Antoine Mignemi, itinéraire d'un militant inépuisable

21 avr. 2019 - Marseille, Antoine n'en rate pas une. ... ves, la guerre ne tarde pas à rat- traper la petite famille. En no- ... puis on nous a envoyés au camp.
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La Marseillaise / samedi 20 au dimanche 21 avril 2019

PROVENCE

Antoine et Amparo Mignemi dans leur appartement de la Plaine où ils vivent depuis 60 ans. PHOTO M.RI.

Antoine Mignemi, itinéraire d’un militant inépuisable PORTRAIT Défenseur des droits des salariés, antifasciste, syndicaliste et fervent militant du pluralisme politique, Antoine Mignemi puise son énergie dans une histoire familiale qui croise les grandes déchirures du XXe siècle.

C

es petits yeux bleus et cette moustache rieuse en ont vu des défilés. Depuis près de 60 ans, Antoine Mignemi les promène de manifestation en manifestation. Marche pour un logement digne, contre la politique d’austérité du gouvernement, pour un changement démocratique en Algérie, contre l’installation de groupuscules fascistes à Marseille, Antoine n’en rate pas une. Retracer son histoire oblige à convier les grandes joies collectives mais aussi les pages les moins reluisantes du XXe

siècle. Son père, Diego, italien originaire de Sicile, débarque à Marseille en 1922. Vétéran de la première guerre mondiale, il préfère l’exil au fascisme guerrier de Mussolini qui sévit alors en Italie. À la fois coiffeur et cordonnier, il ouvre un salon de coiffure sur le port, près de l’actuel hôtel de ville, alors dénommé quai Maréchal Pétain. Sa femme l’y rejoint et Antoine né le 24 novembre 1937. Mais en ces temps de folies collectives, la guerre ne tarde pas à rattraper la petite famille. En novembre 1942, les troupes allemandes envahissent Marseille. Trois mois plus tard, des policiers français et des soldats nazis tambourinent à la porte. « Il faut partir », leur dit-on. Nous sommes le 24 janvier 1943 et la rafle du quartier Saint-Jean vient de débuter.

L’engagement en héritage

« On nous a mis dans des wagons à bestiaux à la gare d’Arenc puis on nous a envoyés au camp de Fréjus. Dans ces trains, on a mis presque une journée pour y arriver », se remémore Antoine. Là-bas, un tri macabre

s’opère : ceux qui sont autorisés à rentrer chez eux et ceux qu’on envoie vers d’autres camps, beaucoup plus loin à l’est… 800 personnes sont déportées. En tout, 20 000 Marseillais sont déplacés de force, 12 000 envoyés à Fréjus. Antoine, alors âgé de cinq ans, en fait partie. À leur retour à Marseille, ils trouvent leurs appartements pillés, dévastés. Quelques jours plus tard, tout le quartier est dynamité. À la fois opération de spéculation immobilière et rafle xénophobe punitive, « l’opération Sultan », traumatise tout une ville. Depuis ce jour, Antoine « est de ceux qui refusent le gaspillage du pain », dit-il de sa voix teintée d’un accent marseillais difficilement dissimulable. 76 ans après, huit évacués du quartier et leurs descendants, ont déposé une plainte contre X pour « crime contre l’humanité ». Antoine s’y est associé. Dans le Marseille d’aprèsguerre, il devient plombier. À 20 ans pourtant, la guerre, encore elle, frappe à la porte. « Les événements d’Algérie », comme les militaires français nom-

ment pudiquement la guerre qu’ils y mènent, charrient la jeunesse de tout un pays. Antoine y est envoyé pour son service militaire. « C’est pas des bons souvenirs », évacue-til, la gorge serrée par l’émotion. « C’est dégueulasse ce qu’on leur a fait là-bas », lâche-t-il seulement.

Combat syndical

Après 28 mois de service, il revient à Marseille. Au travail, Antoine ne compte pas ses heures. Il est de ceux qui installent le gaz dans toutes les écoles marseillaises, auparavant équipées au poêle à bois. Entre-temps, il a rejoint la CGT puis le PCF. Il se bat pour obtenir des meilleures conditions pour les copains. Un jour où il flâne plage des Catalans, il aborde une fille qui parle à peine français. Elle s’appelle Amparo, elle a 25 ans et débarque tout juste d’Espagne d’où elle a fui, seule, la misère sous le régime franquiste. Elle vient de rentrer dans sa vie et n’en sortira plus. Ils se marient et s’installent dans un appartement de la Plaine. 60 ans plus tard, ils y sont toujours. « Tout

mon parcours syndical et politique, rien de tout cela n’aurait été possible sans le consentement et l’aide d’Amparo. Elle est d’un soutien formidable », s’émerveille-t-il. Ensemble, ils ne ratent pas un combat d’une époque qui n’en manque pas : les événements de Mai 68 ou la guerre du Vietnam mobilisent des foules énormes. Ils finissent tout de même par prendre une retraite amplement méritée. Ce qui ne les empêche pas d’agir. L’an dernier, ils découvrent, horrifiés, l’installation de la section locale de l’Action Française en bas de chez eux. En signe de protestation, Antoine fait flotter un drapeau rouge à travers sa fenêtre. Ils se mobilisent avec d’autres voisins et parviennent à faire dégager le groupuscule. « Je porte en moi l’héritage du vécu de mes parents. Voir que le fascisme pourrait ressurgir, je ne peux pas laisser faire. Quand on voit qu’il y a un danger, il faut lutter contre, à l’endroit où on est », lance-t-il comme un appel aux générations futures. Marius Rivière