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No.781 du 17 au 23 novembre 2010

au nouve

2.50€

Mélenchon l’emmerdeur Afrique :

Tiken Jah Fakoly lutte pour la démocratie

le rock français envahit l’Amérique M 01154 - 781 - F: 2,50 € Allemagne 3,40 € - Belgique 2,90 € - Canada 5,20 CAD - DOM/A 3,90 € - Espagne 3 € - Grèce 3,30 € - Italie 3,30 € - Liban 8500 LBP - Luxembourg 2,90 € - Maurice Ile 5,50 € - Portugal 3,30 € - Suède 40 SEK - Suisse 5 CHF - TOM 700 CFP

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j’ai fait le RG avec

Thierry Ardisson

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a moquette est framboise, les murs pistache. Dans un recoin de son appartement parisien de la rue de Rivoli, il se prépare. Il a mis ses lunettes, et ouvert une bonne bouteille de San Pé. Dehors, il pleut. Thierry Ardisson doit ficher les onze invités qu’il interviewe le lendemain pour Tout le monde en a parlé, en décembre sur Jimmy. Il n’est pas couché, mais il est habitué. “Je passe mon temps, ici, à faire des fiches. En fait, je suis juste un RG. Dans mes archives, j’ai plus de 4 500 types.” Il y a quelque chose avec ces fiches-là. Sinon un mythe, au moins un fil rouge. Ardisson en faisait à l’époque de Lunettes noires ou de Bains de minuit, mais il les planquait. Depuis Tout le monde en parle, il en joue, il les tord, les triture, les caresse. Et parfois, quand il les brandit, on dirait cet empaffé de Maître Colard qui tend l’enveloppe avec le nom des coupables dedans. “J’ai le trac, les fiches m’apaisent, dit-il. Ma pire hantise, c’est qu’on me les pique entre le moment ou je sors de chez moi et mon arrivée au studio. Même si je les connais, parce que je les apprends en les faisant, j’ai un principe : pas de fiches, pas d’émission.” Il ne bluffe pas. Un jour, en plein enregistrement, il a tout arrêté. Et un motard a foncé chez lui récupérer des fiches manquantes… Là, il commence par Jango Edwards. Il dispose d’une bio de six pages écrite par une journaliste qui a dû bien fouiller pour trouver autant de trucs à raconter sur le clown triste. Ardisson souligne en rouge les infos importantes, tiens, le papa de Jango Edwards s’appelait Harold. Puis il écrit, au feutre noir, en lettres capitales et en très gros, parce qu’il a plus de 60 ans. Premier gribouillage, il recommence tout.

“pas de fiches, pas d’émission”

“Tu sais, à l’école, je m’appliquais beaucoup pour les antisèches.” Dans un placard, derrière son bureau, s’entassent les blocs de fiches, format A5, cartonnées. Il y a les fiches siglées Salut les Terriens ou Tout le monde en a parlé et les anciennes de Tout le monde en parle. Il y a aussi les boîtes de stylos. “Un invité, un stylo, c’est la règle. Du coup, je me retrouve avec plein de stylos à moitié usagés.” Alors, de temps en temps, Marco, son assistant, un mec super, les rassemble. Et les envoient dans une école sud-africaine. Bah ouais. Pour un quart d’heure d’entretien avec Jango Edwards, une vingtaine de fiches suffiront. Parfois, c’est trente. Jamais plus. Ardisson note tout, les questions et les vannes de ses auteurs, comme les gimmicks de l’émission ou les formules de politesse les plus bateau. “En fait, j’écris mes interviews comme on écrit des dialogues de cinéma. Résultat, il n’y a pas de questions à la con, genre ‘alors, vous sortez un disque ?’. C’est peut-être pour cela que ça marche et que l’INA vient de faire un coffret de mes émissions...” Thierry est heureux, il est grand temps de s’attaquer à la fiche de Malaury Nataf. Marc Beaugé photo Aglaé Bory La Boîte noire de l’homme en noir INA éditions, 50 € Le Dictionnaire des provocateurs avec Cyril Drouet & Joseph Vebret, Plon, 576 pages, 19,50 € 17.11.2010 les inrockuptibles 3

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No.781 du 17 au 23 novembre 2010 couverture Jean-Luc Mélenchon par David Balicki

03 quoi encore ? Thierry Ardisson

10 on discute courrier + édito de Bernard Zekri

12 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

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RPR = Remaniement Pour Rien

20 la courbe ça va, ça vient. Le billet dur

David Balicki

16 événement

22 nouvelle tête Lucie Chaumont

24 ici la survie des électrosensibles

26 ailleurs bain de sang au Sahara-Occidental

28 parts de marché

46

les écoutes, légales ou pas, finalement ? Hector de la Vallée

30 à la loupe Domenech lance de nouveaux paris

32 Mélenchon, le méchant bon Le Pen de gauche ou fils de Mitterrand ?

39 Hulot, candidat des écolos ? il n’exclut rien pour 2012

41 que le meilleur perde

54

les politiques en quête de défaites

43 presse citron revue d’info acide

44 contre-attaque fracture artificielle Beurs/Beurettes

45 propagenda ministre, et après ? l’énigme irrésolue de l’origine du monde

48 démocratie pour l’Afrique

Gilles Coulon/Tendance Floue

48

46 débats d’idées attentif aux présidentielles de Guinée et de Côte d’Ivoire, la star Tiken Jah Fakoly a mis sa musique au service d‘une cause

54 pourquoi aimer Godard ? 58 l’art contemporain sous Silvio en plein marasme berlusconien, la scène italienne montre une vitalité surprenante

62 dans les pas de Phoenix nés à Clermont ou à Paris, ils cartonnent à l’étranger avec des chansons en anglais

Paolo Pellion. Courtesy Castello di Rivoli museo d’Arte contemporanea, Rivoli-Torino

réponses avec neuf films qui sortent enfin en DVD

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68 My Joy de Sergueï Loznitsa

70 sorties Inside Job, The Lodger, Cheminots, Red, L’Envol, Boogie…

74 Jean-Pierre Melville DVD, livre et rétrospective en noir

76 Vanquish + A Shadow’s Tale…

78 Brian Eno de retour au sommet

80 mur du son Keren Ann, The Dø, Hommage à Jacno, Nuits capitales…

81 chroniques The Jolly Boys, Little Dragon, Clinic, Swans, Jimmy Gnecco…

89 morceaux choisis La Fiancée…

90 concerts + Aftershow Troy von Balthazar

92 la compassion pour horizon par Didier Fassin et Emmanuel Jaffelin

94 chroniques romans/essais Warren Ellis, Chantal Thomas

96 tendance après le Goncourt…

98 agenda les rendez-vous littéraires

100 bd Milady de Winter vue par Agnès Maupré

102 Falk Richter + Ici, Shun-kin

104 Pierre Huyghe expo “introspective” et inclassable

106 Claude Montana de l’âge d’or des 80’s à la chute

108 Addicts la série dont vous inventez la suite

110 Belén Esteban icône trash de la TV espagnole

112 la cuisine de LCP La Chaîne Parlementaire innove

114 séries Mafiosa, la belle et les voyous

116 télévision Edouard Glissant dans son île

118 24-25, portail d’images un site dédié au cinéma expérimental

120 la revue du web décryptage

121 vu du net immortel Michael Jackson

122 best-of le meilleur des dernières semaines

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs David Balicki, Emily Barnett, Guillaume Binet, Aglaé Bory, Corine Brisbois, Michel-Antoine Burnier, Jean Chazot, Elodie Cuzin, Hector De La Vallée, Michel Despratx, Amélie Dubois, Jean-Baptiste Dupin, Pascal Dupont, Jacky Goldberg, Alexandre Guirkinger, Erwan Higuinen, Olivier Joyard, Christian Larrède, Judicaël Lavrador, Noémie Lecoq, Thomas Legrand, Hugues Le Tanneur, Marine Lonchambon, Léon Mercadet, Anne-Sophie Mercier, Pascal Mouneyres, Perrine Mouterde, Vincent Ostria, Olivier Père, Marjorie Philibert, Elisabeth Philippe, Jérôme Provençal, Emilie Refait, Axelle Ropert, Alexandre Seba, Patrick Sourd lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Mathilde Dupeux, Clara Tellier-Savary, graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem cqfd.com responsable Ondine Benetier animation Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Amélie Modenese conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté de Catherine Sedillière tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Dorothée Malinvaud tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty tél. 01 42 44 19 98 directeur de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 chef de publicité Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 coordinatrice Olivia Blampey tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 211 058,91 € 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Louis Dreyfus directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2010 directeur de la publication Louis Dreyfus © les inrockuptibles 2010 tous droits de reproduction réservés

ce numéro comporte un supplément “Biennale internationale Design 2010 Saint-Etienne” encarté dans l’édition abonnés et dans l’édition kiosque des dpts 63, 42, 69, 01, 74, 73, 38, 26 et 07 ; un supplément “TransMusicales” encarté dans toute l’édition ; un encart “Bacardi” dans une sélection d’abonnés.

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Putain, je m’étais toujours demandé ce que pouvait manger Camélia Jordana…

l’édito

Bernard Zekri

johnnywash, lu sur lesinrocks.com

rock à papa

No.780 du 10 au 16 novembre 2010

nouveau

2.50€

films de filles

le cinéma change de sexe Léa Seydoux

M 01154 - 780 - F: 2,50 €

Pour gagner la présidentielle de 2012, le dernier atout d’un Nicolas Sarkozy mal barré se nomme les socialistes. Ceux-ci ont en effet commencé à actionner avec talent une redoutable machine à perdre qui a déjà fait ses preuves en 1995, 2002 et 2007. Voici le retour des querelles de doctrine, de tendances et de personnes – les réalistes contre les rêveurs –, la cacophonie, les phrases qui donnent des arguments à l’adversaire. Benoît Hamon, porte-parole du PS et chef de l’aile gauche, lance des propositions radicales et peu financées. François Hollande, le tempéré, proteste. La semaine dernière, les deux hommes se sont rencontrés pendant plus d’une heure. A la sortie, Benoît Hamon : “Il ne m’a rien dit, il a esquivé.” François Hollande : “Il est venu me voir trop tard. Le texte était déjà ficelé. C’est du faux collectif.” Devant un quart des présents, la majorité du conseil national du parti approuve le texte énergique de Benoît Hamon avec l’aide de Martine Aubry. La moitié des strauss-kahniens, ces droitiers, vote pour, l’autre contre. Plus personne n’y comprend rien. Gérard Collomb, puissant maire de Lyon, conclut : “Si on continue sur cette ligne, DSK reviendra en France, mais comme directeur du FMI, car nos finances seront sous contrôle.” Mercredi, le PS s’est avancé sur le terrain de la sécurité avec une mesure phare, “des zones de sécurité prioritaire” où un magistrat du parquet spécialisé et référent pilotera la répression et le renseignement. Les socialistes ne veulent plus passer pour des naïfs en matière de sécurité. Dont acte. Mais ce qui cloche rue de Solférino, c’est l’impression que le PS s’y prend à l’envers. A quoi servent ces programmes qu’aucun candidat à la présidentielle n’a jusque-là repris à son compte, ni Mitterrand, ni Jospin, ni Ségolène Royal, si ce n’est à nourrir le goût de la dispute et des promesses intenables ? Une gauche sans chef, c’est une gauche qui perd. Les primaires vont-elles régler le problème ou l’aggraver?

Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P

la machine à perdre

Allemagne 3,40 € - Belgique 2,90 € - Canada 5,20 CAD - DOM/A 3,90 € - Espagne 3 € - Grèce 3,30 € - Italie 3,30 € - Liban 8500 LBP - Luxembourg 2,90 € - Maurice Ile 5,50 € - Portugal 3,30 € - Suède 40 SEK - Suisse 5 CHF - TOM 700 CFP

d’Action directe à la prison : témoignage dossier high-tech

le geek c’est chic

Cher Antoine de Caunes, Je ne saurais trop vous remercier d’avoir exhumé les archives de Chorus : qu’il était efficace cet Alka-Seltzer dominical, notre gueule de bois provinciale devenait plus supportable (…) Alors oui, il est confirmé que Marquis De Sade reste “le groupe français”, indépassable, too much class for the neighbourhood (les Dogs étaient aussi très au-dessus du lot). La majorité de nos camarades écoutaient Supertramp, bref quand nous tentions d’emballer les lycéennes rochelaises sur Dantzig Twist, nous ramions un peu… (…) Reste qu’il manque la prestation juke-boxesque (au sens propre et figuré) d’Alan Vega en première partie des Stray Cats et où sont les Ruts, ils auraient pu être aussi grands que les Clash (…) ? Tout cela est largement compensé par la très belle introduction XTCienne : “This is pop”, encore merci ! Là s’arrête mon dithyrambe, dans un fougueux élan consumériste (…), je me suis précipité sur votre Dictionnaire amoureux du rock. Et là, qu’est-ce que je découvre : vous êtes gérontophile ! Antoine, que diable, vous portez encore beau, je suis sûr que certaines lolitas peuvent encore vous faire de l’effet. A la lecture de ce pensum, il semble qu’aucun groupe majeur n’ait émergé après 1987 ou 1988 ? Certes, l’amateur de rock est de base de mauvaise foi et très orienté, vous ne manquez pas de le mentionner mais quand même ! (…) C’est bien de nous rappeler nos valeureux anciens (…), mais pas même une trace des Pixies, de Nirvana, PJ Harvey, Beck, Radiohead, REM, Pavement, j’en passe et des plus récents et Elliott Smith il est où ? (…) Cheers. Eric Grenier, Paris

droit dans le mur Les récentes grèves et manifs contre la réforme des retraites ont eu, à défaut (malheureusement) d’être efficaces, l’intérêt de jeter la lumière sur quelque chose d’à peine croyable : une semaine de pénurie d’essence, et voilà notre pays à genoux ! Tous les domaines d’activité ont été touchés (transport, bien sûr, mais aussi BTP, etc.), soulignant par là-même, et avec encore plus de force, notre dépendance au pétrole. Pourtant, est-ce nécessaire de rappeler que ce n’est pas là une source d’énergie renouvelable ? Cela démontre en tout cas que les différentes politiques conduites

depuis près d’un demi-siècle sont vraiment “de court terme”, et qu’elles nous conduisent droit dans le mur… Le plus stupéfiant dans cette triste histoire, c’est qu’étant chercheur, je vois tous les jours des choses absolument fabuleuses (production de substance médicamenteuse par des bactéries, mise au point de puces ADN pour les ordinateurs, etc.), mais rien sur un aussi simple procédé que de trouver un liquide de remplacement au pétrole. Bizarre, n’est-ce pas ? Sur ces quelques pensées peu réjouissantes, j’vous embrasse pas, j’suis déprimé. David

pour nous écrire : [email protected]

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction Aung San Suu Kyi libre Vingt-quatre heures après sa libération, Aung San Suu Kyi, 65 ans, est portée par la foule. “Je veux être à l’écoute des Birmans, je suis pour la réconciliation nationale.” Prix Nobel de la paix, la dissidente a passé quinze des vingt et une dernières années en captivité.

le mot

[feuilleton] Soe Zeya Tun/Reuters

Depuis une semaine, nous subissons la dictature d’un mot : “feuilleton” – “le feuilleton du remaniement ministériel” bien sûr. Il y a doublon : nous ne sommes pas encore sortis du “feuilleton Bettencourt” (expression de droite) ou “WoerthBettencourt” (expression de gauche). Que signifie “feuilleton” ? Ce n’est plus un article littéraire ou un roman inséré par tranches au bas d’un journal. Ce n’est pas davantage un téléfilm par épisodes : cela se nomme “série”. Dans le langage particulier de la presse, le feuilleton désigne un événement dont la télévision parle plus de trois jours consécutifs. Pour les cas susnommés, nous sommes servis : six mois ! Une étude savante démontre que le mot feuilleton appartient à la liste des sept clichés les plus utilisés par les médias français. Quels sont les six autres ?

Pôle emploi licencie C’est le paradoxe fou de la semaine :

“Bras de fer”, “sous haute surveillance”, “sans états d’âme”, “gérer”, “oblige”, “pas tout à fait comme les autres”. Perou

Françis Le Gaucher

1 800 agents vont dégager l’an prochain, alors que le chômage continue d’augmenter, ne serait-ce que des 1 800 malchanceux que leurs ex-collègues vont devoir recaser. Raison : économies budgétaires, décidées par la loi de finances 2011. les rançons du pétrole Vendredi, arrivée à Roissy des trois Français kidnappés fin septembre sur une plate-forme pétrolière du delta du Niger. Le même jour, on apprend sur le site du Point que leur employeur, la société Bourbon, aurait versé 150 000 dollars de rançon. Mais le lundi 8, deux autres Français ont disparu dans la zone. On reconstitue le scénar du film : les pirates kidnappent, on paie, ils re-kidnappent, etc. Pulp se reforme La nouvelle, formidable, sauve un lundi pluvieux : Pulp, la troupe de Jarvis Cocker, se reformera au printemps 2011. L’événement aura lieu le 27 mai à Barcelone sur la scène de l’excellent festival catalan Primavera. La présence du guitariste et violoniste Russell Senior, qui avait quitté le groupe en 1995, est annoncée. Une date à Londres est prévue en attendant et, on l’espère, une tournée qui passerait par la France.

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l’image paint it black

Cool, l’artiste Princess Hijab en pleine “niqabisation” du métro parisien.

Basquiat lessivé A Paris pour un concert, la chanteusecontrebassiste américaine Esperanza Spalding, sensation jazz-soul et grosse vendeuse du moment, visite l’expo Basquiat au MAM : “Well, je pense que les murs du musée devraient être plus sales. L’œuvre de Basquiat est liée aux rues de New York, ça m’a troublée de la voir dans un cadre aussi propre.” Houellebecq le soir d’après Les soirées de prix littéraires virent souvent à l’ennui. Pas celle du Goncourt de Houellebecq au restaurant La Méditerranée : la joie est palpable parmi des invités pourtant très différents, de Finkie à Djian en passant par BHL et Dombasle (et son e-cigarette !). L’écrivain affiche un sens très classe de la victoire, comme son éditrice, Teresa Cremisi, un bonheur serein sans forfanterie. “Tous mes personnages sont là”, s’amuse Houellebecq en désignant Beigbeder, Cremisi et la Russe Maria, qui a servi de modèle pour l’Olga du roman. “Vous serez peut-être les p rochains !” Avignon à Bamako C’est en montant dans l’avion pour Bamako, le 29 octobre pour la huitième biennale Danse, l’Afrique danse !, que la nouvelle est tombée sur le portable de Jacques Blanc, directeur

Courtesy Princess Hijab

JohannSauty

Cette semaine, elle squatte la couve du supplément du Guardian, sous ce chouette titre “Underground Resistance”. Depuis 2006, armée de bombes de peinture noire, Princess Hijab s’est lancée dans la“niqabisation” des pubs du métro parisien. L’interdiction de la burqa renforce évidemment le sens de son action. “On ne peut pas continuer à foutre des gens dans des boîtes, en les réduisant à des questions de religion ou de violence urbaine”, dit-elle. Et elle s’arrête là. Princess Hijab refuse de lâcher son nom, son âge, ses origines, de montrer son visage, ou même de confirmer son sexe. On sait juste qu’elle fera bientôt une beauté aux publicités H&M.

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Carl Court/AFP

du Quartz de Brest : le ministère de la Culture a reconduit le tandem Vincent Baudriller et Hortense Archambault pour un mandat de deux ans à la direction du Festival d’Avignon. Quelques jours plus tard, on trinquait rue Princesse, à Bamako, avec Vincent Baudriller pour la bonne nouvelle ! c’est le pompon Lundi 8 novembre, le Festival Les Inrocks Black XS est tout juste terminé qu’on file au Pompon, un nouveau lieu situé près de la gare de l’Est. Les deux Black Keys (Dan Auerbach le chanteur et guitariste, Patrick Carney le batteur fou) sont aux platines pour une soirée en partenariat avec la marque de fringues All Saints. Leur sélection : du rap nineties à la Mos Def et des grands classiques, Stones et Velvet. Le lendemain, les deux mettent une claque au Bataclan avec un concert bouillant qui nous transporte jusqu’à leur bled d’Akron, Ohio. On ressort en sueur, et bien sûr on attrape froid dehors. Les Blacks Keys devraient revenir en France en 2011. la Shoah, ça rapporte combien ? Difficile de faire pire symbole : 5 500 personnes se sont fait passer pour des victimes de la Shoah afin d’extorquer 42 millions de dollars à l’Allemagne au titre de réparations. Dix-sept salauds, dont six membres de l’organisation Claims Conference de New York, censée valider les dossiers des victimes, ont été inculpés.

le moment London calling

Depuis des années, la presse populaire anglaise contemplait avec incompréhension et mépris les grèves étudiantes en France. Mercredi 10 novembre, elle s’est rendu compte que les étudiants anglais pouvaient eux aussi s’énerver : opposés aux droits d’entrée exorbitants à l’université que veut imposer le gouvernement de coalition de Cameron, 50 000 manifestants ont bloqué le quartier de Westminster. Ils ont convergé devant le siège du parti conservateur, au 30 Millbank. Ça chauffe, le cordon de policiers est débordé. Deux cents manifestants se ruent dans le bâtiment. Pendant que les employés sont évacués, certains se vautrent dans les canapés, d’autres campent sur les toits. L’évacuation prendra cinq heures et débouchera sur une quarantaine d’arrestations. Et voilà pour les premières émeutes d’envergure depuis la chute de Thatcher en 1990. “Ce n’est qu’un début”, titrait le Guardian le lendemain. Le surlendemain, le quotidien s’interroge : un gouvernement qui compte en son sein dix-huit millionnaires peut-il être au contact du peuple anglais ? Fin de l’état de grâce pour David Cameron. Le mouvement étudiant fragilise la coalition au pouvoir. Les lib-dems de Nick Clegg qui avaient promis de ne pas augmenter les frais d’inscription universitaires scandalisent leurs propres électeurs. Les étudiants ont pris rendez-vous le 24 novembre pour une journée d’action soutenue par les syndicats. La City des traders en mode lacrymo, God save Cameron !

Baz Ratner/Reuters

Cameron, t’es foutu, les étudiants sont dans la rue.

rock de Pigalle Jeudi 11, les trois frères Poupaud (Yarol à la guitare et au chant, Melvil à la basse et César à la guitare) plus deux batteurs (Olivier et Benjamin) mettent le feu dans le sous-sol d’un bar de Pigalle, le Lautrec. Des reprises, du rock pur et dur, des filles qui se trémoussent et des garçons aussi, c’est tous les jeudis que les garçons ont décidé d’investir ce lieu pour des bœufs pirates qui rappellent le Sunset Strip de Los Angeles, la pluie en plus. En option, les interventions hilarantes de Nicolas Ullmann, l’un des agitateurs les plus doués de sa génération. la petite bête au secours de “Newsweek” Vendredi 12, secousse dans le paysage médiatique US. Newsweek, en difficulté financière, récemment vendu pour un dollar, se marie au Daily Beast, site d’info créé il y a deux ans et déjà incontournable. C’est Tina Brown, ex-rédac chef du New Yorker et de Vanity Fair, créatrice du Daily Beast, qui dirigera les deux rédactions. Si l’affaire tourne, le petit site internet aura sauvé le monument de la presse papier. L. M., B. Z., avec la rédaction

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Dominique Faget/AFP

au secours,  F le RPR est de retour ! On s’attendait à un gouvernement resserré... On a eu les mêmes, plus à droite !

ini l’ouverture, Nicolas Sarkozy rameute le RPR d’antan : Alain Juppé, Michèle AlliotMarie, Patrick Ollier, François Baroin, Frédéric Lefebvre… tous des étiquetés du RPR, bien servis par le remaniement. Ne manquent plus que Charles Pasqua et Bernard Pons ! Nicolas Sarkozy n’a d’ailleurs pas lésiné dans la composition en nommant les deux anciens présidents du RPR, Juppé et Alliot-Marie, ministres d’Etat. Quant à Patrick Ollier, “monsieur Alliot-Marie” dans le civil, il va s’occuper du très stratégique ministère des Relations avec le Parlement. François Baroin, ce bébé chiraquien resté si fidèle à l’ex-président de la République et qu’il continue de voir régulièrement, récupère, lui, le poste de porte-parole du gouvernement... La voix du gouvernement sera chiraquienne, adieu la rupture ! A l’exception de Michel Mercier (rien à voir avec la marquise des Anges…), centriste promu garde des Sceaux, et de Luc Chatel,

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Le premier gouvernement de Nicolas Sarkozy, le 18 mai 2007

les dix premiers ministres cités par Claude Guéant dans l’ordre protocolaire sont tous issus des rangs du RPR. Décidément, bien servi feu le parti majoritaire de la droite ! D’autant plus que Jean-François Copé, un autre ancien du clan, récupère l’UMP et que le très chiraquien Christian Jacob pourrait prendre sa succession au groupe UMP de l’Assemblée nationale. Des voix se sont élevées contre le retour du RPR : Martine Aubry a dénoncé “le renforcement de la mainmise de l’UMP/RPR sur tous les leviers du pouvoir”, ajoutant que “ce n’est pas un remaniement politique pour les Français, c’est un arrangement au sein même de l’UMP”. Idem pour Hervé Morin, viré du gouvernement. L’ex-ministre de la Défense, membre du Nouveau Centre, se désole de l’apparition d’“une équipe de campagne”qu’il a qualifiée de “proche du RPR”. Avant de lancer : “La France a besoin de pluralisme et la démocratie, d’équilibre.” On dirait que le RPR est un gros mot ! Ségolène Royal déplore un “gouvernement de fermeture”, quand François Bayrou

critique “un repliement”. Même le porteparole de l’UMP, Dominique Paillé, s’est inquiété d’une telle situation sur Europe 1 : “Si l’ancien RPR détient tous les postes clés, il faudra trouver dans le fonctionnement le moyen de respecter les autres courants ou sensibilités. Sinon, je crains que ce ne soit les prémices d’un délitement et nous n’en avons pas besoin.” Et ce ne sont pas les nouveaux entrants, le centriste Maurice Leroy (ministre de la Ville) et la villepiniste Marie-Anne Montchamp (secrétaire d’Etat chargée de la Cohésion sociale) – le jour de l’anniversaire de Dominique de Villepin –, ni la promotion de Michel Mercier qui parviendront à modifier les équilibres du gouvernement, sensiblement inversés après le départ de Jean-Louis Borloo et d’Hervé Morin. Pour l’ex-Premier ministre de Jacques

ne manquent plus que Charles Pasqua et Bernard Pons !

Chirac, Dominique de Villepin, “nous sommes bien loin du RPR, parce qu’au cœur du RPR, il y avait une ambition gaulliste”. Et de lancer, cinglant : “Vous chercherez en vain ce qu’il y a de gaulliste dans ce gouvernement.” Le pari de l’UMP, qui devait rassembler toutes les composantes de la droite en un seul parti, a-t-il fait long feu ? “Le pari de l’UMP d’être le seul parti dans la majorité était le bon, explique un ministre, mais il est aujourd’hui menacé.” Avec cette question : qui va capter les voix centristes ? “L’UMP ne les captera plus seule, poursuit ce ministre. Un certain nombre d’électeurs de droite ne voteront plus pour Nicolas Sarkozy, non pas qu’ils désapprouvent sa politique mais plutôt son style et son comportement. Ça joue négativement pour le Président.” Au début de son mandat, Nicolas Sarkozy voulait à tout prix éviter que l’image de “l’Etat-RPR” qui avait plombé la campagne présidentielle de 1988 pour Jacques Chirac ne ressurgisse… C’est la droite “ringarde”, disait-il. Si c’est lui qui le dit… Thomas Legrand et Marion Mourgue 17.11.2010 les inrockuptibles 17

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Jean-Louis Borloo, vexé de ne pas avoir eu Matignon, a refusé d’“appartenir” au nouveau gouvernement. Comment a-t-il loupé le coche ?

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remière erreur : la gestion du dossier du carburant. Alors que le blocage des raffineries se poursuit sur plusieurs jours, fin octobre, Jean-Louis Borloo affirme qu’il n’y a pas de pénurie d’essence… La majorité s’agace, les automobilistes s’impatientent, le ministre perd des plumes. Deuxième erreur : sur Canal+, Borloo plaide pour un “nouveau système fiscal pour les vingt ans à venir”, réalisable, selon lui, en six à neuf mois ! Aussitôt les visiteurs de l’Elysée font savoir à Nicolas Sarkozy qu’une telle réforme serait “impensable” en six mois et qu’il vaut mieux éviter de redire ce genre de “connerie”. Troisième erreur : Borloo explique au Figaro qu’“il ne peut pas y avoir de croissance sans consensus social”. Sarkozy s’agace : “Il n’y aura pas de virage social ! Nous n’en avons pas les moyens”, renvoyant Borloo dans les cordes… Quatrième erreur : ne pas avoir “dragué” les parlementaires UMP très acquis à Fillon… et qui l’ont fait savoir à Sarkozy. Sa nouvelle coupe de cheveux n’y a rien changé. Dommage, on se serait quand même bien marré avec Borloo ! M. M.

Abaca

Patrick Kovarik/AFP R. Terzian/Fedephoto

le loser de la semaine

un Kouchner de perdu, un Lefebvre de gagné Le French Doctor emblématique de l’ouverture disparaît du paysage, tandis que le porte-flingue préféré de Sarkozy prend enfin du galon. Sarkozy avait fait de Kouchner sa principale prise de guerre en 2007. Le French Doctor, très populaire, de gauche, était l’emblème de l’ouverture. Ce n’était donc que de l’affichage, la realpolitik a tout de suite pris le dessus. Aujourd’hui, Sarkozy se débarrasse de Kouchner pour le remplacer par Alliot-Marie. En termes d’image, exit Kouchner, voilà Frédéric Lefebvre, le porte-flingue préféré de Sarkozy. Comme Borloo, il s’est offert un lifting capillaire : fini le look parrain sicilien, tout a été coupé pour faire plus politiquement correct. Et le voici nommé secrétaire d’Etat chargé (respirez)… du Commerce, de l’Artisanat, des Petites et Moyennes Entreprises, du Tourisme, des services, des Professions libérales et de la Consommation. Bien servi, le Frédo ! M. M.

l’Identité nationale à la poubelle

2010 : la couleur n’est plus à la mode.

E

n 2007, Nicolas Sarkozy avait fièrement annoncé qu’il favoriserait la diversité ethnique pour les postes à responsabilités. Avec trois noms brandis comme des trophées : Rachida Dati, Fadela Amara, Rama Yade. En 2010, exit les trois. Jugées plus encombrantes qu’utiles, Sarko les a débarquées comme en son temps Juppé avec ses juppettes. Virées, les sarkozettes multicolores. Jeannette Bougrab, nommée secrétaire d’Etat à la Jeunesse et à la Vie associative, figure au dernier rang de la hiérarchie gouvernementale quand Rachida Dati occupait un poste régalien… La diversité, ce n’était donc que de la com ! M. M.

Kanh Renaud/Visual

fin de la diversité

Le ministère de l’Identité nationale d’Eric Besson disparaît, celui de l’Immigration rejoint l’Intérieur. A défaut d’un maroquin, l’identité nationale se contentera de la Maison de l’histoire de France, soutenue par Henri Guaino et moquée par des historiens. En mars 2007, le candidat Sarkozy lance un concept à succès : “J’ai bien compris que c’était un sujet tabou, (…) qu’un homme politique soucieux de sa carrière devrait éviter ce sujet.” Tirer plus tôt les conclusions de sa propre formule nous aurait évité quelques mois de conférences de sous-préfectures. D’abord confié à Hortefeux pour être “le ministère du vivre ensemble”, le portefeuille prend sa dimension avec Eric Besson, nommé en janvier 2009. Il déplore que “les jeunes qui sifflent La Marseillaise ne se reconnaissent pas en tant que Français”. Les conclusions du “débat national” préconisent le parrainage républicain, une charte des droits et devoirs, un contrat d’accueil et d’intégration. C. P.

une touche de modernité se cache dans ce gouvernement RPR à l’ancienne… sauras-tu la retrouver ? Pour la première fois, un couple officiel est au gouvernement : Michèle Alliot-Marie, ministre des Affaire étrangères et européennes et Patrick Ollier, ministre chargé des Relations avec le Parlement. Et c’est moderne aussi parce que madame, ministre d’Etat, sera mieux payée que monsieur, ministre tout court. T. L.

Vernier/JBV News

Aujourd’hui, la question se pose donc : l’identité française va-t-elle disparaître avec son ministère ?

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Fillon remplace… Fillon François Fillon fait plus que sauver sa tête, il renforce son pouvoir.

Philippe La Vieille/Le Parisien/MaxPPP

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t pourtant la concurrence pour Matignon, orchestrée par Nicolas Sarkozy, a été soutenue. Mais le Président n’est pas parvenu à lui trouver un remplaçant… Cet austère “collaborateur”, dont la seule excentricité était de porter des chaussettes rouges, a su s’imposer dans la majorité au point d’être très populaire chez les parlementaires. Ses dernières prises de distance avec les déclarations de Nicolas Sarkozy associant immigration et délinquance ou au contraire son utilisation du mot tabou “rigueur”, lui ont valu le respect des élus de la majorité. Dès lors, François Fillon n’a eu qu’à engranger les bons points, creusant le fossé avec Nicolas Sarkozy. “Il n’est pas mon mentor”, a d’ailleurs pris soin de lancer Fillon. Quel camouflet pour Sarkozy ! D’autant plus que le Premier ministre caracole dans les sondages au moment où le Président mange la poussière. Car aujourd’hui son style sobre rassure un électorat de droite déstabilisé par le bling-bling de Sarkozy. Dans ce contexte, certains le voient comme le prochain candidat possible de la droite pour 2017, voire 2012…  M. M.

Samedi 13 novembre. François Fillon vient de remettre la démission de son gouvernement à Nicolas Sarkozy

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retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz Gloria Stavers, courtesy Rhino Media

La grâce de Jim Morrison

“J’ai déménagé à Miami pour que mes enfants rentrent pas de l’école en chantant du Pagny”

“On est obligé d’y aller si on est appelé pour le remaniement ?”

“Y a des promos sur les Curly au G20, en ce moment”

Harry Potter Le printemps Rebecca Zlotowski Kik Messenger

Bruce Springsteen

Le tourteau fromagé

Le régime Dukan “Y a mamie qu’a mangé tous les Mon Chéri”

Sleigh Bells

Jim Morrison Condamné pour outrage à la pudeur il y a plus de quarante ans, le chanteur (mort) des Doors pourrait être gracié. Kik Messenger Cette nouvelle application pour les smartphones permet de chatter entre utilisateurs d’iPhone, de BlackBerry ou d’Android. La fin de la vraie vie.

“Han, j’ose plus dire du mal de Cœur De Pirate”

Le cardinal de Retz

Harry Potter J. K. Rowling a annoncé qu’une autre suite à la saga Harry Potter était possible. Bon va falloir arrêter là, quand même. Cœur De Pirate Un animateur de radio québécois a été licencié pour l’avoir insultée sur son compte Twitter.

billet dur

Claude Gassian

C  

hère Mylène Farmer, Très bien ton single composé par René la Taupe. Les enfants adorent. D’ailleurs, les miens sautent irrépressiblement en l’air en hurlant “Dis-moi oui mais non, qu’il est mignon-gnon-gnon…”, car ils n’ont pas encore bien fait la différence entre l’insupportable déjection du mammifère fouisseur et cette bouse tout autant malodorante que tes services et la palanquée de désœuvrés qui suivent aveuglément ta carrière osent appeler une chanson. Entre nous, on te surnomme Rouquemoutte la loutre, c’est pas très fin, mais bon, on s’adapte. Franchement, quand je pense qu’on nous a bassinés pendant des jours pour un malheureux train de déchets radioactifs, alors que les tiens fuitent à gros bouillons sur les ondes sans

qu’aucun service sanitaire ne songe à en mesurer les dégâts, c’est à croire que ce gouvernement se fout de notre gueule. Cela étant, je dois reconnaître l’habileté perverse de ton geste, car en tendant bien l’oreille j’ai cru comprendre que tu ânonnais un truc publicitaire follement 80 du genre “C’est peut-être chic de faire du toc, tac au tac c’est l’ère du toc”, ce que l’on peut légitimement considérer comme une critique embedded de l’ensemble de ton œuvre. Le mystère qui nimbe ton personnage ne serait rien d’autre, selon ton propre aveu, que l’écume warholienne calfeutrant un vide fantomatique. Là, tu commences à m’intéresser. Il ne te reste plus qu’à dépecer cette infâme taupe underground pour te réincarner en Venus in Furs de l’ère du toc. Oui mais non. Je t’embrasse pas, j’ai des tiques. Christophe Conte

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Lucie Chaumont Les œuvres de cette jeune artiste se fondent dans le paysage et dans la thématique écologique. Chez Lucie Chaumont, les titres d’expo parlent tout seuls : Le Climat, Usine à gaz, Les catastrophes sont naturelles, L’Occupation du sol… Pas de doute, cette artiste lyonnaise née en 1976 en Algérie fait partie de la caste des “écosensibles”. La preuve avec cette œuvre paysagée présentée actuellement à la Fondation Electra à Paris : soit un an de consommation courante, et les emballages plastiques qui vont avec, patiemment accumulés au fil des jours et moulés en plâtre pour former au sol une gigantesque décharge à ciel ouvert. La preuve encore avec ces discrets graphiques à la mine de plomb qui enregistrent à même les murs de la galerie Eva Hober les fluctuations climatiques du moment, ou avec ce mur en carton aisément démontable, soucieux de maîtriser son empreinte écologique au sein de l’espace d’exposition. Au cœur de cette jeune génération d’artistes qui se passionne pour les ruines contemporaines, Lucie Chaumont étudie avec la précision d’une entomologiste les rebuts et les excédents de la société de consommation. Claire Moulène photo Vincent Ferrané

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Courtesy de l’artiste et Galerie Eva Hober

Rehab jusqu’au 20 février à la Fondation Electra, 6, rue Récamier, Paris VIIe Le Climat jusqu’au 20 décembre à la galerie Eva Hober, 9, rue des Arquebusiers, Paris IIIe, www.evahober.com

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Douches ou baignoires en inox sont reliées à la terre pour évacuer la charge électrique en surplus accumulée dans les organismes.

Tout est affaire de mesures…

Electricité m’a tuer

Des feuilles d’aluminium multi-plis protègent les caravane contre les ondes.

“Electro-hypersensibles”, ils ne supportent plus les ondes émises par les portables ou les antennes relais. Réfugiés dans des bois ou en montagne, ils réclament d’urgence l’instauration de “zones blanches”.

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hilippe Tribaudeau a garé son camping-car dans le vallon de Combeau, dans le Vercors, à 1 400 mètres d’altitude. Le décor est grandiose. Ici, pas une antenne relais ni une borne wifi à des kilomètres à la ronde. “Je ne sais pas combien de temps je vais tenir, j’ai déjà été coincé une fois par la neige”, raconte-t-il. Il a passé l’hiver dernier dans la forêt de Saoû, dans la Drôme. A l’abri des ondes. Cet été, une vingtaine d’autres personnes “électro-hypersensibles” (EHS) l’y ont rejoint. Mi-octobre, le conseil général de la Drôme, propriétaire de la forêt, a ordonné leur expulsion. Professeur de technologie en Bourgogne, Philippe Tribaudeau s’est mis à “brûler” en mars 2008. “Il y avait vingt ordinateurs dans la salle. Au début, je cuisais au bout d’une journée, puis au bout de quatre heures, deux heures.” Peu à peu, les symptômes s’aggravent. Sensations de brûlure mais aussi de paralysie, nausées, douleurs, insomnies, troubles de la concentration… “Un jour, vous réalisez que vous n’allez plus pouvoir vivre comme avant, explique-t-il. Vous sombrez, c’est un trou sans fond.” L’Education nationale le met en disponibilité sans solde. Mais en janvier dernier, il doit tout quitter. Maison, famille, amis. Depuis, il vit dans des

bois, des combes… Sa femme le ravitaille lors de ses congés. “Je suis à nouveau heureux, dit Philippe Tribaudeau. Je suis libre, dehors. Quand on se découvre EHS, soit on se tire une balle dans la tête, soit on essaie de refaire sa vie.” Ce lundi de novembre, il a quitté le Vercors pour la seule “zone refuge” de France, dans la Drôme. Quelques mètres carrés et une caravane protégés des champs électromagnétiques artificiels, où ceux qui le souhaitent peuvent séjourner. Béatrice Merle a atterri ici après l’expulsion de la forêt de Saoû. Il y a quelques mois, elle pouvait encore vivre dans sa caravane, dans le pré de son compagnon. Depuis l’installation d’une antenne 3G à proximité, c’est impossible. “J’étais taxi ambulancière, raconte-t-elle, j’avais mon portable avec moi toute la journée. A partir de 2007, j’ai été très perturbée. J’avais peur de conduire, je pleurais tout le temps…” On la décrète dépressive jusqu’à ce qu’elle fasse le lien, par hasard, lors de balades, entre les ondes

“quand on se découvre EHS, soit on se tire une balle dans la tête, soit on essaie de refaire sa vie”

et ses “400 symptômes”. Suivie par un psychiatre, Béatrice Merle a d’abord touché des indemnités de la Sécurité sociale. Aujourd’hui, les médecins assurent que son état est stabilisé ; ses indemnités vont cesser. “Quand je suis loin des ondes, je suis en pleine forme, explique-t-elle. Mais ma vie sociale est réduite à zéro.” Considérée comme un handicap en Suède, l’électrosensibilité n’est pas reconnue en France. Lors du Grenelle des ondes, en mai 2009, la ministre de la Santé Roselyne Bachelot a simplement appelé au principe de précaution, recommandant un “usage modéré” du portable pour les enfants. Selon les associations, les EHS seraient déjà quelques milliers en France. Parmi eux, Isabelle qui survit dans sa cave, Olivier qui dort dans sa voiture dans son parking souterrain, trois femmes qui vivent dans une grotte… “Nous menons un combat, insiste Philippe Tribaudeau. Nous, EHS, ne sommes rien. Des SDF, des bêtes au fond des bois... Nous voulons juste quelques hectares pour pouvoir vivre normalement. Mais face aux milliards de bénéfices des opérateurs de téléphonie, quel poids avons-nous ? Combien faudra-t-il d’EHS, combien de cancers dus aux ondes, pour que l’on dise stop ?” Perrine Mouterde Photo Corine Brisbois/Fedephoto

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Le “campement de la colère”, le 6 novembre

Youssef Boudlal/Reuters

“les militaires avaient l’interdiction d’utiliser des armes ou de tirer.” Mais très vite, la poudrière explose

Ho New/Reuters

Le 8 novembre, le camp est démantelé par les forces de l’ordre marocaines

Laâyoune, ville assiégée Au Sahara-Occidental, le démantèlement d’un campement géant de plusieurs milliers de contestataires tourne au bain de sang.

T  

rois jours après l’intervention des forces de sécurité marocaines, il ne reste rien du “campement de la colère”. Au total, “près de 5 000 tentes”, témoigne un journaliste marocain envoyé sur place pour le compte d’un hebdomadaire d’opposition. “Des tentes montées les unes à côté des autres, à perte de vue, aux portes de Laâyoune, en plein désert et ce, en à peine quinze jours.” A l’origine, un mouvement social, le premier de cette ampleur depuis la Marche verte et l’annexion du SaharaOccidental par le Maroc en 1975. Dans ce campement, des milliers d’insurgés – 20 000 selon les manifestants, 5 000 selon le ministère de l’Intérieur marocain, très organisés, par arrondissements

et par quartiers, avec distribution de nourriture et collecte des déchets. “Une ville dans la ville”, raconte notre confrère, qui tient à garder l’anonymat. Une ville sécurisée par un cordon de policiers… “Au début, les principaux meneurs étaient des chômeurs, venus avec femmes et enfants. Ils réclamaient de meilleures conditions de vie, et un travail décent”, raconte une journaliste française qui s’est rendue sur place une semaine avant l’intervention des forces de sécurité. Le taux de chômage à Laâyoune est très élevé : plus de 20 % contre une moyenne nationale de 9 %. Parmi les insurgés, plus discrets, on trouvait aussi quelques militants indépendantistes, soutenus par le Front Polisario, qui revendique l’indépendance depuis maintenant trente-cinq ans. Début novembre, après deux réunions avec les meneurs, le gouvernement marocain propose une rallonge de 150 euros mensuels (l’équivalent du smic au Maroc) aux familles les plus en difficulté, ainsi qu’un lopin de terre. Mais la solution est finalement rejetée par les contestataires. Le gouvernement décide alors d’intervenir et de démanteler le campement par la force, à coups de canons à eau. “Les militaires avaient l’interdiction d’utiliser des armes ou de tirer”, précise Mohammed Khabbachi, responsable de la communication du ministère de l’Intérieur marocain. Mais très vite, la poudrière explose. Les “insurgés” se rebellent et s’en prennent violemment aux forces de l’ordre dont la réaction sera immédiate. Les affrontements auraient fait dix morts, selon le dernier bilan officiel. Essentiellement parmi les forces de sécurité. Mais les chiffres sont difficiles à vérifier. Le Front Polisario parle de son côté de plusieurs civils tués, sans qu’aucun journaliste ait pu en avoir la preuve. “Nous avons recueilli les identités des gendarmes, des policiers et des pompiers qui ont été tués, mais je n’ai rencontré aucune famille qui pleurait un mort, ni assisté à aucun enterrement”, raconte notre confrère marocain, accréditant ainsi la version officielle, ce qui n’est vraiment pas dans les habitudes de l’hebdomadaire pour lequel il travaille. Depuis, “la ville est quadrillée par les forces de l’ordre”, témoigne Isabelle Mandraud du Monde, l’une des rares journalistes étrangères à avoir pu se rendre sur place après le démantèlement de lundi dernier. Une dizaine de journalistes espagnols ont été interdits d’accès à Laâyoune, accusés “de connivence avec le Front Polisario” et “d’un traitement déséquilibré du conflit”. Sur place, 160 personnes ont été interpellées dont 96 ont été inculpées lundi pour violences lors des émeutes qui ont suivi le démantèlement. Pêle-mêle “des Sahraouis, des Algériens, des Marocains du nord, des anciens des camps de Tindouf”, témoigne notre confrère marocain, qui insiste sur la nouveauté des attaques perpétrées contre les forces de sécurité marocaines. Des attaques à l’arme blanche (au couteau). Un policier aurait même été égorgé en pleine ville. Des méthodes qui ne sont pas sans rappeler la “guerre civile algérienne”, soupire le reporter marocain, qui n’ose pas aller plus loin dans son interprétation. Emilie Refait

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Murdoch compte ses sous Les versions en ligne des journaux anglais The Times et The Sunday Times, appartenant à Rupert Murdoch et devenues payantes depuis début juillet, totalisent sur quatre mois 105 000 ventes numériques. La fin de la gratuité a entraîné, comme on pouvait s’y attendre, une baisse drastique de la fréquentation : ces deux sites avaient auparavant environ 20 millions de visiteurs uniques par mois. taxe web Taxer les revenus en ligne, l’idée vient de revenir à la Commission des finances du Sénat. Les bénéfices des sites de e-commerce ou les revenus des publicités online réalisés sur le sol français ne sont en effet pas soumis à l’imposition, car juridiquement basés à l’étranger. Une mesure qui pourrait représenter “plusieurs dizaines de millions par an”, selon le sénateur Philippe Marini, à l’origine du projet. Hadopi et la sécurisation La Computer and Communications Industry Association (CCIA), composée entre autres de géants comme Google, Yahoo ou Microsoft, a répondu à la consultation publique sur Hadopi, critiquant son volet “sécurisation”. La CCIA craint notamment qu’encourager l’installation de logiciels de sécurisation sous menace d’action en justice crée un précédent qui rendrait de telles politiques acceptables, et souligne notamment le danger d’une telle surveillance dans des pays à gouvernement répressif.

Abaca

brèves

fadettes et fadaises Des factures téléphoniques épluchées aux vols d’ordinateurs, le pouvoir ne parvient plus à dissimuler les dérives de sa pratique d’espionnage des journalistes qui dérangent.

 L

a facilité déconcertante avec laquelle n’importe quel policier peut se procurer des factures détaillées de téléphone, permettant d’identifier les interlocuteurs de tout citoyen – journaliste en particulier –, n’en finit pas d’inquiéter. Au nom de la défense de ses propres intérêts, le pouvoir se livre depuis des mois à des pratiques antidémocratiques en contrôlant via ses services de renseignement la liberté des journalistes qui s’intéressent de près à des affaires sensibles. La polémique est née en septembre, du limogeage de David Sénat, conseiller justice au cabinet de Michèle Alliot-Marie, identifié comme potentielle “source” du Monde dans l’affaire Woerth-Bettencourt grâce à des factures détaillées établissant un lien téléphonique entre le conseiller et un journaliste du quotidien. Ses relevés d’appels (les “fadettes”, abréviation de factures détaillées) auraient été épluchés, ce qui aurait permis de repérer ses contacts avec le journaliste Gérard Davet. Qui a donné l’ordre d’enquêter ? Pour Le Monde, qui a porté plainte contre X pour “violation du secret des sources”, il s’agit de l’Elysée. La semaine dernière, Matthieu Aron de France Info dévoilait le contenu d’une note “confidentiel défense” signée par JeanPaul Faugère, directeur de cabinet de François Fillon. Transmise au ministère de l’Intérieur courant octobre, elle constitue un rappel à la loi, réaffirmant que les services de renseignement ne doivent pas se procurer directement les factures détaillées auprès des opérateurs de téléphone. Et de souligner que “l’article 20 de la loi de 1991 sur les interceptions de

sécurité ne peut être invoquée pour recueillir des données personnelles”. Or c’était précisément l’argument de Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale, et de Bernard Squarcini, patron de la DCRI (issue de la fusion des Renseignements généraux et de la DST en 2008). Les deux hommes, récemment auditionnés par les parlementaires, invoquaient la “sécurité nationale” pour justifier la recherche de données de connexion. La loi de 1991 sur les écoutes téléphoniques permet en effet aux policiers de s’affranchir du cadre légal sur les écoutes uniquement s’il s’agit de “la défense des intérêts nationaux”. Le 3 novembre, Le Canard enchaîné titre “Sarko supervise l’espionnage des journalistes” et accuse le président d’avoir demandé à Bernard Squarcini de surveiller les journalistes trop curieux sur les affaires de l’Etat. Le 5 novembre, Mediapart accuse à son tour le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant, de piloter la surveillance. Dans sa note révélée par France Info, Jean-Paul Faugère contredit ainsi tout le monde... y compris lui-même. Dans une autre lettre “confidentiel défense “, signée de sa main le 17 février, il autorisait les services de renseignement à réaliser des écoutes sans passer par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). Comme la procédure l’y obligeait auparavant. Au moins, avec cette nouvelle note, Matignon s’est-il réconcilié avec cette Commission. Fin septembre, celle-ci rappelait dans le vide ce que Jean-Paul Faugère a formalisé dans sa note. Les trois membres de la CNCIS peuvent dormir tranquilles : jamais plus, oh non, jamais plus, les fadettes ne voleront par-dessus leur tête. Juré. Camille Poloni

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média-toc qui veut la peau de WikiLeaks ? D’anciens collaborateurs de WikiLeaks, fâchés avec son fondateur Julien Assange, projettent de monter une affaire concurrente au site de révélation de documents top secret.

média-tic naviguer en réseau une couronne mais pas d’amis Elizabeth II est sur Facebook. Mais on ne peut pas devenir ami avec elle, ni la poker. Too bad.

le clash des Titans Facebook ne permettant pas d’exporter ses contacts sur un site tiers, Google ne permet plus l’accès aux listes de contacts Gmail sur Facebook. Le futur réseau social de Google, Google Me, défie l’empire de Zuckerberg. 

sur la route

Bernard Barbereau

Jean-Luc Delarue partira en campingcar pour lutter contre la drogue. Pourvu qu’on ne lui refile pas celui de Breaking Bad.

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films socialisme La revue Cités célèbre ses 10 ans avec un dossier sur les visages mouvants du socialisme. Avec un texte inédit de Proudhon, des contributions de chercheurs et des interventions de Martine Aubry et Pierre Moscovici.

RockMelt est un nouveau navigateur internet qui intègre tous les réseaux sociaux sur une même fenêtre, actualisée en temps réel. Si seuls Facebook et Twitter sont pour l’instant accessibles, RockMelt promet une navigation améliorée avec une ergonomie ludique, qui centralise données et contacts. 

utopie et culture La très précieuse revue Vacarme s’entretient avec la philosophe Avita Ronell et interroge la place de l’utopie ou des pratiques différentes dans le cinéma d’aujourd’hui.

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Domenech allez les bluffs ! L’ex-sélectionneur des Bleus fait son grand retour médiatique via une pub pour un site de paris en ligne. Décryptage.

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le costume On le sait, Raymond Domenech n’est plus le sélectionneur de l’équipe de France depuis le fiasco de la Coupe du monde en Afrique du Sud. Depuis, Raymond, remplacé par Laurent Blanc, est en embrouille avec la Fédération française de football. Jugeant son éviction injustifiée il a saisi les prud’hommes et demande une indem de près de 2,9 millions d’euros à la Fédé. En attendant le jugement, Raymond tire le diable par la queue avec 6 000 boules de chômage par mois. Alors pour se refaire un peu, il a quitté son hoodie gris chiné “tu m’as vu à Pôle emploi” et accepté de remettre sa veste pour cette campagne de publicité à destination d’un site de paris en ligne. Mais niveau veste, histoire de montrer que les fins de mois sont dures et qu’on le croise ces temps-ci plus au Shopi qu’au Chateaubriand, Ray a opté pour du Celio pas trop clinquant : bien ouèj, gros.

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les jetons Tu l’as vu Raymond, en mode croupier. Avec une jolie tripotée de jetons à vous faire resaliver Philippe Bouvard, Domenech se pose en maître du jeu. Finis les insultes et les quolibets, l’ex-tacleur moustachu est back dans le game comme jamais, il vous regarde dans le fond des yeux comme il regardait un journaliste de l’équipe.fr en lui annonçant la titularisation de Steve Savidan (sans rigoler, quoi), et vous fait part de ses stratégies et de ses ambitions comme à la bonne époque. Mis au ban du banc, Raymond Domenech a décidé de se refaire une créd’ via le monde du jeu, c’est un choix comme un autre – certains ont la tentation de Venise, d’autres de Marrakech : Ray a lui choisi Deauville ou Saint-Amand-les-Eaux. Ben quoi ?

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le doigt Oui c’est un index, mais jamais un index n’a autant ressemblé à un majeur, hein. On sait que Raymond a son caractère et ce doigt levé, ça ne peut être qu’un message adressé à tous ceux qui ont mis en doute les compétences de l’ex-coach des Bleus. Voyons-y donc un doigt d’honneur à destination de tous ceux qui lui ont pourri la vie ces derniers mois. Dans le désordre : Nicolas “vatfer en***é” Anelka, Carlos Alberto Parreira, le sélectionneur brésilien de l’Afrique du Sud à qui il a refusé de serrer la main, Fernand Duchaussoy le nouveau président de la FFF, le gros Pierre Ménès, Monsieur Mortier son conseiller LCL qui s’inquiète du manque de rentrées, et Estelle Denis, sa femme, qui en a marre de le voir déambuler dans le salon en jogging Trévois.

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le tapis vert/table de voyante On le sait, Domenech croit aux astres et tout. On a ainsi déjà vu le Didier Derlich du foot sélectionner des joueurs de très petite tenue uniquement pour la qualité de leur ascendant (Bafé Gomis pour l’Euro 2008, Marc Planus pour la Coupe du monde 2010 – rires enregistrés). Campé derrière ce guéridon comme le monsieur africain qui vous laisse sa carte dans la boîte aux lettres et vous soigne les oignons aux pieds et le mal d’amour en même temps, Raymond expose ici sa part d’irrationnel – utile au jeu –, montrant qu’il croit toujours en la Lune en verseau et patati et patata. Méfiez-vous néanmoins des “Arles-Avignon risque de l’emporter au Vélodrome“, ou du “Je sens bien le triplé de Pedretti, je sais pas pourquoi”. Même avec les astres derrière le slip, Arles-Avignon est une équipe pourrie et Pedretti a les pieds aussi carrés que sa mâchoire. Pierre Siankowski

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Mélenchon le mechant bon Il tacle à tout-va : les médias, les footballeurs, les gauchistes. On le traite de Le Pen de gauche mais il se veut fils de Mitterrand. Portrait. par Anne-Sophie Mercier photo David Balicki

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t si le fameux troisième homme, c’était lui ? Celui que le système réclame périodiquement, histoire de rêver un peu, rien n’est figé, ras-le-bol du face-à-face droite-gauche, de l’air ! Celui que le système désire, promeut, à coups de sondages flatteurs et d’émissions establishment, enivre, avant de l’essorer… Soudain, l’élu sort des ténèbres de la condescendance dans lesquelles il était plongé, et voilà que Duhamel s’interroge, Elkabbach s’intéresse, Apathie trouve que le gars a du fond. Frémissement. Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI, plateau de Calvi, hochements de tête, airs entendus, temps de parole qui dépasse trois minutes. Puis, les projecteurs s’éteignent. Non, finalement, pas toi.

Jean-Luc Mélenchon dans son bureau, novembre 2010

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Après Lecanuet et ses dents blanches, Chevènement et ses ardeurs républicaines, Bayrou et ses indignations, voici le petit nouveau, Jean-Luc Mélenchon. Reconnaissons qu’il n’est pas sans parenté avec certains de ces cocus-là. Ceux qu’on a invités au bal des puissants, des décideurs, des poids lourds, avant de leur expliquer que, tout bien réfléchi, ils feront tapisserie. A Chevènement qui fit trembler Jospin, il a pris une certaine raideur, la certitude que la politique n’est pas faite pour les marioles, l’usage par tous temps de la cravate, les chaussures cirées, l’amour des livres, des chiffres et des arguments. Fils d’instit tous les deux, on s’exprime bien, la syntaxe obéit à des règles, on se tient droit, élu du peuple c’est pas une poilade. De Bayrou, il a l’amour de la castagne, la méfiance absolue de l’argent qui corrompt, le goût d’en découdre avec les puissants, la mythification un peu naïve des sans-grade et des cassés de la vie, comme dans les livres d’histoire du XIXe siècle, comme dans Les Mystères de Paris. Quand il rêvasse, Mélenchon est chez Eugène Sue. Dans son bureau, face à lui, une gravure ancienne représente un groupe de mineurs aux visages noircis par le charbon. On peut y lire : “Dans le bleu de nos mains sales se cache un diamant.” Il arrive dans l’arène armé jusqu’aux dents. “Ils ne m’auront pas.” Il ne sera pas un gadget, le nouveau produit de consommation. Il tiendra. Il tiendra, pense-t-il, parce qu’il connaît son ennemi. Le système, il l’a décortiqué des heures durant. Il l’appelle “la machine à produire du consentement”. Un système cotonneux qui gomme les aspérités et fait passer l’indignation pour de l’excitation. Ou bien, et le mot est là pour tuer, pour du “populisme”. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une version moderne des jeux du cirque, il en convient volontiers. La machine telle que la voit Mélenchon marche sur trois pieds : le divertissement (télé-réalité, etc.), la publicité et les médias. S’attaquer aux deux premiers ? C’est se heurter au scepticisme, à

Le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon sera au Mans pour son deuxième congrès annuel, du 19 au 21 novembre

l’ironie qui gangrène la société. Eh, Jean-Luc, Miss France, tu vas pas nous en faire une purée ? Si, il en ferait bien une purée, persuadé qu’il s’agit bien là d’une question politique, ces filles transformées en bidoche souriante, qui défilent en maillot la gueule enfarinée, il en pleurerait presque mais il se sait incompris. Et la pub, tout le monde s’en fout, non ? Pas lui, mais à quoi bon. Alors il concentre ses attaques sur les médias. Il s’en prend à ceux qu’il accuse de se mettre en scène de manière ostentatoire en parangon de la vérité, du raisonnable. Ceux qui savent, ceux qui posent les bornes, ceux qui, par leurs mimiques, disent que l’interlocuteur est allé trop loin. Avec Mélenchon, toutes les stars de la profession ou presque en prennent pour leur grade. Rien de choquant, en vérité. On pourrait dire, comme ça,

qu’elles ont de quoi se défendre. Et une légère tendance à s’offusquer de toute attaque un peu virile. Dommage que Mmes Chabot, Lapix et Ferrari soient traitées de “perruches”, ce qui donne à ses propos une dimension machiste qui ne lui ressemble pas. Dommage aussi que le qualificatif de “petite cervelle” ait été balancé à un môme maladroit qui tâchait d’apprendre son métier. Mélenchon sait qu’il tient là un combat, un vrai. Combien de journalistes politiques qui le traitent de “populiste” ont pris la peine de lire Qu’ils s’en aillent tous !, son dernier livre qui fait déjà figure de best-seller ? Lui, il travaille, il a même fait des tas de métiers : ouvrier d’entretien, correcteur d’imprimerie, prof, alors, le travail, il connaît. Dans la bataille culturelle qu’il entend mener, et gagner,

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il est à la gauche du PS mais les gauchistes, il n’a jamais pu les saquer il a compris que chacun joue un rôle. “Moi, je suis la forte tête. Il en faut une.” Ils ne l’auront pas, ils ne lui feront pas le coup de Marchais, le bon client, toujours le clin d’œil au bon moment, le gars qui a son rond de serviette aux “grandes gueules” de RMC. Marchais, il lui prend son culot, son sens de la formule, mais, répète-t-il, ça s’arrête là. Et c’est vrai qu’il ne s’est jamais laissé enfermer. Il est à la gauche du PS, mais les gauchistes, il n’a jamais pu les saquer. “Faut voir leurs tronches quand je parle de notre “patrie républicaine”, glousse-t-il, tout en faisant mine de défendre “Olivier” quand des sympathisants l’apostrophent sur ce sujet. Dans son bureau trône un grand drapeau français. “Ça, au NPA, ils n’aiment pas trop.” On peut le voir dans les manifestations contre la politique de colonisation du gouvernement israélien, mais quand l’Union des organisations islamiques de France se joint au cortège, il s’en va. Il est aussi l’un des rares à gauche à avoir soutenu sans ambiguïtés le vote d’une loi contre le port de la burqa. Cet admirateur de Marx reconnaît s’être fait “chier” à la lecture du Capital tandis que celle de L’Idéologie allemande l’a littéralement “brûlé”. Oui, il dit “brûler”. Certains livres le brûlent, l’histoire de la Révolution l’a bouleversé. “C’est mon roman à moi. Tout homme a le sien. Et j’ai la chance incroyable de vivre dans le seul grand pays où la Révolution peut arriver.” Il n’a pas rejoint les rangs du PC par haine des événements de Tchécoslovaquie. Il cultive ses amitiés, sans crainte du qu’en-dira-t-on. Il maintient son estime à Eric Zemmour, dont il déplore la misogynie, mais se bat pour qu’il puisse s’exprimer. Au Sénat, où il installa ses pénates quelque temps, il faisait visiter son bureau avant de lancer, hilare, à celui ou celle qui l’interrogeait sur les raisons de cet enterrement de première classe : “Moi, ce que j’aime, ici, c’est qu’on a le temps de se haïr !” Son amour un peu littéraire du peuple, des gens, ne le pousse pas à adopter leurs idoles. Le foot, il déteste, et les stades aussi, et les ovations, et ces dieux vivants. “Jamais compris que les prolétaires se prosternent devant les

milliardaires.” Dans son dernier livre, il balance un bon coup de boule à Anelka, qui se plaint de la fiscalité trop élevée en France. “Mais qui c’est, cet Anelka ? Quelqu’un qui doit tout aux impôts et cotisations de ses concitoyens, formé aux frais du contribuable par l’Institut national du football, il doit sa carrière aux cotisants de la Sécu ! Sa précieuse aptitude à courir derrière un ballon a en effet été sauvée par les coûteuses réparations de ses graves blessures aux genoux payées par la Sécurité sociale…” Il frappe juste. Mais on le frappe fort, aussi. Valls parle de mélenchonisation des esprits. Pas bien clair, sauf que ça ne sonne guère affectueux. Dans la même veine, voilà qu’on le compare à Le Pen, lui qui n’a pourtant pas torturé en Algérie, ni professé la haine de grand monde, ni jamais été condamné pour antisémitisme. Voilà le nouveau Le Pen de gauche, celui qui fera perdre son camp. Il hausse les épaules mais on le sent blessé. Faire perdre la gauche, lui ? C’est mal connaître son légitimisme viscéral, son lien si fort avec certains de ses camarades, Dray bien sûr, mais aussi Aubry, avec laquelle il ne lui déplairait pas de gouverner. Mélenchon reste un fils de Mitterrand, dont une photo orne son bureau, et un cousin de Jospin. Royal, perfide, assure qu’il reviendra comme un toutou. Il est debout mais il se fatigue. Dans le restaurant où il déjeune, il arrive, visage tendu. On l’a apostrophé dans le métro, on lui a parlé, crié dessus, touché aussi. Eh oui. Tu t’assois sur le canapé de Drucker, désormais tu leur appartiens. Il garde ses manières de prolo, attache sa serviette autour de son cou. Bon coup de fourchette, rigolade, souci permanent de rester lui-même. Puis il s’en va, retourne à ses dossiers, ses réunions, ses préparations de meeting. A des clients encore attablés, le patron du restau confie, parlant bien haut : “C’est bien, chez moi, j’ai du people. J’ai Lavilliers, Bénichou, et là-bas, table de droite, j’ai même Mélenchon.” Qu’ils s’en aillent tous (Flammarion), 143 p., 10 € 17.11.2010 les inrockuptibles 35

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“le vote utile, il n’en est pas question” Si la gauche est divisée aujourd’hui, c’est à cause du PS, martèle Jean-Luc Mélenchon. Lui, il est prêt pour la révolution citoyenne.

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ouvez-vous définir votre identité politique sur la scène actuelle française ? Cette scène va s’écrouler. Je joue en rupture du système. J’ai un objectif et un plan de route. Je veux permettre à ce pays de faire une révolution citoyenne, d’éradiquer la finance et d’y substituer des normes de fonctionnement socialiste et écologique. C’est ça, l’épure générale. Avec des références quand même ? Ma référence générale, elle est constante : je suis un jaurésien donc un républicain socialiste. Je suis partisan d’une révolution de la société. La révolution, c’est trois choses. Premièrement, un changement du régime de la propriété. Contre la dictature de l’actionnariat, je veux ramener des secteurs comme l’éducation, la santé, l’énergie, la banque dans la propriété sociale, celle de l’Etat, des collectivités et des coopératives. Deuxièmement, la révolution, c’est un changement des institutions. Je veux une Constituante pour tourner la page de la Ve République et de sa monarchie aggravée par dix réformes au cours des dix dernières années. Troisième élément, le renversement des valeurs au pouvoir. Aujourd’hui, la valeur centrale, c’est le chacun pour soi, la concurrence libre et non faussée. Avec moi, les valeurs de solidarité, d’égalité, d’écologie et d’émancipation seront au pouvoir ! C’est ça, une révolution. Et l’adjectif “citoyenne” lui est accolé. Dans le système que j’imagine, on votera beaucoup. Je crois à la démocratie représentative ! Peut-on faire cette révolution citoyenne d’ici à 2012 ou se fait-elle sur un temps plus long ? Elle a déjà commencé sous une forme chaotique, bringuebalante, depuis 2005 quand la totalité des superstructures et des élites ont appelé à voter oui et que le pays a voté non. C’est une révolution

propos recueillis par Thomas Legrand et Marion Mourgue photo David Balicki permanente. Elle s’arrête quand les électeurs n’en veulent plus. C’est la méthode appliquée au Venezuela, en Bolivie, en Equateur… Si on vote constamment, comment pouvez-vous être sûr que la société qui résultera de ces votes sera celle que vous appelez de vos vœux ? Il faut convaincre. Et s’incliner devant le résultat des votes ! Pour moi, le dernier mot revient à la souveraineté populaire. On ne va pas faire le changement si profond auquel j’aspire de force. La révolution citoyenne, ce n’est pas une dictature mais une ligne politique pour révolutionner la société. C’est à la fois le moyen et la méthode. Vous avez été sénateur, membre du gouvernement Jospin. Si le PS arrive au pouvoir, pourrez-vous gouverner avec lui ? Ou nos idées gouvernent ou on reste à l’extérieur ! Nous n’irons pas mendier des arrangements pour gouverner. C’est une vue de l’esprit ! 2005 a été une grande rupture pour moi. A ce moment-là, j’ai ouvert les yeux. Je suis guéri, j’ai rompu avec le PS. Nous n’irons pas attendre, béret à la main, rue de Solférino, que les différentes factions se soient entendues sur le programme du plus petit dénominateur commun entre elles. Et ensuite l’avaler sagement au nom du vote utile ? L’élection n’a pas eu lieu mais il faudrait qu’on s’incline ! Rêve ! Le vote utile qu’exige le parti socialiste c’est un vote futile, sans contenu. Un chèque en blanc. Il n’en est pas question ! Au PS, ils croient qu’ils ont déjà gagné. Ils se font des illusions. Je fais le pari que certaines circonstances historiques, desquelles nous nous

“dans le système que j’imagine, on votera beaucoup”

rapprochons, peuvent donner leur chance à un autre chemin à gauche : le nôtre. Et je leur pose cette question : si je suis en tête de la gauche au premier tour de la présidentielle, à supposer que ce soit moi le candidat, est-ce qu’ils se désistent pour moi au second tour ? Ça ne sert à rien de vous demander si vous préférez Martine Aubry ou DSK… Exact ! Choisir Strauss-Kahn est une idée perdante à tout coup ! Appeler la gauche française à appliquer la politique du FMI ? Ce serait un désastre moral et politique total ! Je dis aux chefs socialistes et d’Europe Ecologie : si la gauche revient au pouvoir, elle devra trancher : “qui va payer : le capital ou le travail ?”. Programme en main, si pour eux c’est le travail, ce sera sans nous et contre nous ! Au PS, on vous accuse d’être devenu “l’idiot utile” de Nicolas Sarkozy… C’est une injure de stalinien ! Le mot à la mode. Allons-y ! “Les idiots utiles” du système de l’Europe libérale ont un nom, les chefs socialistes, et une adresse, rue de Solférino. Moi je ne les injurie pas, je critique leur programme. Eux, c’est l’horreur. Jean-Paul Huchon dit que je suis “pire que Le Pen”, Manuel Valls que je suis un “danger pour la démocratie”. Quelle honte de parler comme ça à un homme comme moi ! J’ai gagné mes galons dans la bataille contre les dictatures. Et eux ? Pour qui ils se prennent ? Ce sont les socialistes qui divisent la gauche aujourd’hui. Les seuls qui se soient prononcés, dans le débat sur les retraites, pour l’allongement de la durée de cotisation, c’est eux ! Qui fait perdre la gauche depuis trois élections présidentielles ? Est-ce moi ? Non ! C’est le PS ! Sa ligne social-libérale est incapable d’entraîner le peuple français derrière l’idée qu’une alternative est possible. Est-ce qu’au cours de la primaire du PS vous direz aux militants de votre parti de participer ? Par facétie ? Ce ne serait pas loyal. On s’invitera avec nos thèmes. 17.11.2010 les inrockuptibles 37

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édito L’Elysée se bunkerise

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C’est un détournement flagrant du principe d’immunité présidentielle. Le parapluie du Président devient un chapiteau propre à protéger toute son équipe. La Cour des comptes avait, en juillet 2009, critiqué une convention passée entre l’Elysée et Publifact, la société de Patrick Buisson, ami enrubanné du Président. La boîte de com de Buisson commandait moult sondages pour le compte du Président et aux frais du contribuable pour un montant de 1,5 million d‘euros en un an. Au mépris des règles qui régissent les marchés publics. L’association Anticor, qui lutte contre la corruption, avait porté plainte et le procureur Jean-Michel Aldebert a classé cette plainte sans suite en invoquant l’immunité du Président. Comme si l’autorité de la fonction pouvait être atteinte par une enquête sur la légalité d’un contrat passé entre l’Elysée et une société privée ! Cette décision guidée soit par un zèle honteux, soit par un ordre abusif venu de l’exécutif constitue un énième, mais pas le moindre, reniement de la promesse du candidat Sarkozy d’instaurer une “république irréprochable”.

Guillaume Binet/MYOP

par Thomas Legrand

le week-end de M. Hulot

L’écolo préféré des Français a fait son come-back à la journée de fusion des Verts et d’Europe Ecologie. Une guest-star très médiatique qui n’exclut rien pour 2012.

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va Joly a-t-elle trouvé en Nicolas Hulot un sérieux concurrent pour l’investiture écolo ?  Le 13  novembre, l’animateur d’Ushuaïa était l’invité d’honneur du lancement du nouveau parti. Dans les coulisses, après un discours très applaudi, Hulot s’est lâché : “Il reste deux ans avant la présidentielle, je veux être utile… Je ne sais pas si on a plus besoin de moi à l’intérieur qu’à l’extérieur…” Envisage-t-il de se présenter en 2012 ? “Je n’exclus rien.” Avant de rappeler que les écolos ont “un candidat qui se légitime chaque jour un peu plus”. Les assises constituantes ont poussé Nicolas Hulot à sortir de sa retraite

de 2010 – année de réflexion  – et affirmer sa volonté de peser pour 2012, après 2007. “Ce n’est pas simple de prendre le premier la parole quelques secondes après la création d’un parti.” Sur scène, Nicolas Hulot entame son discours devant tous les cadors du parti. Dans la salle, les 2 000 militants viennent de baptiser le nouveau parti… Europe Ecologie-Les Verts (EEV). Mais la star ce soir, en tout cas pour les médias, est incontestablement Nicolas Hulot qui vient pimenter une soirée plutôt consensuelle. Les mots d’ordre : unité, collectif, rassemblement. Même Dany le Schtroumpf grognon –  comme l’avait 17.11.2010 les inrockuptibles 39

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surnommé Cécile Duflot aux Journées d’été de Nantes – a mis de l’eau dans son vin. Ce qui ne l’empêche pas de marteler que “tout reste à faire”, qu’il est impératif de continuer le processus d’ouverture audelà de la gauche pour battre Sarkozy. Avec Nicolas Hulot ? Son “Je n’exclus rien” ressemble fort à son “Je ne m’interdis rien” de  2007. Le président de la Fondation Nicolas Hulot avait longuement tergiversé avant de renoncer au dernier moment à se présenter. Cinq candidats, dont Sarkozy et Royal, et 750 000 personnes avaient signé son pacte écologique. Ensuite il n’a pas chômé. Son travail de lobbying avait contribué à faire de Borloo un ministre d’Etat écolo. Il a été un des principaux animateurs du Grenelle de l’environnement et son porte-parole le plus célèbre. En 2008, ses amis Pascal Durand (en charge de la coopérative d’EEV) et Jean-Paul Besset (n° 2 d‘EEV) le présentent à Cohn-Bendit pour causer création d’Europe Ecologie en vue des Européennes – où EE talonnera le PS avec 16 %. Hulot hésite encore une fois, mais refuse. “Il se pensait plus utile en France, où il est très connu, qu’au Parlement européen”, justifie Pascal Durand. D’ordinaire, l’animateur fuit comme la peste les meetings politiques. Sa présence à Lyon : un coming-out politique ? De là à imaginer son ralliement, l’ex-Vert Noël Mamère en doute : “Il ne faut pas se tromper sur son caractère, il a une volonté d’indépendance farouche, il craint comme la peste l’instrumentalisation.” Pour le député, sa venue est un “geste politique fort” qui apporte le poids de sa fondation. JeanPaul Besset, son ancien bras droit, est moins catégorique : “Nicolas Hulot réfléchit, s’interroge sur l’efficacité de son action” ; avant d’ajouter : “Jusqu’à présent, il faisait du lobbying politique, depuis plusieurs mois il se demande si ce ne serait

pas plus efficace d’entrer en politique, de porter lui-même le projet écolo.” Déçu par la conduite du Grenelle, Nicolas Hulot a claqué la porte après l’abandon de la taxe carbone début  2010. “Il s’est peut-être rendu compte que sa neutralité ne paie pas, qu’il est nécessaire d’accéder au pouvoir pour pouvoir agir...”, ajoute Pascal Durand. D’artiste lobbyiste imprévisible à politique ? Cette mutation laisse Daniel CohnBendit sceptique : “Hulot est un extraterrestre dont je ne comprends pas le fonctionnement. De quelle manière compte-t-il peser ? Avec, sans nous ? Penset-il qu’on a atteint une maturité et se sent-il capable avec nous de se présenter ? Ou veut-il peser sur le programme ? Avant les européennes, j’ai discuté avec lui pendant des mois, quand il dit ‘Je réfléchis’, je ne sais pas ce que ça veut dire.” Les deux iconoclastes sont fâchés. Hulot s‘est senti “blessé en tant qu’artiste”, rapporte Durand, par Dany qui jugeait “catastrophiste” son film Le Syndrome du Titanic. Très à l’aise, charismatique, avec le sens de la formule, Hulot a ravi les militants sans récolter de sifflets. Un miracle quand on pense qu’il n’y a pas si longtemps il était limite pestiféré. Trop à droite. Cécile Duflot, qui l’apprécie, a tranché, à Lyon, en introduisant celui qui “a refusé des

“HULOT PEUT APPORTER BEAUCOUP MAIS SI ÇA LE TITILLE, QU’IL CLARIFIE TRÈS VITE…”

dizaines de fois d’être ministre de Jacques Chirac ou de Nicolas Sakozy”. Trop proche du pouvoir, des milieux d’argent. Les décroissants le traitent de “vendeur de savon” et ont lancé un pacte contre Hulot. Mais les décroissants sont tricards à EEV. “Et de toute façon, ils n’aiment personne”, rigolent Cohn-Bendit et Yannick Jadot, futur porte-parole. Mais aujourd’hui encore, Hulot se traîne une image ambiguë. Les liens de la Fondation Nicolas Hulot avec ses mécènes (Veolia, TF1, Orange, EDF entre autres) font grincer des dents. “C’est une vraie question, concède Yannick Jadot, mais faire un procès à Hulot sur la sincérité de ses convictions est une connerie.” Durand le défend : “Une fondation a besoin d’argent, sa parole et la fondation sont libres.” Nicolas Hulot est une des personnalités préférées des Français, gauche et droite confondues. Parfaitement “EEV compatible”. Ils sont plus d’un dans le mouvement à estimer que sans lui, ce n’est pas jouable. Que pour devenir le “parti majoritaire” souhaité par Cécile Duflot, faire 25 % comme les Grünen allemands, l’homme de TF1 doit en être. “Hulot peut apporter beaucoup mais si ça le titille, qu’il clarifie très vite...”, estime Jadot. Yves Cochet, seul candidat déclaré contre Joly, a déjà annoncé qu’il retirerait sa candidature si Hulot se présentait. “Mais il doit le dire vite, en début d’année”, presse le député. Les primaires sont prévues pour la rentrée 2011. Nicolas Hulot et Eva Joly vont se rencontrer rapidement. “Pour parler sur le fond du projet, pas pour passer un pacte comme le font certains” (référence à Martine Aubry et DSK), précise Jean-Paul Besset. “Il n’est pas encore sûr qu’Eva Joly ait envie d’être en concurrence avec lui…”, estime Yves Cochet. Yannick Jadot conclut : “Ça aurait de la gueule une primaire entre Eva Joly et Nicolas Hulot !” Anne Laffeter

vu, entendu arlequin

couillon

On croyait que c‘était le deuxième. En fait, c‘est son troisième livre que Bruno Le Maire vient de publier. A 20 ans, le jeune énarque a en effet écrit, sous pseudo, un roman dans la collection Harlequin. L’histoire  : une infirmière qui tombe amoureuse d’un chirurgien dans une belle propriété de Normandie au milieu des chevaux. On ne dira plus de Le Maire que c’est un “ministre techno”…

Bruno Le Maire, toujours, considère que son interview sur Europe  1 –  où il prend ses distances avec Dominique de Villepin et sa critique à l‘égard de Nicolas Sarkozy – n‘est “pas un acte d‘hostilité, mais un acte d‘autonomie“. “Il n‘a jamais été mon mentor. Le mentor c‘est le couillon qui accompagne Télémaque dans le roman de Fénelon, or je pense que Dominique de Villepin a déconné.”

2009

Surveillance des journalistes, suite  : Jean-Louis Dewost, ancien patron de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, a confié au Journal du dimanche qu‘il avait alerté les services de François Fillon dès la fin 2009 sur l‘irrégularité des demandes d‘accès aux factures téléphoniques détaillées.

clarté Après la convention du PS sur l‘égalité réelle, Benoît Hamon, critiqué sur le flou de certaines propositions, a reconnu qu‘il aurait dû être plus clair. “On aurait dû tester la formulation de certaines propositions qui ont été mal comprises auprès de journalistes, comme l’allocation universelle pour favoriser l’autonomie des jeunes”, a glissé le porte-parole du PS en petit comité.

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que le meilleur perde Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite. par Michel-Antoine Burnier

lu

cohabitation, vol. III

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arie-Noëlle Lienemann, Paul Quilès et le journaliste Renaud Chenu ont lu dans une boule de cristal pour leur livre de politique-fiction, 18 mois chrono. La réforme des retraites adoptée, Nicolas Sarkozy dissout l’Assemblée nationale, la gauche remporte les élections législatives et Martine Aubry est nommée Premier ministre de cohabitation. Ségolène Royal devient présidente de l’Assemblée nationale, tandis qu’Arnaud Montebourg récupère le poste de président du groupe PS à l’Assemblée. Voilà le scénario élaboré par les deux anciens ministres de François Mitterrand. Tous les personnages sont bien réels : on y retrouve Nicolas Sarkozy, François Fillon, Dominique de Villepin, Daniel Cohn-Bendit et évidemment tous les socialistes. Le récit imaginaire, vivant et bien séquencé, raconte la période de la cohabitation jusqu’à la présidentielle. Avec au final un 21 Avril à l’envers… Et le gagnant est ? 18 mois chrono de Marie-Noëlle Lienemann et Paul Quilès, avec Renaud Chenu (Jean-Claude Gawsewitch), 326 pages, 19,90 €

confidentiel

“Vous savez, il ne faut pas accorder trop d’importance aux problèmes gastriques.” Dominique Strauss-Kahn sur France Inter, le 15 novembre, à propos de la polémique diplomatique déclenchée par l’absence de Nicolas Sarkozy aux dîners d’ouverture et de clôture du G20 à Séoul – pour cause de cérémonies du 11 Novembre et de remaniement. Le patron du FMI doit rencontrer Sarkozy, qui a pris la présidence du G20, mercredi 17, à l’Elysée. Espérons qu’il soit remis.

Comment choisir le Premier ministre le plus capable de vous mener à la défaite en 2012 ? On comprend l‘embarras de M.  Sarkozy. M.  Borloo présentait beaucoup d‘avantages. D‘abord, il avait déjà connu quelques échecs remarqués  : son plan banlieues de 30  milliards qui devait “casser les ghettos” ; une taxe carbone qui terrorisa les Français et qu‘il fallut retirer d‘urgence après l‘avoir présentée comme une révolution mondiale ; un Grenelle de l‘environnement dépecé. Ne parlons pas de ses efforts capillaires, de ses leçons de maintien et de ses nouveaux costumes. M. Borloo ne ressemblait pas plus à un Premier ministre que M.  Sarkozy n‘a l‘air d‘un président de la République. Enfin, pour un chef de l‘Etat, il reste toujours judicieux de se débarrasser d‘un Premier ministre, ici M. Fillon, plus populaire que soi. M. Mitterrand s‘offrit le plaisir de licencier M. Rocard : en moins d‘un an, sa cote de satisfaction passa d‘environ 60 % à presque 20 %. Restait l‘hypothèse inverse  : garder M.  Fillon. L‘opération pouvait se montrer tout aussi profitable. Annoncer un nouveau gouvernement, le faire attendre six mois, semer la zizanie chez les prétendants et, au bout du compte, ne pas changer : l‘effet sur l‘opinion semble garanti. Un reproche : nous l‘avions expliqué (Les Inrocks du 6/10), la guerre des chefs se joue mieux à trois qu‘à deux,

et l‘on doit constater que le troisième, M. Baroin, n‘a pas tenu son rôle avec tout le talent espéré. Devant ce combat de titans, nous n‘avions qu‘une certitude et le choix de M. Sarkozy nous a donné raison  : les meilleurs ont perdu. Comment la gauche pourrait-elle échouer en 2012 dans pareilles conditions ? On n‘a pas toujours l‘occasion de faire sauter un bateau de Greenpeace dans un port étranger. Demeurent deux beaux ressorts  : se diviser ; tenir des propos menaçants et irréalistes. Sur le premier point, M.  Mélenchon, issu d‘un schisme trotskiste et scissionniste lui-même du PS, se donne pour un expert. Insultant avec les journalistes, fâché avec les socialistes, il arrive à diviser le PC lui-même. Sur le second, il prétend fixer le revenu maximal avant un impôt qu‘on imagine confiscatoire à 350 000 euros par an. “Et que fait-on de ce qui dépasse (…) ? C‘est bien simple, répond-il, on prend tout.” Il s‘agit d‘une réplique de M.  Georges Marchais. La presse s‘interroge  : M.  Mélenchon ressemblerait-il au très stalinien secrétaire général du PCF qui sut en vingt ans mener son parti de 22 à 6 % des suffrages ? M. Mélenchon se dit “fier” de la comparaison. N‘oublions pas que M. Marchais commença par faire peur avant de faire rire. Voilà les communistes irrités, les socialistes inquiets et M. Besancenot jaloux. (à suivre) 17.11.2010 les inrockuptibles 41

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safari

Hamilton/Rea

Buffet-débat de Marine Le Pen, vice-présidente du FN, le 14 novembre à la discothèque le Back Up, à Paris. En boîte à la rencontre des vieux cr oûtons ? La preuve par l’image.

pifomètre

Aubry reprend la tête Notre panel répond, comme chaque semaine, à la question rituelle : qui a le vent en poupe à gauche pour la prochaine présidentielle ? notre panel

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semaine précédente

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Manuel Valls

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Olivier Besancenot

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Ségolène Royal

N.B. : le panel perd une secrétaire d‘Etat, Rama Yade, mais gagne une ex-secrétaire d‘Etat, Rama Yade.

François Hollande

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France Inter). Chassaigne refait surface, 6 points contre 1 dans le dernier numéro ! Le panel commence à découvrir ce nouveau personnage écolo-coco-moustachu et Faustine Saigot, notre médecin de l’île de Groix, le trouve “prometteur”. Le pifomètre de la gauche revient dans quinze jours : la semaine prochaine, la question portera sur le remaniement.

Eva Joly

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André Chassaigne

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Dominique Strauss-Kahn

Faustine Saigot, 35 ans, médecin, île de Groix. Christophe Donner, 54 ans, écrivain et chroniqueur hippique. Florence Perrin, 36 ans, prof de philo en Seine-Saint-Denis. Edouard Lecerf, 47 ans, directeur général TNS-Sofres. Bernard Gilbert, 54 ans, patron du Bar du marché à Auxerre. Rama Yade, 33 ans, ex-secrétaire d’Etat aux Sports. Evelyne Ghaya, 52 ans, gérante de magasin de presse, Paris XIe. Fabrice Martinez, 38 ans, directeur de la Bellevilloise, Paris XXe

16

Jean-Luc Mélenchon

le reste du panel

M

artine Aubry repasse en tête, elle bénéficie sans doute des propositions pour “l’égalité réelle” de Benoît Hamon. “Elle a tenté de maintenir l’unité”, constate Florence Perrin. L’unité au PS préoccupe une bonne partie de notre panel. D’ailleurs, François Hollande, qui a critiqué les propositions de Hamon, se plante en beauté, passant de 15 à 3 ! DSK est toujours dans les choux (le panel ne l’avait pas encore écouté lundi matin sur

Martine Aubry

Jacques Foures, 61 ans, patron de la librairie Geronimo à Metz. La politique, une passion ? Oui, au sens où elle se partage. Les Inr ocks ? Comme tous les vieux, je les préférais en mensuel… La gauche, tu l’aimes ou tu la quittes ? Je quitte la gauche actuelle et je “nostalgise” les principes de la classe ouvrière. Personnalité politique préférée ? Jack Lang (prix unique du livre et qualité des chemises). Détestée ? Besson. Moment politique le plus triste ? 1974 et Giscard. Le plus drôle ? Le Fouquet’s. Le plus émouvant/heureux ? Badinter et la peine de mort. Le plus ridicule ? Le pathos de la voix de Sarkozy comme pendant du chevrotement de Pétain.

cette semaine

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V tout nu 17.11.2010

presse citron

par Christophe Conte

François Hollande et Bernadette Chirac ne lâchent rien, Borloo se prend pour Jacques Villeret et W. Bush sort un livre de coloriage. Bernard Thibault, lui, cherche toujours la plage sous les pavés glissants. Pierre Bachelet

Eric Feferberg/AFP

Bernard Thibault

en l’an 2010 Même si les carottes semblent cramées à propos des retraites, le leader de la CGT Bernard Thibault appelle à poursuivre les manifs (20minutes.fr, 3/11), au risque de se retrouver bientôt tout seul avec le Lion de Belfort et une pancarte à la con, place Denfert-Rochereau. Un sympathique gazier de la centrale syndicale nous confie : “C’est ça ou sa femme le traîne à Monsieur Meuble où un tas de pénibles malvoyants lui demandent de refaire la choré de Marionnettiste, le tube de Pierre Bachelet.” Houla…

que du bonheur ! Jamais avare d’une vanne, le nouveau sex-symbol de la gauche méthode Dukan, François Hollande, a comparé sur Radio J (7/11) le ballet pré-remaniement à un jeu de télé-réalité. Bien placé pour en parler, l’ancien poids lourd socialiste a beaucoup donné ces dernières années. D’abord avec “Recherche maison ou appartement parce que Ségo m’a lourdé”, “Relooking express pour arrêter de ressembler à un notaire balzacien”, “Mon incroyable fiancée bosse chez Bolloré”, “Nouvelle Star des sondages” et bientôt “Koh-Lanta Solférino : l’équipe Rouge contre l’équipe des Jaunes sociaux-libéraux”.

points noirs Libération (10/11) a lu en avant-première les mémoires à colorier de George W. Bush, Decision Points, en librairie aux Etats-Unis et bientôt au rayon livres de La Grande Récré en France. L’ancien locataire de la Maison Blanche prétend que le pire moment de sa présidence fut lorsque Kanye West l’a accusé publiquement de “ne pas aimer les Noirs” lors d’un téléthon en faveur des victimes de Katrina. C’est faux ! Lorsqu’il était gou-

verneur du Texas, il leur offrait de belles chaises électriques dernier cri.

canton n’a que l’amour Dans un entretien à La Montagne (10/11), Bernadette Chirac annonce qu’elle veut rempiler pour un nouveau mandat au conseil général de Corrèze, à 77 berges ! C’est ça ou supporter toute la journée le vieux sourdingue, ses statues africaines et ses radotages sur “c’est quand qui commence le Salon de l’agriculture ?”

le dîner de cons Dans Le Nouvel Obs (4/11), on apprend que Borloo a failli s’allier au PS lors de la présidentielle de 2002. Une rencontre secrète eut lieu chez le monsieur Meetic.fr du coup fourré politique, ce vieux maquereau fumé de Séguéla. Pas de bol, Carla n’était pas là ce soir-là, et Borloo dut se contenter de draguer François Hollande.

très confidentiel Monsieur le surgé des RG, pour mon Noël j’aimerais une panoplie de James Bond et un Blu-ray des Barbouzes. Bisou bisou… 17.11.2010 les inrockuptibles 43

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contre-attaque

le Beur et l’argent de la Beurette Il est de bon ton d’opposer femmes et hommes de la communauté franco-maghrébine : réussite pour elles, glandouille pour eux. Une fracture artificielle, savamment entretenue. Bertrand Desprez/Agence Vu

D

ans la perspective angoissante de la lapidation possible de l’Iranienne Sakineh Mohammadi-Ashtiani, elles se sont largement exprimées sur les sites féministes, dénonçant une barbarie venue du fond des âges. Eux, on les a moins entendus... Ou alors, quelques rares zélotes ont bêtement réclamé le simple respect de la charia. Les filles de la communauté francomaghrébine sont déchirées. Entre leur culture familiale d’origine et l’endroit où elles vivent. Elles sont intégrées, souvent mieux que les hommes et, simultanément, se sentent liées à leurs proches qu’elles n’ont pas le cœur de laisser derrière elles. Sommées de faire un choix, elles ont constamment le sentiment de trahir un camp ou l’autre. La nouvelle formule de Respect, “mag urbain, social et métissé“, consacre en ce sens un dossier de 45  pages aux musulmans de France. Depuis des années, Nacira Guénif-Souilamas, sociologue et enseignante, mène une réflexion critique dans le même sens.

Au passage, la chercheuse récuse le terme même de “Beurette“ qui réfère à un obscur objet du désir. Celui d’une femme disponible, toujours “colonisable”. Mais pouvoir et médias en rajoutent. Sur le thème : vous êtes jolies, les Beurettes, on vous aime, cessez de vous cacher sous des voiles. Son corps, chez elle, en famille, la jeune Franco-Maghrébine est pourtant priée de le dissimuler. “Jamais je ne montrerai mes épaules nues à mon grand-père, dit l’une d’elles. Mais quand je sors, c’est souvent en minishort de jean sur bas résille.” Problème, si on ne peut plus dire “Beurette”, terme dont les intéressées usent elles-mêmes, on dit quoi ? Reste que la réussite des filles de la communauté est un fait culturel. Après l’école, elles rentrent à

en pratique associations d’idées de femmes Dans la myriade d’associations féminines, signalons le Comité des femmes contre la lapidation ainsi que le réseau international Femmes sous lois musulmanes. Autre réseau, FAM, qui fait, entre autres, du tutorat pour les femmes musulmanes chefs d’entreprises. Enfin, Nanas Beurs, née en 1985 dans la foulée de la Marche des Beurs. A lire : La Vie rêvée de mademoiselle S. de Samira El Ayachi (Sarbacane) ; Des Beurettes de Nacira Guénif-Souilamas (Hachette Pluriel) ou, de la même auteur, Les Féministes et le Garçon arabe (avec Eric Macé, L’Aube) ; Ghetto urbain de Didier Lapeyronnie (Laffont), un des premiers à avoir relevé la fracture garçons/filles.

la maison. Et quitte à y être, autant étudier. Plus que les garçons de la fratrie qu’on dit abonnés à l’échec scolaire – alors que la majorité d’entre eux réussit plutôt bien ! –, elles bossent, foncent et, à force de détermination, finissent par décrocher un statut à la hauteur de leurs ambitions. Qu’on songe à la jeune Lyonnaise Najat Belkacem, porte-parole de Ségolène Royal, à Soumia Benguigui, sœur de la réalisatrice Yamina, cadre sup dans une grande entreprise de consulting et chargée de la diversité au Medef, ou encore à la comédienne Leïla Bekhti, révélée par Tout ce qui brille, et sa consœur l’excellente Rachida Khalil. Mais au prétexte de cette réussite spectaculaire, l’homme (père ou frère) est débiné en retour. C’est un méchant biais selon lequel, pendant que la sœurette mène un troisième cycle, le frangin livrerait des pizzas, quand ce n’est pas de la beuh. Certaines organisations féministes comme Ni putes ni soumises en ont rajouté dans la diabolisation des garçons vus comme un ramassis de lascars abrutis et sexistes. Fadela Amara a même envisagé de les enrôler sous les drapeaux. Face à ce volontarisme républicain un rien fatigant, une réflexion minoritaire, mais plus finaude, se met en place. Elle consiste à redorer l’image des garçons. Si l’idée fait son chemin – “inch Allah !” – ce sera un net progrès. [email protected]

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propagenda

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ême si vous avez anticipé, d’un seul coup, vous avez ce vide qui vous saisit”, se souvient Serge Lepeltier, ancien ministre de l’Ecologie du troisième gouvernement Raffarin : “Vous avez surtout eu le temps de conclure les dossiers du prédécesseur. Il y a des choses que vous ne mènerez pas au bout. Avec en plus ce questionnement : qu’est-ce que je vais faire ?” “On prend un coup sur la tête”, se rappelle Catherine Trautmann, secrétaire d‘Etat chez Rocard puis ministre de la Culture de Jospin. “Vous êtes très proche du bon Dieu, une espèce de Zorro qui peut tout, se souvient Paul Quilès, cinq ministères et deux sorties de gouvernement. Et soudain vous n‘êtes plus en position de rendre des services, le carnet d’adresses se vide d’un coup.” Fini les grands moyens, et pas seulement les ors de la République. “Vous aviez des milliers de gens avec vous. Puis vous vous retrouvez avec deux ou trois personnes”, raconte encore Quilès. Les remerciés du  XXIe  siècle sont beaucoup moins disponibles pour parler du sujet, signe probable du temps de convalescence nécessaire. Un collaborateur d’Alain Joyandet, parti en juillet, nous répond que celui-ci n’a pas encore donné d’interview sur le sujet. Roger Karoutchi nous fait dire qu’il préfère ne pas en parler : “Ça fait déjà dix-huit mois”, dit un col-

Fred Dufour/AFP

Rama Yade “ne regrette absolument rien”. Bockel se dit “ni dans l’amertume, ni dans l’aigreur”. A en croire Borloo, Morin, Fadela Amara et les autres, ils n’attendaient que la joie de retrouver leur “liberté de parole”. Ne les écoutez pas.

laborateur dans son nouveau poste à l’OCDE (s’il compte encore en mois, c’est pas bon signe). Dans la catégorie “même-pas-mal”, Corinne Lepage veut croire que c’est plus facile pour les femmes. “Elles ont besoin de concret. Les hommes se satisfont plus de la parole et de l’apparence. Et quand vous n’êtes plus ministre, vous perdez les deux.” Et comme dans les ruptures amoureuses, il n’y a pas de bonnes manières. Catherine Trautmann, remerciée deux fois, se souvient avoir entendu la première fois la nouvelle à la radio, en voiture, sans que Michel Rocard l’ait appelée. Etre avertie n’arrange pas forcément les choses. La deuxième fois, Jospin l’avait prévenue 48 heures à l‘avance. Mais entre-temps, il fallait aller sur le plateau de Paul Amar (“Lionel m’avait dit ‘Bien sûr, t’y vas”) et faire semblant de rien jusqu’à l’annonce, se rappelle Trautmann qui a ensuite fait un “vol plané” à la mairie de Strasbourg, perdue à la municipale suivante. “C’est souvent un séisme à répliques.” Après, il faut aussi retrouver du boulot. “La difficulté, c’est que beaucoup de ministres

“ON PREND UN COUP SUR LA TÊTE”

Lionel Bonaventure/AFP

même pas mal !

Hervé Morin et Jean-Marie Bockel, les recalés heureux…

remerciés n’ont pas de métier. Ils ont besoin d‘une nomination dans un comité Théodule ou ils deviennent avocats”, constate Corinne Lepage, avocate, que ça n’enchante pas. “Faut un CAP pour être plombier…” Quitter le gouvernement a aussi des avantages.  Paul Quilès : “Vous vous dites, tiens, c’est étonnant que celui-là m’appelle. Ça doit donc être un ami. Ça permet de décanter votre carnet d’adresses.” Dans la colonne des plus, vous voilà désormais ancien ministre, c’est mieux que rien, “ça donne de l’assise”, assure Yves Cochet, ex-ministre de l’Environnement de Jospin, “certains vous appellent encore, parfois en rigolant, monsieur le ministre”. “Il n’y a pas une semaine où je n’entends pas, vous qui avez été ministre, vous ne pourriez pas obtenir une mutation pour mon fils”, s’amuse Paul Quilès. Et toujours dans la colonne des plus, Cochet liste aussi : “Vous retrouvez le temps de lire” (c’est pas un euphémisme pour “vous vous emmerdez”, ça ?). En tout cas, quand on a été remercié, on sait, comme Catherine Trautmann, qu’”un remaniement, faut pas que ça traîne. Tout le monde spécule. C’est pendant cette période que les gens se sentent humiliés”. Le temps qu’a pris Nicolas Sarkozy, “c’est une bizarre manière de gérer la réalité humaine d’une équipe”. Guillemette Faure 17.11.2010 les inrockuptibles 45

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débat d’idées

l’origine du monde

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arce que nous sommes des “animaux métaphysiques”, la question de l’origine de l’univers se pose fébrilement à nous. Des frères Bogdanoff aux cosmologistes les plus sérieux, nombreux sont ceux qui veulent résoudre l’énigme du début, problème sans fin. Grand physicien français, directeur de recherche au Commissariat à l’énergie atomique, mais aussi philosophe des sciences, Etienne Klein tente de comprendre dans son Discours sur l’origine de l’univers les raisons de cette obsession ancestrale, comprise autant comme un mirage absurde que comme un pari scientifique ultime. D’où vient l’univers ? Et d’où vient qu’il y a un univers ? Existera-t-il une théorie scientifique unique capable de décrire, par un jeu d’équations mathématiques, l’ensemble des forces qui structurent l’univers ? Sommes-nous seulement certains que l’univers a eu un commencement ?… Derrière toutes les questions que soulève l’auteur, se cache la posture ambiguë de chercheurs prétendant révéler le secret de l’origine du monde, qui échappait même au peintre Courbet. Klein prend acte de l’existence d’un “grand récit de l’univers”. Aidés par les astrophysiciens, les physiciens des particules et les physiciens nucléaires, les cosmologistes sont récemment parvenus à reconstituer les 13,7 milliards d’années de l’histoire de l’univers. La fa-

Hector de la Vallée

Depuis la nuit des temps, l’homme cherche à comprendre d’où il vient. Pour le physicien Etienne Klein, à l’encontre des théories dominantes actuelles, le début de tout reste une énigme absolue. meuse théorie sur le big-bang qui désigne la création du monde, le fiat lux originel, l’instant zéro, fut un coup de théâtre épistémologique. Certains espèrent même franchir le mur de Planck, qui trace la limite du temps entre l’avant et l’après-big-bang. Or, dans une magistrale réflexion, nourrie à la fois des connaissances physiques les plus pointues et des réflexions philosophiques sur les sciences et le langage, Etienne Klein vient semer un peu de désordre dans un champ de connaissances complexe. “Penser le commencement du monde revient à penser son absence et à

“PENSER LE COMMENCEMENT DU MONDE REVIENT À PENSER SON ABSENCE ET À PENSER COMMENT SON ABSENCE A PU SE TRANSMUTER EN PRÉSENCE”

penser comment son absence a pu se transmuter en présence”, souligne Klein. Savoir que l’univers a 13,7 milliards d’années ne suffit pas à dire d’où vient l’univers, ni même qu’il a eu un commencement. “Personne n’est en mesure de démontrer scientifiquement qu’il a eu une origine ‘originelle’ et personne n’est non plus capable de démontrer scientifiquement qu’il n’en a pas eu.” L’alternative qu’il pose se formule ainsi : soit l’univers a eu une origine, et dans ce cas, il a été précédé par le néant, par une absence totale d’être ; soit l’univers n’a pas eu d’origine et dans ce cas, il y a toujours eu de l’être, jamais de néant, et la question de l’origine de l’univers ne se pose plus. La grande question physique devient donc une énigme métaphysique  : pourquoi l’être plutôt que rien ? Comme l’écrivait le philosophe Wittgenstein, auquel le physicien fait souvent référence, “toutes les données de la science ne suffisent pas à comprendre le sens du monde“, Klein insiste : “Une théorie du tout ne suffit pas pour faire un monde”, et puisque le langage conduit à une impasse, nous sommes incapables de décrire un changement qui concerne le néant. Les Bogdanoff peuvent se calmer et dormir tranquilles. Jean-Marie Durand Discours sur l’origine de l’univers d’Etienne Klein, (Flammarion/NBS), 181 pages, 17 €

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Tiken Jah Fakoly

le messager africain

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En pleines élections présidentielles en Guinée et en Côte d’Ivoire, la star de la musique africaine Tiken Jah Fakoly se bat plus que jamais pour la démocratie. Rencontre à Bamako. par Francis Dordor photo Gilles Coulon/ Tendance Floue

A Dans les rues de Bamako, le 18 septembre

Niamakoro, un quartier de Bamako appelé aussi Unicef à cause du siège de l’organisation qui s’y trouve, les rues sans asphalte ne sont que flaques d’eau et ornières boueuses après les fortes pluies de l’après-midi. Au bout de l’une d’elles, Tiken Jah Fakoly a ouvert son studio en 2006, le H. Camara, du nom de cet ami ivoirien assassiné par un escadron de la mort à Abidjan trois ans plus tôt. Ce soir, il y inaugure son club reggae, Radio Libre Bamako, construit au premier étage. La chaussée est quasiment impraticable et ce qui devrait être le parking ne ressemble qu’à un terrain vague jonché de gravats. Ils sont quand même venus, des expatriés, des médias locaux et des branchés. Certains ont déboursé 10 000 francs CFA (15 euros), tarif exorbitant pour le Mali. “Par la suite, l’entrée sera gratuite”, rassure Tiken. Ce soir, il lui fallait limiter l’affluence compte tenu de la capacité réduite des lieux (500 personnes) et de la popularité dont il jouit dans cette ville où son nom suffit à attirer jusqu’à 40 000 fans dans un stade. Evidemment, avec la boue, tout ça aurait pu finir en Woodstock malien. 17.11.2010 les inrockuptibles 49

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“la Guinée est au bord du précipice, la Côte d’Ivoire est déjà tombée dedans” L’après-midi même, entre deux averses, des ouvriers se hâtaient d’achever le dallage de la cour. D’autres posaient les cuvettes dans les toilettes. Il y a encore un échafaudage accroché à un pignon peint en jaune, rouge et vert sur lequel un certain Kasam a réalisé une immense fresque à l’effigie de Bob Marley, figure tutélaire de cette “République du reggae” comme la présente le maître des lieux. A l’intérieur, tout est prêt : éclairages, sono, écrans LCD et climatisation. Le style se veut plus chic que roots, malgré les portraits des stars du reggae – U-Roy, Burning Spear, Peter Tosh – sur les murs. Un commando de serveuses en T-shirt Fakoly Production attend derrière le comptoir flambant neuf. Au-dessus du bar, une banderole proclame “Personne ne viendra changer l’Afrique à notre place”, écho au refrain d’Il faut se lever, moment fort de son album aux saveurs mêlées, le récent African Revolution. Une formule comme les aime Tiken, simple, concrète, volontaire. Cette vérité dit l’essentiel sur l’obstination de cet homme à toujours mettre ses paroles en actes et ses rêves en chantier.

En deux heures de concert, Fakoly passe en revue ses meilleures chansons, celles qui “éveillent les consciences” et font brandir le poing. Percutant, d’une impressionnante cohésion, son groupe, les Djelys, rappelle les Wailers époque Marley, soit la plus efficace turbine à reggae jamais mise en route et le corps d’élite d’une révolution rastafarienne. Comme Marley, mystique et mission évangélique en moins, Tiken a mis sa musique au service d’une cause. Lui aussi parle de révolution, mais africaine. Au fond, en quinze ans, le thème de ses chansons n’a pas varié. Le ton péremptoire de son “chanter-vrai” non plus. Les plus anciennes exigeaient : Ouvrez les frontières, Quitte le pouvoir. Les nouvelles insistent : Je dis non !, Laisse-moi m’exprimer, Il faut se lever. En sept albums, la star ivoirienne a lancé plus de coups de gueule (titre de l’un de ses albums les plus vendus) contre les injustices et pour le progrès social en Afrique que tous les tribuns professionnels dans les parlements locaux. Il est devenu un héros, l’une des personnalités les plus écoutées et respectées d’un continent où personne

ne croit plus aux leaders d’opinion. Mais ces vérités, sa franche dénonciation des impostures lui ont aussi valu pas mal d’ennuis dans un contexte politique régional explosif. En 2002, on le dit trop proche de la rébellion nordiste. Il est menacé de mort et doit fuir la Côte d’Ivoire en proie à de violentes tensions interethniques. A cette époque, il aurait pu citer Fela Kuti qui disait : “Seul un revolver me fera taire.” Il fut aussi un temps interdit de séjour au Sénégal pour s’être indigné en public de la tentation du président Wade de favoriser son remplacement à la tête de l’Etat par l’un de ses fils. Dakar juge ces déclarations “fracassantes, insolentes et discourtoises” de la part d’un étranger “qui se mêle de ce qui ne le regarde pas”. Tiken considère que cette ingérence relève d’une action de salut public dans l’une des anciennes colonies françaises que certains tentent encore de gérer “comme des fiefs privés que l’on transmet de père en fils”, selon les mots de l’historien Achille Mbembe. Coïncidence, le week-end où s’ouvrent les portes de son club, où paraît son nouvel album, débutent à Bamako les dernières festivités du cinquantenaire

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“il est temps de prendre notre destin en main. Le plus terrible serait de ne rien tenter”

Sur les bords du fleuve Niger ou lors de l’enregistrement d’une émission télé, sa popularité ne se dément pas

de l’indépendance des anciennes colonies françaises d’Afrique de l’Ouest. Contacté par l’opérateur téléphonique Orange qui s’occupe de la partie musicale, Tiken préfère décliner l’invitation. “Je ne me considère pas comme indépendant, explique-t-il au téléphone à l’un des organisateurs, assis sous la tonnelle de son jardin. Pour moi, il n’y a rien à célébrer.” Puis, après avoir raccroché : “Je pense qu’il aurait été plus sage de faire un bilan de cette période postcoloniale, d’ouvrir un débat sur ce qui a marché et n’a pas marché, sur ce qu’il faut faire pour que ça marche. J’aurais trouvé ça plus constructif.” Plus urgent, et constructif, lui semble pour l’heure son engagement pour la paix en Guinée où vient de se dérouler une élection présidentielle historique, la première libre et démocratique de l’histoire du pays. Son passage au Radio Libre à peine achevé, le voilà prêt à prendre la route pour Conakry, distante de 700 kilomètres, afin d’y donner un concert de réconciliation à la veille d’un second tour explosif. Ingérence ? “Non. Je suis ivoirien mais avant tout africain. Si la Guinée brûle, c’est ma maison qui brûle aussi. C’est l’un des rôles de l’artiste

aujourd’hui d’accompagner ce continent dans son processus de démocratisation.” Avec le rappeur sénégalais Didier Awadi et la star guinéenne Sekouba Bambino, Tiken a créé le Collectif des artistes africains pour la paix, une initiative spontanée qu’aucun parti, aucune instance internationale n’a soutenue. Reçu un mois plus tôt par les deux candidats, Tiken avait assuré Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo de son impartialité et fait passer son message. “Je leur ai dit qu’ils se trouvaient devant une alternative : ouvrir une ère de démocratie pour le pays ou le précipiter dans le chaos. Pour l’avoir vécu chez moi, en Côte d’Ivoire, je sais qu’il est facile d’entrer dans l’engrenage de la violence et difficile d’en sortir.” Tiken voulait aussi inviter les deux candidats à le rejoindre sur scène pour frapper les esprits, un peu à la manière d’un Bob Marley poussant Edward Seaga et Michael Manley à une poignée de main historique lors du Peace Concert en 1978 à Kingston. Le concert de Conakry fut une première fois annulé après des violences dans la banlieue de la capitale guinéenne qui firent une cinquantaine de blessés et ont coûté la vie à un militant

d’Alpha Condé. Après trois reports, le second tour a eu lieu le 7 novembre. Mais faute d’obtenir l’aval des autorités transitoires, Tiken n’a pu donner son concert pour la paix. A quelques jours du scrutin, et quel que puisse en être le vainqueur, rien ne l’incitait à l’optimisme pour la suite. “Tout est réuni pour que ça pète. Les deux partis jouent le pourrissement en exacerbant les rivalités ethniques. Il y aura forcément des contestations après l’annonce des résultats et je crains que les armes ne prennent la parole.” La Côte d’Ivoire voisine se prépare elle aussi à un second tour de présidentielles qui devrait mettre fin à dix ans de conflits entre le Nord et le Sud. S’agissant de son pays, Tiken se veut plutôt rassurant. “La Guinée est au bord du précipice, la Côte d’Ivoire est déjà tombée dedans. Les gens sont fatigués de ce conflit. Tout le monde veut un retour à la normale même si les braises rougissent encore.” Tiken, en tournée française, ne pourra sans doute pas rencontrer Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara avant le second tour du 28 novembre comme il le souhaitait et renforcer ainsi son 17.11.2010 les inrockuptibles 51

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cet été, on lui a refusé des visas pour ses enfants : “Je voulais juste leur faire visiter Paris”

image de monsieur “bonne volonté” du reggae africain. Mais il sait qu’il a désormais ses entrées dans les palais. Il entend en faire usage. Comme Bono, reçu par Medvedev ou Obama, qui déclarait à propos de son action au sein de son ONG, One : “On ne peut pas être déprimé”, il entend donner l’exemple d’une nouvelle citoyenneté africaine. “Aujourd’hui, la jeunesse du continent ne doit plus rester assise pour assister à l’écriture de sa propre histoire. Par le passé, des révolutions – en France, en Amérique, en Russie – ont changé la face du monde. Au tour de l’Afrique de mener la sienne. Il est temps de prendre notre destin en main. Le plus terrible serait de ne rien tenter. Moi, en tout cas, j’ai besoin de ça pour être en paix avec moi-même.” Personne en l’occurrence ne paraît mieux qualifié pour promouvoir l’action civique et l’initiative individuelle. Depuis qu’il s’est réfugié au Mali, Tiken a ouvert un studio, fondé un label, Fakoly Production, consacré au développement du reggae africain et produit à pertes les albums du Burkinabé Jah Verity et du Guinéen Takana Zion. Dernier projet : ce club reggae qu’il souhaite mettre à la disposition des jeunes musiciens dont il connaît les difficultés pour les avoir rencontrées. “J’ai été victime de la censure. Ici, elle frappe encore beaucoup de chanteurs. Dans ce club, ils pourront s’exprimer librement tant que leur message restera intelligent.” Faire passer le message, coûte que coûte, c’est une obsession. En 2003, lors de la cérémonie des Victoires de la musique qui le récompensait pour l’album Françafrique,

toujours aussi “insolent et discourtois”, il profita de la retransmission en prime time sur la principale chaîne publique pour se lancer dans une violente diatribe contre la présence militaire française en Côte d’Ivoire. On lui reprocha alors d’avoir osé cracher dans la soupe devant un parterre de personnalités où figurait le ministre de la Culture de l’époque. Lui regrette surtout d’avoir pu froisser Michel Drucker, M. Loyal de la soirée, en quittant le plateau “sans prendre le temps de dire au revoir”. Depuis, ses rapports avec notre pays restent conformes à la politique du gouvernement actuel envers les ressortissants africains. Fait chevalier des Arts et Lettres, il sert également à gonfler les statistiques de Brice Hortefeux. Cet été, il a essuyé le refus d’une demande de visas pour ses enfants dont le tort est d’avoir la nationalité ivoirienne. “Je voulais juste leur faire visiter Paris pendant les vacances”, peste celui qui prête sa voix aux milliers de sans-papiers en quête de régularisation dans sa chanson Africain à Paris, adaptation du Englishman in New York de Sting. Son engagement tous azimuts ne l’a pas empêché d’enrichir sa musique. Sur African Revolution, il s’accompagne d’instruments traditionnels mandingues, brisant ainsi la routine d’un reggae qui lassait à force de tourner en rond. Il collabore avec Tété ou l’ancien Zebda Magyd Cherfi, qui lui écrit des paroles sur mesure. Sa carrière reste un modèle de maîtrise, d’obstination et d’ambition.

En dix ans, à raison de 200 concerts à chaque nouvel album, son audience s’est considérablement accrue, internationalisée. Signé par l’organisation Live Nation (Madonna, Radiohead), il espère mettre un pied dans le marché anglo-saxon. Premier objectif : une tournée des universités américaines pour donner des conférences sur l’Afrique et ses problèmes, tout en aidant à la construction d’écoles. “J’ai exigé que figure sur le contrat une clause stipulant qu’à chaque tournée on puisse consacrer un concert au financement d’une école en Afrique. En novembre, pour la tournée de lancement de l’album, la recette d’un soir servira ainsi à bâtir un établissement en Guinée Conakry.” Tiken en a déjà trois à son actif, en Côte d’Ivoire, au Mali, au Burkina Faso. Récemment, il s’est rapproché du Pnud et des Nations unies pour soutenir la réhabilitation d’un lycée d’Abidjan. A Bamako, les enfants lui disent déjà merci. Dès que sa Coccinelle jaune, rouge et verte vient à passer, ils agitent les bras et crient son nom. “Mon rêve, mon grand rêve, c’est de pouvoir construire une école dans chaque pays africain. L’avenir passe par l’éducation. Quand on alphabétisera les gens, ils cesseront de voter pour un candidat contre 2 000 francs CFA ou un T-shirt.” Le cœur de sa “révolution africaine” : un gros chantier, plus difficile à obtenir que le goudronnage de sa rue. Album African Revolution (Barclay/Universal) Concert le 25 novembre à Paris (Cigale) et en tournée dans toute la France

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Jean-Luc Godard dans Soigne ta droite (1987)

For Ever Godard Pourquoi l’adore-t-on (quand même) ? A l’occasion de la sortie de neuf de ses films inédits en DVD, retour sur un cinéaste toujours controversé. par Jean-Baptiste Morain 54 les inrockuptibles 17.11.2010

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ujourd’hui, il est de bon ton de dire du mal de Jean-Luc Godard. Le romancier américain Philip Roth avouait il y a quelques semaines sa haine pour le cinéma de Godard dans une interview au quotidien italien La Repubblica. L’homme traîne une sale réputation de jaloux et de langue de pute. Depuis la publication de la correspondance de François Truffaut dans les années 1980, on met régulièrement en avant ce règlement de comptes monumental où le gentil Truffaut traitait de “merde sur son socle” le méchant Godard (Mathieu Amalric s’en est même inspiré pour la dispute entre vieux copains de Tournée). Ces dernières années, le grief s’est encore alourdi. C’est désormais d’antisémitisme qu’on l’accuse. Comme le rapporte Libération dans son édition du 11 novembre, la polémique fait rage jusque dans la presse américaine. Le 6 octobre dernier, The Jewish Journal de Los Angeles titrait “Jean-Luc Godard est-il antisémite ?”. Dans un tel contexte, la remise d’un oscar d’honneur prévue depuis des mois est vivement controversée. L’Académie a même dû publier un communiqué pour confirmer mais justifier sa décision, en déclarant que la question avait été examinée et que les accusations étaient apparues “pas convaincantes”. Bref, le cinéaste de la modernité absolue serait une personne infréquentable, un escroc et un ami infidèle. Alors peut-être, à l’occasion de l’édition de neuf films jusqu’alors inédits de Godard en DVD, serait-il bon de parler de son cinéma en tentant d’oublier l’homme public. Un personnage dont les dons naturels pour l’autopromotion, le paradoxe, les sentences et le look (pas rasé, hirsute, écharpe, gros cigare, les fameuses lunettes longtemps fumées et l’accent vaudois) ont éclipsé l’œuvre, pour le meilleur pendant longtemps, pour le pire depuis qu’on aime le détester et répéter à l’envi les mêmes idées reçues : son cinéma n’aurait plus d’intérêt à partir des années 1970, il a réalisé A bout de souffle et puis basta, tué le cinéma à lui tout seul en fabriquant des films intellos pour spectateurs intellos (suprême injure). Mais “regardez mon film avant de me regarder moi”, disait-il à la sortie du dernier, Film Socialisme… Alors, quelles sont les six raisons objectives d’aimer les œuvres de ce cinéaste qu’on dit mal embouché et qui n’irait de toute façon même pas chercher l’oscar qu’Hollywood veut lui remettre ? les femmes qu’il filme sont belles à tomber Dès les premières images de Bande à part, on a envie de s’acheter un passe-montagne d’éboueur ou un feutre noir (comme Claude Brasseur et Sami Frey) ou de se faire des couettes (comme Anna Karina). Macha Méril, “one shot actress” d’Une femme mariée, est sexy malgré ou grâce à ses rondeurs bourgeoises (le film ne cesse de la découper en morceaux). Les femmes sont en culotte ou à poil dans les films de Godard, des culottes et des soutiens-gorge de leur époque, pas de costumiers de cinéma. Dutronc lisant à haute voix un livre de Duras, on a envie d’être à sa place, de se la jouer aussi.

Courbées, pliées, fragmentées comme dans un blason amoureux, les femmes sont belles chez JLG. De haut en bas : Isabelle Huppert (Sauve qui peut (la vie), 1980), Anna Karina (Bande à part, 1964), Mireille Darc (WeekEnd, 1967) et Macha Méril (Une femme mariée, 1964) 17.11.2010 les inrockuptibles 55

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C’est un cinéma de frimeur (Yves Montand, Jean Yanne, Godard quand il fait l’acteur), d’étudiant mélancolique, d’enfant qui se roule par terre pour faire semblant d’être mort (Claude Brasseur). Pauline Lafont, Jane Birkin ou Catherine Ringer dans Soigne ta droite sont à pleurer de beauté. Godard ne fait jamais un moche plan. Les femmes sont belles dans ses films, à tomber parfois : Mireille Darc dans Week-End, Jane Fonda dans Tout va bien, Isabelle Huppert et Nathalie Baye dans Sauve qui peut (la vie). ses films aiment le monde parce qu’ils le regardent Très peu d’histoires, de liens de cause à effet classiques, sauf peut-être dans Sauve qui peut (la vie), l’un des films les plus impressionnants de Godard. Godard confie un jour à la chef opératrice Caroline Champetier, qui lui demande ce qui le différencie de ses collègues cinéastes : “Je cadre, alors qu’eux encadrent.” Le hors-champ est par définition plus vaste que le champ. Un cinéma qui l’ignore se contente de peu en réduisant l’univers visible à un parallélépipède toujours trop petit. Le temps, la télévision, la radio, le quotidien, la révolution, le monde du travail, les journaux, le temps qu’il fait, la date et l’heure qu’il est, la femme avec qui on couche sont partie intégrante des films de Godard. Ils sont constitués de morceaux que l’on pourrait redistribuer, comme ces vieux jeux pour enfants où l’on peut coller l’un à côté de l’autre des dessins dans n’importe quel ordre puisqu’ils constituent toujours une unité, une nouvelle histoire possible et plausible.

Jean-Luc Godard regarde le monde comme personne. En haut : la société de consommation au stade du déchet (Week-End, 1967) ; en bas : deux stars, Yves Montand et Jane Fonda, emportées dans la tourmente du mouvement social (Tout va bien, 1972)

Godard se fout des règles et détourne la convention du mot “Fin” : en haut, Week-End, en bas, Tout va bien

il se fout des règles C’est un cinéma de rebelle, mais qui se creuse la cervelle pour nous distraire : le cinéma de Godard (et lui-même aussi, mais oublions) a toujours tonitrué. Allant contre (la société, les producteurs, les distributeurs, les autres cinéastes), scandalisant la censure (on l’oblige à transformer le titre La Femme mariée en Une femme mariée…), jamais assagi même quand ce cinéma a désormais plus d’un demi-siècle et se fomente dans une petite ville suisse, loin des centres mondiaux de production cinématographique. Encore aujourd’hui, il reproche à tous ses camarades de la Nouvelle Vague d’avoir trahi une cause : celle, très romantique, d’un cinéma qui aurait pu sauver le monde en témoignant et qui ne l’a pas fait. Celle aussi d’un cinéma instrument de pensée et pas seulement outil de narration servile au service d’une histoire, d’une anecdote, d’un récit littéraire. Le cinéma de Godard est en colère, cherche toujours autre chose, l’accomplissement ultime du langage cinématographique qui apparut à la fin du muet. Caroline Champetier, qui travailla deux ans d’affilée pour Godard dans les années 1980, en parle très bien dans l’un des bonus, hautement recommandé. Truffaut disait que Lubitsch était un prince parce qu’il s’usait la santé à chercher le détail qui tue, le gag qui touche pile-poil. Godard a toujours essayé d’entraîner le spectateur sur des sentiers inusités. Anecdotique et humoristique, peut-être, sa manie des génériques originaux d’ailleurs fabriqués avec deux euros (parlés, écrits sur un tableau noir, etc.) et qui s’inspire directement des génériques de Cocteau ou Guitry, deux cinéastes importants si l’on veut

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comprendre ce cinéma godardien : Cocteau la fantaisie, Guitry le dialogue comique et le bon mot. Mais l’énergie qu’il met à concevoir ces génériques se déplie à l’ensemble du film : gestes, stylisation, fixité du plan, violence du montage, c’est un cinéma dynamique et sans stase. des films qui donnent envie de faire du cinéma Tout spectateur qui découvre A bout de souffle ou Masculin féminin à 14 ans se dit, comme le raconte Patrice Leconte dans un des bonus de Week-End, “qu’il doit pouvoir en faire autant”. Les films de Godard n’écrasent pas le spectateur, il lui donne envie de s’amuser, de faire du cinoche avec ses copains, de filmer la vie, la ville. Le cinéma de Godard retransmet ce que la vision de Voyage en Italie de Rossellini lui avait légué : on peut faire un film avec un homme, une femme, une voiture. Le cinéma, c’est simple (quand on a du talent…). Godard a toujours essayé de filmer léger : dès A bout de souffle, il recherche les pellicules les plus sensibles afin de se débarrasser le plus possible des éclairages artificiels. Dans les années 1980, il mettra plus ou moins au point une caméra 35 mm légère avec la société Aaton et tournera avec une partie de Prénom Carmen. Aujourd’hui où l’on peut tourner un film en haute définition avec un téléphone portable, nous entrons dans l’âge du cinéma le plus godardien qui ait jamais existé.

Des films qui, passionnément, transmettent l’envie de faire du cinéma (For Ever Mozart, 1996)

son cinéma oscille entre réel et imaginaire Certains cinéastes disent “se nourrir du réel” et s’en gargarisent, d’autres disent n’aimer que l’imaginaire. Les films de Godard se situent entre les deux : en prise directe avec le réel (le cadre posé, le réel défile devant) mais imaginaire parce qu’il invente des histoires qui n’existent pas dans la réalité. La musique vient se mixer avec le son de la rue, les dialogues se perdent dans le bruit de décollage de l’avion mais le montage coupe toute possibilité de se laisser capter par le cours d’un récit. Le jeu des acteurs lui-même, distancié (Godard est brechtien depuis toujours) empêche qu’on confonde le réel et l’imaginaire. Le coffret Gaumont, parce qu’il couvre, de façon chronologique, la quasi-totalité de l’œuvre de Godard, permet de relativiser la théorie selon laquelle il existerait plusieurs périodes dans sa carrière de cinéaste (les années Karina, la période politique, le grand retour des années 1980, les Histoire(s) du cinéma et le cinéma essai, etc.). Au contraire, l’unité formelle de l’ensemble saute aux yeux. Elle révèle sans doute plus de profondeur dans sa dernière phase que dans la première mais l’on pourrait presque mixer tous les films entre eux sans rupture esthétique profonde et évidente. ses films ringardisent la plupart des autres films Pour toutes les raisons énoncées plus haut, mais aussi parce qu’il est mélancolique par nature. Et la jeunesse est toujours mélancolique. CQFD. Neuf films de Jean-Luc Godard (Gaumont, 99,99 €) : Bande à part (Fr., 1964, 1 h 35), Une femme mariée (Fr., 1964, 1 h 36), Week-End (Fr., 1967, 1 h 45), Tout va bien (Fr., 1972, 1 h 35), Sauve qui peut (la vie) (Fr., 1980, 1 h 27), Je vous salue Marie (Fr., 1985, 1 h 45), Soigne ta droite (Fr., 1987, 1 h 22), For Ever Mozart (Fr., 1996, 1 h 24), JLG/JLG (Fr., 1994, 1 h 02)

Un nouage poétique entre réel et imaginaire, un cadre posé et le monde qui défile dans sa terreur et sa beauté. En haut Soigne ta droite (1987), en bas Je vous salue Marie (1985) 17.11.2010 les inrockuptibles 57

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divorce à l’italienne

Malgré le marasme berlusconien, la jeune scène artistique affiche une vitalité étonnante. Chronique d’un paradoxe. par Jean-Max Colard et Judicaël Lavrador

T

ous les matins, quand j’écoute les informations ou quand je lis les journaux, ça ressemble à un mauvais rêve. A Milan où je vis, il y a tous les soirs, à partir de 23 h 30, un couvre-feu militaire, soi-disant à cause de l’immigration. Tout va mal en Italie. Mon seul espoir, c’est d’avoir le moyen de repartir à l’étranger.” Rencontré sur la foire d’art de Turin Artissima, où il a été invité à concevoir une exposition sur la littérature, Vincenzo Latronico, écrivain de 26 ans, se montre à la fois brillant, bouillonnant d’idées et très désenchanté. Son premier roman, écrit à 24 ans, Ginnastica e rivoluzione, dressait le portrait de sa génération, à la fois dégoûtée du berlusconisme et sans plus aucune illusion politique : “La scène se passe en 2001, un peu avant le G8 de Gênes. Un petit groupe d’étudiants italiens politisés s’est échappé à Paris, la ville de Mai 68, pour préparer la manifestation anti-G8. Mais enlisé dans leurs déboires amoureux, dans leurs discussions interminables, leur motivation s’effrite et le roman se termine sans qu’on sache s’ils iront ou non manifester à Gênes.”

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Paolo Pellion. Courtesy Castello di Rivoli museo d’Arte contemporanea, Rivoli-Torino

exil Comme sortie du film La Strada de Fellini, une roulotte s’envole au-dessus du Castello di Rivoli à Turin. Une manière pour l’artiste Lara Favaretto de prendre le large (I poveri sono matti, 2005-2008)

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musée éphémère En pleine foire de Turin, un musée en matériaux recyclés accueillait un programme horscommerce de films, danse, performances, littérature… Le symptôme d’une scène italienne active en pleine crise et un exemple pour un pays en manque d’institutions

Cet état d’esprit est commun à de nombreux jeunes artistes que l’on classe parfois dans la “non-scène” italienne. Souvent dispersés à travers le monde, installés à Berlin, New York, Paris ou Amsterdam, obligés de quitter un pays dont la culture manque de structures, de moyens, de musées et d’aides à la création contemporaine, refoulés par une université fermée et élitiste, enfin, minés par la politique droitière du gouvernement. “La droite populiste mène une campagne très dure contre les droits civiques, contre les revendications féministes, contre l’immigration, souligne Alessandro Rabottini, jeune curateur du centre d’art de Bergame. Elle s’en prend aussi à l’art contemporain qu’elle accuse d’être incompréhensible et déconnecté des “vrais” besoins des gens. La nomination de quelqu’un comme Vittorio Sgarbi (critique d’art mais surtout homme politique proche de Berlusconi et membre un temps de Forza Italia – ndlr) au poste de curateur du pavillon italien à la prochaine biennale de Venise relève de cette logique. C’est une honte pour l’Italie.”

bannis Des bannis ou des idiots, personnages stéréotypes extraits d’un jeu de tarot ou d’un mauvais western-spaghetti, tandis que l’artiste Seb Patane et son band Frontier jouent à l’arrière-plan (Chariot, Fool, Emperor, Force, 2009)

Paradoxe à l’italienne : en plein marasme, cette diaspora se retrouve aujourd’hui au cœur du nouveau paysage international de l’art contemporain. A l’image de la revue Kaleidoscope, gratuite et indépendante, italienne mais intégralement publiée en anglais, diffusée dans tout le monde de l’art, et qui s’est imposée en deux années à peine comme une plate-forme de la jeune scène internationale. Maisons d’édition, galeries, critiques d’art et une flopée de commissaires d’exposition : à tous les étages, une nouvelle génération, faite de connexions internationales, de stratégies individuelles mais aussi de solidarité effective, émerge et semble avancer tout ensemble. “La force de cette génération, c’est qu’elle n’est pas seulement italienne”, commente le curateur Francesco Manacorda, installé à Londres depuis 2001 et devenu depuis cette année le jeune directeur de la foire d’art de Turin, Artissima. Jeune, pointue, prospective, sérieuse comme toute cette scène artistique

Courtesy de l’artiste

manque de structures, de moyens, de musées, d’aides à la création

Courtesy de lʼartiste et galerie Maureen Paley, Londres

Max Tomasinelli. Courtesy Artissima

réflexion Installé à Paris depuis 2007, puisant une grande partie de son inspiration dans la littérature et la philosophie, Alex Cecchetti interroge la permanence des mythes, des récits et des icônes dans notre société actuelle (So Thin You Cannot Think of It (Apocalittica dello sguardo/Apocalyptique du regard), 2010)

aujourd’hui, la foire s’avère plus poussive cette année du côté des affaires : “La crise économique a débarqué un peu plus tard en Italie, commente Manacorda, mais elle est lente et profonde.” A côté des stands des galeries, et donc horscommerce, le directeur d’Artissima a fait installer une immense architecture tout en matériaux recyclés pour accueillir des expositions sur la danse, le cinéma ou la littérature : “C’est un musée éphémère et un peu rêvé, ouvert à toutes les disciplines et à leur mélange comme il n’en existe pas en Italie.” De quoi donner l’exemple. “En vérité, la situation a contraint les artistes italiens à adopter la stratégie du “Do it yourself”, commente Andrea Villani, le récent directeur de la Galleria Civica di Trento, l’une des rares institutions à parier sur l’art contemporain. Mais déjà dans les années 1980-1990, on a vu se développer des modèles d’autogestion alternatifs pour compenser le manque de structures.” Alessandro Rabottini souligne que “l’initiative de la plupart des projets ambitieux et défricheurs vient de

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Stefano Rellandini/Reuters

nt la tti et le lo 0)

fuck-off Enorme, la dernière œuvre de l’artiste Maurizio Cattelan adresse un antique salut romain à la Bourse de Milan et par extension aux traders de la finance mondiale. Mais les voleurs ont la main coupée : fuck

professionnels un peu singuliers mais jamais de l’Etat. Cette créativité individuelle représente d’ailleurs notre meilleur et pire avantage”. Comme plus personne n’attend rien de l’Etat, la cartographie des lieux d’art s’est décentrée et clairsemée : à Milan, les galeries privées les plus intéressantes ; à Turin, les institutions publiques ; à Rome, les fondations privées les plus fringantes (la Fondazione Giuliani et la Nomas Foundation) ; à de petites villes comme Bergame, Trente ou Modène, les espaces dédiés à des expos plus expérimentales et plus sophistiquées. Reste une autre particularité de la jeune scène artistique à laquelle le Magasin, à Grenoble, offre une pleine exposition : son goût marqué pour un art qui refuse résolument la fête et le spectaculaire. Tout cela a émergé avec la crise économique de 2008. Il faut dire qu’après vingt ans de téléthéo-gérontocratie berlusconienne et d’échecs politiques de la gauche, ces artistes semblent avoir pris le large, dans leurs vies comme dans leurs

œuvres. S’il faut chercher une dimension politique à leurs travaux, forts d’un repli sur soi et d’un réel intellectualisme, profondément influencés par le cinéma et l’esprit de Pasolini, c’est de manière éloignée, indirecte, à travers des attitudes et des formes plus subtiles que littérales. Comme ce bloc de confettis blancs posé à même le sol du Magasin par l’excellente Lara Favaretto : bloc dur et compact mais qui s’effrite avec le temps. Pas de miracle à l’italienne, pas de carnaval de Venise à attendre d’une pièce résolument froide. Pendant ce temps, un artiste plane au-dessus de l’Italie de tout son génie indécent : Maurizio Cattelan. En partant à New York très tôt, en jouant avec le marché de l’art de manière effrontée et quasi cynique, le plus intrépide des artistes italiens a donné l’exemple aux jeunes générations : fini le temps des groupes, place aux stratégies individuelles. Mais il est bien difficile de se placer sous sa tutelle, et l’on comprend que derrière lui les artistes explorent

d’autres voies qu’un art aussi provocant et spectaculaire. Sa dernière frasque, énorme, a encore fourni l’occasion d’un intense débat public. Cattelan a placé devant la Bourse de Milan la sculpture d’une immense main qui fait le salut romain. Mais les doigts sont coupés : il ne reste plus que le majeur au milieu de la main, tel un énorme “fuck” adressé aux traders milanais. A moins que l’œuvre ne dise au contraire à quel point la Bourse nous la met tous bien profond. Scandalisé, le directeur de la Bourse de Milan a demandé au maire le retrait de cette sculpture éphémère. Cattelan a proposé de l’offrir à la ville si la statue restait en place. Un cadeau empoisonné d’un million d’euros mais qui ne se refuse pas. Cattelan use de son pouvoir d’artiste et de sa valeur marchande pour imposer durablement sa sculpture prodigieusement infamante et critique dans l’espace public. Bravissimo ! Exposition Sindrome italiana jusqu’au 2 janvier 2011, au Magasin de Grenoble. www.magasin-cnac.org 17.11.2010 les inrockuptibles 61

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à eux les petits Francais ’

Ils sont français mais ont choisi l’anglais première langue pour leur folk, leur pop ou leur rock. Dans la foulée de Phoenix et Daft Punk, Cocoon, The Bewitched Hands ou Aaron prennent d’assaut le marché international. par Thomas Burgel

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ercredi 20 octobre 2010. Pendant que le Français pionce comme une souche dans son pays étriqué avant, le lendemain, de devoir se contenter de vidéos YouTube tremblantes d’émotion, un événement interplanétaire se déroule dans le gargantuesque Madison Square Garden de New York. Phoenix, désormais héros chez l’oncle Sam, sa femme et ses gamins, boucle sa tournée américaine. Fin du concert, rappel. Le groupe entame une mélodie bien connue des cinéphiles – le “ta da da da da” inventé par Spielberg pour sa Rencontre du troisième type, langage universel entre hommes (dans le film, Truffaut) et aliens (ce soir de concert, le public américain). Le son enfle, enfle, enfle, s’électronise, deux casques brillent sur scène : Daft Punk a rejoint ses copains pour un final à dresser les poils du plus morne des croque-morts. Le symbole est saisissant. Mais le triomphe des deux groupes français les plus connus au monde ne boucle aucune boucle : il renforce une tendance dessinée il y a déjà quelques années et montre le chemin étoilé à d’autres Phoenix en puissance. “Daft Punk, Air, Phoenix ou Cassius ont ouvert une voie pour beaucoup d’autres. Historiquement, ça correspond à l’époque où Emmanuel de Buretel, à la tête d’EMI, essayait de travailler les groupes de manière vraiment internationale, en y mettant les moyens. Plus tard, Nouvelle Vague est devenu énorme, Tellier a rempli le Henry Fonda Theater à Los Angeles, Yelle cartonne aux Etats-Unis, Emilie Simon s’est installée à New York et y marche aussi. D’autres, nombreux, commencent aujourd’hui à émerger, il y a désormais une demande”, explique Sylvain Taillet, directeur artistique chez Barclay. Mister Taillet connaît bien le sujet de la France qui s’exporte : constatant le début de frémissement, il a monté un festival à Los Angeles, le Ooh la L. A., qui ne présente que des productions tricolores. Des productions tricolores francophones, quelques-unes. Mais, surtout, une nouveauté : beaucoup de froggies ont décidé, très naturellement, de préférer l’anglais au français pour véhiculer leurs couplets et refrains, pour être enfin en phase avec leurs propres collections de disques. La balance commerciale de la France peut ainsi remercier la French Touch : elle fit le premier pas vers la fin d’un certain type de complexe vis-à-vis du reste du monde qui, soudainement, ne prenait plus la France que pour le pays de Gainsbourg (au mieux) ou de Johnny (au pire).

“à la limite du yaourt” Jen Maler/Retna Ltd

Le triomphe de Phoenix au Madison SquareG arden de New York

“Parce qu’elle se passait de textes, la vague électronique française a permis à pas mal de gens de sortir du carcan de la ‘chanson’, de l’obligation de discours”, expliquent les Rémois The Bewitched Hands, qui ont déjà sillonné 17.11.2010 les inrockuptibles 63

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les Etats-Unis et l’Angleterre avant même la sortie de leur premier et formidable album, Birds & Drums. “Certains de nos textes sont à la limite du yaourt, des trucs très barrés, ajoutent-ils. Mais les Anglo-Saxons se montrent très cools là-dessus, il y a un exotisme qu’ils ont l’air d’aimer.” Discours semblable du côté d’Aaron, qui depuis le triomphe de son premier album sillonne les routes de France, certes, mais surtout celles d’Europe : l’anglais est un espéranto moderne, la voix n’est qu’un instrument et un vecteur d’émotions avant de porter des messages. “On veut que le texte et la musique soient indissociables, explique Simon Buret, Français de cœur et Américain de père. Ma première fascination a été pour Nina Simone, puis Janis Joplin, chez qui je trouvais une vraie symbiose entre le texte et la manière musicale de le dire – c’est plus rare chez les Français, même si certains ont réussi. L’instrument, y compris la voix, doit illustrer le propos : je peux être profondément touché par des chants que je ne comprends pas. Pour la scène, l’anglais, en France, me protégeait. J’ai un trac énorme et j’étais content que tout le monde ne comprenne pas ce que je disais.” Propos, une fois de plus, très similaires du côté de Cocoon, autres Français à langue anglaise, partis plus tôt que les autres voir ailleurs si the grass était plus green. “C’est beaucoup plus dur, la critique est plus rude quand tu chantes en français, expliquent les auteurs du récent Where the Oceans End. Je ne me voyais pas arriver après Gainsbourg…” “Quand tu écoutes Lennon et McCartney toute ta vie, tu as envie de chanter comme eux”, ajoute Marc de Cocoon. La différence s’est également faite ici. Fini les cours d’anglais collé au radiateur, à se foutre de quiconque essaie de dire “where is Ben ?” plutôt que “ouairizebène ?” devant ses camarades. Certes, le niveau global n’a pas vraiment évolué vers le bilinguisme mais l’exposition à la langue anglaise a, ces dernières années, été totalement bouleversée. L’apparition des DVD et des chaînes numériques, donc de la version originale, et l’explosion du téléchargement ont notamment permis de s’arracher aux répétitions scolaires pour s’imposer comme une nécessité quotidienne. “Télécharger Lost en anglais pour voir les épisodes dès leur passage, sans les sous-titres, ça a mine de rien été très important pour moi”, explique Marc.

et Michel Sardou ? Les jacquestoubonistes auront beau jeu de hurler à la mort de la belle langue de la nation d’Hugo, du grand Charles, de Barbara et de Michel Sardou. Sans doute n’ont-ils pas tout à fait tort ni tout à fait raison. “On doit défendre une certaine forme de chanson française, élégante, à texte, explique Sylvain Taillet. Il ne faut pas oublier le marché français : les deux plus gros succès en France des dernières années, chez Barclay,

Alexandre Guirkinger

“quand tu écoutes Lennon et McCartney toute ta vie, tu as envie de chanter comme eux” Cocoon

Cocoon et son songwriting en or

sont Renan Luce et Cœur De Pirate, qui chantent en français – et ils vendent beaucoup plus de disques que Charlotte Gainsbourg, tous pays confondus. Le rock à la française et en français, je pense notamment à Deportivo ou Eiffel, a aussi tendance à s’évaporer, alors qu’il a souvent quelque chose d’unique à apporter. C’est un vrai défi que de mettre du français en musique, c’est un exercice créatif difficile et les jeunes font moins l’effort de le tenter.” La défense de la langue française en chanson – qui d’ailleurs se porte bien merci pour elle, demandez aux Québécois – ne doit en revanche pas castrer toute tentation de l’universel. Le système des quotas, porté par une loi qui impose aux diffuseurs 40 % de chansons en français et a été, rappelons-le, responsable en grande partie de l’immonde tsunami de boys bands (pardon, de groupes de garçons), complique les choses pour tout le monde. Le même Sylvain Taillet : “Tant qu’on gardera un système de quotas, qui se fonde sur la langue française mais ne prend pas en compte les productions françaises comme Feist ou Gonzales, ça restera compliqué pour un groupe qui chante en anglais de fonctionner en France. C’est absurde : on en arrive à demander à Placebo ou à Nada Surf de faire une reprise d’un morceau en français pour entrer en radio. On peut vouloir défendre la culture française, mais pour la faire briller dans le monde, il faut aussi aider la production française en général, quelle que soit la langue. Près de 90 % des

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Mélanie Elbaz

“les quotas, c’est comme limiter la peinture à trois couleurs” Aaron

maquettes que je reçois sont chantées en anglais : ça a beaucoup évolué ces dernières années.” La quasi-totalité des maquettes en anglais ? L’évolution réside ici : les ambitions des jeunes Français sont à la hausse. “Le français, il faut être clair, ça te permet d’aller en Belgique, en Suisse et au Canada, explique Marc de Cocoon. On assume l’ambition d’aller dans le monde entier, même si on peut le percevoir comme de l’arrivisme – perception qui n’existe pas ailleurs qu’en France. Il y a un complexe vis-à-vis de ça.”

singularité avant tout Et ça marche, ça marche même bien. La France s’exporte, la France est aimée. Pas simplement parce qu’elle chante en anglais mais également parce que, quelle que soit la langue, elle est française. “Même si j’écris parfois en français, qu’on joue des morceaux francophones sur scène, il serait dommage de s’accrocher de cette manière à la langue, expliquent presque en cœur Simon et Olivier d’Aaron. Les groupes d’ici qui chantent en anglais portent aussi quelque chose qui n’appartient qu’à la France, ça ne gomme pas tout. Les quotas, c’est d’une certaine manière comme limiter la peinture à trois couleurs ou à deux styles…” Même propos chez Sylvain Taillet : “Davantage que la langue, ce qui compte surtout, c’est la singularité des artistes : il n’y a pas vraiment de dénominateur commun entre tous ces groupes français qui s’exportent, sinon qu’ils ne miment pas ce qui se fait ailleurs. Les Français qui chantent en anglais entrent en concurrence avec le monde entier : il faut sortir du lot, proposer des choses atypiques pour réussir à se faire un nom ailleurs qu’en France et attiser la curiosité.” Une personnalité suffisamment curieuse pour mettre le monde à l’envers. A l’instar d’un Yann Tiersen, qui s’est définitivement tourné vers l’extérieur en signant avec les labels Mute en Europe et Anti aux Etats-Unis, ou à l’exemple du carton critique du groupe 1973 en Grande-Bretagne, des labels anglosaxons se mettent aujourd’hui à faire leur marché, en pleine confiance, chez les groupes français. Pourtant à la tête d’un label on ne peut plus anglais (Parlophone, maison mère de Coldplay, Blur ou The Beatles), Miles

Vanessa Filho

The Bewitched Hands : une tournée en Angleterre et aux Etats-Unis avant même la sortie de leur premier album

Aaron, entre la littérature de Cormac McCarthy et les expérimentations de Thom Yorke

Leonard est prêt pour cette nouvelle distribution des rôles. “Il n’est plus question de savoir si nous allons signer un jour un artiste français sur Parlophone, mais quand nous allons le faire. Historiquement, il y a un gros déficit. Mais depuis Phoenix ou Daft Punk, la balance se rééquilibre. Il ne s’agit plus de cas isolés. La pop-music s’est globalisée, les groupes pensent immédiatement aux possibilités internationales car ils dialoguent avec des promoteurs, des radios sur internet. Les Suédois ont très vite compris qu’il n’y avait aucun espoir avec leur propre marché : on ne compte plus aujourd’hui les songwriters et les producteurs suédois qui cartonnent dans le monde entier. La France a longtemps regardé à l’intérieur de ses frontières. Cette époque est révolue : il fallait juste que quelques artistes lèvent la barrière.” La journaliste anglaise Fiona Sturges assiste elle aussi, en direct de ses colonnes de The Independent, à la chute inexorable de l’empire anglo-saxon. “Pendant des décennies, on s’était partagé le monde du rock et de la pop entre Américains et Anglais… On vivait sur les clichés de nos parents, de nos grands-parents : le reste du monde nous était forcément inférieur… Soudain, on se retrouve à interviewer Air et on se rend compte que la roue a tourné, que même la pop-music, l’ultime joyau de la couronne, n’est plus un acquis, plus notre exclusivité.” Cocoon Where the Oceans End (Barclay/Universal) Aaron Birds in the Storm (Cinq7/Wagram) The Bewitched Hands Birds & Drums (Savoir Faire/Sony Music)

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My Joy de Sergueï Loznitsa Première fiction d’un grand documentariste russe. Un film noir sinueux, hyperviolent et totalement original.

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y Joy est le prolongement dans la fiction du dernier documentaire de Loznitsa, Lumière du Nord, sur deux familles campagnardes du nord de Saint-Pétersbourg ; le long travelling avant à travers le pare-brise d’une auto fonçant sur la route enneigée préfigurait le caractère paysager et itinérant de My Joy. Si on n’y trouvait pas les mêmes séquences extrêmes, le cinéaste y décrivait déjà le délitement moral de la Russie, dont il fait ici le moteur d’un étrange récit à tiroirs. Donc, si Loznitsa se lance dans la fiction, elle est nourrie par dix ans de pratique documentaire à travers l’ex-Union soviétique. Enchevêtrant digressions et flash-backs, le film, qui raconte quasiment la même histoire plusieurs fois – l’agression brutale d’un homme, qui sera ensuite dépouillé de ses biens –, donne l’idée de ce qu’aurait pu être une adaptation de La Route de Cormac

McCarthy transposée de nos jours, pas dans un futur apocalyptique. L’essentiel du film se déroule en Russie (ou plutôt en Ukraine du Nord, ce qui ne change pas grand-chose). Une bonne partie des acteurs sont des nonprofessionnels, que le cinéaste a castés comme il castait les personnages de ses précédents documentaires… Quant au titre, c’est évidemment un anti-titre ironique (c’est un peu la mode). Selon le cinéaste, c’était presque involontaire. Il explique qu’au départ il voulait “faire un film d’amour, mais comme ça arrive fréquemment avec les Russes, quel que soit votre projet, vous finissez avec une Kalachnikov”. Malgré ce titre, les intentions sont claires dès le générique, où un homme mort ou inconscient est coulé dans le béton. Image reprise sur l’affiche, qui rappelle les gisants de Pompéi (comme si la Russie avait été frappée par une catastrophe invisible). Au-delà de cette

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raccord

Jackass & Co Tour d’horizon de quelques idiots magnifiques.

le réalisateur La Colonie (2001) Premier long métrage de Sergueï Loznitsa : un documentaire sur une communauté paysanne intégrant des malades psychiatriques. Paysage (2003) Suite de lents panoramiques à 360 degrés où l’on passe insensiblement de la campagne à la ville, jusqu’à un arrêt de bus où une foule attend. Revue (2008) Montage virtuose de films d’actualités soviétiques des années 1950-1960.

vision de violence et de prédation en Russie, presque à travers les âges, puisque certains flash-backs ont lieu pendant la Seconde Guerre mondiale, et au-delà de son côté fable ou légende urbaine, le film tire sa force de son substrat documentaire. Choix des lieux, choix, surtout, des personnages et figurants, dont la rugosité éclatante est aux antipodes des acteurs de métier. Aspect magnifié par le filmage, toujours extraordinaire chez Loznitsa qui, avec Sokourov, Kosakovsky et Dvortsevoy, est un des grands documentaristes russes du moment. Son sens du paysage se retrouve également dans les trognes de ces gens (voir la séquence du marché), des surfaces accidentées, usées, ruinées. En plus de cette science graphique et humaine, il y a le jeu singulier avec la narration. Elle est arborescente. My Joy est le contraire d’un récit linéaire, mais conserve un fil rouge : le parcours chaotique d’un jeune camionneur qui sera agressé

les enfants, et eux seuls, semblent voir, regarder, questionner ce monde fondé sur la survie bestiale

et s’égarera dans la Russie profonde, au point de se perdre corps et bien, physiquement et psychiquement. Métamorphose radicale. Sur sa route, le film prend des chemins de traverse pour suivre certains personnages secondaires, qui vont vivre ou revivre leurs propres histoires de violence. Comme si la partie et le tout étaient semblables, comme si à chaque niveau, à chaque strate de l’histoire russe, à l’échelle macro ou microcosmique, on retrouvait éternellement le même processus. Dans ce tableau, seuls se détachent les enfants, non pas innocents et victimes, mais avant tout témoins et parfois acteurs (cf. la fillette prostituée, qui renvoie un reflet déformé et mécanique de l’enfer des adultes). Eux seuls semblent voir, regarder, questionner ce monde fondé sur la survie bestiale. Sergueï Loznitsa est dans la même ligne que les nouveaux cinéastes russes – comme Zvyagintsev ou Fedorchenko (le récent Voyage de Tanya) –, qui montrent que la désocialisation a succédé à la désoviétisation, mais il les surpasse grâce à son travail baroque sur la narration et son jeu virtuose avec le réel. Vincent Ostria My Joy de Sergueï Loznitsa, avec Viktor Nemets, Olga Shuvalova (Ukr., 2010, 2 h 07)

Jackass 3D est le troisième épisode d’un phénomène d’abord apparu sur MTV sous la houlette de Spike Jonze (producteur), Jeff Tremaine (réalisateur) et Johnny Knoxville (acteur et leader de la joyeuse bande de Jackass, originaire du Tennessee), puis transposé sur grand écran avec la même équipe. Jackass est l’héritier postmoderne de la culture white trash, entre Erskine Caldwell et Les Trois Stooges. Au-delà de son apologie totalement régressive de la scatologie et de sa compilation hilarante de cascades improbables et de blagues débiles, Jackass 3D est l’expérience cinématographique la plus sympathique de ces derniers mois. Le programme de Knoxville et de ses potes est d’opposer à la sophistication et à la pyrotechnie numérique des blockbusters actuels une forme d’énergie brute, zygomatique, exprimée par des actions privées de sens, inutiles et dangereuses. Jackass 3D illustre jusqu’à l’absurde une forme archaïque de croyance dans l’enregistrement filmique où le trucage est banni. Proche de l’art brut, Jackass est la manifestation ultime de l’idiotie au cinéma, mélange de pratique artisanale, de provocation et de performances physiques où les corps se plient aux pires outrages, entre gamelles monstrueuses, sévices volontaires et chocs frontaux avec des animaux féroces. C’est aussi un mode de vie, une expérience communautaire et joyeusement punk qui n’est pas sans postérité. La géniale entreprise de destruction Trash Humpers (2009) d’Harmony Korine, toujours inédite en France, est une version arty de Jackass, dans laquelle l’enfant terrible du cinéma US et ses amis grimés en vieillards lubriques font les quatre cents coups dans Nashville. Dans l’excellent premier film Tilva Ros (2010), chronique de la vie de jeunes skateurs serbes, le réalisateur Nikola Lezaic a découvert sur le net ses jeunes acteurs en train de faire des cascades sur le mode Jackass dans la souriante ville de Bor.

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Red de Robert Schwentke avec Bruce Willis, Helen Mirren (E.-U., 2010, 1 h 51)

Inside Job

de Charles Ferguson Un documentaire à charge sur les ravages causés par la haute finance. Solide et instructif.

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es mois de septembre à New York sont meurtriers. 2001, le World Trade Center s’écroule sous les assauts des kamikazes d’Al-Qaeda. 2008, Wall Street s’effondre sous les assauts des kamikazes de la finance et de la politique américaines. Ces kamikazes américains sont d’un genre très particulier : ils tuent des sociétés et des économies entières mais eux s’en sortent indemnes, mieux (ou pire), en empochant des montagnes d’or. C’est cette hallucinante escroquerie au plus haut niveau que décrit et décrypte Inside Job, depuis sa genèse en 1980, quand Ronald Reagan est élu président et ouvre les vannes de la dérégulation, jusqu’à aujourd’hui et l’après-faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers. On connaissait le tableau général : en supprimant les règles régissant les flux économiques et financiers, le néolibéralisme a bâti des cathédrales fiduciaires virtuelles qui ont profité à une infime minorité (banquiers et politiciens du sommet) tout en détruisant des pans entiers de l’économie réelle aux Etats-Unis et dans le monde. Inside Job présente ce tableau complexe avec une clarté impressionnante, tout en nous révélant une foule de détails croustillants (et flippants). Par exemple, des institutions financières ont sciemment vendu à leurs clients des tonnes d’actifs pourris, sans les informer.

Des pdg ont cyniquement parié contre leurs propres boîtes, atterrissant avec des parachutes certifiés platine quand celles-ci faisait faillite. La navette Washington-Wall Street fonctionne à plein dans les deux sens, emplissant les poches des heureux voyageurs (Ben Bernanke, Tim Geithner, Hank Paulson, Larry Summers…) à chaque aller ou retour, et ça continue sous Obama. La haute finance est devenue une addiction, la drogue la plus dangereuse du monde. Inside Job s’inscrit dans la veine de récents docus comme Une vérité qui dérange d’Al Gore et Davis Guggenheim ou Let’s Make Money d’Erwin Wagenhofer : sans inventer une esthétique documentaire marquante, leur pédagogie des rouages de notre monde est remarquable. Du Michael Moore sans le sentimentalisme, l’ego et la gaudriole. Diplômé du Massachusetts Institute of Technology, consultant multiple, le réalisateur Charles Ferguson n’est pas un gauchiste exalté mais un pur produit de l’excellence américaine. Quand les fils de l’élite US nous disent que les fondements de leur royaume sont pourris, il faut tendre l’oreille et s’inquiéter. Inside Job montre que notre civilisation est mortelle. Pire, qu’elle est peut-être déjà morte, assassinée par la trahison cupide de ses leaders.

Un retraité de la CIA reprend du service. Oui, mais en petite forme. Si Tom Cruise est un as du snow-board, Bruce Willis serait plutôt, lui, un adepte du ski de fond : fatigue, souffrance et abnégation ont toujours été ses marques de fabrique, même lorsqu’il était jeune. A 55 ans, que peut-il encore faire pour ne pas paraître se répéter ? Le pari d’en faire ici, aux côtés d’has been tels que Morgan Freeman, John Malkovich ou Ernest “Wild Bunch” Borgnine (pourquoi pas ?), un agent de la CIA, “retraité extrêmement dangereux”, ironique et incassable, a tout de la fausse bonne idée. On comprend mieux dès lors ce qui faisait la réussite de Night and Day, dans le genre “superespion kidnappe jeune fille innocente”. Tandis que James Mangold, en artisan consciencieux, se laissait porter par les boots supersoniques de Tom Cruise, le tâcheron Robert Schwentke (Fligh Plan, Hors du temps) tente de mener le train avec de pauvres effets de mise en scène, derrière lesquels Willis se traîne sur ses raquettes, ni fatigué ni fringant : juste las. Bel et bien cassé, le Bruce. Jacky Goldberg

Serge Kaganski Inside Job de Charles Ferguson, commentaire dit par Matt Damon (E.-U., 2010, 1 h 40)

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L’Envol de René Bo Hansen avec Bazarbai Matei, Asilbek Badelkhan (Suè., All., 2009, 1 h 27)

Cheminots de Luc Joulé et Sébastien Jousse (Fr., 2010, 1 h 21)

La pulvérisation par le libéralisme des conditions de travail des cheminots, dans un passionnant documentaire. En ces temps – pas vraiment nouveaux mais particulièrement critiques – de grèves, de régression sociale et professionnelle, Cheminots arrive à point nommé, comme une piqûre de rappel du gouffre qui se creuse progressivement, souvenir d’un temps pas si lointain où les conditions de travail des cheminots étaient ancrées dans une réalité beaucoup plus concrète, cohérente et humaine. Rappel de ce qui se détériore sur le plan relationnel, matériel et logistique au fil du processus de privatisation du réseau ferroviaire et ne se regagne visiblement jamais à l’échelle des travailleurs. Réalisé dans le cadre d’une résidence d’artistes à l’initiative du Comité d’établissement cheminots Paca, ce documentaire de Luc Joulé et Sébastien Jousse nous parle avant tout d’un monde perdu. Ouvrir le film dans le lieu symbolique de la gare de La Ciotat, projeter sur un mur la célèbre vue des frères Lumière, pouvaient relever de l’image d’Epinal platement illustrative. Or ce parti pris passe, parce qu’il pointe le devenir spectral d’une histoire forte, celle d’une corporation particulièrement soudée, très attachée au service public et à la culture syndicale, et par certains aspects exemplaire. Que reste-t-il à filmer quand la chaîne professionnelle est fragmentée, pour ne pas dire cassée, par le système libéral ? Une réalité de plus en plus fantomatique, totalement virtuelle. De plus, ces premières images projetées témoignent de la dimension hautement symbolique de la profession de cheminots et de l’activité des gares : l’arrivée du train provoque ni plus ni moins la mise en mouvement de la société, une mise en “Lumière” loin d’être anodine. Bien qu’un poil scolaire (pour l’aspect historique) et éparpillé (les témoignages sont nombreux donc trop courts), le film passionne en établissant des constats et des pistes de réflexion qui dépassent le réseau ferroviaire et résonnent inévitablement avec un champ professionnel bien plus vaste. Amélie Dubois

Les mésaventures d’un ado mongol et de son aigle. Un adolescent nomade de Mongolie qui veut rejoindre son frère à Oulan-Bator, la capitale, se lance à l’aventure par monts et par steppes. Cela fait quelque temps qu’on voit fleurir ce type de fiction exotico-ethnographique principalement destinée aux enfants et produite par des Occidentaux (exemple récent : Loup de Nicolas Vanier). Le concept, inauguré par le grand Robert J. Flaherty, n’est pas nouveau, mais donne souvent des résultats mitigés. On est comblé par la vérité des personnages et la pureté des décors, moins par le récit, qui accumule les rebondissements romanesques sans les étayer ni les approfondir. Vincent Ostria

Boogie de Gustavo Cova (Arg., 2009, 1 h 23)

Cartoon argentin jouant sans raffinement avec les clichés du polar américain. Ce nouveau dessin animé argentin ne réédite pas la divine surprise de Mercano le Martien de Juan Antin il y a quelques années. Ici, on tombe dans la convention américanolâtre de la parodie policière, suffisamment caricaturale, voire joliment trash par endroits, mais émaillée de clichés d’une insondable banalité sur l’âge d’or du gangstérisme. Soit l’aventure dégoulinante (de sang), au graphisme sans style, d’un tueur à gages patibulaire et macho au dernier degré qui protège une entraîneuse, témoin dans un procès criminel. Ce n’est pas Certains l’aiment chaud mais “Certains l’aiment lourd”. V. O. 17.11.2010 les inrockuptibles 71

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La Famille Jones de Derrick Borte avec David Duchovny, Demi Moore (E.-U., 2009, 1 h 36)

The Lodger d’Alfred Hitchcock Hitchcock première période, anglaise et muette. Déjà saisissant formellement.



longer un homme dans l’épreuve de la culpabilité, plonger une femme dans l’épreuve du plaisir coupable : ce double programme qui sera celui de ses films américains, Hitchcock l’expérimente déjà dans son troisième film, muet, tourné en 1926 alors qu’il est encore en Grande-Bretagne. Le personnage de Jack l’Eventreur en fournit lointainement la trame. A Londres, un serial-killer tue exclusivement de blondes jeunes femmes, signant ses crimes du nom du “Vengeur”. Très vite, il attire l’attention : d’une élégance déplacée, il est la proie de phobies qui le rendent rapidement louche. La jeune fille de la pension s’amourache de lui tandis que le fiancé de cette dernière, un policier, s’acharne à prouver sa culpabilité. Dans le rôle de la femme qui préfère frôler le danger plutôt qu’être sauvée, la toute frêle June. Dans le rôle du premier faux coupable de la filmographie hitchcockienne, Ivor Novello, totalement atypique dans le cheptel d’acteurs du cinéaste, qui préférera bientôt des acteurs nonchalants (Cary Grant) ou dont l’intelligence le dispute à la névrose (James Stewart). Ivor Novello était une star à l’époque, compositeur à succès de chansons avec un physique de jeune premier, brun aux yeux ardents et au teint d’albâtre. Il était aussi, nonobstant son statut de séducteur,

officiellement homosexuel et engagé en ce sens. Curieusement, il fera le remake parlant (dans un film de Maurice Elvey) de ce rôle de faux serial-killer quelques années plus tard. Il apporte quelque chose d’excessivement littéraire à son personnage, le drapant dans de funestes volutes promptes à hypnotiser les jeunes filles, sans la dimension sarcastique des séducteurs américains qui s’interdiront toute pâmoison. Le romantisme XIXe siècle de Hitchcock, encore présent dans la période anglaise, se fera plus enfoui dans sa période américaine, mais suffisamment tenace (les flash-backs de Rebecca ou de L’Auberge de la Jamaïque, les chevauchées de Marnie, l’océan dans Vertigo) pour faire pendant à la perversité si célébrée de l’auteur. L’économie visuelle du film impressionne par sa manière d’ordonner un nombre réduit et significatif de décors (l’escalier de la pension par exemple, avant-écho de ceux de Psychose et des Enchaînés), la grammaire saisissante du découpage, l’angoisse diffuse de l’ambiance, le resserrement paranoïaque du monde. La période américaine apportera une incarnation souple et un humour supplémentaires. Axelle Ropert The Lodger – A Story of the London Fog d’Alfred Hitchcock, avec Ivor Novello, June (G.-B., 1926, 1 h 13, reprise)

Un bon acteur perdu dans une comédie ratée. Une famille (trop) parfaite s’installe dans un voisinage fortuné, dont elle devient vite la coqueluche, à tel point que les gens veulent tous utiliser les mêmes produits qu’elle. Malgré cette idée séduisante et plus réaliste qu’il n’y paraît, et passées les vingt premières minutes intrigantes, La Famille Jones rate à peu près tout : comédie, romance, message politique. Trop cynique ou pas assez, le débutant Derrick Borte, à l’instar de Jason Reitman (champion de la contestation creuse avec Thank You for Smoking ou In the Air), se trouve pris au piège de son manège vide et bien trop luisant, duquel le génial David Duchovny parvient toutefois, de temps à autre, à faire un joli coucou. Jacky Goldberg

Mon babysitter de Bart Freundlich avec Catherine Zeta-Jones (E.-U, 2008, 1 h 34)

La Zeta-Jones croque du jeune scout après trois ans loin des écrans. Fallait-il que la belle Catherine Zeta-Jones soit désespérée, après trois années loin des écrans, pour se compromettre dans une comédie romantique aussi navrante. Intitulé ironiquement The Rebound, le film raconte par le menu l’histoire d’amour entre une femme mûre divorcée et son jeune baby-sitter (Justin Bartha, un acteur dont le sourire donne instantanément envie de relire tout Cioran), accumulant les clichés avec le volontarisme d’un boy-scout la braguette ouverte. Seul élément “original” sur cette photo de famille embarrassante : une inclination quasi jackassienne pour le vomi et le caca, qu’on mettra sur le compte d’une trop grande absorption de Bledina. J.Go.

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A Brighter Summer Day

l’outsider magnifique Un livre puis une rétrospective ramènent à la lumière l’œuvre puissante d’Edward Yang, cinéaste taiwanais contemporain de Hou Hsiao-hsien, disparu en 2007. ur la même ligne de départ que à la réalisation dans l’âge adulte dans Hou Hsiao-hsien : c’est en général les années 80. Le film est salué ainsi qu’on présente Edward Yang, à juste titre comme un chef-d’œuvre. Mais cinéaste décédé en 2007 à presque curieusement, alors que les années qui 60 ans, qui tourna peu – seulement suivent marquent l’explosion commerciale sept longs métrages. Pour beaucoup, du cinéma asiatique en Occident (John Woo, sa découverte en France date de 1992 Kitano, Tsai Ming-liang, Wong Kar-wai...), avec la sortie de son quatrième film, le cinéma de Yang reste à la traîne. A Brighter Summer Day. Cette fresque Le délicat Confusion chez Confucius de quatre heures (amputée à l’époque est boudé à Cannes en 1994. Son film par les distributeurs français) retrace, avec Virginie Ledoyen, Mahjong, n’est même à travers quelques trajets individuels pas distribué en France. Et en 2000, entrelacés, le parcours d’une génération, quand le succès vient enfin avec Yi-Yi, de l’adolescence dans les années 60 c’est presque trop tard.

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Ensuite vient l’exil à Hollywood, l’impossibilité de mener à bien un nouveau film, puis la mort d’un cancer, tandis que son œuvre devenait de plus en plus difficilement visible (pas d’édition DVD, ni ressorties en salle). La rétrospective Edward Yang, à partir du 8 décembre à la Cinémathèque française, est donc un événement cinéphilique de premier plan. En teaser, un livre paraît, intitulé sobrement Le Cinéma d’Edward Yang. L’ouvrage combine essai critique et présentation de documents. D’abord, Jean-Michel Frodon analyse avec méthode et rigueur, film après film, l’inscription de l’œuvre dans l’histoire contemporaine de Taiwan, sa dimension de critique politique, la nouveauté de ses propositions esthétiques (avec sa figure de romancière, peut-être en train d’inventer ce qu’on voit, Le Terroriste serait une déconstruction sans précédent dans le cinéma taiwanais de la représentation cinématographique). La seconde partie est une élégante mosaïque de dessins d’Edward Yang et de documents de tournage. La troisième enfin est une sélection de témoignages et de réflexions sur son cinéma, signés par des cinéastes (Assayas, Scorsese, Jia Zhangke) ou de grands connaisseurs du cinéma asiatique (Pierre Rissient, Tony Rayns...). Jean-Marc Lalanne Le Cinéma d’Edward Yang de Jean-Michel Frodon (Editions de l’Eclat), 226 pages, 22 €

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en salle Chéries-Chéris Le Forum des images poursuit cette semaine son festival de films LGBT, dont le jury est présidé cette année par la comédienne Pascale Ourbih. Les longs métrages proposés par cette 16e édition, fictions et documentaires venus du monde entier, sont des œuvres importantes et engagées, à l’image du film de Voto et Hélène Barbé, Le Gai tapant, consacré à l’intellectuel militant Jean Le Bitoux. Des débats seront organisés autour des thématiques “droits humains” et “postféminisme”. Jusqu’au 21 novembre Chéries-Chéris, festival de films gays, lesbiens, trans et ++++ de Paris, Forum des images, Paris Ier, www.forumdesimages.fr

hors salle vol au-dessus de Jack Nicholson Après avoir consacré un livre à Clint Eastwood, le biographe américain Patrick McGilligan publie un pavé fort documenté sur Jack Nicholson. L’auteur trouve un juste équilibre entre la vie privée et la carrière de l’acteur aux prestations délirantes, du patient masochiste de La Petite Boutique des horreurs (1960) jusqu’au criminel imitateur de rat des Infiltrés (2006). Il dévoile aussi le “secret de famille” de l’acteur phare du Nouvel Hollywood, élevé par sa grand-mère en croyant que c’était sa mère, tout en prenant celle-ci pour sa sœur. De quoi trouver l’inspiration pour toute une carrière. Jack Nicholson de Patrick McGilligan (Nouveau monde), 624 pages, 24 €

autres films Magma de Pierre Vinour (Fr., 2010, 1 h 38) Ce n’est qu’un début de Jean-Pierre Pozzi et Pierre Barougier (Fr., 2010, 1 h 42) Fix Me de Raed Andoni (Fr., Sui., Pal., 2010, 1 h 38) Le Village des ombres de Fouad Benhammou (Fr., 2010, 1 h 43) No et moi de Zabou Breitman (Fr., 2009, 1 h 45) Opérations 118 318, sévices clients de Julien Baillargeon (Fr., 2010, 1 h 26) L’Etranger en moi d’Emily Atef (All., 1 h 39, 2008) Dernier étage, gauche, gauche d’Angelo Cianci (Fr., 2010, 1 h 33) Mother and Child de Rodrigo Garcia (E.-U., Esp., 2008, 2 h 05) Vaterspiel (Œdipe, le jeu) de Michael Glawogger (E.-U., All., Aut., 2008, 1 h 57) Le Pacte du mal d’Oskar Santos (Esp., 2009, 1 h 42) La Tentation de Potosi de Philippe Crnogorac (Fr., 2010, 1 h 06) Al’lèèssi, une actrice africaine de Rahmatou Keïta (Fr., Nig., 2005, 1 h 09) Création de Jon Amiel (G.-B., 2009, 1 h 48)

Bob le flambeur (1956)

Melville, l’étoile polar Maître unique du film noir français, auteur du Deuxième Souffle et du Samouraï, Jean-Pierre Melville revient en force.

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n coffret DVD, un livre et une rétrospective à la Cinémathèque française : novembre est le mois de Jean-Pierre Melville (1917-1973), né Grumbach, résistant, cinéaste. L’ouvrage publié chez Yellow Now, recueil d’essais critiques, est excellent. Des débuts fracassants du jeune franc-tireur avec Le Silence de la mer (1949), produit et mis en scène en dehors de toutes les règles corporatistes et techniques du cinéma français d’alors, jusqu’aux chefs-d’œuvre maniéristes de la fin, Riffs pour Melville analyse l’art et les obsessions du cinéaste. Ses auteurs ont le bon goût de définitivement réévaluer l’ultime film de Melville, Un flic (1972), conclusion logique d’un cheminement vers l’onirisme, l’abstraction et le fétichisme.

Bob le flambeur (1956) est la première et magnifique incursion de Melville dans l’univers de la pègre parisienne. “Un vieux jeune homme, figure déjà légendaire d’un passé récent”, “une belle gueule de voyou” : c’est ainsi que nous est présenté Bob le flambeur, par le commentaire mi-ironique, mi-nostalgique qui ouvre le film, dit par Jean-Pierre Melville. Après ses adaptations de Vercors et des Enfants terribles (1950) de Cocteau, Bob le flambeur est le premier scénario original de Melville, nourri de son amour du cinéma américain mais aussi de sa vie de noctambule et de ses mauvaises fréquentations. Le cinéaste s’identifie à son héros vieillissant, joueur invétéré qui arpente le Montmartre de l’après-guerre comme un

seigneur ses terres, admiré par ses pairs, respecté par la police, gardien de la morale du milieu, en voie de disparition. Bob est le premier bandit dandy de la filmographie de Melville. Il y en aura beaucoup d’autres, mais jamais d’aussi nobles. Tourné sans argent, avec de nombreux plans filmés dans la rue, Bob le flambeur annonce la Nouvelle Vague, et particulièrement A bout de souffle. Il contient le plus beau personnage féminin de l’œuvre de Melville. Le cinéaste dresse le portrait étonnant d’une jeune fille amorale qui passe de lit en lit avec une indifférence et un flegme inhabituels dans un film de l’époque. Isabelle Corey, 15 ans et demi au moment du tournage, découverte dans la rue par le cinéaste, offre sa morgue de débutante au cinéaste amateur de femmes et amoureux des

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Yves Montand dans Le Cercle rouge (1970) Catherine Deneuve et Alain Delon dans Un flic (1972)

hommes. Elle possède sans doute le premier corps et le premier phrasé modernes du cinéma français. Avec Le Doulos (1962), Melville dégraisse un roman de la Série noire de Pierre Lesou du folklore de la pègre (l’argot notamment, sauf pour le titre : “doulos” désigne un chapeau mais aussi un indic) pour imposer sa propre mythologie, déjà ébauchée dans ses précédents films policiers. Tandis que Bob le flambeur s’apparentait à l’étude de mœurs et Deux hommes dans Manhattan (1959) au reportage, Le Doulos est le premier vrai polar melvillien. La façon dont Melville utilise Belmondo en le débarrassant de son cabotinage précoce est admirable, inspirée par l’underplay des acteurs hollywoodiens. Le jeu de Belmondo annonce l’opacité brutale de Lino Ventura dans Le Deuxième Souffle (1966), titre majeur de la filmographie de Jean-Pierre Melville, qui procède à une synthèse parfaite des éléments contenus

dans ses polars précédents, et annonce l’épure stylistique de la trilogie en couleur avec Alain Delon. Le Deuxième Souffle supprime les détails pittoresques attachés à la description de la pègre et récuse l’idée de réalisme. La notion de morale, si importante chez les gangsters, est bafouée tout au long du récit, rythmé par les mensonges et les doubles jeux. Gu (Lino Ventura) est dénué du charme romantique des bandits. Il est mû par son instinct de survie et ne connaît que le règne de la violence et de la fuite. Melville ne se livre à aucune apologie du gangstérisme, mais il s’identifie à des hommes qui vivent hors du monde et de toute contingence sociale. Paul Meurisse interprète le plus beau personnage de flic de toute l’œuvre de Melville. La séquence où il reconstitue en présence de témoins l’échange de coups de feu survenu dans un bar, tournée en un seul plan, constitue un morceau

d’anthologie représentatif de la maîtrise technique et narrative du cinéaste. Le Samouraï est une autre étape décisive. La rencontre entre Melville et Delon, tueur à gages à la tristesse minérale, donne naissance à une œuvre désincarnée, une épure de film noir. Le minimalisme de l’action s’accompagne d’une stylisation extrême des costumes (l’imperméable et le chapeau de Delon) et des décors (des rêves de commissariat et de night-club). Les deux titres suivants avec Delon, Le Cercle rouge (1970) et Un flic, poursuivront cette approche fantasmatique du cinéma et des stars masculines. Car ces trois films sont aussi un écrin amoureux pour l’icône Delon, silhouette frigide et opaque obsédée par la mort. Olivier Père DVD Coffret 6 films (Studio Canal, environ 30 €) Livre Riffs pour Melville, par Pierre Gabaston et Jacques Déniel (Yellow Now), 207 p., 22 € Rétrospective intégrale jusqu’au 22 novembre à la Cinémathèque française 17.11.2010 les inrockuptibles 75

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feu à volonté Pyrotechnique et futuriste, un jeu de tir à la japonaise au premier degré, dont la légèreté assure la réussite.

 L concert en avant la musique Un an après, VideoGamesLive est de retour le 17 décembre au palais des Congrès de Paris. Au programme : une nouvelle sélection de musiques de jeux vidéo (Mario ? Metal Gear Solid ? Halo ?) interprétées sur scène par un grand orchestre et une multitude de surprises concoctées par le maître de cérémonie Tommy Tallarico, fameux compositeur américain. Renseignements sur www.videogameslive.fr

e 8 janvier paraissait Bayonetta, flamboyant jeu d’action dont on ne s’est toujours pas remis. Après avoir ouvert l’année en beauté, le studio japonais Platinum Games n’est pas loin de la clore dans le même esprit furieusement ludophile (comme on dit cinéphile) avec le tout aussi généreux Vanquish. Mais si ce dernier possède bien des points communs avec les souples aventures de la brune sorcière à lunettes de Bayonetta, il arpente un territoire où les développeurs nippons s’aventurent moins fréquemment. Car, selon l’expression consacrée, il s’agit d’un jeu de tir “à la troisième personne”, par opposition à la vue subjective des FPS (Halo, Killzone, Half Life, Doom). Baptisé Sam, notre héros est donc visible à l’écran. Et s’il pointe au populaire corps des “space marines”, il se différencie d’entrée des beaufs ironiques (paraît-il) chargés en testostérone de l’occidental Gears of War. Le fétichisme, ici, ne s’applique pas aux corps improbables mais plutôt à leurs armures technologiquement augmentées, aux décors futuristes et même aux adversaires robotiques qui se dressent sans cesse sur notre chemin. Ces derniers, semble-t-il, sont d’obédience communiste. LOL. On ne prendra donc pas l’affaire trop au sérieux. Et, pourtant, Vanquish affiche une belle naïveté,

un premier degré presque frivole auquel il doit une bonne part de sa réussite. Si notre héros fume entre deux escarmouches, cela ne signifie pas que c’est un méchant – le jeu n’est pas américain, encore une fois – mais qu’il est évidemment rebelle. ReLOL ? Assurément, mais le rire est partagé : “Je vais bien m’amuser”, clame Sam en découvrant de nouvelles armes. Vanquish est une création de Shinji Mikami, figure majeure du jeu vidéo japonais et père, entre autres titres essentiels, de Resident Evil. En 2003, l’homme avait conçu le jeu de tir chorégraphique PN03. Vanquish est son pendant masculin, un peu moins souple mais tout aussi élégant dans sa pyrotechnie passionnée. Culturellement, c’est un jeu d’arcade follement nippon, divisé en niveaux exigeants (mais, pour les nuls, dont nous sommes, ajuster la difficulté est permis) et savamment mis en scène à notre intention. Les explosions de robots sont un régal, l’action se renouvelle constamment et la ville SF délabrée devient le jardin de nos galipettes euphoriques. Avec Platinum Games, 2010 aura été une belle année pour le jeu vidéo. Erwan Higuinen Vanquish sur PS3 et Xbox 360 (Platinum Games/Sega, environ 60 €)

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comme son ombre Tout en finesse et subtiles variations, un parcours peu banal dans la face cachée des jeux de plate-forme. ans la traditionnelle avalanche des sorties automnales, certains jeux passent chaque année injustement inaperçus. Il serait dommage que tel soit le destin de A Shadow’s Tale, petite production particulièrement attachante des studios japonais Hudson. Le joueur y dirige non pas un personnage mais une ombre en quête du corps dont elle a été notre héros éthéré escalade séparée. Nous voilà S’il flirte ainsi avec courageusement, mais donc partis à l’aventure, le casse-tête, A Shadow’s leurs ombres, la projection parcourant un à un Tale ne lui sacrifie jamais parfois trompeuse, les étages piégeux d’une sa cohérence de conte en arrière-plan, des lignes tour qui semble s’élever cruellement nébuleux, et des volumes du jusqu’au ciel. travaillant avec finesse bâtiment. Déjà expérimenté ses motifs ludiques, entre Si le jeu séduit par son ces dernières années style graphique vaporeux répétitions entêtantes par quelques autres titres et son ambiance et subtiles variations. audacieux (Crush, Super mystérieuse qui rappellent Le résultat n’est pas Paper Mario, Echochrome), Ico, le rapport entre sans défaut – sur le plan le jeu sur la perspective le monde physique et celui technique, notamment. est l’occasion d’offrir des ombres n’est pas La 2D rêveuse de ce jeu au joueur de savoureuses dans A Shadow’s Tale qu’un ne prend pas moins énigmes (on modifie gimmick esthétique mais avec talent la relève, l’orientation de la lumière, bien le principe à la base à l’approche de l’hiver, on déplace des portions du du gameplay. du sombre Limbo décor) qui le contraignent Ce ne sont en effet pas qui avait marqué l’été. E. H. à se creuser un peu les ponts et les échelles A Shadow’s Tale sur Wii (Hudson/Konami, environ 40 €) les méninges. parsemant les niveaux que

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EyePet

Final Fantasy  – The 4 Heroes of Light Sur DS (Square Enix, environ 30 €) Spin-off de la saga Final Fantasy, The 4 Heroes of Light renoue avec les codes de ses premiers épisodes (combats aléatoires, scénario schématique) mais se distingue par son approche joliment artisanale et ses décors pastel stylisés. Faute de traduction, ce charmant jeu de rôle est malheureusement réservé aux gamers anglophones.

Sur PSP (Sony, environ 30 €) Apparu il y a un an sur PS3, le simili-Kiki, roi de la réalité augmentée, s’invite sur PSP. Il suffit de poser une carte “magique” devant la caméra (indispensable) que l’on aura fixée à sa console pour que la facétieuse créature surgisse à l’écran. S’il risque de lasser assez vite, cet EyePet portable est néanmoins bluffant.

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Jake Walters

la nouvelle vie de Brian Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

Il pourrait se reposer sur ses lauriers de pionnier de la musique électronique. Brian Eno vient au contraire se frotter à ses disciples en signant sur le label Warp, pour un retour cinglant.

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n attirant dans ses filets le maître incontesté des musiques savantes et sensuelles, Warp a effectué la prise du siècle. Pour le label de Sheffield, dont l’esthétique générale descend en droite ligne des travaux d’Eno au cours des années 1970 et 1980, ce rapprochement vient valider deux décennies – 1990 et 2000 – d’exigence radicale. Il réactive en même temps la libido musicale du vieux Brian (62 ans), dont les dernières manifestations avaient laissé plutôt insensible. Entre productions mainstream (U2, Coldplay) et entertainment geek (l’appli iPhone Bloom), Eno laisse depuis trop longtemps reposer son génie sur des lauriers asséchés et en oublie parfois l’essentiel : son métier

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on connaît la chanson

Dalida bella on sent bien qu’ici Eno a pris plaisir à jouer, parfois avec nos nerfs originel d’embellisseur et de guide suprême des nouveaux paysages sonores. Il faut dire que sa musique et ses théories ont tellement infusé chez les autres – pour ne prendre que deux exemples récents : Emeralds et Oneohtrix Point Never – qu’il devient presque superflu pour lui d’en faire et de courir ainsi le risque d’une comparaison maître/élèves possiblement désavantageuse. Eno a donc privilégié ces dernières années les projets discographiques sans véritable enjeu, les albums de copains semi-retraités, aux grands travaux de bâtisseur. Avec Small Craft on a Milk Sea, on devine dès la pochette que l’ambition, et les désirs qui vont avec, sont revenus. Contrairement à la randonnée pépère en compagnie de David Byrne il y a deux ans (Everything That Happens Will Happen Today, où il ne se passait en fait pas grand-chose), ici la boîte crânienne la mieux pourvue de la sphère pop turbine comme à l’époque où elle avait encore des cheveux pour la protéger. La genèse de Small Craft on a Milk Sea remonte à l’été 2009, lorsque Eno fut nommé curateur du Luminous Festival de Sydney, où il profita de l’occasion pour remonter sur scène – ce qu’il n’avait pas fait depuis des années –, le temps d’une ambitieuse triple pièce improvisée intitulée avec malice Pure Scenius. A ses côtés figuraient notamment l’électronicien Jon Hopkins et le guitariste Leo Abrahams, partenaires de stimulation qu’il a convié dans la foulée à poursuivre la conversation en studio. Leurs (d)ébats démarrent effectivement sur une mer de lait, par trois titres languides et opalescents qui laissent présager une croisière tranquille sur les canaux habituels de l’ambient. Fausse route, car dès Flint March le lait commence à bouillir et à déborder à grands flux rythmiques pour ne plus se reposer avant longtemps. Eno a dû se faire envoyer avec son contrat l’intégrale Warp, car on n’est pas très loin ici des batailles soniques livrées sous ce pavillon par Autechre, Squarepusher, voire Aphex Twin pour les assauts les plus contondants. Sur le belliqueux 2 Forms of Anger, un départ tribal laisse bientôt place à des guitares métallisées et à un bourrinage binaire peu en phase avec l’âge du capitaine. Malgré la relative opacité de l’ensemble, on sent bien qu’ici Eno a pris plaisir à jouer, parfois avec nos nerfs,

le plus souvent en s’improvisant chef d’orchestre d’un grand Meccano dont il déplace et boulonne les pièces sans aucun schéma préalable. Son rôle au sein du trio n’est d’ailleurs pas clairement identifié. On reconnaît sans mal les arpèges et glissandi vitrifiés de Leo Abrahams d’un côté, les bourdonnements hypnotiques de Jon Hopkins de l’autre. Et pourtant, très vite, à y regarder de près, on notera que la beauté réelle, souvent stupéfiante, de ce disque, réside dans ses détails périphériques, ses bruits satellites et ses notes suspendues quasi insignifiantes qui s’élèvent comme des bulles d’hélium et se redéposent comme des pétales translucides – notamment sur le long finale Late Anthropocene. Bref : la Eno’s touch magique opère en creux, une habitude lorsque Brian reçoit des invités sur ses disques, comme autrefois ses partenariats électifs avec Harold Budd, Robert Fripp ou Jon Hassell. En fait, au lieu de délivrer du haut de son olympe un pensum cérébral et froidement exécuté, il fête en beauté les trente-cinq ans de son chef-d’œuvre Another Green World en reprenant, là où il l’avait laissée en lambeaux, une certaine vision du rock comme machine à manipuler et à faire exulter les sens. Le “ventre” du disque, avec des intitulés volontiers caricaturaux comme Paleosonic, s’amuse ainsi à détourner ou reconfigurer certains clichés bruitistes (riffs métalliques, bourrasques de larsens…) sans jamais sombrer dans la condescendance. A l’autre bout de l’odyssée, l’orage se calme à nouveau, la rêverie reprend ses droits le temps de quelques moments contemplatifs traversés par des manifestations d’ordre cosmique (Calcium Needles). Le très beau Emerald and Stone répond en écho au Emerald and Lime du début, signe que l’on n’est pas très loin de la fin du voyage. L’avant-dernier titre s’intitule Written, Forgotten et confirme cette impression d’avoir vécu trois-quarts d’heure sous (Brian) hypnose. Christophe Conte Album Brian Eno with Jon Hopkins & Leo Abrahams Small Craft on a Milk Sea (Warp/Discograph) www.brian-eno.net

Bang Bang, chanté par Dalida et leitmotiv du dernier film de Xavier Dolan, est un des rayons de soleil de l’automne. J’ai un problème mental très prononcé qui me contraint à écouter la même chanson pendant des heures et des jours, voire des semaines. C’est assez insupportable pour mes proches et mes collègues, ils vous le diront car ce n’est pas toujours du meilleur goût je le conçois. Ces derniers mois, ils ont eu Jay-Z Empire State of Mind, mais aussi James Blunt le tube où il chante dans la neige, Katerine Des bisoux, Angels de Robbie Williams, Joe Dassin A toi, et je sais plus trop quoi encore. Ils ont eu aussi ce morceau magnifique de Dalida adapté du Bang Bang que le génie moustachu Lee Hazlewood avait écrit pour Nancy Sinatra. Un morceau que j’ai découvert dans le très beau film de Xavier Dolan Les Amours imaginaires et sur lequel les acteurs marchent au ralenti et de dos dans les rues de Montréal. Ce moment est l’un des trucs les plus beaux que vous verrez en 2010. C’est à la fois sensuel et très suranné, ça fait le job je vous jure. A tel point que l’autre jour, j’ai traversé les boulevards de Charonne, Ménilmontant, Belleville et La Villette le dos droit, la nuque raide et le cul rentré en laissant dérouler cette chanson en italien dont je ne comprends strictement aucune des paroles ; seulement j’aime entendre ce “dondolo bang bang” avec sa sublime chute de reins – enfin de batterie. Parfois je fais un peu la batterie avec ma main alors les gens sont un peu interdits à mon passage. Je ne m’en préoccupe pas. Je préfère regarder tomber les feuilles d’automne. En pensant au Canada dans les années 1970, à la moustache de Lee Hazlewood, aux robes à paillettes de Dalida, à Jacques Chancel je ne sais pas trop pourquoi et à la cuisine que mes parents avaient repeinte en orange. J’ai peut-être un problème mental ouais.

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Mystérieusement intitulé 101 – aucun rapport a priori avec les dalmatiens –, le sixième album de Keren Ann rompt un silence de quatre années pourtant bien remplies. Après avoir réalisé les albums d’Emmanuelle Seigner et de Sylvie Vartan, composé une BO de film et un futur opéra (Red Waters) avec Bardi Johannsson sous l’étiquette Lady&Bird, elle revient le 28 février avec dix nouvelles chansons en anglais, produites par ses soins et mixées par Julien Delfaud (Phoenix). Alors que circule depuis quelques jours le féerique My Name Is Trouble et les images très The Avengers de la pochette, 101, que l’on a pu écouter, concourt déjà au palmarès des grands disques de 2011.

Mathieu Zazzo

Keren Ann en 2011

retour de The Dø Le nouvel album de The Dø paraîtra en mars 2011, trois ans après le carton de A Mouthful. Un premier extrait, intitulé Dust It off, est en téléchargement libre sur le site du groupe. Une tournée française est annoncée, avec un passage par le Trianon, à Paris, les 9 et 10 mars.

Benjamin Nitot

Paris fête la nuit

cette semaine

pop et electro à la Custom

Conçu par les instigateurs de la pétition “Paris : quand la nuit meurt en silence” et le réseau Musiques actuelles à Paris, l’événement Nuits capitales, organisé à Paris dans une cinquantaine de salles du 17 au 21 novembre, proposera concerts et soirées clubbing. Ivan Smagghe, Jennifer Cardini, Chapelier Fou ou encore Julie Doiron ont notamment répondu à l’appel. www.nuitscapitales.com

Rendez-vous mensuel des Inrocks au Nouveau Casino, la soirée Custom propose cette semaine une belle affiche, avec les pop-songs mélancoliques des Londoniens de Chapel Club et l’electro-rock furibarde des Français de The Shoes, élevés à l’école Hot Chip/Metronomy, et dont on attend le premier album pour 2011. Chapel Club et The Shoes le 18 novembre à Paris (Nouveau Casino)

hommage à Jacno Etienne Daho, Dominique A, Brigitte Fontaine, Katerine, Coming Soon, Christophe ou Chateau Marmont figurent parmi les artistes qui ont accepté de réinterpréter le répertoire de Jacno sur un album hommage à l’artiste disparu en novembre 2009. Fruit de ce travail, Jacno Future, dont Jean-Charles de Castelbajac a signé la pochette, piochera dans les morceaux des Stinky Toys et d’Elli & Jacno. Premier single annoncé : la reprise d’Amoureux solitaires par Etienne Daho, dont Jacno avait produit l’album Mythomane. Sortie prévue en avril.

neuf

The Agency

Young The Giant

“On n’est pas banal”, proclame leur page MySpace – et c’est ce que les Anglais appellent un understatement. L’anglais va comme un gant à ces Parisiens qui pourraient revendiquer une appellation d’origine londonienne contrôlée, tant ils maîtrisent les idiomes pop, mais aussi l’excentricité des grands (Kinks, Beatles, Blur…). www.myspace.com/theagencyrocks

On reparlera vite, et avec passion, militantisme, de ces Californiens qui ont décidé que l’hiver ne passerait pas par eux. Mélodies pur soleil, harmonies vocales qui donnent envie de plonger nu dans les vagues de miel : les Kings Of Leon ont trouvé là une réponse suave et humble. Toujours jeunes et bientôt géants. www.youngthegiant.com

Bush Tetras

The Pharcyde

A l’occasion de la rétrospective Basquiat à Paris, on doit revisiter le croisement formidable qu’était le New York à la charnière des années 70/80, quand se télescopaient sur les pistes des clubs la raideur de la new-wave, l’énergie du punk et l’hédonisme du disco. Parfaite illustration avec Bush Tetras. www.myspace.com/bushtetras

Puisqu’on s’apprête à réhabiliter les 90’s, autant se souvenir de ce hip-hop suave qui continue d’irriguer la scène actuelle : on organisera des cours de danse au son de Runnin’ ou Passing Me by. Des Chemical Brothers à Neon Neon, un de leurs rappeurs, Fatlip, est devenu un as des featurings. www.thepharcyde.com

vintage

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c’est du Jolly ! Les papys polissons jamaïcains de Jolly Boys reprennent Amy Winehouse, New Order ou Lou Reed en mento, un ancêtre du reggae primitif et bambochard. Décoiffant.

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n 1942, en route pour les îles Galápagos, le yacht d’Errol Flynn fait naufrage près des côtes de la Jamaïque. “La plus belle femme sur laquelle mes yeux se sont jamais portés”, déclare l’acteur en découvrant le pays. Cinq ans plus tard, il s’installe à Port Antonio avec sa troisième épouse, l’actrice Patrice Wymore. Il y achète un hôtel, le Titchfield, une plantation d’un bon millier de cocotiers et une petite île, la Navy Island (certains prétendent qu’il l’aurait gagnée au poker). Conformément à sa réputation de bambochard impénitent, celui qui incarne le Captain Blood au cinéma y fait les quatre cents coups, organise des soirées homériques au cours desquelles il se prend des bitures dantesques avec des amis infréquentables. Pour agrémenter ses bacchanales, Flynn engage un groupe de musiciens du coin, les Swamp Boys. La première fois qu’il les entend, il s’exclame “what a bunch of jolly boys !” Le nom restera. Fondés par le banjoïste Moses Deans à la fin des années 1940, les “joyeux drilles” sont l’un des nombreux ensembles

“le mento, c’est cool man, ça ne couvre pas la conversation des touristes au bar !”

de mento qui exercent dans les hôtels de luxe du littoral. Ancêtre du reggae, proche du calypso, le mento est chaloupant, malicieux, polisson. Il raconte le quotidien des campagnes avec humour et légèreté, traits qui lui valent d’être ringardisé à partir des années 1960, quand l’île connaît d’importants changements politiques et culturels avec l’indépendance, l’afrocentrisme, le ska, le reggae… Mais il ne disparaît pas totalement de la scène. Dans les enclaves balnéaires, il reste aussi populaire que le punch coco. “On aurait changé le style qu’on aurait perdu notre job”, se souvient Albert Minott, le chanteur et leader des Jolly Boys, 74 ans, et plus beaucoup de dents. “Les hôtels nous payaient et nous nourrissaient pour jouer ça. Il suffit d’un banjo, d’une guitare, de shakers et d’une rumba box (caisse en bois munie de lamelles en fer pour faire la basse). Le mento, c’est cool man, ça ne couvre pas la conversation des touristes au bar !” De cette “politesse”, les Jolly Boys ont pourtant décidé de s’affranchir aujourd’hui, avec un album complet de relectures mento des plus fieffés saligauds de l’histoire du rock : Iggy Pop (Passenger, Nightclubbing), Lou Reed (Perfect Day), les Doors (Riders on the Storm), les Stones (You Can’t Always Get…), Johnny Cash (Ring of Fire) ou Sonny Curtis, auteur du génial I Fought the Law que The Clash a repris dans les 80’s. Sans oublier la reine des misfits, Amy Winehouse, avec ce Rehab qui décoiffe.

La voix caverneuse et boucanée d’Albert y titube tellement qu’on se demande même s’il n’y a rien là d’autobiographique. “Pas au sens où en parle la chanson. Je n’ai pas eu de problème avec l’alcool ou la drogue. Un jour, ma femme est partie avec trois de nos enfants. Elle était enceinte d’un autre. Elle est aussi partie avec les meubles. J’ai pu récupérer une fille, avec qui je vis aujourd’hui. Ma maison a été balayée par un ouragan. J’avoue que certaines nuits je pleurais en silence. Ma réhabilitation, c’est ce disque qui me la procure.” Son titre dickensien, Great Expectation (“De grandes espérances”), est donc aussi ironique que touchant. Dans le clip de Rehab, Patrice Wymore-Flynn, veuve d’Errol, fait une brève apparition. Albert y voit comme un clin d’œil de l’histoire. “Ah c’est sûr, monsieur Flynn aurait adoré Amy Winehouse !” Francis Dordor Album Great Expectation (Gee Jam/Pias) Concert le 6 décembre à Paris (Maroquinerie) www.jollyboysmusic.com En écoute sur lesinrocks.com avec

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SEEK

“Gorillaz a rendu Damon Albarn très libre” Invités sur le dernier Gorillaz, les Suédois de Little Dragon publient un pimpant deuxième album et montent sur la scène du Zénith aux côtés de Damon Albarn. Rencontre avec la chanteuse Yukimi Nagano.

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n connaît mal Little Dragon en France. Machine Dreams est votre deuxième album… Yukimi Nagano – J’ai rencontré mes partenaires au sein du groupe dans ma ville, à Göteborg, il y a dix ans. J’avais 15 ans. On a passé beaucoup de temps à jouer ensemble et on a fini par emménager dans le même appartement, qui est devenu notre studio. Notre premier titre est devenu single de la semaine dans le magasin Rough Trade de Londres, et on a commencé à être contactés par des professionnels. Comment as-tu été éveillée à l’art ? La culture était-elle présente dans ta famille ? Mon père est dessinateur. C’est lui qui a signé la pochette de notre premier disque, d’ailleurs. Ma mère m’a appris le piano. J’ai toujours été convaincue

que je ferais de la musique. Petite, je ne vivais que pour rentrer de l’école et écouter mes disques dans ma chambre, seule. J’écoutais Prince et Kate Bush. Des artistes qui n’avaient pas peur d’être eux-mêmes, qui ne craignaient pas le décalage. Comment vous êtes-vous retrouvés à interpréter deux titres avec Damon Albarn sur Plastic Beach, le dernier album de Gorillaz ? La compagne de Damon Albarn (l’artiste Suzy Winstanley – nldr) aimait beaucoup notre premier album et le passait souvent chez eux. On a donc été contactés pour venir enregistrer avec lui dans son studio à Londres, on a passé deux jours ensemble et enregistré deux morceaux. Damon Albarn est très productif et professionnel : il a des dizaines d’instruments un peu fous, qui vont du plus

vintage des synthétiseurs jusqu’à des cloches d’église. Il est à la fois productif et audacieux. Gorillaz l’a rendu très spontané, très libre. Vous avez partagé la scène avec le groupe aux festivals de Coachella et Glastonbury. Vous serez la semaine prochaine sur la scène du Zénith… Ce sont de vrais défis à chaque fois. A Glastonbury, tous les collaborateurs de Gorillaz étaient sur scène, à part Mos Def. Il y avait Lou Reed, De La Soul, Snoop Dogg. C’est très impressionnant pour un petit groupe comme nous. Tu es d’origine japonaise. Quelles sont les influences de ta musique ? Je vais au Japon tous les ans pour rendre visite à ma famille. Je suis moins influencée par la musique japonaise que par l’art japonais en général. Il y a toujours quelque chose de surréaliste dans les

peintures, même les plus traditionnelles. Cette façon dont l’ancien et l’abstrait s’associent, c’est quelque chose de fascinant. J’aime l’idée que la musique de Little Dragon puisse reproduire cette alliance, qu’on y trouve des formats classiques mais sans cesse détournés, que la tradition et le rêve y cohabitent. propos recueillis par Johanna Seban Album Machine Dreams (Peacefrog/Discograph) Concerts les 22 et 23 novembre à Paris (Zénith), première partie de Gorillaz et en guest pendant le concert www.little-dragon.se En écoute sur lesinrocks.com avec

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Dylan LeBlanc Paupers Field Rough Trade/Beggars

Fils de bonne famille, le jeune LeBlanc n’est pas encore Dylan, mais il y bosse. Le casting est parfait : le beau Dylan LeBlanc est le fils d’un musicien de session des légendaires studios Fame de Muscle Shoals (Alabama), spécialisés dans la country-soul. Petit, il y passait son temps. A peine plus grand, il y enregistre son album, concentré de folk romantique à la Ryan Adams. Emmylou Harris vient pousser la chansonnette. C’est beau, mais rien de nouveau sous le soleil. En Amérique, Dylan LeBlanc est encore mineur : il n’a pas 21 ans. On attendra la suite pour savoir si on veut l’adopter. Stéphane Deschamps www.dylanleblanc.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Clinic Bubblegum Domino/Pias Clinic, grand groupe de post-punk psychédélique, débranche tout : magistral. En dix ans, Clinic n’avait jamais vraiment réinventé son fil à couper les atomes en quatre. Certes, la formule galopait bien : un post-garage-punk psychédélicorebondissant énergisant comme une gégène branchée sur le système nerveux, tranchant comme le scalpel, rond comme un Bibendum. Mais le groupe lui-même a dû finir par se lasser. Bubblegum est ainsi une vraie révolution, le genre de chicane qu’on ne voit que chez les braves authentiques, et un bouleversement au postulat de départ : l’électricité, c’est mal. Clinic a donc tout débranché, velouté, relaxé, adouci. Dès le premier morceau, I’m Aware, on se retrouve drapé dans le velours épais d’une ballade élégante. Dès le second, Bubblegum, on prend le plein soleil, les pieds en éventail, sur la plage tranquille d’une Angleterre d’après le réchauffement. Sur Milk & Honey, on baigne, effectivement, dans le lait et le miel. Sur Forever, on retrouve Clinic là où on l’avait laissé, en pleine centrale nucléaire – mais celle-ci a été désaffectée depuis longtemps. Pourtant, le plus phénoménal dans l’exercice est que, des drapés soyeux de ces morceaux relâchés et des mélodies lumineuses, suinte toujours, discrète mais contagieuse, la rage formidable du groupe – sa soude acoustique. Thomas Burgel www.clinicvoot.org En écoute sur lesinrocks.com avec

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Lauren Bilanko

Frankie Rose & The Outs Frankie Rose & The Outs

Erik Weiss

Memphis Industries/Pias

Shout Out Louds Work Bud Fox/Starlight Worker/Modulor Moins épique, plus rustique : retour charmant des Suédois lyriques. Certains songwriters écrivent lourdement avec une plume d’oie blanche, voire son duvet ; d’autres se révèlent minutieux orfèvres en ne travaillant pourtant qu’au lance-flamme et à la lance à incendie. Comme les Canadiens Wolf Parade ou surtout Arcade Fire, ces Suédois ont ainsi souvent dessiné des arabesques à base de lyrisme outré. Séduisants le temps de singles riches en cholestérol (autant de plaisirs coupables), ils étouffaient pourtant parfois leurs chansons dans l’emphase, le colossal. Peut-être la présence à la production de Phil Ek (Fleet Foxes, The Shins) : les grandes pompes et la Grosse Bertha sont ici en pénitence, laissant plus de place à la clarté pop de refrains toujours aussi exaltés mais nettement moins surchargés. A la Bats, à la Feelies, ils offrent ainsi un troisième album futé dans la futaie, plus gardeforestier que pompier. JD Beauvallet www.shoutoutlouds.com

Paolo Fresu 5et Songlines/Night & Blue

La garage-pop douce et ravissante d’une New-Yorkaise au regard flou. Il y a quelques semaines seulement, pour évoquer ce genre de rythmes nonchalamment frénétiques, ces chants murmurés, on aurait évoqué le souvenir glorieux de Moe Tucker – c’était avant que la batteuse du Velvet témoigne de son soutien navrant à la droire dure. Adroite mais jamais dure, la musique de cette Américaine, déjà repérée derrière les fûts de Vivian Girls, Dum Dum Girls ou Crystal Stilts, l’est, jusqu’au bout de refrains spectoriens et spectraux. Avec plein de shimmy dans la vision et de torpeur dans les mélodies, cet enchanteur premier album semble avoir été enregistré au cierge, la nuit, à Notre-Dame : beaucoup d’échos, aucun boniment. JDB www.myspace.com/saintoftherose En écoute sur lesinrocks.com avec

Bonsaï Music/Tük Music

Suave et érudit, du jazz qui proclame son amour pour le flicorno. De retour avec le quintet qu’il a créé en 1985, le Sarde Paolo Fresu se montre ici, à la trompette et au flicorno (un cuivre à pistons, sorte de bugle), digne élève de son aîné Enrico Rava. Songlines s’appuie sur des compositions du quintet, et Night & Blue revisite avec bonheur quelques grands maîtres (Lee Morgan, Wayne Shorter ou Miles Davis). Dans quelques mesures de tango, ou par leur suavité, les deux volets définissent les contours tendres d’un jazz after hours, où la sensualité le dispute à la tendresse.

Chief Modern Rituals Domino/Pias

Christian Larrède

Barbus et parfois barbants, des Californiens au folk trop chochotte. De Midlake aux Fleet Foxes, on connaît le goût de certains artisans du folk US d’aujourd’hui pour des harmonies pastorales, entonnées depuis leur tapis volant en direction du septième ciel. Chief a beau piocher dans les grimoires des maîtres du folk West Coast, il ne parvient pas à faire décoller le sien du sol. Ce quatuor de Santa Monica compose des mélodies à la fois exaltées et cotonneuses, mais noyées sous une profusion d’arrangements qui parasitent l’ensemble. “Less is more”, dit le proverbe. Noémie Lecoq

www.paolofresu.it En écoute sur lesinrocks. com avec

Concert le 23 novembre à Paris (Nouveau Casino) www.myspace.com/chieftheband En écoute sur lesinrocks.com avec

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Nathaniel Isaac Smog Requiem for a Happy Life Nis Prod

Jimmy Gnecco The Heart Bright Antenna/Naïve

La pop extravagante de Français qui rêvent de la Lune. Le titre de ce mini-album en dit long sur les ambitions pharaoniques de ce groupe savant, qui a grandi à Amiens à l’ombre de Jules Verne, de ses grandes aventures et machines folles – ça s’entend sur ces cinq titres ambitieux, à rebondissements. Ces joailliers envisagent ainsi en toute extravagance un hybride Radiohead/ Divine Comedy sur leur bluffant The Boy of the Moon, à la pop logiquement lunaire, avant d’offrir à la mélancolie quelques valses vaporeuses : voyage au centre de l’éther. JDB

La voix inouïe d’un Américain ami de Jeff Buckley et des anges. La voix de Jimmy Gnecco est tellement cristalline qu’elle relève déjà plus de la minéralogie que de la musicologie. Voix cascadeuse flirtant constamment avec les cieux, mais pourtant fermement accrochée à des mélodies amples et mouvantes, à sa botte (de sept lieues). “J’ai grandi dans le New Jersey, et mon seul désir était de m’enfuir”, dit-il. Ce tatoué à voix d’ange est allé plus loin que New York : dans la stratosphère. A des altitudes où seuls Jeff Buckley, Thom Yorke ou Rufus Wainwright parviennent à voltiger avec une telle grâce, un tel affolement, Jimmy Gnecco est un choc, une révélation. Car là où tant d’autres, avec une facilité aussi insolente pour le chant libre, joueraient vite la Castafiore, le concours d’amygdales, lui ne se pavane jamais dans la démonstration : sobre dans sa flamboyance, humble dans sa démesure, sa voix se contente patiemment, savamment, de labourer l’échine de ses ongles toxiques. Une chanson s’appelle Take a Chance : c’est à vos risques et périls. JDB

www.myspace.com/ nathanielisaacsmog

www.jimmygnecco.com En écoute sur lesinrocks.com avec

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Anne Helmond

Michael Gira

Swans My Father Will Guide Me up a Rope to the Sky Young God Records/Differ-ant

Mythe vivant du rock alternatif américain et découvreur increvable de talents, Michael Gira reforme ses Swans pour un album brutal et bouillant. teints depuis ce dernier groupe qu’il faut portée par la voix de Gira, le milieu des écouter ce nouveau Swans. qui, en vieillissant, n’a rien années 1990, Car, à l’heure où trouvé de mieux que les Swans, groupe tant d’artistes sonnent de se patiner d’une touche mythique du rock lourd des étrangement comme vaguement métallique, années 80, avaient laissé Joy Division et son légèrement acide. place aux autres projets du chanteur disparu, les Neuf minutes, donc, leader, Michael Gira, dont Swans sont sans doute les comme données du fond on aime particulièrement seuls à en ressusciter la d’une fonderie d’airain les albums solo et le bon vraie violence intime, sans et qui ouvrent la voie d’un goût musical : c’est sur son jamais céder au pastiche. album tout en (a)pesanteur label, Young Gods, qu’on Une violence que ces et en répétitions viscérales, avait pour la première fois quinquagénaires balancent abandonnant parfois sa entendu les complaintes à la face du monde violence tendue pour une revêches et abruptes au travers d’un disque qui poignée de morceaux lents de Devendra Banhart. brûle comme un seau de qui évoquent davantage Ce Swans version 2010 chaux vive. Leur vieillesse le crime que la berceuse. est de haute volée, Les Swans jouent comme est plus sonique que bien si puissant, tellurique que des jeunesses. Jean Chazot s’ils étaient en pleine rixe l’on a du mal à lui trouver organisée : on entend là www.younggodrecords.com des concurrents directs le jeu puissant d’un capables de se mesurer, groupe qui forme d’abord cette année, à sa grande une bande. Une bande forme épique, son organisée et violente dont, raz-de-marée cosmique. souvenons-nous, l’un Tout y est brutal, des moments de gloire à l’image de son morceau passée était une reprise d’ouverture, mélopée controversée du Love Will rugueuse de neuf minutes, Tear Us apart de Joy martyrisant des riffs Division. Et c’est bien sous presque monochromes, le signe des fantômes de

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La Fiancée Ep 3 Polydor/Universal En revisitant les chansons des autres, La Fiancée continue d’éblouir. eux qui ignorent coup de cœur. Gentiment la démarche de La Fiancée rebelles, les noces donnent lieu ratent une occasion à des versions un tantinet décalées de connaître la joie : chaque (Bien avant, de Biolay, en mode saison depuis un an, la Française cabaret ou encore Ouverture publie une poignée de chansons d’Etienne Daho, joliment efféminé). – certaines, si belles, vous font Elle reprend le groupe It’s vous relever la nuit. Il y a dans Immaterial et Smokey Day, titre les chansons de Claire l’élégance rare des Zombies. La version, aux orchestrale d’un Neil Hannon, la arrangements vertigineux, semble grandeur d’une Barbara, la fragilité échappée d’un carton de trésors d’une petite fille et la majesté cachés de Beck. Ces fiancées-là, d’une madame. Sur ce troisième il faut les épouser. Johanna Seban ep, La Fiancée se marie à ceux www.lafiancee.com qu’elle a aimés, revisitant six titres

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Caitlin Rose Shanghai Cigarettes Nashville, Tennessee. Genre : 2-step/a cappella. Presse anglosaxonne : dithyrambique. On la comprend : la jeune Américaine chante comme si elle était née avec le premier folk de son pays neuf, raconte des histoires comme on refait son monde près du feu et devrait passionner ceux qui attendent des nouvelles d’Alela Diane. www.youtube.com

Ben Gibbard & Zooey Deschanel I’ll Never Find Another You Lors d’un concert caritatif donné à Seattle, le leader de Death Cab For Cutie invitait sa femme à partager sur scène une reprise amoureuse d’un titre des Seekers. Sa femme s’appelle Zooey Deschanel – et c’est la classe. www.youtube.com

The Sliping Kangooroos Dance Now! Résidant à Charleville-Mézières, TSK n’a rien à envier au rock furibond de ses voisins belges Ghinzu. Rythmes cinglés, guitares extatiques et refrains en transe… Leur single s’intitule Dance Now! : c’est un ordre. www.cqfd.com/slipingkangooroos

Danyel Waro au Womex 2010 Le 31 octobre, l’immense et frétillant chanteur réunionnais de maloya Danyel Waro a reçu le Womex Artist Award à Copenhague. De bien belles images du concert qu’il a donné à cette occasion, pour penser à ne pas rater son prochain passage en France : le 5 décembre à Bobigny, au festival Africolor. www.mondomix.com 17.11.2010 les inrockuptibles 89

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La légende de Jean-Michel Basquiat rapportée entre underground new-yorkais et célébrité, fulgurance artistique et vie brûlée.

+ CD 12 titres extraits de la B.O. du film culte d’Edo Bertoglio “Downtown 81” Liquid Liquid, Suicide, The Lounge Lizards, Gray, DNA, etc.

EN KIOSQUE 08 781 90 SMUS CONCERTS.indd 90

Aaron 14 & 15/12 Paris, Casino de Paris Adam Kesher 26/11 Nancy, 27/11 Strasbourg, 1/12 Rouen The Amplifetes 20/11 Le Havre, 26/11 Marseille Anoraak 19/11 Montpellier, 20/11 Perpignan, 27/11 Bruxelles, 2/12 Angers, 16/12 Strasbourg, 18/12 Marseille Arcade Fire 24/11 Marseille, 26/11 Lyon BB Brunes 24/11 Paris, Olympia Bertrand Belin 18/11 Allonnes, 1/12 Paris, Boule Noire The BellRays 18/11 Villeneuve -d’Asq, 19/11 Paris, Machine du Moulin Rouge, 20/11 Creil, 21/11 Brétignysur-Orge, 24/11 Besançon, 26/11 Tarbes, 27/11 Auch, 28/11Montpellier, 29/11 Lyon, 30/11 Strasbourg, 4/12 Istres Best Coast 3/12 Paris, Nouveau Casino The Bewitched Hands 19/11 Sannois, 20/11 Tourcoing, 24/11 Brest, 25/11 Nantes, 26/11 Laval, 27/11 Angoulême The Black Keys 15/3 Paris, Olympia, 16/3 Nantes, 25/3 Lille Sarah Blasko 27/11 Caen, 1/12 Strasbourg, 2/12 Lyon Bumcello 26/11 Paris, Trabendo Cali 16/3 Caen, 17/3 Angers, 18/3 Le Mans, 22/3 Rouillac, 23/3 Rouen, 24/3 Brest, 31/3Luxembourg, 1/4 Reims, 7/4 Avignon, 8/4 Marseille, 12/4 Strasbourg, 13/4 ClermontFerrand, 22/4 Bourg-enBresse, 4/5 Paris,

Zénith, 5/5 Lyon, 7/5 Besançon, 11/5 Nantes, 12/5 Toulouse, 13/5 Pau, 14/5 Montpellier, 18/5 Bordeaux, 19/5 Rennes, 21/5 Grenoble Caribou 28/11 Paris, Cabaret Sauvage

Cascadeur Après la sortie de son ep et son récent passage au Festival Les Inrocks Black XS, le Français masqué Cascadeur s’échauffe sur les scènes françaises, avant la sortie d’un album annoncé pour 2011. 20/11 Perpignan, 25/11 Amiens, 10/12 Rennes, 15/12 Belfort, 16/12 Mulhouse, 17/12 Mondorfles-Bains, 18/12 Dijon Chocolate Genius 24/11 Paris, Boule Noire Clarika 6/12 Paris, Palace Soirée Custom 18/11 Paris, Nouveau Casino, avec The Shoes, Chapel Club Da Brasilians 17/11 Paris, Flèche d’Or, 19/11 Alençon (+ Katerine), 20/11 Lille (+ Katerine), 23/11 Strasbourg (+ Katerine), 26/11 Reims (+ Katerine), 30/11 Paris, Bataclan (+ Gush) The Dø 11/2 Rouen, 12/2 Alençon, 16/2 Dijon, 17/2 Strasbourg, 18/2 Nancy, 19/2 Poitiers, 23/2 Caen, 24/2 Rennes, 25/2 Vannes, 26/2 Angers, 9&10/3 Paris, Trianon, 16/3 Lyon, 17/3 Lausanne, 18/3 Zurich, 19/3 Nice,

23/3 Nantes, 24/3 Bordeaux; 25/3 Toulouse, 26/3 Montpellier, 27/3 Marseille, 6/4 Lille Einstürzende Neubauten 17/11 Paris, Cité de la Musique Tiken Jah Fakoly 19/11 Perpignan Foals 17/11 Nantes, 19/11 ClermontFerrand, 20/11 Bordeaux, 21/11 Toulouse, 23/11 Lyon, 24/11 Strasbourg, 25/11 Paris, Elysée Montmartre Fortune 20/11 Paris, Maroquinerie, 9/12 Rennes, 17/12 Saint-Lô, 18/12 Morlaix Chris Garneau 19/11 Blois, 20/11 Colmar, 25/11 Le Havre Godspeed You! Black Emperor 14/1 Paris, Grande Halle de la Villette, 28/1 Marseille, 1/2 Toulouse Goldfrapp 22/11 Paris, Trianon Gorillaz 22 & 23/11 Paris, Zénith Gossip 9/12 Paris, POPB, avec Metronomy, Hercules And Love Affair Cee-Lo Green 1/12 Paris, Trabendo Gush 30/11 Paris, Bataclan Hangar 17/11 Paris, Maroquinerie PJ Harvey 24 & 25/2 Paris, Olympia Hey Hey My My 23/11 Paris, Bataclan, 3/12 La Rochesur-Yon, 11/12 Magnyle-Hongre Jacques Higelin 18/11 Rennes, 26/11 Vernon, 3/12 Vernouillet, 7/12 Laon, 11/12 SainteMaxime, 14/12 Le Mans, 17/12 Morlaix, 14/1 Tarare, 21/1 Amiens, 22/1 Chelles,

27/1 Genève, 29/1 Béthune, 3/2 Toulouse, 10/2 Pau, 19/2 Carhaix, 25/2 Gien, 5/3 Tremblayen-France, 6/3 Suresnes, 15/3 Anzin, 24/3 Lyon Holy Fuck (+ Buck 65) 22/11 Paris, Flèche d’Or Peter Hook “Unknown Pleasures” 10/3 Paris, Trabendo I Blame Coco 1/12 Paris, Nouveau Casino Inrocks Indie Club 19/11 Paris, Flèche d’Or, avec The Walkmen, Frankie & The Heartstrings Inrocks Indie Club décembre 17/12 Paris, Maroquinerie, avec White Lies, Iliketrains, The Vaccines Joan As Police Woman 23/2 Paris, Flèche d’Or, 24/2 Lille, 1/3 Strasbourg Junip 28/11 Paris, Cabaret Sauvage Katerine 19/11 Alençon, 20/11 Lille, 24/11 Lyon, 7/12 Paris, Casino de Paris, 9/12 SaintEtienne, 10/12 Lausanne The Lanskies 11/12 Bordeaux Le Prince Miiaou 20/11 Bourgoin Robin Leduc 17/11 Paris, Zèbre de Belleville Florent Marchet 19/11 Rouen,

26/11 Villeurbanne, 27/11 Delémont, 3/12 Cannes, 8/12 Lens, 17/12 Metz, 8/2 Montbrison, 17/2 Luxeuilles-Bains, 18/2 Annecy, 19/2 Fontaine, 25/3 Paris, Cigale, 29/3 Falaise, 1/4 Portes-lèsValence, 6/5 Sottevillelès-Rouen, 7/5 Châteauroux, 20/5 Avoine Marina & The Diamonds 30/11 Paris, Alhambra Minitel Rose 20/11 Le Havre, 28/1 Orvault, 6/2 Tours Mogwai 17/3 Paris, Trianon, 18/3 Lille, 19/3 Strasbourg, 20/3 Lyon, 21/3 Nice, 22/3 Toulouse, 24/3 Bordeaux, 25/3 Caen Jean-Louis Murat 12/11 SaintChamond, 16/11 Nantes, 23/11 Paris, Alhambra Yael Naim 7 & 8/12 Paris, Café de la Danse, 20/1 Caen, 21/1 Rouen, 22/1 Alençon, 26, 27, 28 & 29/1 Paris, Cigale, 2/2 Angers, 3/2 Bordeaux, 4/2 Toulouse, 5/2 Marseille, 9/2 Strasbourg, 10/2 Grenoble, 11/2 Lausanne, 12/2 Nancy, 22/2 Le Mans, 23/2 Nantes, 24/2 Brest, 25/2 Rennes, 16/3 Lille, 17/3 Bruxelles, 19/3 Lyon JP Nataf 18/11 Avernes, 19/11 Orléans, 20/11 Le Havre, 26/11 Beaucourt, 18/1 Paris, église SaintEustache The National 23/11 Paris, Olympia Scout Niblett 17/11 Belfort OMD 25/11 Paris, Casino de Paris

Raul Paz 7/12 Paris, Bataclan, 11/12 Rouen, 15/12 Cébazat, 16/12 Lyon, 17/12 Montpellier, 10/5 Montargis, 13/5 Noyon Phantom Buffalo 21/11 Paris, Maroquinerie (+ Shannon Wright), 23/11 Rennes (+ Shannon Wright), 24/11 Evreux, 25/11 Paris, International (+ Trumans Water), 2/12 Bordeaux Plan B 17/11 Lille Pony Pony Run Run 17/11 Bordeaux Roken Is Dodelijk 26/11 Nyons, 27/11 Pontcey, 30/11 Paris, Nouveau Casino, 3/12 Béthune, 11/12 Magnyle-Hongre, 16/12 Mérignac Gaëtan Roussel 17/11 Nancy, 18/11Luxembourg, 25/11 SaintEtienne, 26/11 Valence, 27/11 Avignon, 7/12 Toulouse, 9/12 Istres, 10/12 Reims, 11/12 Varsles-Clos, 6/4 Paris, Zénith Xavier Rudd 26/11 Paris, Elysée Montmartre, 30/11 Rouen Séverin 19/11 Evreux, 20/11 Tourcoing, 24/11 Palaiseau, 25/11 Orléans Sexy Sushi 3/12 Paris, Cigale The Strange Boys (+ Baths + Tamaryn) 29/11 Paris, Flèche d’Or

Soulwaxmax On prend les mêmes et on recommence : Soulwax célèbre cette année encore la venue de Papa Noël

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avec une grande soirée electro à la Villette. De quoi se dépenser un peu avant la dinde. 23/12 Paris, Grande Halle de La Villette avec 2 Many DJ’s, Soulwax Suede 28/11 Paris, Elysée Montmartre Youn Sun Nah 6/2 Schiltigheim, 8/2 Cusset, 9/2 Carquefou, 10/2 Lanester These New Puritans 18/12 Paris, Centre Pompidou Yann Tiersen 21/11 ClermontFerrand, 22/11 Paris, Elysée Montmartre, 23/11 Marseille Tokyo Police Club 25/11 Paris, Maroquinerie Trans Musicales de Rennes Du 8 au 11/12, avec Funeral Party, Gonjasufi, Stromae, M.I.A,

Matthew Dear, Janelle Monáe… Two Door Cinema Club 25/11 Paris, Olympia Vampire Weekend 17/11 Paris, Zénith Catherine Watine (+ Maud Lübeck + Christelle Berthon), 26/11 Paris, Théâtre de la Reine Blanche Wavves 23/11 Marseille, 24/11 Périgueux, 26/11 Aubenas Shannon Wright 20/11 BourgoinJallieu, 21/11 Paris, Maroquinerie, 23/11 Rennes Hindi Zahra 18/11Villefranche, 19/11 SaintEtienne, 20/11 Avignon, 25/11 SaintHerblain, 26/11 Rennes, 2/12 Portes-lesValence, 5/12 Berne, 9/12 Massy

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aftershow

Troy von Balthazar Le 4 novembre à Paris (Point Ephémère) Ce n’est pas très corporate mais assumons : pendant que le Festival des Inrocks battait son plein entre la Cigale (Midlake, Beach House) et la Boule Noire (Anna Calvi), j’ai fait l’école buissonnière pour Troy von Balthazar. Quand on l’a déjà vu, avec Chokebore ou sous son propre nom, une dizaine de fois sans jamais s’en rassasier, il est tellement difficile de résister qu’on n’essaie même pas. Le songwriter américain entre en scène tout seul dans une quasi-obscurité, et parvient à jouer une version crépusculaire de Took Some $$ sans distinguer

Nouvelles locations

En location

Baptiste Morin

Dès cette semaine

ses doigts – un grand homme. Deux fidèles, Adeline Fargier et le batteur de Chokebore, le rejoignent à plusieurs moments du concert, notamment sur une toute nouvelle chanson, It Purrs, qui laisse présager un prochain album époustouflant. Mais on a un gros faible pour les passages en solo, quand il laisse libre cours à ses divagations. Seulement accompagné par des mille-feuilles de guitares en boucle ou une mélodie de piano bancale sortie d’un radio-cassette, il déploie ses plus belles prouesses mélancoliques, vulnérables. Son dernier album s’appelle How to Live on Nothing : de ce dénuement, il crée des joyaux. Noémie Lecoq

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la passion de la compassion De la gentillesse à la raison humanitaire, la morale et la politique contemporaines s’emparent de valeurs et de principes d’action réhabilités. Le philosophe Emmanuel Jaffelin et l’anthropologue Didier Fassin en analysent les dessous et les perspectives.



quels principes peut s’arrimer une morale pour le temps présent ? Dépossédée de tout repère et de toute certitude rassurante sur son avenir, l’époque postmoderne se perd depuis au moins trois décennies dans la fin des métarécits. Sans horizon collectif autre que celui de la somme des individualismes, elle échoue à produire un destin commun. Que peut-on alors, au cœur d’une éthique reformulée, opposer aux passions tristes ? La gentillesse serait-elle une voie possible, comme le suggère le philosophe Emmanuel Jaffelin dans son Eloge de la gentillesse ? A peine le mot prononcé résonnent instantanément les échos des voix acrimonieuses. Les gentils, ces faibles, ont toujours eu mauvaise réputation : leur sollicitude agace, comme si l’impasse politique à laquelle elle conduit formait son point aveugle, voire le signe de son inanité. Vertu “émolliente”, la gentillesse serait l’attribut des servants, des cœurs simples et mous, des sinistres, de ceux qui inhibent leur moi, refusent d’imposer leurs désirs, refoulent leurs pulsions, et dissimulent le démon qui les agite secrètement. Lucide sur la méfiance, voire le mépris, que cette “petite vertu” suscite auprès des foules, y compris des philosophes qui l’ont toujours négligée dans leurs systèmes conceptuels, Jaffelin se livre à un courageux exercice de réhabilitation d’un motif moral discrédité pour le transformer en grande vertu contemporaine. Prenant le contre-pied des étiquettes qu’elle traîne à travers les âges – la naïveté,

Opération humanitaire en Corée du Sud en 2007

la mièvrerie, la crédulité –, l’auteur définit les contours d’une éthique de la légèreté de l’être “qui est aussi celle de la superficie des profondeurs”. Etre gentil, c’est d’abord compatir : cette “morale de la compassion” découle d’une situation dans laquelle l’autre est en difficulté, en demande de soutien. Vertu des humbles, la gentillesse “apaise les meurtrissures comme la musique adoucit les mœurs”. Celui qui en fait usage dans sa vie quotidienne s’anoblit par son geste d’écoute et devient un “gentilhomme”. Ce modèle renouvelé de la figure du gentilhomme est pour l’auteur porteur d’un “nouvel humanisme”, lequel se déploie non à travers une orgie altruiste mais à travers “un banquet de la vie quotidienne où les petits gestes valent les grandes promesses”. Tiraillé entre la naïveté et l’audace de ses propositions, cet éloge de la “légèreté des actes, de l’éphémère gentillesse pour assurer l’avenir moral de l’humanité” interpelle chacun dans sa relation à autrui et à sa manière d’adoucir le chaos du monde : sans prétendre former une quelconque injonction morale qui changerait le monde, la gentillesse de Jaffelin n’en forme pas moins un horizon, une ligne directrice, un principe d’action, imparfait mais inconditionnel. A cette morale de la compassion fait écho le “protocole compassionnel” de Didier Fassin dans son nouveau livre La Raison humanitaire : la gentillesse, principe éthique, s’incarne aussi dans les actes de la vie publique. Anthropologue et médecin, Didier Fassin analyse les motifs

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en marge

le Lourdes des écrivains

Stringer Korea/Reuters

Depuis le Goncourt, un petit coin du Pays basque est devenu une terre sainte pour les écrivains.

la gentillesse, principe éthique, s’incarne aussi dans les actes de la vie publique de cette nouvelle raison qui traverse le discours actuel des acteurs publics dans le monde (gouvernants, associations, militants…). “Les sentiments moraux sont devenus un ressort essentiel des politiques contemporaines” : ils s’appuient sur des affects qui nous portent vers les malheurs des autres et “nous font souhaiter les corriger”. Attentif aux multiples modes d’élaboration de cette solidarité sur les terrains pratiques de la désolation (de l’administration des pauvres à la gestion des catastrophes, du traitement de l’asile aux aides aux malades du sida…), Fassin prend acte de l’apparition au début des années 1990 du thème de la souffrance dans les travaux de sciences sociales (La Misère du monde de Bourdieu, La Souffrance à distance de Boltanski…). Plutôt que de porter un regard soit critique, dénonçant les dérives sentimentalistes de cette nouvelle morale de la compassion, soit aveuglément admiratif, Didier Fassin tente de saisir le sens de cette raison humanitaire et ce qu’elle occulte. S’appuyant sur un empirisme irréductible, l’auteur ne la prend ni “comme le meilleur des gouvernements possibles, ni comme une illusion qui nous abuserait”, mais comme

une réalité politique ancrée dans notre époque, qui dit quelque chose de notre besoin nouveau d’insuffler une morale de l’altérité dans un ordre social violent. “La raison humanitaire représente un puissant imaginaire social de notre temps” et “correspond à cet ultime repli théologicopolitique qui se fait aux points de défaillance, là où le tragique de la condition moderne ne peut plus être éludé”, écrit-il. Sans occulter les ambiguïtés sociales de l’hypertrophie des émotions, critiquées par la philosophe Myriam Revault d’Allones dans L’Homme compassionnel (Seuil, 2008), sans oublier les détournements et les usages cyniques de cette raison humanitaire (lâcher des bombes en même temps que des colis de nourriture sur des populations…), Didier Fassin rappelle que nous ne devenons pleinement humains que par la manière dont nous traitons nos semblables. “L’humanité est la sympathie qu’on éprouve pour ses semblables et notamment pour ceux qui souffrent.” L’approche à la fois morale et anthropologique de la gentillesse et de la compassion ouvre la voie à ce souci des autres. “Réhumaniser” une humanité en faillite : le périmètre d’action des “gentilhommes” d’aujourd’hui embrasse toute la terre. Jean-Marie Durand Eloge de la gentillese d’Emmanuel Jaffelin (François Bourin éditeur), 230 pages, 22 € La Raison humanitaire – Une histoire morale du temps présent de Didier Fassin (collection “Hautes études”, Paris, Editions de l’EHESS, avec Le Seuil/Gallimard), 358 pages, 21 €

Si le prix Goncourt a changé quelque chose, ce n’est pas tant le statut de Michel Houellebecq que celui de Guéthary, petite ville de la côte basque. Jusqu’au 8 novembre, Guéthary était encore un territoire pavillonnaire de 1,40 km2 comptant 947,9 hab/km2, connu pour ses grandes plages et ses grandes vagues, “paradis des surfeurs” bordé par Bidart et Saint-Jean-de-Luz et traversé par la route nationale 10. Or, depuis le 8 novembre, Guéthary s’est définitivement imposée comme une ville littéraire, et pas seulement parce que Jacques Rigaut y avait écrit Et puis merde ! en 1926, une terre magique pour les écrivains, un porte-bonheur et une promesse de gloire à quiconque y écrirait un livre, ou y ferait référence dans son roman. Michel Houellebecq aurait eu l’idée de La Carte et le Territoire en passant ses vacances dans le fief familial de Frédéric Beigbeder à Guéthary. Résultat : deux ans plus tard, il obtient le Goncourt. L’année dernière, c’est Beigbeder himself qui, avec Un roman français, autour de son enfance à Guéthary, raflait le Renaudot. Si l’on ne voit certes pas de lien direct entre Virginie Despentes et Guéthary, on se souvient que dans Apocalypse bébé les deux enquêtrices se rendent en Espagne – mais bien sûr, elles ont dû frôler Guéthary ! Et hop, un Renaudot pour Virginie ! Et si l’année dernière Marie NDiaye nous confiait avoir vécu un peu partout dans la province française avant de rafler le Goncourt 2009 pour Trois femmes puissantes, nous pouvons désormais en déduire quasi scientifiquement qu’elle a dû, même sans s’en souvenir, vivre un temps à Guéthary. Jusqu’au 8 novembre, Guéthary n’était donc que Guéthary. Maintenant, c’est devenu le Lourdes des écrivains. Il paraît que certains romanciers réservent déjà des autocars pour s’y rendre en pèlerinage cet été.

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Willy Vlautin Plein Nord

Un road-book féminin et attachant à travers l’Amérique marginale. Si le rock a trouvé dans la folk-song la parfaite expression de ses états d’âme, Plein Nord en est le pendant littéraire, l’objectif étant de suivre la ballade, ses détours mélancoliques, à l’écart des grandes autoroutes narratives. Pour l’héroïne du livre, la virée débute le jour où elle plaque son petit ami : la conséquence d’une suite de sévices corporels, comme le tatouage d’une croix gammée dans le dos. Apprenant qu’elle est enceinte, Allison, serveuse dans un casino de Las Vegas, décide de laisser son passé d’alcoolo derrière elle, direction Reno. Dans ce périple, elle prend pour guide… Paul Newman, avec lequel elle s’entretient en conversations imaginaires. Après quelques travellings tout en spleen (stationsservice aux teintes délavées, pick-up pourri, routiers moustachus), le roman squatte le territoire plus hospitalier de la réinsertion sociale. Ou comment revenir à une vie normale lorsqu’on n’est plus qu’une pauvre créature imbibée de vodka-Seven Up. De manière touchante, Willy Vlautin, écrivain et chanteur installé à Portland, applique l’équation bukowskienne à un joli brin de fille perçue comme une mauvaise herbe. Vlautin fait entrer en collision l’Amérique marginale et l’Amérique ordinaire, mais le choc attendu ne se produit pas. Entre les drogués et les obèses, les paumés des grands chemins et ceux du petit écran, quelle différence ? En gommant ce clivage hardcore/white trash, Vlautin met l’accent sur une triste Amérique, au centre comme dans les marges, dont la dernière énergie repose dans ses mythes de cinéma. Emily Barnett

Zoetica Ebb

Albin Michel, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par David Fauquemberg, 256 pages 20 €

bordel in the USA Le scénariste de comics Warren Ellis publie son premier roman : la critique férocement drôle d’une Amérique pudibonde et hypocrite, dans un concentré rocambolesque de contre-culture.

 A

ttention, les premières pages de ce livre sont susceptibles de déclencher des nausées. L’image qui ouvre le roman – un rat, “le corps comme un étron sur pattes”, qui pisse dans un mug – n’est en effet pas des plus délicates, mais elle a le mérite de donner immédiatement le ton d’Artères souterraines : entre trash et potache. Venu du monde de la BD, scénariste de comics dont la plume déjantée a contribué au renouveau du label Marvel, l’Anglais Warren Ellis signe un premier roman auquel il manque clairement une case, totalement délirant et souvent hilarant. Ici, pas de superhéros, mais un superloser. Mike McGill, la trentaine, est un détective privé avec une déveine monstre à la place du holster, une sorte de Jonathan Ames, le héros de la série Bored to Death, en encore plus paumé. Sa copine l’a plaqué pour une femme “avec des implants capillaires sur les seins”, il vit dans son bureau cradingue de Manhattan et compte à peu près autant de clients qu’une prostituée du troisième âge. Jusqu’au jour où surgit dans son taudis le chef de cabinet du président des Etats-Unis, un vieillard cynique et héroïnomane, qui lui confie une mission de la plus haute importance : retrouver la Constitution secrète des Etats-Unis rédigée par les Pères Fondateurs. Grâce à son pouvoir hypnotique, le livre pourrait sauver l’Amérique, remettre le pays dans le droit chemin. Mike n’épouse pas forcément la cause, mais ne crache pas sur le demi-million de dollars qui peut lui

revenir en cas de succès. Pendant ce temps, le livre circule de main en main et sert de monnaie d’échange aux pires détraqués. Bourré de références pop, de Justin Timberlake à Godzilla en passant par A la Maison Blanche, Artères souterraines entraîne le lecteur dans un road-trip hallucinogène à l’esthétique de série Z, une traversée de l’Amérique underground et déviante, celle des amateurs d’injections salines dans les testicules ou de séances de masturbation collective devant des images de lézards. Au-delà de la rocambolesque recherche du livre secret se joue une guerre entre deux Amérique : celle d’une pudibonderie hypocrite d’un côté (et on ne peut s’empêcher de penser aux fanatiques du Tea Party) ; de l’autre, celle qui défend la liberté à tout prix. Warren Ellis a clairement choisi son camp, quitte à verser parfois dans le manichéisme. Ce qui est toujours moins grave quand l’auteur ne se prend pas au sérieux. Avec Artères souterraines, Ellis compose une contre-histoire des Etats-Unis, tournant en dérision l’obsession de la théorie du complot ancrée dans l’imaginaire US. Dommage que ce plaidoyer pour la contre-culture ne soit pas plus subversif. En s’éloignant totalement du vraisemblable, la critique sous-jacente se fait moins corrosive. Reste que ce petit livre speedé et barré est suprêmement drôle, ce dont on ne peut tout de même pas se plaindre. Elisabeth Philippe Artères souterraines (Au Diable Vauvert), traduit de l’anglais par Laura Derajinski, 336 pages, 18 €

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after prix Le Goncourt à Michel Houellebecq : le triomphe d’un très grand auteur et la victoire d’une génération. Une fois ce sommet atteint, qu’est-ce qui nous attend ?

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’étais devenu une cause”, constatait Michel Houellebecq dans la soirée du lundi 8 novembre, quand on lui demandait comment il se sentait quelques heures après avoir reçu le Goncourt. Et c’est vrai : si le jury du prix avait encore une fois refusé de le lui attribuer, nous aurions vécu ça non pas seulement comme une déception mais comme une défaite. Sans même parler des bloggeurs, les soutiens les plus virulents de l’écrivain : ils auraient explosé. Mais ce qui aurait peut-être explosé en vol aurait été le Goncourt lui-même.

S’il avait eu l’arrogance de dénigrer ce très grand roman qu’est La Carte et le Territoire et, pire encore, de mépriser une quatrième fois l’un de nos plus grands écrivains, le Goncourt aurait perdu toute crédibilité – et en serait sorti déshonoré. D’ailleurs, en récompensant cette année de très bons auteurs, c’est avant tout leur propre blason que les prix littéraires ont redoré. Fragilisés depuis plusieurs années, où la presse suspecte les jurés d’être achetés par les maisons d’édition (tout en continuant à rendre compte des prix !), devenus trop ringards à force de récompenser des auteurs dont tout

le monde se fout à part leurs éditeurs, des auteurs académiques, conservateurs, bref, assommants, il leur a fallu changer de cap pour ne pas devenir eux-mêmes obsolètes. La moisson 2010 s’est donc avérée salutaire autant pour les auteurs que pour les jurys. Le Femina au beau roman de Patrick Lapeyre, La vie est brève et le désir sans fin (P.O.L), le Médicis à celui de Maylis de Kerangal, Naissance d’un pont (Verticales), et le Renaudot à Virginie Despentes pour Apocalypse bébé (Grasset). “Entre Michel Houellebecq qui a le Goncourt et Virginie Despentes le Renaudot, c’est toute une génération – notre génération – qui a enfin gagné”, disait Frédéric Beigbeder le soir du Goncourt. Et c’est vrai. Des auteurs qui semblaient nous appartenir, faire partie de notre génération et de nos vies, avoir le même esprit que nous, avoir écouté les mêmes groupes, avoir refusé les mêmes règles, avoir cru en une possibilité de renouveler le jeu, ont été, d’une certaine façon, enfin reconnus par l’establishment. Une génération d’auteurs que Michel Houellebecq lui-même définissait comme “punk” lors d’une interview que je réalisai avec lui il y a deux ans. Voilà pourquoi le cas Houellebecq est devenu une cause : un “combat” non seulement pour la reconnaissance d’une vraie et forte littérature, mais aussi pour celle d’une génération, avec son esprit, son esthétique, ses utopies. Mais force est de reconnaître que c’est ainsi qu’une certaine forme de contre-culture devient la culture. La reine d’Angleterre, très futée, avait très vite anobli les Beatles, digérant ainsi dans le système toute forme de rébellion. On ne peut qu’être profondément heureux que Michel Houellebecq soit enfin justement récompensé. S’il y avait un auteur qui méritait la plus haute distinction en termes de prix, c’était bien l’auteur de La Carte et le Territoire. Il n’en reste pas moins que, si ces prix 2010 sont en effet le signe d’une victoire pour notre génération, la question qui se pose est celle de l’après. Que font les vainqueurs ? Ils vieillissent et se souviennent du bon vieux temps. Nelly Kaprièlian photo Vincent Ferrané

la 4e dimension Stephenie Meyer exsangue

Keith Richards bitchy

La mormone de la bit-lit ne fait plus recette avec ses vampires asexuels, végétaliens et dépressifs. Les ventes de la saga Twilight s’essoufflent et le chiffre d’affaires d’Hachette chute de 5 %. Dans les dents.

Pas forcément présenté à son avantage dans l’autobiographie de Keith Richards, Mick Jagger a qualifié le livre de “a bit bitchy”, ce que l’on pourrait traduire par “un peu langue de pute”. Et ça plaît. Life figure dans le top 20 des meilleures ventes du classement Livres Hebdo/Ipsos.

la littérature à poils Tristan Garcia, qui faisait parler un singe dans Mémoires de la jungle, et Olivia Rosenthal, auteur de Que font les rennes après Noël ?, sont en lice pour le 28e prix 30 millions d’amis, surnommé “le Goncourt des animaux”.

Goncourt du communiqué à l’UMP Bravo au stagiaire qui a rédigé le message de félicitations de Dominique Paillé, porte-parole de l’UMP, adressé à Michel Houellebecq : “Il se voit ainsi récompenser (sic) pour son talent d’écrivain à la fois polémique et attachant traitant sans détour des sujets comme la solitude, la vie professionnelle ou la misère sexuelle.”

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la domination masculine

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rendre le voile ou se marier. Au XVIIIe siècle, être femme se réduit à cette seule alternative. Ursule refuse l’un et l’autre de ces destins. Mue par “un élan sauvage d’exister”, la jeune fille décide de s’affranchir de son milieu et de jouer de ses charmes pour se faire une place dans le monde. Née à Bordeaux dans une famille bourgeoise d’une piété sinistre et au bord de la ruine, elle prend la fuite pour Paris avec le duc de Richelieu, petit-neveu du cardinal et libertin patenté. Rebaptisée Olympe, elle devient la maîtresse de Louis XV et la rivale de la Pompadour,

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la favorite du roi, mais sa chute sera aussi cruelle que son ascension fut éclatante. Comme le célèbre roman de l’abbé Prévost, Manon Lescaut, dont Olympe pourrait être une lointaine cousine de l’héroïne, le deuxième roman de Chantal Thomas, spécialiste du XVIIIe siècle, est construit en deux parties : les mémoires d’Appoline, la sœur d’Ursule, empreints de bons sentiments, et ceux d’Ursule devenue Olympe, de loin les plus réussis, car plus vivants, moins corsetés et relevés d’un esprit pamphlétaire. L’auteur des Adieux à la reine, qui évoquait les derniers jours de Marie-

Antoinette à Versailles, mêle à nouveau l’érudition historique la plus méticuleuse – les fastes de la cour, la fange des rues de Paris, les rumeurs de la guerre de Sept Ans – à un souffle romanesque puissant, mais Le Testament d’Olympe vaut surtout pour la peinture terrible de la condition du deuxième sexe au siècle des Lumières. D’une langue ciselée à l’extrême qui rappelle parfois celle de Sade, parfois celle du Diderot de La Religieuse, l’auteur multiplie les portraits de femmes sombres et tragiques : fillettes cloîtrées au couvent, épouses battues, maîtresses adulées puis jetées en prison…

Ulf Andersen

Huit ans après le succès de son premier roman, Chantal Thomas explore les zones d’ombre du siècle des Lumières à travers le destin tragique d’une maîtresse de Louis XV.

La domination masculine s’exerce avec une violence totale. Seule la conscience féministe donne un relief contemporain à ce roman qui, sans cela, pourrait passer pour la reconstitution brillante mais un peu trop appliquée d’une époque, un simple trompe-l’œil. Elisabeth Philippe Le Testament d’Olympe (Seuil), 312 pages, 1 8 €

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mercredi 17

On revit l’expérience limite de Coma, texte puissant de Pierre Guyotat sur la mort et la dépression auquel Patrice Chéreau, invité du Louvre et dirigé ici par Thierry Thieû Niang, donne un corps et un visage dans le cadre d’une lecture-performance. A 20 h à l’Auditorium du Louvre, www.louvre.fr

à venir

jeudi 18

On fait le tour de Londres et de ses zones troubles sans bouger de Paris. L’écrivain anglais Iain Sinclair est au palais de Tokyo pour la sortie en France de London Orbital (Inculte), pérégrination vertigineuse autour du périphérique londonien. Après la projection du film du même nom, l’auteur présentera son livre en compagnie du romancier Philippe Vasset, qui en a signé la postface.

Vita Sackville-West et Virginia Woolf Correspondance 1923-1941 (Stock)

La correspondance entre ces deux figures majeures de la littérature anglaise est rééditée chez Stock. C’est en 1923, à Londres, que Virginia Woolf rencontre Vita Sackville-West dans un dîner : elles vont devenir amies et amantes. “Et quand donc nous rencontreronsnous ? Je suis un peu lugubre. Une nouvelle attaque de ces maudites migraines. Comment je les attrape je n’arrive pas à l’imaginer – si c’est d’écrire, ou de lire, ou de marcher, ou de voir des gens.” Plongée dans une intimité à deux voix. En librairie le 24 novembre

A 1 9 h 30, w ww.palaisdetokyo.com

se familiarise vendredi 19 On avec la pensée “archipélique” du poète-philosophe Edouard Glissant avec ce documentaire de la collection “Empreintes” qui retrace l’itinéraire de l’écrivain de la Martinique, où il est né, à New York, où il enseigne. Edouard Glissant, la créolisation du monde > France 5 > 20 h 35

samedi 20

On parcourt un demi-siècle de l’histoire de la mode à travers les dessins les plus élégants réalisés pour le magazine Vogue par des artistes prestigieux… Un beau livre préfacé par le peintre anglais David Hockney.

James Ellroy La Malédiction Hilliker (Rivages)

Dessins de mode – Vogue (Thames & Hudson), 240 pages, 29,95 €

L’OuLiPo a 50 ans. On fête ça avec une anthologie qui rassemble des textes de Perec, Queneau, Roubaud, Anne F. Garréta, Marcel Duchamp…, accompagnés du DVD du film OuLiPo, mode d’emploi (coffret Anthologie de l’OuLiPo, Folio hors-série, 21 €), projeté en avant-première à la BNF le 25 novembre. A noter également, la réédition de La Boutique obscure de Georges Perec (L’Imaginaire, 7,90 €).

Dagmar, Vogue USA, mars 1961

dimanche 21

Dans la lignée de Ma part d’ombre, James Ellroy signe un texte autobiographique, entre essai et témoignage, autour de son rapport névrosé et obsessionnel aux femmes. Dans La Malédiction Hilliker, il s’agit de faire le récit d’une vie marquée au fer rouge par sa mère, Jean Hilliker, la tragédie que fut sa mort et l’onde de choc qui résonna dans la vie intime du romancier, contaminant sa relation aux femmes qu’il allait rencontrer. En librairie le 19 janvier

se (re)plonge dans le monde lundi 22 On postapocalyptique de La Route,

le siècle Gallimard

le chef-d’œuvre de Cormac McCarthy, où un père et son fils errent dans un paysage dévasté envahi de cannibales. Comme c’est bientôt Noël, on a même droit à une édition collector à la couverture irisée. Points Seuil, 251 pages, 10 €

Pour son centenaire, Jean Genet est partout. A l’Odéon où l’on file voir le concert adapté du Condamné à mort interprété par Jeanne Moreau et Etienne Daho (www.theatre-odeon.fr) et sur France Culture avec une série d’émissions consacrées à l’auteur du Journal du voleur, jusqu’au 25 novembre (Hors-champs, 22 h 15)

Karim Sadli

mardi 23

En 2011, Gallimard aura cent ans. La maison a été fondée en 1911 par Gaston Gallimard, quand il prit la tête des éditions de la NRF. S’y trouvaient déjà Jean Schlumberger et André Gide. Le reste appartient à l’histoire : la création de la collection Blanche, des Pléiades, de la collection “Du monde entier”, les prix littéraires, la Série noire, ou encore le refus par Gide de publier A la recherche du temps perdu en 1913 (il ira chez Grasset)… Une histoire de la littérature passionnante qu’on revisitera tout au long de l’année.

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Sam Rictus Quarantaine Les Requins Marteaux, 104 pages, 15 €

my fair milady Sortie de l’ombre des Trois Mousquetaires, l’intrépide Milady de Winter prend corps sous le dessin vif d’Agnès Maupré.

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our avoir, à 13 ans, rompu ses vœux monastiques et pris la fuite avec un prêtre défroqué, celle qui deviendra Milady de Winter est marquée au fer rouge d’une fleur de lys. Lorsque son mari, le comte de la Fère, découvre, ivre de fureur, l’infâme cicatrice, il la pend et l’abandonne. Parvenant à se dégager, elle gagne l’Angleterre où elle épouse lord de Winter, qu’elle tue accidentellement (?). De tous les hommes qui croiseront alors son chemin, seul Richelieu saura ne pas se méprendre sur son charme et, comprenant que son appétit de vengeance peut servir ses intérêts, il en fera sa plus redoutable espionne. Belle, riche, intrépide, criminelle, Milady de Winter est un des personnages les plus fascinants de la littérature car sa modernité est permanente. Exclue de la société puis du monde des vivants, et donc affranchie de leurs contraintes, elle vit selon ses propres règles, c’est-à-dire celles que lui donnent ses auteurs : manipulatrice sans scrupule

pour Dumas, femme fatale pour Hollywood et délicieux monstre d’égoïsme pour Agnès Maupré. En renversant la perspective des Trois Mousquetaires et en comblant les blancs laissés par Dumas, Agnès Maupré fait de Milady de Winter la victime d’une société masculine, forcée pour survivre de prendre (littéralement) les armes et de fermer son cœur (y compris à son bébé). Au duc de Buckingham ou à d’Artagnan, vils et médiocres séducteurs, elle oppose une fierté farouche, surmontant avec courage ses doutes et ses chagrins. Sous le crayon virevoltant comme une rapière d’Agnès Maupré, Milady de Winter n’est ni une adaptation académique, ni une thèse féministe, mais un récit d’aventures trépidant, plein de finesse et d’humour, sur lequel flotte un charmant soupçon d’érotisme. Car, par-dessus tout, Milady reste une créature de rêve.

Une fable sombre hantée par la mort. Sur Saint-Christograd, une sombre ville du Moyen Age, s’abat une épidémie de peste. Pour éviter la contagion, une enceinte est bâtie autour de la cité, emprisonnant les habitants. Prêts à tout pour survivre, ils essaient de s’évader, trahissent, tuent pour échapper aux gardes barrant la route vers l’extérieur. Que les tentatives soient individualistes ou organisées (comme cette équipe qui creuse inlassablement des souterrains), elles seront toujours vouées à l’échec. Cette fable courte et elliptique est pessimiste, hantée par la mort. Sam Rictus fait intervenir d’inquiétantes figures symboliques et mortifères, comme le joueur de flûte de Hamelin ou un cavalier de l’Apocalypse, pour mieux souligner le caractère sinistre et le désespoir de la situation. Un désespoir parfaitement dépeint par le trait noir et angoissant de l’auteur, qui trouve là brillamment sa voie entre Charles Burns, expressionnisme allemand et gravures sur bois des illustrateurs muets du début du XXe siècle. Anne-Claire Norot

Jean-Baptiste Dupin Milady de Winter, tome 1 (Ankama), 144 pages, 1 4,90 €

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Arno Declair

Falk Richter transforme sa scène en tribune pour nous appeler à cesser de vivre en spectateurs

action ! première NEXT Festival NEXT invite Alain Buffard, Ivo Dimchev et Philippe Quesne, ainsi que Jan Fabre ou le théâtre visuel de Wouter Hillaert et Stef Lernous. NEXT, c’est pour tout de suite. Jusqu’au 4 décembre à La Rose des Vents, Villeneuve d’Ascq, tél. 03 20 61 96 96, www.nextfestival.eu

réservez Primero (Erscht) chorégraphie Lisi Estaras Pour sa deuxième création, Lisi Estaras met en scène les premières fois qui, de l’enfance à l’âge adulte, laissent leur empreinte et dessinent les contours de nos identités. Du 24 au 27 novembre au Théâtre de Chaillot, Paris XVIe, tél. 01 53 65 30 00, www.theatre-chaillot.fr

Face aux exigences irrationnelles d’un marché boursier qui entraîne le monde vers la ruine, l’Allemand Falk Richter lance un appel véhément au réveil social.

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échirant l’opacité profonde de la nuit qui couvre le plateau, des éclats de lumière débusquent les comédiensdanseurs dans des poses arrêtées reprenant nos attitudes de tous les jours. Peu à peu, l’allongement du temps d’exposition à la lumière les sort de leur apparente léthargie pour faire naître des ébauches de mouvements… jusqu’à ce plein feu de la représentation qui libère paroles et corps en les ramenant littéralement à la vie. Descendre au plus profond de la mine de notre grisaille quotidienne pour y réveiller une pulsion vitale et une colère salvatrice semble être la tâche à laquelle se sont attelés l’auteur et metteur en scène allemand Falk Richter et sa comparse, la chorégraphe néerlandaise Anouk Van Dijk. Une forme réinventée du théâtre d’agit-prop qui, mêlant danse et texte, se contente d’une scène quasiment nue et de quelques pieds

de micro pour commenter presque en temps réel l’état de notre crise sociétale et celui de nos désarrois intimes. Après Trust, qui fut l’un des succès du dernier Festival d’Avignon, voici leur dernier opus, Protect Me, qui, dans des échos du célèbre titre de Placebo, ne prêche rien d’autre que de se protéger de soi-même. “Je suis à l’image de ce qui se passe autour de moi, précise Falk Richter. Je me comporte de manière aussi irrationnelle que le marché, dont les réactions, entièrement imprévisibles et impulsives, absolument pas fiables, rappellent celles d’un amant diminué psychiquement, tantôt dépressif, vidé de toute énergie, tantôt totalement hystérique, et qu’il s’agit de calmer à coups de billets de banque en quantité astronomique.” A l’heure où la seule idée politique qui motive nos gouvernements européens se résume à faire des pieds et des mains pour obtenir de bonnes notes des agences de notation américaines, Falk Richter désigne ce marché boursier qu’il faut absolument séduire comme “la dernière diva pour laquelle nous serions prêts à tout”. A l’image de la femme fatale fantasmée par les années 1920, celle qui incarnait le désordre et annonçait un avenir bien pire, sa démonstration désigne ce marché insatiable et devenu omnipotent comme le responsable d’une ruine programmée nous obligeant au comportement suicidaire de “jeter par-dessus bord notre organisation sociale et étatique”. Ainsi, Protect Me comme Trust font œuvre de salut public et, à travers ce feuilleton théâtral dédié à la diffusion d’une parole vraie étrangement absente de nos médias, Falk Richter transforme sa scène en tribune pour nous appeler à cesser de vivre en spectateurs. “Je veux enfin voir des gens agir à nouveau, se mettre en branle. Des gens que le mot ‘crise’ n’impressionne plus, conscients que ce mot est un instrument du pouvoir…”, conscients aussi que “la crise est le nouvel état de santé de notre système”. La vérité crève parfois tant les yeux que seul un auteur de théâtre s’avère capable de la dire haut et fort. Patrick Sourd Protect Me de Falk Richter, mise en scène et chorégraphie Falk Richter et Anouk Van Dijk, en allemand surtitré, du 18 au 20 novembre au festival Mettre en scène, Théâtre national de Bretagne, Rennes, www.t-n-b.fr

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appel d’air Arrimé à un Meccano musical signé Pierre Bastien, un spectacle physique et plastique étonnant sur l’enfermement et l’évasion. espace a toussé sur moi”, écrit l’on sache pour autant si tout ça se déroule Henri Michaux. D’espace, dans leur tête ou dans la réalité ; il est fortement question dans intérieur et extérieur semblent ne faire ce spectacle d’une magie prenante, qu’un dans cette création finement ciselée. fruit de la collaboration de trois artistes Jérôme Thomas y délaisse un peu aux parcours singuliers : Jérôme Thomas, le jonglage, sa spécialité – même s’il ne Markus Schmid et Pierre Bastien. dédaigne pas de faire s’envoler quelques Coincés à l’avant-scène, deux hommes feuilles de papier –, pour explorer s’efforcent tant bien que mal de partager la question de l’enfermement et de l’évasion. une chaise. Un vent sournois les y contraint Un travail physique et plastique sur par une poussée irrésistible. Plus tôt, la fusion des formes et du son où l’ingénieux on les a vus assis à une table, mélange de Meccano musical de Pierre Bastien joue clowns et de laborantins, triturer fébrilement un rôle essentiel. Jusqu’à devenir une pâte verte ou s’acharner sur des objets un élément de décor en ombre portée dans qu’ils emballent. Leur gestuelle évoque une la scène fabuleuse qui clôt ce spectacle répétition mécanique, mais curieusement d’une grande beauté. Hugues Le Tanneur vrillée… Ça ne tourne pas tout à fait rond. Ici de et par Jérôme Thomas, Markus Schmid Comme si les deux compères résistaient et Pierre Bastien, les 23 et 24 novembre à Albi, le 4 décembre à Trappes à une force qui les dépasse, sans que

Sarah Ainslie

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Shun-kin d’après Jun’ichiro Tanizaki, mise en scène Simon McBurney, en japonais surtitré, du 18 au 23 novembre au Théâtre de la Ville, Paris IVe, www. theatredelavilleparis.com

esclave de l’amour Enluminé avec art par l’Anglais Simon McBurney, cet éloge de l’amour sadomasochiste est un bel hommage à la littérature du Japonais Jun’ichiro Tanizaki. oit l’incroyable passé maître dans l’art il nous propose un voyage histoire de Shun-kin, du storytelling… magique au Japon dans Oiseau rare parmi une jeune aveugle le télescopage de trois nos metteurs en scène qui à 8 ans époques : celle du studio transforme son serviteur européens, il propose de radio où l’histoire un théâtre qui, mobilisant en esclave sans est enregistrée aujourd’hui, cesse battu et humilié. tous ses tours et ses trucs les années 1930 où l’auteur au service de l’art oublié Avec l’adolescence, écrit son texte et le XIXe siècle où l’action se déroule. le jeu cruel vire au sexuel des conteurs, revendique Théâtres d’ombre à travers un cérémonial d’abord la scène comme et de marionnettes, jeux un lieu d’éducation SM où désir rime avec de bâtons et projections perversité. Après avoir et de transmission. vidéo : en mêlant Pour Shun-kin, accepté que l’enfant né des les pratiques du bunraku amours avec sa maîtresse sa dernière création, il puise (théâtre de marionnettes soit abandonné à deux textes de Jun’ichiro Tanizaki, Un portrait de Shun- du XVIIe) et les technologies à l’assistance publique, modernes, Simon McBurney kin et Eloge de l’ombre. le pauvre Sakuke ira sait tout dire sans choquer. Réunissant sur son plateau jusqu’à se crever les yeux Un éblouissant exercice pour partager le sort Yoshi Oida (grande figure de style qui préserve du théâtre de Peter Brook) de celle qu’il vénère. Avec au récit sa part de mystère, et la fameuse troupe du sa compagnie Complicité, d’ombre et de pudeur. P. S. Simon McBurney est Théâtre Setagaya de Tokyo,

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Robert Breer Au CAPC, on découvre les “sculptures flottantes” (les “floats”) de Robert Breer, des machines autonomes à la trajectoire aléatoire, ainsi qu’une expo consacrée aux objets “réduits” ou “minis” qui s’interroge sur leur pertinence en temps de crise. A partir du 18 novembre au CAPC, Bordeaux, www.capc-bordeaux.fr

HIC : la forme des idées Résultat d’une recherche menée par des artistes, professeurs et étudiants de la Villa Arson à Nice, des beaux-arts de Lyon et de Montpellier, l’expo HIC (“ici” en latin) questionne les formes et techniques contemporaines de la localisation. Avec Daniel Buren, Fayçal Baghriche… A partir du 19 novembre à la Villa Arson, Nice, www.villa-arson.org

Louidgi Beltrame Après les utopies architecturales de Brasilia et Chandigarh, Louidgi Beltrame s’attarde sur le potentiel cinématographique de cinq villes postatomiques de l’ex-URSS. A partir du 19 novembre à la Fondation d’entreprise Ricard, Paris VIIIe, www.fondation-entreprise-ricard.com

photo Ola Rindal, courtesy de l’artiste et galerie Marian Goodman, Paris/New York

vernissages

introspective Ni du théâtre filmé, ni de la performance, ni du documentaire, ni de la fiction, ni du cinéma, ni une exposition, et tout cela à la fois : la dernière œuvre de Pierre Huyghe est visible à la galerie Marian Goodman à Paris.



névitablement, c’est avec une scène d’hypnose, suivie aussitôt de son propre remake, que le dernier film de Pierre Huyghe “décolle” véritablement, qu’il opère sur lui-même une sorte de “visual turn”, qu’il s’emporte hors du pré-programme établi. C’est à partir de là que l’artiste entame une nouvelle “expédition scintillante”, titre d’une de ses expositions au musée de Bregenz en 2002, mais cette fois dans les méandres d’une psyché. La sienne, la nôtre, ou tout aussi bien celle des personnages qui évoluent dans les salles vides et abandonnées du musée des Arts et traditions populaires. Notre inconscient est un cinéma multiplexe. Mais que voit-on exactement ? Une jeune fille blonde, qui assistait jusque-là en tant que spectatrice à une série d’étranges rituels, raconte à un hypnotiseur ce qu’elle a ressenti, comment elle a vécu et traversé ces choses vues. A demi inconsciente, elle confesse sa peur des lapins, la nécessité de les tuer, mais aussi le désir d’intégrer ces scènes vues, d’en devenir à son tour

le personnage. Et c’est dans ce murmure que se donne un peu le fond de l’affaire : que fait-on de toutes ces histoires auxquelles on assiste le plus souvent en spectateur ? Comment s’approprier, comment “métaboliser”, c’est le mot de Pierre Huyghe, tous ces storytellings politiques, sociaux, romanesques, publicitaires, juridiques, toutes ces fictions collectives dans lesquelles nous sommes sans cesse embarqués ? Rappelons d’abord le cadre de cette aventure, l’histoire très particulière de ce film, et sa règle du jeu. L’an dernier, l’artiste a investi un lieu aujourd’hui désaffecté, le musée des Arts et traditions populaires, situé dans le jardin d’Acclimatation du bois de Boulogne. Il a choisi trois dates très précises pour y dérouler un programme d’actions diverses : la fête d’Halloween, la Saint-Valentin et le 1er Mai, jour de la fête du travail. “J’ai choisi volontairement des fêtes païennes mais aujourd’hui très édulcorées, sans véritable urgence, très encadrées et parfois très

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“mon idée n’était pas de faire un film, ni d’organiser un tournage, c’était de créer des situations”

commerciales.” A chaque fois, la poignée de visiteurs invités, choisis par l’artiste, assistaient à tous les étages du musée, à une série d’actions, de scènes, de rituels joués par des acteurs au visage recouvert d’un masque : le couronnement de l’empereur africain Bokassa Ier, le procès du groupe Action directe, une fabrique de citrouilles d’Halloween, une messe noire façon Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick, un défilé de mode, etc. “Tout se passait en simultané aux différents étages du musée, raconte l’artiste, si bien que personne ne pouvait tout voir, ni tout comprendre, et moi-même je n’ai pas vu tout ce qui a été filmé, j’ai découvert des choses au moment du dérushage. Il y a ainsi toute une partie du projet que je n’ai pas conçue. Ce n’était donc pas un tournage, où on ne filme que ce qui est nécessaire. Ici, le film ne retient qu’une infime partie de ce qui a eu lieu. Mais une nouvelle fois, mon idée n’était pas de faire un film, ni d’organiser un tournage. C’était de créer des situations.” Enfin, entre les acteurs de ces scènes et les spectateurs réels qui y ont assisté, Pierre Huyghe a introduit dans le musée une autre catégorie, intermédiaire, de personnages-spectateurs : “Je les appelle le personnel. Ce sont quinze acteurs, mais ils sont là pour assister aux actions. Je les place donc dans certaines conditions, face à des scènes, et à eux ensuite de les rejouer, les retraiter, les métaboliser. Comment on

s’approprie les histoires qui nous entourent, voilà ce qu’il m’intéressait d’observer.” Fascinant et infiniment complexe, The Host and the Cloud est à regarder peut-être moins comme un film que comme une exposition, et peut-être comme une rétrospective de tout son travail, en même temps qu’une introspection. D’abord parce qu’il se déroule dans un musée, autant dire un monde parallèle, mais surtout parce que pendant vingt ans Pierre Huyghe a fait partie de ceux qui ont exploré et élargi le format de l’exposition, sortant régulièrement des frontières de l’art pour investir les champs du film, mais aussi de la manifestation, du parc d’attractions ou de l’expédition polaire. Et maintenant que l’art de l’exposition règne en maître sur le système de l’art, Huyghe décide, avec le courage insensé d’un artiste féru d’expérimentation, d’aller voir ailleurs, de pousser vers d’autres terres, d’autres horizons. “Il faut bien comprendre qu’avec ce travail je ne m’intéresse pas au théâtre, ni à la performance, ni à la mise en scène, et peut-être même plus à l’exposition. Avec ma famille d’artistes, on a joué pendant quinze ans avec les protocoles de l’expo, et je crois qu’on arrive à une sorte d’essoufflement. Disons que ce musée désaffecté qui me fascinait déjà quand j’étais adolescent s’est offert à moi comme un laboratoire d’exposition. Quand tu bosses comme je le fais sur l’exposition, tu ne peux pas expérimenter, tu es tout de suite en situation d’exposer, d’être exposé. Ici, j’ai pu travailler dans un cadre, et faire de ce laboratoire d’exposition mon atelier momentané. Je crois qu’avec cette expérience j’ai définitivement trouvé une procédure de travail. J’ai inventé un format combinant le live, l’exposition et le film, où il y a un lien organique entre ce qui est et sa représentation. Ce film vient clore un cycle de sept à huit ans de travail, mais il ouvre aussi un nouveau champ d’expérimentation, avec de nouvelles méthodes.” Intro-rétroprospective. Jean-Max Colard The Host and the Cloud jusqu’au 27 novembre à la galerie Marian Goodman, 79, rue du Temple, Paris IIIe, séances quotidiennes à 11 h, 13 h 05 ; 15 h 10 ; 17 h 15, www.mariangoodman.com 17.11.2010 les inrockuptibles 105

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Guy Marineau/FashionShowsArchives.com/Ego Marketing SA

Défilé au Trocadéro pour le magazine People, octobre 79

Montana, tombé des podiums

Créateur culte, adulé dans les 80’s, Claude Montana est aujourd’hui passé de mode, victime de ses excès et de ceux du milieu. Un livre revient sur son âge d’or, lorsqu’il était le styliste le plus excitant du monde.

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lles s’affairent autour de lui. Elles sont douces, attentives. Marielle Cro, la journaliste qui a collaboré avec lui à l’écriture du livre, est aux aguets, prête à compléter des réponses hésitantes. Jacqueline, la sœur, collaboratrice de toujours, est aussi aux petits soins, elle propose un café, tend un verre d’eau. On dirait deux infirmières. Coincé à un bout du canapé, le patient sourit, tente de faire bonne figure. Ces dernières années, Claude Montana a changé, son visage est marqué, sa silhouette affinée jusqu’à l’excès. Il n’a jamais été fort en gueule, mais désormais il murmure presque. L’idée de faire un livre n’est évidemment pas venue de lui, il a suivi, il dit avoir “aimé” se replonger dans ses souvenirs, retracer ce parcours qui fit de lui, au cœur des années 1980, le créateur le plus excitant du monde. De loin.

il refuse la femme belle, classique, élégante : il la veut insoumise, indépendante, moderne

Les rédactrices de mode, ces hystériques, se crêpaient littéralement le chignon pour assister à ses défilés. Mieux encore, il arrivait qu’elles meurent d’envie de s’en échapper, indisposées par la dramaturgie, la noirceur du spectacle. Face à Montana, l’indifférence était inconcevable. Dans le livre Beautiful People, brève histoire de la mode parisienne moderne, la journaliste Alicia Drake raconte le plus sérieusement du monde que “les acheteuses new-yorkaises sanglotaient” de bonheur lors de ses défilés. Quelques lignes plus loin, elle cite Irène Silvagni, ex-rédactrice en chef de Vogue France : “J’étais saisie d’une panique absolue. Quand j’assistais aux défilés d’Yves Saint Laurent, j’avais l’impression qu’il m’avait écrit une lettre d’amour, il y avait tant d’émotion. Montana, c’était exactement le contraire. Voir cette femme si méchante, si pointue… On aurait dit qu’il nous détestait.” Certaines rédactrices allèrent plus loin encore, croyant déceler dans l’usage des longs manteaux de cuir ou dans la scénographie martiale des défilés un attrait pour le fascisme.

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Paolo Roversi

Dominique Issermann

Collection automne-hiver 96-97

Collection printemps-été 88

Wilfried Gremillet

Dessin préparatoire pour la collection Lanvin printempsété 92

Une hérésie, évidemment. Claude Montana préfère les hommes, mais il aime les femmes, il les vénère. Il parle de sa tante, “si mince, si belle”, cite Ava Gardner, Greta Garbo, “deux femmes magnifiques”.  “Je voulais juste rendre les femmes belles, dit-il, c’était ma vision pour elles. Quand les mannequins arrivaient pour les essayages avant les défilés, qu’elles enfilaient les vêtements et que je voyais dans leur regard qu’elles se sentaient belles, en confiance, c’était mon grand plaisir.” Mais celui-ci avait un prix. Ailleurs, les séances d’essayage prenaient quelques minutes. Chez Montana, elles n’en finissaient pas. “C’était une torture intégrale, se souvient l’ancien mannequin Pat Cleveland. Il se tournait et s’éloignait de vous, il se retournait et vous regardait fâché, furieux, on mourait de trouille, et puis il s’approchait et touchait votre corps, comme s’il vous sculptait…” Ses parents, bourgeois, parisiens, ne voulaient absolument pas qu’il fasse de la mode. Alors, la nuit tombée, Claude Montana s’échappait, sautait par la fenêtre. A 16 ans, en secret, il était figurant dans Don Carlo de Verdi, à l’Opéra-Garnier.

Il adorait les costumes, “leur couleur, leur texture”. En 1967, il file vers Londres, où une parution dans le Vogue anglais, pour d’improbables boutons de manchettes en papier mâché, fait connaître son nom. De retour à Paris, ses dessins passent en de bonnes mains : il décroche un premier job, chez Mac Douglas, et découvre là son arme fatale, le cuir. Dans l’histoire de la mode, Claude Montana est sans doute le créateur qui s’est le mieux emparé de cette matière. “C’est celle dont je me sens le plus proche, celle par laquelle j’ai commencé, dit-il. Et puis ce n’est pas une matière anodine. Le cuir a une force, une rigidité, une puissance. Cela colle bien avec ma vision de la femme.” Et cette vision est une véritable révolution. Au milieu des années 1970, Claude Montana fait exploser les codes en vigueur, il refuse la femme belle, classique, élégante, il la veut insoumise, indépendante, moderne. La femme Montana a les épaules larges, très larges, la taille pincée, les hanches soulignées, et assume les couleurs pétaradantes. C’est outré, ostentatoire, si peu consensuel. Sa vie est comme sa mode, violente, intense, faite de très hauts et de tellement de bas. En 1990, Montana rejoint Lanvin. Sa première collection de haute couture déplaît. Il est attaqué de toutes parts, mais il s’accroche. Soutenu par des ouvrières ravies de faire la révolution dans une maison si classique, il remporte successivement deux Dés d’or, les oscars de la mode. Montana est au sommet. Cela ne durera pas, c’est écrit comme ça. Les collections Lanvin de Claude Montana se vendent mal, il s’en va et entame une vertigineuse dégringolade professionnelle et personnelle. En 1996, sa muse et amie Wallis Franken, qu’il avait épousée trois ans plus tôt à la stupéfaction générale, se tue. Dans la foulée, la marque Montana est rachetée à bas prix. Il perd pied, s’enfonce dans la nuit. Les mauvaises habitudes prises au Palace, à la fin des années 1970, resurgissent. “Des excès ?, sourit-il. Oui, peut-être. Mais c’est relatif. Ce qui est excessif pour vous ne l’est pas forcément pour quelqu’un d’autre…” Libéré depuis 2008 du contrat qui le liait aux repreneurs de sa marque, Claude Montana n’a plus “aucun projet concret” et avoue même ne plus “suivre l’actualité de la mode”. On lui apprend donc que de jeunes créateurs, comme Alexander Wang ou Nicolas Ghesquière, chez Balenciaga, multiplient les références à son travail. Il a l’air si loin de ça. “A mon époque, plus les vêtements étaient créatifs et dingues, mieux c’était. Aujourd’hui, les choses se sont complètement inversées, non ?” Marc Beaugé Montana de Claude Montana et Marielle Cro (L’Editeur), 192 pages, 45 € 17.11.2010 les inrockuptibles 107

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Addicts, la fiction à hautes doses Réalisée par Vincent Ravalec, Addicts repousse les frontières de la fiction télé. A partir d’une structure narrative initiale, les internautes circulent librement au cœur d’un récit éclaté dont chacun invente l’évolution. Un nouveau pari d’Arte.

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rte tricarde en banlieue ? Depuis la polémique provoquée par le documentaire La Cité du mâle en septembre, la chaîne culturelle n’était plus en odeur de sainteté dans des quartiers dont elle a pensé dénoncer la violence. Schématique et moralisateur, le documentaire se complaisait dans une imagerie de zone hostile peuplée de brutes épaisses – sans parler des accusations de bidonnage. Fallait-il alors, comme le firent certains critiques, conseiller à Arte de rester bien au chaud dans sa zone favorisée de l’Ouest parisien ? Pas sûr. Avec Addicts, la chaîne revient en (ou plutôt dans une) banlieue mais cette fois par la grande porte : personne dans la cité des Aubiers à Bordeaux ne devrait s’estimer lésé, tant

elle est ici traitée comme un territoire fictionnel comme les autres. Riche, hétérogène, abordé à hauteur de réel sans misérabilisme ni fausse compassion. Ironie du sort, ce qui hier était regardé comme une jungle périurbaine archaïque et fruste devient ici le lieu – le moteur – d’un projet en pointe, une expérience devant faire date dans les médias. Pas de révolution sociale, certes, mais au moins une initiative qui tient la route. Après les webdocus Gaza/Sderot ou Prison Valley, après Arte Radio, Arte+7 ou Arte Live Web, Addicts confirme la volonté de la chaîne de marquer son époque (numérique) et d’explorer les potentialités du web plus vite et plus fort que les autres. En une certaine mesure, sa renommée le lui impose, sa surface financière l’y invite.

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Philippe Brault/Agence Vu/Arte

au poste

Addicts s’annonce comme le tuning imparable de la web-série, agrégeant les trouvailles et dynamitant les formats existants pour faire entrer le genre dans un nouvel âge. “La fiction française a besoin de se secouer pour être en phase avec la société actuelle, assure Bénédicte Lesage, productrice pour Mascaret Films. Il nous fallait tenter une nouvelle écriture, d’où une web-fiction non linéaire.” Non linéaire : comprendre fragmentée, capable de mixer plusieurs points de vue et niveaux de lecture en simultané et semblant ne suivre aucune logique narrative rigide. Ce qui reste à nuancer : le scénario élaboré par Vincent Ravalec d’après un concept originel de Lydia Hervel – quatre loulous manipulés préparent un casse – part d’un point A vers son dénouement mais laisse à l’internaute toute latitude d’emprunter raccourcis, chemins de traverses ou détours labyrinthiques pour y parvenir… ou pas. C’est ici qu’il faut donner le mode d’emploi d’Addicts (noter la caractéristique des séries 3.0 : lire la notice avant utilisation). Tous les trois jours pendant cinq semaines, un épisode est mis en ligne sur le site d’arte.tv. Il se (dé)compose de cinq séquences autonomes (une par personnage plus une garde à vue), soit cinq modules se visionnant séparément. Autour de cet album vidéo à animer soi-même, une vie numérique se déploie : liens hypertexte,

renvois vers les pages Facebook des héros, fil sur Twitter, site d’une voyante consultée, etc. Troublante porosité : ces traces virtuelles, qui peuvent parfois relever du gimmick, tentent de rendre réel un univers fictionnel. Construire du faux-vrai avec du vrai-faux, en somme, pour donner aux personnages une épaisseur biographique inédite. A la croisée des ces lignes de forces, l’enjeu d’Addicts est triple. Vincent Ravalec et son équipe ont dû livrer un kit narratif complexe. Il s’agissait pour eux de maîtriser l’aléatoire, donner une intensité propre à chaque séquence et une carnation aux personnages pas trop altérée par les effets de découpage. Les concepteurs du site (l’agence Websiteburo) avaient la charge de tirer parti de cette légère euphorie que procure sur le net  l’infinité des possibles : jouer avec la navigation en rhizomes, le désir de découverte qui se réactive lui-même, le temps disponible qu’il faut accélérer ou fractionner. Mais ce sont les modes de préhension du public qui suscitent le plus d’attente. Car ce qui lui est proposé n’est rien de moins que de se substituer à l’auteur, ou du moins de partager sa force démiurgique. A l’internaute de se construire une architecture narrative en suivant sa subjectivité – et pourquoi pas décider de ne pas tout savoir, se satisfaisant d’une histoire à trous… A lui de se laisser happer ou pas par cette youtubisation de la narration – la série sera aussi diffusée sur… Dailymotion, également partenaire financier. Pourquoi aussi ne pas attendre la version hertzienne, prévue pour 2011 ? Si le pouvoir de la fiction est ici contesté, on pourrait tout aussi bien l’estimer régénéré, réinitialisé, s’accordant de nouvelles perspectives. Le paradoxe est que cette remise en question s’arrime à un pitch classique, une bonne vieille histoire de casse. Mais ici ce sont les lascars qui revisitent Audiard : le drolatique des scènes, l’inénarrable des dégaines s’inscrivent le plus souvent avec efficacité dans un contexte naturaliste servi par le sens de l’observation de Ravalec. Certains modules sont irrésistibles (“La roquette peut tuer”), d’autres animés d’une densité dramatique étonnante (“L’Audition de Charlène Michel”). S’il faudra attendre d’avoir testé ce walk in progress jusqu’à son terme (17 décembre) pour en tirer un avis définitif, le puzzle qui a commencé à se former lors des previews semble tenir ses promesses. Avec deux millions de clics attendus pour envisager une saison 2, voici Addicts, la série qui annonce dès son titre ce qu’elle attend de son public... Pascal Mouneyres Addicts sur arte.tv, en ligne du 15 novembre au 17 décembre

Les simulacres de Berlusconi Le corps lisse du Cavaliere, incarnation du narcissisme télévisuel. En déclarant à travers un large sourire qu’il vaut “mieux aimer les jolies filles qu’être gay”, Silvio Berlusconi perpétue le rôle qu’il s’est construit depuis des années : celui d’un chef imposant au peuple sa “tyrannie de l’intimité” (cf. Richard Sennett). Acculés à partager ses affects homophobes et ses exploits sexuels, les citoyens italiens ont trouvé en Berlusconi le sinistre héritier de Mussolini dans le soin obsessionnel porté à dessiner son image, à sculpter un “corps de chef”. C’est sous cet angle sémiologique que l’auteur italien Marco Belpoliti analyse la singularité politique du Cavaliere dont l’éclipse semble annoncée depuis que son allié Gianfranco Fini a décidé de le lâcher. Le thème du corps a toujours dominé le centre même de sa politique quotidienne à travers ses gestes, ses actes, ses postures, ses tenues… Ce corps du chef est un corps postmoderne, un “corps médiatique” qui “ne répond plus aux rituels traditionnels de la représentation” et qui “n’a de sens que par rapport à son existence matérielle”. Son pouvoir corporel existe et prospère dans l’ostentation de ses propres signes. Belpoliti revient sur les mécanismes de construction de ce corps-icône qui prend appui sur la représentation photographique et télévisuelle. Tout chez lui est mis en scène, “simulacres et simulation”, pour reprendre le titre d’un essai de Baudrillard. “La télé a porté jusqu’à ses extrêmes conséquences la production de l’espace simulé à l’intérieur duquel nous vivons aujourd’hui”, insiste l’auteur. Présentateur et manager  : tels sont les motifs iconiques de ce corps “berlusconique” qui invente une “érotique” glauque, une image vide du corps politique. Berlusconi “a introduit le vide au cœur de l’image”. Ce vide continuera-t-il à nourrir sa gloire ? Marco Belpoliti, Berlusconi, le corps du chef (Lignes), 185 p, 16 €

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Telecinco

berlusconienne

sauve qui peut Avec sa tchatche de poissonnière madrilène, Belén Esteban séduit les Espagnols dans son émission Sálvame (“Sauve-moi”). Icone trash ou heroína postmoderna ?

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ez de boxeur, regard noir et le plus souvent furibard, Belén Esteban, 37 ans, est la pintade aux œufs d’or de la chaîne espagnole Telecinco, fleuron ibérique de l’empire Berlusconi (Mediaset). Arme de choix de la chaîne qui la dégaine régulièrement pour battre les audiences des concurrentes, la “princesse” gouailleuse de la télévision trash rit, vit, crie, pleure et commente aussi l’actualité pendant près de vingt heures en direct chaque semaine dans l’émission Sálvame (Sauve-moi). Hors plateau, Belén occupe les unes des magazines people et est adorée par des millions de

un sondage place Belén à la tête de la troisième force politique d’Espagne si elle se présentait

téléspectateurs qui voient dans son franc-parler aux accents de poissonnière une alternative bienvenue au langage trop policé des hommes politiques. Le “bon sens populaire” teinté de folie. “Des millions d’âmes numériques (...) implorent leur déesse païenne de les arracher du néant comme ces ombres qui priaient Ulysse de leur donner un peu de sang pour leur rendre la vie : ‘Sauve-moi!’”, analyse l’auteur de Kate Moss Machine, Christian Salmon, dans la préface d’un livre de Miguel Roig consacré au phénomène espagnol, Belén Esteban y la fábrica de porcelana (“Belén Esteban et l’usine de porcelaine”). Sa popularité est telle qu’un sondage la place à la tête de la troisième force politique d’Espagne si elle se présentait aujourd’hui aux élections législatives. “Horreur !”, les éditorialistes ne s’en remettent pas. Telecinco,

elle, se presse d’exploiter le juteux filon. Une série ultra-populaire passe sur la chaîne concurrente ? Vite, on lui crée sur mesure une émission calquée sur le modèle “J’ai une question à vous poser”, où plus de 70 candidats accourent pour l’interroger sur le pape, l’immigration et ses amants. Pourtant, lorsqu’on l’a découverte il y a plus de dix ans en fiancée discrète d’un célèbre matador, son regard timide caché derrière une longue frange blonde ne laissait pas présager une telle mutation. Mais leur séparation et la bataille enragée pour la garde de sa fille l’ont propulsée devant des caméras qui lui ont permis de bâtir sa fortune à mesure que son visage changeait, que les cernes se creusaient et que son nez s’affaissait. C’est d’ailleurs sa cloison nasale qui lui a permis de réaliser l’un

de ses plus beaux scores d’audience. Alors que celle-ci avait disparu – officiellement à cause de son diabète, “Je n’ai jamais été accro à la coke”, affirme-t-elle – Belén décide en 2009 de se faire opérer. L’émission où elle dévoile en direct son nouveau visage est suivie par un téléspectateur espagnol sur quatre. Plus récemment, toute l’Espagne découvre avec elle que son nouveau mari, Fran, patron de bar, l’a trompée. C’est un scoop de la principale chaîne concurrente, Antena 3, qui offre au fautif jusqu’à 500 000 euros pour son témoignage exclusif. Il préfère finalement se confesser sur la chaîne où sévit son épouse en colère. “De ses misères s’extirpe toujours une victoire, écrit Victor Amela, critique télé pour La Vanguardia. Une victoire écœurante mais rentable.” Elodie Cuzin

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Lionel Guericolas

Toques et politique, les députés aux fourneaux

LCP

politiques de proximité Dix ans après sa création, La Chaîne Parlementaire invente des émissions qui veulent renouveler les relations entre les politiques et les citoyens.

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ne anti-chaîne d’info” : pour son directeur des programmes Christophe Mouton, La Chaîne Parlementaire tourne le dos à l’inflation du news politique en misant sur l’originalité des formats. “L’idée est de sortir du fast news, des petites phrases, pour offrir un contenu qui ait une réelle valeur ajoutée”, insiste-t-il. Une liberté rendue possible par un statut bien particulier : LCP dispose d’un budget voté chaque année par l’Assemblée nationale et n’a pas recours à la publicité pour se financer. Pour développer sa notoriété, la chaîne mise sur ses magazines. Détours d’Europe, présenté par Maja Neskovic se veut ainsi non pas un discours sur l’Europe, mais un road-movie où la journaliste part à la

la chaîne veut inviter les politiques sur des terrains peu familiers.

découverte des conditions de vie des habitants des autres pays de l’Union. Mais les innovations ne sont pas uniquement formelles : la chaîne veut inviter les politiques sur des terrains peu familiers. L’idée est de créer une sorte de laboratoire d’une parole politique inédite. Dans le magazine Toques et politique, Périco Legasse met ainsi chaque mois deux députés devant les fourneaux en élaborant avec eux une recette emblématique de leur région. Autre exemple : dans Tout dépend 2, Benjamin Vincent confronte chaque semaine une personnalité politique à deux jeunes adultes. “J’interviewe l’invité dans la voiture qui nous amène vers le studio, puis après je m’éclipse et le laisse en tête à tête avec les jeunes. C’est un moyen pour qu’il se passe quelque chose entre eux, pour que le politique sorte du cadre de l’interview classique.” Les nouveautés de la rentrée cultivent aussi cette lecture transversale de la politique : fraîchement arrivée sur LCP, la journaliste Colombe Schneck reçoit

chaque semaine dans Filigranes un artiste et revisite à travers son œuvre le contexte politique. Des déclinaisons autour de la vie publique qui n’hésitent pas à bousculer les codes, allant même parfois jusqu’à jouer avec ceux de la téléréalité, comme dans l’émission J’aimerais vous y voir, qui amène un élu à se mettre dans la peau de ses administrés. Ces formats sont rendus possibles par des politiques qui pressentent l’intérêt de maîtriser des exercices télévisuels nouveaux. “Dans un premier temps, ils étaient souvent rétifs : ils sont habitués à venir sur un plateau, répondre à des questions et à repartir. Mais aujourd’hui, ils jouent de plus en plus le jeu, notamment ceux de la génération Royal-Sarkozy, qui sont littéralement des enfants de la télé, contrairement à ceux de la génération Chirac-Mitterrand”, explique Christophe Mouton. Des innovations qui pourraient donc bien, à terme, modifier véritablement les rapports entre politiques et caméras. Marjorie Philibert

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JoeyStarr et Hélène Fillières, le caïd et la chef de clan

voyous

ça se corse Avec la troisième saison de Mafiosa, Eric Rochant ancre la série dans la culture sociale et politique de la Corse. Ses personnages y gagnent une nouvelle intensité dramatique.

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iolence, sexe, night-clubs, malfrats, braquages, armes à feu, corps fiévreux… : le paysage de la série française dessiné par Canal+ depuis plusieurs années se développe à partir de motifs récurrents. De Pigalle à Engrenages, de Braquo à Maison Close, la chaîne déroule les codes de la série noire, chaude et virile. Mafiosa, créée par Hugues Pagan, s’inscrit au cœur de ce territoire balisé et cohérent, tout en inventant son particularisme à l’intérieur de “l’écriture” Canal+ mais aussi à l’intérieur de sa propre histoire. La troisième saison, écrite et réalisée par Eric Rochant, creuse de ce point de vue l’écart entre ses principes fondateurs et les horizons vers lesquels elle évoluait dès la saison 2. Le réalisateur des Patriotes radicalise ici le tournant réaliste qu’il veut, avec son coauteur Pierre Leccia, conférer à la série. Le souci du réalisme s’incarne dans un récit ancré dans la matière sociale et culturelle de la Corse d’aujourd’hui. Où les clans nationalistes se mêlent, de près ou de loin, aux activités de purs voyous locaux. La troisième saison s’arrime à ce point de tension entre les acteurs de la culture insulaire qui en agissant aux marges de la légalité occupent le centre des intérêts locaux. Le fil de la saison 3 tourne autour du conflit qui oppose Sandra la chef

du clan Paoli (Hélène Fillières, classieuse) aux nationalistes à propos d’un projet foncier, ainsi qu’à son frère (Thierry Neuvic, solide dans le rôle du chef retors). Pour rendre plus crédible une héroïne qui n’existe pas dans la réalité corse patriarcale, les auteurs ont ciselé les traits des personnages qui entourent Sandra, comme si les forces qui gravitent autour d’elle pouvaient l’éclairer en miroir. Ses deux hommes de main, Tony et Manu, croustillants dans leur rôle de vauriens bas du front, son partenaire en affaires Moktar (JoeyStarr, convaincant en caïd de la drogue) et surtout son nouvel amant, Nader (lumineux Reda Kateb, animal gracieux, qui crève l’écran avec sa sauvagerie érotique, révélation de cette saison). Perdant le contrôle des affaires, recluse dans sa forteresse, où elle ne rêve que du corps de son voyou échevelé, l’héroïne, à la dérive, n’en est que plus troublante. Par-delà le scénario, le souci du réalisme s’incarne aussi dans la mise en scène. L’histoire de Mafiosa ne pouvait se dissocier de sa géographie. Tournée pour l’essentiel en décors naturels,

la Corse est plus qu’un paysage, elle devient personnage à part entière

la série capte les lumières, les ambiances et les visages de l’île. A l’image du beau générique – un travelling avant sur les routes de montagne, proche de celui du film de Depardon, La Vie moderne –, la Corse est plus qu’un paysage, elle devient personnage à part entière, comme Baltimore l’était dans The Wire ou le New Jersey dans Les Soprano. Dépouillé de tout cliché folklorique, le regard de Rochant se concentre sur des “gueules”, qui sous un ciel ombrageux racontent quelque chose de l’âme perdue d’un pays de petits caïds. La mise en scène, très découpée, opte pour un foisonnement des plans, tournés à deux caméras. Mais le montage énergique est compensée par une impression de grande tranquillité qui insuffle tous les plans, posés, en dépit des saillies violentes qui les traversent. Rochant s’attache autant à filmer le quotidien banal de voyous ordinaires, drôles malgré eux (regarder le foot à la télé, manger un ragoût, mater les filles…) qu’à consigner leurs mœurs de héros vils et sauvages. Le cadre romanesque de Mafiosa s’efface ainsi sous le poids d’un regard quasi ethnographique porté sur des antihéros absolus dont Rochant capte l’énergie nihiliste qui ne mène qu’à la mort et au sacrifice. Jean-Marie Durand Mafiosa saison 3, série de 8 épisodes réalisée par Eric Rochant. Tous les Lundi, à partir du 22 novembre à 20 h 50, Canal+

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brèves Meryl Streep sur le net C’est le coup de l’année en termes de casting. L’ex-Friends Lisa Kudrow, aujourd’hui productrice et actrice d’une websérie comique intitulée Web Therapy, a convaincu Meryl Streep de tenir un rôle dans trois épisodes mis en ligne la semaine dernière. La star multioscarisée y joue une thérapeute en charge de ramener les homosexuels dans le “droit” chemin. Commentaire de Lisa Kudrow : “Meryl a été hilarante et parfaite dans ses improvisations.” A voir sur lstudio.com.

Undercovers annulée

focus

Busy fort occupée

C’est le premier échec sérieux du golden boy J.J. Abrams (Alias, Lost, Mission:Impossible 3, Star Trek) à la télévision. Sa nouvelle série d’espionnage et de romance Undercovers disparaîtra des écrans de NBC après 13 épisodes, faute d’audience. Dommage, on aimait bien ce bonbon léger au goût de Mr and Mrs Smith.

Partenaire de Courteney Cox dans Cougar Town, la rigolote Busy Phillipps appartient à l’histoire des séries. es acteurs de séries sont parfois des bouées qui nous raccrochent à des images désirables et constantes du passé. Busy Phillipps, par exemple. Qui ça ? C’est vrai : personne ou presque ne connaît son nom. Mais les amateurs se souviennent qu’elle a traversé plusieurs cathédrales télé avant même ses 30 ans : Urgences, où elle a passé deux saisons Terra Nova patine en adoratrice de Jésus hot et désagréable ; L’énorme série de sciencela série ado Dawson, inaugurant la fiction mise en chantier par décennie 2000 en brisant le cœur des la Fox devait tout déchirer garçons ; et surtout, Freaks and Geeks. à partir du printemps prochain La série cocréée par Judd Apatow a peu avec Steven Spielberg à la duré (1999-2000), mais reste aujourd’hui production et un tournage encore le trésor caché d’un âge d’or qui en Australie. Mais le big bang ne faisait alors que murmurer. Rencontrée Terra Nova ne sera pas pour au dernier Festival télé de Monaco, Busy tout de suite : les trois quarts Phillipps a les yeux qui s’éclairent à cette des scénaristes viennent évocation : “Il y avait quelque chose de d’être virés. Télé, ton univers spécial. James Franco, Seth Rogen et moi impitoyable. étions des ados sans expérience. Très vite, Judd Apatow et Paul Feig savaient que le show ne continuerait pas et voulaient que chaque épisode ressemble à un petit film. The Ricky Gervais Show (Orange Ciné Novo, Notre liberté de jeu et d’improvisation était le 22 à 20 h 40) Le génial acteur comique totale. J’ai eu du mal à travailler ensuite dans (et créateur de The Office, l’original) possède des cadres contraignants.” Aujourd’hui sa propre série animée sur HBO, adaptée trentenaire, Busy Phillipps laisse profiter de son émission de radio anglaise. Se ruer le monde de son premier talent : faire rire. dessus toutes affaires cessantes. Décomplexée, elle parle fort et semble prête à tâcher son image de jolie poupée Life Unexpected (Canal+ Family, à la moindre occasion. Elle interprète le 21 à 20 h 45). Une adolescente adoptée la meilleure amie de Courteney Cox retrouve ses parents et s’immisce dans Cougar Town, une sitcom qui avait dans leur vie. Une subtile et émouvante commencé par inquiéter et a fini par chronique mélodramatique dans la convaincre. “J’adore l’humour du lignée d’Everwood. showrunner Bill Lawrence (ex-Scrubs), ces trucs peu communs et un peu dingues Hélène et les Garçons (AB1, le 17 à 17 h 50) qui sortent de la salle d’écriture. Voilà ce que Pour beaucoup, la sitcom française du début je cherche dans la vie.” Busy, une blonde des années 1990 sonnait grossièrement faux. comme on les aime. Olivier Joyard D’autres, comme le critique de Libé

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agenda télé

Louis Skorecki, la rapprochèrent de Rohmer. Notre camp : Skorecki, bien sûr.

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émissions du 17 au 23 novembre

Cobayes humains

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Documentaire de Paul Jenkins Vendredi 19 novembre, 23 h 15, Arte

créolisation

citoyen du tout-monde Edouard Glissant nous fait visiter ses ports d’attache et revisiter son parcours.

Edouard Glissant, la créolisation du monde Documentaire d’Yves Billy. Vendredi 19 novembre, 20 h 35, et dimanche 21 novembre, 7 h 55, France 5

1 Euro 70 Magazine présenté par Victor Robert. Dimanche 21 novembre à 13 h, Planète

Le tour du monde pour le prix d’un ticket de métro. Le magazine de reportages 1 Euro 70 élargit son territoire d’observation. On retrouve Victor Robert sur les quais du métro de New York pour partir à la rencontre des mormons de Harlem, ou encore des “punk jews”, une génération de Juifs new-yorkais, radicaux et anti-establishment, qui se réunissent pour débattre ou organiser des concerts. Un autre reportage nous fait découvrir la communauté haïtienne (pas moins de 250 000 Haïtiens vivent à NY) : un an après le tremblement de terre, la communauté garde espoir pour la reconstruction du pays. Prochaines escales : Bruxelles et Marseille. M. P.

Yves Billy/Auteurs Associés



alade avec le plus célèbre écrivain antillais vivant, Edouard Glissant, sur les lieux de son enfance et de son adolescence, du nord au sud de son île, la Martinique. Sur la route, le vieil homme rappelle le rebelle qu’il fut, au point d’être interdit de séjour dans son île natale par de Gaulle, de 1959 à 1965, parce qu’il avait appelé à l’indépendance. Glissant souligne le rôle qu’ont tenu les intellectuels de la diaspora noire dans les décolonisations. Il évoque sa dissociation de la voie tracée par Aimé Césaire, chantre de la négritude, à laquelle il a substitué l’idée de la créolisation qui prône, dans le fond, un peu l’inverse, le métissage. Mais l’écrivain n’entre pas dans les détails au cours de ce périple, qui ne fait que survoler de loin en loin son œuvre. Tout au plus l’entend-on dire, parfois, quelques vers de ses poèmes (“Je suis un cercle des poètes disparus à moi tout seul”, déclare-t-il, rappelant que ses amis d’adolescence sont tous morts). Le principe de la créolisation correspond avec le désir d’universalité de l’écrivain, corroboré par son invention du “tout-monde”, auquel il fait allusion en discutant sur sa terrasse autour d’un ti-punch avec Patrick Chamoiseau, l’autre star littéraire de l’île. Cette universalité, Glissant la démontre par ses voyages incessants, notamment aux Etats-Unis – il est professeur de littérature dans la plus grande université new-yorkaise depuis de nombreuses années –, ou en France, sa troisième terre d’attache. Le charme du film réside dans son naturel, ses séquences nostalgiques sur fond de paysages parfois idylliques. Vincent Ostria

Enquête sur les essais de médicaments qui font des ravages en Inde. On en apprend de belles : la délocalisation concernerait aussi la production pharmaceutique. Dans ce cadre, les essais cliniques de médicaments produits par des firmes européennes seraient notamment réalisés en Inde sur un mode totalement opaque et illégal. On le constate avec cette enquête choc, démontrant la collusion du corps médical et de l’industrie pharmaceutique, et l’utilisation éhontée de populations indigentes pour tester de nouveaux produits, au mépris de toute précaution. La valeur scientifique de ces études, qui se sont soldées par des décès, est donc très contestable. V. O.

Ce carbone qui nous enfume Mardi 23 novembre sur Arte à 22 h 05

Une Thema morose pour faire le point sur la lutte contre le réchauffement climatique. Près d’un an après le sommet de Copenhague, quelles avancées peut-on mesurer à propos de la lutte contre le réchauffement climatique ? Cette Thema fait le bilan avec un tableau édifiant de la situation de crise globale, marquée par l’incapacité des gouvernants à limiter les émissions des gaz à effet de serre, au nom de leur foi dans la croissance industrielle. D’après les témoignages des différents experts et militants interrogés par Yves Billy, aucune perspective réelle d’amélioration ne se dessine. Pendant ce temps-là, le taux de carbone croît. M. L. 

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le mur de la honte Le mur de l’Atlantique fut la plus vaste entreprise industrielle de la Collaboration.

L’homme qui dirigeait l’Afrique Documentaire de Cédric Tourbe. Jeudi 18 novembre, 20 h 40, Planète

Qui était vraiment Jacques Foccart, éminence grise de la Françafrique ? Jacques Foccart a toujours cultivé le secret. Nul ne fut pourtant aussi présent au cœur de la “Françafrique”, dont il contrôla les arcanes du haut de sa discrétion intéressée. A partir des années 1960, l’homme manipule les réseaux, intronise ou fait tomber les dirigeants. Son pouvoir s’étend sur les quatorze anciennes colonies françaises, de la Mauritanie au Congo. L’argent et les services secrets de l’Etat gaullien sont à sa disposition. Jusque dans les années Pompidou puis Chirac. Ce documentaire retrace son parcours, entremêlé d’importantes relations publiques et privées. Et dévoile, images d’archives et récents témoignages à l’appui, l’influence de l’ancien “Monsieur Afrique”. Alexandre Seba Jacques Foccart, toujours derrière le Général

fortifications destinés à défendre le littoral des invasions – n’a pratiquement servi à rien le 6 juin 1944, lors du Débarquement allié en Normandie. On regrette seulement que le cinéaste ne s’attarde que peu sur l’architecture futuriste de ces bâtisses mal conservées (couvertes de tags). Ce qu’il fait par ailleurs dans un chapitre de son livre (Le Mur de l’Atlantique, paru chez Denoël) publié parallèlement, auquel on conseille de se reporter pour en savoir plus. V. O. Le Mur de l’Atlantique, documentaire de Jérôme Prieur. Jeudi 18 novembre, 22 h 50, France 2

Violence conjugale : comment s’en sortir ? Documentaire de Laëtitia Moreau. Mardi 23 novembre, 20 h 35, France 5

Laëtitia Moreau nous plonge dans le quotidien de femmes battues. Elles ont quitté le domicile familial, la peur au ventre et les enfants sous le bras. Le temps d’une reconstruction longue et difficile, elles sont accueillies dans un foyer spécialisé, encore rongées par les coups et la violence qu’elles ont subis, silencieusement, pendant plusieurs mois ou années. Un homme témoigne, parallèlement à son épouse, et tente de comprendre comment il a pu commettre de tels actes. Un documentaire juste, pudique, qui fait honneur au travail des associations, auquel fait écho l’ouvrage de Natacha Henry, Frapper n’est pas aimer (Denoël). Une mise en lumière cruciale de ce fait de société, désigné Grande Cause nationale 2010. Marine Lonchambon 17.10.2010 les inrockuptibles 117

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invitations réservées aux ABONNÉS DES INROCKS scènes

Pornographie Elizabeth Carecchio



e chantier monumental du mur de l’Atlantique qui a employé près de 300 000 ouvriers, en majorité français, de 1942 à 1944 “a été le poumon de la France de Vichy, la plus importante et compromettante opération de collaboration économique sous l’Occupation” (Jérôme Prieur). C’est ce que s’efforce de démontrer ce documentaire tourné in situ. Plantés devant ces bunkers ou blockhaus de béton qu’on trouve toujours sur nos plages, des historiens décrivent par le menu cette entreprise nazie. Il s’avère que ce mur, qui n’en était pas vraiment un – c’est une ligne d’abris et de

De Simon Stephens, au Théâtre national de la Colline, Paris (XXe). Les attentats du 7 juillet 2005 à Londres servent de cadre à sept histoires de transgression, bénigne ou non, mais toujours secrète, cachée. A gagner : 10 places pour 2 personnes pour les 25 et 27 novembre. Appeler au 01 42 44 15 62 le vendredi 19 novembre entre 11 h et 11 h 30.

musique

Gorillaz Le groupe anglais au son pop-rock lo-fi, punk, reggae et hip-hop est de passage les 22 et 23 novembre au Zénith de Paris. A gagner : 10 places pour le 22 novembre. Appeler au 01 42 44 15 62 le vendredi 19 novembre entre 11 h 30 et 12 h.

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enquête

un trésor d’images 24-25, portail dédié au cinéma expérimental et à l’art vidéo, vient d’ouvrir. Une véritable malle aux trésors.

une immense banque centrale d’images, dont chaque internaute pourra librement ouvrir les coffres

Ci-dessus, Piece Mandala/End War de Paul Sharits (1966). Un chef de file du cinéma américain d’avant-garde

Ci-contre, Filmstudie de Hans Richter (1926). L’invention d’un cinéma dadaïste

Light Cone

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urfer sur internet, c’est un peu comme jouer au loto : on ne gagne pas à tous les coups, loin s’en faut… Heureusement, il existe désormais deux numéros, qui plus est faciles à mémoriser, qui offrent la garantie de ne pas perdre son temps devant son écran – surtout si l’on est amateur d’images en mouvement. 24-25, tel est en effet le nom – en référence aux vitesses de défilement des images, au cinéma (24 par seconde) et en vidéo (25 par seconde) – d’un nouveau portail (www.24-25.fr), officiellement ouvert le 8 octobre et tout entier dédié au cinéma expérimental et à l’art vidéo. Soutenu par le ministère de la Culture dans le cadre des grandes manœuvres de numérisation du patrimoine mondial, le projet a été coordonné par Light Cone (www.lightcone. org), association créée par Yann Beauvais et Miles McKane, œuvrant sans relâche depuis 1982 à la conservation et à la diffusion du cinéma expérimental en France et à l’étranger. Le catalogue de Light Cone, qui édite également des livres et des DVD, compte actuellement près de 3 500 titres, tous formats confondus (super-8, 16 mm, 35 mm et vidéo), parmi lesquels des films de Christian Boltanski, Jonas Mekas, Paul

Sharits, ainsi qu’Isidore Isou et Maurice Lemaître (les frères ennemis du lettrisme), ou encore des Autrichiens Peter Kubelka, Kurt Kren, Peter Tscherkassky (auteur du fulgurant Outer Space) – l’Autriche constituant un foyer particulièrement riche en matière de cinéma expérimental. Grâce à des aides de l’Etat, Light Cone a déjà pu numériser une partie de son fonds, consultable sur son site mais aussi, à présent, via le portail 24-25. Appelé à devenir une immense banque centrale d’images, dont chaque internaute pourra librement ouvrir les coffres remplis de trésors, le portail 24-25 regroupe les collections de sept structures différentes : outre Light Cone, Circuit Court, Collectif Jeune Cinéma, Heure Exquise, Les Instants Vidéo, Le peuple qui manque et Vidéoformes sont parties prenantes. Si ses membres actuels appartiennent tous au réseau associatif, le portail est voué à s’élargir à court ou moyen terme pour accueillir des partenaires plus institutionnels (musées et cinémathèques notamment), de France ou d’Europe. Les Archives françaises du film (AFF), la Bibliothèque nationale de France,

le Centre national des arts plastiques Paris Film Coop, pointligneplan et d’autres structures spécialisées devraient ainsi rejoindre le portail. En attendant, 8 584 films sont visibles à l’adresse www.24-25.fr, une connexion performante étant évidemment conseillée pour assurer une qualité de visionnage optimale. Naviguant dans un ample corpus couvrant plus d’un siècle de création, le visiteur peut partir à la recherche d’un titre spécifique ou choisir de se laisser surprendre en piochant parmi la sélection de vidéos proposées en page d’accueil, une sélection modifiable par simple actualisation de la page. Dans une forme encore presque embryonnaire, eu égard à ses possibilités de développement, le portail 24-25 apparaît pourtant déjà comme un complément très bienvenu à l’indispensable ubu (www.ubu.com), autre site de cinéma d’avant-garde et expérimental, et un précieux outil d’approfondissement de la connaissance des marges. Jérôme Provençal www.24-25.fr

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HORS-SÉRIE Bruce Springsteen ou le rock incarné : entre héroïsme, œuvres au noir et combats politiques, la trajectoire d’une icône américaine.

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in situ

scènes

culture et réseau social, ça colle

Non-Solo

Nouveau réseau social consacré aux divertissements, Get Glue permet de se faire recommander des films, livres, séries, etc., selon ses goûts. Il faut d’abord effectuer sa propre sélection. On peut ensuite ajouter des commentaires ou conseiller soi-même des produits, le tout défilant comme sous forme de fil Twitter. getglue.com

Au Centre national de la danse, à Pantin (93). Dans le cadre de l’année France-Russie 2010, un spectacle de danse composé du Non-Solo de Vladimir Golubev puis d’une chorégraphie d’Hélène Iratchet avec Colonie of Non-strict Dance. A gagner : 20 places pour 2 personnes le vendredi 26 novembre. Appeler au 01 42 44 15 62, le lundi 22 novembre entre 12 h 30 et 13 h.

cinéma

Festival des 3 continents

mécènes en ligne Le financement communautaire n’en finit plus de faire des émules. Désormais, chacun peut voir son projet se concrétiser grâce aux investissements des internautes. Expo photo, voyage au bout du monde, mission humanitaire… Devenez mécène en quelques clics, ou trouvez les vôtres. fr.ulule.com

photochromes en stock La plus grande bibliothèque du monde dévoile sa collection de photochromes. La Library of Congress des USA propose 6 000 vues d’Europe, prises entre 1890 et 1910. A la manière des cartes postales, ces photos colorisées montraient des grands monuments, des paysages ou des scènes de la vie quotidienne. tinyurl.com/39mvop3

The Johnny Cash Project

Du 23 au 30 novembre à Nantes. Ce festival présente des films de fiction et des documentaires, d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. La passion et la curiosité, le goût de la découverte et des rencontres, l’amour des films du Sud et la volonté de les servir animent ce beau rendez-vous. A gagner : 5 pass pour 2 personnes. Appeler au 01 42 44 15 62, le vendredi 19 novembre entre 12 h et 12 h 30.

Site hommage (et très vivant) dédié à Johnny Cash, ce projet participatif permet aux internautes de composer visuellement le dernier clip du chanteur. A chacun d’ajouter des images sur la musique de l’homme en noir. Le résultat, en mouvement permanent, est surprenant et très réussi. A voir, à écouter et à faire. thejohnnycashproject.com

cinéma

Festival Entrevues Festival international du film de Belfort. Du 27 novembre au 5 décembre. Depuis plus de vingt ans, ce festival consacré aux premières œuvres, aux courts ou longs métrages, s’est affirmé comme le rendez-vous des cinématographies audacieuses, d’hier et d’aujourd’hui. A gagner : 10 pass pour 2 personnes. Appeler au 01 42 44 15 62, le lundi 22 novembre entre 12 h et 12 h 30.

musiques

Philippe Katerine Le chanteur à la banane est en t ournée ! A gagner : 20 places pour le 7 décembre au Casino de Paris. En province, 6 places par soir : en novembre (le 20 à Lille, le 23 à Strasbourg, le 24 à Lyon, le 26 à Reims, le 27 à Chécy, le 30 à Césson-Sévigné) et en décembre (le 1er à Clermont-Ferrand, le 2 à Angoulême, le 3 à Toulouse, le 4 à Perpignan, le 15 à Rouen , le 17 à Bordeaux, le 18 à Cahors). Appeler au 01 42 44 15 62, le jeudi 18 novembre entre 1 2 h et 1 2 h 30.

Si vous souhaitez bénéficier chaque semaine des invitations et des nombreux avantages, reportez-vous au coupon d’abonnement. 08 781 120.indd 120

la revue du web The Atlantic noir tourisme au Cambodge Un nouveau type de tourisme se développe au Cambodge, avec un retour sur la période la plus sombre du pays. De 1975 à 1979, 15 % de la population fut massacrée par les Khmers rouges. D’anciens lieux de torture et de massacre sont ouverts aujourd’hui aux touristes, ce dont l’Etat espère tirer des bénéfices. Dans le monde entier, ce dark tourism connaît un certain essor. Des voyagistes proposent ainsi des packages pour Bagdad, Sarajevo, Tchernobyl, et même la Nouvelle-Orléans. tinyurl.com/2ezqvtt

New York Observer Courrier International Chelsea Hotel à vendre Peu d’hôtels sont riches d’autant d’histoires et de légendes. De la Beat Generation des années 1950 au punk vingt ans plus tard, le Chelsea Hotel de New York a vu défiler des artistes légendaires : Jack Kerouac, Marilyn Monroe, Bob Dylan, Leonard Cohen, Janis Joplin, Sid Vicious,… Un établissement mythique aujourd’hui mis en vente. Mais quelle est la valeur de ce monument historique ? Selon un proche des propriétaires, l’hôtel a déjà failli être cédé il y a trois ans pour 100 millions de dollars... tinyurl.com/2djlmy7

les jeunes Egyptiens n’espèrent plus “Aucun métier ne me fait rêver.” En Egypte, il s’agit de la réponse la plus fréquemment donnée par les jeunes interrogés sur le sujet. L’information provient d’un rapport des Nations unies. Qui signale aussi que la grande majorité d’entre eux comptent s’en remettre à Dieu pour l’avenir. Car leur futur semble déjà marqué par leur préoccupation première : le chômage. Quant à la politique, ils n’y croient tout simplement plus du tout. tinyurl.com/39thzav

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vu du net

même pas mort Michael Jackson revit dans les cœurs, dans les porte-monnaie, sur scène, et sur le net.

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ichael Jackson n’est pas tout à fait mort. La preuve : une chanson inédite, Breaking News vient d’apparaître sur le net (breakingnews. michaeljackson.com/FR) en prélude à un “nouvel” album officiel, Michael, prévu pour mi-décembre (bit.ly/ bhwlTa). Mais déjà des rumeurs courent : la chanson ne serait pas interprétée par le roi de la pop. Prince Michael, son fils, a déclaré que ce morceau ne correspondait pas à ce qu’il avait entendu lors de

l’enregistrement (yhoo.it/c1uQYo), appuyé par sa sœur Paris (bit.ly/9GiW5Q). Pour une fois, le clan Jackson semble d’accord : les neveux de MJ sur Twitter, TJ (twitter.com/#!/tjjackson) parle de “fausses voix pour essayer de nous tromper” et son frère Taryll ajoute “ce n’est tout simplement pas lui” (bit.ly/bag9zV). Sœur de MJ, LaToya n’est pas convaincue (bit.ly/b7W8uS) comme sa mère, Katherine Jackson, qui en a profité pour se confier à Oprah Winfrey (bit.ly/b3TouU). La journaliste Diane Dimond pense

toutefois que la jalousie aurait incité Katherine Jackson à alimenter les soupçons sur Breaking News (bit.ly/9LfIdF). Sony se défend (bbc.in/9ogK9m) mais les fans qui se croient dupés se déchaînent sur Facebook (on.fb.me/akRgJI), tandis qu’Entertainment Weekly lance un sondage (bit.ly/aDOfn3). Ajoutant à la confusion, le site Jacksonsecretvault a mis en ligne un autre morceau présenté comme “authentique” mais qui se révèle n’être qu’un remix (bit.ly/dhapvc). Malgré tout le King of Pop reste selon le magazine Forbes la célébrité morte la plus riche (bit.ly/9FUrhI). Après le docu This Is It (thisisitmovieondvd.com), Kenny Ortega réaliserait un film sur Thriller (bit. ly/9ByBLm) plus précisément sur le folklore qui entoure le hit (comme sa voix off, l’inimitable acteur Vincent Price, (vincentprice.org). Mais c’est sur scène que l’on retrouve MJ plus vivant (et plus lucratif) que jamais, avec de nombreux concerts. On verra Michael, ou plutôt ses sosies, le 27 novembre à Paris dans Michael Forever (mfetour.com) mais aussi dans le spectacle Remember the Time le 3 décembre à Dunkerque (bit.ly/cVQJza), et fin janvier au Zénith parisien (thrillerlive.fr). On verra la plus grosse superproduction à Las Vegas en décembre 2011, par le Cirque du Soleil (bit.ly/ayFpp7), et judicieusement intitulée The Immortal Tour. Anne-Claire Norot

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Le Fil du rasoir de Somerset Maugham J’aime rester dans le XIIIe arrondissement quand je viens à Paris car il y a de très bons bouquinistes. C’est là que j’ai acheté Le Fil du rasoir de Somerset Maugham, un auteur que je n’avais jamais lu.J’ai beaucoup aimé Elliott, le personnage du snob. Depuis, je lis tous les romans de Maugham.

Die Antwoord $O$ Sensation hip-hop trash et cinglée venue d’Afrique du Sud.

Nord Frederick Busch Un dernier roman de l’écrivain mort en 2006, qui clôt une œuvre prolifique et désabusée.

de Franz Liszt J’ai beaucoup écouté Franz Liszt en écrivant La Carte et le Territoire.

L’art contemporain chinois En mai dernier, j’ai passé trois semaines en Chine où j’ai vu beaucoup d’expos d’art contemporain. Photos, vidéos, installations. Je ne me souviens plus du nom des artistes mais ils étaient très bons. recueilli par Nelly Kaprièlian

Potiche François Ozon La success story d’une épouse au foyer catapultée à la tête d’une entreprise. Une comédie de mœurs vintage affriolante.

Belle épine Rebecca Zlotowski Un premier film français qui fait se rencontrer Pialat et Carpenter. Une vraie réussite.

Rubber Quentin Dupieux La course meurtrière d’un pneu filmée en roue libre, avec un certain sens de l’étrangeté comique.

Where the Oceans End Cocoon Retour éblouissant du duo folk français avec un album aux arrangements de soie.

Le Règlement Heather Lewis Un premier roman trash et violent, autour de marginaux rompus aux concours équestres. La Fille du bureau de tabac Masahiko Matsumoto Une recueil de nouvelles douces amères sur le Japon des sixties en pleine mutation.

Crazy for You Best Coast Pop-songs efficaces et euphoriques d’un duo californien.

Courchevel Florent Marchet Un troisième album acide et vicieux, qui dépeint la mélancolie bourgeoise.

Easter Parade Richard Yates Deuxième chef-d’œuvre enfin traduit de l’auteur culte aux Etats-Unis.

Just Kids Patti Smith La vie de Patti Smith et Robert Mapplethorpe dans le New York underground des sixties-seventies. Budd Boetticher Le maître du western de série B sec et bouillonnant en cinq films. Dog Pound de Kim Chapiron Plongée réaliste dans une prison pour jeunes. Coffret Frank Borzage Quatre chefs-d’œuvre de la fin du muet du maître du mélodrame.

Vincent Ferrané

La Lugubre Gondole Le Braqueur Benjamin Heisenberg Le parcours haletant d’un braqueur énigmatique. Encore une belle suprise du jeune cinéma allemand.

Toxic Charles Burns Un récit angoissant truffé de trouvailles de mise en scène virtuoses.

La Chenille Suehiro Maruo Récit érotico-gore élégant et violent.

Michel Houellebecq La Carte et le Territoire (Flammarion) vient de remporter le prix Goncourt.

Julius Caesar mise en scène Arthur Nauzyciel TGP de SaintDenis Arthur Nauzyciel réunit dans la mort les destins de Jules César et de John F. Kennedy.

Gardenia mise en scène Alain Platel et Frank Van Laecke Théâtre de Chaillot, Paris Anciens travestis, ils rejouent la dernière représentation de leur cabaret.

Protect Me mise en scène et chorégraphie Falk Richter et Anouk van Dijk festival Mettre en Scène au TNB, Rennes Un appel au réveil social face aux exigences irrationnelles d’un marché boursier qui entraîne le monde vers la ruine.

Louise Bourgeois Moi, Eugénie Grandet Maison de Balzac, Paris Quand un personnage de roman inspire l’art contemporain.

Samuel Richardot Galerie Balice Hertling, Paris Empreintes d’effets de matière et de lyrisme, les toiles de ce jeune artiste ouvrent de nouveaux horizons à la peinture.

Fresh Hell Palais de Tokyo, Paris Une exposition qui suit les chemins cabossés de la création artistique.

DJ Hero 2 sur PS3, Xbox 360 et Wii Une play-list infernale, une platine bouillante, des scratchs ahurissants : le retour du jeu dont vous êtes le DJ héros.

Enslaved: Odyssey to the West sur PS3 et Xbox 360 Un voyage mouvementé, lumineux et touchant.

Winter Voices – Avalanche sur PC et Mac Un jeu étonnant sur un sujet audacieux : le deuil.

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