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trafiquée, à bicyclette ou en grand-bi, on circule en roue libre à Black Rock City. l'organisme gouvernemental américain char- gé de délivrer les permis de ...
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Trip monumental au milieu du désert dans le Nevada, Burning Man est une manifestation intense qui ne se prépare pas à la légère. Chaque année, les habitués redoublent d’efforts et d’ingéniosité pour entretenir la réputation hors normes du festival. Au menu : couture, débrouille et grosses cylindrées.

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u cœur du Nevada, le Labor Day a des airs de lendemain de dure soirée. Le premier lundi de septembre, des milliers de caravanes quittent le désert de Black Rock par la route de San Francisco. Le convoi ne laisse derrière lui qu’un immense tas de cendres, souvenir encore fumant du rassemblement le plus dingue de la planète. Lieu de partage où l’argent est aboli et les interdits laissés de côté, Burning Man est un condensé de sept jours de bonnes vibrations regroupant près de soixante-dix mille âmes. Perdus dans le désert, sans accès à Internet ni contact avec l’extérieur, les participants se laissent porter par l’atmosphère du lieu. Un mélange unique d’humour, de bienveillance et de créativité débridée, le tout régi par des principes stricts comme le respect de l’environnement et la participation du plus grand nombre à l’organisation du festival. Grâce au zèle de milliers de Burners, une ville éphémère sort de terre en quelques jours pour offrir à tous une semaine déjantée et teintée d’utopie. Une expérience individuelle souvent très intense, qui change des vies. Le lundi, à leur arrivée, la plupart des participants s’installent dans leurs camps, sortes de villages communautaires

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accueillant tentes et camping-cars. Dès le lendemain, les Burners sont invités à enfiler leur plus beau tutu pour célébrer le « Tutu Tuesday », l’une des coutumes les plus loufoques de la semaine. Samedi soir, sous les vivas d’une foule grimée de la tête aux pieds, les organisateurs brûlent l’effigie humaine géante située au milieu de la Playa, épicentre du Burning Man. C’est d’ailleurs cet événement qui donne son nom au festival. Dimanche, enfin, c’est au tour du temple de Black Rock de partir en fumée dans un silence quasi religieux. Comme le chant du cygne d’une semaine de fête vécue pied au plancher. Au sortir du Burning Man, les fidèles de l’étape fuient le vague à l’âme. Qu’importe ce que l’on raconte sur l’événement lancé le 21 juin 1986 sur une plage de San Francisco par une bande de potes californiens. Il y a bien des critiques accusant l’Homme qui brûle d’avoir perdu son âme au contact des yuppies de la Silicon Valley et autres reproches sur l’explosion du prix des billets, de trente-cinq dollars en 1995 à trois cent quatre-vingts dollars aujourd’hui. Chaque année, sur la route du retour, les habitués ne songent qu’à une chose : l’édition suivante. Ils savent qu’un nouveau cycle de préparatifs peut débuter.

La Church Trap, conçue en 2013 par l'artiste californienne Rebekah Waites. Quelque part entre le sanctuaire et le piège à souris.

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Cela dit, avant de vivre une potentielle épiphanie, cette semaine de folie douce a un prix : une organisation pointilleuse. Parce que l’on n’est jamais trop prévoyant, les inconditionnels planchent en effet sur les festivités de longs mois à l’avance, aux quatre coins du monde. Ainsi, un soir de printemps, une vingtaine de Burners se sont donnés rendez-vous dans un bar parisien. Sur les murs, des tirages photo de la dernière édition. Au fond de la pièce, un logo du Burning Man clignote sur une toile blanche. À cinq mois du jour J, la diaspora des Burners scalpe les mousses en évoquant les préparatifs. « À Burning Man, on n’est pas au Club Med… Il ne faut pas se contenter d’être spectateur mais devenir acteur, donner de sa personne », rappelle une blonde dégourdie rebaptisée « Solution » le temps du festival.

Au café, ce soir-là, on discute aussi des costumes à prévoir. À Black Rock, mieux vaut être à la hauteur des excentricités locales. Barbus en leggings fluo, grand-mères aux ailes de papillon et jeunes nymphes peinturlurées peuvent vivre côte-à-côte dans cette ville utopique. Couverts de diodes électroluminescentes, les festivaliers éclairent le désert à la nuit tombée. Admiratif, un jeune Burner parisien s’imagine déjà remplir sa valise de fripes avant de retourner dans le Nevada. « Ces accoutrements, ça désinhibe tout le monde : il n’y a plus de barrières entre les gens. Paradoxalement, comme on est tous déguisés, personne n’a le sentiment d’être regardé. »

Du rassemblement aussi local que confidentiel d’autrefois, il ne reste plus grand-chose. La communauté des Burners n’a cessé de s’étendre et de repousser les frontières. Et, partout, elle se prépare sans ménager sa volonté ni limiter son imagination. Accoudée au bar, sapée comme une rescapée des années hippies, une Californienne glisse une confidence : elle part pour San Francisco avec un projet en tête. Cette quinqua entend construire un moyen de locomotion inattendu : une mobylette en forme de spirale. Du jamais-vu, même au royaume de la fantaisie.

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« ON N’EST PAS AU CLUB MED… »

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D’autres planchent toute l’année sur leurs déguisements. À trente-sept ans, Clemence Cousteau ne s’est jamais remise de son premier Burning Man. À l’été 2009, cette ancienne pubarde flashe sur les coiffes de licorne de certains Burners. «  J’étais émerveillée par ce que je voyais. J’ai découvert l’univers steampunk, des bottes avec des plates-formes de vingt centimètres de haut… Les gens libéraient leur créativité, c’était incroyable. » Cinq éditions plus tard, elle lance un site de créations vestimentaires baptisé Singing Birds & Laughing Bees, clin d’œil aux paroles de l’étrange folkeux Daniel Johnston. « L’année dernière, j’ai monté des ateliers le week-end avec une vingtaine de potes. On avait des machines à coudre, on préparait nos costumes avec des tissus du Pérou qui coûtaient trois fois rien  », se souvient cette baroudeuse, avant de confesser un petit accroc à son credo « do it yourself ». « À Reno, sur la route, je passe devant des boutiques spécialisées dans les costumes pour le Burn’... Chaque année, je craque, je finis par acheter des fringues. »

SPERMATOZOÏDE SUR ROUES Si le Burning Man tient du carnaval néo-primitif, la manifestation évoque aussi un remake de Mad Max, blockbuster à la gloire des bagnoles modifiées. Chaque année, des participants investissent en temps et en argent pour concevoir les Art Cars, ces véhicules loufoques qui pétaradent dans le désert. Médecin à Park City dans l’Utah, Harry Adelson est à l’origine du Pilot Fish, poisson couleur gris métal de presque quatre tonnes. Après plusieurs éditions à pédaler derrière les bolides, le docteur rêvait de lâcher son vélo pour avoir sa propre tire. Souhait exaucé en 2013. « Comme je n’y connaissais absolument rien, j’ai fait le­­­Pilot Fish avec un forgeron, le tout en quatre mois. C’était du stress, un boulot énorme… Au total, le véhicule a coûté quarante mille dollars. C’est cher, mais le Burning Man reste pour moi la semaine 28

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la plus importante de l’année, un moment qui me donne confiance dans la vie. » Encore faut-il avaler près de mille kilomètres en remorque pour amener la bête à bon port. D’autres préfèrent stocker leurs chars dans des ranchs à Reno, le point de chute le plus proche de la ville éphémère. « Dans deux semaines, je pars là-bas préparer le “school bus” qu’on a laissé l’année dernière. Avec des amis, on l’avait acheté d’occasion pour mille dollars pour le retaper avec des toiles et du PVC. Mais dans notre ancien ranch, tenu par un escroc, le bus a été vandalisé… » Solution soupire au souvenir de cette mésaventure, puis retrouve le sourire en évoquant ses autres bolides. Outre le bus, elle peut compter sur la Sperm Mobile, une voiturette de golf pimpée en spermatozoïde, mais aussi sur un lit motorisé construit par l’un de ses amis new-yorkais. Mieux, elle songe à la construction d’un éléphant géant pour transporter les membres de son camp.

CI-DESSUS  Un objet festif non identifié au Burning Man 2013.

PAGE DE GAUCHE  Parapluies, attaché-cases et costumes bicolores : la griffe de l'homme (qui brûle).

Terre d’accueil des Art Cars, le désert n’a pourtant rien d’une piste d’autos-tamponneuses. Pour gérer le trafic, les organisateurs du festival ont créé le Department of Mutant Vehicles. Un pied de nez au Department of Motor Vehicles, G R E E N R O O M

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Durant sept ans, Harry Adelson a suivi les Art Cars à bicyclette au milieu de la Playa. Une activité qu’il a surnommé le « pilot-fishing » pour rendre hommage au poisson pilote, petit animal marin escortant les requins. À l’heure de trouver un concept pour son bolide, le choix n’a donc pas été bien long. Passage en revue de l’anatomie de ce poisson sur roues. Le Pilot Fish par Jon Collard.

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l’organisme gouvernemental américain chargé de délivrer les permis de conduire. Blague à part, il s’agit de prévenir les accidents tragiques qui ont parfois terni l’histoire du festival. Pour s’immatriculer, le propriétaire du Pilot Fish a ainsi dû se plier aux contraintes. « Il faut s’inscrire sur Internet, remplir une fiche puis être inspecté. Il y a quelques critères techniques à suivre pour obtenir l’immatriculation. Pour des questions de sécurité, on n’a pas le droit de rouler à plus de dix kilomètres par heure à Black Rock. » Passée une certaine heure, les règles se raidissent. « À Burning Man, il y a deux permis : un pour la journée et un autre pour la nuit. Pour rouler le soir, il faut donc avoir prévu de quoi éclairer son ­véhicule. »

PRÉLIMINAIRES Au fil des années, le Burning Man a fait des émules. Il n’est pas rare que les plus passionnés se croisent lors de dérivés du festival : le Midburn en Israël, l’AfrikaBurn en Afrique du Sud ou encore le Nowhere en Espagne. « J’ai des amis Burners que je dois retrouver là-bas, près de Saragosse, en juillet. Il y a moins de budget, c’est forcément plus petit, mais on dit que c’est vraiment bien »,

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s’enthousiasme Giorgio Benazzo, trentenaire italien à la tête d’un camp accueillant cent cinquante personnes de plus de trente nationalités. Avant d’ajouter, après un souffle : « Pour l’instant, le Burning Man reste le seul où les moyens sont importants, où il n’y a aucune limite. » Cela dit, le mois d’août demeure étonnamment paisible sur la côte Ouest ; exit les Burning Nights régionales, la Love Burn à Miami et les autres événements du genre aux airs de répétitions générales. En Californie, dans le Nevada ou dans l’Oregon, les fidèles se mettent en branle pour finir les préparatifs. « Aux alentours de San Francisco, il n’y a plus de fêtes, tout le monde s’active en vue du jour J », affirme un trentenaire français exilé dans la région. « Certains vont au marché acheter des costumes et des coiffes, d’autres fignolent leur Art Car dans des hangars », précise cet accro à l’Homme qui brûle. Au bout de la course, avant de rempiler pour une nouvelle année, les Burners iront chercher à Black Rock ce qu’ils attendent depuis des mois : lâcher prise, se ressourcer, retrouver l’insouciance de la Playa. Ils l’auront bien mérité.

CI-DESSUS Un homme en grand-bi. Au volant d'une voiture trafiquée, à bicyclette ou en grand-bi, on circule en roue libre à Black Rock City.

01 | Tête

03 | Intérieur

04 | Toit

05 | Enceinte (sur le toit)

«  La tête du poisson vient d’une vieille Chevrolet Blazer. Le reste a été construit en majeure partie en acier à partir de mes dessins. En tout, le Pilot Fish pèse 3 628 kilos. »

« À l’intérieur, nous avons construit des banquettes où les gens peuvent s’asseoir, converser ou faire une sieste. Au maximum, j’ai accueilli près de trentecinq personnes, des musiciens de jazz de la Nouvelle-Orléans montés à bord du Pilot Fish pour se rendre à un mariage à l’autre bout de Black Rock City. Ils ont joué durant tout le trajet ; cela reste sans doute l’une des meilleures expériences de ma vie. »

« Le véhicule mesure entre trois et quatre mètres de haut. Durant le festival, des types sautent parfois du toit. Heureusement, il ne leur arrive rien. Pour des raisons de sécurité, il n’y a que deux personnes qui peuvent piloter l’engin : mon frère et moi. Aucun de nous deux ne boit. Sur ce toit, j’ai également demandé ma copine en mariage lors du Burning Man de l’année dernière. »

« Je passe beaucoup de musique sur le Pilot Fish. Le plus souvent, j’essaie de jouer autre chose que de l’electronic dance music, le genre de sons que l’on entend tout le temps à Burning Man. Dans ma playlist, je mets des morceaux plus jazzy, du Sammy Davis Jr. ou du Mc Solaar. »

02 | Écailles « Pour les écailles, nous avons utilisé deux métaux différents, dont un qui rouille facilement. La première année, le Pilot Fish avait une couleur gris métallique. La deuxième année, le véhicule a changé d’apparence : il est devenu bicolore. Avec l’hiver, une partie des écailles s’est oxydée et a pris une teinte marron plutôt chouette. »

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