Alain Weill

Alain Weill, DG d'Altice Média, qui participe aux Rencontres cinématographiques de Dijon (du 12 au 14 octobre), fait le point sur la stratégie de production du ...
783KB taille 1 téléchargements 369 vues
3 - Jeudi 12 octobre 2017

N°6501 / www.lettreaudiovisuel.com

“Face à Netflix et Amazon, il faut bouger, sinon, on se met en danger” INTERVIEW. Alain Weill, DG d'Altice Média, qui participe aux Rencontres cinématographiques de Dijon (du 12 au 14 octobre), fait le point sur la stratégie de production du groupe en matière de contenus et sa vision de l’avenir du paysage audiovisuel français. Quel message souhaitez-vous faire passer à l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel lors des RC de Dijon ? Le groupe Altice souhaite être un acteur important dans la filière de la production originale en France. Nous démarrons avec un niveau d’investissement de 40 millions d’euros, dont une vingtaine de millions dédiée à la création originale française. Ce sont des montants importants pour une première année. Nous sommes motivés pour développer en fiction et en cinéma notre chaîne et notre plateforme de SVOD. Nous ne sommes pas hostiles à l’idée de convenir d’engagements avec la filière du cinéma mais il faut un accord équilibré. Qu’entendez-vous par “un accord équilibré” ? Aujourd’hui, par manque de maturité ou mauvaises habitudes, on nous propose un accord totalement déséquilibré  : d’un côté, nous devrions nous engager. Mais sur quoi ? Nous investissons déjà d’importantes sommes dans la production originale, et ce spontanément, sans que l’on n’y soit contraints. C’est dans notre intérêt  : cela permet de renforcer l’audience de notre chaîne. Nous avons de plus décidé d’appliquer la réglementation française sur les quotas, les jours de diffusion, etc.. Pour prendre des engagements plus contraints, il faudrait que nous recevions des signaux incitatifs.

© Visual Press Agency

Quels signaux, par exemple ? Le sujet le plus important touche à la chronologie des médias. Aujourd’hui, quand on finance un film, celui-ci ne peut pas être diffusé sur notre plateforme de SVOD avant 48 mois (après sa sortie en salle, ndlr). En 2017, ce n’est plus un délai justifiable. Cela n’a aucun sens. Dans l’intérêt de toute la filière, et même de la salle, cette chronologie doit être revue. Comment doit-elle évoluer ? Vous avez, à plusieurs reprises, indiqué que vous souhaitiez que le délai de la SVOD soit aligné sur celui des chaînes payantes, à savoir douze mois… Le délai de diffusion de la payTV peut aussi être raccourci. Canal+ demande six mois. La fenêtre de la télévision payante est actuellement entre six mois et un an. Les fenêtres entre payTV et plateforme de SVOD doivent se rapprocher. Tout le monde est conscient qu’en 2017, on ne peut plus avoir le système de chronologie actuelle. Le monde de la création et de l’audiovisuel a connu une révolution digitale avec l’arrivée

dans le cinéma et que nous n’ayons pas le droit de faire de la publicité pour les films sur nos écrans. Avez-vous, outre le film d’Agnès Jaoui (“Place publique” en coproduction avec SBS Production), pris position sur d’autres projets ? Nous ferons des annonces à Dijon. Le sport est un des autres contenus premium de SFR, souhaitez-vous diffuser les JO 2024 ? Nous regarderons, ce sont des discussions qui ont lieu dans la discrétion… des plateformes SVOD, Netflix et bientôt Amazon, qui proposent une puissante offre de programmes. Le cinéma français ne peut pas faire l’impasse sur ce débat  : il doit s’adapter pour se relancer et non pour régresser. Il faut être optimiste, mais il faut bouger, sinon on se met en danger. L’autorisation de la publicité du cinéma à la télévision est l’un de vos chevaux de bataille… C’est un sujet prioritaire. Aux Etats-Unis, la publicité du cinéma sur le petit écran représente le 3e secteur en termes de volume d’investissement. Aujourd’hui en France, elle est  interdite. C’est une très mauvaise affaire pour le cinéma, je passerai du temps à l’expliquer à Dijon… Il ne s’agit pas de défendre les intérêts des uns et des autres. Il y a de la place pour tout le monde ! Faire de la publicité pour le cinéma à la TV va attirer plus de monde dans les salles, plus de gens s’intéresseront à son actualité. Actuellement à part deux gros films, personne ne sait plus ce qui sort au cinéma… De plus, nous considérons que c’est une concurrence déloyale que certains secteurs comme l’affichage ou Internet puissent avoir accès à cette publicité sans aucune contrainte. Ce n’est plus acceptable en 2017. Je fais confiance aux professionnels pour se mettre d’accord entre eux. Comment réagit la filière du cinéma face à vos arguments ? Je crois qu’il y a une peur du changement. J’en ai la conviction profonde, je l’ai ressenti en multipliant les entretiens avec les professionnels  : ces craintes reposent sur la méconnaissance, notamment sur le sujet de la publicité télévisée (prix, accessibilité pour les petits budgets…). C’est un point important pour nous : il n’est pas logique que l’on veuille que l’on investisse

Comment imaginez-vous le paysage audiovisuel français en 2020 ? C’est difficile. Nous sommes dans une époque où les prévisions à long terme sont compliquées, car la révolution digitale concerne tous les secteurs. Les grands acteurs actuels de l’audiovisuel resteront importants s’ils savent s’adapter et investir. C’est pour cela que le groupe Altice est si actif. Les distributeurs télécoms vont voir leur poids augmenter par rapport à la distribution en TNT. Demain, la première source de réception de la télévision sera la fibre optique. Le développement de la 4G, puis de la 5G amplifiera aussi la télévision visionnée sur mobile, tablette, téléviseur, et le passage de l’un à l’autre. Le délinéarisé va dominer : les distributeurs télécoms vont devenir de plus en plus importants. Un boulevard s’ouvre donc pour Altice… C’est pour cela que j’ai considéré qu’il était important de rapprocher NextRadioTV d’Altice. J’espère que le changement de contrôle pourra avoir lieu d’ici à la fin de l’année : le CSA examine en ce moment notre demande. La stratégie de convergence médias/télécoms d’Altice est excellente. Aux Etats-Unis, le nombre de désabonnements aux télévisions payantes est en hausse au profit d’abonnements en OTT. Pensez-vous que le phénomène du “cord cutting” guette la France ? Bien sûr ! Avec le déploiement des télévisions connectées, les téléspectateurs pourront “se débrouiller” tout seuls, mais ils auront toujours besoin d’une connexion haut débit et donc d’opérateur télécom. C’est pour cela qu’il est important d’investir dans le contenu pour pouvoir rester un acteur clé de la télévision. Il faut maîtriser le haut débit et une partie du contenu. Propos recueillis par Emma Mahoudeau Deleva