L'application de la réalité virtuelle aux ... - Sciences Croisées

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Sciences-Croisées Numéro 7-8 : Soin de l’âme Les effets de soin du virtuel Prof. Isabelle Viaud-Delmon CNRS UMR 9912 IRCAM Equipe Espaces Acoustiques et Cognitifs [email protected]

LES EFFETS DE SOIN DU VIRTUEL

RÉSUMÉ : La réalité virtuelle peut représenter un défi pour la conscience. L'immersion dans un monde virtuel impose l'inhibition des informations sensorielles provenant de l'environnement réel. Cette adaptation sensorielle persiste-t-elle quand on retourne dans le monde réel ? Si la réalité virtuelle risque d'engendrer des troubles de la conscience chez les personnes fragiles, elle a aussi des vertus thérapeutiques. L’exploitation de la réalité virtuelle en psychiatrie et en neurologie n’en est actuellement qu’au stade de recherches avec des prototypes. Elle n’est pratiquée couramment que par très peu d’équipes cliniques pour lesquelles les préoccupations de recherche sont toujours omniprésentes. Cette pratique n’est pour l’instant pas rentrée dans les mœurs, ni aux États-Unis, ni au Canada, ni encore moins en Europe et plus particulièrement en France. En psychothérapie, l’utilisation de la réalité virtuelle implique le plus souvent une vision cognitive et comportementale de l’abord des troubles. En neuropsychologie son développement pourrait être plus rapide du fait du besoin unanime et urgent d’outils d ‘évaluation et de réhabilitation. Mais persistent encore beaucoup de réticences voire même d’incrédulité sur l’utilité de cette technique. Qu’en est-il des avantages et inconvénients de ce nouvel outil ? MOTS-CLÉS : présence – réalité virtuelle – thérapie – psychopathologie – déréalisation – monitoring de la réalité – avatar.

1. LES MONDES VIRTUELS AUJOURD’HUI Pour tout passionné de jeu vidéo, piloter un avion de chasse, voler dans un château hanté, combattre à mains nues une escouade de monstres devient vite une seconde nature. Aujourd’hui, il est même possible de jouer au tennis ou au golf sans frapper aucune balle réelle alors que l’on a une raquette ou un club de golf

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entre nos mains. Ces mondes virtuels sont numériques, construits grâce à la puissance des ordinateurs, mais peuvent être d’un réalisme surprenant. Dans leur forme actuellement la plus aboutie, la réalité virtuelle, le joueur est plongé dans son monde grâce à une reconstitution en trois dimensions. Lorsqu'il se déplace, son environnement est « mis à jour » en temps réel : cet arbre sur la droite qui s’efface quand il avance, le voilà de nouveau s’il tourne sur lui-même ; ce chien qui vient vers lui grossit comme il le ferait dans la réalité. Le joueur peut manipuler et modifier les objets qui se présentent à lui, ou faire un geste pour éloigner un chien virtuel qui s’approche. Cette réalité virtuelle, un oxymoron introduit au début des années 1980, se définit comme l’ensemble des techniques et des interfaces qui immergent un utilisateur dans un environnement artificiel et lui permettent d’interagir naturellement avec lui. RÉALITÉ VIRTUELLE ET RÉALITÉ NON VIRTUELLE : QUELLE DIFFÉRENCE ? L’idée de réalité virtuelle repose sur le postulat qu’il existe une réalité non virtuelle, renvoyant au monde physique. Cependant, la réalité du monde physique se réduit à la perception que nous en avons ; sa représentation peut varier d’un individu à un autre, en fonction d’un nombre infini de facteurs tels que l’attention, l’émotion, ou encore l’acuité des sens. La différence essentielle entre les deux types de monde, le réel et le virtuel, est liée au manque de réalisme physique et fonctionnel de ce dernier, encore bien pauvre par rapport à ce que nos organes sensoriels savent décoder, et à l’équipement technologique dont un sujet a besoin pour le percevoir. Si vous vous asseyez devant un ordinateur pour vous plonger dans un environnement artificiel, votre perception de cet environnement ne provient en général que des informations visuelles. Qui plus est, les informations visuelles diffusées par l’écran sont noyées parmi les informations visuelles provenant de l’environnement physique : la plante à côté de l’écran, le store derrière lui, etc. Un moyen d’améliorer l’immersion est de visualiser les informations sur un écran le plus grand possible, capable de couvrir l’ensemble du champ visuel. Autre solution : le visiocasque, composé de deux mini-écrans montés sur un casque ; vous ne visualisez alors que les informations artificielles, sans être perturbé par des informations visuelles du monde physique. Equipé d’un visiocasque, regardez maintenant un jeu en y jouant avec un joystick. Est-ce de la réalité virtuelle ? Oui, et non. Oui, car votre champ visuel n’est stimulé que par des informations provenant de l’environnement artificiel ; non, puisque seule votre vision est stimulée par cet environnement artificiel et que vous ne pouvez pas interagir naturellement avec lui : il vous faut utiliser une interface – le joystick – pour relayer vos actions sur le monde artificiel. En dehors des systèmes développés dans les laboratoires de recherche, les mondes synthétiques d’aujourd’hui ne reproduisent donc que faiblement la richesse du monde physique telle que nous la percevons dans des conditions normales. Toutefois, l’industrie du jeu propose maintenant des outils qui nous permettent d’utiliser naturellement notre corps pour interagir avec les mondes virtuels, comme nous le ferions dans le monde physique. Une telle implication du corps permet de maintenir un haut niveau d’intérêt et un côté ludique quelle que soit la situation proposée. L’utilisateur se laisse alors facilement convaincre qu’il agit dans l’environnement virtuel et non plus dans l’environnement physique : il a un sentiment de présence dans l’environnement virtuel.

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2. ATOUTS ET INCONVÉNIENTS RECHERCHES EN SCIENCES DE LA VIE

DE

LA

RÉALITÉ

VIRTUELLE

:

Les dispositifs de réalité virtuelle ont permis la mise en place de nombreux paradigmes de recherche en neurosciences comportementales ces 15 dernières années. La facilité avec laquelle il est possible de manipuler expérimentalement les différentes informations sensorielles fournies au sujet fait de la réalité virtuelle un outil de choix pour l'étude chez l’homme de l'intégration multisensorielle et de ses troubles. Par ailleurs, dans le domaine de la psychopathologie clinique, l'exposition de patients à des environnements virtuels permet de mettre en œuvre de nouvelles formes de thérapie présentant de nombreux intérêts. Enfin en neurologie, les technologies de la réalité virtuelle fournissent une nouvelle manière d’aborder l’étude des troubles cognitifs et ainsi que les mécanismes de compensation ou de suppléance, et par conséquent l’approche de la réhabilitation des fonctions cognitives et motrices. Cependant, l’utilisation de dispositifs de réalité virtuelle pose au moins deux problèmes majeurs. Le premier est lié au nombre limité de modalités sensorielles sollicitées par l'outil, qui n’intègre le plus souvent que les modalités visuelles et idiothétiques (ensemble des informations proprioceptives et vestibulaires). Le deuxième est lié au caractère "déréalisant" de la réalité virtuelle, et renvoie à la notion de présence. La pratique du virtuel ouvre des champs nouveaux. La pression de l'évolution via les nouvelles technologies pousse vers la déréalisation et l'individu se trouve confronté au maniement de son aptitude à la présence, compétence dont la définition n’est pas consensuelle mais qui renvoie aux notions d'identité, de conscience … Au plan psychopathologique, un certain nombre de questions se pose. La première concerne la dangerosité de ces phénomènes en terme de facteur de risque pour l'émergence d'états mentaux pathologiques. Est ce que l’absence de représentation du corps propre du sujet n’induit pas des expériences dissociatives lorsqu’il est immergé dans le monde virtuel via un visiocasque ? La réalité virtuelle est basée sur le sentiment de présence dans un monde qui n’existe pas. Un lycéen ne risque-t-il pas de se trouver fragilisé pour dépasser l'inévitable remaniement identitaire que représente son adolescence, si la pratique du virtuel l'invite fréquemment à changer son cadre de référence ? 2. 1. CONFLITS SENSORIELS ET COGNITIFS Le monde virtuel expose l’utilisateur du système à des conflits de divers types. Toutes les informations sensorielles usuellement disponibles dans le monde environnant ne le sont pas nécessairement dans le monde virtuel et le peu de variété des informations sensorielles utilisées dans les mondes virtuels en sont une limite essentielle. En particulier, la modalité auditive est pauvrement exploitée par les dispositifs de réalité virtuelle. Le plus souvent, dans les environnements virtuels, l’audition est uniquement sollicitée de manière associative : un événement visuel donné déclenche un son donné qui n’est pas spatialisé en 3D. Pourtant, le système auditif exploite simultanément des indices binauraux (perception directionnelle horizontale) et des indices monauraux (perception directionnelle verticale et distance) qui peuvent être synthétisés pour créer des scènes sonores virtuelles. Parallèlement, la perception auditive interprète la signature acoustique de la salle, liée aux réflexions et à la réverbération sur les parois, pour compléter la représentation spatiale de l'espace.

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L'exposition à un environnement virtuel qui n’est que visuel manque donc d'une composante essentielle de notre monde réel, puisque la modalité auditive nous fournit constamment des informations sur notre monde environnant et la façon dont nous y évoluons. Elle est en effet la seule modalité à nous permettre de scanner l’espace à 360° autour de nous, ce qui représente un espace perçu bien plus large que celui offert par le champ de vision. Il est donc important de tenter d’intégrer à un dispositif de réalité virtuelle des outils de synthèse de scènes sonores gérant la restitution de la localisation statique ou dynamique des sources dans l'espace ainsi que la création d'un effet de salle associé. Nous avons pu démontrer l’intérêt de l’ajout de la modalité auditive interactive lors du travail avec des patients anxieux, puisque le sentiment de présence exprimé par les patients était supérieur dans ce contexte (Viaud-Delmon, Warusfel, Seguelas, Rio & Jouvent, 2006). Cependant, cette étude a également révélé que des problèmes pouvaient survenir par l’ajout d’une nouvelle modalité sensorielle dans un monde virtuel essentiellement visuel. En effet, non seulement les patients démontraient plus de signes de cinétose (symptômes du mal des transports) dans cette condition, mais encore la cohérence subjective des signaux sonores et visuels était difficile à obtenir. Ainsi, l’ajout de nouvelles modalités sensorielles pose néanmoins la question de la construction d’environnements virtuels multimodaux. Il n’est pas facile, aussi bien au plan technique que conceptuel, d’envisager des environnements artificiels dans lesquels chaque modalité sensorielle vient enrichir l’intégration plutôt que de générer un canal d’information supplémentaire pouvant de fait créer une surcharge cognitive. Le problème est ici à la fois technique, du côté de la réalité virtuelle, et cognitif, du côté de l’utilisateur. Au plan technique la coordination temporelle des deux types d’informations sensorielles n’est pas triviale : le plus souvent, il existe un décalage inconstant du son pouvant aller jusqu'à une vingtaine de millisecondes par rapport à l’image. Sans méta-module gérant la synchronisation de tous les rendus sensoriels, il sera difficile d’aboutir à un système de réalité virtuelle réellement multisensoriel. Au niveau cognitif, comme la richesse des mondes auditifs dépasse vite la richesse des mondes visuels, il n’est pas évident d’intégrer les deux canaux sensoriels en une scène unique. Par exemple, dans une scène de foule constituée d’humanoïdes, le rendu des mouvements des corps et des visages sera toujours simpliste par rapport au rendu auditif qui sera extrêmement réaliste. Cela peut gêner certains utilisateurs. Il faut en conséquences travailler sur l’édition de la scène sonore, de sorte que son réalisme ne surpasse pas celui de la scène visuelle, et reste néanmoins immersif. Cela relève d’un problème sémantique dont les règles d’ajustement ne sont pas faciles à mettre à jour. Quoiqu’il en soit, l'interaction avec un environnement virtuel ne pourra sans doute jamais fournir la même richesse sensorielle que l’interaction avec le monde réel. Si notre relation au monde est principalement médiatisée par des informations visuelles, il n'en reste pas moins que l'ensemble de nos systèmes sensoriels y contribue ; la variété de ces systèmes sensoriels est actuellement peu représentée dans les mondes virtuels utilisés en clinique qui sont essentiellement des mondes visuels. 2. 2. CORPS PROPRE ET AVATARS Si l’on expose un patient à un paysage vertigineux dans un visiocasque, dans le but de le désensibiliser à la peur du vide, il est probable qu'il éprouve le

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besoin, pour regarder le fond du précipice, de s’appuyer sur une rampe. On peut alors avoir prévu à cet effet une rambarde dans l'environnement réel du sujet, sur laquelle le patient pourra prendre appui. Un nouveau choix s'imposera alors, celui de figurer ou non la rambarde dans le monde virtuel. Mais pour que cela ne représente pas un nouveau conflit sensoriel, ceci nécessite d'équiper le sujet de capteurs de position des mains et de représenter celles-ci dans le monde virtuel. Sans cela, un conflit s'en suivrait : le patient voit une rampe dans le monde virtuel, il s'appuie dessus sans que son mouvement ne soit figuré dans l’environnement. Seules ses informations proprioceptives l'informent qu'il est en train de s'appuyer sur un objet. Une telle escalade dans la reproduction de la réalité comporte deux ordres de limites : - une limite d'ordre technique, en particulier temporelle (décalage entre les mouvements du sujet et l'affichage de l'image correspondante) ; - une limite d'ordre qualitatif. En imaginant que l'on puisse représenter avec précision le corps humain dans le monde virtuel, la limite sera toujours que ce qui y est figuré n'est qu'un modèle du corps. Dans un monde virtuel, le corps du sujet actif est parfois représenté sous la forme d’un avatar. Celui-ci est couplé aux mouvements de l’individu. La présence d’un avatar dans l’environnement 3D révèle que les conflits générés par la réalité virtuelle ne sont pas seulement de l’ordre du sensoriel. Ils proviennent également d’une incohérence entre l’intention et les conséquences sensorielles de l’action, telles qu’il en existe dans le monde physique réel. Les conséquences sensorielles d’une action sont en effet comparées en permanence avec les prédictions sensorielles faites par rapport à cette même action. La « sensation » provient de la comparaison entre les conséquences sensorielles de l’acte et les prédictions sensorielles. C’est l’absence de copie efférente qui distingue le mouvement propre du mouvement de quelqu’un d’autre. Au niveau neuronal, cela s’accompagne d’une atténuation de la stimulation sensorielle dans la région cérébrale traitant la modalité sensorielle concernée. Par ailleurs, nous savons depuis les travaux pionniers de Johansson que nous sommes sensibles au mouvement biologique (Johansson, 1973). Nous sommes en effet capables de reconnaître les mouvements naturels du corps en les identifiant d’après des patrons ambulatoires. Johansson a démontré que visualiser des points lumineux attachés aux articulations d’un corps en déplacement est suffisant pour reconnaître la nature biologique d’un mouvement. Si un avatar ne respecte pas le mouvement biologique, quelles conséquences cela pourra-t-il avoir ? Verrons nous émerger une perte de la spécificité du mouvement biologique à force de devoir « coller » à un mouvement non biologique, ou au contraire un manque d’engagement des sujets dans les environnements virtuels ? Quand le sujet voit un avatar bouger dans l’environnement virtuel où il est immergé, accepte-t-il que le mouvement de l’avatar représente son propre mouvement (dans le cas où il est effectivement couplé à celui-ci via des capteurs) ou croit-il y voir le mouvement de quelqu’un d’autre ? Ces questions soulevées par l’utilisation d’un nouveau media relèvent de l’élucidation des mécanismes cognitivo-sensoriels de la déréalisation et de l'adaptation biologique. L'inflation du virtuel dans les pratiques humaines confronte le vivant à de nouvelles lois d'interaction avec son environnement. De la sorte de nouveaux mécanismes adaptatifs vont être sollicités.

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2. 3. LA PRÉSENCE : PARADIGME DU MONITORING DE LA RÉALITÉ La manipulation expérimentale des entrées sensorielles en réalité virtuelle a permis d'étudier l'intégration multisensorielle dans de nombreuses études (par exemple intégration visuo-haptique ; intégration visuo-idiothétique; intégration visuo-vestibulaire) au moyen du rendu d’informations sensorielles conflictuelles par rapport aux flux auxquels on est normalement exposé. Dans plusieurs de ces expériences, il a été rapporté que bien que soumis à des conflits sensoriels importants, les volontaires soumis à ces stimulations n'ont pas perçu l'incongruence de la situation. Par exemple, lors d’études sur la recalibration de l'information vestibulaire au niveau perceptif, nous avons constaté que celle-ci est intervenue sans prise de conscience du conflit (Viaud-Delmon, Ivanenko, Berthoz & Jouvent, 1998). Pourtant, les sujets étaient soumis à des stimulations visuovestibulaires inhabituelles, puisqu’il existait une différence allant du simple au double entre les informations visuelles et vestibulaires. Les sujets visualisaient des rotations sur place de 90° dans un visiocasque alors qu’ils tournaient physiquement de 180° dans le monde réel. Ce phénomène amène deux types de remarques : - Il est possible pour l'organisme d'effectuer une adaptation du type d'une recalibration sans que celle-ci soit accessible à la conscience ; - Des expériences pourtant non dénuées d'effets secondaires peuvent néanmoins recueillir une adhésion totale des sujets à la situation virtuelle. Cette induction réussie de fausse croyance montre la capacité d'un sujet à s'échapper de la réalité. Il a été proposé que le sentiment de présence influence le transfert d’un apprentissage effectué dans un monde virtuel vers le monde réel. De plus, en développant leur questionnaire mesurant le sentiment de présence dans l’environnement virtuel, Witmer et Singer (1998) ont pu montrer que la présence était inversement liée à l’apparition de cinétose : plus le sentiment de présence dans le monde virtuel était important, moins le sujet immergé était malade. Ces résultats revêtent une importance particulière si on les rattache à ce qui a été dit plus haut à propos des conflits sensoriels. En effet, un sujet ne peut s'immerger vraiment dans un monde virtuel que s'il est capable de dépasser le rappel à la réalité du monde physique qui s'exprime au travers de la pérennisation du conflit sensoriel. Il est nécessaire pour lui d'oublier ou d'inhiber les informations sensorielles fournies par sa présence physique dans le monde réel, ce que peutêtre ne parviennent pas à faire les sujets sensibles à la cinétose dans les mondes virtuels. Cependant, toutes les études ne s’accordent pas sur ce point. Certaines ont trouvé une relation linéaire entre présence et cinétose. C’est également ce que nous avons observé dans l’étude précédemment citée chez des patients anxieux (Viaud-Delmon, Warusfel, Seguelas, Rio & Jouvent, 2006). Dans ce cas particulier, il est possible qu’une importante présence dans le monde virtuel permette de s’abstraire de la réalité physiologique de la cinétose. On touche là à l'essence même du phénomène de "présence"; il ne peut y avoir d'adhésion au monde virtuel sans abstraction du monde physique réel et donc sans inhibition des informations sensorielles qui nous rappellent son existence. On conçoit ainsi que ces opérations nécessaires d'abstraction du monde physique réel représentent une sollicitation particulière pour les sujets sensibles à la déréalisation. La pratique sociale de plus en plus importante des techniques de réalité virtuelle représente un facteur pouvant exposer à des perturbations qui vont de dérives addictives aux troubles de déréalisation. L’immersion d’un sujet dans une

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scène virtuelle le conduit à fabriquer un nouveau cadre de référence distinct du monde réel. Cette déréalisation induite pose plusieurs types de problèmes. Notamment, il est légitime de se demander dans quelle mesure le sujet exposé à la réalité virtuelle est réellement capable de complètement dissocier deux cadres de référence, ou si au contraire les comportements suscités lors de l’immersion persistent lors de la réintroduction dans le monde réel. On peut se demander quelles sont les conséquences adaptatives de l’immersion, et les traces de cette adaptation qui resteront après l’exposition à la réalité virtuelle (mécanismes de l’adaptation au virtuel et séquelles du virtuel). Ainsi, d’outil expérimental et clinique, la réalité virtuelle est devenue aujourd’hui un objet de recherche à part entière. 3. ATOUTS DE LA RÉALITÉ VIRTUELLE POUR LES THÉRAPIES EN PSYCHOTATHOLOGIE CLINIQUE La réalité virtuelle est utilisée dans de nombreux domaines : exploration de données scientifiques, géosciences, industries manufacturières, travail en milieu contaminé, robotique, architecture, archéologie, création artistique, architecture, entraînement à des manœuvres militaires, etc. Son utilisation médicale date des années 1990. En psychiatrie, elle a été d’abord utilisée pour le traitement des phobies, pour lequel elle présente de nombreux avantages. Elle permet l’exposition, sous contrôle, du patient à des stimuli anxiogènes à la fois complexes, dynamiques, et interactifs en 3D. Elle offre la possibilité de graduer, répéter des situations anxiogènes qui peuvent être nombreuses et variées, et ainsi de planifier un traitement qui est délivré en toute sécurité pour le patient. Le traitement se déroulant dans le cabinet du thérapeute, la confidentialité de la consultation est préservée et l’embarras du patient est limité. L’aspect attractif de la réalité virtuelle et la facilité de sa programmation dans l’emploi du temps du patient limitent les abandons de traitement et augmentent les chances de succès thérapeutique. L’utilisation de la réalité virtuelle en psychiatrie se fait donc souvent dans un cadre théorique relevant des thérapies comportementales et cognitives. En complément d’autres techniques, comme la relaxation, il s’agit d’exposer progressivement le patient aux conditions ou situations qu’il redoute ou qui provoquent son anxiété : les araignées, la foule, les hauteurs, les avions, etc. Cette exposition graduée amène le patient à contrôler les signes et les manifestations qui sont associées à son trouble psychique. La thérapie en réalité virtuelle accomplit la même fonction mais en plaçant le patient dans des situations virtuelles dont le réalisme émotionnel lui fait vivre pleinement la situation qui déclenche les symptômes. L’équipe de Barbara Rothbaum, à l’Université Emory d’Atlanta aux ÉtatsUnis, a publié la première étude suggérant l’intérêt d’exposer des malades phobiques à des environnements virtuels (Rothbaum et al., 1995). Deux groupes d’étudiants sensibles à l’acrophobie, la peur des lieux situés en hauteur, étaient comparés : les uns commençaient un traitement, tandis que les autres restaient en liste d’attente. Le traitement proposait, après une session de familiarisation avec le matériel, sept séances d’expositions progressives à différents environnements virtuels représentant des scènes de vide : un pont de hauteur variable au-dessus de l’eau, un balcon, au rez-de-chaussée ou au vingtième étage, ou encore un ascenseur panoramique simulant une altitude de 147 mètres. Les mesures

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effectuées avant et après le traitement, qui portaient sur le degré d’anxiété, le comportement d’évitement et l’attitude des sujets, ont montré une nette amélioration pour le groupe traité, alors qu’elles restaient identiques pour les étudiants en liste d’attente. Depuis cette étude pionnière, de nombreuses recherches ont mis en évidence l’efficacité de la réalité virtuelle pour traiter différents troubles anxieux (voir Powers & Emmelkamp, 2008 ; Parsons & Rizzo, 2008). L’acrophobie, la phobie de l’avion ou de la conduite, la phobie sociale, la claustrophobie, l’agoraphobie et l’arachnophobie sont couramment traitées avec succès de cette façon dans des centres médicaux aux Etats-Unis et dans certains pays européens. Autres indications : le stress post-traumatique, certains troubles des conduites alimentaires et diverses addictions au tabac, à l’alcool, aux drogues et au jeu. La réalité virtuelle se révèle également être une source utile de distraction pendant des soins douloureux, et représente ainsi une nouvelle voie pour le traitement de la douleur. Enfin, elle permet une évaluation contrôlée et précise des troubles de l’attention chez les enfants hyperactifs, et là encore une nouvelle forme de thérapie. De la peur de l’enfermement à la terreur des foules, quels sont les points communs ? Il semble que ces phobies regroupent toutes des troubles relevant de l’intégration multisensorielle. En principe, nous percevons le monde extérieur de manière unifiée, alors que notre perception résulte de la synthèse d’informations provenant d’une multitude de capteurs hétérogènes : capteurs chimiques pour la vision, capteurs de pression pour le toucher, accéléromètres pour le mouvement propre… Or il est des patients, notamment des patients anxieux, qui éprouvent des difficultés à mettre en relation ces différentes informations. Ils se plaignent entre autres de vertiges ou de malaises, bien que leurs systèmes sensoriels périphériques pris individuellement fonctionnent parfaitement (Viaud-Delmon, Venault & Chapouthier, 2010). Le mal des transports, par exemple, peut relever d’un problème de cet ordre : dans une voiture, le passager (surtout s’il est assis à l’arrière) ressent des accélérations ou décélérations alors que son environnement visuel proche (l’intérieur du véhicule) semble immobile. Ce type de « conflit » sensoriel est plus ou moins bien géré. Un ascenseur crée aussi un tel conflit. Avec un système de réalité virtuelle, on peut créer à volonté des situations de conflit sensoriel puis étudier leur impact. Curieusement, nous avons par exemple observé que les personnes anxieuses mettaient en place des mécanismes d’adaptation plus efficaces que les non anxieuses (Viaud-Delmon, Ivanenko, Berthoz & Jouvent, 2000). Mais surtout, les résultats de cette étude, réalisée à la fin des années 1990, nous ont incités à poursuivre ces expériences et à tester leur intérêt dans un cadre clinique. 3. 1. L’INTÉGRATION RÉSOLUTION DE CONFLITS

MULTISENSORIELLE

:

UN

PRINCIPE

DE

Depuis ces 25 dernières années, les neurosciences ont incorporé à leur objet d’étude l’intégration multisensorielle : comment le cerveau intègre les informations provenant des différentes modalités sensorielles, et réussit à créer une représentation cohérente d’une scène captée par des récepteurs sensoriels de nature différente ? Par exemple, si vous regardez une orange que vous tenez dans votre main, des éléments visuels, auditifs, odorants et tactiles contribuent à vous renseigner sur le fait qu’il s’agit d’une orange, et pourtant chacune de ces informations est de teneur bien différente. Le cerveau perçoit généralement un

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même objet par plusieurs canaux sensoriels. Des recherches ont démontré que la fusion de deux informations peut donner lieu à une interprétation perceptive qui ne se résume pas à une simple sommation des informations, mais qui produit des illusions. Par exemple, la perception d’informations visuelles et auditives incohérentes se traduit par l’effet McGurk (McGurk & MacDonald, 1976) : lorsque l’on voit un visage prononcer la syllabe /ga/ en même temps qu’un stimulus auditif composé de la syllabe /ba/, la perception résultante est celle de la syllabe /da/. Il s’agit d’un son intermédiaire, du point de vue phonétique, entre /ba/ et /ga/. Cette illusion reflète une stratégie employée par le cerveau pour combiner les informations visuelles et auditives afin d’aboutir à une perception unique et cohérente. Imaginons maintenant une salle de conférence. Vous écoutez un séminaire donné par un conférencier équipé d’un micro. Alors qu’il n’y a pas de correspondance spatiale entre la direction de sa voix, émise par des haut-parleurs situés de part et d’autre de l’estrade alors qu’il est situé à l’extrême gauche de l’estrade, et sa position dans l’espace, vous savez qu’il est bien l’orateur. Les informations auditives sont couplées automatiquement par votre cerveau aux informations visuelles. C’est l’effet du ventriloque dans lequel la voix du marionnettiste et la poupée en mouvement, bien que spatialement disjoints, sont fusionnées. L’orateur a fini et invite l’audience à poser des questions. Celles-ci sont diffusées par les mêmes haut-parleurs. Une personne derrière vous pose une question mais vous ne la voyez pas. Vous êtes incapable d’identifier qui parle puisque votre cerveau ne peut établir de correspondance spatiale entre la direction de la voix et un indice visuel. La personne se lève et c’est alors seulement que vous l’identifiez comme l’orateur, grâce aux informations visuelles liées à son mouvement. Vous n’avez cependant aucune trouble perceptif ; vous ne pensez pas que la personne qui est debout devant vous et le locuteur dont la voix est diffusée dans les haut-parleurs derrière vous sont deux individus différents. Comment cela est-il possible ? Comment le cerveau trouve-t-il la correspondance auditive et visuelle appropriée pour déterminer qu’un son et une image proviennent de la même source ? Plusieurs études ces vingt dernières années ont éclairé les mécanismes en jeu. En particulier, des travaux ont observé que les neurones d’une région cérébrale où se projettent certains axones du nerf optique, le colliculus supérieur, répondaient aussi bien à des informations visuelles qu’à des informations auditives (Meredith & Stein,1983 ; Stein & Stanford, 2008). Ces neurones sont qualifiés pour cette raison de multisensoriels. Leur activité électrique devient beaucoup plus importante si les deux modalités sensorielles sont stimulées à peu près au même moment et depuis la même direction de l’espace. L’amplitude de cet effet dépend du degré de coïncidence spatiale et temporelle entre les informations. Le système visuel détecte avec précision la direction d’un stimulus, qui peut être représentée par deux coordonnées : l’azimut, c’est-à-dire la direction horizontale, assimilable à un angle, et l’élévation, autrement dit la verticale. L’œil est très bien équipé pour déterminer cette direction, parce que la direction avec laquelle un rayon de lumière entre dans l’œil est directement indiquée par le point qu’il stimule sur la rétine. En conséquence, le système visuel peut distinguer de très petits changements de direction. Le système auditif n’a pas cette capacité, parce que la direction du stimulus doit alors être calculée d’après une multitude

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d’indices. Les premiers proviennent du fait qu’un son émis sur la gauche atteint l’oreille gauche quelques microsecondes avant qu’il n’atteigne l’oreille droite, créant ainsi une différence interaurale de temps. De la même façon, il existe des différences interaurales d’intensité: un son provenant de la gauche arrive plus atténué à l’oreille droite qu’à l’oreille gauche. L’azimut d’une source sonore est déterminé grâce à ces différences interaurales de temps et d’intensité, mais avec une finesse de perception bien moindre que dans le cas de la vision. Quant à l’élévation de la source sonore, le système auditif l’estime avec une précision de l’ordre de 5 à 10 degrés, sur la base des indices spectraux. Comme le système visuel est bien mieux équipé que le système auditif pour juger de la direction d’un stimulus, on décrit classiquement que les différences dans la précision de localisation entre les deux systèmes sensoriels provoquent une capture visuelle : la position d’un stimulus visuel dicte souvent la position apparente d’un stimulus auditif correspondant. Cependant, il a été récemment suggéré que la capture visuelle d’un son ne dérive pas d’une règle rigide dans laquelle l’estimation visuelle détermine dans tous les cas la perception résultante (Alais & Burr, 2004). Le cerveau serait capable de pondérer les informations sensorielles selon leur qualité. 3. 2. RÉALITÉ VIRTUELLE ET INTÉGRATION MULTISENSORIELLE POUR LES APPLICATIONS THÉRAPEUTIQUES Peut-on utiliser ces connaissances sur l’intégration sensorielle pour améliorer les applications thérapeutiques de la réalité virtuelle ? Nous l’avons vu, la variété des systèmes sensoriels est actuellement peu représentée dans les mondes virtuels utilisés en médecine, qui sont essentiellement des mondes visuels. Les sons y sont pauvrement utilisés, et dépourvu des indices qui permettraient leur localisation et optimiseraient l’intégration des informations visuelles et auditives au niveau cérébral. Ils représentent le plus souvent l’équivalent d’apparition d’images 2D dans une simulation visuelle, comme la silhouette d’un animal qui surgirait devant un bâtiment et autour de laquelle on ne pourrait pas tourner. Cette pauvreté des indices auditifs est regrettable puisque l’ajout de la modalité auditive interactive lors du travail avec des patients anxieux permet d’améliorer leur sentiment d’être présents dans l’environnement virtuel. Nous travaillons actuellement, à l’IRCAM et dans l’équipe REVES de l’INRIA de Sophia Antipolis, sur une application concernant l’évaluation et le traitement de la phobie des chiens. Le principe d’intégration des informations visuelles et auditives est utilisé pour apprendre à un sujet à maîtriser ses réactions émotionnelles lorsqu’il est exposé progressivement à des environnements dans lesquels il peut rencontrer des chiens. Ceux-ci peuvent surgir auditivement et/ou visuellement. Les sources sonores fournissent des indices de localisation précis, quelle que soit la position du sujet dans la pièce expérimentale. Il peut ainsi percevoir des chiens arriver en courant derrière lui. Cependant, des problèmes peuvent surgir si la cohérence subjective des signaux sonores et visuels est difficile à obtenir. Dans ce cas, la nouvelle modalité sensorielle, au lieu d’enrichir l’intégration sensorielle, perturbera les sujets car des informations non cohérentes peuvent créer une surcharge sensorielle et cognitive. De plus, les patients psychiatriques présentent souvent une hypersensibilité au bruit. Il est ainsi nécessaire de comprendre de quelles façons la modalité auditive peut être utilisée efficacement à des fins thérapeutiques.

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Nous avons observé que des patients anxieux peuvent parfaitement naviguer dans un environnement virtuel uniquement auditif, en l’absence d’informations visuelles. Ils souhaitent alors rester longtemps dans cet environnement qu’ils jugent réaliste, afin de l’explorer longuement. Quand on leur demande de replacer sur une carte différentes sources sonores qu’ils ont croisées durant leur navigation virtuelle, ils réussissent sans erreur. Ces résultats suggèrent qu’il pourrait être préférable, pour le traitement de certains cas pathologiques, non de copier la réalité le plus fidèlement possible, mais au contraire de créer un environnement simplifié qui permette au sujet de s’engager dans la tâche dont dépend le succès du traitement. Une autre application de l’intégration visuo-auditive concerne le traitement des acouphènes. Un acouphène est une perception sonore permanente ou intermittente (sifflement, bourdonnement) qui surgit indépendamment d’un son extérieur. De causes le plus souvent inconnues, on sait difficilement le traiter actuellement. Une collaboration entre l’IRCAM et le service d’ORL de l’hôpital européen Georges Pompidou à Paris, est en cours afin de développer un monde virtuel permettant à des patients souffrant d’acouphène de mieux maîtriser cette perception (Londero et al., 2010). Le patient est immergé dans une scène virtuelle visuelle simple. Dans un premier temps on détermine les caractéristiques sonores de l’acouphène du patient, c’est-à-dire l’amplitude et les fréquences du son anormalement perçu. Un son représentant l’anomalie est alors récréé à partir de ces caractéristiques. Dans la scène virtuelle, ce son est localisé dans l’espace et relié à un objet visuel. Le patient peut le déplacer par l’intermédiaire d’un capteur manuel. Il est possible de rajouter dans la scène d’autres « objets sonores » dont les indices de localisation dans l’espace sont asservis aux mouvements de la tête du patient, enrichissant l’environnement virtuel auditif et favorisant l’immersion du sujet. Dès lors, le principe de la thérapie est simple : le patient, en déplaçant l’objet associé au son représentant l’acouphène, apprend progressivement à l’éloigner et à maîtriser sa localisation. Le but théorique est de rendre « évident » le caractère purement « illusoire » de la perception en lui faisant perdre ainsi son caractère agressif. Si cette méthode démontrait son efficacité, elle constituerait une percée dans le domaine du traitement de l’acouphène. 4. CONCLUSIONS : Ces dernières années voient s’accroître la reconnaissance du potentiel de la réalité virtuelle pour les applications liées à la santé. Mais sommes-nous en train d’inventer de nouvelles méthodes thérapeutiques qui ne pourraient se développer sans la réalité virtuelle ou la réalité virtuelle ne représente-t-elle qu’une technique alternative équivalente à toute autre technique utilisable ? La possibilité d’immersion offerte par les interfaces de la réalité virtuelle est sans doute ce qui a attiré en premier lieu les thérapeutes. Finalement, les atouts tangibles de la réalité virtuelle, représentés entre autre par l’interaction au moyen de capteurs, sont encore peu exploités dans ce domaine d’application. Dans la littérature ayant pour sujets la psychothérapie et la neuropsychologie, la description des dispositifs techniques de réalité virtuelle utilisés est souvent lacunaire de sorte qu’une analyse critique de ceux-ci s’avère difficile et qu’une comparaison entre les différentes méthodes utilisées est une tâche laborieuse. Quoiqu’il en soit, l’atout principal de la réalité virtuelle est sans doute qu’elle permet, grâce à l’interactivité, une approche sensorielle et cognitive des troubles.

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Outre tous les intérêts de la présentation de stimuli par ordinateur, permettant l’enregistrement des données et la gradation adaptative des environnements de test, la réalité virtuelle fournit un moyen d’insérer le sujet dans un contexte spatial et temporel, ce qui n’est pas possible avec les moyens traditionnels. L’interaction par le corps permet de mettre en œuvre des techniques de réhabilitation motrice et cognitive à la fois ludiques et pertinentes, puisque la boucle perception/action est constamment sollicitée. Ainsi, un simple test de mémoire peut se transformer en un exercice à la fois moteur et cognitif. En psychiatrie, l’atout principal de la réalité virtuelle est sans doute qu’elle rend possible l’interaction avec un monde mental qui n’est plus qu’imaginé. Puisque un monde virtuel n’est pas le monde réel, peut-il être comparé à une illusion ou encore une hallucination ? Souvent, pour décrire la sensation du sujet immergé dans un environnement virtuel, on mentionnera une « illusion » de présence dans l’environnement virtuel. Pourtant, une illusion est le produit de l’interprétation erronée de stimuli exogènes. A ce titre, elle se différencie de l’hallucination, perception sans objet. Mais on sait maintenant qu’au niveau cérébral, les deux phénomènes sont accompagnés de l’activation des aires sensorielles correspondant à la sensation. La différence essentielle entre hallucination et illusion est que, alors que cette dernière est provoquée par un événement exogène (l’objet), l’hallucination est provoquée par un événement endogène. La conséquence de la nature exogène ou endogène est que l’une peut être partagée, alors que l’autre ne le peut pas. Cet aspect contribue au caractère insupportable de l’hallucination, car ce qui ne peut être partagé ne peut prétendre au statut de réalité. Cette observation me permet d’émettre deux hypothèses : 1. la réalité virtuelle n’est pas dangereuse à partir du moment où elle reste une expérience individuelle, comme dans le cas d’une séance à visée thérapeutique : elle est malgré tout partagée dans sa réalité avec le thérapeute (lui enlevant tout statut d’illusion ou d’hallucination), et surtout, elle est contrôlée. Ce pourraient être les immersions collectives qui fragiliseraient les frontières du réel. 2. rendre accessible à autrui l’hallucination d’un patient peut soulager ce dernier immédiatement. Son hallucination devient une réalité qu’il peut enfin partager, le sortant de son isolement. Dans cette même veine, on peut imaginer qu’externaliser un phénomène interne peut aider à le maîtriser sensoriellement. Ainsi, on espère qu’un patient souffrant d’acouphène peut apprendre à maîtriser celui-ci au niveau cortical, en jouant avec la spatialisation en réalité virtuelle auditive d’un avatar de son acouphène. Il serait sans doute possible d’appliquer cette même idée au schizophrène pour ses hallucinations. En lui donnant la possibilité de contrôler la localisation ou les caractéristiques physiques d’un avatar de son hallucination, on lui permet de retrouver un sentiment d’agentivité. La réalité virtuelle peut être critiquée pour les contradictions auxquelles elle confronte la perception (absence du corps, manque de réalisme) ; voire les contre indications en ce qui concerne les applications en psychiatrie (risque de déréalisation). Son caractère non réaliste pourrait en faire à première vue un pauvre outil pour le domaine de la santé – recherche ou clinique. Pourtant, il contribue au contraire à en faire un formidable paradigme de recherche pour les neurosciences cognitives, en incarnant l’anti dualisme corps vs esprit. Qu’une action effectuée en réalité virtuelle ne reproduise pas les mêmes paramètres qu’une action effectuée dans l’environnement physique n’est peut-être pas important. La finalité de l’immersion pour un patient est qu’il arrive en haut des

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marches virtuelles alors qu’il n’oserait jamais gravir trois marches dans l’environnement physique. Enfin, la contribution de l’action volontaire à la reconnaissance de soi en fait là encore un paradigme extraordinaire pour l’étude de l’agentivité et ouvre ainsi la porte à de nombreuses applications. L’intervention systématique des acquis des neurosciences permet de donner à cette technologie les lettres de noblesse scientifique qu’elle mérite. Simulation mentale et interaction motrice sont paradoxalement les deux concepts clefs de la réalité virtuelle, et non réalisme et immersion. L’immersion n’est qu’un moyen pour faciliter la simulation mentale, plus facilement atteignable avec un certain niveau de réalisme. Si une immersion n’arrive à évoquer aucune simulation mentale chez l’utilisateur, le côté bénéfique de la réalité virtuelle est perdu. Il faut abandonner le rêve d’une réalité virtuelle indistinguable de l’environnement physique. C’est en ce qu’elle ne réplique pas l’environnement physique, mais permet d’en manipuler certaines composantes, que la réalité virtuelle possède les meilleurs atouts. Il serait bon cependant que la réalité virtuelle n’échappe pas à l’investigation scientifique afin que son potentiel reste entier et maîtrisé. Que l’on comprenne quels sont les tenants et les aboutissants de l’utilisation d’un avatar dans un environnement virtuel, de la notion de présence, des modalités de communication entre le thérapeute et le patient alors que celui-ci est immergé, ne relève pas seulement d’un questionnement circonstanciel. Il est maintenant important de connaître les portées de la réalité virtuelle afin que l’on en maîtrise son utilisation, que l’on sache comment et à qui la proposer, pour envisager encore de nouvelles applications.

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