Le match des vigies de la concurrence - Blog Avocats

de la Standard Oil, le cartel pétrolier de John Rockefeller, et de l'American. Tobacco Company. C'est seulement au lendemain de la. Seconde Guerre mondiale ...
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EXPERTISE

Neelie Kroes pilote la Direction de la concurrence depuis 2004.

Christine Varney vient de prendre ses fonctions.

DIRECTION GÉNÉRALE DE LA CONCURRENCE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

DIVISION ANTITRUST DU DÉPARTEMENT AMÉRICAIN DE LA JUSTICE

de création : 1958 * Date : 78,2 millions d’euros * Budget Nombre d’employés : 700 *

de création : 1933 * Date : 110 millions d’euros * Budget Nombre d’employés : 851 *

LE MATCH DES VIGIES DE LA CONCURRENCE

Des deux administrations qui, de chaque côté de l’Atlantique, font la chasse aux abus de position dominante, aux cartels, aux concentrations, laquelle œuvre le mieux en faveur des consommateurs ?

C

’EST À UN ÉTONNANT chassécroisé stratégique que se livrent la division antitrust du département américain de la Justice et la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne. Depuis les années 60, et jusque dans les années 90, les traqueurs d’entraves au fonctionnement loyal du marché font feu de tout bois aux Etats-

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Unis, n’hésitant pas à prendre des décisions spectaculaires contre des géants comme Intel et Microsoft. Mais, sous les deux mandats de George Bush, la politique antitrust se relâche au nom du laisser-faire libéral. Dans le même temps, les défenseurs de la concurrence en Europe multiplient les enquêtes sur les cartels et retoquent des projets de fusions industrielles parfois autorisées par les autori-

tés américaines. Avec la nomination de Neelie Kroes, en 2004, Bruxelles accroît son intransigeance. A l’heure où Christine Varney, une fidèle de Barack Obama bien décidée à en découdre avec le big business, arrive à la tête de l’antitrust américain, se profile le départ, d’ici à la fin de l’année, de la « Dame de fer » européenne. En attendant, laquelle des deux entités se montre la plus efficace ?

1Philosophie

AVANTAGE division antitrust

Le droit de la concurrence est né aux Etats-Unis le 2 juillet 1890 avec le Sherman Act, appelé loi antitrust. « Alors que l’Amérique accède au rang de pays développé, elle se dote d’outils pour lutter contre les cartels qui émergent à la faveur du boom industriel de la fin du XIXe siècle », explique François Souty, professeur à l’université de La Rochelle, expert en politique de la concurrence. Son application a conduit en 1911 à l’éclatement de la Standard Oil, le cartel pétrolier de John Rockefeller, et de l’American Tobacco Company. C’est seulement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que l’Europe adopte à son tour un arsenal de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, presque calqué sur celui des Etats-Unis. Encore aujourd’hui, « les règles en vigueur sur le Vieux Continent sont inspirées du droit américain », assure Jean-Louis Fourgoux, avocat associé au sein du cabinet du même nom, spécialiste du droit de la concurrence. Il cite comme exemple l’introduction des programmes de clémence dans le droit communautaire, en 1996, qui assurent l’immunité totale au premier acteur d’un cartel qui dénonce ce dernier. Une règle aujourd’hui à l’origine de 80 % des sanctions.

rence le plus actif de la planète. Son tableau de chasse est éloquent. Sous son mandat, le total des amendes a atteint des sommets : 8,3 milliards d’euros, contre 570 millions de 1995 à 1999. Un volontarisme dicté par l’objectif d’un marché européen décloisonné qui contraste avec le laxisme dont a fait preuve l’antitrust sous l’administration républicaine, qui voyait d’un bon œil le renforcement des champions nationaux américains dans un contexte mondialisé. Aucune action à l’encontre d’un monopole n’a ainsi été engagée durant les années Bush. Mais, en nommant Christine Varney à la tête de la division antitrust, Barack Obama a sifflé la fin de la récréation. La nouvelle patronne a en ligne de mire Google et son « monopole sur la publicité en ligne », et a engagé le combat dès mai dernier avec le retrait d’une disposition introduite par la précédente administration qui, selon elle, imposait « trop d’obstacles aux efforts du gouvernement pour faire appliquer les lois antitrust ». Attention toutefois : ces ardeurs risquent d’être freinées par les tribunaux fédéraux – qui décident des sanctions –, devenus conservateurs après des années de nominations de juges par l’administration Bush.

4Sanctions

AVANTAGE DG concurrence

DOMINIQUE FAGET/AFP - BRENDAN HOFFMAN/LANDOV/MAXPPP

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Moyens AVANTAGE division antitrust

A la DG concurrence comme à la division antitrust, l’opulence n’est pas de mise. La commissaire européenne, Neelie Kroes, aime ainsi rappeler qu’elle dispose de moins de fonctionnaires que le service chargé des canaux au ministère néerlandais des Transports. Le professeur d’économie John Connor, de l’université de Purdue (Indiana), souligne de son côté que la division antitrust est l’« une des plus petites agences fédérales, pesant moins de 1 % du budget du département de la Justice ». Depuis les années 70, elle peut toutefois compter sur le FBI. Dans certaines enquêtes sur des cartels, jusqu’à 100 agents du Bureau ont prêté mainforte à ses équipes.

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Politique AVANTAGE DG concurrence

Depuis la nomination de Neelie Kroes, la Commission européenne s’est imposée comme le gendarme de la concur-

Avec l’amende infligée à l’américain Intel, la Commission européenne a battu tous les records. En mai, le n° 1 mondial des microprocesseurs s’est vu réclamer un chèque de 1,06 milliard d’euros ! Il s’agit pour Bruxelles d’être « le plus dissuasif possible ». Et la Commission a toute latitude pour taper très fort, avec un plafond stratosphérique : 10 % du chiffre d’affaires mondial consolidé du groupe. La situation est très différente aux EtatsUnis : les amendes qui découlent des condamnations par la division antitrust sont bien moins salées qu’en Europe, mais les personnes poursuivies risquent jusqu’à dix ans de prison ferme. Thomas Picot, avocat associé chez Jeantet Associés, précise que ces amendes ne représentent que « la partie émergée de l’iceberg ». Selon ce spécialiste du droit de la concurrence, « l’arme de dissuasion massive réside dans les actions intentées par les victimes ellesmêmes devant les tribunaux civils pour obtenir des dommages et intérêts. Souvent, les plaignants n’ont pas à avancer

les honoraires des avocats, et, avec le système des treble damages, les condamnations montent très vite, jusqu’à trois fois le préjudice. » Sans oublier les centaines de millions de dollars qui changent de main lorsque les litiges trouvent leur conclusion par le biais d’une transaction, ce qui est le cas dans sept affaires sur dix.

5Indépendance

AVANTAGE DG concurrence

La division antitrust appartient au département américain de la Justice, qui luimême dépend de la Maison-Blanche. Sans qu’on puisse dire qu’elle est aux ordres, elle paraît cependant moins indépendante que l’administration supranationale d’une Union européenne comptant 27 membres. La DG concurrence n’est pas pour autant à l’abri des pressions. La Commission reconnaît que, « au plus fort de la crise, il y en a eu beaucoup, notamment de la France, mais pas seulement », pour réclamer davantage de souplesse. Neelie Kroes a dû faire preuve de « réalisme » pour ce qui concerne les aides publiques aux banques, reconnaît JeanLouis Fourgoux. En à peine six mois, elle en a autorisé pas moins d’une cinquantaine, d’un montant global de 3 000 milliards d’euros. Depuis, elle a repris l’offensive et présente l’addition en exigeant de sévères restructurations : la Commerzbank, deuxième banque d’Allemagne, a ainsi été obligée de réduire sa taille de près de moitié. Benjamin Neumann

RÉSULTAT DU MATCH Volontariste – voire intransigeante –, la DG concurrence l’emporte devant une division antitrust engourdie après deux mandats de George Bush. Mais la redistribution des cartes à venir en Europe et en cours aux Etats-Unis pourrait rééquilibrer les approches et les bilans.

DG CONCURRENCE

3 points

DIVISION ANTITRUST

2 points

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