CHIFFRES ET PRATIQUE CLINIQUE ENTREVUE AVEC M. DENIS BLANCHETTE, ÉCONOMISTE À LA FMOQ
Dans la guerre de chiffres qui a lieu, M. Denis Blanchette, économiste et directeur du Service des affaires économiques à la FMOQ, a tenu à présenter ses analyses, à rétablir les faits et à donner ses sources.
Texte et photo : Emmanuèle Garnier
M.Q. – EST-IL EXACT QUE LE NOMBRE DE SERVICES QUE LES MÉDECINS DE FAMILLE OFFRENT DANS UNE JOURNÉE A DIMINUÉ ? D.B. – Oui, mais le temps de travail des médecins, lui, n’a pas été réduit. Les services dont le nombre a diminué sont les examens ordinaires et les examens complets (tableau 1). Par contre, les actes comme l’intervention clinique et l’examen complet majeur, qui demandent plus de temps, eux, sont plus nombreux. Ces changements peuvent s’expliquer entre autres par le fait que les médecins de famille ont fait de grands efforts pour prendre en charge plus de patients du guichet d’accès et plus de patients vulnérables.
M.Q.– LE PROJET DE LOI 20 IMPOSERA AUX OMNIPRATICIENS DE SUIVRE UN CERTAIN NOMBRE DE PATIENTS ET DE PRATIQUER À L’HÔPITAL. AINSI, UN MÉDECIN QUI TRAVAILLE 12 HEURES À L’HÔPITAL DEVRA SUIVRE 1000 PATIENTS. EST-CE RÉALISTE ? D.B. – Le ministre de la Santé, le Dr Gaétan Barrette, sous-estime la charge de travail que représente le suivi de 1000 patients. On peut déduire d’après ses déclarations qu’il la chiffre à 820 heures par année (tableau 2). Selon les données de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), le suivi de 1000 patients nécessite en fait 1100 heures de clinique par année (tableau 3). L’écart entre les données du ministre et la réalité est donc de 34 % pour les heures de clinique. Il y a ensuite les heures de travail médicoadministratif. Le ministre les évalue à 90 minutes au sein d’une journée de travail de 8 heures1. Cependant, selon le sondage de Zins Beauchesne de 2012, il faut compter 45 minutes de plus par 4 heures de clinique. La journée totale peut donc atteindre plus de 10 heures (tableau 4). Contrairement à ce que prétend le ministre, le médecin pourrait ainsi devoir travailler plus de trois jours par semaine strictement en cabinet ou plus de 24 heures par semaine pour arriver à suivre 1000 patients. Son nombre total d’heures hebdomadaires pourrait en fait dépasser 30 heures. 1. Source : www.lactualite.com/actualites/politique/lettre-ouverte-du-ministregaetan-barrette-aux-medecins-du-quebec ou http://bit.ly/1FnJa5o 2. Journées où les médecins ont facturé 1 $ et plus.
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Le Médecin du Québec, volume 50, numéro 2, février 2015
M.Q. – QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES DU CALCUL DU MINISTRE SUR LA DURÉE DES CONSULTATIONS ? D.B. – Selon son modèle, les visites ne devraient pas dépasser 17 mi nutes en moyenne. Si le médecin suit 1000 patients et leur accorde en moyenne 3 consultations par année (tableau 5), ce qui correspond aux données de la RAMQ, cela fait 3000 visites. Pour effectuer toutes ces consultations en faisant 6,5 heures d’activités cliniques par jour, comme le propose le Dr Barrette, il faut voir près de quatre patients par heure et donc accorder moins de 17 minutes à chacun (tableau 6). Cela laisse très peu de marge pour les cas difficiles dans une journée. Il faut par ailleurs souligner que des consultations de 17 mi nutes sont incompatibles avec la durée qu’exige l’Entente pour certains actes. L’intervention clinique, par exemple, doit être d’au moins 25 mi nutes et l’examen complet majeur est normalement de 45 minutes. Le ministre n’a probablement jamais lu le manuel de facturation des actes des omnipraticiens.
M.Q. – QU’EN EST-IL DE LA FAMEUSE QUESTION DU NOMBRE DE JOURS TRAVAILLÉS PAR LES OMNIPRATICIENS ? D.B. – Le nombre de jours travaillés est de 216 en moyenne pour 80 % des médecins les mieux rémunérés2. Cette variable est en réalité plus élevée, parce que pour 102 de ces 216 jours les médecins ont travaillé davantage que dans une journée normale. Si, par exemple, un médecin fait une journée de 16 heures à l’urgence, son travail ne compte que pour une seule journée, selon les calculs du ministre. Pour bien mesurer la charge de travail, il faut donc pondérer à la hausse les 102 jours. Quand on le fait, on constate que l’ensemble des omnipraticiens travaille en moyenne l’équivalent de 247 jours (tableau 7). Le Dr Barrette, pour sa part, a choisi de prendre les 60 % de médecins qui travaillent le moins, c’est-à-dire ceux qui ont facturé moins de 175 jours par année (voir le graphique de la Dre Natalia Vo, p. 9). Il en arrive ainsi à une moyenne de 117 jours3. Il y a dans ce groupe des médecins qui se trouvaient en congé de maternité ou de maladie ou qui, pour une raison ou une autre, n’ont travaillé qu’une seule journée ou peut-être même aucune. Ces cliniciens, peu représentatifs, font baisser la moyenne de manière importante.
L A
TABLEAU 1
V I E
P R O F E S S I O N N E L L E
//
ÉVOLUTION DU NOMBRE D’EXAMENS SELON LE TYPE ENTRE 2012-2013 ET 2013-2014 DANS LES CLINIQUES MÉDICALES
Nombre d’examens
2012-2013
2013-2014
Écart
Ordinaire
3 303 026
3 190 033
(112 993)
Complet
7 088 859
6 862 461
(226 398)
Complet majeur (environ 45 minutes)
1 872 540
1 895 079
22 539
Intervention clinique (IC) (. 25 minutes)
1 350 626
1 481 628
131 002
Supplément de durée de l’IC (15 minutes) Total général
536 471 13 615 083
536 472
13 429 233
620 601
84 130
620 620
(185 850)
84 148
Notes : h
h
h
h h
Quand on calcule le nombre de minutes des actes en clinique médicale, la charge de travail est équivalente en 2012-2013 et en 2013-2014, même si le nombre de patients inscrits a augmenté. Si on prend les 5200 omnipraticiens dont la pratique est active et continue, la charge s’est accrue de 0,5 %. La charge de travail des médecins de famille n’a donc absolument pas diminué malgré 100 000 services de moins au net (185 850 – 84 148). Bien que le nombre d’examens ordinaires et complets (moins lourds) ait diminué, les interventions cliniques d’une durée d’au moins 25 minutes et les suppléments de 15 minutes compensent cette baisse. L’acte d’intervention clinique a remplacé la thérapie de soutien ou la psychothérapie associée à un examen. Ainsi, deux services ont été remplacés par un seul service associé à des suppléments de durée. Le nombre d’examens complets majeurs croît surtout chez les patients de 70 ans et plus. Quarante-deux pour cent des interventions cliniques de 30 minutes sont complétées par un supplément de durée facturé de 15 minutes.
TABLEAU 2
ÉVALUATION DU NOMBRE D’HEURES DE TRAVAIL POUR LE SUIVI DE 1000 PATIENTS À PARTIR DE LA LETTRE OUVERTE DU MINISTRE DE LA SANTÉ1
Paramètres
Chiffres
Sources
Heures de travail d’une journée ordinaire
8 heures
Norme généralement reconnue
Travail médicoadministratif
1,5 heure
Chiffre avancé par le ministre1
Travail clinique
6,5 heures
Chiffre déduit
Nombre de semaines travaillées
42 semaines
Nombre désiré par le ministre1
Nombre de jours travaillés strictement en clinique par semaine
3 jours
Nombre de jours avancé par le ministre1
Nombre total de jours travaillés strictement en clinique en un an
126 jours (42 semaines 3 3 jours)
Nombre d’heures travaillées en un an pour 1000 patients
820 heures* (6,5 heures 3 126 jours)
* Heures de travail clinique uniquement 1. Barrette G. Projet de loi 20 : lettre ouverte du ministre Gaétan Barrette aux médecins du Québec. Montréal : L’actualité ; 2015. Site Internet : www.lactualite.com/ actualites/politique/lettre-ouverte-du-ministre-gaetan-barrette-aux-medecins-du-quebec ou http://bit.ly/1FnJa5o (Date de consultation : le 20 janvier 2015).
TABLEAU 3
NOMBRE RÉEL D’HEURES DE CLINIQUE PAR ANNÉE POUR 1000 PATIENTS INSCRITS
Paramètres
Chiffres
Sources
Nombre de patients inscrits
1000
Donnée de départ
Nombre moyen de visites par an
3
Donnée de la RAMQ 2013-2014 (tableau 5)
Durée des visites
22 minutes
Sondage Zins Beauchesne†
Total des minutes de consultation en un an
66 000 minutes (1000 patients 33 visites 3 22 minutes)
Total des heures de consultation en un an
1100 heures*
*Heures de travail clinique uniquement †Zins Beauchesne et associés. Sondage sur l’équivalence actuarielle. Rapport de sondage présenté à la FMOQ. Mai 2012. 226 pages.
lemedecinduquebec.org
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M.Q. – QU’EN EST-IL DE L’ACCÈS DE LA POPULATION À UN MÉDECIN DE FAMILLE ?