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10 sept. 2010 - Trop facile, la garde à vue ! Philippe Vénère estime avoir procédé à 40 000 gardes à vue. Mais l'ancien commissaire critique aujourd'hui le recours systématique à cette procédure omme nombre de citoyens ordinaires, Philippe Vénère dénonce les dérives de la garde à vue dont le nombre a explosé ces ...
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10 septembre 2010

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Trop facile, la garde à vue !

Philippe Vénère estime avoir procédé à 40 000 gardes à vue. Mais l'ancien commissaire critique aujourd'hui le recours systématique à cette procédure

C

omme nombre de citoyens ordinaires, Philippe Vénère dénonce les dérives de la garde à vue dont le nombre a explosé ces dernières années. Il raconte des anecdotes sur tel voisin ou ami d'ami qui a eu à subir cette contrainte policière pour des raisons à tout le moins litigieuses. Venant d'un ancien du 36, quai des Orfèvres, d'un commissaire divisionnaire à la retraite, la critique n'en a que plus de sel. " Il y a excès dans l'usage, systématisation d'une procédure qui ne doit, en principe, être mise en oeuvre que lorsque l'exigent les nécessités de l'enquête. Je n'appelle pas cela faire de la police ", balance-t-il. A 66 ans, l'homme peut se targuer, à bon droit, d'une expertise : en trente-sept ans de maison, il estime avoir lui-même procédé à 40 000 gardes à vue. Récolté dans un petit bar parisien, son témoignage est donc à verser au dossier. L'ex-policier dénonce, argumente, persiste et signe dans un livre à paraître le 16 septembre (Les flics sont-ils devenus incompétents ?, Max Milo Editions, 249 p., 18 euros). Son coup de gueule intervient au moment où, en juillet, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions sur la garde à vue, prévues dans la réforme de la procédure pénale et où la ministre de la justice, Michèle Alliot-Marie, a annoncé, mardi 7 septembre, les grandes lignes d'un nouveau projet de loi sur le sujet. " Je sais que je ne vais pas me faire que des amis dans l'institution avec ce bouquin, assure Philippe Vénère. Mais je sais aussi que des collègues encore en activité m'approuvent. En tout cas, il sera

difficile de me contredire, car c'est un vécu de l'intérieur. " Ce fils d'Italien, né à Paris, s'exprimant avec la gouaille et l'accent du titi, a débuté comme simple gardien de la paix en 1965 pour terminer sa carrière en haut de la hiérarchie à l'orée des années 2000. Il a collectionné dans l'intervalle une dizaine de blessures et presque autant de médailles. Il continue aujourd'hui de dispenser des cours de droit à l'université Paris-VIII (Saint-Denis). Et il y a donc ces 40 000 gardes à vue, ces tête-à-tête serrés au-dessus de la machine à écrire, ces " d'homme-à-homme ". De quoi se forger une opinion tranchée sur la question. " Je n'ai jamais pensé que c'était une procédure banale. Je n'ai jamais cru que c'était une commodité. Avec l'expérience, j'ai appris à quel point la garde à vue pouvait causer des dégâts désastreux. " Et de citer sans fard ses propres erreurs et les douleurs qu'elles ont pu générer. Philippe Vénère joue à l'occasion les trublions dans les commissariats pour sortir telle connaissance, interpellée à la légère. " Pour certaines personnes, il y a dans la vie un avant et un après. Menotter quelqu'un devant ses voisins peut avoir des effets irréversibles. Un citoyen qui subit une garde à vue, même si la procédure ne va pas plus loin, est fiché au STIC - système de traitement des infractions constatées - . Il devient "connu des services de police", donc délinquant aux yeux de l'opinion. " L'ancien policier approuve la présence d'un avocat dès la première heure, regrette que cette présence reste le plus souvent purement formelle. Il souhaite même que l'avocat puisse mettre fin aux procédures abusives. De quoi lui valoir des inimitiés supplémentaires chez ses anciens collègues. Au fil des exemples, il recense deux travers à ses yeux intolérables. D'abord, les gardes à vue qu'il appelle " de confort " : " Un fonctionnaire interpelle une personne juste avant la fin de son service et, plutôt que d'empiéter sur son repos pour l'interroger, laisse l'individu mariner toute la nuit, jusqu'à son retour le lendemain. " Ensuite, la garde à vue " de sanction " ou de " susceptibilité " : " Parce qu'un individu a contesté, s'est un tant soit peu rebiffé, on le colle en garde à vue pour outrage. " Philippe Vénère critique surtout l'immixtion du politique dans les affaires de sécurité publique. Placer en garde à vue est devenu un indicateur de performance. " La police est un corps malade de la politique et des enjeux électoraux ", écrit-il dans son livre. " La course aux chiffres n'est pas nouvelle, complète l'ancien commissaire devant son café double. Mais elle s'est accentuée depuis 2002. " Manière de rappeler l'arrivée au ministère de l'intérieur de Nicolas Sarkozy. " On s'autosatisfait à bon compte. Il y a pourtant une grosse nuance entre faire du chiffre et faire baisser la délinquance. " Se revendiquant " flic à l'ancienne ", Philippe Vénère regrette également que le statut d'" officier de police judiciaire ", habilité à procéder aux gardes à vue, ait été progressivement étendu. En 1998, l'ensemble des policiers et gendarmes a obtenu le droit de procéder à des gardes à vue. " Je crois qu'il faut un minimum de connaissances juridiques, de compétences ou d'ancienneté. Certains fonctionnaires manquent de formation ou d'expérience. " Philippe Vénère constate une accélération du nombre de cas litigieux depuis 2003 et un arrêt de la Cour de cassation qui avait invalidé une procédure, car les conditions de la garde à vue n'avaient pas été clairement énoncées. Il constate la propension de collègues à se couvrir désormais face à ce genre de déconvenue. Or les plus grands juristes qu'il a interrogés l'ont confirmé dans sa certitude : " Rien dans la loi n'oblige à mettre quelqu'un en garde à vue pour recueillir son témoignage. " Le retraité ne mythifie pas pour autant le passé. Les suspects attachés au radiateur, la " boîte à claques " pour attendrir les durs, les méthodes pour faire parler les taiseux ou faire taire les beaux parleurs, Philippe Vénère connaît depuis toujours. Les

cages insalubres où s'entassent les personnes appréhendées, les cris, les pleurs, les silences prostrés aussi, il sait d'expérience. La vétusté, la promiscuité des commissariats, il a toujours vu ça : il avait même servi de guide et un peu de scénariste à Bertrand Tavernier quand le metteur en scène tourna L627, film sur le quotidien policier, en 1992. Au fil des ans et des ministres, l'ancien responsable d'une organisaation professionnelle plutôt classée à droite, le Syndicat des commissaires de police, a vécu les allers et retours entre répression et libertés publiques. Entrée en vigueur en 1959, la garde à vue visait à l'origine à prévenir les abus de l'autorité et s'inscrivait dans une loi de 1957 qui stipulait : " Nul ne peut être arbitrairement détenu. " Mais, très vite, la procédure s'est emballée. Jeune commissaire, au début des années 1970, Philippe Vénère se souvient des nuits de permanence où, assis devant un téléphone et une pile de PV préparés, avec papier carbone intercalé, il jouait de la " batteuse " (machine à écrire) jusqu'aux petites heures du matin : les gardiens de la paix l'appelaient après chaque interpellation et il lui fallait décider, sur le seul témoignage du policier, si une garde à vue se justifiait ou non. En 1982, Laurent Davenas, alors procureur à Paris chargé des flagrants délits, avait piqué une sainte colère devant cette mécanisation, menaçant de faire annuler des procédures ainsi bâclées. " Il y avait déjà, c'est vrai, beaucoup de gardes à vue injustifiées. En même temps, les chiffres étaient sans comparaison avec ceux d'aujourd'hui. " C'est là ce qui inquiète l'auteur et justifie, dit-il, l'écriture du livre. " Aujourd'hui, on approche du million de gardes à vue par an en France. Si on enlève de la population les enfants et les personnes les plus âgées, on peut estimer que près d'un Français sur trente ou quarante est placé en garde à vue chaque année. Tout le monde peut être concerné. " Pour Philippe Vénère, la réputation des policiers ne peut que souffrir de cette forme de déshumanisation. " Aux yeux de l'opinion publique, ils deviennent des machines à faire de la contravention ou de la garde à vue. Ils se coupent peu à peu des citoyens. Lorsque j'étais simple gardien de la paix, nous devions saluer au préalable la personne qui nous demandait le chemin dans la rue, sous peine d'un jour de mise à pied. Aujourd'hui, à l'université, j'ai des étudiants d'origine immigrée qui me disent être contrôlés trois fois dans la journée par le même agent qui les tutoie. Je crois qu'il faut une certaine discipline dans la police, un respect des règles, si nous voulons être nous-mêmes respectés des citoyens. " Benoît Hopquin © Le Monde

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