Après le drame, la colèredes Marseillais

7 nov. 2018 - Marseille, Mathieu. Grégoire a co-écrit. Les Parrains du Foot avec Brendan. Kemmet et. Stéphane Sellami. La Marseillaise l'a rencontré.
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bouches-du-rhône et var à orgon

Mercredi 7 novembre 2018 - n°22544

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région sud paca

Des salariés disent non à la chasse aux syndicalistes ! Ce mardi, venus de toute la France, une soixantaine de délégués syndicaux CGT de l’entreprise ID Logistics ont pris part à un rassemblement devant le siège de la firme. P. 6

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Correspondant pour le journal L'équipe à Marseille, Mathieu Grégoire a co-écrit Les Parrains du Foot avec Brendan Kemmet et Stéphane Sellami. La Marseillaise l'a rencontré. Entretien. P. 17

Le monde de la culture interpelle Renaud Muselier photo N.B/

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Football et banditisme : des liaisons très dangereuses...

« Les Assises de la Culture » se tenaient hier à Marseille à l'initiative du conseil régional. Les acteurs culturels demandent plus de « concertation » et de « transparence ». P. 9

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« Celui qui combat peut perdre, celui qui ne combat pas a déjà perdu » Bertolt Brecht

déjà quatre victimes rue d'Aubagne

Après le drame, la colère des Marseillais

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Quatre victimes ont été découvertes dans les décombres. Un bilan provisoire. à Marseille, la colère gronde. Le maire accuse les marchands de sommeil, mais sa politique est mise en cause. P. 2 à 4

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La Marseillaise / mercredi 7 novembre 2018

l'événement

Il est 8h30, les sauveteurs sortent la dépouille d’une première victime, un homme, sous les yeux du ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner. PHOTO DC

La pluie sur les morts et une colère sourde qui monte reportage

Du «  bar du peuple » au centre d’accueil d’urgence de la Canebière, les solidarités s’organisent, les souffrances se disent, les questions se posent. Et déjà quatre morts extraits des décombres.

S

ur le cours Lieutaud, le « bar du Peuple » est devenu une seconde maison pour des habitants déboussolés. On vient ici prendre des nouvelles des uns, des autres, parler du chien bloqué dans tel appartement, du vieux monsieur de 94 ans resté coincé chez lui. On ressasse l’effondrement d’un, deux puis de trois immeubles, alors disonsle qu’on se fiche pas mal du défilé d’édiles contrits et d’un ministre même recueilli devant le premier mort extrait hier matin du champ de ruines de la rue d’Aubagne. « C’est le choc, on n’est pas bien. On est affecté et on est dé-

muni, alors on vient se parler. J’essaie de rassurer. Les gens sont dans la souffrance. L’impact est énorme  », dit Rosy devant un café noir. Hier, cette habitante de la rue Châteauredon réconfortait comme elle pouvait une dame sans nouvelle de sa fille et qui criait son désespoir dans la rue. « Je lui disais, appelez-la, si elle a son portable avec la sonnerie et les vibrations, ils l’entendront. » Sous la douceur des mots posés, une colère sourde enfle. « 30 ans que je vis dans ce quartier populaire et que je vois ces travaux de rafistolage ! Les gens avaient prévenu vendredi que des pierres tombaient du toit. C’est choquant. » Assis à côté, silencieux, François a pu réintégrer son appartement en bas de la place d’Homère. Le qua-

« 30 ans que je vois ces travaux de rafistolage ! »

dragénaire méditatif n’a guère dormi avec la lumière des projecteurs qui éclairaient les sauveteurs, le bruit des groupes électrogènes et ses pensées envahissantes. « Il est pas bien, il a peur de rentrer chez lui alors il reste avec moi toute la journée », glisse Nicky la gérante du bar qui le bichonne. « Je vis au-dessus du restaurant Mama Africa », explique alors François. « J’ai entendu l’effondrement. J’ai pensé au bruit du déversement de grosses bennes de recyclage. Savoir qu’il y a tous ces gens dessous, je ne m’y fais pas... » Il ne veut pas aller à la cellule médico-psychologique sur la Canebière. « Ici, c’est à l’image du quartier, c’est populaire. Même quand les gens ne se connaissent pas, ils se parlent. C’est pour ça que c’est le « bar du peuple ». Lui, c’est un ouvrier, lui un prof, lui un syndicaliste », insiste Rosy qui fleurit sa rue. « Il y a eu beaucoup d’entraide hier. Les gens proposent leur service, rassurent ceux qui sont dans l’incapacité de savoir. » La solidarité, ce sont ces

belles pizzas offertes par une pizzeria de la place du marché des Capucins au centre d’accueil d’urgence ouvert par la mairie de secteur au 61, la Canebière. « On a reçu près de 300 personnes lundi. 105 ont été relogées dans deux et bientôt trois hôtels aux frais de la mairie, ça fait une cinquantaine de familles. Ils y resteront ce soir et demain », explique Alain Bonnardel, le directeur général des services de la mairie des 1/7, mobilisé avec près de 50 personnes notamment des personnels de l’Avad (Aide aux victimes), des psychologues de la CUMP, la cellule d’urgence médico-psychologique. « Beaucoup de personnes se posent des questions d’immédiateté, sur leurs affaires laissées chez eux, le chien, le chat. La Croix rouge nous a livré des kits d’hygiène. On sert les petits déjeuners et la mairie livrera les repas dans les hôtels. » La police judiciaire y entend discrètement ceux restés sans nouvelles d’un proche. 13h, un second corps, celui d’une femme, est extrait.

Les professionnels masqués comme des chirurgiens progressent précautionneuse-

« On est tous des gosses de la France dans le même bateau » ment dans cet amas instable qu’ils auscultent avec du matériel d’endoscopie. à intervalles réguliers, des colonnes de sauveteurs-déblayeurs se relaient. Un sandwich, une boisson chaude, un gâteau pris assis sur une buse en béton ou sous une tente. La fatigue, la mélancolie parfois, se lisent sur ces visages poudrés par la poussière. « C’est un séquençage minutieux des opérations. On garde l’espoir de poches de vie sous les décombres », explique-t-on au PC opérationnel sous la passerelle du cours Lieutaud. La nuit dernière, un drone équipé d’une camé-

mercredi 7 novembre 2018 / La Marseillaise

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l'événement ra thermique, a survolé le site, sans rien détecter. « C’est bien que Gaudin soit venu, mais après on fait quoi ? », revient à la charge Rosy. Pour elle, et c’est bien vrai, « c’est tout l’îlot qui est en péril ». « Trop d’immeubles sont des dangers pour ceux qui y habitent, ceux d’à côté ou dans la rue. » Les marinspompiers l’ont d’ailleurs reconnu mardi : 12 immeubles ébranlés par l’effondrement sont qualifiés de « menaçants ». « Il faudrait une unité d’experts indépendants. Pas ceux de la mairie ! On n’a plus confiance. Toujours les mêmes noms. Et nos élus, franchement, je vous le dis, on ne les voit pas travailler pour le bien-être du quartier mais plutôt pour le leur », tranche notre Marseillaise qui entend que les responsabilités soient recherchées et qu’on en finisse avec ceux qui exploitent la misère. « Car c’est trop facile de parler de marchands de sommeil, c’est presque poétique. Quand vous logez une famille dans 12 m² et que vous leur prenez 500 euros en espèces tous les mois, c’est pas des marchands de sommeil, c’est des marchands de mort !  » Rachid qui vit rue Jean Roque enrage. « Quand on laisse un immeuble tomber en ruine, ça donne

« C’est pas des marchands de sommeil, c’est des marchands de mort ! » ça ! C’est comme une pomme pourrie dans un panier qui contamine les autres ! » Il en sait quelque chose lui qui travaille sur les toitures. « Tout ça parce que la mairie ne veut pas investir ! De toutes façons, ça ne changera pas. Les riches resteront riches et les pauvres toujours pauvres. Il y a eu des fautes graves ! » Une certitude reste enracinée en lui : « Quelles que soient les nationalités, on est tous des gosses de la France, dans le même bateau ! Et c’est eux qui meurent en premier, ça fait mal au cœur. Il y a des collègues à moi qui sont dessous. Dix personnes qui payaient leur loyer. On peut prendre leur argent et les laissez mourir devant nos yeux ? C’est interdit ou alors on n’est plus humain. » 15h. Un troisième corps annonce le procureur. Sur le cours Lieutaud, soutenus par de nombreux amis comoriens, Abdou Ali, 34 ans, pressent que sa maman est sous les décombres. Ouloumi, 55 ans, n’est pas allée rechercher son cadet âgé de 8 ans à l’école. Des voisins l’ont vu remonter au numéro 65 où elle vivait au premier étage. Quatre autres habitants y seraient piégés avec leurs trois invités. 20h15. Un quatrième corps, celui d’une femme, est retiré des décombres. Derrière des cordons de sécurité, des familles prient. David Coquille

à Noailles, une rénovation absente ou défectueuse insalubrité

48 %

Le drame de lundi, rue d’Aubagne, met en lumière les errances de la rénovation urbaine dans un quartier que les autorités savaient insalubre.

c’est la part de logements considérés comme du bâti indécent ou dégradé dans le quartier de Noailles, selon les chiffres de la Soleam.

11 %

C

e quartier reste caractérisé par un habitat très dégradé qui cumule de nombreuses difficultés auxquelles il est nécessaire et urgent d’apporter des solutions ». Cette alerte n’a pas été lancée par un quelconque collectif de citoyens revendicatifs mais bien par la Soleam, société d’aménagement mandatée par la Métropole pour mener à bien la rénovation urbaine. « 48% des immeubles, soit environ 1 600 logements, sont considérés comme du bâti indécent ou dégradé. Dans environ 20% des immeubles, la dégradation est très avancée et les immeubles sont concernés par des procédures ou présomptions de péril et/ou d’insalubrité », ajoutent les rédacteurs du rapport. Les immeubles de la rue d’Aubagne en faisaient évidemment partie. Ces conclusions édifiantes ont été publiées par la Soleam au terme d’une concertation menée de janvier 2017 à février 2018 en vue de la requalification du quartier de Noailles dans le cadre de l’opération Grand Centre-Ville. Patrick Lacoste, président de l’association « Un Centre-ville pour tous » était à l’une de ces réunions de concertation. « À la stupéfaction générale, au lieu d’annoncer le lancement des travaux, les élus ont annoncé une nouvelle étude « fine » pour 2020  », se souvientil. Avant d’interpeller le maire directement : « Faut-il encore des années d’études à votre équipe, élue depuis 23 ans, pour se déci-

c’est la faible proportion du bâti du quartier de Noailles identifiée comme en bon état structurel et d’entretien, toujours selon la Soleam.

23 c’est le nombre d’années depuis le lancement du premier plan de rénovation urbaine du centre-ville.

Le plan Ambition Centre-Ville est le descendant du Périmètre de Restauration Immobilière Centre-Ville lancé en 1995... PHOTO DC

der à agir pour du logement décent ? ».

Gestion hasardeuse

La rénovation de Noailles ne date pas d’hier. Le premier Périmètre de Restauration Immobilière (PRI) du centreville date de... 1995. Ce dispositif, né de la loi « Malraux » en 1962, planifie la restauration complète d’un immeuble ou d’un quartier. C’est ce PRI qui permet à la Soleam, de prescrire les rénovations nécessaires aux propriétaires ou de préempter directement. En 2013, déjà, la chambre régionale des comptes (CRC) juge que « la politique de renouvellement urbain

n’a pas atteint ses objectifs ». à cette date, 40% des logements concernés par le PRI n’avaient toujours pas fait l’objet de rénovation. Pire, aucun document n’atteste de contrôles de conformité effectués par les services de la Ville sur les travaux entrepris. Et contrairement à ce qu’affirme Jean-Claude Gaudin (lire ci-dessous) « la ville de Marseille a volontairement renoncé à utiliser la procédure d’expropriation », pour accélérer le processus de rénovation urbaine, dixit le rapport. On a connu politique plus volontariste... Et même dans le cas où la société d’aménagement se décide

à exproprier, elle ne le fait pas dans les règles. Dans le même rapport de la CRC, on apprend qu’aucune mise en concurrence des candidats à l’achat des biens expropriés n’était effectuée, comme la réglementation l’impose. Sachant que les acheteurs bénéficient d’une défiscalisation sur le bien acquis pendant 9 ans, la question a son importance. Et les rédacteurs de conclure : « les reventes opérées par Marseille Aménagement [devenue Soleam en 2010, ndlr] ont été réalisées dans un cadre informel ». Traduction : la vente était faite à la tête du client. En toute opacité et sans garanties de rénovation. Marius Rivière

Jean-Claude Gaudin : « il faudra sans doute faire plus  » Entretien Jean-Claude Gaudin, maire LR de Marseille, en visite hier, à la crèche Cadenat (3e) a répondu aux questions de La Marseillaise. La Marseillaise : Pour quelles raisons, les événements ont entraîné un début de polémique ? Jean-Claude Gaudin : Cela ne m’étonne pas quand vous mettez 10 ans pour obtenir de la justice qu’on fasse partir tous les gens qui sont installés dans un immeuble que nous avons acheté

et qu’on a muré d’ailleurs, il y a trop de lenteurs administratives. Je l’ai indiqué au ministre du Logement hier (lundi ndlr). Pour le reste, on va décider une vérification totale de tout ce qui peut paraître aujourd’hui comme un habitat insalubre. Dans le numéro 65, il s’agit d’une copropriété privée. L’éradication doit aussi atteindre les marchands de sommeil, il n’y a pas que la Ville qui peut les atteindre. Il y aussi une grande misère qui touche ces quartiers... J.C.G. : Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Dans la deuxième ville de France, il y a 860 000 habitants et il y a des gens qui exploitent la misère. C’est à ces gens-là aussi qu’il faudrait s’adresser,

avec un peu plus de violence qu’aujourd’hui. Qu’espérez-vous encore aujourd’hui ? J.C.G. : Il y a une politique d’éradication de l’habitat insalubre que nous avions commencée au temps où Marie-Noëlle Lienemann était ministre du Logement mais c’est très long. Je réunis mes adjoints ce matin, pour faire le point. Nous avons relogé plus de 80 personnes cette nuit. On s’occupe de tout le monde, c’est un fonctionnement auquel on est habitué. Le reste, la politique insalubre il faudra sans doute faire plus. Bien sûr que tout cela me contrarie. Tout me contrarie dans cette ville, dès lors que ça ne va pas. Tous les efforts sont faits. Propos recueillis par C.W.