la posture de coach

14 déc. 2009 - Côté posture intérieure, le coach respire, fait le vide, s'imprègne des séances précédentes tout en laissant place à l'inconnu du moment qui va ...
124KB taille 8 téléchargements 344 vues
1

LA POSTURE DE COACH Résumé de la conférence prononcée pour ICF le 14 décembre 2009 à Strasbourg par François Delivré Cofondateur de l’Académie du Coaching Auteur du « Métier de coach » 1 – La « Posture » Précisons d’abord le mot. La « posture », nous dit le dictionnaire, est une attitude du corps ou encore une situation. On évoque ainsi une « bonne ou une mauvaise posture », ou encore la « posture » d'un acteur. Ce mot qui était assez peu utilisé a repris de couleurs depuis quelques dizaines d’années, vraisemblablement à cause de l'intérêt porté aux approches orientales telles que le yoga ou la méditation. On l’utilise aussi en spiritualité (posture de prière). Dans notre métier de coach, nous l’utilisons couramment pour le distinguer des compétences. Définissons-le ainsi : attitude extérieure et intérieure prise en vue d’un certain but. 2 - Posture extérieure, posture intérieure Faisons-nous maintenant petite souris et regardons ce qui se passe dans le cabinet d'un coach qui se trouve avec son client. Même si nous ne savons pas ce que c'est que le coaching, nous repérerons très vite que l’une des deux personnes est visiblement en train de soumettre un problème et que l’autre est visiblement en train de l'aider à résoudre le problème. Elle fait des « hum… hum… », écoute attentivement, pose des questions. Cette attitude particulière de la personne aidante, appelons la « posture extérieure ». C’est le reflet du rôle d’un professionnel, repérable au niveau social : gestes, rituels, décorum etc. Un policier se reconnaît ainsi à son uniforme, un médecin à son stéthoscope et la façon d’ausculter etc. La posture extérieure apparait dans l’exercice de la fonction et disparait en dehors, sauf déformation professionnelle dont se moque alors l’entourage. Elle n’est pas naturelle, il faut un certain effort pour l’adopter, une certaine volonté. Mais le mot « posture » a acquis un autre sens. On dit aussi qu’un professionnel adopte une « posture » lorsqu’il mobilise intérieurement une énergie propre à son métier. Un avocat, par exemple, tout en écoutant son client raconter son histoire, veille à la dimension juridique du problème apporté. Un médecin est attentif aux aspects physiologiques de son patient et un psychiatre aux aspects pathologiques. Dans notre métier, si la petite souris n’a pas accès directement à ce qui se passe à l'intérieur de la personne du coach, elle peut cependant déduire de ce qu’elle voit que la personne aidante (le coach) travaille dans un certain état d’esprit, une certaine « posture intérieure ». 3 - Postures en relation d’aide La distinction générale entre posture intérieure et extérieure se retrouve en relation d’aide, même si elle est plus subtile que pour un gendarme ou un médecin. Un client reconnaît qu’il a affaire à un « pro » (coach, thérapeute) grâce au « décorum » du cabinet (éléments extérieurs) où a lieu la séance et aussi à d’autres indices tels que © François Delivré, conférence posture de coach, 2013

2 l’absence de jugement sur la personne, la façon d’écouter, de poser des questions etc. (posture intérieure). Intérieurement, les professionnels de la relation d’aide mobilisent en effet une énergie spécifique en se mettant dans un état d’être qu’ils n’ont pas en temps normal. Tout en prêtant attention à la personne du client (mots, gestes, façon de parler), ils mettent en œuvre leurs compétences, leur méthodologie et, surtout, sont vigilants à ce qui se passe en eux-mêmes. C’est ici que se trouve la principale spécificité de la posture intérieure en relation d’aide : veiller à sa propre personne. 4 - Posture extérieure = faire semblant ? Peut-on s’identifier à la posture extérieure de son métier ? C’est une difficulté des débutants qui, parfois, on tendance à singer la posture apprise au moment de la formation. Plus profondément, c’est l’illusion du célèbre « garçon de café » de Sartre voir texte annexe qui en fait trop dans son rôle, qui « se la joue ». Cette identification ne nous gêne pas, nous qui buvons à une terrasse, car nous apprécions que le garçon de café soit rapide, serviable, efficace. Et si cela ne correspond pas à sa personnalité, s’il n’et pas « authentique », cela ne nous gêne pas vraiment, comme c’est le cas pour tous les métiers « techniques » dans lesquels c’est le service rendu qui compte, bien plus que la personne du professionnel. Il en va autrement dans les métiers de relation d’aide car la personne de l’aidant joue bien plus dans le service rendu au client. Deux problèmes se posent alors : -­‐ L’efficacité professionnelle. Quel degré d’authenticité adopter en séance vis-àvis du client ? Est-ce qu’on peut « faire semblant » d’être qui l’on n’est pas vraiment ? Par exemple, peut-on assurer un client que l’on croit en son potentiel alors qu’au fond de soi, on en doute ? -­‐ La congruence personnelle : Un professionnel peut-il avoir une certaine posture en séance et mener une vie personnelle très différente hors séance ? Par exemple, un coach peut-il respecter scrupuleusement la confidentialité avec ses clients tout en colportant sans cesse des ragots dans sa vie personnelle ? Peut-il faire travailler un manager sur son autoritarisme alors que lui-même se comporte de façon persécutrice avec ses proches ? Peut-il aider quelqu’un à faire plus confiance alors que lui-même se comporte de façon perverse avec autrui ? Parfois, le masque tombe. Le client découvre, stupéfait, que son coach a dans la vie courante des comportements complètement opposés à ce qu’il dit et montre dans son rôle de personne aidante. Terrible déconvenue ! Certains prennent la chose avec sagesse : « Ce n’est qu’un homme, après tout… ». D’autres, scandalisés, rejettent tout : la personne du maître et le travail (parfois très bon) fait avec lui. 5 - Avantages et risques de la posture extérieure Pour le professionnel, se couler dans une posture extérieure a un côté confortable. Cela rassure, surtout si l’état intérieur est chancelant. La plupart du temps, le client ne perce pas cette armure mais si cela se produit, le professionnel démasqué risque alors de se trouver en mauvaise… posture. Le client, de son côté, apprécie que le professionnel qui l’accompagne ait une posture extérieure de « pro ». Très vite cependant, il voudra avoir en face de lui non seulement une apparence, mais une personnalité.

© François Delivré, conférence posture de coach, 2013

3 6 - L'énergie de la posture Les acteurs savent bien que, juste avant de monter sur les planches, il leur faut rassembler leur énergie pour jouer la pièce. Dans beaucoup de métiers, avant de commencer le travail, on se prépare. Il y a quelque chose qui « monte », une énergie. Il en va de même en coaching. Cela commence un peu avant la séance et disparaît un peu après la séance. Côté posture extérieure, le coach vérifie avant la séance si sa tenue vestimentaire est correcte, si le lieu de la séance est rangé etc. Il regarde la disposition des fauteuils, prépare peut-être le café pour accueillir le client, s'assied dans les fauteuils pour voir le monde avec ses propres lunettes et celles du client etc. Côté posture intérieure, le coach respire, fait le vide, s’imprègne des séances précédentes tout en laissant place à l’inconnu du moment qui va se vivre. Il prend conscience de ses éventuels enjeux personnels avec ce client et s’en détache. Il se met surtout dans l’état d’esprit d’accueillir le client et de l’aider comme il le pourra pendant la séance, de réussir celle-ci, Une certaine énergie professionnelle monte, qu’il s’agit d’habiter, de ressentir, de cultiver. 7 - Spécificités de la posture de coach Pour conclure, examinons les spécificités de la posture de coach par rapport à d’autres métiers de relation d’aide. En fait, il n'y en a pas beaucoup et c’est surtout une question de posture intérieure : -­‐ Aider le client à trouver sa propre solution : c’est le cœur de notre métier (d’autres professions peuvent l’avoir, notamment des thérapeutes) -­‐ Etre vigilant à la durée. Notre métier s'exerce en effet dans un cadre temporel très strict : peu de séances, sur quelques mois seulement. Cette temporalité entraîne des contraintes fortes mais en même temps, bien utilisée, est un levier formidable. -­‐ Prêter attention au système d’entreprise dans lequel se situe le client, en fonction du contrat « tripartite ». Pour cela, être capable de poser un diagnostic structurel sur l'entreprise ou l'institution, et avoir une grande expérience professionnelle de ce qui se passe dans ce type de structure -­‐ Enfin, naviguer avec souplesse entre le personnel, le relationnel, le managérial et le structurel. Notre métier est pluridisciplinaire et nécessite des compétences en psychologie, en systémique, en management, et en organisation. François Delivré Annexe : Le garçon de café (Sartre, L'Etre et le Néant) (le mot « trop » a été souligné par moi-même) Considérons ce garçon de café. Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d'un pas un peu trop vif, il s'incline avec un peu trop d'empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voilà qui revient, en essayant

© François Delivré, conférence posture de coach, 2013

4 d'imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d'on ne sait quel automate tout en portant son plateau avec une sorte de témérité de funambule, en le mettant dans un équilibre perpétuellement instable et perpétuellement rompu, qu'il rétablit perpétuellement d'un mouvement léger du bras et de la main. Toute sa conduite nous semble un jeu. Ils s’applique à enchaîner ses mouvements comme s’ils étaient des mécanismes se commandant les uns les autres, sa mimique et sa voix même semblent des mécanismes ; il se donne la prestesse et la rapidité impitoyable des choses. Il joue, il s'amuse. Mais à quoi donc joue-t-il ? Il ne faut pas l'observer longtemps pour s'en rendre compte : il joue à être garçon de café. Il n'y a rien là qui puisse nous surprendre : le jeu est une sorte de repérage et d'investigation. L'enfant joue avec son corps pour l'explorer, pour en dresser l'inventaire ; le garçon de café joue avec sa condition pour la réaliser. Cette obligation ne diffère pas de celle qui s'impose à tous les commerçants : leur condition est toute de cérémonie, le public réclame d'eux qu'ils la réalisent comme une cérémonie, il y a la danse de l'épicier du tailleur, du commissaire priseur, par quoi ils s'efforcent de persuader à leur clientèle qu'ils ne sont rien d'autre qu'un épicier, qu'un commissaire-priseur, qu'un tailleur. Un épicier qui rêve est offensant pour l'acheteur, parce qu'il n'est plus tout à fait un épicier. La politesse exige qu'il se contienne dans sa fonction d'épicier, comme le soldat au garde-à-vous se fait chose-soldat avec un regard direct mais qui ne voit point, qui n'est plus fait pour voir, puisque c'est le règlement et non l'intérêt du moment qui détermine le point qu'il doit fixer (le regard « fixé à dix pas »). Voilà bien des précautions pour emprisonner l'homme dans ce qu'il est. Comme si nous vivions dans la crainte perpétuelle qu'il n'y échappe, qu'il ne déborde et n'élude tout à coup sa condition. Mais c'est que, parallèlement, du dedans le garçon de café ne peut être immédiatement garçon de café, au sens où cet encrier est encrier, où le, verre est verre. Ce n'est point qu'il ne puisse former des jugements réflexifs ou des concepts sur sa condition. Il sait bien ce qu'elle « signifie » : l'obligation de se lever à cinq heures, de balayer le sol du débit, avant l'ouverture des salles, de mettre le percolateur en train, etc. Il connaît les droits qu'elle comporte : le droit au pourboire, les droits syndicaux, etc. Mais tous ces concepts, tous ces jugements renvoient au transcendant. Il s'agit de possibilités abstraites, de droits et de devoirs conférés à un « sujet de droit ». Et c'est précisément ce sujet que j'ai à être et que je ne suis point. Ce n'est pas que je ne veuille pas l'être ni qu'il soit un autre. Mais plutôt il n'y a pas de commune mesure entre son être et le mien. Il est une « représentation » pour les autres et pour moi-même, cela signifie que je ne puis l'être qu'en représentation. Mais précisément si je me le représente, je ne le suis point, j'en suis séparé, comme l'objet du sujet, séparé par rien, mais ce rien m'isole de lui, je ne puis l'être, je ne puis que jouer à l'être, c'est-à-dire m'imaginer que je le suis. Et, par là même, je l'affecte de néant. J'ai beau accomplir les fonctions de garçon de café, je ne puis l'être que sur le mode neutralisé, comme l'acteur est Hamlet, en faisant mécaniquement les gestes typiques de mon état et en me visant comme garçon de café imaginaire à travers ces gestes... Ce que je tente de réaliser c'est un être-en-soi du garçon de café, comme s'il n'était pas justement en mon pouvoir de conférer leur valeur et leur urgence à mes devoirs d'état, comme s'il n'était pas de mon libre choix de me lever chaque matin à cinq heures ou de rester au lit quitte à me faire renvoyer.

© François Delivré, conférence posture de coach, 2013