pays est le meilleur en tout. Je pensais que notre système judiciaire était parfait. En prison, j’ai commencé à comprendre que ce système n’est pas fondé sur les faits, sur le respect de la personne humaine. Que fait-on tous les jours dans le couloir de la mort ? On est avec soi-même, on gamberge. Il n’y a quasiment aucun service pour les détenus du couloir de la mort. On n’avait pas d’accès à la bibliothèque, il fallait échanger un paquet de biscuits contre le droit de consulter un livre. On compte aussi sur sa famille pour garder un contact avec la culture, le dehors, l’humanité. Tout nous est pris dans le couloir de la mort. Etiez-vous totalement isolé, ou aviezvous des contacts avec d’autres détenus ? On se croisait aux douches, en promenade. Il y avait des contacts, mais superficiels. Pendant une période, pour des raisons budgétaires, on était deux par cellule, ce qui a permis d’avoir des discussions, mais cette promiscuité 24 heures sur 24 était très dure à vivre. Le couple le plus amoureux ne le supporterait pas. On n’était rien, on nous maintenait en vie juste pour nous tuer un jour. Vous attendiez-vous chaque minute à être exécuté ou aviez-vous des périodes d’espoir ? Heureusement, des gens intelligents, ma famille, des avocats, ont compris que

l’enquête qui m’accusait était pleine de failles. Pendant toute mon incarcération, ils se battaient pour me faire libérer. L’espoir était là, mais l’espoir peut être mauvais quand il vous déçoit. D’autres détenus n’avaient même pas cet espoir, leur sort était scellé depuis le début. En 2007, vous êtes libéré. Qu’avez-vous ressenti ? Au risque de vous surprendre, je n’ai pas sauté de joie. C’était trop tard, le mal était fait, envers moi, mais aussi envers ma famille, la victime, la famille de la victime, les serviteurs du système judiciaire… On institue la peine de mort pour apaiser les victimes. Dans mon cas, ils n’ont apaisé personne, ils ont trahi tout le monde. Quels enseignements avez-vous tirés de cette terrible expérience ? La justice est un concept très fragile. Ce qui me choque le plus, c’est la banalité des erreurs judiciaires et de la corruption du système. A ce jour, l’institution judiciaire ne m’a présenté aucune excuse et n’a jamais reconnu ses erreurs. Le système ne veut pas admettre qu’il est faillible ou corrompu. Serge Kaganski photo Jérôme Brézillon film Honk d’Arnaud Gaillard et Florent Vassault, (Fr., 2011, 1 h 08), en salle dvd Une peine infinie – Histoire d’un condamné à mort de David André, prix Albert-Londres 2011 (Editions Montparnasse), environ 15 €

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c’est Mozart qu’on assassine (en 3D) Mise en scène par Olivier Dahan, la comédie musicale de Dove Attia sur la vie du compositeur déboule au cinéma et en 3D. Pitié.

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ave verum service

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Alors qu’on croyait en avoir fini avec Mozart - L’Opéra rock, la comédie musicale de Dove Attia revient sournoisement au cinéma. Et en 3D. L’occasion, donc, de subir une nouvelle fois la campagne médiatique qui met à l’honneur Mikelangelo (oui, avec un “k”…) Loconte, chanteur pour minettes, en Wolfgang Amadeus aux mèches blondes décolorées inspiration yorkshire. Le Mozart de la comédie musicale présenté comme une “star baroque’n’roll” (au secours) semble ici avoir consacré sa onzième année à redoubler pour la quatrième fois son CE1 plutôt qu’à composer de son premier opéra. N’en déplaise à la troupe qui, lors d’une soirée mémorable des NRJ Music Awards en 2010, après avoir raflé une demi-douzaine de prix, avait osé remercier, des sanglots dans la voix : “Celui sans qui nous ne serions pas là : WOLFGANG AMADEUS MOZART.” Stupeur.

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les rimes en “ures” L’opéra rock en question n’en a, évidemment, que le nom. Pas grand-chose à voir avec Mozart non plus même si quelques airs fameux du compositeur rythment le spectacle. “La bonne musique ne se trompe pas, et va droit au fond de l’âme chercher le chagrin qui nous dévore”, écrivait Stendhal à propos de Mozart. Autant dire qu’il n’en est rien ici et que d’un point de vue esthétique, Mozart (via Mikelangelo avec un k) passe, lui, pour un être vulgos et gesticulant, maquillé comme un 33 tonnes et dont le génie semble n’être qu’un prétexte à fantasmes de préados. Toutefois, c’est au niveau des paroles que Mozart – L’Opéra rock se distingue. Pour preuve : le premier single Tatoue-moi, plus gros tube de la troupe qui débute avec quelques notes au piano (rapport à Mozart, tsé) pour d’un coup vriller en une horrible soupe dont le refrain restera à jamais gravé au panthéon des refrains les plus consternants du monde : “Tatoue-moi sur tes seins, fais-le du bout de mes lèvres. Je baiserai tes mains, je ferai que ça te plaise. Tatoue-moi sur tes murs un futur à composer. Je veux graver toutes mes luxures sur tes dorures.”

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comédie musicale et terreur

Mozart n’est pas la seule personne historique ou mythique à avoir dû subir l’épreuve de “la comédie musicale à la française”. Depuis Notre-Dame de Paris en 1998 (il est venu le temps des cathédrales finalement ?), une petite troupe de producteurs s’efforce de relire l’histoire ou les grands auteurs afin de trouver un sujet de spectacle universel à édulcorer. Ainsi, après Roméo et Juliette (“Aimer c’est c’qu’y a d’plus beauuu”), Les Dix Commandements (“Faire que l’amour, qu’on aura partagé, nous donne l’envie

d’aimer”), Le Roi Soleil (“Etre à la hauteur, nananana”) et Cléopâtre déboule Dracula, la comédie musicale de Kamel Ouali qui a eu l’idée de surfer sur une double tendance (comédie musicale + vampires). Le premier single En transe…ylvanie (rapport à la Transylvanie, tsé) est d’ores et déjà prometteur (“En Transylvanie, un trans’ se maquille”) mais pas plus que le nouveau show de Dove Attia intitulé 1789, Les amants de la Bastille dont le premier single Ça ira mon amour nous ferait étrangement dire : “vivement la Terreur “. Diane Lisarelli

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les damnés de la crise

Ils ont perdu leur boulot et tout s’est enchaîné. Ils témoignent ici de la débrouille qui leur permet de tenir le coup au jour le jour. par Anne Laffeter, France Ortelli et Pierre Siankowski photo Emmanuel Pierrot/VU

a solution pour moi ? Honnêtement, je ne la vois pas. Pour l’instant, le mot d’ordre, c’est la débrouille”, explique à voix basse Jean-Yves, 36 ans, assis dans un bar du XXe arrondissement de Paris. Un bar où on le voyait souvent et où il ne vient presque plus, faute de moyens. Au chômage depuis deux ans, il est arrivé en fin de droits en août dernier et n’a toujours pas retrouvé de travail. Jean-Yves touche l’allocation de solidarité spécifique (ASS), soit environ 450 euros par mois. Son loyer, pour un deux pièces dans le XXe, s’élève à 650 euros. “Le reste de mes factures me coûte 150 euros et j’en dépense autant dans la bouffe. En gros, je dois donc trouver 500 euros au black tous les mois. J’ai des copains dans un bar-resto qui m’invitent à passer des disques. Sinon je suis parfois chauffeur ou je fais des retranscriptions pour des universitaires. Je commence à avoir quelques retards de paiement, notamment sur l’électricité. Mais je m’en sors en rognant sur tout.” Jean-Yves a d’abord rogné sur les vacances, les sorties (“Je ne vois quasiment plus personne, la sociabilité ça coûte cher”), les vêtements (“C’est simple, je n’en achète plus”), les loisirs et autres dépenses culturelles (“Les journaux, c’est fini. Idem pour le cinéma”). Depuis qu’il est en fin de droits, il fait aussi des économies sur la nourriture. “Je me lève vers 9 heures et à 11 heures je prends un petit déjeuner copieux : une baguette avec du beurre et un morceau de fromage, un peu de confiture, du thé. Le soir, je mange un énorme plat de nouilles. J’achète aussi des légumes au marché de Belleville, l’un des moins chers de Paris. Pour 5 euros, on peut tenir la semaine. Par contre, ça fait des lustres que je n’ai pas mangé de viande.”

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Jean-Yves ne se déplace plus qu’en Vélib’ (29 euros par an), il fraude dans les transports en commun (“1,70 euro le ticket de bus ou de métro, c’est un repas pour moi”) et passe beaucoup de temps chez lui, sur internet. “Je préfère économiser sur la nourriture et garder le net, primordial pour chercher du travail. Ça reste mon dernier contact avec le monde. Ce qui est fou, c’est que tes amis, même proches, ne voient pas toujours ta progressive disparition. Comme si la crise ne frappait que les gens déjà pauvres. Pourtant, on tombe très vite dans une situation de précarité. On peut y survivre mais pour combien de temps ? La semaine dernière, il y a eu la trêve hivernale. Je suis sûr de garder mon appartement pour les six mois qui viennent mais après ? Cet appart’, c’est mon dernier luxe.” Pour l’économiste Denis Clerc, la crise a aggravé les situations désespérées. “Les gens qui n’ont plus d’emploi et vivent pour la plupart grâce à l’allocation de solidarité spécifique se replient sur eux-mêmes. Certains tentent de travailler au noir, d’autres économisent au maximum, restreignent tous les budgets et parfois, dans le pire des cas, fouillent dans les poubelles. Le plus terrible, c’est qu’on estime que seuls 10 à 15 % d’entre eux pourront retravailler.” Depuis mai 2008, le nombre de personnes au chômage depuis plus d’un an a augmenté de 620 000, dont près de 125 000 y sont depuis trois ans. “On estime aujourd’hui que plus de 5 millions de personnes vivent en France avec moins de 700 euros par mois, poursuit Denis Clerc. En 2009, c’était 4,6 millions. On imagine aisément que la crise a nettement fait progresser ce chiffre.” Une situation dramatique que l’on vérifie auprès des associations de lutte contre la pauvreté. Julien Lauprêtre, 9.11.2011 les inrockuptibles 31

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“je me suis progressivement dépouillé de tous mes biens : d’abord le lecteur DVD, puis les amplis, les enceintes, les meubles et même le téléphone” Alexandre

président du Secours populaire : “Il y a deux ans, on aidait 2 millions de personnes au quotidien. L’année dernière, nous en avons aidé 2,4 millions. Nouveauté : les jeunes sont frappés de plein fouet. Il y a aussi de plus en plus de familles monoparentales ou immigrées, de travailleurs pauvres, de retraités. Autre nouveauté : des petits patrons, des cadres, des commerçants viennent chercher de la nourriture chez nous. On en a vu arriver en 4x4, avec un beau costume. Il ne leur restait plus que ça. Pour eux, c’est la descente aux enfers. Certains avaient deux voitures, une maison secondaire. De manière générale, nos 14 000 relais dans toute la France ont signalé une augmentation de 15 à 20 % de la fréquentation ces deux dernières années.” Au centre du Secours populaire de Morsang-surOrge, en banlieue parisienne, sur les coups de midi, près de deux cents personnes font la queue pour un repas chaud. Beaucoup de femmes viennent chercher à manger pour leur famille. Alice, 33 ans, travaille “comme femme de ménage mais pas tous les mois”. Elle attend de rentrer dans un HLM mais vit pour le moment avec son mari malade et ses enfants dans un appartement relais prêté par une association. “Je ne peux pas vous dire son nom car normalement nous n’aurions dû y rester qu’une semaine : c’est un appart de transition pour femmes célibataires ou divorcées.” Christophe Robert, de la Fondation AbbéPierre, alerte depuis longtemps sur le poids du logement dans le budget des ménages. “Le loyer est la plus grosse amputation du pouvoir d’achat. Beaucoup

de ménages modestes dépensent entre 40 % à 50 % de leur salaire dans le logement, cela affecte les autres dépenses comme la santé – les soins dentaires et ophtalmologiques notamment –, la nourriture…” En France, on dépense en moyenne 25 % pour le logement et 13 % pour l’alimentation. En 1980, c’était l’inverse. “Les plus fragiles s’éloignent du centre-ville, divisent les apparts, campent, dorment dans des caves”, note Christophe Robert. Derrière Alice, dans la queue du Secours populaire, Alexandre, 36 ans, ancien agent immobilier. Lui aussi est en fin de droits. “Je n’ai même plus les moyens de chercher du travail : pas d’argent pour acheter une Carte orange, bouffer à midi ou avoir une voiture. Sans voiture, si je suis embauché demain comme commercial je ne sais pas comment je ferai le premier mois.” Sa voiture, c’est la première chose qu’il a vendue. “Je m’en suis séparé il y a un an puis je me suis progressivement dépouillé de tous mes biens : d’abord le lecteur DVD, puis les amplis, les enceintes, les meubles et même le téléphone. Maintenant, chez moi, il y a un matelas, une vieille télé, un PC portable et mon chien. Au Secours populaire, je vois des mecs avec des putains de caisses qui viennent chercher de la bouffe et je me dis que comme moi ils ont dû sombrer en quelques jours, explique Alexandre. Je n’ai même plus de compte en banque. J’étais trop à découvert alors ils l’ont fermé. Toutes mes allocs tombent sur un livret A. Comment tu fais quand ton employeur te demande un RIB ?” Il poursuit : “Mon seul moyen pour gagner un peu de thunes, ce sont les réunions de consommateurs, où je peux gratter 80 euros.” Comme Jean-Yves, Alexandre a tenu à conserver internet : “Je prends mon PC portable et je vais devant l’hôtel Formule 1, y a le wifi gratuit. J’y vais avec le chien et je fais de l’internet sur un banc, j’essaie de trouver des plans boulots. C’est à trente minutes de chez moi à pied mais c’est la seule solution.” La tendance, nouvelle, à raboter sur les dépenses de santé inquiète aussi beaucoup les associations. Jean-François Corty, de Médecins du monde : “On voit revenir des personnes qu’on ne voyait plus depuis dix ans et l’instauration de la CMU. Des nouveaux pauvres qui gagnent trop pour avoir la CMU complémentaire, soit plus de 648 euros, et pas assez pour se payer une mutuelle privée. Entre 2008 et 2010, il y a eu une augmentation de 10 % de nos consultations. Les Français retardent leurs soins courants. La tuberculose et la rougeole ont réapparu. On a eu 15 000 cas de rougeole en France depuis 2008 chez les adultes. L’Aide médicale de l’Etat (AME) est remise en question par le projet de loi de finance : il va désormais falloir payer 30 euros pour en bénéficier.” Récemment, Jean-Yves a eu un accident de Vélib’. “Je suis allé directement aux urgences, on est pris en charge et c’est remboursé. Il y avait cinq heures de queue, des gens partout dans les couloirs, des personnes âgées. Je pense que tous ceux qui n’ont pas les moyens font comme moi. On m’a conseillé de faire des radios. Je ne l’ai pas fait. Ça me fait encore un peu mal mais ça passe… Ça passe doucement.”

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le jeu des 7 restrictions Votre patron aussi a des difficultés. Devinez de quoi il va vous priver. par Camille Polloni mesure que la crise s’étend, les entreprises cherchent à réduire les coûts. Le bureau ci-contre représente le déshabillage progressif d’un lieu de travail lambda, à partir d’exemples réels.

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Renaud Monfourny

Avant la crise : on dépolluait les bureaux avec des plantes vertes, on téléphonait à l’œil, on voyageait en classe affaires, on avait du boulot

Pendant la crise : on réduit notre consommation de café, on supprime les risques de phlébites en avion, on marche pour aller jusqu’au métro. Au pire, on quitte les lieux

1. Supprimer les plantes. Acheter des plantes et les entretenir représente une dépense jugée inutile pour des objets uniquement distrayants. Tailler dans le budget plantes permet de continuer les pots. 2. Mutualiser les taxis. Employé n° 1 a un rendez-vous extérieur. Employé n° 2 aussi, pas très loin, une demiheure plus tard. Ils seront désormais obligés de partager leur taxi. Et puis c’est écolo, hein. Sinon, y a le métro. 3. BlackBerry : au régime sec. Il était si beau le BlackBerry professionnel fourni par la boîte. Fini. 4. Priorité au low cost. Dans certaines entreprises, le salarié qui réserve un billet d’avion n’a plus droit qu’à une compagnie low cost. Pour passer outre, il faut l’accord de la hiérarchie. 5. Le repas de Noël. Vous vous contenterez de fêter Noël chez vous, si vous avez les sous pour. 6. Le minicafé. Chez Goldman Sachs, la taille du gobelet de café est passée de 35 centilitres à 29. La banque espère ainsi réduire le temps de pause nécessaire pour le boire. 7. Au revoir président. Le plus simple est encore de licencier. Une méthode ancestrale qui a fait ses preuves. 9.11.2011 les inrockuptibles 33

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euro debrouille

Comment survivre à la crise ? Voyage au cœur du système D un peu partout en Europe. par Anne Laffeter, France Ortelli et Pierre Siankowski Photo Emmanuel Pierrot/VU

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fraude et transports Frauder en étant couvert, c’est possible. Des coopératives de fraudeurs mutualisent les risques liés au saut de portique : comme pour les mutuelles de santé ou les assurances, ces coopératives, qui ont vu le jour en 2000 et se sont multipliées depuis le début de la crise, proposent à leurs “adhérents” de verser des cotisations (entre 5 et 10 euros par mois, parfois moins pour les personnes en grande précarité) qui serviront ensuite à régler leurs éventuelles contraventions.

parrainage.com En Espagne, des familles dans la détresse peuvent s’inscrire sur le site de l’association Nuestra Señora de los Desamparados. Ce site s’appuie sur la solidarité locale et virale en proposant de parrainer une famille. Les profils des personnes en détresse sont accessibles en ligne et les visiteurs sont invités à faire un don à l’association qui le reverse ensuite aux familles.

électricité En Grèce, les militants des “citoyens de Veria” rebranchent le courant à ceux qui n’ont plus les moyens de payer leurs factures. Ailleurs en Europe, on se branche sur le compteur de la ville ou du voisin ou, comme en France, on propose à l’agent EDF de faire preuve de clémence contre un petit billet.

faux papiers Pour louer un appart, mieux vaut faire de fausses fiches de paie ou de fausses déclarations d’impôts. Pour accéder gratuitement aux activités culturelles, on peut aussi se munir d’une fausse carte d’étudiant ou d’une fausse carte de presse. De nombreux modèles se trouvent désormais sur internet et un copain doué en graphisme peut rapidement se transformer en faussaire. Les adresses des sites changent souvent mais les forums et Google sont des alliés précieux.

resto récup En Belgique, à Bruxelles, certains restaurants ont décidé de ne plus jeter les plats qui n’ont pas été consommés ou la nourriture tout juste périmée. Il suffit, une fois que l’on a repéré le lieu généreux, de venir à quelques minutes de la fermeture et de prononcer ce précieux mot de passe : “Je viens pour la récup.”

bouffe à prix cassés Dans les déstockages alimentaires, les produits proches de la date de péremption ou dont l’emballage est abîmé sont vendus à prix cassés. On trouve toutes les marques, des yaourts à 50 centimes les quatre comme des sardines à 1 euro les trois boîtes. On peut repérer un destockeur près de chez soi grâce à www.destockeurs-alimentaires.fr

troc de compétences A l’heure où l’argent se fait rare, les échanges de compétences peuvent être une solution. “Mon ordinateur était cassé et je n’avais pas de quoi le faire réparer, explique Pauline, 26 ans, j’ai donc proposé à un pote calé en informatique de venir me le réparer et en échange je lui ai écrit toutes ses lettres de motivation.” Une version précaire du gagnant-gagnant de Ségolène Royal, qui peut notamment se mettre en place via echange-de-service.com

essence A 1,50 euro le litre d’essence, on fait parfois l’impasse sur la bagnole. Pourtant, on peut aisément utiliser à la place de l’huile de friture usagée (pour les diesel uniquement) rachetée auprès des restaurateurs, qui la vendent à prix modique ou l’offrent carrément.

potager et animaux Les carrés fruits et légumes reviennent à la mode, même dans les centre-ville. Autre nouveauté : le retour des animaux de la ferme. Poules et coqs font leur come-back citadin : ne pas hésiter à aller taxer des œufs frais à son voisin qui a quelques poules sur son balcon. Bonus : réveil gratuit et garanti à 6 heures du matin.

enchères Se faire quelques billets en achetant des produits dans des ventes liées à des liquidations avant de les revendre sur internet est une technique très prisée. Des petits malins achètent aussi des billets de Thalys ou d’Eurostar qu’ils revendent un peu moins cher que les billets plein pot de dernière minute. Des forums, de plus en plus surveillés, sont disponibles sur le net et Google aide à se mettre sur la voie, sans mauvais jeu de mots.

sperme Le don de sperme, comme son nom l’indique, est gratuit en France. Mais la demande étant devenue supérieure à l’offre, des femmes proposent aujourd’hui d’en acheter sur internet, où des forums spécialisés permettent de faire discrètement son petit spermatobusiness.

marijuana Arrondir ses fins de mois tout en développant ses talents de jardinier ? Avec la fumette bien sûr ! Mamie et Tonton Gérard ont les yeux rouges ? Ils sont un peu raides ce mois-ci, ils ont très certainement investi dans l’environnement. Ou quand la série Weeds devient réalité.

clopes Devant la hausse du prix des cigarettes, on peut aller en acheter en Espagne ou en Belgique pour les revendre ici. Le business peut s’effectuer via internet et la poste, pour ne pas se faire choper à la douane, mais la police surveille de plus en plus les pages dédiées à ce commerce. 9.11.2011 les inrockuptibles 35

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j’ai cherché du boulot avec les sans-papiers Tous les matins, les parkings des magasins de BTP en banlieue parisienne se transforment en Pôle emploi pour sans-papiers. Nous les avons accompagnés pendant une semaine. texte et photo David Doucet et Geoffrey Le Guilcher vant, le patron venait te chercher, maintenant c’est l’ouvrier qui vient chercher monsieur le patron”, résume Ahmed1. A 63 ans, ce frêle Algérien fait les cent pas devant la grille du magasin de matériaux Batkor de Bobigny. Parfois, il tente aussi sa chance devant la Plateforme du bâtiment, porte de La Villette. Ahmed reste un peu à l’écart de ses cinquante camarades sans papiers postés devant l’entrée et la sortie du Batkor. De temps à autre, il se colle machinalement le front contre la grille et scrute le parking où les clients du magasin chargent leur camionnette, guette un signe de leur part. Il a une seule idée en tête : trouver un boulot pour la journée, parfois quelques jours, toujours au noir. Pose de carrelage, maçonnerie, peinture, il prend quasiment tout. “C’est le loto. Un jour tu gagnes, deux jours tu

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perds. Des fois, je suis quinze jours sans travail. Depuis 2008, le travail marche comme ça.” Ahmed mime une pente descendante avec sa main. Tous les matins, avec Ahmed, des centaines de Roumains, Moldaves, Bulgares, Tunisiens, Pakistanais calquent leur présence sur les heures d’ouverture des magasins de BTP, même le dimanche. A Ivry, Villemomble, Bobigny, Nanterre ou La Villette, ces parkings se sont transformés en Pôle emploi pour sans-papiers. Pendant une semaine, chaque matin, nous avons enfilé un bonnet, un jean troué et des chaussures de chantier pour tenter de ressembler à ces hommes : vendre ses bras sur un parking, trouver un “patron”, voir si la police intervient et comment elle se comporte.  Ivry, 7 heures du matin, une dizaine de silhouettes poireautent dans la nuit au pied du magasin Batkor. Les portes ouvrent dans une demi-heure. Sur un bout de trottoir en terre, Abou, un Malien de 35 ans, discute sous un panneau publicitaire avec trois compatriotes. Il est en France depuis

un an et en a passé onze à écumer les grands chantiers en Espagne. Il s’est fait sa propre idée du marché du travail français. “C’est la merde. Je vais retourner dans mon pays, on est trop nombreux et il n’y a plus de travail.” Au bout d’une heure, les silhouettes se multiplient. Nous sommes une cinquantaine. Des employés en costume sortent du bus 325 et marchent jusqu’au siège de la Fnac, mitoyen du magasin Batkor. Deux mondes se frôlent sans un regard. Quand la première camionnette entre dans Batkor, Abou fait un salut au chauffeur. D’autres se contentent d’un regard appuyé. Les gestes se répètent à l’infini dans l’espoir d’une embauche. Aucun sans-papiers n’est en tenue de travail. Ils ont tous une poche en plastique ou un sac à dos avec des vêtements de rechange. Nous avons pu établir une moyenne : quel que soit le magasin, sur cinquante à soixantedix individus, seulement deux ou trois se font embaucher chaque jour. Vladimir possède sa propre camionnette. Il est désormais un

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L’embauche est rare et paraît aussi hasardeuse que la loterie. Fatigués par l’attente, les sans-papiers accrochent les sacs contenant leur tenue de travail aux grilles des parkings

“patron” – le mot désigne toute personne qui offre du travail. Il a le statut légal d’un artisan à son compte et emploie souvent des sans-papiers à la journée ou davantage, en fonction des chantiers. Colosse de 43 ans, mâchoire carrée, bras gauche entièrement tatoué, Vladimir est un ancien soldat russe rescapé de la guerre de Tchétchénie. A son arrivée en France en 2000, il a débuté comme manœuvre devant la Plateforme du bâtiment de Nanterre. Il a habité cinq ans dans une caravane louée 300 euros par mois à des “manouches de Villeneuve-Saint-Georges” et a appris le métier sur le tas avec un “patron” italien. Il dit payer ses ouvriers 100 euros la journée en fonction de la tâche et préfère “plutôt des Moldaves, des Roumains et des Ukrainiens”. En fait, une journée de travail rapporte plutôt entre 50 et 80 euros. Au Batkor de Bobigny ou à la Plateforme du bâtiment de Villemomble, des “patrons” bulgares emploient exclusivement d’autres Bulgares. Ces

derniers ont la réputation de travailler pour moins cher, parfois 30 euros la journée. A Bobigny, certains vivent même en face du magasin, dans leur voiture immatriculée au pays. Vladimir nous explique pourquoi il recrute au noir : “C’est simple, si tu prends des gars en intérim, ils ne sont pas aussi motivés et coûtent deux fois plus cher.” Le roi de l’intérim Manpower, par exemple, paie un maçon 185 euros la journée, un peintre 200 euros, un manœuvre 140 euros. Sorti du magasin d’Ivry, un “Français” – comme les sans-papiers les appellent – ventru, cheveux blancs, s’avance vers l’entrée du parking. Nous sommes aussitôt une dizaine à l’entourer comme un messie. Il tutoie tout le monde et demande à chacun son origine. Il veut un maçon. Je lève la main, il m’emmène à l’écart en concurrence avec un Tunisien. Puis je me retrouve seul avec lui. Il incarne l’autre type de “patron” : un simple particulier qui construit sa terrasse. Il doute de mon origine grecque à cause de mon accent bizarre. Je passe un entretien éclair :

– Pour une chape d’un centimètre d’épaisseur, tu utilises quoi ?  – Heu… du béton, non, plutôt du ciment. – Et pour un sac de 35 kilos, tu mets combien de seaux de sable ?  – Bah… trois.  – Non, huit. Le Tunisien l’emporte. Le patron l’embarque dans sa voiture sans même lui imposer l’interrogatoire qui m’a trahi. Un Roumain mort de rire me vanne : “Alors, c’est déjà fini la maçonnerie ?” Face à l’agitation qu’a provoquée cette embauche, le vigile du magasin se dirige vers nous, les recalés. En théorie, notre présence sur le parking est interdite. Dans les faits, lorsque le vigile voit un client du magasin tenter de nous embaucher, il ferme les yeux. Il nous demande de repasser de l’autre côté des grilles blanches et nous lâche : “Si vous continuez à rester sur le parking, vous ne pourrez plus aller chercher de café.” Au Batkor d’Ivry, le vigile tolère que l’on entre chercher un café, du moment que l’on s’y rend un par un. Ailleurs, les règles sont plus dures. Au Batkor de la porte de Pantin, un grand vigile au 9.11.2011 les inrockuptibles 37

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A la mairie d’Ivry, on s’interroge : “La meilleure chose à faire, ce serait d’arrêter les employeurs des travailleurs clandestins, mais apparemment, ce n’est pas la priorité de la police nationale”

crâne rasé nous explique la consigne : “Les gens d’ici (les sans-papiers – ndlr) ne peuvent pas entrer.” Il tient en laisse un gros berger allemand qui l’aide à faire comprendre la situation. A Villemomble, la Plateforme du bâtiment ne laisse pénétrer dans sa cafétéria que les détenteurs d’une carte de société enregistrée dans le magasin. Pour contourner ce barrage, deux Roumains filent des pièces de monnaie à des ouvriers encartés pour qu’ils aillent acheter des cafés à leur place. 10 heures, sur le trottoir d’Ivry. Nous rejoignons la dernière balustrade où l’on peut encore s’asseoir. “Ils ont scié les autres pour nous forcer à rester debout”, peste Dan, un Roumain de 32 ans qui a de plus en plus de mal à “supporter ces journées de dix heures debout avec le bruit des voitures et la pollution.”  En face du groupe de Roumains, un grand Tunisien au corps voûté ne tient pas en place. Arrivé il y a huit mois, Lamjed, 19 ans, explique qu’il n’a “réussi à travailler que quinze jours” depuis sa venue en France. Pour lui, “c’est à cause de la crise dans toute l’Europe”. Lamjed s’interrompt. Il a repéré une voiture de police qui s’approche. Sur ses conseils, nous le suivons pour rejoindre la plate-forme commerciale qui surplombe le magasin Batkor. De notre perchoir, nous voyons s’arrêter la voiture. Trois policiers en descendent, approchent un groupe de sans-papiers qui s’éloignent à mesure qu’ils avancent. Les policiers ont réussi à les faire se déplacer et n’iront pas plus loin : ils font demi-tour et regagnent leur véhicule. Lamjed et les autres migrants reviennent doucement sur le parking, comme si de rien n’était.

Deux jours plus tard, le dimanche 30 octobre, une voiture de police s’arrête à nouveau devant le Batkor. Claudiu, un Roumain corpulent, prend l’initiative. Il marche vers les policiers et leur explique qu’il “cherche un patron”. Il précise qu’il est “européen”. Un policier détache une bombe lacrymogène de sa ceinture et la pointe sur le visage de Claudiu. Il sourit de travers et lui dit : “On s’en fout ! Allez chercher du travail sur Paris, pas sur Ivry !” A présent, les policiers se tournent vers moi. L’un d’eux me plaque au mur, m’ordonne d’écarter les bras et jette mon sac au sol. Je demande la raison de cette fouille, l’officier à lunettes me répond nerveusement : “Nous ne sommes pas des lapins de trois semaines”. Il me demande mes papiers. En découvrant ma carte d’identité française, les policiers s’étonnent : – Vous pouvez travailler, qu’est-ce que vous faites ici ?  – Je ne cherche pas du travail : j’attends des amis. – Ouais, c’est ça, à d’autres. Si dans une heure, on vous retrouve devant le magasin, on vous embarque. Les policiers se montrent ici au moins deux fois par jour. Ils font s’éloigner les clandestins des abords du magasin, comme s’il fallait maintenir un décor respectable. La plupart du temps, ils contrôlent un ou deux sans-papiers et parfois les arrêtent. La veille, le Tunisien Farid, cousin de Lamjed, a été embarqué au poste. On l’a gardé une heure. Ces policiers appliquentils des consignes ? La préfecture

un policier me plaque au mur et jette mon sac au sol

de police refuse de répondre à cette question. Pourquoi ? “Il y a trop de demandes en ce moment”, nous dit le responsable de la communication. A la mairie d’Ivry, le directeur de cabinet du maire s’interroge sur le comportement de la police. Il y voit une politique qui met seulement la pression sur les travailleurs sans papiers : “Le mieux serait d’arrêter les employeurs des travailleurs clandestins, mais apparemment, ce n’est pas la priorité de la police nationale.” La maire PCF de Bobigny, Catherine Peyge, critique le comportement des enseignes qui accueillent ce marché parallèle. “Elles acceptent que leur clientèle emploie ces travailleurs dans une extrême précarité. Le phénomène se généralise dans tous les magasins de bâtiment.” Ces commerces sont pris dans une contradiction. Ils ne veulent pas froisser une clientèle qui trouve dans leurs rayons de bricolage low cost l’occasion de s’offrir les produits et la maind’œuvre qui va avec. La direction de Batkor est injoignable. Olivier Gonzales, qui dirige la communication de la Plateforme du bâtiment, répond comme un automate “Nous n’avons aucun problème… Nous n’avons aucun problème…” à toutes nos questions. 13 heures, sur le parking du Batkor d’Ivry. Abou le Malien revient vers nous. Il nous donne deux conseils. Le premier, c’est que midi passé, il ne sert à rien d’espérer trouver du travail. Le second conseil est d’ordre météorologique. “Dans quinze jours, il fera trop froid pour tenir ici toute la matinée.” Où faudra-t-il chercher du travail alors ? Abou sourit et hausse les épaules. 1. les prénoms ont été changés

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call-girl à la semaine Après avoir vendu des melons et donné des cours d’anglais, Lise a choisi un job à 200 euros de l’heure. par Camille Polloni photo Emmanuel Pierrot/VU ontre le patriarcat, enculer des hommes mariés est une éducation de terrain.” Féministe, anarchiste, débrouillarde et pute, Lise1 a décidé d’arrêter de travailler “pour toujours”. A 20 ans, après avoir galéré à “vendre des melons, bosser dans des grandes surfaces, donner des cours d’anglais, décharger des camions”, elle a pris la tangente. La prostitution, pour elle, n’est pas un travail mais “une activité lucrative”. Lise la pratique environ une semaine par mois depuis trois ans, sans s’imposer de rythme obligatoire. Si elle est fatiguée ou si elle a autre chose à faire, elle passe son tour. En tant que call-girl, elle refuse la “tarification à l’acte” mais facture à l’heure, deux cents euros, pour un à trois clients dans la journée, triés selon ses critères et à ses conditions.

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La crise, elle l’emmerde, les patrons aussi. “Je ne suis aux ordres de personne, pas au sens libéral du terme où je serais mon propre patron, mais au sens où il n’y a pas de patron du tout. Je suis complètement autonome.” Au passage, elle aide financièrement les amis qui en ont besoin. Admettant la nécessité de trouver de l’argent mais pas celle de passer sa vie à en gagner peu, Lise a réfléchi. “Quand j’ai compris que j’allais devoir bosser pour payer mon loyer, et payer mon loyer pour bosser, je me suis dit : non mais attends, ils se foutent de ma gueule ? C’est quoi ce cercle vicieux de merde ?” A l’époque, on la paie

Se prostituer ne lui pose pas de problème : “C’est moi qui les baise” huit euros de l’heure pour faire l’hôtesse. “Je vendais déjà mon apparence physique, mon sourire, je devais être bien habillée pour plaire physiquement aux hommes.” Pas vraiment adepte de “la sacralisation du cul”, elle saute le pas qui lui permet d’empocher de l’argent rapidement. Le reste du temps, elle récupère sa liberté de mouvement, des heures, des jours et le budget pour voyager à l’étranger, faire des rencontres, militer, aller à la plage, apprendre. Brune, jolie, méditerranéenne, Lise rigole beaucoup. Elle parle vite, au rythme volubile de sa réflexion, regarde toujours dans les yeux. Elle-même se dit “canaille”, et surtout “entière”. Non, se prostituer ne lui pose pas de problème. “C’est moi qui les baise.” Non, elle n’accepte pas l’étiquette de victime, qu’on la voie comme une esclave d’un

système, proie à son insu qu’il faudrait sortir de là. “Il y a des efforts à fournir mais ce n’est pas de la souffrance comme il peut y en avoir au boulot.” Lise est une pute organisée, avec sa bande, son “association de malfaiteuses”, avec qui “on se raconte les histoires de cul, on vole du saumon et on ouvre du champagne. A chaque rendez-vous, les copines savent où on va, à quelle heure. Les débutantes sont suivies, une copine les attend à la sortie du premier rendez-vous.” Elle vante les liens de solidarité et de sociabilité qu’elle a pu découvrir, y compris avec les clients, tantôt richards tantôt popus, avec qui elle joue tour à tour “la psychologue, la masseuse, la conseillère matrimoniale”. Les leçons de morale ne la touchent pas, elle les écoute de haut. “Ce sont les mêmes qui critiquent les dealers en disant ‘c’est pas comme ça qu’on change la société’. N’empêche que le dealer, c’est comme ça qu’il paie à bouffer à sa mère.” 1. le prénom a été modifié 9.11.2011 les inrockuptibles 39

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2011 dans le miroir de 1929 Même contexte, mêmes erreurs, mêmes risques : l’économiste Christian Chavagneux compare la Grande Dépression à la crise d’aujourd’hui. propos recueillis par Anne Laffeter et Bernard Zekri

Occupy Wall Street

inégalités, récession et montée du populisme Bernard Madoff

Carlo Ponzi

Timothy A. Clary/AFP

1929. Les 10 % les plus riches accaparent la moitié des revenus, 1 % d’entre eux le quart. Dans les années 30, le chômage monte à 25 %. En Europe, le fascisme et le nazisme mènent à la guerre. Aux Etats-Unis, on voit des images incroyables de défilé nazi à Central Park. Le risque fasciste existe mais Roosevelt réussit finalement à redonner confiance dans la décision politique. 2011. En 2007, la répartition des revenus est la même qu’en 1929. Le chômage est moins élevé mais en 2012 les politiques de relance d’après 2008 ne feront plus effet. La rigueur mène dans le mur. Il faut certes maîtriser la dette mais aussi faire une politique de relance, de grands travaux, mener la transition écolo. Partout en Europe, on assiste à la montée du populisme.

les escrocs de la crise le poison des paris spéculatifs 1929. A l’époque, la spéculation immobilière s’appuie sur les mêmes procédés que ceux de la crise des subprimes. D’une manière générale, les produits toxiques sont bâtis sur un modèle identique à celui inventé au XVIIe siècle en Hollande lors d’une spéculation sur les tulipes. Les Hollandais appelaient ça le “commerce du vent”. 2011. Les produits financiers complexes servent à 90 % à prendre des paris spéculatifs. De 1929 à la crise des subprimes, à chaque fois qu’on a laissé les petits génies de la finance inventer des nouveaux produits sans les contrôler, ça s’est très mal fini.

1929. Carlo Ponzi, émigré italien aux USA, rencontre au court d’un séjour en prison Charles W. Morse, banquier crapule de la crise de 1907. A sa sortie, Ponzi crée une banque où il promet à ses clients un rendement de 50 %. En 1920, le principe de la “pyramide de Ponzi” est mis à jour : l’argent des nouveaux arrivés paie les anciens. 2011. Bernard Madoff est un conseiller financier réputé avec une stratégie de placement modeste : 8 à 10 % de rendement. Sa pyramide frauduleuse dure de longues années. Mais avec la crise, les escrocs providentiels se font prendre car ils ne peuvent rendre l’argent réclamé par leurs clients.

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Barack Obama

Franklin Delano Roosevelt

Library of Congress

ils ont vu la crise avant tout le monde 1929. Le journaliste du New York Times Alexander Dana Noyes est un de ceux, avec le banquier Paul Warburg, qui tirent la sonnette d’alarme. Il avait déjà couvert la crise de 1907. A l’époque, les deux agences de notations Poor’s Publishing et Standard Statistics – qui fusionneront en 1941 pour créer Standard & Poor’s – alertent aussi sur la spéculation. En 2000, ces mêmes agences trouveront les produits toxiques respectables. 2011. Dès les années 1990, certains régulateurs de la finance, comme Brooksley Born aux Etats-Unis, comprennent le potentiel déstabilisateur des produits toxiques. On ne les écoute pas. Dans les banques, certains contrôleurs des risques ont dénoncé la montée d’une bulle. On les a mis sur la touche.

ceux qui sauvent le monde (ou pas)

Library of Congress

Soupe populaire pour chômeurs à Chicago, 1930

1929. Le président américain Franklin Delano Roosevelt va imposer un nouveau cadre à la finance : fini l’idéologie du laisser-faire. Il prend ses fonctions en 1933, un samedi. Le dimanche, Roosevelt ferme l’ensemble du système bancaire américain pendant dix jours ! Habilement, il laisse les plus radicaux menacer les banquiers de nationalisation s’ils refusent les régulations. Parallèlement, la commission d’enquête dirigée par Ferdinand Pecora démontre la nature intrinsèquement frauduleuse de la finance. Pendant qu’il mène les banquiers à la barre, Roosevelt négocie avec eux. Il fera voter la séparation des banques d’affaires et commerciales, la garantie des dépôts et le renforcement des pouvoirs de la banque centrale. Avec les accords de Bretton Woods de 1944, il encadre la mondialisation financière. 2011. Barack Obama n’a pas de Ferdinand Pecora même s’il a mis en place une commission d’enquête dirigée par Phil Angelides. Son rapport passionnant montre que ceux qui ont tenté d’alerter ont été virés ou placardisés et dénonce le pouvoir des agences de notation. Mais les conseillers d’Obama, Lawrence Summers et surtout Tim Geithner (son secrétaire d’Etat au Trésor) sont proches des milieux d’argent et bloquent toute régulation forte et immédiate. On a cru qu’Obama, avec la légitimité démente de son élection, pouvait tout faire. Mais il n’a injecté dans l’économie américaine que 800 milliards de dollars alors qu’il en fallait 2 000. Aujourd’hui, les républicains lui refusent une nouvelle relance. S’ils gagnent les prochaines élections, ce sera l’horreur dans le monde entier : ils n’ont aucune rationalité économique.

ceux qui ont laissé faire

Alan Greenspan

disent qu’il y a alors de quoi faire de l’argent en devenant le lieu où les eurodollars, les dollars circulant hors des Etats-Unis, seront déposés et prêtés. Et ça a marché ! La dérégulation s’accentue avec l’adoption du système de taux de change flottants en 1971 et les politiques de Reagan et Thatcher. Dans les années 90, les petits génies de J.P. Morgan redéveloppent les produits toxiques. Bill Clinton, sous l’influence de Lawrence Summers, Robert Rubin (l’un et l’autre successivement secrétaires d’Etat au Trésor) et Alan Greenspan (président de la Fed), refuse de les réguler. Son unique regret, dit-il aujourd’hui.

Andrew W. Mellon

National Photo Company Collection /Library of Congress

Kevin Lamarque/Reuters

1929. Le Président Calvin Coolidge et son secrétaire d’Etat au Trésor Andrew W. Mellon, très proches des milieux d’affaires, mènent une politique ultralibérale et de baisse d’impôts. Lorsque la crise survient, Mellon conseille au nouveau Président, Herbert Hoover, de “liquider” le travail, les actions, les fermiers, l’immobilier. Seuls resteront les plus forts, estime-t-il. 2011. Les accords de Bretton Woods, en 1944, ont assis la domination du dollar et régulé la finance mondialisée. En 1958, les banquiers de la City comprennent que le dollar a définitivement remplacé la livre sterling et se

Christian Chavagneux est l’auteurd ’Une brève histoire des crisesfi nancières. Des tulipes aux subprimes (La Découverte), 235 pages, 16,50 €

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Guillaume Binet/M.Y.O.P

Journal télévisé, sur TF1 et France 2, le 4 novembre

le plan de sortie de crise de Sarkozy Le chef de l’Etat compte sur “une prise de conscience” des Français face à la gravité de la crise économique pour s’imposer face à François Hollande en 2012.

 U

n nouveau plan de rigueur, des mesures budgétaires sans précédent depuis… 1945, selon le Premier ministre François Fillon, un président français et une chancelière allemande posant un ultimatum au gouvernement grec en plein G20, Nicolas Sarkozy, les cheveux mouillés par la pluie, et Barack Obama côte à côte aux journaux télévisés de TF1 et France 2 pour expliquer la gravité de la situation aux Français. Depuis une semaine, les images se bousculent mais le scénario arrêté par les

stratèges de l’Elysée se précise : en 2012, le chef de l’Etat jouera sa réélection sur le thème de l’expérience face à la crise et de la capacité à assumer des décisions impopulaires. Directeur non (encore ?) officiel de la campagne, Alain Juppé se charge de mettre en musique le nouveau storytelling sarkozyste : “Nous avons un Président qui, dans la tourmente, a la bonne intuition. Il fixe le cap, il tient bien la barre. Ce que doit faire le Président, c’est continuer à faire son job comme il le fait aujourd’hui”, répète

le ministre des Affaires étrangères devant chaque micro qui se tend. “He’s competitive”, a estimé Barack Obama à propos de Nicolas Sarkozy lors de l’interview croisée de vendredi. “Il n’aime pas perdre”, a relayé le traducteur français. Voilà la gauche prévenue. Le “Président sortant” moqué par François Hollande va tout faire pour rester cinq ans de plus à l’Elysée. Et dans la bataille d’opinion qui s’engage, tout est bon pour valoriser le bilan d’un quinquennat attaqué dès l’automne 2008 par la crise financière et économique. 9.11.2011 les inrockuptibles 43

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Patrick Bernard/Abacapress

“Si on y regarde de près, il n’y a pas de quoi rougir, estime un élu de l’UMP. D’ailleurs, dans les sondages, droite et gauche sont à peu près au même niveau en matière de crédibilité face aux problèmes économiques. Avec ce que dit le PS tous les jours sur le quinquennat raté, on devrait être sous le niveau de la mer !” A l’Elysée et à l’UMP, on se réconforte notamment au vu des derniers résultats du baromètre TNS-Sofres : un bond de six points en octobre pour Nicolas Sarkozy, avec 30 % d’opinions favorables. La fameuse barre des 30 %, le Graal électoral pour le premier tour de la présidentielle. “Président de crise” en pleine “représidentialisation”, Nicolas Sarkozy retarde au maximum son entrée en campagne. Mais il est déjà candidat lorsqu’il accroît le rythme de ses déplacements sur le terrain, désormais deux ou trois par semaine, ou quand il fustige, lors de son intervention télévisée du 27 octobre, les 35 heures ou la retraite à 60 ans, des “mirages” économiques imposés par les socialistes. Plus significatif encore, Nicolas Sarkozy a déjà donné le signal de l’offensive générale contre François Hollande. “Il sait qu’il est condamné à une drôle de campagne jusqu’au mois de février. Rappelez-vous la drôle de guerre de 39-40 ! Mais en attendant, comme l’aviation prépare le terrain pour l’infanterie, il nous revient de canarder Hollande”, résume un responsable de l’UMP. Selon le Figaro-Magazine, Brice Hortefeux, fidèle exécutant du chef de l’Etat, a eu cette phrase révélatrice : “Hollande, il faut le mordre au mollet dès maintenant, il finira bien par mettre un genou à terre.” La majorité bénéficie pour ce faire du rééquilibrage des temps de parole qui s’est opéré à la radio et à la télévision après la primaire socialiste. Le bombardement est méthodique et précis : plutôt que de viser François Hollande sur un programme que l’on ne connaît pas encore dans ses

“la cigale Sarkozy a chanté tout vendredi mais lundi, avec le plan de rigueur, ce sont les Français qui seront les fourmis de la farce !” François Hollande détails, ministres et élus de la majorité s’en prennent à ce qu’ils estiment être le point faible du candidat : son manque d’expérience sur les scènes intérieure – il n’a jamais été ministre – et internationale. Il y a quelques mois, c’est Nicolas Sarkozy lui-même qui se moquait de François Hollande en soulignant que lui pouvait parler à Barack Obama quand le socialiste ne pouvait s’adresser qu’à “M. Dugenou, ramasseur de champignons en Corrèze”. Alors aujourd’hui, quand François Hollande critique le peu de résultats du G20 de Cannes, qui devait consacrer la stature internationale de Nicolas Sarkozy mais a été dynamité par la crise de l’euro,

il s’attire cette réplique cinglante d’Alain Juppé, le plus titré des chefs de la diplomatie française : “Avec la très longue expérience des grandes rencontres internationales qu’a M. Hollande, je ne doute pas qu’il aurait su trouver les moyens par un claquement de doigts de convaincre !” “François Hollande n’a rien proposé face à la crise de la dette et à la crise européenne cette semaine !”, assène Bruno Le Maire, le ministre de l’Agriculture, chargé d’élaborer le projet de l’UMP pour 2012. Sur Twitter, devenu le réseau social numéro un pour la campagne électorale qui commence, le bazooka est aussi de sortie : “Franchement, vous imaginez @fhollande aux côtés de Barack Obama ?” ou encore “Pendant que Hollande s’occupe de l’affaire Guérini et des accords avec EELV, Sarkozy s’occupe du monde avec Obama”. Sur I-Télé vendredi soir, on osait même un parallèle entre les images de François Hollande prises vendredi dans une ferme corrézienne et celles de Ségolène Royal avec un mouton dans les bras, illustration du “trou d’air” de la candidate socialiste lors du lancement de la campagne de Nicolas Sarkozy en janvier 2007. Comme Nicolas Sarkozy, François Hollande

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édito

le Ché ou le C hon ? “comme l’aviation prépare le terrain pour l’infanterie, il nous revient de canarder Hollande” un responsable UMP

François Hollande dans son costume de député de Corrèze, Brive-laGaillarde, le 5 novembre

ne prévoit pas d’entrer en campagne avant le début 2012. Ce n’est pas avant le mois de janvier que le candidat socialiste fera connaître ses propositions. Les hollandais prennent avec une légèreté affichée des attaques “qui viennent six mois avant l’élection”, mais le député de Corrèze est contraint de monter en défense bien avant la fin de la “diète médiatique” dont il avait parlé à l’issue de sa victoire à la primaire, le 16 octobre. A l’UMP, on a une explication : “Toute baisse dans les sondages, qui ne manquera pas de se produire, sera à mettre à notre crédit.” Pour l’instant, François Hollande plane à plus de 60 % des intentions de vote au second tour de la présidentielle. “On les connaît leurs arguments : la gauche dépensière, irresponsable, inexpérimentée, eh bien ils verront !”, riposte le candidat socialiste. Il se défend de céder à une quelconque pression et justifie même sa contre-programmation du G20 : Foire du livre de Brive, visites de fermes, match de rugby et rencontres avec ses administrés corréziens. “Oui, j’aime parler aux Dugenou !”, plaisante François Hollande, avant d’ajouter, plus sérieusement : “Les Français doivent rester au cœur de ma démarche.” Et il place

une charge de dynamite au cœur de la communication élyséenne sur le G20 : “La cigale Sarkozy a chanté tout vendredi mais lundi, avec le plan de rigueur, ce sont les Français qui seront les fourmis de la farce !” Le candidat PS déroule son programme des deux prochains mois : mettre sur pied une équipe de campagne, ce qui devrait être fait assez vite, et arbitrer les mesures du projet présidentiel. “Ce n’est pas la crise qui me dicte l’agenda, j’avais déjà dit que j’établirais la liste des priorités. Chaque candidat dans une campagne doit faire la hiérarchie des possibilités (…) Nous sommes contraints par la faible croissance de 2012 mais rien ne dit qu’en 2013 ou 2014 ce sera la même chose”, explique-t-il aux Inrocks. Ce mercredi, François Hollande tient une conférence de presse, à l’issue d’une réunion avec des économistes, pour expliquer ses solutions à la crise européenne. Il préconise déjà de “doter le Fonds de stabilité financière de manière puissante pour permettre à la Banque centrale européenne d’intervenir” et “une relance de la croissance”. Le député de Corrèze prévoit aussi de s’en aller courir le vaste monde. Une visite à Washington est prévue dans les prochaines semaines. “Il n’y a pas de rendez-vous accordé par le président américain au chef de l’opposition. Mais la tradition veut que quand on rencontre le vice-président, le Président passe une tête dans le bureau”, explique le socialiste, qui prévoit aussi d’aller au congrès du SPD à Berlin, à Bruxelles, et peut-être au Brésil. Mais François Hollande veut surtout contrer l’argumentaire sarkozyste. Pour le socialiste, “l’expérience” du chef de l’Etat, c’est “son bilan” et les “75 milliards de recettes fiscales perdues depuis le début du quinquennat”, en raison d’allègements consentis aux “plus grandes entreprises” et aux “ménages les plus favorisés”. UMP et PS sont au moins d’accord sur une chose : la présidentielle de 2012 doit être un choc droite-gauche. Hélène Fontanaud

Jean-Pierre Chevènement, 72 ans, celui que ses admirateurs appellent le Ché, se représente. Mais pourquoi donc ? Son créneau du patriotisme de gauche, du néosouverainisme, de l’Europe des peuples, de la relance par l’investissement, de l’opposition à “l’obsession” des critères de convergences et de la lutte contre l’orthodoxie financière est déjà largement couvert par Jean-Luc Mélenchon avec talent et tonitruance. Alors le Ché ou le Chon (prononcez “Tchon”) ? Jean-Pierre Chevènement ferait-il partie de ces glorieux ancêtres qui n’arrivent pas à voir dans les générations suivantes la possibilité de la relève ? Mélenchon et Chevènement divergent sur un point. Le premier est désormais acquis à l’impératif de la conversion écologique de l’économie. Le second, resté au XXe siècle, considère encore que l’écologie est une absurdité incompatible avec l’esprit des Lumières et l’idée du progrès. Bref, Chevènement c’est le Mélenchon du siècle dernier. Dire ça, ce n’est pas faire du jeunisme… Jean-Luc Mélenchon a 60 ans ! Alors pourquoi le Ché sort-il encore de sa retraite sénatoriale ? On ose espérer que le vieux grognard de la République, qui a toujours su défendre ses idées plus que sa carrière, qui a su démissionner des gouvernements auxquels il a appartenu quand la politique suivie ne correspondait plus à ses convictions, ne se présente pas pour des petites raisons de gestion de fin de vie politique… On ose espérer qu’il ne deale pas avec François Hollande quelques circonscriptions pour la poignée de fidèles qui reste avec lui, qu’il ne brigue pas, pour lui-même par exemple, la présidence de la commission de la Défense au Sénat récemment passé à gauche. Le Ché 2012, ce serait alors le combat de trop.

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Le Foll sort de l’ombre des François Méconnu du grand public, Stéphane Le Foll n’a jamais été très loin de François Hollande et sera aux avantpostes de sa campagne présidentielle. Avant de lorgner sur la circonscription de la Sarthe, délaissée par le Premier ministre.

 A

u PS, il est connu comme le loup blanc : toujours dans l’ombre de Hollande et dans les arcanes de Solférino. Auprès du grand public, en revanche, il fait encore figure de tête nouvelle. Stéphane Le Foll, 1,92 mètres, 51 ans, remarquable à sa tignasse poivre et sel à la Villepin qui tranche avec la calvitie habituelle du quinqua en politique. Distant quand il ne connaît pas, plus disert quand il se laisse apprivoiser, Le Foll n’est jamais loin d’un François : Hollande au niveau national, Fillon dans la Sarthe. Du premier, il connaît tout. Ou beaucoup, lui qui le suit depuis 1994, notamment comme directeur de cabinet quand le député de Corrèze était premier secrétaire du PS, puis coordinateur de la campagne quand Hollande est devenu candidat à la primaire. “Aujourd’hui, c’est

l’un des plus proches dans la campagne”, confie Hollande. Du second, Fillon, Le Foll ne veut rien. Juste sa circonscription législative de la Sarthe, la quatrième, qu’il a déjà essayé de lui ravir en 2002 puis en 2007 et qu’il compte bien remporter en 2012. Cette fois-ci, Fillon a décidé de se présenter à Paris, et Le Foll pourrait bénéficier de l’effet Hollande. “François”, décidément, n’est jamais loin. Même à la permanence de député européen de Stéphane Le Foll, au Mans, le candidat du PS est partout. Sur tous les murs. Impossible d’y échapper. Admiration, amitié, dévotion ? Le Foll vous arrête direct. Il s’enorgueillit d’être l’un des rares à pouvoir dire ce qu’il pense à Hollande, ce que confirme l’intéressé aux Inrocks. “J’ai toujours eu cette relation directe avec François,

je pourrais dire cette relation d’amitié, je lui dis ce que je pense mais…” Il s’arrête. “Après, François c’est François.” Manifestement, sur ce coup-là, Hollande pense pareil : “Nos relations sont humaines, amicales et politiques sans rapport hiérarchique. Ce n’est pas un collaborateur, c’est un responsable politique. Il est le seul qui s’autorise à me dire des choses que d’autres n’oseraient pas me confier. C’est précieux, même si ça ne veut pas toujours dire qu’il a raison.” Hollande poursuit : “C’est sûrement celui qui m’est le plus proche sur le plan personnel, et en même temps c’est celui qui pense qu’il n’est pas dans mon histoire car je ne le connais pas depuis trente ans comme Jean-Pierre Jouyet ou Michel Sapin.” Et de conclure : “Quand Stéphane était mon directeur de cabinet, nous avions

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“je suis garant de l’idée de ce qu’est François et de ce qu’il doit être. C’est ce que j’essaie de faire”

Parlement européen. Strasbourg, 26 octobre

une relation très intime. Mais quand j’ai cessé d’être premier secrétaire du PS, chacun a repris sa liberté. Notre histoire a évolué.” De son côté, Le Foll pèse ses mots puis s’enflamme : “Pourtant, quand il était tout seul, il n’y en avait plus qu’un, moi ! Il m’en a envoyé des SMS à ce moment-là !” Alors, ce 22 octobre, assis au premier rang, pour assister à l’investiture de Hollande comme candidat du PS à la présidentielle, Le Foll a savouré. “Vous n’imaginez pas comme le plaisir était grand quand je les voyais applaudir, ceux qui nous avaient tant méprisés !” En ligne de mire, les ténors du PS, à l’image de Laurent Fabius, qui n’avaient jamais cru dans les chances de Hollande. Le père de Stéphane Le Foll, Armand, ancien maire de Longnes (Sarthe), le ramène sur terre, se moquant gentiment de lui. “On t’a vu essayer de lui serrer la main pour

le féliciter mais il en avait rien à faire… Il embrassait sa copine. T’avais l’air un peu bête… On a bien ri.” Le Foll tire la tronche. Et de peur que son père en dise trop, il le rappelle à l’ordre… en breton qu’il parle couramment ! Son père de 77 ans, portrait de son fils en plus fin et aux cheveux blancs, se marre. Cette investiture, Stéphane Le Foll la savoure même en en reparlant. “Je me suis refait le film de la victoire et je me suis dit : punaise, par où on est passé ! Car il y en a eu des moments difficiles !”, souffle-til. “Le premier en 2006. J’étais tout seul à défendre François ! Deuxième temps, après les municipales en mars 2008. On aurait dû partir à ce moment-là mais on a traîné les pieds. On s’est retrouvé à préparer le congrès de Reims alors que beaucoup voulaient la tête de Hollande et qu’on était attaqués de partout. François ne savait plus quoi faire, il se dispersait. On voyait les gens partir, tout nous échappait.” En somme, quand les rats quittent le navire, Le Foll décide de rester. Selon les versions des socialistes, “Stéphane” prend les coups ou en donne et se voit affublé de surnoms plus ou moins vachards. “Il était toujours là pour me défendre et mordre en faisant le méchant si nécessaire”, se remémore François Hollande. “Je me souviens de la colère de Stéphane quand il avait lu un portrait que lui consacrait Marianne il y a quelques années. Il était décrit comme un homme brutal avec l’image de la clé à mollette.” Le Foll, lui, est d’autant plus agacé qu’il estime avoir toujours cherché à “ne défendre que l’image de François et son rôle”. “Je lui ai dit qu’il n’avait plus besoin de me protéger, qu’il n’avait plus besoin d’être le lieutenant et qu’il fallait éviter d’être la caricature de lui-même”, conclut Hollande. Il ne renvoie pourtant pas toujours l’ascenseur, pense Le Foll, “comme au moment d’annoncer les résultats des primaires de 2006, que je m’étais chargé d’organiser. François me dit : Rebsamen va le faire”. Le Foll voit rouge : “Je dis à Hollande, tu te fous de moi, là ? Des exemples comme ça, il y en a tellement…”, lance-t-il entre résignation et amertume. “Quand c’est comme ça, on prend un coup dur sur les oreilles. C’est pour ça qu’en politique, il faut exister par soi-même non pas par son rapport d’amitié. Tout va tellement vite qu’on peut rapidement se retrouver seul.” Il en a conscience : à mesure que la PME se transforme

en multinationale, son rôle est convoité, le centre de gravité de la “Hollandie” s’éloigne, “son François” lui échappe. “Ce n’est pas l’ancienneté qui donne des droits, c’est le rapport de forces. C’est la raison pour laquelle j’ai travaillé comme un fou.” Il prend la vice-présidence du groupe des socialistes au Parlement européen ; la présidence de Répondre à gauche, l’association créée en 2009 pour réunir les amis de François Hollande ; pilote les déjeuners des hollandais au Sénat ; essaie de s’entendre avec Pierre Moscovici, un strauss-kahnien nommé pourtant directeur de campagne… Couleuvre salée à avaler… “On a eu une explication très tôt avec Pierre, on s’est dit ce qu’on avait à se dire.” “Il est devenu Stéphane Le Foll”, analyse François Hollande. Comme parlementaire européen et comme élu local dans la Sarthe. C’est là qu’intervient l’autre François… Fillon, cette fois-ci. Parallèlement à sa vie au PS, Le Foll passe plusieurs jours au Mans, ville dont il a été conseiller municipal et où il agit aujourd’hui en tant que vice-président de la communauté urbaine. En 2002, aux législatives, il réalise un score de 25,06 % face à François Fillon (55,21 %), numéro 3 du gouvernement. Cinq ans plus tard, il arrive premier sur le Mans et se hisse à 30,03 % quand Fillon, déjà premier ministre, perd quelques points à 53,40 %. De quoi augurer de bonnes chances l’année prochaine : Fillon s’en va à Paris, Le Foll a la voie libre. Il compte bien en profiter. Le Foll ne s’arrête jamais. Même pendant les vacances de la Toussaint, il a continué à aligner les rendez-vous : avec Daniel Cohn-Bendit à Strasbourg au moment où les relations PS-les Verts se tendent sur la question d’une éventuelle sortie du nucléaire, avec Pierre Laurent du PCF à Paris, avec les jeunes de la campagne de François Hollande, avec des “copains syndicalistes” pour préparer les rencontres entre le candidat PS et les leaders syndicaux. Hollande, alors en vacances, l’appelle pour savoir comment ça se passe. Son nom s’inscrit en lettres majuscules sur le portable, “parce que c’est le chef” s’amuse Le Foll. “Je travaille, moi !”, lui répond-il . Huit trains en moyenne par semaine pour le Sarthois : Le Mans, Paris, Strasbourg, Bruxelles, pour jongler entre ses différentes casquettes d’élu. Toujours en mouvement… Même assis, Le Foll s’agite. Comme tous les grands, 9.11.2011 les inrockuptibles 47

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il n’est jamais bien installé. Et comme beaucoup de politiques, il fait deux choses en même temps : il discute et envoie des SMS. Il lit et téléphone. Toujours avec son oreillette BlackBerry, de laquelle il n’a même pas pris le temps d’enlever l’étiquette. “Ça marche, je te rappelle la semaine prochaine. Pas de problème.” Depuis l’investiture de Hollande, les coups de fils de “nouveaux amis” se multiplient, qui tous bien évidemment “souhaitent la victoire de François Hollande”. Avec pourquoi pas une petite place dans le dispositif de campagne… Le téléphone sonne quasi en continu avec cette sonnerie un peu métallique qui rappelle la musique d’un jeu vidéo. Quand on le lui fait remarquer, ça l’agace comme si ça ne faisait pas sérieux. “C’est fou ce que j’ai comme amis…”, rit-il, conscient qu’on en veut moins à sa pomme qu’à celle de son champion. “Comment on pourrait me définir ?” Il hésite. “Un soutien indéfectible ? Non, ça ne va pas... Ce qui m’a plu chez François, c’est sa sincérité dans le débat politique, c’est ça que je défends. Je veux être là pour le garantir et garder ce qui fait sa force : l’équilibre entre la détermination, la crédibilité et la simplicité.” Un gardien du temple, en somme… “Je suis garant de l’idée de ce qu’est François et de ce qu’il doit être. C’est ce que j’essaie de faire.” Sacré boulot ! Ce 4 novembre, avec quelques amis dans la Sarthe, il a enfin pris le temps de fêter la victoire de la primaire. “C’est quand même du bonheur. Faut en profiter, c’est furtif car il faut déjà repartir à la bataille.” Et si Hollande l’emportait en mai prochain, qui sait s’il ne sauterait pas une haie supplémentaire pour le suivre ? Pourtant, quand un ami au Mans le croise et le salue d’un “Bonjour, monsieur le ministre”, Le Foll l’envoie balader : “Ça va pas non, tu veux me porter la poisse ? Laissez-moi tous tranquille avec ça.” Lors de la primaire, un militant lui avait donné une pièce de 2 francs datée de mai 1981. Depuis, il la garde dans son porte-monnaie jusqu’à mai prochain pour pouvoir la remplacer, espère-t-il, par 1 euro de mai 2012. Marion Mourgue photo Guillaume Binet/M.Y.O.P

que le meilleur perde Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite. par Michel-Antoine Burnier

Quand M. Papandréou, Premier ministre grec, imagine tout seul un référendum perdu d’avance, y renonce et court à sa chute, qui contesterait encore notre théorie de la défaite ? Le pouvoir est un fardeau épouvantable, disons-nous. Voyez le sien : l’écrasante tutelle de l’Europe, des humiliations permanentes, les exigences brutales du FMI, la haine de son propre peuple, surtout la perspective grandissante d’une faillite honteuse. On comprend qu’il ait cherché tous les moyens de perdre et de quitter au plus vite le gouvernement. Regardons ensuite l’opposition. M. Caramanlis, chef de la droite, avait lorsqu’il était au pouvoir multiplié emprunts et faux chiffres. Ces brillantes actions lui avaient alors valu une défaite devant M. Papandréou. Dans l’opposition, quels délices ! Lui, le responsable du désastre, pouvait vitupérer les plans de rigueur du gouvernement, se moquer de l’Europe et narguer le FMI. Et voici que par une manœuvre turpide, M. Papandréou se préparerait à le ramener au pouvoir ! M. Caramanlis et son ami M. Samaras vont-ils hériter d’une faillite d’Etat, d’une expulsion de l’euro, d’un tragique retour à la drachme, d’une dévaluation de 40 ou 50 %, en deux mots de l’horreur économique ? M. Caramanlis, jusqu’ici perdant comblé, a peut-être trouvé plus victoricide que lui. Sans le vouloir, un éditorial de Libération (du 26/10/2011) explique toute

la stratégie de M. StraussKahn : “On peut se demander, écrit M. Sergent, si l’échangisme est bien le stade suprême du socialisme.” Voilà qui paraît exact à un détail près : il ne s’agit pas du stade suprême mais du stade primitif. Revenons en arrière : dans le premier tiers du XIXe siècle français, le socialisme naissant, dit utopique, avait deux hérauts, le saint-simonien Prosper Enfantin et le fouriériste Charles Fourier. Et que prônaient-ils l’un comme l’autre, quoique chacun à sa façon ? Le communisme du sexe, la collectivisation des femmes. En d’autres termes, M. Strauss-Kahn n’a fait que revenir aux sources authentiques du socialisme. Pourquoi cela ? Parce que ces heureuses expériences ont échoué sans exception, et celle de M. Strauss-Kahn comme les autres. Les dirigeants doivent à termes réguliers donner la mesure du mépris qu’ils portent à leur propre peuple. Ainsi les généraux égyptiens viennent-ils de libérer un étudiant israéloaméricain contre 25 repris de justice incarcérés en Israël. Une semaine avant, le Hamas avait rendu Gilad Shalit à sa famille contre 1 027 prisonniers palestiniens. Que comprendon ? Qu’un simple soldat israélien vaut plus de mille militants islamistes et un étudiant 25 voleurs ? Ce retour aux pires mesures du colonialisme européen relève de la volonté d’humilier un peuple. Sera-t-il perçu ? (à suivre...)

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le difficile anonymat des donneurs de sperme Aux Etats-Unis, les enfants nés de donneurs et leurs mères cherchent de plus en plus à retrouver les pères biologiques. Et parfois les 70 frères et sœurs qui vont avec. par Guillemette Faure illustration Jean Jullien

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ais qu’est-ce que c’est que ça ?” Une femme attrape un stylo dans lequel des petits têtards s’agitent de haut en bas. “Ah oui ! Je devrais le savoir...” La California Cryobank s’est fabriqué des stylos publicitaires transparents où gigotent des spermatozoïdes illuminés. Cadeaux pour les participantes à la conférence célébrant le trentième anniversaire des Single Mothers by Choice, une association américaine de femmes qui ont choisi d’avoir des enfants seules. Elles sont près de cinq cents dans un salon de l’hôtel Marriott à New York et parmi elles il y a Robert, pour le moment le seul homme de l’assistance. Robert s’est fait tout petit. Ça tombe bien, il est tout petit. Sur l’étiquette que chacun porte à la veste avec son prénom et l’âge de ses enfants, Robert a écrit “Robert, donneur”. Il a donné son sperme dans les années 1980. Il a même apporté avec lui les reçus fiscaux que lui délivraient des cliniques. “Sans vouloir me vanter”, me dit-il en montrant celui de 1986 où il déclare 3 850 dollars, “à 50 dollars le don”. Venus à la même conférence, Wendy Kramer et son fils. C’est un “intérêt pour les maths et les sciences que personne n’a du côté de (sa) mère” qui a conduit

Ryan (bachelier à 14 ans, ingénieur à 18) à se “poser des questions”. Plus exactement à se demander qui était son donneur. En 2000, avec sa mère, ils ont monté un site, le Donor Sibling Registry, qui propose aux donneurs et aux enfants de se retrouver. Théoriquement, le don est anonyme. Les banques de sperme, qui se sont développées avec la congélation obligatoire de la semence depuis l’épidémie de sida, ont pour cela mis en place un système de numéros. “De façon ironique, ce numéro qui devait servir à dissimuler l’identité du donneur permet aujourd’hui de le retrouver”, note Rosanna Hertz, sociologue qui étudie les mères célibataires1. Robert est déjà inscrit sur le Donor Sibling Registry et on ne l’a pas encore contacté. Il se fait peu d’illusions, question de génération. “Bien des enfants (qu’il a pu avoir) ne savent peut-être pas qu’ils ont été conçus ainsi”, dit-il. De combien d’enfants Robert a-t-il permis la naissance ? Pendant les années où il se rendait chez les spécialistes de l’infertilité, il voyait des photos de bébés, envoyées par leurs mères, accrochées au mur. “Je ne me posais pas de questions à l’époque.” Il sait seulement que “ses” enfants ont entre 23 et 30 ans aujourd’hui. Pendant les grandes années de Robert, le don de sperme s’adressait surtout aux couples infertiles,

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aidés aujourd’hui par les fécondations in vitro (FIV) et autres techniques de procréation assistée. Les banques de sperme se sont alors tournées vers un marché en pleine explosion : les célibataires et les couples lesbiens. Contrairement aux conjoints infertiles d’il y a trente ans, ces femmes ne cherchent pas à effacer l’intervention du donneur, au point que les banques leur offrent davantage de critères de choix (Robert, à cause de sa petite taille, serait moins demandé). Le Donor Sibling Registry compte aujourd’hui 30 000 adhérents. “Le gros du trafic, ce sont les femmes célibataires et les homosexuelles”, confirme Wendy Kramer, dont le fils, Ryan, a retrouvé son donneur en lui écrivant. Il lui a dit qu’il ne cherchait ni argent ni père mais qu’il s’interrogeait. Ils sont restés en contact. Ryan ne le considère pas comme son père, “plutôt comme un oncle éloigné”. Curieusement, il s’est aperçu que les parents du donneur habitaient à une trentaine de kilomètres de chez lui. A l’occasion, ils vont au restaurant ou au musée ensemble. Il s’est aussi découvert “trois demi-frères et sœurs” nés du même donneur et a constaté qu’il n’avait pas grandchose en commun avec eux. Deirdre Fishel, une documentariste new-yorkaise, a raconté dans Sperm Donor X comment, célibataire, elle avait conçu ses deux filles grâce à un donneur. Dans son film, on aperçoit le numéro de son donneur à l’écran. Trois familles l’ont contactée pour lui dire qu’elles avaient eu recours au même qu’elle et lui ont proposé d’échanger des photos et de mettre les enfants en contact. Elle ne sait pas trop quoi en penser. La sociologue Rosanna Hertz a conduit une étude sur le sujet pour le Journal of Family Issues2, révèlant que 61 % des mères de son échantillon ont cherché à retrouver des enfants issus des mêmes donneurs et que 84 % y sont parvenues. Certaines prennent ces contacts “comme elles prendraient une assurance sur des questions à venir de leurs enfants”, précise-t-elle. Beaucoup de ces familles se sont retrouvées grâce au Donor Sibling Registry ou d’autres sites similaires. Des groupes Yahoo! ou Facebook ont été créés : des familles ayant un donneur commun partagent des photos, échangent des informations médicales, se donnent rendez-vous pour les fêtes ou les vacances. Rosanna Hertz parle de “clans génétiques” : “Ils fonctionnent comme des sortes de réseaux sans obligations mutuelles dans lesquels on entre et sort facilement et qui peuvent se découvrir de nouvelles branches à tout moment.” Alors que de plus en plus de pays (Grande-Bretagne, Australie, Pays-Bas…) ont imposé la levée de l’anonymat des donneurs au nom de l’intérêt de l’enfant, les banques de sperme américaines proposent désormais des “donneurs ouverts” qui

“la vente de voitures d’occasion est plus encadrée” une économiste

acceptent que les enfants les contactent après leur majorité. Lissa, Anglaise, mère de deux enfants, a eu recours à l’un d’eux. Elle explique sa frustration devant les femmes qui participent à la conférence. “Il existe un groupe Facebook de familles qui ont eu recours à ce donneur. Elles sont déjà 74. Cela fait 81 enfants.” Elle est déçue, s’inquiète de la réaction de son fils. Il a 4 ans. Le temps qu’il ait 18 ans, combien d’enfants auront déjà contacté son donneur ? Wendy Kramer assure qu’un membre du Donor Sibling Registry a déjà 70 rejetons dont il garde la trace sur un tableau Excel. On pense soudain à La Valse aux adieux de Kundera où tous les enfants d’une ville d’eau se ressemblent parce que sous prétexte de soigner leur infertilité, le docteur Skreta insémine ses patientes avec son propre sperme. Aux Etats-Unis, l’existence de ces donneurs records (le New York Times en a identifié un avec 150 enfants) a alerté sur l’absence de régulation des banques de sperme. Contrairement à la France et à la GrandeBretagne, les Etats-Unis ne plafonnent pas le nombre d’enfants par donneur. Les banques savent ce qu’elles ont vendu mais pas combien d’enfants sont nés. Et les donneurs, comme l’a fait Robert, peuvent fréquenter plusieurs banques.“La vente de voitures d’occasion est plus encadrée”, se plaint Debora Spar, une économiste qui a travaillé sur le sujet à Harvard, dans un article du New York Times. “Soixante-dix familles à partir d’un donneur, c’est loin d’être typique”, remarque Rosanna Hertz. D’après ses travaux, les femmes célibataires ayant eu recours à des donneurs ont été en contact avec en moyenne 4,4 autres familles. Les trois quarts d’entre elles ont échangé par mail. Seulement 21 % ont cherché à se rencontrer. Elle s’attend d’ailleurs à ce que cela soulève pas mal de questions juridiques et de plaintes en justice. “Les frères et sœurs ont des droits, notamment en matière d’héritage.” “Bientôt on va avoir des groupes de donneurs qui voudront faire valoir leurs droits de père”, s’inquiète Caroline, une mère, agacée de la présence de Robert assis au fond de la salle. Curieusement, dans ce séminaire où l’on partage largement l’idée qu’un enfant ait besoin de connaître ses origines, la présence de ce dernier met mal à l’aise. “Ce n’est pas ce pour quoi j’ai signé”, dit Caroline, pour qui le donneur n’est pas supposé se manifester. “Il est un peu bizarre, non ?”, murmure une autre. Ce malaise a peut-être une explication. D’une certaine façon, Robert est un rappel à la réalité. Les spermatozoïdes ne vivent pas, comme le sous-entend Cryobank, enfermés dans les paillettes d’un stylo ou en porte-clés. Alors que les banques de sperme américaines permettent de sélectionner un donneur comme on choisit un partenaire sur Meetic (grand, diplômé…), la présence de Robert rappelle que ça peut être n’importe qui. Un type, la soixantaine clairsemée, qui ne paie pas de mine. Un type qui n’arrive pas à oublier qu’il a été donneur. 1. Single by Chance, Mothers by Choice de Rosanna Hertz (Oxford, 2006) 2. “Donor Siblings or Genetic Strangers: New Families, Clans and the Internet” in Journal of Family Issues, 2011

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California dream De Daft Punk à Mr Oizo, l’electro française se plaît bien à Los Angeles. M83 y a conçu un péplum hollywoodien, blockbuster épique et pop. par Thomas Burgel photo Nouck Bertin



l fait chaud. Il y a des palmiers, la mer à deux pas, la montagne à trois, des tremblements de terre cachés sous les pieds. Nous ne sommes pas en Californie mais à Antibes : après l’enregistrement de son nouvel album Hurry up, We’re Dreaming et avant de replonger dans la cadence infernale des tournées, Anthony Gonzalez est revenu y passer de paisibles vacances. Depuis le départ de son copain Nicolas Fromageau, désormais à la tête de l’excellent Team Ghost, Gonzalez reste l’unique cerveau derrière l’électronique atmosphérique, électrique et tectonique de M83. M83 est l’un des groupes français les plus réputés, adorés et attendus aux Etats-Unis : un potentiel à la Phoenix. Il semble donc logique qu’Anthony Gonzalez ait quitté l’an dernier sa Paca natale pour s’installer à Los Angeles. “La Californie ressemble à une Côte d’Azur puissance dix, tout est démesuré : les plages, les routes, les Américains. J’ai toujours été fasciné par les Etats-Unis, via les films ou la télé. Là, je suis en plein dans le rêve hollywoodien. Je vois des stars tout le temps : j’ai listé celles que j’ai croisées, un vrai truc de gamin. Quand je conduis, que je passe à côté des gratte-ciel de Downtown ou la nuit quand la ville s’éclaire, j’ai parfois du mal à réaliser que j’y habite.

Je suis tombé amoureux de la région : tu as la ville, la montagne, la mer, tu prends ta voiture et tu traverses des paysages radicalement différents toutes les deux heures… Pour les albums précédents, j’avais déjà en tête des images de déserts. Pour ce disque, j’ai souvent réalisé ce rêve : je prenais la voiture, j’allais passer deux nuits dans le désert, j’ouvrais mon ordinateur et je composais.” “Terre de lait et de miel”, la Californie est aussi celle du Celluloïd. Installé à Hollywood plutôt que dans les quartiers plus bohèmes de Silverlake ou Echo Park, Gonzalez a rencontré à L.A. son eldorado personnel : l’épicentre mondial de l’industrie cinématographique. “J’ai déménagé là pour faire des musiques de films. L’image et le cinéma m’ont toujours marqué. Mon frère est réalisateur, il m’a fait découvrir beaucoup de choses quand j’étais ado et je continue à regarder beaucoup de films – Terrence Malick, David Lynch, Gregg Araki, Gus Van Sant... Mon idéal, c’est une BO par an et un album studio tous les deux ans.” Gonzalez a eu en 2010 une première opportunité de bande-son avec L’Autre Monde de Gilles Marchand. Mais le rêve a viré au cauchemar : pieds, poings et idées liés, déçu de ne pouvoir prendre aucun risque, déçu par le film lui-même, Gonzalez a fini

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AnthonyG onzalez, seul cerveau de M83

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“j’allais passer deux nuits dans le désert et je composais” par quitter le projet. Un quasi-traumatisme pour un garçon à la touchante ambivalence, chez qui modestie et doutes profonds coexistent en permanence avec assurance et ambition sans limite. “J’ai toujours eu le sentiment que ma musique était moins forte, moins belle que celle des autres. Quand j’écoute les Fleet Foxes ou Emeralds, je me dis que je ne suis qu’une merde. Je commence à mieux le vivre, mais j’ai toujours eu du mal à m’assumer. J’ai envie de beaucoup de choses, à tel point que j’ai parfois l’impression d’avoir perdu mon temps : je me dis que j’aurais pu faire davantage, ça me ronge. Plus j’évolue, plus j’ai envie d’expérimenter, de me lancer dans des projets un peu fous, un album de hip-hop, un album sataniste, des musiques de jeux vidéo. Si je devais mourir demain, je serais fier de ce que j’ai fait mais surtout dévasté de ne pas avoir eu le temps d’en faire plus.” S’il mourrait demain, Anthony Gonzalez aurait au moins eu le temps de réaliser un caprice mégalomane que plus personne, en période de crise du disque et de castration des ambitions, n’ose s’octroyer : un double album. Un projet “un peu fou”, Hurry up, We’re Dreaming ? Un disque totalement dingue, plutôt – le film insensé Aguirre, la Colère de Dieu de Werner Herzog a traîné sur un écran du studio pendant certaines sessions, et cela se sent. Réalisé avec Justin Meldal-Johnsen, notamment bassiste de Beck ou de Nine Inch Nails, fondé sur le concept de dialogue invisible entre les songes de deux enfants, le très variable mais très cohérent Hurry up, We’re Dreaming est un album bigger than life. “Quand tu écoutes My Bloody Valentine ou Sonic Youth, tu as l’impression que le soleil te brûle la peau. Nous avons voulu quelque chose d’assez fort, qui fasse parfois saigner les oreilles, une musique qui rende difficile de se concentrer sur autre chose. Quelque chose à bout de souffle, qui te pèse mais qui t’inspire, te fascine et t’accapare.”

Ce blockbuster pop choquera certains esthètes mais ravira les amateurs de grandiloquence belle et assumée : comme dans un étrange testament avant l’heure, avec la volonté d’élargir les horizons soniques de M83, sans souci d’économie ni peur du trop, Gonzalez y a mis toutes ses forces, son savoir, ses envies anciennes et ses désirs nouveaux. Il s’est d’abord lui-même jeté dans le maelström : en pleine confiance, le Français s’est emparé du chant avec une aisance et une puissance surprenantes. Il signe là la bande originale d’une vie d’émotions vives et d’images résiduelles : des scènes d’action et des rêves de SF, la bande-son de Miami Vice ou celle de dessins animés japonais, des synthés clinquants et des basses slappées, des saxos exubérants et des guitares magmatiques, des arrangements majeurs et du porno des années 80, des chansons belles et délicates ou des tubes fracassants pour ondes FM globales. Hurry up, We’re Dreaming est une œuvre épique, totale, qui s’impose à l’auditeur : on aura du mal à y échapper ces prochains mois. album Hurry up, We’re Dreaming (Mute/Naïve) concerts le 30 novembre à Paris (Gaîté Lyrique, complet) et le 15 mars (Cigale)

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l’attrait des Anges Visite à Los Angeles chez ces musiciens français, historiques de la French Touch, attirés par “une ville où tout est possible, aux antipodes de la mentalité parisienne”. par Yann Pereau

L  

a scène se déroule aux Grammy Awards en 2008, à L.A. Devant un public conquis, Kanye West entonne son tube Stronger. Soudain, une pyramide s’allume derrière lui. L’hystérie s’empare de la salle, lorsque deux robots apparaissent en haut de celle-ci. Récemment installés à L.A., les Daft Punk célèbrent leur triomphe américain. Le rêve californien n’a rien de nouveau. Mais jusqu’ici L.A. avait tendance à attirer les anciennes stars de la chanson française, des plus illustres (Polnareff, Hallyday, Vartan) aux plus oubliés (Jeanne Mas, Francis Lalanne). Comme ne cesse de le répéter Thomas Bangalter de Daft Punk : “Los Angeles ne connaît pas de limite. C’est une ville où tout semble possible, aux antipodes de la mentalité parisienne.” California Dreamin, résume le premier titre de l’excellent nouvel album de DJ Cam. Installé depuis bientôt un an, le musicien apprécie la qualité de vie et l’esprit de liberté du Golden State. Il a pris ses quartiers à Venice Beach, près de l’océan, transformant le garage de sa maison en studio d’enregistrement. DJ Cam rappelle qu’il a “toujours fait 70 % de ses ventes aux Etats-Unis”. Estimé depuis longtemps par des figures du hip-hop US (Guru Côte Est, Compton’s Most Wanted Côte Ouest), il veut désormais “qu’on le reconnaisse dans le milieu du cinéma”. Il figure déjà dans des BO de films de Wayne Wang et Gus Van Sant. “Dans une scène locale très portée sur un format rock, les opportunités sont quasi quotidiennes pour les artistes electro, dont la musique se prête mieux à une exploitation cinéma, TV, jeux vidéo, etc.”, confirme Jean-Christophe Harel, ancien d’Universal devenu attaché culturel au consulat général de France, surtout quand on est français. Car au-delà du business, Hollywood et la French Touch

vivent depuis dix ans une véritable lune de miel. Sofia Coppola invite Air puis Phoenix sur ses BO, les studios Disney offrent à Daft Punk de s’attaquer à Tron : l’héritage.Suivant le mouvement, Quentin Dupieux (alias Mr Oizo) est venu tourner son film Rubber dans le désert avec Gaspard Augé de Justice à la BO. Au fond, l’histoire de la French Touch en Californie, c’est un peu le pendant au XXIe siècle de celle des musiciens de jazz américains à Paris dans l’après-guerre. Un dialogue fructueux qui remonte aux origines même du mouvement. De la house made in Chicago chez Daft Punk au hip-hop obscur de Los Angeles chez DJ Cam, les pionniers de l’electro française ont trouvé l’inspiration outre-Atlantique. C’est désormais dans l’autre sens que cela se passe – Air, Daft Punk, Justice et les autres croulant sous les demandes de remixes par des stars de la pop en panne d’inspiration ou des novices à la recherche de légitimité. Autre exemple significatif, le succès de Sébastien Tellier, “considéré à L.A. comme l’incarnation parfaite du dandy à la française, une sorte de nouveau Serge Gainsbourg”, se réjouit Stéphane Elfassi, codirecteur de Record Makers. Le label fut en 2010 l’invité d’honneur du festival OohLAL.A. ! qui fait beaucoup, depuis trois ans, pour la reconnaissance de la nouvelle scène française sur la Côte Ouest. Pour l’événement, le dernier album de Tellier, Sexuality, sortait en exclusivité aux Etats-Unis via les magasins American Apparel (marque basée à L.A.).

Hollywood et la French Touch vivent depuis dix ans une véritable lune de miel

Parti l’hiver dernier “dans la précipitation la plus totale”, Etienne de Crécy ne regrette rien de son expérience “formidable” de six mois dans la capitale de l’entertainment. Il prévoit déjà d’y retourner. Portés par le succès des plus grands, certains sont partis de rien pour se faire une place. Ainsi Mathieu Schreyer, ancien modèle débarqué à L.A. sans connaître personne. Sa vie bascula lorsqu’il se lia d’amitié avec Dr. Dre. Aujourd’hui, celui qu’on appelle Mister French est l’un des DJ les plus reconnus de KCRW, la célèbre radio indépendante de la ville. Les choses ont pris plus de temps pour Charlie Sputnik. Angelino depuis 1999, ce musicien de jazz s’est récemment mis aux platines. “Avec la French Touch 2.0, tu trouves tout de suite des gigs si tu es frenchy !” Le succès a entraîné le meilleur comme le pire. Il suffit d’écouter la radio en Californie : les tubes chromés du hip-hop mainstream ont intégré les formules de l’electro – voix métalliques à la Daft Punk, auto-tuning et sampling à hautes doses… On ne s’attardera pas sur le cas David Guetta ni sur le symptôme Bob Sinclar, si ce n’est pour rappeler comment L.A. peut être aussi synonyme de mégalomanie. On finira en revanche par la belle réussite de M83 : à peine débarqué en 2009, Anthony se voyait invité à jouer avec l’illustre L.A. Philharmonic du Walt Disney Concert Hall. Aujourd’hui, M83 puise son inspiration dans “le paysage urbain et futuriste, avec ses freeways, l’océan et le désert”. Ce paysage, on le voit aussi défiler dans le film Drive, dont le premier titre de la BO, signé Kavinsky, est déjà culte. Sorti chez Record Makers, Nightcall a été produit par le Daft Punk Guy-Manuel de HomemChristo et a grimpé jusqu’à la troisième place des ventes sur iTunes US dans sa catégorie. Avec les oscars qui approchent, le meilleur reste à venir… 9.11.2011 les inrockuptibles 57

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en route

L’Amérique vue par ses routes infinies, ses déserts pelés, ses sombres boulevards. Les auteurs du superbe livre Road Movie, USA commentent sept films clés d’un genre toujours en mouvement. par Serge Kaganski

Easy Rider de Dennis Hopper (1969) Jean-Baptiste Thoret – Ce film est l’archétype du road-movie. Au moment où naît le cinéma, un certain Jackson Turner dit en 1893 que c’est le concept de “frontière” qui définit l’Amérique. Or, la conquête de l’Ouest étant achevée, la frontière physique n’existe plus. Elle est devenue un état d’esprit : il peut s’agir de la conquête de la démocratie, de la consommation, de l’espace, etc. Quand le western débute, il n’est déjà plus contemporain de la conquête de l’Ouest. Easy Rider représente une variation sur le western mais le film est enfin à l’heure. Il prend acte de la fin de la frontière, il est dans le grand moment critique du Nouvel Hollywood. On reprend la route pour vérifier l’état du rêve américain en faisant le trajet inverse de la conquête de l’Ouest, d’ouest en est. Mais le lien entre le peuple et l’espace ne fonctionne plus aussi bien que chez Ford. Le peuple, c’est désormais un redneck goitreux qui t’abat sans raison d’un coup de fusil : le négatif du western classique. Bernard Benoliel – Dennis Hopper voyait ce film comme une continuation du western, un film en somme traditionnaliste, alors qu’il a toujours été perçu, avec raison aussi, comme le film de l’an 01 de la nouvelle Amérique. Ce paradoxe me semble fécond. On a aussi le sentiment que dans ce film, Peter Fonda dialogue à distance avec son père Henry, acteur fordien par excellence. De John à David Carradine (Les Raisins de la colère, En route pour la gloire), de Clint Eastwood à son propre fils (Honkytonk Man), on trouve tout un jeu pères-fils qui montre que les années 70 sont allées chercher dans les années 30 une sorte d’authentification de leur démarche. Comme si le road-movie avait cherché à enjamber les années 50, celles du cauchemar climatisé. Le road-movie est aussi un genre qui retourne en extérieur dans l’esprit de la Nouvelle Vague, après les années 50 dominées par le cinéma de studio. 58 les inrockuptibles 9.11.2011

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Les Temps modernes de Charlie Chaplin (1936) Bernard Benoliel – Sans nier l’importance d’Easy Rider, on ne voulait pas en faire l’alpha et l’omega du genre. On voulait aller aux origines. S’il y a espace, il y a peuple. D’où vient ce peuple ? En grande partie d’Europe. Donc Ellis Island, donc Charlot, la figure de l’émigrant. Cette image est devenue aussi iconique que les posters de James Dean ou Marlon Brando. Elle résume le double désir de Charlot : s’intégrer et demeurer réfractaire à la société. Jean-Baptiste Thoret – Cette image est à la fois une fin et un début de film. Il faut toujours reprendre la route, pour recharger le rêve, l’espoir. Mais l’horizon, c’est quoi ? La cité d’Oz ou une réalité plus sombre ? Le début des Raisins de la colère complète cette image, le film de Ford débutant là où finit celui de Chaplin. On pourrait presque établir une cartographie du cinéma américain à partir de cette route, de ce plan. Qui y va, qui en revient ? Prendre la route, c’est vérifier la validité du rêve américain mais aussi que le peuple existe.

Electra Glide in Blue de James William Guercio (1973) Jean-Baptiste Thoret – Vu de loin, le personnage principal joué par Robert Blake est un flic. Mais à l’intérieur de l’univers policier, il est un marginal. Si on entre vraiment dans le film, on constate l’écart entre le système conventionnel, petitbourgeois, du milieu des flics et le personnage principal qui rêve d’ailleurs. Un des plus beaux plans du cinéma est l’ultime plan d’Electra Glide in Blue : la caméra continue en travelling arrière, laissant le personnage mort sur la route, tué par un hippie. L’inverse de la fin d’Easy Rider. 60 les inrockuptibles 9.11.2011

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Bip Bip et Vil Coyote de Chuck Jones (1949) Jean-Baptiste Thoret – Chuck Jones avait été influencé par un coyote efflanqué qu’a décrit Mark Twain. Ce dessin animé télé fait le lien entre le western et le road-movie seventies. Il est contemporain de la guerre froide, de la naissance des parcs nationaux, c’est-à-dire du quadrillage de l’espace américain. On passe de la nature sauvage de Thoreau à la domestication touristique. La poursuite de Bip Bip par le Coyote est une métaphore d’une des quêtes possibles du road-movie. Ils traversent sans arrêt le désert, un désert d’abord fordien puis de plus en plus abstrait au fil des épisodes. Le Coyote est en quête de nourriture mais aussi de rêve américain, de consommation, de confort. Quête toujours déçue. On retrouvera cette quête dans Gerry de Gus Van Sant. Ce qu’on cherche est-il réel ou de l’ordre du mirage ?

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Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni (1970) Bernard Benoliel – Antonioni a été l’un des premiers à dire du bien d’Easy Rider, à comprendre son importance culturelle. Quand il tournait Zabriskie Point, il a rencontré dans le désert Sam Peckinpah qui tournait de son côté Un nommé Cable Hogue. Dans un espace et un temps communs, se croisent des cinéastes qu’on n’imaginerait pas se croiser. Antonioni tente d’appréhender l’espace américain par sa jeunesse et par son décor. Les Européens filment souvent l’Amérique d’une façon “artistique”. On pense à Wenders, à Sophie Calle... Un regard sur l’Amérique préexiste à leur présence. Ils confrontent toujours l’image qu’ils se font de l’Amérique à l’espace réel. Du coup, ils ont toujours un regard de peintre ou de spectateur.

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Rue des Archives

Gerry de Gus Van Sant (2002) Bernard Benoliel – Les films de Jim Jarmusch ou Gus Van Sant proposent une alternative à la direction qui mène de l’est à l’ouest. On va traverser le territoire de façon plus erratique, et plutôt dans un sens nord-sud. Dans Gerry, on est au maximum de la désorientation, ce qui est très beau. Il me semble que ces films ont la volonté de contrarier l’histoire américaine, sa violence, avec un rythme plus indolent, voire somnambulique, qui conteste le caractère d’effraction de la conquête de l’Ouest. Le rêve et l’hallucination font autant voyager que le déplacement physique. Gerry est dédié à Ken Kesey, le leader des Merry Pranksters, voyageurs et chantres du LSD. De ce point de vue, le film est la continuation d’un trip qui trouve son origine dans les années 60. Jean-Baptiste Thoret – Gerry fait voyager dans un espace mental. On est dans l’après”porte des étoiles” de 2001 : l’odyssée de l’espace. On peut considérer l’espace américain de deux façons : soit la cartographie, le réseau, soit le retour à un espace primitif, ce qui est le cas de Gerry. L’espace y est comparable à une page blanche, pré-Ellis Island. Ici, prendre la route, c’est s’éloigner de la route d’asphalte, quitter le quadrillage.

Tron – L’héritage de Joseph Kosinski (2010) Bernard Benoliel – Avec Tron, mais aussi La Mort aux trousses, on a trouvé le principe de contrariété du road-movie : le réseau prolonge la route, se substitue à elle, ce qui rebat la question de la liberté de l’individu. Jean-Baptiste Thoret – Les motos futuristes de Tron sont les descendantes lointaines des Harley d’Easy Rider. Tron nous donne le dernier état actuel de cette idée du réseau qui surgit avec La Mort aux trousses, soit une cartographie totale de l’espace, qui va de pair avec les fictions paranoïaques des années 70. Cary Grant/Roger Thornhill croit parcourir les Etats-Unis alors que d’autres programment son trajet à son insu. Tron continue ça, avec le passage entre deux mondes, le réel et le virtuel. Dans Tron, on voit bien que pour vaincre, il faut sortir des trajectoires prévues. Le damier de Tron correspond à l’Amérique contemporaine. A partir de là, comment retrouver de la liberté dans cet espace totalement quadrillé. Collateral de Michael Mann est aussi un road-movie en terrain quadrillé, en l’occurrence Los Angeles, avec Jamie Foxx qui doit échapper au programme prévu par Tom Cruise. Bernard Benoliel – Comment se déprogrammer, c’est l’enjeu des road-movies contemporains depuis La Mort aux trousses.

à lire Road Movie, USA de Bernard Benoliel et JeanBaptiste Thoret (Hoebeke), 240 pages, 45 € à voir Opération road-movie sur Ciné+ du 3 novembre au 1er décembre, avec Le Canardeur de Michael Cimino, My Own Private Idaho de Gus Van Sant, Cinq pièces faciles de Bob Rafelson, Point limite zéro de Richard C. Sarafian, etc. 9.11.2011 les inrockuptibles 63

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