Burning Museum embrase les rues du Cap

Je pense que l'histoire des quartiers de la ville a été oubliée et que tous les pans de l'histoire de l'apartheid ... rie de portraits de familles anonymes sur la route ...
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éPOQUE Patrimoine

Par Lise Ouangari

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Notre Afrik N°58 l septembre 2015

© BURNING MUSEUM

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ordant les docks de la baie de la Table et surplombé par la pointe montagneuse de Devil’s peak, le quartier historique de Woodstock, au Cap, a tout pour répondre aux critères attractifs vendus par les agences immobilières qui ne se privent pas de gonfler leurs slogans du nouveau cachet dont a profité la ville lorsqu’elle a été désignée, en 2014, capitale mondiale du design. Ajoutez à cela les produits frais de Biscuit Mill et les concepts stores branchés du nouveau Woodstock Exchange, deux lieux qui ont été remis à neuf dans le processus de gentrification, les populations aisées ou les Bobos n’ont plus qu’à signer les contrats de vente ou de location. Mais dans les cuisines d’un musée, la résistance s’organise. Jeunes diplômés en art ou en anthropologie, Justin Davy, Jarrett Erasmus, Tazneem Wentzel, Grant Jurius et Scott Williams, les cinq membres qui forment le collectif du Burning Museum, sont occupés à concocter une de leurs armes  : de l’eau, du blé et du sucre pour faire de la colle. «  Notre travail consiste à coller sur les murs de la ville les histoires qui n’ont pas été racontées », résume Jarrett. « Je pense que l’histoire des quartiers de la ville a été oubliée et que tous les pans de l’histoire de l’apartheid (1948-1994) n’ont pas encore été montrés. D’une certaine façon, les musées préservent l’opinion de l’État. Nous voulons aller plus loin », renchérit Justin. A travers un regard humaniste critique, le groupe d’artistes investit les murs et fait de la rue un musée à ciel

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À l’heure où certains quartiers historiques du Cap sont en proie à la gentrification, un collectif d’artistes fait de la résistance. The Burning Museum investit les rues de leur street art engagé pour défendre l’histoire des lieux historiques de la ville et de ses habitants.

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Burning Museum embrase les rues du Cap

pellent que les murs ont une histoire qui ne doit pas s’éteindre sous le joug des tribulations des spéculations immobilières. En mettant en lumière les visages des victimes de l’apartheid et les lieux de l’histoire de la ville, the Burning Museum invoque le devoir de mémoire pour ne pas réitérer les erreurs du passé. «  Le système économique reste lié aux races définies sous l’apartheid  », regrette Justin. Pour lui, les cicatrices de l’apartheid demeurent au travers des

The Burning Museum invoque l’Histoire pour dénoncer le processus de gentrification qui récidive les déplacements forcés qui ont eu cours sous le régime de l’apartheid. À la fin des années 1960 et au début des années CENDRES - L’idée du nom de « Bur1970, le gouvernement décrète officielning museum » est partie d’une blague. lement le District Six, un espace réser« Nous étions dans le musée en train de vé aux Blancs alors qu’il concentrait cuisiner la colle, puis nous nous sommes essentiellement une population noire. dit qu’on devrait réduire le musée en Soixante mille personnes ont été évacendres. Il s’agissait de remettre en quescuées de force et leurs maisons ont été tion les musées conventionnels. Et puis rasées. Elles ont été déplacées dans le lorsqu’on brûle quelque quartier du Cape Flats, auchose, il reste des résidus, Issus des populations métissées, jourd’hui tristement connu des traces qui disent nous pour sa pauvreté et son les membres du collectif sommes toujours là  », extaux de criminalité élevé. partagent de près ou de loin une Le collectif questionne les plique Justin. rapports entre l’espace et les Issus des populations mé- histoire commune tout en rejetant l’idée identités. Lors d’une perfortissées, les membres du de la représenter. » mance appelée « Manufraccollectif partagent de près tured », le Burning Museum ou de loin une histoire a organisé un musée mobile en s’invicommune tout en rejetant l’idée de inégalités économiques et sociales qui tant dans un train en compagnie de la représenter. The Burning Museum correspondent au schéma de sépapoètes et d’autres artistes. Au cours du ration des races prôné sous le régime utilise des images d’archives tirées des collections du District Six Museum et voyage qui s’effectuait du Cap jusqu’à ségrégationniste. «  La raison pour Bellville, les passagers, interloqués et du studio de photographie Van Kalker laquelle nous utilisons les portraits curieux, ont pu voir défiler sur les murs de gens qui ont vécu sous l’apartheid qui a capturé, à partir de 1937, une séqui bordaient la ligne ferroviaire, les est qu’ils ont connu les déplacements rie de portraits de familles anonymes collages du collectif qui raisonnaient sur la route principale de Woodstock. forcés que vivent aujourd’hui les habiLes artistes intègrent également dans aux paroles des slams des poètes. Extants de Woodstock  », explique Tazleur travail des copies du Native Land posé à la merci du temps et des gens, neem. «  L’apartheid est devenu éconoAct de 1913, qui restreignait sévèrele street art du Burning Museum peut mique, les anciens habitants sont obliment le droit et l’accès à la propriété rester plusieurs années sur les murs, gés de quitter le quartier parce que les des populations de couleur. comme il peut disparaître en quelques loyers deviennent trop chers », dénonce Des visages, des textes donc qui rapjours. « La plupart des gens semblent apla jeune femme. précier que leur propre culture soit mise en lumière », rapporte Jarett. L’affichage dans les lieux publics est interdit au Cap, mais la ville donne du lest. «  Les autorités locales savent ce que nous faisons. En fait, le gouvernement local veut que nous travaillions avec lui, mais il ne veut pas que nous le fassions à notre manière parce qu’il veut garder le contrôle. Pour lui, ce serait une façon d’être visible politiquement, mais nous ne collaborerons pas avec lui pour ne pas perdre notre liberté », tranche Jarett. Le collectif continue donc de travailler dans la voie de l’illégalité tout en faisant évoluer son travail dans les galeries en collaboration avec d’autres artistes. The Burning Museum émerge en Afrique du Sud tout en intégrant de nouvelles scènes au Bénin, et récemment en Allemagne où ils ont travaillé à d’autres projets et à de nouveaux défis artistiques.n © BURNING MUSEUM

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ouvert. «  Les gens ne voient pas forcément le travail que font les musées. L’idée de Burning Museum est aussi d’amener les musées aux gens  », rapporte Tazneem.

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