Comprendre les influences de la religion sur la planification familiale

jouer un rôle important mais complexe vis-à-vis des dé- cisions touchant à la planification familiale, et ce à de nombreux niveaux. Des lacunes conséquentes ...
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EXPOSÉ

Comprendre les influences de la religion sur la planification familiale La procédure de suivi et d’évaluation au Sénégal Juillet 2017

Rokhaya Thiam (sage-femme) et Cheikh Saliou Mbacké (président du CRSD) animent un atelier sur la planification familiale avec un dahira de femmes à Dakar, au Sénégal. LES CROYANCES ET LES AUTORITÉS RELIGIEUSES PEUVENT

jouer un rôle important mais complexe vis-à-vis des décisions touchant à la planification familiale, et ce à de nombreux niveaux. Des lacunes conséquentes existent cependant lorsqu’il s’agit de comprendre la manière dont ces influences affectent les politiques et programmes de planification familiale. Le World Faiths Development Dialogue (WFDD) travaille en partenariat avec une association sénégalaise, le CRSD (Cadre des Religieux pour la Santé et le Développement), pour mieux comprendre comment les chefs religieux peuvent soutenir les stratégies de planification familiale du Sénégal. Les institutions religieuses du pays influencent la vie quotidienne de plusieurs manières et la religiosité y est parmi les plus élevées au monde : une étude, réalisée en 2010 par le Forum sur la religion et la vie publique du Pew Research Center, a découvert que la

religion occupait une place « très importante » dans la vie de 98 pour cent des personnes interrogées.1 Nous ne disposons cependant que de peu d’informations sur la façon dont cette impressionnante statistique se traduit en matière de prise de décision. Cet exposé analyse les études réalisées en 2016 et 2017 sur l’influence des institutions, croyances et autorités religieuses sur les décisions de planification familiale au Sénégal.

Contexte

Le gouvernement sénégalais accorde une grande importance à la santé de la famille et notamment à la planification familiale, principalement grâce au plan stratégique 20122015 du Ministère de la Santé et de l’Action sociale. Le Sénégal est un pays membre du Partenariat de Ouagadougou, une initiative de neuf pays francophones d’Afrique de l’Ouest

World Faiths Development Dialogue, Washington, DC [email protected] | www.wfdd.us Avec l’appui de la Fondation William et Flora Hewlett Comprendre les influences de la religion sur la planification familiale  World Faiths Development Dialogue | www.wfdd.us 1

qui cherche à répondre aux besoins non satisfaits en matière de planification familiale en améliorant la collaboration et la coopération. 2 Doté d’une position géographique favorable et d’une population entreprenante, 3 le pays a la réputation bien méritée d’être un pilier de stabilité dans une région instable. Il a fait des progrès importants en ce qui concerne plusieurs indicateurs de santé : la mortalité maternelle est tombée de 427 en 2005 à 315 en 2015 (pour 100 000 naissances vivantes),4 tandis que la mortalité des enfants de moins d’un an était de 56 en 2005 contre 42 en 2015 (pour 1 000 naissances vivantes). 5 Le taux de fertilité, à 5,0 naissances par femme,6 est cependant considérablement plus élevé que dans bien d’autres pays ayant des niveaux de revenu similaires et la prévalence de la planification familiale y est relativement faible. L’une des priorités fondamentales de la stratégie du Sénégal en matière de santé consiste à augmenter le taux de prévalence de la contraception (TPC), qui était de 23,3 pour cent en 2015 chez les femmes mariées.7 Le TPC a augmenté de façon significative grâce aux programmes gouvernementaux en cours, mais il demeure bien en deçà de l’objectif ciblé (45 pour cent en 2020). Les stratégies visant à accroître le TPC souhaitent en priorité répondre aux besoins non satisfaits. Elles comprennent également des efforts pour augmenter les niveaux de demande totale en matière de contraception (utilisation réelle d’une méthode contraceptive, en plus du besoin non satisfait) par rapport au taux de 2010 qui, à 45,9 pour cent, était bien en dessous de ceux de pays comparables.8 La stratégie de planification familiale 2012-2015 du gouvernement prévoyait une participation des communautés religieuses. Le CRSD a ainsi été formé pour promouvoir les questions de santé et de développement de plusieurs manières, la planification familiale étant son domaine d’action privilégié.9 Ce groupe interreligieux de chefs religieux représente tout l’éventail des traditions religieuses du Sénégal. Les Sénégalais sont majoritairement musulmans (à 94 pour cent), avec une petite minorité active de chrétiens (4 pour cent). Au sein de la communauté musulmane, 92 pour cent sont affiliés à l’un des quatre ordres soufis, ou confréries (Qadiriyya, Tijaniyya, Muridiyya et Layeniyya). Chaque confrérie présente des caractéristiques similaires mais uniques, en matière de hiérarchie, de pratiques et de centres d’intérêt,10 qui influencent leurs interactions avec la communauté. Le WFDD et le CRSD ont entamé leur collaboration en 2014, avec le soutien de la Fondation Hewlett. À ce jour, les activités du CRSD ont porté sur des ateliers d’essai avec des réseaux religieux de femmes et des journalistes. Ces activités, y compris le nombre et le sexe des participants, ont fait l’objet d’une surveillance particulière. Une étude préliminaire a été menée à la fin de la phase pilote. Une série d’évaluations de suivi est à venir.

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Suivi et évaluation

L’implication stratégique des communautés religieuses dans la planification familiale est une nouvelle initiative au Sénégal, et un programme solide de suivi et d’évaluation fait donc partie intégrante du programme global. Une enquête de référence, une enquête à mi-parcours et une enquête finale étaient prévues, en plus du suivi normal des activités. Deux consultants sénégalais expérimentés ont été engagés (un à temps plein et l’autre à temps partiel). Ils ont préparé le projet d’étude, conçu les outils de sondage, mené le travail sur le terrain et analysé les données. Un consultant du WFDD a étudié les conclusions préliminaires et recommandé des ajustements pour la poursuite des études. L’étude a globalement été conçue comme une étude transversale mixte, constituée de trois enquêtes effectuées à trois points dans le temps, examinant la question complexe du rôle joué par les dimensions religieuses sur les attitudes, croyances et pratiques en matière de planification familiale. Nous avons choisi d’effectuer une étude transversale pour évaluer le niveau de connaissances de la population, au lieu de suivre des individus et des groupes, car plusieurs interventions sur la planification familiale sont mises en œuvre en même temps dans tout le pays. Le CRSD considère que la planification familiale est une question qui touche les individus mariés ; l’échantillon a donc été limité à cette population. L’utilisation d’une enquête quantitative, de groupes de discussion qualitatifs et d’entretiens individuels

Objectifs de recherche et hypothèses Objectifs 1. Mesurer le niveau de connaissances sur la planification familiale 2. Déterminer les connaissances, les attitudes et les pratiques des participants en matière de religion et de planification familiale 3. Évaluer l’influence des chefs religieux sur le processus de prise de décision des couples en matière de planification familiale Hypothèses 4. Il existe des lacunes importantes dans les connaissances sur la planification familiale 5. La religion est un facteur déterminant pour l’utilisation de la planification familiale 6. Les chefs religieux peuvent avoir une influence positive sur les attitudes envers la planification familiale et sur la manière de pratiquer cette dernière

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semi-structurés a été spécifiquement conçue pour produire des informations quantitatives sur la religion et la planification familiale, au côté de données qualitatives nuancées permettant d’explorer les interactions de plusieurs facteurs influençant les comportements et les prises de décision. Les questions de l’enquête se sont concentrées sur la manière dont les individus obtiennent des connaissances religieuses spécifiques, sur l’influence des chefs religieux, sur les connaissances, attitudes et croyances en rapport avec la planification familiale, et sur des renseignements démographiques à des fins d’analyse. L’enquête quantitative offrait un large choix de réponses possibles, ou même souvent la catégorie « Autre » afin que les participants puissent fournir la réponse la plus adaptée. Les questions posées au groupe de discussion cherchaient à comprendre si les croyances religieuses influençaient la manière dont était perçue la planification familiale et, si oui, dans quelle mesure, et à savoir si les participants utilisaient ou utiliseraient une méthode de planification familiale. Les entretiens individuels semi-structurés avec des chefs religieux étaient conçus pour en apprendre plus sur leurs points de vue et leurs interprétations des enseignements religieux sur la planification familiale et pour déterminer le rôle qu’ils pouvaient jouer pour aider les communautés à comprendre cette dernière (par exemple en clarifiant les enseignements religieux ou en levant le doute sur des fausses croyances). Un processus de validation soigné et complet a été mené pour chaque outil, notamment en collaborant avec deux sociologues sénégalais. Les deux consultants et le WFDD ont cherché à s’assurer que les questions qualitatives étaient ouvertes, qu’elles étaient formulées de manière claire et qu’elles pouvaient être facilement traduites dans les langues locales.

Enquête de référence

L’enquête de référence a été menée dans six régions du Sénégal (sur 14) : Thiès, Diourbel, Matam, Kédougou, Sédhiou et Ziguinchor. Nous avons choisi ces régions en association avec le Ministère de la Santé, en prenant en compte leurs taux élevés de mortalité infantile et maternelle, leur faible TPC et leurs liens religieux forts. Les consultants de suivi et d’évaluation ont calculé qu’au moins 360 individus mariés—270 femmes en âge d’avoir des enfants (de 14 à 49 ans) et 90 hommes—étaient nécessaires pour obtenir un échantillon significatif d’un point de vue statistique. Des individus supplémentaires, comptant pour 10 pour cent de chaque groupe, ont été ajoutés à ces calculs pour tenir compte des sondages incomplets (voir le Tableau 1 pour la répartition des sondages). Le nombre total de sondages visé pour chaque région s’est basé sur le nombre de femmes ayant eu accès aux services de planification familiale en 2014 selon les données d’enquêtes nationales. Pour obtenir des points de vue variés, deux groupes de discussion ont été planifiés dans chaque région.

L’équipe a recruté et formé neuf enquêtrices expérimentées ayant mené un large éventail d’enquêtes et possédant des compétences linguistiques variées, essentielles pour les six régions où auraient lieu les enquêtes. Les deux enquêtrices ayant le plus d’expérience ont animé les groupes de discussion et les entretiens approfondis.

Résultats

Les consultants de suivi et d’évaluation ont analysé 402 sondages et utilisé NVivo pour analyser les données qualitatives. Les personnes interrogées étaient musulmanes à 98 pour cent (voir le Tableau 2 pour la distribution par confrérie), chrétiennes à 1,25 pour cent et autres à 0,75 pour cent. Parmi les participants, 75 pour cent ont déclaré que leur mariage était monogame, et 25 pour cent qu’il était polygame. La phase pilote a été menée en supposant que les croyances religieuses jouaient un rôle important dans la prise de décisions personnelles, y compris de décisions liées à la planification familiale. Nous avons demandé aux participants interrogés s’ils consulteraient leur guide religieux s’ils avaient besoin de conseils pour leur mariage ; 59 pour cent des personnes sondées ont répondu oui. Dans la région de Sédhiou, plus de 80 pour cent ont répondu par l’affirmative. Cette tendance ne s’est pas confirmée lorsque nous leur avons demandé s’ils parleraient d’espacement des naissances ou de santé reproductive avec leurs chefs religieux. Sur ces sujets particuliers, le pourcentage de sondés déclarant qu’ils seraient disposés à discuter avec un chef religieux est tombé à 36 et 40 pour cent respectivement. En outre, seuls 9 pour cent des participants interrogés ont affirmé qu’ils avaient discuté d’espacement des naissances avec un chef religieux. Dans les groupes de discussion, les couples se sont demandé dans quelle mesure ils discuteraient de planification familiale avec les chefs religieux. Bien que moins de 50 pour cent aient répondu qu’ils parleraient d’espacement des naissances ou de santé reproductive avec leurs chefs religieux, beaucoup de participants aux groupes de discussion ont indiqué qu’ils souhaiteraient que leurs guides religieux organisent des conférences et des discussions sur ce sujet.

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« J’ai un guide religieux mais nous n’avons jamais abordé le sujet. » « J’ai un guide et nous avons discuté en profondeur de ce sujet. Nous n’avons pas de tabou avec lui. Il nous enseigne tout, il ne nous cache absolument rien... Il nous donne des conseils sur comment entretenir nos femmes, comment les chérir, comment nous occuper d’elles. Nous l’entendons même parler de la pratique de la planification familiale. » « Je pense qu’ils [les chefs religieux] devraient profiter de toutes les occasions pour parler de ça avec leurs disciples. Ce

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serait mieux de fermer leurs sermons sur l’espacement des naissances à chaque fois, parce que les gens les écoutent. » Nous avons demandé aux participants où ils se procuraient leurs informations religieuses. Plus de 50 pour cent des sondés ont répondu qu’ils obtenaient leurs informations d’un guide religieux, ainsi que des médias. D’autres réponses comprenaient les mosquées (31,9 pour cent), le Coran (17,5 pour cent) et autres (27,4 pour cent, les réponses les plus répandues étant les conférences, les dahiras11 et Internet). Les médias religieux sont des acteurs influents : 82,1 pour cent des participants ont dit regarder des programmes télévisés religieux. Presque tous les participants ont notamment cité le programme Sen Diine. Suivi par beaucoup de femmes, Sen Diine est animé par un prêcheur ouvertement opposé à la planification familiale, Iran Ndao. En outre, 51 pour cent des sondés ont dit qu’ils écoutaient des émissions religieuses à la radio. Seuls 5,3 pour cent des personnes interrogées ont dit qu’elles ne suivaient aucun programme religieux à la télévision ou à la radio. Le pouvoir et l’influence des médias ont été réitérés lorsque nous avons demandé aux participants où ils avaient entendu parler de planification familiale. La télévision et la radio étaient deux des quatre réponses les plus populaires, avec 64,8 et 58 pour cent de réponses respectivement. Les deux autres réponses étaient un membre de la famille ou un ami (59,8 pour cent) et un établissement de santé (59 pour cent). Seuls 20 pour cent ont mentionné des ateliers, ce qui sous-entend qu’il n’y a pas assez d’ateliers ou que ceux-ci ne discutent pas beaucoup de planification familiale. Pour évaluer le niveau de connaissances en matière de planification familiale parmi les participants, nous avons demandé aux sondés de sélectionner toutes les formes de planification familiale dont ils avaient entendu parler (voir la Figure 1). Les trois méthodes les plus connues étaient la pilule contraceptive (90 pour cent), les contraceptifs injectables (87 pour cent) et l’implant (78,8 pour cent). Toutes les autres méthodes étaient connues par moins de la moitié des personnes interrogées, y compris les préservatifs (33,9 pour cent). Le niveau de connaissances sur la planification familiale était faible, seuls 5,2 pour cent étant familiarisés avec la méthode du retrait, 3,2 pour cent avec celle de l’allaitement maternel et de l’aménorrhée et 2,7 pour cent avec celle de l’abstinence périodique. Le faible pourcentage de participants ayant identifié les préservatifs comme méthode de planification familiale a surpris les chercheurs. Les citations suivantes, tirées des entretiens avec les chefs religieux, offrent un aperçu sur une raison potentielle : « L’Église n’est pas d’accord avec ça [les préservatifs] parce que ça encourage la promiscuité sexuelle. »

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Tableau 1 : nombre de sondages analysés dans chaque région Région

Femmes

Hommes

Total

207

70

277

Diourbel

41

13

54

Matam

11

5

16

Ziguinchor

16

5

21

Sédhiou

13

5

18

Kédougou

11

5

16

Thiès

Tableau 2 : confrérie à laquelle étaient affiliés les musulmans interrogés Confrérie

Pour cent affiliés

Muridiyya

44,1%

Tijaniyya

46,2%

Qadiriyya

3,5%

Layeniyya

1,3%

None

4,5%

« Le préservatif, l’islam ne l’autorise pas car c’est tuer un être humain. Le liquide qu’on jette après pourrait devenir un être vivant. C’est donc mieux de ne pas l’utiliser. » « Le préservatif n’est pas une méthode destinée exclusivement à l’espacement des naissances. Il encourage les rapports hors mariage. Même un homme marié ne doit pas l’utiliser (sauf s’il est atteint de MST). » Plus de 80 pour cent des personnes interrogées ont déclaré avoir visité un établissement de santé offrant des services de planification familiale, et 64 pour cent ont affirmé que leur couple la pratiquait (voir la Figure 2 pour les données par région). Les deux méthodes les plus populaires parmi ceux qui pratiquent la planification familiale sont les contraceptifs injectables (46,6 pour cent) et la pilule (43,1 pour cent). Parmi ceux qui n’utilisent pas de méthode de planification familiale, 24 pour cent ont déclaré vouloir le faire. Un sous-groupe a utilisé la planification familiale par le passé (23,5 pour cent) et, parmi ceux-ci, 29 pour cent

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Figure 1. Connaissance des méthodes contraceptives 100% 80%

89,5% 86,5%

78,8%

60%

48,6%

40%

33,9%

20% 0%

14,0% nt le tifs Pilu tracep les Impla b Con jecta in

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DIU serva Pré

7,7%

5,2%

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3,7%

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2,7%

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ont répondu souhaiter utiliser de nouveau une méthode de planification familiale moderne. Une question clé portait sur le niveau de connaissances des personnes interrogées sur ce que dit leur religion vis-àvis de la planification familiale. Parmi les sondés, 80 pour cent ont dit être conscient de la position de leur religion sur la planification familiale. Nous avons également demandé aux participants des groupes de discussion ce que disait leur religion sur la planification familiale, une question qui a suscité une large gamme de réponses. « Ce n’est pas à nous de gérer le destin, surtout pour ce qui est de la reproduction. Seul Dieu peut décider. »

Problèmes rencontrés

À l’origine, l’enquête de référence était censée avoir lieu en novembre 2015. Cependant, en raison du processus de validation du Ministère de la Santé, du calendrier des vacances religieuses et d’autres contraintes, elle n’a été menée qu’en janvier 2016. Bien que cela ait retardé le calendrier de l’enquête dans son intégralité, les résultats de l’enquête n’ont pas été affectés, car l’ensemble des activités programmées dans les régions ne devaient commencer qu’en mars 2016. La méthodologie d’enquête prévue anticipait un échantillon aléatoire d’hommes et de femmes mariés de six régions du Sénégal. L’échantillonnage, tel qu’il a été mené sur le terrain, a cependant connu quelques anomalies, qui n’ont

« À mon avis, la religion permet l’espacement des naissances car, si on a des grossesses rapprochées, les enfants ne seront pas en bonne santé et on aura du mal à les entretenir. » « C’est permis si les parents n’ont pas les moyens suffisants [pour prendre soin des enfants] ou si la femme a une mauvaise santé. » « Certaines personnes disent que c’est une bonne chose, d’autres disent que ce n’est pas bon. Mais il faut savoir que l’islam a toujours favorisé la santé de l’individu. L’islam n’accepte pas qu’une personne se mette dans une situation difficile. Nous sommes tous musulmans et nous devons savoir que, ce qui est raisonnable pour la procréation, c’est que la femme espace ses naissances pour permettre aux enfants d’avoir un allaitement normal. »

Figure 2. Pourcentage de participants pratiquant la planification familiale par région 100% 89,5% 80%

67,0% 66,7%

60%

62,5% 52,6%

44,4%

40% 20%

Au sein des groupes de discussion, les participants ont clairement fait la distinction entre l’espacement des naissances et la limitation des naissances. Presque tous les participants ont déclaré que l’islam interdisait la limitation des naissances.

0%

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été découvertes qu’après les faits. Le coordinateur de terrain et les enquêtrices ont contacté les établissements de santé de ces régions pour identifier l’échantillon de leur sondage. Cela a probablement introduit un biais dans l’échantillon, car ceux qui avaient accès à des services de santé ont été plus exposés à des informations et pourraient avoir plus de ressources.

Enquête à mi-parcours

L’enquête à mi-parcours, menée en mars 2017, consistait en une version réduite de l’enquête de référence et s’est concentrée sur la collecte de données qualitatives dans trois régions du Des femmes participent à un atelier sur la planification familiale à Matam, au Sénégal, Sénégal : Thiès, Ziguinchor et Kédou- en avril 2017. gou. L’équipe a animé un total de 12 groupes de discussion (six avec des femmes mariées et six « C’est le système qu’on utilise aujourd’hui pour espacer les avec des hommes mariés) et 13 entretiens avec des chefs naissances que je déplore. L’espacement des naissances a toureligieux. Une analyse a été menée avec le logiciel NVivo. jours été pratiqué avec des méthodes naturelles... Je pense que la procréation est de la volonté divine… Je préfère la méthode Résultats naturelle mais il y a malheureusement une politique sanitaire Les données montrent que les croyances religieuses jouent importée de l’Occident qui influe sur nos valeurs. Depuis la plusieurs rôles dans la vie des individus. Les participants aux campagne de sensibilisation sur l’utilisation des préservatifs groupes de discussion ont affirmé que la religion joue un rôle et certaines approches contraceptives, nos femmes ont comindispensable dans leur vie, guidant leurs valeurs et leur momencé à connaître des complications. Certes, l’espacement ralité et influençant leurs comportements. Une thématique des naissances est une très bonne chose mais les méthodes ayant émergé des groupes de discussion portait sur le fait utilisées tentent beaucoup de jeunes sur la sexualité et causent qu’une majorité des participants estime que leurs traditions le plus souvent des grossesses non désirées ou précoces. » religieuses, qu’il s’agisse de l’islam ou du christianisme, acLa situation hypothétique suivante a été présentée aux ceptent la planification familiale au service de la santé et du participants des groupes de discussion : une femme mariée bien-être des femmes et des enfants. décide d’utiliser des méthodes de planification familiale sans « La religion accepte le planning familial. Tout ce qui participe consulter son époux. Il leur a ensuite été demandé d’imagiau bien-être de la personne, la religion l’accepte. » ner la raison à l’origine de cette décision. Les réponses dans les groupes de discussion de femmes étaient considéra« Porter une grossesse alors qu’on est malade, c’est du suiblement différentes de celles des groupes d’hommes. Elles cide. Et la religion interdit le suicide. Dans ce cas, mieux vaut se concentraient davantage sur la situation de la femme faire le planning que risquer sa vie. » mariée, affirmant qu’elle aurait certes dû consulter son Des fausses idées importantes existent cependant sur la époux, mais qu’elle a pu avoir peur d’en discuter ou qu’elle planification familiale. Plusieurs mythes entourent l’espace- s’inquiétait de sa santé. Les femmes ont souvent apporté ment des naissances et certains participants ont émis des des anecdotes personnelles pour motiver leur choix. opinions tranchées sur les méthodes modernes. « Ça fait des années que j’ai fait le planning sans que mon « Mes parents m’ont donné des secrets pour l’espacement des mari le sache. Et j’ai pris cette décision car j’ai sept enfants naissances, c’est une amulette qu’on met sur le pied gauche et je constate que l’état de ma santé ne me permet plus de de la personne et sous le côté gauche du lit. » porter une grossesse. » « Je pense que la religion ne favorise jamais les grossesses rapprochées. Aujourd’hui, c’est les méthodes occidentales pour les femmes qui sont les causes des complications. »

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«Ce n’est pas bien de faire le planning dans le dos de son mari. Avant de prendre des décisions de ce genre, il faut en discuter avec son mari. Beaucoup de femmes font du planning car ça

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les arrange, c’est leur vie qui est menacée avec les grossesses rapprochées. C’est elles qui ont l’entière responsabilité de la prise en charge des enfants. Les pères délaissent la prise en charge des enfants, raison pour laquelle les femmes font le planning dans le dos de leur mari. » « Les hommes ne comprennent pas la souffrance des femmes, alors qu’être enceinte ou entretenir les enfants n’est pas facile. C’est pourquoi beaucoup de femmes, pour leur bien-être, font le planning dans le dos de leur époux. » Bien que la plupart des hommes aient émis une opinion positive sur le recours à la planification familiale par une femme, certains en avaient une opinion plus négative, déclarant que la seule raison amenant une femme à ne pas consulter son mari serait qu’elle souhaite s’affranchir de toute responsabilité ou qu’elle est infidèle. « La femme ne doit pas insister et faire du planning sans l’autorisation de son mari. Si elle insiste, c’est parce qu’elle veut être libre, pouvoir vaquer à ses occupations sans problème et ça peut poser des problèmes au sein du couple. » « Je pense qu’elle ne respecte pas son mari et qu’elle veut se consacrer au libertinage. » Les résultats des groupes de discussion ont confirmé que les chefs religieux peuvent avoir une influence sur les choix relatifs à la planification familiale. Les commentaires suggèrent néanmoins que les chefs religieux auraient peu de chances de dissuader les femmes ayant déjà décidé d’avoir recours à la planification familiale. « Dans le village, les populations étaient contre la vaccination et l’espacement des naissances mais elles ont finalement changé d’avis, suite à l’intervention du guide religieux.» « Selon moi, le guide religieux ne peut pas influencer ma prise de décision sur le plan sanitaire. Je lui ferai comprendre les raisons de ma décision, comme je l’ai fait avec mon mari. Je suis la seule responsable de ma santé. »

Planification de l’enquête finale

L’enquête finale est prévue pour le mois de novembre 2017, lors duquel les activités programmées dans le cadre du projet seront sur le point d’être achevées (période de deux ans).

Conclusions

Les résultats des enquêtes de référence et à mi-parcours sont une mine d’informations. Les données quantitatives de l’enquête de référence nous aident à mieux comprendre la religiosité, les rôles pratiques joués par les chefs religieux dans la prise de décision, ainsi que les niveaux de connaissances et les pratiques autour de la planification familiale dans les communautés interrogées.

Le taux élevé de prévalence de la contraception chez les personnes interrogées (64 pour cent) correspond à plus de 2,5 fois celui de la moyenne nationale observée par les Enquêtes démographiques et de santé de 2016. La méthode d’échantillonnage, la petite taille de l’échantillon et le pourcentage plus élevé de participants urbains par rapport aux participants des zones rurales sont tout autant de facteurs susceptibles de contribuer à cette différence ; cette distorsion doit être prise en compte dans l’analyse de l’enquête. Les groupes de discussion qualitatifs avec des individus mariés et les entretiens avec des chefs religieux ont contribué à une meilleure compréhension des influences religieuses sur la planification familiale, des décisions prises par les couples et du conseil offert par des chefs religieux. Les réponses des hommes et des femmes étaient généralement semblables. Une question a cependant produit des réponses bien différentes : celle de la situation hypothétique d’une femme mariée décidant d’avoir recours à la contraception sans que son mari ne le sache et sans le consentement de ce dernier. Dans les groupes de discussion de l’enquête de référence, les femmes ont affirmé qu’elle devrait consulter son mari avant de prendre sa décision, tout en citant des raisons pertinentes pour lesquelles elle pourrait choisir de ne pas le faire. Les hommes ont proposé des interprétations plus sévères, citant souvent le libertinage, la promiscuité sexuelle, le manque de respect et l’adultère. Bien que cela ait été mentionné dans les groupes de discussion à mi-parcours, le ton des réponses était sensiblement différent. Les hommes ont régulièrement déclaré que les femmes choisissaient cette voie pour protéger leur santé. Ils ont en outre indiqué que s’il s’agissait de leur femme, ils espéraient qu’elle leur parlerait, auquel cas ils l’accompagneraient dans un établissement de santé. Les entretiens avec des chefs religieux ont révélé un large éventail de points de vue relatifs aux enseignements religieux sur la planification familiale et au rôle qu’ils pensaient avoir. Certains chefs religieux ont défendu la planification familiale et les méthodes modernes, tandis que d’autres étaient résolument contre les méthodes « occidentales », un grand nombre d’entre eux se positionnant entre ces deux extrêmes. Les résultats ont confirmé comment les différentes manières dont les chefs religieux perçoivent la planification familiale peuvent influencer une prise de décision positive. Selon l’enquête, seul un faible pourcentage de participants a indiqué qu’ils parleraient à leurs chefs religieux de l’espacement des naissances et de la santé reproductive ; les groupes de discussions ont cependant suggéré que de nombreuses personnes seraient disposées à connaître l’avis de leurs guides religieux sur ce sujet. Cette différence sous-entend que certains individus souhaitent connaître l’avis de leurs chefs religieux sur l’espacement des naissances et la santé reproductive afin de prendre une décision informée, mais qu’ils n’en discuteraient pas avec eux en couple.

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Les résultats des deux enquêtes ont été partagés et abordés avec les 15 membres du CRSD, le consultant du CRSD dans le domaine des médias et la sage-femme responsable des activités du CRSD pour les femmes, ainsi qu’avec des représentants du Ministère de la Santé. Compte tenu des résultats de l’enquête, les ateliers ont été modifiés pour aborder plus en détails différents mythes soulevés dans les groupes de discussion et les entretiens. Tous les renseignements personnels ont été supprimés avant le partage des informations.

Notes 1. « Tolerance and Tension: Islam and Christianity in Sub-Saharan Africa » (Tolérance et tensions : l’islam et le christianisme en Afrique subsaharienne), Pew Forum of Religion & Public Life, 2010. Disponible à l’adresse : http://www. pewforum.org/files/2010/04/ sub-saharan-africa-full-report.pdf (en anglais) 2. Pour plus d’informations, voir « À propos » sur le site https://partenariatouaga.org/en/. 3. « Sénégal : Vue d’ensemble » Banque mondiale, 2015. Disponible à l’adresse : http://www.banquemondiale.org/fr/country/senegal/ overview 4. « Ratio de décès maternel (estimation par modèle, pour 100 000 naissances vivantes). » Banque mondiale, 2017. Disponible à l’adresse : https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/ SH.STA.MMRT

5. « Taux de mortalité infantile (pour 1000 naissances vivantes). » Banque mondiale, 2017. Disponible à l’adresse : https://donnees. banquemondiale.org/indicateur/SP.DYN.IMRT.IN 6. « Taux de fertilité, total (naissances par femme). » Banque mondiale, 2015. Disponible à l’adresse : https://donnees.banquemondiale. org/indicateur/SP.DYN.TFRT.IN?locations=SN 7. « Sénégal : Enquête Démographique et de Santé Continue (EDS-Continue). » Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie, 2016. Disponible à l’adresse : http://dhsprogram. com/pubs/pdf/FR320/FR320.pdf 8. May, John. F., « The Politics of Family Planning Policies and Programs in sub-Saharan Africa » (La politique des stratégies et programmes de planification familiale en Afrique subsaharienne), Population and Development Review, 43, no S1 (2017), p. 308–329. 9. Pour plus d’informations, voir Établir un consensus sur la planification familiale entre les communautés religieuses du Sénégal. (Herzog, L). 10. Pour plus d’informations, voir The Religious Landscape of Senegal: An Overview (Le paysage religieux du Sénégal : vue d’ensemble, en anglais). (Herzog, L). Disponible à l’adresse : https://berkleycenter. georgetown.edu/publications/policy-brief-the-religiouslandscape-of-senegal-an-overview 11. Les dahiras sont des groupes communautaires spécifiques au soufisme, qui se rassemblent pour répondre aux besoins spirituels et matériels de leurs membres.

Le World Faiths Development Dialogue (Dialogue mondial sur les croyances et le développement, WFDD) est un acteur indépendant et non affilié qui cherche à réduire la fracture entre le monde de la foi et celui du développement laïc, améliorant ainsi la justice sociale et la lutte contre la pauvreté. Créé à l’origine au sein de la Banque mondiale, il se situe aujourd’hui à l’université de Georgetown à Washington, D.C. Le WFDD soutient le dialogue et les consultations, encourage les communautés de pratique, documente le travail des organisations d’inspiration religieuse et favorise la compréhension en expliquant pourquoi les idées et acteurs religieux sont essentiels au développement. Il cherche également à promouvoir les partenariats entre organisations, aux niveaux national et international, lorsque ceux-ci promettent d’améliorer la qualité des résultats en matière de développement. Fondé en juillet 2014, le Cadre des Religieux pour la Santé et le Développement (CRSD) est une association interreligieuse qui rassemble les différentes familles religieuses, les associations islamiques et les Églises catholique et luthérienne du Sénégal. Depuis 2014, le CRSD travaille avec le ministère de la Santé et de l’Action sociale sénégalais pour améliorer la santé maternelle et infantile dans tout le pays. L’association veut encourager le dialogue et la coopération entre les communautés religieuses du Sénégal pour faire progresser le développement, améliorer la santé maternelle et infantile, protéger et soutenir les populations vulnérables, et promouvoir la cohésion sociale et la paix. Cet exposé, rédigé par Wilma Mui sous la conduite de Katherine Marshall, reflète la recherche et l’implication du WFDD dans le cadre d’un projet appuyé par la Fondation William et Flora Hewlett. Le WFDD souhaiterait reconnaître le travail effectué par l’équipe de suivi et d’évaluation au Sénégal, en particulier Bakary Gueye, Papa Amadou Mbaye, Youssoupha Sene et les enquêtrices. Le WFDD remercie Andreas Hipple d’avoir examiné les premières conclusions et offert des conseils pour les études ultérieures. Vous pouvez adresser vos questions à Wilma Mui ([email protected]). Vous trouverez plus d’informations sur le CRSD et le programme soutenu par le WFDD aux adresses suivantes : http://crsdsenegal.org ou http://berkleycenter.georgetown.edu/subprojects/country-mapping-senegal.

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