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salarié subordonné face au dirigeant cumulant tous pouvoirs. Le rouage nécessaire de ce schéma réside dans l'idée millénaire que la subordination rendrait.
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Jocelyne SKORNICKI-LASSERRE Avocat au Barreau de PARIS Spécialiste en droit du travail 19 rue de Ponthieu 75008 PARIS

LE DEVELOPPEMENT DES MODES DE PARTICIPATION DES SALARIES, ENJEU DE LA COMPETITIVITE DES ENTREPRISES

La récente crise économique et financière a suscité une critique de légitimité et une méfiance à l'égard du modèle de gouvernance actionnariale focalisé exclusivement sur la création de valeur pour les actionnaires-investisseurs institutionnels et mis en œuvre aux moyens de politiques économiques "court-thermistes" non seulement inadaptées au fonctionnement de l'économie réelle mais surtout désintéressées des problématiques sociales. Cette financiarisation accrue des entreprises les a éloignées de leurs salariés pourtant acteurs indispensables de la création de valeur. Les rapports sociaux dans l'entreprise sont aujourd'hui bien trop souvent délétères. Les conflits se multiplient sur les thèmes récurrents que sont le partage inéquitable des profits, les licenciements abusifs en présence de bénéfices, les délocalisations massives, la rémunération excessive des dirigeants et autres parachutes dorés. Or ces conflits peuvent être évités par la mise en place et l’application effective de dispositifs de participation des salariés c'est-à-dire en associant ceux-ci étroitement à la gouvernance de l'entreprise. La réflexion sur le développement des modalités de participation des salariés est un sujet d’actualité dans le contexte de crise économique tant en France qu'au niveau européen1 et international2. La participation des salariés sous certaines formes telles que la cogestion ou l’actionnariat fondements d’une évolution des rapports sociaux dans l’entreprise constitue un enjeu de leur compétitivité. C’est la raison pour laquelle les Etats ont récemment développé et promu de telles législations. 1

"Administrateurs salariés et gouvernement d'entreprise : un élément clef du modèle social européen", Les administrateurs et la gouvernance d'entreprise, La Documentation française, N.Kluge. et M.Stollt, 2007 2 Rapport de l'OCDE sur l'information des salariés, la participation aux processus de décision et la participation financière, 2012

Le développement des modes de participation des salariés, enjeu de la compétitivité des entreprises

Jocelyne SKORNICKI-LASSERRE

I) LES ENJEUX D’UNE NOUVELLE CONCEPTION DE L’ENTREPRISE L'enjeu fondamental réside dans la définition du rôle confié aux salariés dans la gouvernance de leur entreprise, dans leur pleine intégration dans le réseau de relations liant ses différents partenaires à fin d'une détermination conjointe et apaisée de la stratégie et de la performance de l’entreprise. Il s’agit de créer un nouveau modèle de gouvernance d'entreprise. Les pistes de réflexions sont quasi infinies tant en ce domaine tout reste à inventer ou réinventer. Certains dispositifs comme l’actionnariat salarié, la présence de représentants des salariés dans les instances dirigeantes et la cogestion constituent des outils privilégiés d'association utile et dynamique du salarié à la vie de son entreprise.

 Etude théorique de la conception du partage des pouvoirs dans l’entreprise Traditionnellement l'entreprise est décrite sous l'angle de la lutte des classes et de l'antagonisme du salarié subordonné face au dirigeant cumulant tous pouvoirs. Le rouage nécessaire de ce schéma réside dans l'idée millénaire que la subordination rendrait incompatible toute forme de participation du salarié au processus décisionnel de l'entreprise. Le salarié est ainsi réduit à une simple force de travail au service de l'employeur à l'instar d'une machine, entrainant un déni brutal de sa capacité à être un acteur de l'entreprise. Cette conception conflictuelle des rapports sociaux s'est imposée et a permis de fonder l'organisation capitaliste classique du travail et l'attribution exclusive aux dirigeants du processus décisionnel justifiée notamment par l'existence de prétendues divergences irréconciliables des intérêts en présence. C'est pourtant une vision simpliste et erronée des relations intra entreprise nourrie tant par les élites dirigeantes soucieuses de conserver leur pré carré décisionnel que par les organisations syndicales enfermées dans un rôle symbolique de gardiennes de la doctrine marxiste. La récente exacerbation des conflits sociaux en Europe et dans le monde démontrent que la confrontation des principaux acteurs de l'entreprise est improductive alors qu'en réalité les points de convergences existent. Les salariés ne recherchent-ils pas outre la pérennité de leurs emplois la compétitivité de l'entreprise et la création de richesses3 ? La cohésion sociale ayant la vertu d'être facteur de performance économique il appartient au législateur d'instaurer des dispositifs apaisant les relations entre les travailleurs et les dirigeants4. Les rapports sociaux doivent se transformer sous l'impulsion de législations faisant l'objet de consensus politique et destinées à restituer aux salariés l'ensemble de leurs capacités.

3

"Le rôle des salariés dans la gouvernance des entreprises en France : un débat ancien, une légitimité en devenir", IRES, document de travail, n°06.02, C.Sauviat (2006) 4 "Améliorer la gouvernance d'entreprise et la participation des salariés", Centre d'Analyse Stratégique, S. Benhamou, juin 2010

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Il ne s'agit pas de demeurer dans une sphère doctrinale et d'invoquer les vocables abstraits du "dialogue social", de la "responsabilité sociale des entreprises" ou de "démocratie sociale". On ne peut se satisfaire en la matière de soft law ou de guide de bonnes pratiques. La loi doit conférer aux salariés de vrais droits à l'égard de leur instrument de travail, soit idéalement des dispositifs de participation sous une forme combinée financière et décisionnelle. L'importance d'une révision de notre modèle de gouvernance et la mutation des rapports sociaux dans l'entreprise sont des enjeux fondamentaux. De tels sujets intéressant la population active confrontée quotidiennement à une vie professionnelle fondée sur la verticalité des rapports sociaux et des processus décisionnels ont vocation à avoir la faveur des médias et être au cœur du débat politique. Tel n'est pourtant pas le cas et on ne peut que le regretter.

Le présent article a vocation à faire une présentation générale au plan mondial de l’évolution des dispositifs de participation des salariés et leurs impacts positifs sur l'entreprise.

II) LES OUTILS PRIVILEGIES DE PARTICIPATION DES SALARIES A.

L’actionnariat salarié 

Les modèles européen, américain et asiatique

L'actionnariat salarié constitue un des outils efficaces d'association du salarié. A l'égard de leur entreprise dont ils détiennent des actions les salariés adoptent un comportement très différent de celui des investisseurs institutionnels particulièrement perméables aux fluctuations boursières. L'actionnariat salarié a vocation à être un placement à long terme et stable. Etre actionnaire confère au salarié un sentiment de confiance et d'appartenance à l'égard de son entreprise. Son affectio societatis est véritable et pérenne ; il devient alors un véritable partenaire des dirigeants5. La mise en place d'un tel actionnariat contribue à la motivation des salariés et est par conséquent un atout pour les entreprises. Il n'est pourtant pas dénué de risques pour le salarié qui, dans l'hypothèse où son entreprise connaitrait des difficultés, serait confronté à une éventuelle perte de son emploi mais aussi de son investissement.

5

"L'actionnariat salarié : vers un véritable partenariat dans l'entreprise", Rapport d'information 500 fait au nom de la Commission des Affaires sociales, enregistré à la Présidence du Sénat le 29 septembre 1999, J.CHERIOUX

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Cet actionnariat peut ouvrir l'accès des conseils d'administration aux représentants des salariés actionnaires. En France cette représentation est prévue dès lors que les salariés détiennent plus de 3°/° du capital et que leurs actions sont détenues dans le cadre d'un PEE, PCPE ou d'une loi de privatisation. Le processus décisionnel est enrichi par la présence de ces représentants des salariés actionnaires qui apportent une expertise spécifique quant aux rouages internes de l'entreprise souvent mal connus des autres administrateurs. La participation des salariés aux instances dirigeantes permet de réduire l'asymétrie d'information classique et permet donc un contrôle accru des décisions des dirigeants6. Les salariés veillent ainsi à la défense de leurs intérêts c'est à dire à la protection de leurs investissements. L'intérêt fondamental de cette participation réside dans leur capacité à influencer les décisions prises.7 Plusieurs études ont démontré l'effet positif de l'actionnariat salarié sur les performances de l'entreprise en termes notamment de croissance et de productivité8. L'exemple de la société ESSILOR est source d'inspiration9 : aujourd'hui les salariés détiennent 8,5°/° du capital (près d’un salarié sur quatre est actionnaire) et 15°/° des droits de vote. Ils en sont les principaux actionnaires. Une association des actionnaires salariés de cette entreprise a été créée, Valoptec, qui réunit la moitié des actionnaires. Trois représentants de cette association siègent au Conseil d'Administration ce qui lui confère un pouvoir décisionnel important10. En outre lorsqu'ils se réunissent en Assemblée générale les membres de l'Association se prononcent par un vote de confiance annuel sur la stratégie de l'entreprise et sa politique humaine et sociale ayant une portée hautement symbolique. Le modèle d'actionnariat mis en place chez ESSILOR démontre que l'actionnariat salarié n'est pas limité à des considérations financières mais autorise les salariés actionnaires à jouer un rôle de partenaires, comme cela peut être dans l'hypothèse d'OPE hostiles. En 1999 c'est le vote des actionnaires salariés qui a permis de faire échouer l'OPE de Bnp Paribas sur la Société Générale.

6

Smith, 1991 Desbrières, 1997 8 "Les effets de participation des salariés sur la performance de l’entreprise : Tests empiriques et proposition de modèle théorique", Thèse de Xavier HOLLANDTS, 2007 9 ESSILOR – Site internet : http://www.essilor.com/fr/Groupe/Actionnariat/Pages/Valoptec.aspx 10 "Vision partagée", Annie Kahn, Le Monde, 3 juillet 2012 7

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La France est un des pays européens où l'actionnariat a pris un essor important, notamment en raison des privatisations et de dispositifs fiscaux incitatifs. Aujourd'hui la France compte 3,7 millions de salariés et anciens salariés actionnaires. A titre d'exemples, citons six entreprises Françaises bénéficiant d'un actionnariat salarié : Total, Société Générale, Bnp Paribas, Crédit Agricole, AXA, Bouygues. En France, dix sept entreprises du CAC 40 ont un actionnariat salarié qui atteint les 3°/°, sept entreprises atteignent 5°/° telles que AXA, Bnp Paribas, Vinci, Saint Gobain. La société Bouygues atteint même 10°/° du capital détenu par les salariés. L'actionnariat salarié Français bénéficie d'un lobby puissant, La Fédération des Associations d'Actionnaires Salariés et Anciens Salariés (FAS)11 créée en 1993. Cette association a notamment œuvré pour la mise en place de l'indice boursier de l'actionnariat salarié, ou IAS12, lancé le 22 octobre 1999 en partenariat avec EURONEXT dont l'objectif est de suivre les performances boursières des sociétés cotées disposant d'un actionnariat salarié significatif.

L'Europe s'intéresse également au développement de l'actionnariat salarié et plus généralement aux différentes formes de participation financière des salariés (actionnariat, intéressement, plan d'épargne etc). La participation au capital des salariés est abordé dans le rapport PEPPER IV de 2009 : « Panorama de la participation des travailleurs aux profits et aux résultats des entreprises dans les Etats membres » puis en 2012 dans une communication de la Commission européenne : « Plan d’action : droit européen des sociétés et gouvernance d’entreprise – un cadre juridique moderne pour une plus grande implication des actionnaires et une meilleure viabilité des entreprises » Un site internet a été créé et dédié exclusivement à l'information sur la participation des travailleurs en Europe13.

La Fédération Européenne de l'Actionnariat Salarié (FEAS) reconnue par la Commission Européenne comme Organisation Européenne Représentative d'Entreprises dans le secteur a pour but de promouvoir le développement de l'actionnariat salarié en Europe.14 En 2013 le Parlement européen a voté une ligne budgétaire pour créer un centre européen pour l'actionnariat salarié dans chaque pays ayant vocation à l'information et la formation des entreprises et des salariés et la promotion de législation adaptée à l'échelle Européenne.

11

FAS-Site internet : http://www.fas.asso.fr/ IAS- Site internet : https://indices.nyx.com/products/indices/FR0003999598-XPAR 13 Site internet : http://fr.worker-participation.eu/ 14 FEAS - Site internet : http://www.efesonline.org/serv01.htm 12

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Le 14 janvier 2014 une résolution15 a été adoptée par le Parlement concernant la suppression des obstacles transnationaux pour les entreprises mettant en place des régimes de participation dans plusieurs Etats membres et les divergences nationales fiscales qui peuvent pénaliser les salariés. L'intérêt croissant de L'Europe pour le développement de la participation financière des travailleurs s'explique par le fait qu'il est analysé comme un des facteurs de la relance économique. Toutefois sa mise en œuvre nécessite que les Etats adoptent une législation fiscale appropriée afin que l’actionnariat salarié soit un dispositif attractif.

Les Etats-Unis ont un actionnariat salarié encore plus développé qu'en Europe et ciblé non pas exclusivement sur les très grandes entreprises et les sociétés cotées mais conçu pour les PME. Le modèle américain d’actionnariat salarié se distingue du modèle européen en ce qu’il n’implique aucune représentation des salariés actionnaires dans les instances dirigeantes. Ce sont les plans d'actionnariat collectif, les ESOP. Les Etats-Unis comptent 20 millions d'actionnaires salariés soit 20% de la population active. Les ESOP sont des plans d'actionnariat collectif alimentés par des contributions de l'employeur et permettant aux salariés de percevoir, sous forme d'actions bloquées, un complément de revenu sur lequel ils bénéficient d'un différé d'imposition, en principe jusqu'au moment de leur départ ou de leur retraite16. Les actions des travailleurs sont gérées collectivement par l'intermédiaire d'un instrument de gestion de l'épargne collective, le trust fund qui est un fonds d'investissement qui acquiert des actions pour les salariés. Le modèle américain d'actionnariat doit être source d'inspiration car aucun Etat européen ne dispose d’une législation adaptée à l'actionnariat dans les petites et moyennes entreprises alors qu'elles sont nombreuses et au cœur de l'économie. L’ensemble des pays anglo-saxons, Royaume-Uni17, Australie et Nouvelle Zélande18, Canada ainsi que les pays d’Asie19 (Chine,Japon,Corée20) et certains Etats africains (Kenya, Zimbabwe, Afrique du Sud) ont également développé l’actionnariat salarié.

15

Résolution 2013/2127 du Parlement européen sur la participation financière des salariés aux résultats des entreprises, 14 janvier 2014, 16 National Center for Employee Ownership - Site internet : www.nceo.org 17 « Making employee ownership work – a benchmark guide », Sarah Silcox (EOA) 18 « Employee Ownership Australia and New Zealand (EOA) Report », April 2012 19 « Employees in Asian Enterprises : their potential role in corporate governance », Sans-Woo Nam, April 2003 20 « The Productivity effects of profit sharing, Employee Ownership, Stock Option and Team incentive plans : Evidence from Korean Panel data », Kato, Lee, Ryu –Discussion Paper N°5111, August 2010

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B. La participation des salariés au processus décisionnel  

La participation des salariés au conseil d’administration Le modèle allemand de cogestion

1. La participation des salariés au conseil d’administration Il convient de préciser que la législation des pays anglo-saxons ne prévoit pas une telle représentation vraisemblablement considérée comme trop contraire à leur modèle de gouvernance actionnariale. En revanche, en Europe, 14 pays disposent d’une législation autorisant à partir d’un certain effectif la représentation des travailleurs au conseil des entreprises publiques et privées. Par conséquent plus le seuil est élevé plus la législation trouve une application limitée. (Autriche, Croatie, République tchèque, Danemark, Finlande, Allemagne, Hongrie, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Slovaquie, Slovénie et Suède et France) Les modalités de mise en œuvre de la législation, le nombre de représentants au conseil et les critères de nomination varient en fonction des Etats.. Sur les 15 autres Etats membres, 10 Etats ne disposent d’aucune législation (Belgique, Bulgarie, Chypre, Estonie, Italie, Lettonie, Lituanie, Malte, Roumanie et Royaume-Uni) et 5 Etats limitent leur législation aux seules entreprises d’Etat (Grèce, Pologne, Irlande, Espagne et Portugal).

Au niveau européen la législation sur la participation des salariés au conseil des sociétés européennes est décevante. En effet le statut de société européenne n’impose pas la présence d’administrateurs salariés si celle-ci n’était pas déjà en œuvre avant la transformation en société européenne. En France la loi du 14 juin 201321 relative à la sécurisation de l'emploi a instauré de nouvelles règles de gouvernance d'entreprise en imposant aux sociétés anonymes et aux sociétés en commandites par actions, selon un certain seuil d'effectif, la présence de représentants des salariés avec voix délibérative au sein du conseil d'administration ou de surveillance. Ce dispositif est issu du rapport GALLOIS qui l’érigeait comme "l'un des axes essentiels de la compétitivité"22.

Malheureusement la loi du 14 juin 2013 s’est avérée moins ambitieuse que le rapport précité. Elle prévoit la présence de représentants des salariés suivant des conditions d'effectifs restrictives, (plus de 5 000 salariés) en sorte que son champ d'application est réduit aux seules très grandes entreprises.

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Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi "Pacte pour la compétitivité de l'industrie française", Rapport, L.Gallois, 5 Nov 2012

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C'est un seuil particulièrement élevé. A titre de comparaison, le seuil est de 500 salariés en Allemagne et de 25 en Suède. Par ailleurs, alors que le rapport Gallois en proposait quatre, la loi prévoit un nombre de représentants des salariés plus limité : un seul dans les sociétés dont le nombre d'administrateurs est inférieur ou égal à douze et deux si elle en compte davantage. Afin que ces nouveaux droits puissent être utilisés efficacement et permettent à l'administrateur salarié d'évaluer les choix économiques, de gestion et de management, la loi prévoit qu'il puisse bénéficier à leur demande d'une formation adaptée à l'exercice de leur mandat et ce à la charge de la société.

Cela étant, la loi de sécurisation de l'emploi démontre une volonté du législateur de conférer aux salariés davantage de droits à la participation active à la définition de la stratégie de l'entreprise. Mais cela est encore insuffisant. La France, qui fut longtemps à la pointe du progrès social, est aujourd'hui frileuse à l'idée de valoriser la présence de représentants des salariés au sein des instances dirigeantes et de rompre avec son modèle traditionnel de gouvernance23. Pour conclure il est intéressant de noter que plusieurs études démontrent le lien entre la performance de l’entreprise et la présence de représentant des salariés au conseil d‘administration.

2. Le modèle allemand de cogestion La législation allemande prévoit un système de "cogestion" ou "codétermination" fondé sur l'association accrue des salariés à la prise de décision au sein de l'entreprise notamment par le biais de la présence de représentants de salariés élus dans les conseils d'administration24. C'est un système aux antipodes de la corporate gouvernance anglo-saxonne dont on ne peut contester l'efficacité eu égard à la santé économique de l'Allemagne et de son taux de chômage particulièrement faible. Ce modèle de gouvernance est présent dans d'autres pays européens indiscutablement prospères économiquement : Pays-Bas, Danemark, Norvège et Finlande, Suède.25 Le système allemand a doté également les comités d'entreprises de droits à la cogestion, c'est-à-dire d'un droit de veto sur certains sujets concernant les salariés, notamment sur les conséquences sociales et personnelles des orientations économiques et financières prises par l'employeur. En ce domaine la France connait également un véritable retard, les droits des comités d'entreprises étant strictement limités à des procédés d'information-consultation.

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"Administrateurs salarié : une nouvelle occasion manquée", Pierre-Yves Gomez, Alternatives économiques, Nov 2013 24 "Capital, labor, and the firm : a study of German codetermination", Journal of the European Economics Association, vol 2,G. Gorton et F.A Schmid, 2004 25 "Aperçu général de la participation des travailleurs dans l'organe de surveillance ou d'administration au sein de l'Europe des 25", Institut syndical européen (ETUI-REHS), N.kluge et M.Stollt, 2007

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Les précédents développements révèlent que la poursuite du progrès social tant en France qu'en Europe demeure un sujet d'actualité… Les évolutions trouveront peut-être un cadre fécond dans le droit européen des sociétés aujourd'hui timide mais avec un potentiel considérable sous réserve d'une réelle volonté politique des Etats membres26.

PROPOS FINAUX : Dans les pays développés les droits fondamentaux des travailleurs sont protégés et les législations imposent des exigences minimales en matière de conditions de travail et de droits relatifs à l'information et la consultation des travailleurs. Aujourd'hui tels que développés ci-avant on constate des mouvements de réflexion sur un développement encore plus étendu des droits des travailleurs. Il est intéressant de conclure cette étude par quelques lignes sur les problématiques actuelles du droit du travail en Afrique très différentes de celles des pays occidentaux. Au sein du continent africain le droit du travail n’est pas homogène, chaque Etat dispose d’un code propre, souvent une copie de l’ancien Code du travail des Territoires d’Outre-Mer datant de 1952. Aujourd’hui ces législations ne sont pas adaptées au nouveau contexte socio-économique et aux particularismes de la société et de la culture africaine. Il arrive également que le droit du travail soit mal appliqué voire ignoré. Dans certains Etats les droits fondamentaux des travailleurs ne sont toujours pas respectés27. C’est la raison pour laquelle l’OIT a œuvré pour inciter les Etats africains réunis au sein de l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires) à mettre en place une législation régionale protectrice des droits des travailleurs. Sur le sujet l’OIT a réalisé notamment les travaux suivants : -

« La réforme du droit du travail en Afrique francophone : actes du séminaire organisé par le BIT et la Banque mondiale » (Corrine Vargha et Philip English 1999)

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« Etude préalable à l’adoption d’un Acte uniforme en droit du travail dans le cadre de l’OHADA » (2003)

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« La liberté syndicale et négociation collective en Afrique : rapport global en vertu du suivi de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail » (2004)

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« L’agenda du travail décent en Afrique 2007-2015 : Conclusions de la onzième Réunion régionale africaine » (2007)

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"Participation et implication des travailleurs en tant qu'acteurs essentiels d'une bonne gouvernance d'entreprise en Europe et solutions équilibrées pour sortir de la crise", Note d'information du Comité économique et social européen, 23 oct 2012 (OSC/470) 27 « La liberté syndicale et négociation collective en Afrique », Rapport global en vertu du suivi de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux du tarvail, BIT, 2004

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L’OIT veille à ce que l'acte uniforme envisagé dans le cadre de l’OHADA impose le respect des droits sociaux fondamentaux tels que déclarés par l'OIT du 18 juin 1998 soit la liberté syndicale, les droits de négociation collective, l’abolition du travail des enfants etc…. L’étude du droit du travail en Afrique et du projet d’acte uniforme sous l’égide de l’OHADA est particulièrement intéressante car elle permet d’envisager les relations de travail de manière différente des pays développés. Les Etats africains ont la possibilité de se doter d'une législation sociale qui soit le reflet de leur environnement socio culturel et non une imitation du modèle occidental. En effet, l’Afrique connait un secteur informel du travail très étendu (les relations de travail sont souvent soumises aux usages et coutumes). Il y a également une forte incidence de l’environnement socio culturel sur l’entreprise car les relations salariés –employeur sont influencées par des facteurs inédits tels que l’existence d’un fort esprit communautaire, le mythe du chef comme bienfaiteur, le poids du sacré et la tradition orale. Les études réalisées démontrent que la culture africaine peut être un atout pour l’entreprise et un levier puisant du développement durable des entreprises africaines. Certaines difficultés que connait actuellement l’application du droit du travail dans les Etats africains proviennent de l'inadaptation des modèles de management d'inspiration étrangères aux réalités culturelles africaines. Le point de vue de l’OIT est que l’adoption du projet d’acte uniforme l'OHADA permettrait d’imposer à l'échelle du continent africain un socle commun de principes fondamentaux et de règles communes innovantes de droit du travail avec l'assurance d'une application effective. La finalité recherchée étant de renforcer l’unité africaine, la sécurité juridique et rendre le continent attractif pour les investisseurs qui sont la source du développement économique.

Fait à PARIS, le novembre 2014

Jocelyne SKORNICKI-LASSERRE Avocat au Barreau de Paris

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