La jeunesse. La guerre.

○7 août à 03H30: arrivée du 58°RI en gare de Vézelise (combien de fois ai-je traversé ... En Lorraine à partir du 10 août c'est le premier grand choc dit de la « guerre des ..... Depuis 10 jours c'est voyage en train (pas en TGV!), marches sans.
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Émile CASTANIÉ

La jeunesse. Émile Castanié est né le 20 novembre 1889 à Lamalou les Bains, petite station thermale, située au NordOuest du département de l'Hérault. Comme son père, il deviendra maître d'hôtel, il travaillera à Lamalou les Bains, à Nice et en Angleterre. C'est d'ailleurs là qu'il fera son conseil de révision. Il effectuera son service militaire en 1910 à Arles au 58ème régiment d'infanterie.

La guerre. Il sera incorporé au 58ème régiment d'infanterie. Le 3 août 1914 l'Allemagne déclare la guerre à la France, c'est le début de la Première Guerre Mondiale; le 15 août c'est la fin de la mobilisation générale commencée quelques semaines plus tôt. Émile alors employé à Mers les Bains (Somme) doit rejoindre de toute urgence le Midi, il aura à peine le temps d'embrasser ses parents à Lamalou et de filer à Avignon se faire réincorporer à la 8° compagnie du 2° bataillon.

Maintenant traçons un bref descriptif de ces journées du départ, telles qu'il a pu les vivre: ●5

août à 17H25: départ du 1° Bataillon

●6 août: départ du 2° et 3° bataillon ●7 août à 03H30: arrivée du 58°RI en gare de Vézelise (combien de fois ai-je traversé moi-même Vézelise sans savoir que c'était là que mon grand-père avait débarqué!!!) ●7 août: le 1° Bat. occupe Crèvechamps, le 2° Bat. Benney, et le 3° Bat. Ceintrey ●8 août à 18H30: 58°RI au carrefour de Saffrais et Ferrières ●14 août: XV°CA rassemblé sur les hauteurs de Serres-Valhey (entre temps le 3° Bat. sera décimé dans les combats de Lagarde du 10 et surtout du 11 août).

Vous pouvez voir sur cette carte d'avant la guerre la progression du 58°RI.

En Lorraine à partir du 10 août c'est le premier grand choc dit de la « guerre des frontières » dans la région de Morhange mais aussi plus au Sud-Est dans le secteur de Dieuze. Sur cette carte d'état-major de l'époque, vous pouvez voir la progression de la division et dans le cercle le hameau de Saint-Médard.

Le 19 août Émile pris sous un tir d'artillerie aux environs de Saint-Médard est blessé, la plupart de ses camarades autour de lui sont tués. Il a pris des éclats de shrapnells (on lui en retrouvera certains dans la colonne vertébrale, au cours d'une radio faite alors qu'il avait plus de 80 ans!!), son pied a été gravement touché, et s'est même enfoncé dans le sol. Mais laissons le raconter lui-même son histoire dans cette lettre qui se trouve en fin de ce document et qu'il écrit à son père un an après ces combats. Maintenant je vous laisse lire un extrait de l'historique du régiment d'Émile. Début de citation: Année 1914 La Mobilisation Dans le courant du mois de Juillet 1914, le 58 ème R.I achevait, à Avignon son instruction d'ensemble par des marches et des exercices de combat. A la suite de l'attentat de Sarajevo et de l'ultimatum lancé à la Serbie, la guerre apparaît bientôt à chacun comme inévitable et prochaine. Le 1er Août, en effet, les affiches blanches annoncent que la Mobilisation commencera le 2 Août. Du 1er au 4 Août, la plus grande animation règne dans la caserne. On fait « pour de bon », cette fois, les multiples opérations prévues au carnet de mobilisation. Le 5 Août, après la présentation du Drapeau, qui fait vibrer tout les cœurs, l’État Major, le 1er Bataillon et la C. H. R. (compagnie hors rang, celle qui comprend les services du régiment) quittent la caserne pour aller s'embarquer à 18h30 à la gare de Pont d'Avignon. Sur tout le parcours, la population d'Avignon manifeste par ses acclamations une sympathie émue à ceux qui partent pour défendre le Pays. Les 2 èmeet 3èmeBataillons s'embarquent à leur tour le 6 Août. Combat de la Forêt de Bride et Koeking (19 Août 1914) Le 19 Août le 15ème Corps a pour mission de prendre l'offensive. Le 58ème doit assurer la liaison entre les 15 ème et 20ème Corps. Il reçoit l'ordre de se porter au nord de la forêt. Dès leur arrivée sur les lisières nord, les unités de couverture ouvrent le feu sur des détachements ennemis qui s'avancent sur ces lisières et qui se précipitent dans des tranchées préparées à l'avance. L'artillerie ennemie pourvue de pièces lourdes, ouvre sur le 58 èmeun feu des plus violents, tandis que la nôtre ne coopère en rien à l'action du régiment. Le combat prend une violence inouïe. Le feu de l'adversaire, bien abrité dans ses tranchées, nous cause des pertes importantes. Le Colonel du 58ème, prévenu qu'il allait être soutenu par des unités du 40 ème, engage ses deux bataillons, ne gardant qu'une compagnie de réserve. Cependant, une attaque débouche bientôt sur le flanc droit du régiment. Le Colonel JAGUIN, drapeau en main, réunit autour de lui la Compagnie de réserve, et un groupe de la C. H. R. et accueille par une contre-attaque le mouvement débordant de l'ennemi, qui disparaît et ne renouvelle pas sa tentative. La dure journée du 19 Août, où les 1 eret 2èmeBataillons reçoivent le baptême du feu, nous fait perdre environ 700 hommes et plusieurs officiers. Le Capitaine de JERPHANION est cité à l'ordre de l'Armée pour sa bravoure. Le sergent AUBERY reçoit la médaille militaire, pour son courage et sa décision remarquable. Le Capitaine FRANÇOIS, blessé dès le début, ne veut pas abandonner le commandement de sa compagnie, ses deux officiers étant hors de combat, et reçoit ainsi dans la journée, 4 autres blessures. — II est décoré de la Légion d'honneur. Le Sous-Lieutenant SAINT-PIERRE reçoit une citation pour avoir pris, étant blessé, le commandement de sa section dont le lieutenant avait été tué et l'avoir conservé jusqu'à ce qu'il ait été de nouveau blessé par éclat d'obus et par balle.

Combat de Dieuze (20 Août 1914) La bataille commencée le 19 se continue le 20. Le régiment a 6 Compagnies engagées sur la crête et 2 en réserve. L'artillerie lourde allemande s'est encore considérablement augmentée. Le combat est extrêmement violent; de part et d'autre les pertes sont sévères. Vers midi, l'ennemi fait un nouvel effort : ses vagues se succèdent sans interruption. Le régiment de gauche, succombant sous un adversaire très supérieur en nombre, vient occuper son emplacement de repli, découvrant ainsi le flanc gauche du 58 ème. Celui-ci resté en pointe, subit un tir meurtrier d'artillerie et d'infanterie, mais résiste sur place tant qu'il peut. Enfin il est contraint de se replier, sous la protection de la compagnie installée au sud du Moulin Ladame. Les pertes de la journée sont cruelles : Officiers tués : 10 Blessés : 7 Disparus : 2 Blessés prisonniers : 4 Troupe : 1.150 Il ne reste plus qu'un seul capitaine au régiment. Le Colonel JAGUIN, blessé d'une balle à l'épaule, «ne veut pas, dit-il, être évacué pour si peu de chose» et garde le commandement du régiment. Le Commandant DUHALDE, grièvement blessé, est d'abord transporté par des soldats, mais il leur ordonne de l'abandonner sur le terrain ; cet officier supérieur est mort quelques jours plus tard de ses blessures. Fin de citation. Ce premier choc de la guerre de 14 est terrible, fini la foule en liesse qui entourait les soldats au moment de la mobilisation. On a du mal à imaginer ce qu'ils vécurent en si peu de jours, de l'enthousiasme mêlé de crainte voire de peur sur le quai du départ à Avignon par une chaude journée d'août, le voyage inconfortable en train (voitures de passagers de l'époque ou wagons à bestiaux), les marches lourdement chargé (depuis combien de temps n'en avait il pas fait?), la capote, le pantalon garance et enfin avant le déluge de feu, la pluie qui se met à tomber dès le 15 août. Le 11 août un bataillon, le 3 èmeest décimé à Lagarde. Dans la journée du 19 août le régiment perd 700 hommes sur un régiment qui en compte 3000. N'oublions pas que dans cette bataille sont engagés 3 Corps d'Armée (le 15°, le 16° et le 20°). Le bilan est le suivant: Le XV° Corps à lui seul a perdu depuis le 10 août 12 846 hommes et seulement pour les journées du 19 et 20 août 9800 hommes et 180 officiers. Le 58 èmeRI quant à lui a eu 252 tués à Lagarde et 291 à Dieuze soit 543 tués sur les 4039 des combats de Lagarde (11/08), Moncourt (14/08) et Dieuze (19 et 20/08). C'est le 58èmeRI qui a eu le plus de pertes sur cette période.

La captivité. En raison de la gangrène, il sera amputé en trois fois: au niveau de la cheville et puis jusque sous le genou en 2 fois. Il sera bien soigné par le chirurgien allemand. Je crois même qu'il gardera quelques contacts avec lui après la guerre. L'os ayant été coupé court sous la chair, le moignon plus épais a, paraît-il, facilité son appareillage plus tard. Un an après il n'était toujours pas complètement cicatrisé. Il sera emprisonné à Gmünd dans le Wurtemberg (à proximité de Stuttgart). Les conditions seront dures, « un prisonnier doit travailler », il devait dans son lit d'hôpital enrouler des compresses de gaze. Il est d'abord au « lazarett » 1 puis envoyé en convalescence au « lazarett » 3 à Stuttgart.

La photo ci-contre a une histoire, en effet l'homme à gauche (le plus grand), c'est Eugène Rayan, son beau-frère et compagnon de captivité. C'est lui qui enverra cette carte qui provoquera la stupéfaction. Émile n'a jamais dit à sa famille qu'il était amputé!!!

Le retour. Rapatrié comme grand blessé par la Suisse, il sera hospitalisé à Lyon à l'hôpital complémentaire, 16 place Edgard Quinet d'où il écrit la lettre ciaprès. Il passera à son retour en France devant un conseil de guerre comme tous les prisonniers. Pour lui commençait un combat pour essayer de sauver ce qui pouvait l'être. Fini le métier de maître d'hôtel, il fallait au moins essayer de marcher correctement. Jamais je l'ai entendu se plaindre même si quelques fois il avait des crises de névralgies au niveau de son amputation. Jamais non plus je l'ai entendu évoquer cet épisode de sa vie. Nous l'avons connu appareillé avec une jambe artificielle articulée, même âgé, beaucoup de personnes ignoraient qu'il était amputé. C'était un vieux monsieur qui boitait un peu et qui marchait avec une canne. Le soldat de 2ème classe Émile Castanié matricule 1384 au bureau de recrutement de Béziers affecté au 58ème régiment d'infanterie d'Avignon, XV° Corps aura fait 1 an 11 mois 22 jours de service militaire. Campagne du 3 août 1914 au 22 mai 1916.

L'après guerre En France après la guerre seront mis en place des dispositifs pour venir en aide aux anciens combattants. Il obtiendra ainsi un emploi à la mairie de Montpellier. Il rencontrera Elise Rauzou, ils se marieront le 27 octobre 1917, le 6 mai 1919 naîtra André, mon père.

La deuxième guerre mondiale Il sera arrêté le 22 février 1944 et détenu par la Gestapo pendant 45 jours rue de la 32 ème à Montpellier. Il sera interrogé brutalement avec les méthodes bien connues de cette dernière, n'oublions pas qu'en plus il était amputé. Là non plus cet homme tranquille n'évoquera que rarement cet épisode, tout au plus autant que je m'en souvienne en passant dans cette rue il m'a dit quand j'étais enfant: « tu vois, c'est là que j'étais prisonnier ».

Malgré sa jambe amputée, il fera Montpellier-Albi en vélo pour aller voir André son fils.

Conclusion Émile s'est éteint à Montpellier le 3 juin 1980. Élise s'éteindra le 9 août 1986. Il était officier de la Légion d'Honneur, Médaillé Militaire, Croix de Guerre avec palme, Croix du Combattant, Médaillé du Travail, il avait la carte des combattants et des internés de la Résistance. Il a été très actif dans les associations d'anciens combattants et de mutilés de guerre.

Voici ci-dessous l'original de la lettre dans laquelle Émile explique à son père ce qui lui est arrivé, cette lettre a été retrouvée par mon père en 2005, elle nous a permis de savoir comment il avait perdu sa jambe. Après l'original la lettre a été ressaisie intégralement pour en faciliter la lecture et des commentaires ont été ajoutés. Didier Castanié

Le jardin du blessé

Lyon le 23 octobre 1915

Cher Papa J'ai reçu ta lettre ces jours-ci qui m'a fait bien plaisir de vous savoir tous en bonne santé, pour moi il en est de même je suis en possession de mon appareil depuis quelques jours et il me va bien, hier j'ai passé ma dernière visite de réforme à la Faculté de Médecine tout est terminé maintenant et je crois que l'on ne me gardera pas longtemps ici. Tu me demandes si j'ai répondu à le lettre de la personne que tu m'avais envoyé, je l'ai fait sitôt que la lettre m'est parvenue d'ailleurs je reçois presque tous les des demandes de renseignements et j'y réponds immédiatement. Tu me dis que je ne t'ai jamais parlé de ce qui m'est arrivé depuis mon départ de Mers-les-Bains1, je me réservais pour te le raconter de vive voix lorsque je serais à Lamalou2, car ce sont là des souvenirs inoubliables que je me rappellerai toujours, mais puisque tu y tiens je vais te le raconter. Voici: « J'ai quitté Mers les Bains le premier jour de la mobilisation 3 dans la soirée à la gare un monde fou, Buis était venu m'accompagner on a vidé une dernière bouteille de champagne à un café tout près de la gare, j'ai présenté mon livret Militaire et je me suis embarqué pour Paris où je suis arrivé dans la nuit, j'ai du faire le trajet de la gare du Nord à la gare St Lazare à pied impossible de trouver un tramway ou de voitures, les taxis étaient pris d'assaut, j'ai demandé le prix à un chauffeur il me demandait 30 F pour me conduire d'une gare à l'autre donc j'ai fait le trajet à pied, j'ai du passer une partie de la nuit sur les quais de la gare car les trains étaient réservés qu'aux militaires et ils n'étaient pas nombreux; devant la gare nombreuses manifestations des Austro-Boches qui voulaient partir et qui ne le pouvaient, heureusement que M. Raynaud m'avait préparé un bon paquet avec du poulet et une bonne bouteille de vin vieux. J'ai pu enfin prendre le train vers le matin 4 c'est alors que j'ai décidé de continuer jusqu'à Lamalou 5 au lieu de me rendre directement, j'ai donc passé deux heures à Lamalou seulement arrivé à la gare le train était déjà parti j'ai du aller à Bédarieux avec le Castrais 6 et n'ai pu partir qu'à 4 heures de l'après-midi, je ne suis arrivé à Avignon que le lendemain matin 7 donc je ne suis pas arrivé en retard puisqu'il en est arrivé encore après moi, nous sommes restés un jour à nous équiper 8 et nous nous nous sommes embarquer pour ne descendre qu'à (Vezelise9) de la nous avons fait un jour de marche et nous sommes arrivés sur la ligne de feu, nous faisions parti de l'armée sous les ordres du Général de Castelnau10, jusqu'au 10 nous n'avons eu que quelques escarmouches, dans la nuit du 9 au 10 le bataillon était en avant-postes dans le (bois de la Croix 11) qui se trouvait sur le côté du village de Lagarde, avec les camarades Viala et Migayroux nous ne nous quittions pas nous avons été désigné comme sentinelles aux avant-postes nous avons été nous placer à la lisière du bois où nous y avons passé la nuit, durant ce temps nous avons mis en fuite une patrouille de Uhlans de la mort qui s'était approchée de nous, puis un Zippelin a passé au dessus de nous mais nous avions ordre de nous 1 2 3 4 5 6 7 8 9

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Dans la Somme, où il était maître d'hôtel. Heureusement qu'il le fait par écrit, car nous aurions perdu ce témoignage. Donc le dimanche 2 août 14. Le lundi 3 août. Lamalou les Bains dans l'Hérault là où se trouve sa famille. Probablement le nom du train qui devait venir de Castres (Tarn). Le mardi 4 août. Toujours le 4 août. Embarquement le 6 août, arrivée à Vezelise (Meurthe-et-Moselle) le 7 à 03h30. Il était à la 8 ème compagnie du 2ème bataillon du 58ème régiment d'infanterie. Le 2ème Bat. rejoint Benney puis Ferrières-Haute le 7 à 17h00. Il commande la 2èmeArmée. Certains noms sont entre parenthèses? C'est le 3 ème Bat. qui mène l'attaque le 10 août de 11h à 21h00, Lagarde est pris, peu de blessés. Une partie du régiment (dont le 2 ème Bat.) est à Coincourt. Des éléments sont aux avant-postes dans le bois du Haut de la Croix (environ 1 km au Nord de Lagarde).

cacher et de ne pas tirer donc nous avons été obliger de mettre les poings dans nos poches et de nous cacher, enfin après une nuit un peu mouvementée nous avons été relevés de sentinelle nous retournons dans le bois afin de nous reposer un peu et de casser la croûte mais pas plus tôt installé, les obus nous pleuvent dessus nous avons été repérés l'infanterie nous charge par devant et l'artillerie nous arrose de projectiles par derrière, nous tenons bien un moment mais n'ayant pas d'artillerie Française avec nous, nous sommes obligés de reculer devant la force supérieure de l'ennemi. Durant cette retraite j'ai failli y rester un morceau d'arbre arraché par un obus est venu me taper derrière le sac et m'a projeté plusieurs mètres en avant je me relève avec quelques égratignures aux mains, mais sans aucun mal, nous continuons à battre en retraite car nous sommes poursuivis par les boches, je suis toujours en compagnie de mon ami Viala, mais harassé par la fatigue nous devons lâcher notre sac12 mais c'est avec beaucoup de peine pour moi car il contenait mon linge du chocolat qu'Adrienne13 m'avait donné et quelques boîtes de conserves, mais je suis obligé de l'abandonner, car ça pèse trop et je ne pouvais pas aller plus loin ça me fait de la peine de voir que les boches vont s'envoyer ça à ma santé, nous continuons à battre en retraite sur le village de Coincourt14 mais dans quel ordre beaucoup ne peuvent plus suivre moi même suis obligé de m'arrêter car à force de courir j'ai des points de côté et en plus de ça une soif terrible, nous sommes obligés de boire de l'eau de boue qui se trouve dans un fossé au milieu d'une prairie, au bout d'un moment nous arrivons enfin au village de Coincourt les blessés arrivent peu après et sont soignés dans les maisons quant à nous les valides nous avons l'ordre de reculer encore pour aller nous reposer pas pour longtemps car le surlendemain15 nous reparticipons à l'attaque du bois avec le 3ème d'infanterie mais les Allemands avaient eu le temps de faire des tranchées aussi tu penses comme il nous reçoivent néanmoins nous réussissons à les déloger et c'est en enjambant les cadavres de nos camarades du 3ème16 que nous occupons enfin le bois, là nous y trouvons quelques trophées aussi nous nous en amusons, dans l'attaque du 10 nous avons eu notre commandant blessé 17 c'est le même jour que le 40ème18 aidé d'un bataillon du 58ème a pris le village de Lagarde et c'est probablement là que Jean Falgas19 a du rester car son bataillon a presque été anéanti, jusqu'au 19 nous n'avons pas grand chose à faire. Le 18 nous avons cantonné dans un village dont je ne me souviens plus le nom20 et d'où je vous ai adressé ma dernière carte avant d'être blessé et fait prisonnier. Comme d'habitude avec mon ami Viala, Migayroux et un nommé Castagné d'Alignan 21 nous cherchons une maison où en versant quelques sous la propriétaire nous fait à manger, nous lui achetons deux poulets et en emportons un avec nous pour le lendemain ce devait être le dernier poulet que nous mangions ensemble car comme nous traversions le village de St Médard nos éclaireurs nous annonce une patrouille de Cavalerie ennemie mais il n'y a pas à intervenir car ils ont fui à notre approche mais en plein milieu de la forêt de St Médard qui se trouve à proximité du village du même nom un fort contingent ennemi donc nous sommes obligés d'attaquer les compagnies forment 12

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Beaucoup de soldats feront de même au début de la campagne, nous sommes en août, il fait chaud et ils portent tout le barda,la guerre doit être courte!! Certains auront à le regretter dès les premiers jours d'automne. Replaçons ceci dans le contexte, nous sommes le 11 août, une dizaine de jours avant, il était maître d'hôtel dans une station thermale, il a fait son service en 1911. Depuis 10 jours c'est voyage en train (pas en TGV!), marches sans entraînement (Vezelise-Lagarde environ 60 km) et il vient de passer une nuit de garde, au moment de se reposer, c'est la contre attaque allemande.. Sa soeur, qu'il a eu le temps de voir avant de partir. Environ 7 km. La contre-attaque a lieu le 11 donc ce serait le 13 août? Morts du 3ème Bat. qui a été décimé le 11 août (sur environ 1000 hommes: 251 morts, 280 blessés et 587 disparus. Avec les combats du 19 et 20 août c'est le 58ème RI qui subira le plus de pertes avec 551 morts). Le commandant du bataillon: le CBA Acquaviva, mais il s'en sortira. Le commandant de compagnie le CNE Pelissier sera blessé lui le 20 et fait prisonnier à Kerprich. 40ème régiment d'infanterie. Jean Falgas (Le Soulié – Hérault) du 40ème RI a effectivement été tué à Lagarde le 11 août. Juvelise. Un Viala Hélie de Gouriès (Hérault) du 58ème RI a été tué à Dieuze le 20 août. Et deux Castagné d'Alignan du Vent (Hérault) ont été tués, un le 24/09/16 à Avocourt et l'autre le 04/02/18. Ils n'étaient pas au moment de leur mort au 58ème RI. Est-ce l'un d'entre-eux?

la carapace22 et s'avancent les unes après les autres suivant les ordres jusqu'à un fossé, là on se couche et on fait des feux 23 on réussit à déloger l'ennemi de sa première tranchée, pour me porter dans le fossé je suis obligé de lâcher mes amis et de chercher un abri pour tirer sans être vu mais malheureusement des balles abattent plusieurs de mes voisins et moi suis touché à mon tour par un obus allemand (un 77) qui éclate au dessus de ma tête me déchiquetant le pied qui a été enfoncé à plusieurs centimètres dans la terre, me faisant une éraflure à la cuisse et une autre dans les reins, mais ça n'a été que superficiel 24, malgré la douleur que je ressentais j'ai pu en m'aidant des deux mains arracher mon pied qui était enfoncé dans la terre, néanmoins j'ai pu faire une dizaine de mètres en arrière, là j'ai été recueilli par un ami nommé Coulon qui m'a emporté sur son dos derrière un abri où un infirmier m'a fait le 1er pansement avec mon paquet individuel, mais impossible d'arrêter l'hémorragie on avait du me couper les restes de chaussettes et de soulier avec mon couteau, il ne fallait pas songer à rester là aussi j'aperçois l'ordonnance du lieutenant mitrailleur et le prie de me conduire jusqu'au major qui se trouve sur la route et qui me fait un autre pansement, j'ai du rester là pendant quelques temps allongé sur le bord de la route à grelotter et en proie à une fièvre terrible voilà qu'au bout d'un moment les compagnies battent en retraite on donne l'ordre aux hommes valides d'emporter les blessés n'importe comment. C'était pénible à voir moi je réussis à me faire monter sur une bicyclette reposant mon pied malade sur le guidon et soutenu par un soldat de chaque côté nous arrivons ainsi jusqu'au carrefour désigné, là nous attendons les charrettes qui ne viennent nous chercher que vers 10 heures du soir25, nous sommes enfin chargés sur des charrettes réquisitionnées sur lesquelles on a mis un peu de paille, et où on nous met vingt. Mais quelle souffrance pendant le trajet jusqu'au village avec tous les cahots qu'il y avait par ses mauvais chemins, tout le long on entend que des gémissements, je suis obligé de tenir mon pied en l'air car je ne peux sentir que rien n'y touche; nous passons la nuit dans un écurie dans le village de St Médard les habitants nous portent bien du bouillon mais comme soin ils ne peuvent rien faire. Le lendemain26 on nous évacue plus loin à Marsaal 27 dans un couvent où se trouvait des soeurs Boches et des sœurs Françaises, là j'ai prié une sœur de me faire un pansement car ça sentait mais elle tirait là-dessus sans faire attention et me faisait souffrir car le sang avait séché, l'adjoint au Maire qui se trouvait là y a mis ordre et à mis la soeur à sa place, nous sommes restés là 3 jours sans soin de Docteurs nous sommes fait prisonniers dans l'Hopi28 le Couvent le 23 août par un Escadron de Hussards qui fouille toute les pièces afin de s'assurer que nous n'avons pas d'armes, ce jour là il arrive encore un incident un officier Allemand qui avait égaré son sabre nous accuse à nous Français de le lui avoir volé en plus de ça il menace de faire sauter le Couvent les sœurs et puis nous avec si il ne retrouve pas son sabre, enfin au bout d'un moment il le retrouve pendu à la selle de son cheval29 nous en sommes donc quitte pour la peur le lendemain nous sommes dirigés par les Boches jusqu'à la gare de Dieuze où plusieurs trains nous emmènent pour l'Allemagne, là je ne puis pas marcher seul jusqu'au wagon alors un territorial Allemand me prend dans ses bras pour me porter mais un officier Allemand intervient et dis que je puis marcher seul d'un pied, je suis donc obliger de me traîner comme je peux. Dans le train on nous fouille on nous enlève couteau, argent, montres, bagues (etc) mais je réussis pour cacher ma montre et mon argent et les boches ne l'auront pas, en route nous recevons les dames de la Croix Rouge du bouillon et des sandwichs. Tout le long de notre parcours nous sommes hués par la foule et les gosses, nous arrivons à Gmünd 30 après un voyage pénible nous sommes embarqués par les infirmiers dans des voitures de déménagement et là 22 23 24

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La carapace : comme les soldats romains mais avec leur havresac ?? Ils ouvrent le feu: ils tirent. Oui, mais vers 80 ans au cours d'une radio les médecins ont vu des bouts de ferrailles du côté de la colonne vertébrale!!! Le pied déchiqueté et il écrit c'est superficiel!! Le 19 août. Le 20 août. Plus probablement: Marsal, quelques km au sud-ouest de St Médard. Il a rayé ce début de mot, ce qui pourrait confirmer Marsal où il y avait un hospice, les sœurs étaient peut-être réfugiées à cet endroit. Était-il ivre? Il racontait plus tard qu'il avait eu affaire à un groupe de soldat ivres... Gmünd dans le Wurtemberg (à proximité de Stuttgart).

suivis par la foule31 qui nous menace à coup de parapluies et avec les poings, nous arrivons à la Caserne. Là je reste en observation jusqu'au 3 septembre, le médecin chef voyant que les chairs ne pouvaient pas repousser, qu'il n'y avait aucun espoir de me sauver le pied me dit ceci « Voulez vous nous laisser couper le pied sinon vous allez mourir » ça me fait beaucoup de peine mais j'ai dit au Docteur qu'il fasse ce qu'il y avait à faire. Alors on me transporte à l'hôpital et on m'ampute de suite, on me coupe le pied tout près de l'articulation de la cheville, mais voilà qu'au bout de quelques jours la gangrène se déclare et on résolut de m'amputer au dessus de la cheville, je me rétablis petit à petit et en Décembre je pouvais enfin quitter l'hôpital je n'étais pas tout à fait guéri il me restait un espace comme une pièce de 2 francs à cicatriser, mais ça ne guérissait pas car l'os dépassait. Je suis resté comme ça jusqu'au mois de février où le Docteur décide de m'en couper encore un petit bout, enfin après avoir bien souffert je quitte l'hôpital pour aller au Lazareth 32, là on décide de nous envoyer à Stuttgart pour avoir un appareil sitôt en possession de mon appareil j'ai demandé à aller au Camp avec Eugène33, c'est l'aumônier qui était complice dans l'affaire et qui nous faisait l'échange des lettres, j'ai quitté le Lazareth j'avais encore un petit trou de la grosseur de la tête d'une épingle par laquelle était sorti un éclat d'os, mais maintenant tout ça est guéri. Quelle joie pour nous lorsque nous nous sommes rencontrés avec Eugène, nous nous sommes débrouillés pour être ensemble, nous couchions à côté l'un de l'autre et mangions ensemble le soir nous allions nous asseoir sur un tas de briques et parlions de vous c'était la seule distraction de la journée. À part les distributions des lettres et des colis que nous attendions avec impatience. Le Dimanche nous allions à la Messe voilà tous les évènements du Camp. Quelle joie pour moi le jour où on nous a appris que nous allions être rapatriés, mais quel regret aussi de quitter Eugène ça lui a fait beaucoup de peine de me voir partir, mais je pense qu'avec le temps le cafard lui aura passé. Après quelques jours passé dans le Duché de Bade à Breisach nous sommes allés à Constance où j'ai été rapatrié le 29 juillet. Je devais aller à Marseille mais j'ai rencontré la tante ici et je me suis décidé à rester à Lyon. Bien le bonjour à tous de ma part. A bientôt le plaisir de vous revoir. Je t'embrasse bien fort.

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Il s'agissait là probablement des premiers prisonniers de guerre que la foule voyait. Lazaret: hôpital militaire (terme allemand). Son beau-frère, voir la photo de tous les deux dans le camp de prisonnier sur le résumé de la vie d'Émile.