Ed Atkins, Ribbons

devenu hybride et bizarre, qui nous fait face dans Ribbons, il nous nargue aut ant qu'il nous dégoute. Gordon Craig considère que le but de l'art n'est point.
75KB taille 7 téléchargements 812 vues
Pierre Poirey Œuvre étudiée : Ed Atkins, Ribbons (2014), vidéo HD, Son dolby Stéréo

Nous proposons une fiction dans laquelle nous apparaissons sous formes de différents avatars. Au fur et a mesure de nos performances, nous mutons, no us nous confondons avec les personnages que nous incarnons qui eux mêmes absorbent, dévorent nos représentations. Les modalités de transfert, d’absorb tion, d’assimilation entre le réel et le virtuel numérique alimentent notre réfle xion et seront le sujet de ce travail. Le travail d’Ed atkins entre en résonance avec nos axes de recherche. Gavé à l’image de synthèse aseptisée, au son dol by surboosté, aux effets spéciaux grotesques, il pastiche un monde contempo rain décadent et mortifère, hanté par l’omniprésence de l’imagerie numériqu e de synthèse. Celle ci, nous pouvons le constater au quotidien, bouleverse notre rapport pe rceptif au monde. Intriquée, indissociable des images dont nous sommes bo mbardés, la simulation distord petit à petit le regard que nous portons sur les choses et sur nous même, elle façonne, court circuite le corps et l’esprit en pr oduisant d’étranges mélanges entre “modèles et images, entre écrans et réalit és, entre représentations et présences” (Corps intermediaires. Vers une ontol ogie du virtuel, Philippe Quéau 2008). Ma question se porte donc sur cette m étamorphose du moi physique et psychique qui s’opère en réaction au phéno mène contemporain de surexposition aux images simulées. Mon regard portera donc sur l’oeuvre d’Ed Atkins, artiste anglais londonien né en 1982 représenté par la galerie Cabinet. Travaillant avec des logiciels d e conception numérique il repousse les limites du médium 3d. Les images qu ’il produit en très haute définition sont au plus proche du monde matériel. En usant a outrance des effets cinématographiques tel que que des flous, des réfr actions, des sons immersifs, des montages d’une précision extrême il produit un univers organique qui perturbe notre perception par son surplus de réalis

me. Face à ses vidéos profondément expressionnistes, nos sens sont sursollicités, titillés, excités. En fait on éprouve les mêmes sensations qu’ étant plongé dans la bande annonce d’un Transformers projetées au grand rex. C’e st précis et tranchant, on est loin des brumes de Friedrich. J’ai éprouvé devant Even Pricks, (installation présenté par le musée d’art m oderne pendant l’exposition Coworkers), une fascination coupable pour ces i mages intensément séduisantes , édulcoré et aseptisée. Elle m’ont en effet mi s face a mon éducation visuelle, éducation en partie façonnée par les superpr oductions qui berçaient mon enfance. Elles me sont apparues comme une étr ange vérité, une vérité autoritaire. L’installation que j’ai sélectionné s’intitule Ribbons. Elle met en scène un pe rsonnage virtuel, nu, tatoué, et mélancolique (voir dépressif), possédé par l’a lcool. Il dérive, se lamente, fredonne des airs d’un répertoire classique. Sa ge stuelle est étrange: Tantôt rigide (malgré son état) tantôt avachi ( comme pou rrait l’être un ballon crevé sur la chaussée). Atkins le définie comme «une c hose horrible dans le besoin», allégorique de notre condition. Effectivement, malgré sa nature synthétique il nous touche. Pathétique, il reflète une humani té vidée, aliénée par la vie connectée. Le spectacle auquel il s’adonne sonne creux mais émeut. Les émotions véhiculées par cette séquences sont froides, dénaturées. Si l’expression de ce pantin nous atteint, nous accable, c’est parc e qu’elle est maladroite, forcée, conditionnée. Elle est conditionnée d’abord par l’acteur ou le marionnettiste qui dicte ses mouvements, puis par la gestue lle issue du consensus social établit auquel elle répond.C’est en fait un doubl e numérique d’atkins que nous avons sous les yeux .Il lui emprunte sa morph ologie, son faciès et sa diction, grâce au technologies de motion capture Atki ns opère sous forme hybride. Le procédé utilisé lui permet d’animer son ava tar en direct. La fusion entre le sujet et son modèle est déconcertante, cette c ohabitation nous plonge dans un malaise profond.Cette vidéo qui traite de la dépression utilise un procédé qui dévoile l’homme dans un double état d’alié nation. L’auteur, employant outils et formes du présent, nous dévoile sa visio

n pessimiste “ du capitalisme avancé “. (Ed Atkins interview pour 14 rooms, https://www.youtube.com/watch?v=8XXzW6XcXyQ). Atkins dans cette interview nous informe sur sa démarche et justifie l’usage de la technologie de motion capture. D’après lui, en générant une imagerie à partir du vide, en mettant en scène des personnages de synthèse, il ne fait pas de victimes, il n’endommage pas l’acteur ni le décors. Il se dédouane de l’inf luence qu’aurait son scénario sur le sujet qui le joue et se permet donc de ma ltraiter , de violenter ses acteurs numériques. Les clones hyperréalistes qu’il emploie donnent une image déréalisée du corps humain. On peut leurs faire f aire et dire n’importe quoi, il rendent service à l’artiste. Edward Gordon Cra ig, metteur en scène et théoricien (1872/1966) à imaginé le concept de «surmarionnette», pour se débarasser des acteurs. Pour lui «le corps de l’homme est par sa nature même impropre à servir d’instrument à un Art», l’acteur est «incapable d’asservir absolument son corps à son esprit» (De l’art du théatre 1920). Ces pantins à l’apparence humaine qui ne seraient pas asservis par la faiblesse de la nature humaine, “ ne rivalisent pas avec la vie, mais vont audelà; ils ne figurent pas le corps de chair et d’os, mais le corps en état d’exta se, et tandis qu’émane d’eux un esprit vivant, ils se revêtent d’une beauté de mort.». Les clones d Atkins provoquent en effet une vive attraction , ils fasci nent de par leur faculté a transcender nos limites physique mais surtout par l eur capacité a berner notre perception et nos sens en se confondant au vivant et de ce fait de par leur manifestation, a créer un affecte de type corporel. Ma is c’est un corps refoulé et contaminé par les technologies de l’information, devenu hybride et bizarre, qui nous fait face dans Ribbons, il nous nargue aut ant qu’il nous dégoute. Gordon Craig considère que le but de l’art n’est point de refléter la vie, mais que c’est la vie qui doit refléter l’art. De ce point de v ue, la sur-marionnette est supérieure à l’acteur, elle peut se mettre au service de toute idée que l’artiste se fait de son art, sans être entravée par des contrai ntes charnelles. Alors que la simulation immisce dans nos vie, ne nous livrer ait t’elle pas une version du réel suceptible d’etre manipulée par les diffuseur

s de contenu audiovisuel, le monde de la publicité afin de conditionner notre rapport au corps aux objets, au relationnel? De par la fascination induite par cette imagerie, cette surréalité ne dicterait t elle pas au réel une nouvelle con duite? Quand “le monde réel se change en simples images, les simples images devi ennent des êtres réels, et les motivations efficientes d’un comportement hypn otique.”Quand le sens visuel devient le sens référent dans notre société conte mporaine il propose une version abstraite du réel, version manipulable et my stifiable. L’aspect essentiellement immatériel de la HD va de pair avec sa promesse d ’hyperréalité. Atteignant des niveaux jusque-là inimaginables de netteté, de c larté, de crédibilité,elle transcendant le monde matériel pour offrir une sorte de perspective démiurgique. Les outils d’imagerie offrent au concepteur la p ossibilité de manipuler les représentations, les symboles. Le modèle est mim é, amplifié ou torturé, il apparaît au monde sous forme d’illusion de simulacr es chimériques. L’impression est d’autant plus forte quand ces images sont e xploitées dans un système interactif sujet/ avatar.Le sujet a la possibilité de s e réaliser, de se confondre avec sa représentation active dans le monde numé rique. Alors que le corps physique est de toute les manifestations du sujet la moins facile a modifier car inscrite dans une histoire, une matérialité, la plast icité et la souplesse de l’avatar invite à la transfiguration de soi. Cette liberté acquise dans la simulation influence notre rapport physique au monde et rem et en question le statut des apparences, l’incarnation ou bien le principe de ré alité. La sophistication des images trouble la frontières entre le réel et le virt uel laissant place à une confusion potentielle entre la réalité et le monde info rmationnel. Cette néoréalité cohabitant en tant que “pseudomonde à part”(G uy Debord La société du spectacle, troisième édition 1994), avec la réalité es t susceptible d’aliéner le sujet, qui, contemplatif, est incapable de discerner l e simulacre dans cette grande mise en scène qu’est notre monde.