Evolution des structures sociales - 2016

Quelques éléments sur la polarisation de l'emploi , 2016. Camille ... la coordination de Génération.s, intitulé « Les riches ont-ils gagné en Europe ? ». Juliette ...
71KB taille 5 téléchargements 370 vues
L’évolution de la structure sociale dans quinze pays européens (1993-2013) : Quelques éléments sur la polarisation de l’emploi , 2016 Camille Peugny Camille Peugny est sociologue, maître de conférences à l'Université Paris VIII. Il est également membre du Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris et associé à l’Observatoire sociologique du changement. Travaillant notamment sur la question des inégalités en Europe, il a participé en mai dernier à un débat organisé par Guillaume Balas, député européen et membre de la coordination de Génération.s, intitulé « Les riches ont-ils gagné en Europe ? ». Juliette Boillet, membre de Génération.s, analyse pour nous son article « L’évolution de la structure sociale dans quinze pays européens (1993-2013) ». Ce dernier montre notamment que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la tendance générale n’est pas seulement celle d’une élévation vers le haut de la structure des emplois, avec une amélioration des conditions de vie à la clé, mais bien d’une polarisation de la structure des emplois dans leur ensemble (avec y compris une augmentation du nombre d’emplois les moins qualifiés). L’auteur s’interroge sur une possible homogénéisation des structures sociales des principaux pays occidentaux depuis une vingtaine d’années. Il part des postulats suivants : d’une part, la mondialisation des échanges mène à l’homogénéisation des politiques économiques, et d’autre part, le changement technologique, lequel détermine le processus de création et de destruction d’emplois, transcende les frontières. L’objectif de cette analyse est double : Donner à voir les grandes lignes des évolutions ayant affecté la structure de l’emploi dans une quinzaine de pays européens au cours des vingt dernières années, en soulignant les régularités mais aussi les dissimilarités observées entre les différents pays ; Décrire plus précisément les contours du salariat subalterne en Europe et à analyser plus particulièrement la nature et la qualité des emplois peu qualifiés des services. Pour cela, C. Peugny s’appuie sur les données du European Union Labour Force Survey entre 1993 et 2013. Il considère trois groupes de pays : Des pays du nord de l’Europe : Danemark, Suède, Finlande, Pays-Bas, Allemagne, Autriche, Royaume-Uni, France ; Des pays du sud de l’Europe : Grèce, Italie, Espagne, Portugal ; Des pays du centre et de l’est de l’Europe : Bulgarie, Roumanie, République Tchèque, Hongrie. L’évolution des structures sociales en Europe Le salariat moyen et supérieur se diffuse fortement : entre 1993 et 2013, la part des cadres au sens large a augmenté sensiblement dans tous les pays, bien qu’en 2013 cette proportion varie fortement selon les pays (élevée dans les pays du nord de l’Europe, elle est faible dans les pays du sud et de l’est). Parmi les salariés subalternes, les emplois les moins qualifiés augmentent : dans 11 pays sur 15, la part des professions les moins qualifiées augmente également. À l’inverse, la proportion diminue dans plusieurs pays de l’est (République Tchèque et Hongrie) et demeure relativement stable aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni. Ainsi, la diffusion du salariat moyen et supérieur n’exclut pas la diffusion d’emplois subalternes se caractérisant par une position dégradée sur le marché du travail, des conditions de travail difficiles et des salaires très bas, notamment dans le secteur des services qui concentre l’essentiel de ces emplois. La montée des emplois les moins qualifiés témoigne d’une profonde transformation de la répartition des emplois parmi les salariés subalternes : dans tous les pays, à l’exception de la 1

Hongrie, la part des ouvriers qualifiés (dont 80% travaillent dans l’industrie ou la construction) a diminué, parfois dans des proportions impressionnantes. La polarisation de la structure sociale est particulièrement marquée en France : on observe une hausse de la proportion des emplois les plus qualifiés (managers et experts) en parallèle d’une diffusion des emplois les moins qualifiés, au détriment des emplois d’ouvriers et d’employés qualifiés. Cette polarisation particulièrement forte en France ne se retrouve pas dans tous les pays européens étudiés : La part des emplois qualifiés a augmenté significativement au cours des 20 dernières années, passant de 31% à 44% de la population active ; La part des professions les moins qualifiées a augmenté de 4 points pour atteindre le cinquième des salariés ; La part des ouvriers qualifiés a beaucoup diminué (de 20% à 12%) ; La part des employés administratifs a aussi diminué (de 16% à 10%). L’auteur présente le changement technologique comme facteur déterminant dans ce processus, conduisant à la destruction de certains emplois tout en ne se substituant pas à d’autres, notamment ceux présentant les conditions de travail les plus dégradées. De la polarisation de l’emploi à la polarisation des conditions de l’emploi La hausse de la part des employés des services est générale en Europe, même si les rythmes différent parfois sensiblement. Or ces professions présentent des conditions d’emploi parmi les moins favorables. L’auteur s’interroge alors sur la question de la polarisation des conditions d’emploi. Quelle est la nature des emplois créés ? S’agit-il d’emplois relativement stables et fournissant suffisamment d’heures de travail ? Pour mesurer la qualité de l’emploi, C. Peugny considère que le critère du salaire n’est pas suffisant notamment si l’on tient compte du nombre de temps partiels contraints. L’auteur établit donc comme facteur la part de salariés, pour chaque groupe de professions, exerçant à temps partiel et déclarant ne pas être parvenus à trouver un emploi ou un contrat à temps plein. Résultats : 1. Dans tous les pays, la part de temps partiels subis est plus élevée parmi les employés que parmi les ouvriers. 2. Il existe dans la plupart des pays un clivage entre les employés plutôt qualifiés des services et leurs homologues plutôt non qualifiés : la proportion de temps partiels subis est significativement plus élevée parmi les seconds (particulièrement en France). Il y a deux exceptions : le Danemark et la Suède. 3. C’est en Espagne, en Italie et en France que la proportion de temps partiels subis atteint des sommets parmi les moins qualifiés des employés des services (40% en Italie, 36% en Espagne et 31% en France). o Pourquoi ? C’est dans les pays où les employés des services sont relativement peu nombreux que leur conditions d’emploi semblent les moins dégradées, par exemple dans les pays de l’Europe de l’est. 4. Il semblerait que dans les pays du sud de l’Europe la proportion de temps partiels subis soit plutôt plus élevée, alors qu’elle est plus faible dans les pays du Nord de l’Europe. 5. Quel que soit le pays, la part de cadres confrontés à un temps partiel subi est inférieure à 5%. En Espagne et en France ce sont à la fois les emplois de cadres et ceux d’employés de services dont la part augmente le plus fortement, c’est-à-dire à la fois des emplois particulièrement épargnés par une certaine forme d’émiettement du travail et des emplois extrêmement fragilisés de ce point de vue.

2

C. Peugny qualifie la situation de la France de singulière. C’est le seul pays, avec la Suède et l’Autriche, où la structure sociale a subi quatre évolutions caractéristiques d’une certaine forme de polarisation : diffusion des emplois les plus qualifiés et parmi les emplois subalternes, déclin de la part des employés administratifs, déclin de la part des ouvriers qualifiés et hausse de la part des professions les moins qualifiées. Par ailleurs, en ce qui concerne les emplois subalternes dans le secteur des services, la France connaît une dynamique assez proche de celle observée en Espagne : outre une proportion élevée d’employés des services au sein de la population active, reflet d’une tertiarisation particulièrement poussée des emplois d’exécution, l’insertion sur le marché du travail des salariés exerçant ces emplois d’employés de service est particulièrement fragile, à l’instar des pays du sud de l’Europe. La persistance de spécificités nationales Si la part des employés des services à la personne augmente significativement dans la plupart des pays, la qualité des emplois créés peut différer de manière non négligeable. C. Peugny est alors favorable à une analyse faisant intervenir le type d’État-providence, mais aussi plus largement les types de politiques publiques dans le secteur de l’emploi, et singulièrement dans le secteur des services, afin de donner à voir la manière dont les différents pays européens ont organisé, ou non, ce secteur en forte expansion.

3