Docteur, je suis engourdie Pouvez-vous m'aider?

LE CALCIUM EST UN CATION très important pour la transmission neuronale, la stabilité membranaire, la structure osseuse, la coagulation sanguine, la fonc-.
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Les troubles métaboliques, une affaire salée ! – Le calcium

Docteur, je suis engourdie Pouvez-vous m’aider ?

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Robert Blackburn Clinique médicale du Quartier. Comme tous les matins, le Dr Gagnon regarde les résultats des examens de laboratoire de ses patients. L’un d’eux attire son attention : une calcémie à 1,6 mmol/l (valeur normale = 2,12 mmol – 2,60 mmol/l). Il avait vu, à la consultation sans rendez-vous, une patiente de 35 ans présentant un tableau vague de paresthésies péribuccales récalcitrantes et de crampes évoluant depuis plusieurs mois. Il avait demandé un bilan sanguin complet, incluant une analyse de la calcémie. Devant ce résultat de laboratoire anormal et les symptômes de la patiente, quelle serait votre démarche pour en arriver à un diagnostic précis et pour instaurer un traitement adéquat? très important pour la qué par l’occlusion de l’artère brachiale à l’aide d’un transmission neuronale, la stabilité membranaire, brassard gonflé à 20 mm Hg au-dessus de la presla structure osseuse, la coagulation sanguine, la fonc- sion systolique pendant trois minutes. Il en résulte tion cellulaire normale et les signaux intracellulaires. une flexion du poignet et des articulations métacarAinsi, une hypocalcémie peut entraîner de nombreux pophalangiennes, les doigts étant en hyperextension signes et symptômes. Lorsque la calcémie diminue ra- et le pouce en flexion. L’ensemble de ces signes est pidement (hypocalcémie aiguë), les symptômes sont assez révélateur de l’hypocalcémie. D’autres patients peuvent avoir des symptômes moins spécifiques, surtout neuromusculaires et cardiaques1. Les manifestations d’irritabilité neuromusculaire comme la fatigue, l’anxiété, la dépression, voire la sont au premier plan et comprennent la tétanie, des pa- psychose, et parfois des convulsions. Habituellement, tous ces symptômes s’améresthésies distales, des crampes, des spasmes carpopédaux et liorent avec la normalisalaryngés ainsi que les signes de tion de la calcémie. Chvostek et de Trousseau. Le Du côté du cœur, une Illustration. Allongement de l’intervalle QT attribuable signe de Chvostek, que l’on rediminution de la calcémie à l’hypocalcémie trouve aussi parfois chez cerpeut provoquer une hypotaines personnes normocalcémiques, est une contrac- tension grave et une insuffisance cardiaque. De plus, tion faciale déclenchée par la percussion du nerf on peut noter une prolongation de l’intervalle QT à facial juste au-dessous de l’os zygomatique en pré- l’ECG, pouvant entraîner de graves arythmies venauriculaire chez un patient dont la bouche est légère- triculaires (illustration). ment entrouverte. Le signe de Trousseau est provoLes symptômes d’une hypocalcémie prolongée sont de nature oculaire, cutanée, extrapyramidale Le Dr Robert Blackburn, spécialiste en médecine interne, et dentaire. Les patients peuvent donc souffrir de exerce à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus du CHA et est pro- cataractes et de nombreuses manifestations dermafesseur de clinique à l’Université Laval, à Québec. tologiques (sécheresse cutanée, hyperpigmentation,

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E CALCIUM EST UN CATION

Les symptômes d’une hypocalcémie prolongée sont de nature oculaire, cutanée, extrapyramidale et dentaire.

Repère Le Médecin du Québec, volume 40, numéro 12, décembre 2005

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tose. Enfin, une hypocalcémie prolongée en bas âge peut provoquer de l’hypoplasie dentaire, des défauts d’émail et des racines ainsi que des difficultés d’éruptions dentaires.

Tableau I

Causes d’hypocalcémie Diminution de la sécrétion ou de l’action de la parathormone O Hypoparathyroïdie postchirurgicale O Hypoparathyroïdie d’origine auto-immune O Hypoparathyroïdie d’origine génétique O Hypoparathyroïdie postradique O Hypomagnésémie

Quelles sont les causes d’une hypocalcémie (tableau I)

Diminution de la sécrétion ou de l’action des métabolites de la vitamine D O Malabsorption O Apport alimentaire déficient O Diminution de la 25-hydroxylation hépatique en calcidiol O Biotransformation accrue de la vitamine D en métabolites inactifs O Diminution de la 1-a-hydroxylation du calcidiol en calcitriol comme dans l’insuffisance rénale Chélation intravasculaire O Transfusions massives O Acidose lactique (choc, état septique) Dépôt extravasculaire de calcium O Pancréatite O Hyperphosphatémie O Rhabdomyolyse

eczéma et psoriasis). Les manifestations extrapyramidales comportent des anomalies du mouvement, principalement le parkinsonisme, mais aussi des dystonies, de l’hémiballisme, de la chorée et de l’athé-

Plus de 99 % du calcium se trouve dans les os. Le 1 % restant est distribué dans le compartiment extravasculaire, dont 50 % est sous forme libre (forme active dans la cellule), 40 % est lié aux protéines (majoritairement à l’albumine) et 10 % est lié à des anions. Ainsi, toute maladie diminuant l’albuminémie réduira aussi la calcémie totale. En général, l’hypoalbuminémie diminue la concentration de calcium sérique d’environ 0,2 mmol/l pour chaque réduction de 10 g/l d’albumine sérique, et ce, pour une valeur normale moyenne d’albuminémie de 40 g/l (encadré)2. Cette diminution de la calcémie totale se fait sans modifier la concentration de calcium ionisé libre qui est le calcium physiologiquement actif. Ces patients ne sont donc pas réellement hypocalcémiques et n’ont, par conséquent, aucun symptôme. L’hypocalcémie est habituellement la conséquence d’une diminution de la sécrétion ou de l’action soit de la parathormone, soit des métabolites actifs de la vitamine D, d’une chélation intravasculaire ou d’un dépôt extravasculaire3. Une hypoparathyroïdie peut être d’origine postchirurgicale (intervention touchant les parathyroïdes, la thyroïde, la sphère ORL), auto-immune

Encadré

Est-ce une véritable hypocalcémie Patient 1

Patient 2

Calcémie mesurée de 1,92 mmol/l et albuminémie de 20 g/l

Calcémie mesurée de 1,82 mmol/l et albuminémie de 30 g/l

Sa vraie calcémie est de 2,32 mmol/l et le patient n’est donc pas hypocalcémique

Sa vraie calcémie demeure anormale de 1,92 mmol/l, et le patient est donc vraiment hypocalcémique

En clinique, une règle simple est utilisée : pour chaque baisse de 10 g/l de la concentration d’albumine (40 g/l), la calcémie diminue de 0,2 mmol/l.

L’hypocalcémie est habituellement la conséquence d’une diminution de la sécrétion ou de l’action soit de la parathormone, soit des métabolites actifs de la vitamine D, d’une chélation intravasculaire ou d’un dépôt extravasculaire.

Repère

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Figure

Approche diagnostique d’une hypocalcémie Hypocalcémie

Calcium++ ionisé ou albuminémie

Ca++ ionisé normal ou calcémie corrigée normale

Hypocalcémie confirmée

Magnésémie

Concentration normale de magnésium

Évaluation du contexte clinique O

créatinine (IRC*) rhabdomyolyse (CK*) O hyperphosphatémie O amylase (pancréatite) O intervention de la sphère ORL ? O transfusions massives O

Contexte clinique négatif

Parathormone

Magnésémie abaissée

Correction de la concentration de magnésium et réévaluation de la calcémie

Contexte clinique positif

Vitamine D O

25-hydroxyvitamine D

O

1,25-dihydroxyvitamine D

* IRC : insuffisance rénale chronique * CK : créatine kinase

ou génétique. L’hypomagnésémie provoque une résistance à l’effet de la parathormone lorsque la concentration de magnésium sérique diminue sous 0,4 mmol/l. Lorsque l’hypomagnésémie est encore plus importante, il y a une nette diminution de la sécrétion de parathormone. La diminution de production ou d’activité de la vitamine D est une cause plus fréquente d’hypocal-

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cémie que les anomalies de la parathormone. Les principales causes d’un déficit en vitamine D sont une malabsorption ou un apport alimentaire insuffisant, une diminution de la 25-hydroxylation hépatique de la vitamine D en calcidiol ou une biotransformation accrue de la vitamine D en métabolites inactifs (par certains anticonvulsivants : phénobarbital, phénytoïne, carbamazépine). La vitamine D

Quelle est l’approche diagnostique pratique permettant de trouver la cause d’une hypocalcémie ? Lorsqu’on soupçonne une hypocalcémie, la première étape consiste à doser l’albumine ou le calcium ionisé pour vérifier s’il y a une hypocalcémie vraie (figure). Par la suite, un dosage du magnésium sérique devient capital pour exclure une hypomagnésémie. La troisième étape consiste à évaluer le contexte clinique afin d’éliminer certaines causes évidentes (hyperphosphatémie, pancréatite grave, transfusions sanguines massives, rhabdomyolyse, insuffisance rénale chronique, intervention de la sphère

Tableau II

Formation continue

étant une vitamine liposoluble, elle peut être malabsorbée, en particulier au cours d’une maladie hépatique chronique et d’une cirrhose biliaire primitive. Le défaut de 1-a-hydroxylation rénale du calcidiol en calcitriol est le principal facteur responsable de l’hypocalcémie observée dans l’insuffisance rénale chronique. Habituellement, les hypocalcémies causées par un déficit en vitamine D sont associées à une hypophosphatémie, sauf dans les cas d’insuffisance rénale chronique. L’utilisation de certaines substances, comme le citrate employé dans les transfusions et le lactate, peut amener une chélation intravasculaire du calcium, ce qui réduit la concentration de calcium ionisé sans pour autant modifier la calcémie totale. Une hypocalcémie symptomatique survient seulement à la suite de transfusions sanguines massives ou lorsque le métabolisme du citrate est modifié en raison d’une insuffisance rénale ou hépatique. L’acidose lactique provoquée par un choc ou un état septique grave peut également entraîner une diminution importante de la concentration du calcium ionisé4. L’ hypocalcémie peut aussi être attribuable au dépôt extravasculaire de calcium. Cette situation peut se produire en présence de pancréatites aiguës ou d’hyperphosphatémie seule ou associée à une rhabdomyolyse.

Traitement de l’hypocalcémie symptomatique8 O Bolus de gluconate de calcium par voie intraveineuse de 10 cc à

20 cc en de 10 à 15 minutes (1 à 2 ampoules de gluconate de calcium à 10 %). O Perfusion de 10 ampoules de gluconate de calcium dans 1 litre

de solution de dextrose à 5 % ou de soluté physiologique à raison de 50 cc/h. O Ajustement de la perfusion en fonction de la calcémie toutes

les 2 heures. O Correction cruciale de l’hypomagnésémie O Début d’un traitement par voie orale L calcium : de 1000 mg/j à 2500 mg/j L vitamine D : calcitriol (Rocaltrol®) de 0,5 µg/j à 1 µg/j

Source : Saint-Jean E. La calcémie : trouver le juste milieu. Le Clinicien 2004 ; 19 (11) : 71-3. Reproduction autorisée.

ORL, choc). Devant une albuminémie normale, une magnésémie normale et un tableau clinique non concluant, la prochaine étape consiste à doser la parathormone et la vitamine D (25-hydroxyvitamine D et 1,25-dihydroxyvitamine D), et ce, avant le remplacement calcique afin de ne pas perturber les analyses. Une concentration abaissée de parathormone indique une hypoparathyroïdie. Une concentration élevée de parathormone et réduite de phosphore évoque un déficit en vitamine D.

Comment traiter l’hypocalcémie ? Le traitement de l’hypocalcémie5,6 dépend de la gravité des symptômes et de la concentration sérique de calcium. Les patients présentant une hypocalcémie légère (calcium ionisé . 0,8 mmol/l ou calcémie totale . 2,0 mmol/l) n’ont habituellement pas de symptômes. Ils peuvent être traités adéquatement par une simple augmentation de l’apport calcique alimentaire ou par des suppléments de calcium à raison d’environ 1000 mg/j.

Les patients présentant une hypocalcémie légère (calcium ionisé . 0,8 mmol/l ou calcémie totale . 2,0 mmol/l) n’ont habituellement pas de symptômes. Ils peuvent être traités adéquatement par une simple augmentation de leur apport calcique alimentaire ou par des suppléments de calcium en raison d’environ 1000 mg/j. Repère Le Médecin du Québec, volume 40, numéro 12, décembre 2005

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Les patients dont la concentration de calcium total est plus basse que 1,8 mmol/l ou dont la concentratiom de calcium ionisé est inférieure à 0,7 mmol/l ou encore ceux qui présentent une hypocalcémie symptomatique et des signes de Trousseau ou de Chvostek doivent recevoir rapidement des suppléments calciques par voie parentérale7 (tableau II). Le traitement des hypocalcémies chroniques nécessite des suppléments oraux de calcium et le plus souvent de vitamine D pour augmenter l’absorption intestinale du calcium. Habituellement, le traitement consiste à donner des doses de 1000 mg/j à 2500 mg/j de calcium à prendre entre les repas pour en faciliter l’absorption intestinale. En cas d’hypovitaminose D, un supplément est nécessaire. La quantité donnée varie beaucoup d’un patient à l’autre, et le dosage adéquat doit être déterminé par essais et erreurs. Cependant, d’une façon générale, les patients souffrant d’une hypoparathyroïdie ont besoin d’une dose plus importante que ceux présentant un déficit en vitamine D. Le plus souvent, le calcitriol, la forme active de la vitamine D, est préférée à ses précurseurs. Une dose de 0,5 µg/j à 1 µg/j est habituellement suffisante. Sinon, la prise de vitamine D à raison de 50 000 U/j ou de calcidiol (25-hydroxyvitamine D) à raison de 50 µg/j peut se révéler efficace.

Summary Hypocalcemia. Patients with acute hypocalcemia may suffer from muscle cramps, tetanic contractions, distal extremity numbness and tingling sensations. This condition may lead to syncope and congestive heart failure due to the multiple cardiovascular effects. Chronic manifestations include cataracts, dry skin, coarse hair, brittle nails, psoriasis, chronic pruritus, and poor dentition. Hypocalcemia may be caused by hypoparathyroidism, vitamin D deficiency or resistance, multifactorial enhanced protein binding and anion chelation, and extravascular deposition as in acute pancreatitis and hyperphosphatemia. Depending on the severity and the underlying causes of hypocalcemia, treatments may vary. Patients with symptomatic hypocalcemia should be treated immediately with intravenous calcium. Otherwise, patients with mild hypocalcemia are usually asymptomatic and can often be treated adequately by increasing dietary calcium intake. Keywords: hypocalcemia, hypoalbuminemia, hypoparathyroidism, vitamin D

jour, et du calcitriol (1,25-dihydroxyvitamine D) à raison de 0,5 µg par jour. 9 Date de réception : 6 mai 2005 Date d’acceptation : 3 octobre 2005 Mots-clés : hypocalcémie, hypoalbuminémie, hypoparathyroïdie, vitamine D

Qu’est-il arrivé à notre patiente ? En présence de symptômes évidents et d’une calcémie nettement abaissée, la patiente a été rappelée le jour même et admise à l’hôpital. L’évaluation initiale a révélé une albuminémie normale de 40 g/l, une magnésémie normale de 0,80 mmol/l et une créatininémie normale de 76 µmol/l. Devant l’absence de tableau clinique typique (choc, pancréatite grave, intervention de la sphère ORL, transfusions massives, rhabdomyolyse), un dosage de la parathormone et de la vitamine D a été demandé. Les résultats ont confirmé la présence d’une hypoparathyroïdie, probablement d’origine autoimmune. Étant donné la présence d’une hypocalcémie symptomatique et d’un signe de Trousseau évoquant une grande irritabilité électrique, la patiente a d’abord reçu du gluconate de calcium par voie intraveineuse (tableau II). Par la suite, pour suppléer au besoin chronique en calcium, la patiente a reçu du calcium par voie orale aux doses initiales de 500 mg, trois fois par

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