NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE
COMPLÉMENT REVUE
La migration collective : la drosophile montre la voie Collective cell migration: Drosophila paves the way Damien Ramel, Carl Laflamme, Gloria Assaker et Gregory Emery Université de Montréal Institut de Recherche en Immunologie et en Cancérologie Département de pathologie et biologie cellulaire
Correspondance : Grégory Emery Faculté de médecine, Université de Montréal Montréal, Québec, H3C 3J7 Canada Téléphone : 514 343 6111 ext. 0318 Courriel :
[email protected]
Article reçu le : 15 mai 2012 Article accepté le : 30 septembre 2012
Vol.1 n°4
DAMIEN RAMEL
ET COLL.
1
NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE
Résumé La migration cellulaire est un des mécanismes clés du développement et de la dissémination métastatique, responsable de plus de 90 % des décès de patients atteints de cancer. De nombreuses évidences anatomo-pathologiques indiquent que la dissémination de nombreux cancers se fait via des migrations collectives. Cependant, ce type de migration est peu caractérisé comparativement à la migration de cellules uniques. Il devient donc essentiel de comprendre les modes de régulation de la migration collective pour pouvoir définir de nouvelles cibles thérapeutiques efficaces. La mouche drosophile se révèle être un allié aussi inattendu qu’efficace pour l’étude de ce type de migration. Dans cette revue, nous détaillerons les dernières avancées mécanistiques contrôlant la migration collective qui ont été mises à jour récemment grâce à la drosophile, ainsi que les grandes questions à répondre dans le but d’envisager un ciblage thérapeutique efficace de la formation des métastases. Summary Cell migration is a key mechanism for development and metastasis, responsible for more than 90% of cancer deaths. Several anatomo-pathological evidences indicate that the dissemination of many cancers occurs via collective cell migration. However this type of migration remains poorly understood because it is not much studied compared to single cell migration. It is therefore essential to understand the modes of regulation of collective migration to define new effective therapeutic targets. The fruit fly Drosophila is proving to be an unexpected, yet highly efficient tool for studying this type of migration. In this review, we detail the mechanisms regulating collective cell migration, which have been recently updated using Drosophila, as well as the key questions to consider an effective therapeutic targeting of metastasis formation.
Vol.1 n°4
DAMIEN RAMEL
ET COLL.
2
NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE La migration collective
L
a migration cellulaire collective émerge
risation du cytosquelette d’actine et la polarité
comme un mécanisme majeur impliqué
cellulaire. Cependant, il existe des différences
dans différents processus physiolo-
fondamentales entre les deux types de migra-
giques et pathologiques, au cours du dévelop-
tion. En effet, migrer collectivement implique de
pement et lors de la formation de métastases
nouvelles contraintes auxquelles les cellules
[1]. Ainsi, elle intervient par exemple dans la
doivent répondre afin de conserver leurs adhé-
régénération des épithéliums, la croissance et
sions les unes aux autres et coordonner leurs
la ramification des vaisseaux sanguins lors de
mouvements pour migrer ensemble efficace-
l’angiogenèse ou lors de l’invasion des tissus
ment dans la bonne direction. Différentes stra-
par des cellules tumorales (Rhabdomyosar-
tégies permettent de répondre à ces nouvelles
comes, cancers colorectaux, carcinomes spino-
problématiques menant à l’existence de diffé-
cellulaires, cancer du sein, etc.) [2, 3]. L’étude
rents types de migration collective [4]. Plusieurs
de la migration collective est donc un enjeu
organismes modèles sont utilisés pour étudier
majeur pour la compréhension de mécanismes
la migration collective tels que le poisson zébré,
de morphogénèse, mais aussi pour la décou-
le xénope ou la Drosophile [4]. Cette dernière
verte de nouvelles cibles thérapeutiques dans
constitue un modèle de choix qui présente une
le traitement ou la prévention de la formation
série d’avantages pour l’étude de différents
des métastases.
types de migrations collectives in vivo. En ef-
Une migration peut être considérée
fet, au cours du développement de la mouche,
comme collective lorsque des cellules migrent
des migrations collectives ont lieu sous forme
ensemble, en établissant des contacts entre
de petits groupes de cellules épithéliales polari-
elles [4]. Comme pour la migration de cellules
sées ou sous forme de feuillets de cellules épi-
uniques, la migration collective met en jeu des
théliales. Les principaux systèmes de migration
mécanismes de régulation contrôlant la polymé-
collective chez la Drosophile comprennent la
Vol.1 n°4
DAMIEN RAMEL
ET COLL.
3
NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE migration des cellules formant le mésoderme
liales durant la morphogenèse de la trachée et
durant la gastrulation, la migration des feuillets
la migration des cellules de bordure (CB) durant
épithéliaux latéraux durant la fermeture dorsale
l’ovogenèse [5] (Figure 1).
de l’embryon, la migration des cellules épithéA. Fermeture dorsale de l’embyron
B. Morphogenèse de la trachée
Branche dorsale
Cellules épithéliales
Tronc dorsal
C. Cellules de bordure (chambre d’oeuf stade 10) Noyau de l’ovocyte
Cellules polaires
Groupe de cellules de bordure (Début de migration)
Cellules folliculaires Cellules nouricières Ovocyte
Figure 1. Différents exemples de migration collective dans la drosophile A. La fermeture dorsale de l’embryon met en jeu des feuillets de cellules épithéliales. Les cellules se déplacent collectivement des deux côtés de l’embryon. Ce type de migration utilise des changements de la forme cellulaire par élongation accompagnés d’extensions de protrusions. Les cellules en arrière du front de migration induisent la migration de cellules du front de migration. B. La morphogénèse de la trachée s’effectue par une migration branchée sur un tronc préexistant. Cette migration nécessite d’importantes modifications de la morphologie cellulaire à travers le remodelage des jonctions intercellulaires par des mouvements d’intercalation. C. La migration des cellules CB s’effectue sous forme d’un groupe de cellules épithéliales avec une méthode de type mésenchymateux au front de migration (voir section modèle de la migration des CB). Vol.1 n°4
DAMIEN RAMEL
ET COLL.
4
NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE Le modèle des cellules de bordure Un des modèles de migration collective les plus
la migration dorsale, est basée sur un compor-
étudiés est le système des CB dans la chambre
tement dynamique collectif des cellules ou cha-
d’œuf de Drosophile [6]. Lors du stade 8 de
cune des cellules du groupe peut prendre la tête
l’ovogenèse de la Drosophile, un groupe de 8
de la migration [9]. Après avoir atteint l’ovocyte,
cellules folliculaires antérieures appelées cel-
ces cellules changent de direction et migrent
lules de bordure, se détache de la monocouche
dorsalement pour s’arrêter finalement au niveau
de l’épithélium folliculaire en réponse à la cyto-
du noyau de l’ovocyte. Cette migration en deux
kine Unpaired (Upd) sécrétée par les cellules
étapes nécessite environ 6 heures. La direction-
polaires (Figure 1). Upd active la voie JAK/
nalité du mouvement est déterminée par deux
STAT dans les CB, ce qui permet la formation et
récepteurs à activité tyrosine kinase (RTK), en
l’émission de protrusions et leur détachement de
réponse aux ligands sécrétés par l’ovocyte [10].
l’épithélium [7]. Le groupe de cellules effectue
De nombreuses études et cribles génétiques
ensuite une migration postérieure à travers les
ont permis de déterminer quelles sont les voies
cellules nourricières, en direction de l’ovocyte,
de signalisation impliquées dans ce modèle
qu’il atteint au stade 10 de l’ovogenèse. Pour
et plus récemment, la mise au point de tech-
ce faire, les CB utilisent la molécule d’adhésion
niques d’imagerie in vivo a permis de mieux
E-Cadhérine pour adhérer aux cellules nourri-
comprendre les paramètres dynamiques de
cières [8]. Il a été démontré que la migration des
cette migration [11]. Ainsi, des voies majeures
CB s’effectue en deux phases distinctes, utili-
déjà connues comme altérées dans les proces-
sant des mécanismes différents. La première
sus métastatiques chez les mammifères ont été
phase, qui correspond à la migration postérieure
identifiées comme régulant la migration des CB.
précoce, dépend d’un comportement cellulaire
Par exemple, l’hypoxie, connue pour son rôle
polarisé. Cependant, la deuxième phase, qui
actif dans le développement des tumeurs, a été
correspond à la migration postérieure tardive et
identifiée comme un régulateur de la migration
Vol.1 n°4
DAMIEN RAMEL
ET COLL.
5
NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE
des CB [12]. Ces cribles ont également permis
pour l’étude de la migration collective. Dans
de découvrir de nouveaux acteurs importants
cette revue, nous allons discuter des principales
conservés dans l’évolution, tels que le gène
voies régulatrices de la migration collective élu-
codant pour la protéine Psidin, qui s’est avéré
cidées grâce à l’étude des CB. En particulier,
être un acteur important dans la régulation de
nous détaillerons le rôle des récepteurs de gui-
la dynamique de l’actine dans les cellules épi-
dage, des petites GTPases et de l’endocytose
théliales mammaires [13]. Ces données dé-
qui émergent comme des acteurs majeurs de
montrent que les CB constituent un outil idéal
ce type de migration.
La régulation Les RTK
L’orientation des CB durant leur migration diri-
D’autre part, le récepteur EGFR possède un rôle
gée est assurée par deux voies de signalisation
largement redondant à celui de PVR dans cette
portant sur le récepteur PVR (Platelet-derived
migration, puisque les CB peuvent s’orienter en
growth factor receptor (PDGFR) and Vascular
utilisant soit PVR ou EGFR. De plus, la surex-
endothelial growth factor receptor (VEGFR)
pression séparée de chacun des trois ligands
receptor Related) et le récepteur EGFR (Epi-
du récepteur EGFR : spitz (spi), vein (vn), et
dermal Growth Factor Receptor) [14, 15]. La
gurken (grk) bloque la migration des CB, et le
migration de ces cellules vers l’ovocyte est gui-
phénotype le plus fort est obtenu avec spitz. Au
dée essentiellement par un gradient du ligand
moment où les CB atteignent l’ovocyte, EGFR
de PVR : PVF1 (PDGF/VEGF- like factor 1) qui
est davantage impliqué dans l’orientation des
est exprimé dans les cellules germinales, et re-
cellules, et ceci en guidant la migration dor-
trouvé à des niveaux élevés dans l’ovocyte. Il a
sale en réponse à son ligand Grk sécrété par
été démontré que l’expression ectopique de ce
l’ovocyte [14]. Paradoxalement, une autre étude
ligand entraîne une réorientation des CB [16].
a démontré que Grk et Vn, contrairement aux deux
Vol.1 n°4
DAMIEN RAMEL
ET COLL.
6
NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE
autres ligands d’EGFR : Spi et Keren (Krn), sont
lule unique polarisée en réponse à un gradient
incapables de rediriger la migration des CB in
chimiotactique. Quel serait alors l’avantage
vivo. Cette étude conclut ainsi que seuls Spi
d’un tel comportement ? L’hypothèse actuelle
et Krn fonctionnent, probablement avec PVF1,
est que la concentration de récepteurs actifs
pour guider les CB à travers la chambre d’œuf
dans la cellule qui mène la migration permettrait
[17].
d’hyper- sensibiliser cette cellule, et de désensi-
Un aspect intéressant de la régulation des
biliser les autres cellules du groupe. Ainsi, seule
RTKs durant la migration des CB est la locali-
la cellule de tête serait sensible au gradient du
sation de leur activité. En effet, les RTKs actifs
ligand permettant une migration plus efficace,
sont fortement polarisés à l’avant des CB [18,
au contraire de la migration de cellules uniques,
19] (Figure 2). La cellule qui mène la migration
où les cellules sont davantage sensibles aux
présente le plus haut taux de récepteurs actifs
fluctuations de concentration du gradient qui
au sein de son front de migration, alors que les
pourraient faire dévier leur route.
autres cellules diminuent leur niveau d’activité
On ne connaît pas assez les cascades de
des RTKs. La conséquence cellulaire directe de
signalisation et les événements cellulaires
cette signalisation par les RTKs est la formation
qui surviennent en aval des récepteurs RTKs
d’une longue extension cellulaire par une seule
dans ce système. Cependant, un évènement
cellule du groupe de CB. Le groupe de cellules
central en aval de la signalisation des RTKs est
se comporte ainsi exactement comme une cel-
l’activation de la petite GTPase Rac1.
Rac et le cytosquelette
Les GTPases de la famille Rho (Rac1, Cdc42
oncogenèse est bien documenté notamment au
et Rho1) sont des régulateurs majeurs de la
niveau de leur implication dans la dissémination
migration cellulaire via leurs effets sur le cytos-
et les processus métastatiques. Comme toutes
quelette d’actine et de tubuline [20]. Leur rôle en
les petites GTPases, elles oscillent entre un état
Vol.1 n°4
DAMIEN RAMEL
ET COLL.
7
NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE inactif, lié au GDP (Guanosine diphosphate), et
Mbc (Myoblast city, l’orthologue de DOCK180).
un état actif, lié au GTP (Guanosine triphos-
En effet, Mbc et son partenaire Elmo (Engulf-
phate), dans lequel elles vont pouvoir médier
ment and Cell Motility) sont nécessaires pour la
leurs effets sur le cytosquelette notamment par
première phase de la migration où l’orientation
la liaison d’effecteurs. Les protéines GEF (Gua-
de la migration dépend de la localisation cellu-
nine Exchange Factor) sont responsables de
laire de la signalisation au sein de la cellule de
l’échange du GDP avec le GTP et contrôlent
front [9]. Mbc est une GEF connue de Rac dans
ainsi l’activation des petites GTPases. L’inacti-
d’autres modèles [23] et pourrait être également
vation se fait par l’hydrolyse du GTP en GDP,
impliquée dans l’activation de Rac1 dans le mo-
à l’aide de protéines GAP (GTPase Activating
dèle des CB, bien qu’il n’existe aucune évidence
Protein). Il existe un nombre considérable de
directe à ce jour. Il existe de nombreuses GEF
données sur la régulation et le rôle de ces GT-
et GAP capable de réguler Rac1 et identifier les-
Pases dans les systèmes de migration simple,
quelles sont impliquées dans ce processus est
cependant jusque récemment leur mode de
un axe de recherche important actuellement.
fonctionnement lors de la migration collective était méconnu.
L’expression des formes dominante négative (DN) ou constitutivement active (CA) de
Le modèle de migration des CB a permis
Rac1 entraîne des défauts de migrations sé-
de compléter cette lacune. En effet, bien que
vères, indiquant que son activité doit être pré-
l’implication de Rac dans les CB soit connue
cisément contrôlée de façon spatio-temporelle.
depuis près de 20 ans [21], ce n’est que très
En effet, l’étude de la distribution de l’activité de
récemment qu’il a été montré que Rac1 est la
Rac1 par FRET [24] (Fluorescence Resonance
GTPase nécessaire pour la formation de protru-
Energy Transfert) in vivo, a démontré que son
sions lors de la migration collective [22]. Le mé-
activité est restreinte au front de migration de
canisme d’activation de Rac1 reste encore in-
la cellule qui mène la migration [22] (Figure 2).
connu. Un des candidats pour ce rôle est la GEF
Cette polarisation de l’activité de Rac1 est dé-
Vol.1 n°4
DAMIEN RAMEL
ET COLL.
8
NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE
Cellules de bordures
Front de migration
Cellules Polaires
Direction de la migration
Niveau d’activité de Rac RTK actifs
Noyaux Minimum
Maximum
Figure 2. Polarité de l’activité de Rac et des RTK actifs dans les CB Durant la migration les récepteurs actifs se concentrent au front de migration entraînant l’augmentation de l’activité de Rac uniquement dans la cellule qui mène la migration. Ainsi, les autres cellules maintiennent des niveaux bas de Rac actifs, empêchant ainsi la formation de protrusions dans d’autres directions.
Vol.1 n°4
DAMIEN RAMEL
ET COLL.
9
NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE pendante des RTKs [22]. De plus, l’équipe du
tion, une perte de la directionnalité, et la forma-
Pr. Montell a élégamment démontré, en activant
tion de protrusions dans les autres cellules du
ou en désactivant Rac1 localement grâce à l’uti-
groupe par un mécanisme impliquant la kinase
lisation de formes contrôlées par la lumière [25],
JNK [22]. Ces résultats révèlent la présence
que le niveau d’activation de Rac1 a des consé-
de mécanismes de communication entre les
quences « cellule autonome » mais aussi « non-
cellules du groupe pendant la migration. Ainsi,
cellule autonome ». En effet, lorsque l›activité
les questions importantes à répondre sont : par
Rac1 est élevée dans une cellule, les autres
quels mécanismes les cellules communiquent
cellules du groupe gardent un niveau restreint
entre elles ? Comment sont-elles capables de
d’activité de Rac1, ce qui inhibe la formation de
mesurer le niveau d’activité de Rac dans les
protrusions et prévient toute migration dans une
autres cellules du groupe ? Quel est le rôle des
autre direction. Au contraire, l’inhibition de Rac
autres GTPases Cdc42 and Rho1 ?
dans une cellule entraîne un arrêt de la migraL’endocytose
Les mécanismes d’endocytose, par lesquels
un tri est opéré entre les molécules devant être
la cellule internalise des protéines de la mem-
dégradées et celles devant être recyclées à la
brane plasmique, sont cruciaux pour assurer
membrane plasmique. Les premières sont ache-
une réponse adéquate aux différentes stimu-
minées vers l’endosome tardif puis le lysosome
lations extracellulaires [26]. Ainsi, l’endocytose
pour être subséquemment dégradées, alors
émerge comme un important régulateur de la
que les autres sont recyclées à la membrane
migration cellulaire dirigée, en réponse à un
plasmique soit par une voie de transport directe,
gradient chimiotactique [27]. Les molécules
soit via l’endosome de recyclage. Les petites
internalisées via endocytose peuvent suivre de
GTPases de la famille des Rabs régulent le
nombreuses routes pour être acheminées vers
trafic vésiculaire entre les différents comparti-
l’endosome précoce. Dans ce compartiment,
ments de la voie endosomale (Figure 3).
Vol.1 n°4
DAMIEN RAMEL
ET COLL.
10
NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE
U
? Cbl
Polarisation des RTK RTK
Membrane Plasmique U
Exocyste
Ubiquitine
Endosome précoce
Rab5-GTP RN-tre ? (GAP)
Sprint (GEF)
Endosome de Recyclage
Rab5-GDP
Rab11-GTP ? (GEF)
Evi5 (GAP) Rab11-GDP
Figure 3. Rôle et régulation de l’endocytose dans la migration des CB Schéma représentant les voies d’endocytose impliquées dans la régulation de la migration des CB. Rab5 régule l’entrée dans les endosomes précoces, Rab11 régule le recyclage des endosomes précoces vers la membrane plasmique via l’endosome de recyclage et le complexe de l’exocyste. L’altération de l’activité de ces protéines ou de leurs régulateurs Evi5 (GAP de Rab11) ou sprint (GEF de Rab5) induit une perte de la polarité des récepteurs actifs. Cbl (E3 ubiquitine ligase des RTK) est également nécessaire à la polarité des RTK.
Vol.1 n°4
DAMIEN RAMEL
ET COLL.
11
NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE Les premières observations d’une impli-
importants de la migration des CB [18]. Bien
cation de l’endocytose dans la migration collec-
que les phénotypes induits par une abolition de
tive proviennent du laboratoire du Dr. P. Rorth.
l’activation de Rab5 soient dramatiques, son
Cette équipe a démontré que des CB déficientes
mécanisme d’action dans la migration collective
pour la protéine Cbl (Casistas B-lineage Lym-
reste obscur. Au contraire, le rôle et la régulation
phoma), une E3 ubiquitine ligase régulant l’in-
de Rab11 ont pu être appréhendés. L’expres-
ternalisation des RTKs par ubiquitination, pré-
sion de la forme dominante négative de Rab11
sentaient une délocalisation des récepteurs de
induit un blocage de la migration. Cet effet est
guidance et des défauts de migration importants
dû spécifiquement à une perte de la polarisation
[19]. De plus, l’absence de la protéine Sprint,
des RTKs actifs. D’autres molécules impliquées
une GEF présumée de Rab5 qui contrôle l’en-
dans la migration telles que les intégrines ou les
trée dans les endosomes précoces, donne des
cadhérines ne sont pas affectées malgré le fait
phénotypes similaires [19]. Ces données sug-
qu’elles soient classiquement décrites comme
gèrent que l’endocytose est une actrice majeure
régulées par Rab11. Ce mécanisme fait interve-
de la régulation de la réponse aux signaux ex-
nir le complexe multi-protéique de l’exocyste qui
tracellulaires en contrôlant la restriction spatiale
est chargé d’adresser les vésicules des endo-
des récepteurs de guidage. Cependant, il n’y a
somes vers la membrane plasmique. En effet, la
aucune évidence directe montrant que ce sont
déplétion de sous-unités de l’exocyste conduit
effectivement les RTKs qui subissent cette en-
à un défaut de migration et une perte de pola-
docytose. Plus récemment, suite à un criblage
rité des RTKs actifs [18]. Ces données, en écho
de candidats par l’expression de formes domi-
aux travaux sur Cbl et Sprint, confirment que
nantes négatives de différentes protéines Rabs,
l’endocytose joue un rôle majeur dans le main-
nous avons identifié Rab5 et Rab11 (qui régule
tien de la polarité des récepteurs de guidage
le recyclage de l’endosome de recyclage vers
actifs. Cependant, la question demeure ouverte
la membrane plasmique) comme des acteurs
si les RTKs sont la cible de ce cycle d’endocy-
Vol.1 n°4
DAMIEN RAMEL
ET COLL.
12
NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE
tose impliquant Rab5, Rab11 et le complexe de
like chez l’humain, auxquels différentes activités
l’exocyste.
GAPs ont été attribuées. L’utilisation de Sec15-
Une des sous-unités de l’exocyste,
GFP comme senseur de l’activité de Rab11 a
Sec15, interagit spécifiquement avec la forme
permis de démontrer que lors de la migration
active de Rab11 (Rab11-GTP) et est donc un
des CB, Evi5 agit comme Rab11-GAP. Là en-
effecteur de Rab11 [28]. Sec15 est fortement
core, de manière logique, la déplétion ou la
polarisé pendant la migration des CB de façon
surexpression de Evi5 induit une perte de po-
dépendante de Rab11 [18]. Ainsi, une forme
larité des RTK actifs [29]. Il est intéressant de
fusionnée à la GFP (Green Fluorescent Pro-
constater que parmi les autres GAP affectant la
tein) de Sec15 (Sec15-GFP) peut être utilisée
migration des CB se trouve Rn-Tre, dont la cible
comme révélateur du statut d’activité de Rab11
de l’orthologue chez les mammifères est Rab5.
in vivo pendant la migration. En effet, la distribu-
Ensemble, ces travaux montrent claire-
tion vésiculaire comparée à la distribution cyto-
ment que l’endocytose régule la polarité des
plasmique est modifiée lors d’un changement
récepteurs de guidage pendant la migration col-
d’activité de Rab11. Ainsi, avec cet outil, il est
lective (Figure 3). Cependant, la question de la
désormais envisageable d’identifier et d’étudier
molécule qui emprunte ces voies d’endocytose
des régulateurs de Rab11 tels que des GEFs et
est encore ouverte. Si les RTKs semblent être la
des GAPs.
piste la plus logique, personne n’a été capable
Récemment, suite à un criblage par
de les détecter spécifiquement dans un com-
RNAi des Rab-GAPs lors de la migration des
partiment donné. Ainsi, il serait parfaitement
CB, nous avons identifié le gène Evi5 comme
possible que cette régulation des RTKs soit in-
étant essentiel à la migration des CB. Evi5 de
directe, et que les acteurs principaux restent à
la Drosophile est l’orthologue de EVI5 et EVI5-
découvrir.
Vol.1 n°4
DAMIEN RAMEL
ET COLL.
13
NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE Conclusion L’étude des mécanismes qui contrôlent
addition de cellules indépendantes, mais au
la migration collective est d’une importance
contraire que les cellules peuvent coordonner
capitale pour la compréhension du développe-
leurs efforts. Ainsi, un des enjeux des années
ment d’organismes supérieurs, mais aussi en
à venir serait de comprendre quelles sont les
cancérologie. Cependant, plusieurs aspects
forces mécaniques qui sont mises en jeu dans
de ce type de migration restent obscurs. Il est
les migrations collectives. Ces forces, qui sont
donc crucial d’imaginer de nouvelles approches
à la fois créées et exercées par les cellules, ont
pour identifier des gènes régulateurs de cette
une grande influence sur les tissus. Une autre
migration. Des cribles génétiques sophistiqués
perspective d’avenir serait d’utiliser les orga-
pourraient être mis au point pour révéler de
nismes modèles pour cribler des collections de
nouveaux régulateurs de la migration collective
petites molécules. En effet, un nombre croissant
en utilisant les organismes modèles tels que la
d’évidences montre que plusieurs cancers uti-
Drosophile. De même, l’utilisation de méthodes
lisent la migration collective pour envahir les tis-
avancées de microscopie in vivo devrait per-
sus et produire des métastases. Ainsi, la décou-
mettre d’analyser plus finement la dynamique
verte d’inhibiteurs pharmacologiques pouvant
de ce type de migration. La migration collective
sélectivement bloquer la migration collective
est un exemple montrant que les organismes
serait une percée thérapeutique majeure dans
multicellulaires ne sont pas simplement une
le traitement de ces cancers.
Remerciements et financements Les travaux réalisés par les auteurs sont sou-
en santé du Québec (FRSQ, D.R et C.L) et de
tenus par des financements des Instituts de re-
la Fondation Cole (G.A). G.E est titulaire de la
cherche en santé du Canada (IRSC), et par la
chaire de recherche du Canada en transport
Société de recherche sur le Cancer (SRC) ainsi
vésiculaire et signalisation cellulaire.
que par des bourses des Fonds de la recherche Vol.1 n°4
DAMIEN RAMEL
ET COLL.
14
NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE Références 1. Friedl, P. and D. Gilmour, Collective cell migration in morphogenesis, regeneration and cancer. Nature reviews. Molecular cell biology, 2009. 10(7): p. 445-57. 2. Thiery, J.P., Metastasis: alone or together? Curr Biol, 2009. 19(24): p. R1121-3. 3. Yilmaz, M. and G. Christofori, Mechanisms of motility in metastasizing cells. Molecular cancer research : MCR, 2010. 8(5): p. 629-42. 4. Rorth, P., Collective cell migration. Annual review of cell and developmental biology, 2009. 25: p. 407-29. 5. Brumby, A.M. and H.E. Richardson, Using Drosophila melanogaster to map human cancer pathways. Nature reviews. Cancer, 2005. 5(8): p. 626-39. 6. Montell, D.J., Border-cell migration: the race is on. Nat Rev Mol Cell Biol, 2003. 4(1): p. 13-24.
12. Doronkin, S., et al., Dose-dependent modulation of HIF-1alpha/sima controls the rate of cell migration and invasion in Drosophila ovary border cells. Oncogene, 2010. 29(8): p. 1123-34. 13. Kim, J.H., et al., Psidin, a conserved protein that regulates protrusion dynamics and cell migration. Genes & development, 2011. 25(7): p. 730-41. 14. Duchek, P. and P. Rorth, Guidance of cell migration by EGF receptor signaling during Drosophila oogenesis. Science, 2001. 291(5501): p. 131-3. 15. Duchek, P., et al., Guidance of cell migration by the Drosophila PDGF/VEGF receptor. Cell, 2001. 107(1): p. 17-26. 16. McDonald, J.A., E.M. Pinheiro, and D.J. Montell, PVF1, a PDGF/VEGF homolog, is sufficient to guide border cells and interacts genetically with Taiman. Development, 2003. 130(15): p. 3469-78.
7. Silver, D.L. and D.J. Montell, Paracrine signaling through the JAK/STAT pathway activates invasive behavior of ovarian epithelial cells in Drosophila. Cell, 2001. 107(7): p. 831-41.
17. McDonald, J.A., et al., Multiple EGFR ligands participate in guiding migrating border cells. Developmental biology, 2006. 296(1): p. 94-103.
8. Niewiadomska, P., D. Godt, and U. Tepass, DE-Cadherin is required for intercellular motility during Drosophila oogenesis. The Journal of cell biology, 1999. 144(3): p. 533-47.
18. Assaker, G., et al., Spatial restriction of receptor tyrosine kinase activity through a polarized endocytic cycle controls border cell migration. Proc Natl Acad Sci U S A, 2010. 107(52): p. 22558-63.
9. Bianco, A., et al., Two distinct modes of guidance signalling during collective migration of border cells. Nature, 2007. 448(7151): p. 362-5.
19. Jekely, G., et al., Regulators of endocytosis maintain localized receptor tyrosine kinase signaling in guided migration. Developmental cell, 2005. 9(2): p. 197-207.
10. Rorth, P., Initiating and guiding migration: lessons from border cells. Trends Cell Biol, 2002. 12(7): p. 325-31.
20. Etienne-Manneville, S. and A. Hall, Rho GTPases in cell biology. Nature, 2002. 420(6916): p. 629-35.
11. Prasad, M., et al., Border cell migration: a model system for live imaging and genetic analysis of collective cell movement. Methods in molecular biology, 2011. 769: p. 277-86.
Vol.1 n°4
21. Murphy, A.M. and D.J. Montell, Cell type-specific roles for Cdc42, Rac, and RhoL in Drosophila oogenesis. The Journal of cell biology, 1996. 133(3): p. 617-30. 22. Wang, X., et al., Light-mediated activation reveals a key role for Rac in collective guidance of cell movement in vivo. Nature cell biology, 2010. 12(6): p. 5917. DAMIEN RAMEL
ET COLL.
15
NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE
23. Cote, J.F. and K. Vuori, GEF what? Dock180 and related proteins help Rac to polarize cells in new ways. Trends Cell Biol, 2007. 17(8): p. 383-93.
27. Schiefermeier, N., D. Teis, and L.A. Huber, Endosomal signaling and cell migration. Current opinion in cell biology, 2011. 23(5): p. 615-20.
24. Aoki, K. and M. Matsuda, Visualization of small GTPase activity with fluorescence resonance energy transfer-based biosensors. Nature protocols, 2009. 4(11): p. 1623-31.
28. Wu, S., et al., Sec15 interacts with Rab11 via a novel domain and affects Rab11 localization in vivo. Nature structural & molecular biology, 2005. 12(10): p. 87985.
25. Wu, Y.I., et al., Spatiotemporal control of small GTPases with light using the LOV domain. Methods in enzymology, 2011. 497: p. 393-407.
29. Laflamme, C., et al., Evi5 promotes collective cell migration through its Rab-GAP activity. The Journal of cell biology, 2012. 198(1): p. 57-67.
26. Scita, G. and P.P. Di Fiore, The endocytic matrix. Nature, 2010. 463(7280): p. 464-73.
Vol.1 n°4
DAMIEN RAMEL
ET COLL.
16