Cornedure - Museum de Toulouse

très dur, pas confortable comme la terre qui sent bon l'humus. ... séparée de ma mère et de ma sœur, mais je m'habituais, peu à peu, à ma nouvelle vie. ... les craies que j'arrivais parfois à attraper dans les classes du bâtiment des sciences.
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Cornedure AURIMONT Ulysse, BILHERAN Clarisse; BUSSING Gwénaëlle, CHAOUI Rida, COURTADE Lisa, DAVASSE Isaac, DELBOUYS Célian, DURAND Théïss, DUVAL Axelle, EFIMOVA Kristina, GAJATE Robin, HARGOUS Lune, LE GAL Mathilde, LOUIS Alizée, MAALAOUI Léo, MAURIE Lucas, MEDJADBA Romain, PAYRE Fanny, POROJAN Luigi-Doru, PRUVOST Daniel, ROLLET Fantine, SANCHEZ Mélissa, STAZZU Matice, TARAMOVA Khava, TRACOULAT Jimmy, VANDAMME Juliette, WILLEMYNS Elia - Classe 5ème7 du Collèges Ingres à Montauban (31)

Je m'appelle Cornedure. Du moins, c'est le nom que l'on m'avait donné, il y a quelques années, quand on m'avait trouvée blessée...

C'était l 'automne et la période de chasse avait débuté. Maman nous avait prévenues, ma sœur et moi, que les humains étaient méchants. J'en fis l'expérience quelques temps plus tard. Maman nous avait amenées le matin dans le sous-bois pour brouter quelques feuilles et herbes. Soudain un bruit retentit, celui de la chasse. Je courus droit devant moi, sans regarder si on me suivait. Je trébuchai et tombai dans un joli petit ruisseau. Je voulus me relever, mais ma patte arrière me faisait mal. Ma mère et ma sœur avaient disparu. Alors je me traînai jusqu'à un endroit de repli et je finis par m'endormir. Le lendemain, quelques cris retentirent devant ma cachette. J'étais prise au piège. Les humains m'avaient retrouvée et j'allais mourir. Un homme se tenait devant moi, un pistolet à la main. Il tira. Le noir m'enveloppa, et je m'endormis à nouveau.

Quand je me réveillai, j'étais dans une salle rectangulaire baignée par le soleil. Le sol était très dur, pas confortable comme la terre qui sent bon l'humus. En plus, cela sentait mauvais l'humain dans cette pièce. Soudain, la porte s'ouvrit. Une humaine était là, dans la salle. Elle s'approcha doucement de moi. Ma vision était floue, mais je pus remarquer que la dame était grande et tenait quelque chose de blanc. Je sentis le lait ; j'avais si faim. Elle me nourrit, écrivit sur un

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carnet, puis repartit. Quelques semaines plus tard, mes bois avaient commencé à pousser. Je m'étais habituée aux allers et retours des humains qui venaient me voir avec leur carnet. Surtout celui qui m'avait tiré dessus : il venait me faire ce qu'il appelait des « piqûres », à ma patte blessée. C'était particulièrement désagréable ! Ensuite, il prenait des notes, me parlait un peu et sortait. Les plus jeunes humaines me trouvèrent un nom et me firent les bois en french cornucure. Elles utilisaient différents types de vernis. Mon préféré, c'était le marron. Elles me mettaient le plus souvent des couleurs très laides, que je n'avais jamais vues. Au début, cela faisait rire l'humaine qui me nourrissait, mais bientôt, elle leur dit d'arrêter – dommage ! On était en train de me faire le marron, ma couleur préférée !

Un jour, j'eus une histoire avec un sac. J'avais humé de bonnes odeurs dans un sac cousu de perles. Une plaque d'or indiquait le prénom d'une des jeunes humaines. Je plongeai ma tête à l'intérieur, mais ne pus la ressortir. J'étais coincée. Je bramais si fort que j'alertai mes geôliers. Ils me délivrèrent en riant et en me caressant, presque aussi doucement que le faisait ma mère. C'est depuis ce moment-là que je compris que ces humains-là me protégeaient.

Pourtant, un autre jour, des méchants humains vinrent m'ennuyer, et me volèrent même ma nourriture, qu'ils avaient entreposée non loin de moi pour me faire saliver. J'étais attachée au fond de la salle, mais je réussis à me détacher. Pour me venger, je leur détruisis les sacs qu'ils avaient laissés dans la salle. De colère, je mâchai la poignée de la porte. Je me repus de la nourriture des sacs puis, apaisée, je rassemblai la fourrure des capuches de leurs manteaux pour m'y enfouir. J'eus l'impression un instant que j'étais blottie contre le doux pelage de ma mère et de ma sœur.

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Une année était passée, et j'avais appris leur langage des hommes grâce aux documentaires animaliers sur mon espèce, que me passait l'humaine qui me soignait. Je souffrais toujours d'être séparée de ma mère et de ma sœur, mais je m'habituais, peu à peu, à ma nouvelle vie. Voyant que je me languissais, les jeunes humaines m'emmenèrent visiter un parc zoologique. De très loin je reconnus un brame familier. Je trépignai pour m'approcher de l'espace « biches et cerfs » du jardin d'acclimatation. Quand je levai la tête vers une odeur familière, je reconnus ma sœur. Elle était là, m'observait et me reconnut elle aussi, immédiatement. Elle était devenue une jolie biche, et elle ressemblait beaucoup à maman. Elle put me dire qu'elle était heureuse. Je m'approchai le plus possible, mais des douves abruptes rendaient inaccessible l'espace « biches et cerfs » du zoo. Nous dûmes repartir, le cœur gros.

Puis vint le moment où mes protecteurs, assurés de mes capacités à vivre par moi-même, me relâchèrent.

Instinctivement, je retournai sur le lieu de ma naissance. Ma mère m'avait toujours raconté que j'étais née dans un jardin avec des plantes, cultivées par un vieux jardinier. Et j'ai retrouvé, comme si je ne l'avais jamais quitté, ce jardin où étaient alignés pour mon plus grand bonheur, des choux ou des haricots verts, suivant la saison. J'ai savouré, avec enchantement, les légumes du potager. Et tout me revint en mémoire. Dès ma naissance, j'avais fait la fierté de ma mère, car je savais marcher sur mes quatre pattes. Reconnaissable à la tache blanche qu'elle portait élégamment sur le dos, ma chère mère admirait le métier de coiffeuse, et s'appliquait à me lécher le poil pour que je sois toujours bien coiffée. Tout en me soignant tendrement, elle me parlait de mon père qui était mort lors d'une bataille entre cerfs français et cerfs allemands, en trébuchant, puis en tombant d'un rocher. Alors je

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me blottissais contre elle pour écouter son cœur battre à travers sa peau tiède. Elle nous éleva seule, nous montrant comment laisser nos traces pour nous retrouver, en nous frottant aux arbres, ou comment tremper nos pattes dans la rivière, ou encore comment prélever les écorces savoureuses.

Mes souvenirs me permirent de me réadapter à la vie sauvage. Je vis désormais dans la forêt avec mes congénères, non loin du potager, (je tiens à y aller de temps en temps) et je me fais tailler les bois chez les castors. C'est une vieille habitude, perpétuée par nos ancêtres. J'ai retrouvé les traditions de notre espèce, mais une mutation a opéré depuis que j'ai été en contact avec les humains : mes bois changent de forme selon mon humeur.

Un automne, sentant que j'étais riche de cette différence, j'eus envie de revenir les voir, pour remercier les personnes qui m'avaient aidée

Je pus facilement communiquer avec la dame qui m'avait nourrie : je n'avais pas oublié la langue. J'avais eu cinq faons avec l'élu de mon coeur, Sylvestre, et j'étais impatiente de présenter à l'humaine qui m'avait élevée, la famille que j'avais fondée. Mon aîné s'appelait Santo comme la santé ; la seconde Bonhara comme le bonheur ; le troisième Forté comme la force ; la quatrième Amourie comme l'amour ; et le cinquième Colliage comme le collège où j'allais « parler » de temps en temps avec de jeunes humains, à l'époque où on m'appela Cornedure. Les élèves, quand le soleil était au zénith, m'accueillaient souvent avec leur assiette de salade verte ou de légumes. Ils semblaient contents de s'en débarrasser, et moi, j'adorais ! Comme les craies que j'arrivais parfois à attraper dans les classes du bâtiment des sciences. De vraies friandises pour moi...

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Le reste du temps, je jouais à la lutte avec les garçons dans la cour de récréation. C'était moi qui gagnais à chaque fois grâce à mon atout : mes bois, qui avaient bien poussé ! Un de mes plus grands plaisirs au collège, était d'accompagner les élèves le long des couloirs en plancher. J'ouvrais la marche, tapant le plancher de mes sabots, et les élèves reprenaient en rythme. L'espace d'un couloir, nous étions des musiciens ! Les élèves aimaient jouer avec un stylo : ils écrivaient souvent sur des « feuilles ». Moi je n'ai jamais réussi à écrire. Je préférais manger les « feuilles » sur les arbres. Et cela semblait arranger les agents de service, qui en avaient moins à ramasser. Une fois, je m'étais cachée dans le local de sport. J'avais tellement attendu que je m'étais endormie la tête posée sur un ballon qui sentait bon le cuir, en guise d'oreiller. Ce qui m'enchantait aussi, c'étaient les moments paisibles où les élèves me caressaient. Comme je restais immobile, d'autres en profitaient pour me graver les bois, comme s'ils me sculptaient. J'étais très fière ! C'est là que je compris que parler signifiait jouer, et que jouer signifiait parler.

Je compris aussi, grâce à ce retour chez les humains, que j'étais un spécimen rare qu'ils avaient voulu observer : une biche à bois...

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