LE BRUIT DU MONDE 57 NOTES DES LECTEURS LE BRUIT ...

Franchir une frontière est une guerre. ... l'ennemi. Rappelons-nous que « l'origine du mot frontière ... et ce qu'ils impliquent en termes de gâchis humain. Entre.
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hors contexte, celle des Fachos semble inoffensive. Elle est d’autant plus violente ensuite. Langue dangereuse mais salvatrice, qui finit par exploser. A mon sens, un des enjeux sous-jacents du texte voit le jour : celui de l’affirmation d’une langue poétique comme acte politique et acte théâtral. Une langue qui n’est pas Message, ni Propagande, ni Efficacité. Qui permet le doute, le paradoxe, le conflit. Qui prend le temps de s’écrire, de se déployer, tout en étant profondément urgente.

NOTES DES LECTEURS

Fanny Garin

Périphéries humaines / Euryale Collet-Barquero Terres closes / Simon Grangeat

En s’inspirant d’entretiens pour écrire Périphéries humaines, Euryale Collet-Barquero dresse le portraits d’existences fragmentaires qui tentent de se dire ici et maintenant, par rapport à avant et à là-bas. L’enjeu n’est pas ici de dénoncer une réalité difficile, ni même d’unifier absolument une parole qui serait celle d’une communauté, mais de rendre leur voix à ces personnes mises à l’écart. Entre dialogues et monologues, ces voix nous disent le rapport complexe qu’elles entre-tiennent avec leur identité, leur famille, leur mémoire ou leur nouvelle culture. Sans jamais nommer ces voix ou situer sa fiction, l’auteure nous parle de ce sentiment d’être étranger quelque part, à un moment, de se sentir par fois étranger à soi-même. Des compromis qu’il faut savoir faire, parfois, pour trouver son bonheur. Il est souvent question de rêve dans Périphéries humaines, comme espoir inépuisable, comme force pour aller de l’avant, pour aller vers l’autre : c’est un texte qui suscite la rencontre. Une adresse percutante qui fait résonner en chacun de nous ce qui fait toute la complexité et la beauté d’une existence. Il revient au plus près de cette humanité que, au-delà de toute question ethnique, sociale ou religieuse, nous avons en partage.

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Guillaume Cayet ou « l’auteur enragé » dont la voix entoure le texte : début / fin.

Insurgés / Guillaume Cayet

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Un jeune arabe qui, parce qu’il s’est retrouvé, par hasard, dans un parc, sur un banc, face à trois fachos qui s’ennuient, est tabassé, envoyé à l’hôpital, puis meurt. Il y a cette chose que l’on sait « les ratonnades c’est pas bien », mais ce savoir est conceptuel, sans réalité. On en occulte la crudité, parce qu’elle est insoutenable comme le sont les crampons dans la tête d’un homme. La mettre sur un plateau, c’est d’abord nous la faire éprouver dans le corps. Nous rappeler qu’il y a là, dans cette mise en jeu théâtrale, un enjeu vital, nécessaire, existentiel et pas seulement intellectuel. Au fur et à mesure qu’on s’enfonce dans le texte, qu’il retrace à rebours le parcours d’Admer et des gens plus ou moins proches qui l’entourent, la dévastation se généralise. Rien ou presque n’est épargné. Néanmoins les personnages sont pour la plupart des figures. Et le pathos, l’apitoiement, le misérabilisme, déjoués. C’est un drôle de fil, dangereux et risqué, que l’auteur fabrique, entre observation, rage déversée et mise en forme, en voix, en listes et chants. L’hétérogénéité des matériaux rappelle qu’il s’agit aussi de dire, constater, noter, lister, de s’obséder. Cette journée peut avoir lieu n’importe où n’importe quand. La langue n’est pas réaliste, mais distante et crue. Elle est puissamment poétique, et paradoxalement discrète. Le fond est énorme, va parfois jusqu’à friser la caricature. La langue le soutient, le porte, se fait oublier mais ne peut s’empêcher d’être là, de faire des siennes, de se glisser. L’auteur* semble parfois lutter avec sa propre langue, la rayant quand elle parle trop ou quand elle poétise. Car la langue peut être dangereuse. A la première écoute et

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LE BRUIT DU MONDE

Étienne Parc

Franchir une frontière est une guerre. Être migrant, c’est être l’ennemi. Rappelons-nous que « l’origine du mot frontière vient de front, un terme militaire, qui désigne la zone de contact avec une armée ennemie. » Les migrants des pays du Sud à l’assaut des forteresses du Nord, le conflit sans pitié qui s’engage, vécu du côté des migrants, voici l’angle d’attaque choisi par Simon Grangeat dans Terres Closes. L’auteur nous offre sept chants dans lesquels il s’adresse directement aux candidats à l’émigration. Sept chants d’une guerre qui ne dit pas son nom pour mettre en lumière l’hypocrisie de nos sociétés occidentales, qui prônent les droits de l’homme et les bafouent extra-muros. Une écriture qui interroge les mécanismes de défense des frontières et ce qu’ils impliquent en termes de gâchis humain. Entre force brute et moyens plus pernicieux (citons par exemple les campagnes de propagande dissuasives suivies d’arrestations arbitraires, sur simple soupçon d’envie d’émigrer – cela ne vous rappelle rien ?), les États du Nord font la guerre aux migrants avec le tout zèle que leur confèrent leurs moyens et l’alibi de la sacro-sainte intégrité territoriale. Le style est direct et percussif, cru, à la limite de la froideur, une froideur pédagogique ; il s’agit d’être sûr que chaque candidat appréhende comme il se doit l’ampleur de la tâche, qu’il s’arme, qu’il se blinde, car la lutte sera féroce. La désescalade est loin d’être amorcée. La défense des frontières se fait chaque jour de manière de plus en plus paranoïaque, les dépenses au nom de la « sécurité » sont incessantes, les projets de construction d’enceintes de confinement se multiplient. On ne combat pas le feu par le feu. Terres Closes nous l’assène : « le nombre de morts / en mer / s’élève toujours. Les candidats au départ / sont toujours / aussi / nombreux. » À quand une politique globale responsable qui agisse sur les causes de l’émigration, au lieu de combattre aveuglément ses symptômes ?

Pierre Koestel

LE BRUIT DU MONDE

Ce texte à la première personne n’est pas une pièce de théâtre, bien qu’il soit conçu pour être dit. C’est le récit au présent du retour au pays qu’entreprend le narrateur après le décès de son père. Le ton juste de son écriture vient du fait qu’il reste constamment dans l’expérience. Cela en fait un texte très sincère, écrit sous la forme d’un journal sensible et précis sur les faits, les discussions et les impressions. Sans dialogue ni tension dramatique, ce texte nous séduit parce qu’il colle à la réalité, sans fioritures. Il est engagé car il reste frais, au ras des faits, refusant d’être directement politique ou polémique, même si l’auteur relate de vives discussions et des échanges de points de vue contradictoires avec les personnes qu’il rencontre.

La Guerre de Belgique / Samuel Pivo La Guerre de Belgique, ça se passe là, tout à côté, à quelques kilomètres, au cœur d’un futur possible. L’auteur a créé une sorte de dystopie qui donne à voir une éventuelle catastrophe et qui fait voler en éclat l’écriture scénique. C’est un texte-puzzle, morcelé, à l’image des personnages aux frontières identitaires et amoureuses poreuses. La guerre civile est intérieure, intime, et extérieure, politique. Il faut sans cesse être aux aguets de l’autre, cet étranger qui nous ressemble. L’altérité heureuse et bienveillante s’érige comme une lutte. Chaque personnage porte ses propres cicatrices et l’auteur, sans les juger, témoigne de leurs lignes de faille. Le cauchemar d’une ville en sang où les barrières se dressent peu à peu, ce pourrait être, comme ici, entre flamands et wallons mais aussi ailleurs, sur n’importe quel point de la carte du monde. C’est le spectre de l’Histoire qui se répète et l’heure des choix est cruelle. Rien n’est jamais acquis, et Samuel Pivo creuse l’effet de réel au plus près des situations et des états de langue pour que nous n’en sortions pas indemnes. Magali Chiappone-Lucchesi

Loïc Yavorsky Houria Liberté / Karim Abdelaziz L’auteur retourne en Algérie à la recherche de ses origines, de sa famille. Il fait l’expérience d’une culture qu’il sent proche et éprouve le décalage avec la France. Attraction et répulsion autour de ces thèmes aujourd’hui bien connus : différences culturelles, religion, famille, place de la femme dans la société. Ce récit autobiographique à la première personne a pour premier attrait de ne jamais juger mais de toujours partir d’un ressenti. La subjectivité de l’écriture n’est pas ici une protection de l’auteur devant la difficulté d’aborder ces thèmes ni devant le danger d’une parole banale, clichée, bien-pensante, misérabiliste, voire moralisatrice. Elle est garante d’une intelligence plutôt humaniste. Aujourd’hui, cela fait du bien.

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