Nicolas Beauchet AnneLaure Piganeau Alessandra Roani Maud Thuaudet
Le Peak Oil
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Sommaire Introduction 1
Modélisation du cycle de production du pétrole : Courbe de Hubbert
1.1 1.2 1.3 1.4
Modéliser l’offre de pétrole Description qualitative : courbe de Hubbert Autre approche : les profils d’exploitation de puits Commentaires
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Le pic de pétrole donneratil lieu à un choc ?
2.1 2.2 2.3
Le point de vue des « géologues » Le point de vue des « économistes » Commentaires sur le débat
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Modélisation : vers un choc ?
3.1 3.2 3.3
Présentation du modèle. Scénario de référence. Tests de sensibilité Retard à l’exploitation
Conclusion Bibliographie Annexe 1 : Formation du pétrole Annexe 2 : Définitions Annexe 3 : Détermination du pic
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Introduction La mondialisation et l’accélération des déplacements engendrent une demande en pétrole qui ne cesse de croître. Le pétrole n’est cependant pas une ressource inépuisable. Comment sera la fin du pétrole ? Existe t’il une contrainte à l’exploitation du pétrole de type Peak oil ? L’épuisement des ressources seratil « lissé » par la hausse progressive des prix ou bien donnera t’il lieu à un choc ? La demande auratelle le temps de s’adapter progressivement à l’épuisement des ressources ou bien le pic seratil une « surprise », non anticipée, engendrant une hausse brutale et inattendue des prix? Nous étudierons tout d’abord le cycle de production du pétrole et la modélisation du Peak oil. Nous nous interrogerons ensuite sur la présence éventuelle d’un choc sur les prix dû au Peak oil, en comparant le point de vue des « géologues » et celui des « économistes ». Enfin, nous modéliserons la répartition de la production pétrolière mondiale par tranches de coût d’exploitation, et nous étudierons l’influence de la demande, des réserves et d’un retard à l’exploitation, sur la date du pic et la présence d’un choc éventuel.
1 Modélisation du cycle de production du pétrole : Courbe de Hubbert 1.1 Modéliser l’offre de pétrole · Introduction King Hubbert est un géophysicien célèbre pour ses estimations des ressources énergétiques ainsi que pour ses prédictions de l’évolution de la découverte et de l’épuisement du pétrole. Dans un article désormais célèbre, « Nuclear Energy and the Fossil Fuels », paru en 1956, Hubbert annonçait que la production des EtatsUnis « 48 » (hors Alaska et Hawaï) déclinerait à partir de 1970, ce qui se produisit. L’impact de sa découverte fut considérable : aujourd’hui, même si les modèles sont de plus en plus complexes, la courbe de Hubbert est une référence pour la description de tout cycle de production d’une ressource épuisable. Par ailleurs, la présence d’un pic de production mondiale de pétrole (suivi d’une décroissance inéluctable) est une donnée fondamentale pour l’élaboration de scénarios de notre futur énergétique. Savoir quand celuici se produira est donc essentiel. · Insuffisance des modèles économiques classiques Les modèles économiques de l’offre de pétrole supposent en général une production en coûts « croissants », autrement dit des sources les moins coûteuses vers les plus coûteuses, l’équilibre étant atteint lorsque le coût marginal est égal au prix du marché. Cependant, il est 3
également nécessaire de prendre en compte une « disponibilité temporelle » du pétrole : la vitesse d’extraction d’un puits donné est limitée, et ce d’autant plus que le puits est ancien. Audelà d’un certain niveau, augmenter la vitesse d’extraction entraîne une augmentation drastique du coût marginal. Certains procédés dits EOR (Enhanced Oil Recovery) permettent d’augmenter la vitesse d’extraction, mais avec de forts coûts supplémentaires, voire même un risque de perdre certaines ressources récupérables du réservoir. Ces « dynamiques de coûts » n’étant pas prises en compte, en général les modèles économiques reflètent mal les contraintes de disponibilité temporelle. · Principe Nous reproduisons ici un extrait de l’article originel :
« This complete cycle has only the following essential properties: The production rate begins at zero, increases exponentially during the early period of development, and then slows down, passes through one or more principal maxima, and finally declines negative exponentially to zero. There is no necessity that the curve P as a function of t, have a single maximum or that it be symmetrical. In fact, the smaller the region, the more irregular in shape is the curve likely to be. On the other hand, for large areas such as the United States or the world, the annual production curve results from the superposition of the production from thousands of separate fields. In such cases, the irregularities of small areas tend to cancel one another and the composite curve becomes a smooth curve with only a single practical maximum. However, there is no theoretical necessity that this curve be symmetrical. Whether it is or is not will have to be determined by the data themselves. » Nous retenons ici trois idées : La production de pétrole évolue selon le schéma suivant : croissance exponentielle, un ou plusieurs maxima, décroissance exponentielle. Elle ne présente pas une forme nécessairement symétrique. Plus la région étudiée est grande, plus la courbe est « lisse ».
1.2 Description qualitative : courbe de Hubbert Modifier un champ déjà en production étant difficile, il est indispensable, pour accroître la production ou compenser la déplétion des champs, d’investir en permanence dans la découverte de nouveaux gisements. Les évolutions de la découverte de gisements et de la production de pétrole sont donc intimement liées. Nous allons alors voir que l’évolution des découvertes de gisements peut, sous certaines conditions, être décrite par une courbe de Hubbert. La découverte et la production du pétrole sont régies par deux facteurs : l’information et la déplétion. · Effet « infor mation » Tout d’abord, l’exploration pétrolière ne s’effectue pas au hasard mais selon une probabilité de succès qui dépend du niveau d’information actuel. Avec les découvertes de gisements, de plus en plus d’information est accumulée pour les recherches futures. Nous
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supposerons donc l’hypothèse suivante : l’information géologique concernant la recherche de pétrole augmente avec les découvertes cumulées. De plus, la réussite d’une recherche dépend également du progrès technique (la question n’est plus « Où le trouver ? » mais « Comment le trouver ? »). Nous supposerons que ce progrès dépend de façon endogène du succès des recherches effectuées (« learning by doing »). On pourrait également prendre en compte un progrès exogène, tout comme l’influence d’autres technologies (informatique par exemple), mais ces effets sont négligés ici. L’hypothèse retenue est donc : le progrès technique concernant la recherche de pétrole augmente avec les découvertes cumulées. En appelant « information » (I(t)) les deux notions qui précèdent (information géologique ou savoirfaire technique), nous avons : l’information concernant la recherche de pétrole augmente avec les découvertes cumulées (D(t)). Autrement dit : I (t ) µ D ( t ) D’autre part, plus on recueille d’information, plus la recherche de gisement sera fructueuse. On supposera alors que : la vitesse de découverte de gisements augmente avec la quantité d’information. ¶ D (t ) µ I ( t ) ¶t L’effet du facteur « information » s’écrit donc : ¶ D (t ) µ D ( t ) ¶t (l’information engendre et est engendrée par les découvertes)
· Effet « déplétion » Bien sûr, D(t) est limitée par la quantité de pétrole totale Q∞, indépendante de la quantité d’information recueillie. En effet, le progrès technique détermine la partie de pétrole qui peut être trouvée et exploitée pour la production économique, mais ne crée en aucun cas de nouvelles ressources (on considère ici la quantité totale de pétrole que l’on peut produire, quel que soit le coût et avec un savoirfaire technique « parfait », il s’agit d’une limite théorique). Moins il y a de pétrole dans le sol, plus il est difficile à trouver. Cela se traduit par l’hypothèse : la vitesse des découvertes décroît avec les découvertes cumulées. Autrement dit : ¶D ( t ) µ (Q ¥ - D ( t ) ) ¶t L’idée principale est que le processus de découverte du pétrole permet un gain d’information mais diminue son champ d’utilisation en laissant moins de découvertes possibles. La prise en compte des effets « information » et « déplétion » mène alors à ce qu’on appelle « l’équation de croissance logistique » (Verhulst, 1838) : ¶D ( t ) µ D(t). (Q ¥ - D ( t ) ) ¶t ¶ D Le taux de découverte solution de cette équation est la célèbre courbe en cloche de Hubbert. ¶t
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Remarquons que les effets décrits ici sont avant tout qualitatifs et très simplifiés (par exemple, il n’y a aucune justification au fait que les proportionnalités soient linéaires et pas d’une puissance supérieure). Néanmoins cette modélisation conduit à une description assez bonne des tendances observées historiquement de la découverte du pétrole (on considérera dans tout le projet la date de découverte originale du gisement, y compris pour les révisions/extensions de ses réserves) ainsi que de la production. · Validité Les EtatsUnis (48) sont le meilleur exemple car il s’agit de la région la plus avancée sur le plan de l’histoire pétrolière.
Fig. 1.1 – Découver te et pr oduction de pétr ole pour les USA (48) (d’après [Lah03]).
Le graphe cidessus (Laherrère, 2003) montre que la production annuelle est très bien modélisée par une courbe de Hubbert. Il en est de même pour les découvertes, même si les données sont plus dispersées (moyennées sur 5 ans sur le graphe). On note que la production suit la découverte avec un écart temporel de 35 ans (on observe cela dans la plupart des régions, l’écart étant de 20 à 40 ans), confirmant le fait que l’évolution de la découverte engendre les grandes tendances de la production. Le graphe cidessous montre la validité de la courbe de Hubbert dans le cas des EtatsUnis (48) et de l’exURSS.
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Fig. 1.2 – Validité de la cour be de Hubber t pour la pr oduction des USA (48) et de l’exURSS (d’apr ès [Lah97])
La production des EtatsUnis correspond à l’exploitation de 25000 champs pétroliers, soit 240000 puits environ (2002, d’après ASPO). Les écarts entre la courbe de Hubbert et la courbe de production sont dus à des facteurs politiques : dépression (1930), fin de la proration (attribution de quotas de production aux différentes compagnies, années 50) ou bien forte augmentation des prix (fin des années 70). Pour l’exURSS, la correspondance est également très bonne, sauf pour les dernières années en raison des problèmes économiques du pays. Globalement, la courbe de Hubbert est une bonne approximation de la production d’un pays lorsque celuici possède un nombre de champs pétroliers important et est une région politiquement stable, en particulier à l’emplacement des puits. Par exemple, pour les EtatsUnis, les guerres majeures (Seconde Guerre Mondiale, Vietnam) n’ont pas eu une grande influence sur la production car elles ne concernaient pas le sol américain, et donc les puits. Si on regarde un pays comme l’Iran, où les guerres et la révolution ont affecté la production, la courbe est beaucoup moins lisse :
Fig. 1.3 – Pr oduction de pétr ole de l’Iran (d’apr ès ASPO)
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La courbe de production mondiale s’obtient simplement en sommant les contributions des divers pays. Le point essentiel est que chaque pays a son propre cycle de production : certains ont déjà dépassé le pic (EtatsUnis, 1971), d’autres en semblent encore assez loin, comme le montre le diagramme cidessous, daté de 1995 :
Fig. 1.4 – Temps restant jusqu’au « peak oil » (en 1995), par pays (d’après [Cam98]).
1.3 Autre approche : les profils d’exploitation de puits La courbe de Hubbert peut être obtenue par une autre approche, qui repose sur la superposition de profils de puits individuels. De façon très simple, la production pétrolière d’un bassin n’est que la superposition des puits qui le composent. Cependant, à cause de la fréquence élevée des découvertes et de la longue exploitation des puits, la déduction du profil de production d’un bassin à partir des puits qu’il contient n’est a priori pas immédiate. Bien que le profil de production d’un puits soit assez variable, nous pouvons dégager les caractéristiques suivantes : une croissance rapide, un plateau dont la longueur varie beaucoup d’un gisement à l’autre, et un déclin graduel. De façon très simplifiée, cela peut se représenter de la façon suivante :
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Productio n d'un puits 2
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Temps
Fig. 1.5 : Pr ofil tr ès simplifié d’un puits individuel
Ainsi, la production superposée de quatre puits, identiques, découverts chaque année, présente la forme suivante : Production cumulée de quatre puits 5
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Te m ps
Fig. 1.6 : Super position de 4 puits, sous des hypothèses très simples
Cependant, les hypothèses considérées sont trop simples. En effet, d’une part les découvertes ne sont pas régulièrement réparties dans le temps, et d’autre part les puits découverts n’ont pas la même taille. Ainsi, si on considère le profil d’exploitation plus réaliste suivant :
Fig. 1.7 :Pr ofil d’un puits individuel (sour ce : www.wolfatthedoor .or g.uk)
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Alors en agrégeant les productions selon le principe fondamental en exploitation pétrolière que les plus grands champs sont trouvés en premier, on obtient, même avec assez peu de puits, une forme de courbe qui ressemble à une courbe de Hubbert :
Fig. 1.8 : Super position de la pr oduction de huit puits (sour ce : www.wolfatthedoor .or g.uk)
Ainsi, même si la courbe obtenue n’est pas une courbe de Hubbert au sens mathématique du terme, nous retenons les caractéristiques suivantes : Même avec des hypothèses très simplistes, un « pic » de production se produit, approximativement lorsque la moitié des ressources totales est consommée. Ce pic se produit quand la production des gros puits découverts en premier n’est plus compensée par la découverte de nouveaux puits plus petits. Lorsque le déclin est amorcé, les diverses décroissances s’ajoutent et la pente de la production globale est plus importante.
1.4 Commentaires En général, la modélisation de l’offre de pétrole par une courbe de Hubbert est critiquée sur deux aspects : l’influence du prix du pétrole et du progrès technique. · La courbe de Hubbert est une « limite supérieure » Parce qu’elle correspond à une limite maximale de l’offre contrainte par les découvertes, la courbe de Hubbert est une limite supérieure de la production de pétrole. Une production inférieure à cette limite est observée par exemple pour l’OPEP, dont les décisions de production sont celles d’un cartel face au reste du monde. On n’observe pas la même contrainte de disponibilité temporelle du pétrole que pour les autres pays, et la modélisation par courbe de Hubbert ne s’applique donc pas.
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Fig. 1.9 – Découver te et pr oduction de pétr ole au MoyenOrient (d’après [Lah01]).
· Influence de l’économie Si la courbe de Hubbert reflète assez bien la dynamique « d’autorégulation » des coûts de découverte, elle néglige en revanche une notion essentielle : le profit économique. En effet, aucun effort ne sera fait pour chercher et extraire du pétrole si aucun profit ne peut être tiré des ressources récupérables. Ainsi la découverte et la production globale du pétrole font apparaître des cycles de Hubbert multiples, chaque cycle dépendant d’un niveau donné de profit attendu de l’exploitation des ressources récupérables. Par exemple, dans le cas des EtatsUnis, la production en Alaska ainsi que l’exploration en eaux profondes ont des cycles distincts, la production totale étant alors la superposition de plusieurs cycles :
Fig. 1.10 – Pr oduction pétr olière des USA (d’apr ès ASPO, 2002)
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La notion de profit est bien sûr intimement liée à celle de prix, et c’est donc le prix du pétrole qui détermine la rentabilité de certaines ressources et déclenche un cycle de Hubbert pour ces nouvelles ressources.
· Influence du progrès technique De la même façon, si l’équation logistique prend en compte le progrès en exploration, elle néglige en revanche le progrès en capacité à récupérer le pétrole. On utilise de même plusieurs courbes de Hubbert, chacune correspondant à une quantité donnée de ressources récupérables. Le progrès technique a alors deux effets : d’une part il augmente la quantité de ressources récupérables (effet « quantité »), d’autre part il rend le pétrole moins cher à récupérer (effet « qualité »).
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Le pic du pétrole donneratil lieu à un choc ?
Deux points de vue s’affrontent sur la date du pic de production du pétrole. Ils correspondent à deux approches différentes, fondées sur une vision « géologique » et une vision « économique ».
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Le point de vue des « géologues »
La théorie du peak oil a été initiée par Colin J. Campbell, géologue d’exploration irlandais dans l’industrie pétrolière. En 2000, Campbell a fondé l’ASPO (Association for the Study of Peak Oil), qui regroupait à son origine des scientifiques affiliés à diverses institutions et universités européennes. Depuis, ses thèses se sont diffusées dans le monde entier, notamment aux EtatsUnis et en Australie. L’association annonce dans ses objectifs l’étude objective du déclin des ressources pétrolières mondiales, échappant ainsi aux pressions de l’industrie pétrolière et des états. Son but principal est d’alerter l’opinion publique sur les enjeux d’une telle question, qui remet en cause les fondements mêmes de la société de consommation. Malgré ses intentions d’objectivité, le principal reproche fait à l’ASPO est son attitude catastrophiste. Les arguments avancés par l’ASPO se fondent sur des critères géologiques, récusant le « tout économique » de ses adversaires. La clé du débat semble donc reposer sur l’angle sous lequel on considère le problème : selon les géologues, la disparition du pétrole est un enjeu fort pour l’avenir, tandis que ceux qui y voient un faux problème auraient une vision purement économique de la question et considèreraient que la question du peak oil se résoudra d’ellemême par les règles de l’économie de marché. Des deux côtés, on se reproche donc d’occulter la partie que l’on considère comme importante. Dans ce qui suit, nous désignerons de façon manichéenne les premiers comme les partisans du peak oil. Les seconds seront les opposants. Plus précisément, les arguments de l’ASPO sont de plusieurs ordres : ils s’appuient d’une part sur l’étude des données chiffrées concernant les réserves. D’autre part, ils dénoncent l’opacité des organismes impliqués dans l’exploitation pétrolière (états producteurs et notamment l’OPEP, industries pétrolières) et les pressions auxquelles ils cèdent.
2.1.1 Une querelle de chiffre · Limite physique à l’extraction de pétrole Formé majoritairement il y a 150 et 100 millions d’année par la sédimentation d’algues qui proliféraient à la suite d’un réchauffement climatique, le pétrole est donc par définition une ressource naturelle finie, dont on cherche à déterminer la quantité totale. La méthode suivie par Campbell et ses partisans consiste à déterminer la dotation totale en pétrole de façon statistique, en additionnant production cumulée, réserves découvertes et pétrole à découvrir. La production cumulée est connue sans ambiguïté ; les réserves sont déterminées par Campbell à partir de la base de donnée « Petroconsultants/IHS Energy » de Genève. L’ASPO se fonde sur les données révélées par les compagnies pétrolières et les états et réunies par « Petroconsultant », qu’elle corrige par des coefficients propres à la situation de
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chaque pays. Par exemple, elle considère les réserves prouvées de la Russie surestimées de 30%. Les régions qui soulèvent les interrogations les plus fortes sont la Russie et le Moyen Orient. Quant au pétrole à découvrir, Campbell l’évalue par des méthodes statistiques. Pour une nappe, on mesure la quantité de pétrole qu’elle enferme grâce à l’information disponible sur la région et aux sondages géologiques effectués sur place. L’ASPO en vient ainsi à conclure que la dotation mondiale de pétrole serait de 2000Gb, et que le pic mondial serait atteint entre 2005 et 2010 : en effet, ce pic est atteint lorsque la moitié de la dotation mondiale de pétrole a été exploitée. A titre de comparaison, l’USGS (US Geological Survey, agence fédérale américaine) avance le chiffre de 3000 Gb. Toutes deux ont révisé à la hausse leurs prévisions (de 1750 à 2000Gb pour l’ASPO, qui prévoyait le pic en 1999, de 2250 à 3000Gb pour l’USGS entre 1999 et 2005). Une telle différence est évidemment fondamentale pour trancher le débat, car c’est elle qui permet de dater le déclin et donc de savoir si nos sociétés ont encore le temps de s’y préparer.
ASPO 1999 1750 Gb 2005 2000 Gb
USGS 2250 Gb 3000 Gb
Tab. 2.1 – Pr évision de la dotation mondiale en pétr ole. Sour ce : ASPO et USGS.
Pourtant, d’autres éléments sont à prendre en compte ; le débat revient finalement, plus qu’à dater le déclin de la production, à en connaître l’intensité : nos sociétés pourront elles résister au choc qu’il implique ? Le problème consiste à savoir s’il existe une contrainte à l’exploitation du pétrole assez forte et ayant des effets assez rapides pour introduire un choc imprévu dans la production de pétrole, choc qui ne pourrait être absorbé en douceur par nos sociétés. · Extraction de pétrole non conventionnel et amélioration de la récupération Les adversaires du peak oil mettent en avant les nouvelles techniques de récupération du pétrole (injection d’eau sous pression ou de vapeur dans la nappe pour récupérer plus de pétrole), et l’exploitation de pétrole non conventionnel pour lisser l’impact du peak oil. En effet, elles permettent de récupérer du pétrole qui n’aurait pu être extrait autrement. Elle permet donc d’augmenter la dotation totale en pétrole, et retarde le pic. A cet argument, les partisans du peak oil répondent sur deux plans. Géologiquement, ils se montrent sceptiques sur l’efficacité réelle de ces techniques. Werner Zittel et Jörg Schindler (2002) chiffrent leur impact : ils considèrent qu’elles ne permettront qu’une augmentation de 6Mb/j de capacité. Pourtant, dans un scénario où la demande croit de 1,5% par an, la production devrait augmenter de 21Mb/j pour satisfaire la demande. Quant aux « nouvelles » méthodes d’amélioration de la récupération, elles sont mises en œuvre depuis 20 ans. Elles permettent d’accroître la production, et donc en diminuant les réserves, elles ne font qu’amplifier le déclin futur. Si elles retardent légèrement le pic, elles ne permettent en rien d’en atténuer l’impact. Au contraire, elles impliquent que le taux de décroissance de la production sera plus élevé : la pente de la courbe de Hubbert décroissante sera plus élevée en valeur absolue. Enfin, le pétrole non conventionnel ne devrait pas permettre d’augmenter significativement la production et nécessite des investissements très lourds (détournement d’un fleuve au canada par exemple) qui introduisent de longs délais dans la production. A cet argument, les adversaires du peak oil répondent que la hausse du prix du pétrole permettra des investissements plus conséquents pour l’exploitation de ce pétrole. De plus, l’exploitation du
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pétrole non conventionnel est très polluante alors que l’air du temps est à la lutte contre la pollution et au principe de précaution. Des auteurs propeak oil, comme R.W. Bentley, se montrent plus circonspects sur l’impact des nouvelles technologies pour améliorer l’extraction du pétrole : leur argumentaire est plus réaliste que celui de l’ASPO, qui nie l’impact de la technologie en considérant qu’il est déjà trop tard. Bentley considère que, même dans un scénario très optimiste, le pic ne sera retardé que de quelques années (5 ans environ). · Accroissement ou non des réserves ? On a vu que l’ASPO raisonne à partir de la dotation mondiale en pétrole, et prend comme définition des réserves l’ensemble « probable and proved » reserves. Cette définition permet d’obtenir une valeur intemporelle des réserves, non sujette aux fluctuation de la technique ou de l’économie. L’ASPO s’offusque des manipulations faites sur les données des réserves, fréquemment revues à la hausse. Dans son cadre de pensée, de telles révisions sont impossibles car tout ce qui existe est pris en compte, qu’il soit exploitable ou non à la date t. Ses détracteurs n’ont pas la même notion des réserves : ils se réfèrent plus volontiers à une définition économique et probabiliste des réserves, qui sont alors la quantité de pétrole qu’on peut extraire avec 90 à 95% de chance. Les partisans du peak oil dénoncent deux « mensonges » au sujet des réserves publiées par leurs opposants. Afin d’augmenter leurs réserves, les compagnies pétrolières n’hésitent pas à réévaluer leurs réserves prouvées : ils transfèrent des réserves probables vers des réserves prouvées, ce qui améliore leur situation face aux marchés financiers. On peut ainsi observer que les réserves d’un puits augmentent alors que sa production diminue, comme au Royaume Uni, à Forties. Cependant, le point qui fait débat est la fréquence des découvertes. Souvent, la confusion est faite entre la date de découverte d’un champ et la date de réévaluation des réserves. Une telle confusion permet de cacher la baisse du nombre de découvertes de puits : en réévaluant les réserves, on fait croire au renouvellement des réserves de pétrole. Les partisans du peak oil parlent ainsi d’un nombre limite de découvertes et insistent sur le fait que les compagnies pétrolières investissent de plus en plus dans la prospection (entre 100 et 120 milliards de dollars), pour un retour sur investissement de plus en plus faible. Pourtant, ces investissements ne sont pas suffisants aux yeux du ministère des finances français, qui estime à 250 milliards les investissements nécessaires pour équilibrer production et découverte de réserves. Surtout, les découvertes concernent des gisements plus petits et plus difficiles à exploiter : offshore ou profonds, comme le montre la figure 2 (données : IHS Energy). Une telle évolution est normale car, statistiquement, on a plus de chance de découvrir en premier les nappes les plus faciles à découvrir : peu profondes et étendues.
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Fig. 2.2 – Evolution des découver tes de pétr ole. Sour ce : IHS Ener gy.
Fig. 2.3 – Emplacement des découver tes. Sour ce : IHS Ener gy.
· Des scénarios aux hypothèses discutables Forts des conclusions présentées cidessus, les partisans du peak oil se livrent à des exercices de projection dont les hypothèses sont discutables. Les conclusions de ces scénarios tablent sur un déclin imminent (entre 2005 et 2010, si ce n’est 2002 !). Ces scénarios divisent les pays producteurs en trois catégories : les pays après le pic : par exemple, les EtatsUnis. L’hypothèse est faite sur le taux de déclin de la production. les pays au pic : par exemple, l’Arabie Saoudite. Deux hypothèses sont faites : la date du déclin, et le taux de déclin. les pays avant le pic : par exemple l’Iraq. Trois hypothèses sont faites : la date de début du pic, la date du déclin, et le taux de déclin.
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D’une part, la pente de déclin (pourcentage dont décroît la production chaque année) est incertaine : elle varie de 2,5% (Werner Zittel et Jörg Schindler [2002]) à 10% ou même 20% selon les travaux. Son évaluation se base sur les données historiques de pays qui ont dépassé leur pic, alors même que ces données ne sont pas nécessairement transposables. Surtout, on a vu que la dotation totale en pétrole n’était pas connue avec certitude, et donc la date du pic non plus. L’ASPO ne s’intéresse généralement pas à la partie demande de ces scénarios : elle se contente de prédire que la production va chuter brusquement, sans étudier la demande de pétrole. Elle part en effet du constat que nos sociétés, pour fonctionner, ont une demande de pétrole peu élastique au prix. Tant qu’il n’existe pas de substitut valable au pétrole, l’élasticité de la demande est pratiquement nulle : il faut donc effectivement que la production s’ajuste à la demande. En revanche, si les énergies renouvelables et les économies d’énergie permettent de se passer du pétrole, la courbe de Hubbert, limite supérieure à la production, ne sera pas contraignante : on pourra produire sous cette courbe, il n’y aura pas de choc.
2.1.2 Une querelle méthodologique · Indépendance de l’infor mation L’ASPO se revendique comme la seule source d’informations indépendante et dégagée de tout conflit d’intérêt, à l’inverse des autres acteurs. Elle accuse les industries pétrolières de présenter une situation optimiste pour satisfaire leurs actionnaires : l’accroissement artificiel de leurs réserves par exemple laisse espérer des profits futurs. Une telle pratique a fait scandale en 2004, lorsque l’anglais Shell a revu ses réserves en les diminuant d’un tiers. Pour certains, l’argument que ces compagnies cachent à dessein leur mauvaise situation semble contradictoire avec les profits records enregistrés ces trois dernières années : 6,3 milliards d’euros au premier semestre 2005 pour Total, 10,5 milliards de dollars pour la britannique BP et même 15,5 milliards de dollars pour l’américaine ExxonMobil. Dopés par l’envolée des prix du pétrole, les profits des grandes compagnies pétrolières ont augmenté en moyenne de 30 % sur les six premiers mois de l’année 2005.En réalité, leur situation est enviable à court terme. Pourtant, à plus long terme, ces compagnies rencontrent pourtant des difficultés pour renouveler leurs réserves et signent des contrats de partage avec les compagnies nationales qui les contraignent, en cas d’envolée des cours, à limiter leur production (le contrat de partage est souvent fait en valeur et non en volume). Les organismes étatiques ne prennent pas la mesure du problème par facilité intellectuelle et sous la pression des enjeux financiers. Les états producteurs renforcent l’opacité des données en manipulant avec légèreté leurs réserves. Un exemple dont les défenseurs du peak oil sont très friands est la révision des réserves des pays de l’OPEP dans les années 80. On a ainsi vu les réserves d’Abu Dhabi multipliées par 3 en un an :
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Fig. 2.4 – Manipulation sur les r éser ves. Sour ce : Oil and Gas jour nal.
De telles pratiques s’expliquent par le fait que les quotas de production autorisés au sein de l’OPEP dépendent des réserves. Les pays font passer des réserves probables au rang de réserves prouvées pour augmenter leurs réserves. De même, les réserves pétrolières peuvent être prises comme collatéral pour un prêt, ce qui peut pousser un pays à gonfler ses réserves. Les EtatsUnis ont par exemple consenti un prêt au Mexique adossé sur les revenus pétroliers, après la chute du Peso en décembre 94.
· Manipulation des données Souvent utilisés par les opposants au peak oil, le ratio Réserves découvertes/Production annuelle, noté R/P est l’une des bêtes noires des défenseurs du peak oil. Ce ratio est utilisé pour calculer de façon très grossière le temps qui nous sépare de la pénurie de pétrole en divisant les réserves disponibles par la consommation actuelle. L’argument de ses utilisateurs est que ce ratio permet de dire quand la dernière goutte de pétrole sera extraite. Or, ce qui importe dans le peak oil, c’est le déclin de la production : c’est là que les sociétés vont subir un choc. Le ratio R/P ne nous apprend rien sur cette date et induit une confusion dangereuse entre la fin de la production et le début du déclin. · Equilibre de marché contre pénurie future Si tous les acteurs reconnaissent que nous serons un jour confrontés à la disparition du pétrole, les points de vue divergent fondamentalement. L’ASPO tient un discours alarmiste, qui prédit un choc violent que notre économie de marché ne pourra absorber seule. Elle fonde ses arguments sur une connaissance précise de l’industrie pétrolière. Pourtant, on a vu que les grandes compagnies pétrolières ne représentaient que 15% de la production de pétrole : les compagnies nationales (comme Aramco en Arabie Saoudite ou la Sonatrach en Algérie) en fournissent 70%. La connaissance de l’industrie pétrolière « occidentale » permet elle alors d’avoir une vue de la situation mondiale ?
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L’ASPO pointe aussi l’opacité qui caractérise toute recherche sur le sujet. Les données sont systématiquement surévaluées (comme celles de l’IHS société qui commercialise notamment une base de données sur la production et les réserves de pétrole, qu’il faut diminuer de 50% selon Campbell), ou mal reportées. Enfin, l’ASPO considère que compte tenu de l’imminence du déclin de la production de pétrole, les solutions alternatives ne permettront pas d’en lisser l’impact. Elle doute de l’effet des prix sur la demande, ce qui revient à considérer la demande de pétrole comme quasiment incompressible.
2.2
Le point de vue des « économistes »
Les « économistes » ont une vision beaucoup plus optimiste que les « géologues ». Ils font confiance aux lois du marché pour réguler la production et la demande de pétrole. 2.2.1
Réévaluations permanentes des réserves prouvées
Les estimations des réserves sont difficiles. Elles dépendent des définitions, des méthodes d’estimation et des techniques opérationnelles choisies. Chaque compagnie estime ses réserves prouvées, probables et possibles selon ses propres standards. Il n’existe donc pas de données communes à tous et il est difficile d’avoir une image cohérente des réserves globales. Cependant les données sources les plus reconnues s’accordent pour estimer à plus de 1000 milliards de barils les réserves prouvées aujourd’hui.
Fig. 2.5 – Réser ves de pétr ole br ut et GNL, fin 2003. Sour ce : World Energy Outlook 2004.
Les réserves ont constamment été l’objet de réappréciation à la hausse, au fur et à mesure des progrès des connaissances géologiques (avec la méthode sismique 4D pour mieux voir les nappes), des techniques d’extraction en offshore profond (Golfe du Mexique, Mer du Nord…) et de la hausse du taux de récupération (grâce au forage horizontal et à la récupération assistée par injection d’eau ou de vapeur). Cela se verra particulièrement chez les compagnies publiques de l’OPEP et dans les anciennes républiques soviétiques qui ont déjà augmenté leurs réserves prouvées de 40% par rapport à celles de 1995. 19
Le taux de récupération actuel de l’huile en place est d’environ 30% actuellement. Près des deux tiers du brut découvert restent donc dans le soussol. On appelle « réserves prouvées », celles qui ont une probabilité supérieure ou égale à 90% d’être récupérées (P90). On appelle « réserves probables », celles qui ont une probabilité supérieure ou égale à 50% d’être récupérées (P50). En pratique, les volumes réels extraits des gisements sont, à terme, proches des réserves probables. Ainsi, 1200 milliards de barils ont été ajoutés aux réserves prouvées entre 1971 et 2000 (alors que seulement 682 milliards de barils ont été consommés sur la même période). Campbell estime que l’augmentation des réserves initiales (nouvelles découvertes et réappréciation des réserves des champs déjà découverts) devrait figurer à la date de découverte du champ concerné, et non à la date de la réévaluation. Mais selon les « économistes », ceci empêche de prévoir correctement la production. Les champs « anciens » apparaissent en effet bien plus profitables que les champs « récents ». Ainsi, les champs découverts en 1960 prévoyaient tout d’abord des réserves prouvées de 200 milliards de barils. Ces champs ont ensuite vu leurs réserves augmentées à 300 milliards de barils en 1970, puis à 430 milliards de barils en 1995.
Fig. 2.6 – Pr oduction mondiale de pétr ole, par catégor ie. Sour ce : World Energy Outlook 2004.
Campbell conclue de sa méthode de calcul des réserves, que les champs récents sont moins profitables et que l’on approche donc du pic pétrolier. Pourtant, les réestimations permanentes laissent à croire que c’est surtout la hausse des prix liées à l’exploitation qui limitera la demande et donc la production, et amènera un pic prématuré, et non la disparition des réserves. Cependant, même dans le cas non réaliste où on ne ferait plus aucune découverte, et où la demande de pétrole augmenterait de 1,5% par an, le pic de pétrole conventionnel n’apparaîtrait, selon les « économistes », que vers 2025. Cette différence par rapport à l’ASPO est due à des hypothèses différentes sur les réserves. 20
2.2.2 L’augmentation du prix du baril augmenterait les réserves économiquement rentables En parallèle, on pourra également développer la production des pétroles non conventionnels. Ainsi, le Canada exploite déjà ses sables asphaltiques, et le Venezuela ses bruts extra lourds. L’augmentation des technologies et des connaissances en la matière a déjà permis une baisse des coûts de production des pétroles non conventionnels de 50% depuis le début de leur exploitation. Ainsi, par exemple, les huiles extra lourdes du Venezuela étaient exploitables, jusqu’aux années 1990, pour un prix élevé du baril de brut de plus de 30 $. Aujourd’hui, elles sont exploitables à partir d’un prix du brut de l’ordre de 15 $ par baril. On peut ainsi exploiter de façon de plus en plus rentable l’offshore profond, les huiles extra lourdes, les sables asphaltiques, les schistes bitumeux, fabriquer du carburant liquide à partir de gaz naturel, et même faire appel à la liquéfaction du charbon. En schématisant, il n’y a donc plus de limitation des ressources en hydrocarbures, mais seulement nécessité de faire appel à des techniques de plus en plus complexes au fur et à mesure de l’épuisement des gisements à faibles coûts. Avec un prix du baril à 25$ le baril, on peut ainsi déjà récupérer 600 milliards de barils de pétroles « non conventionnels ». On peut également prévoir environ 1000 milliards de barils d’huiles non conventionnelles à découvrir. Les réserves « augmentent » ainsi avec les prix du baril. Ce dernier peut en effet rendre économiquement rentables des ressources déjà connues mais trop chères à produire. Avec un prix du baril inférieur à 20$, on peut donc exploiter environ 2000 milliards de barils de pétrole conventionnel. Avec un prix à 25$, on peut ajouter à cela environ 200 milliards de barils de pétroles lourds, dont l’exploitation devient rentable. Avec un prix autour de 30$, on augmente encore le taux de récupération du pétrole conventionnel, on exploite la plupart des bruts non conventionnels, et la production du carburant par conversion chimique du gaz naturel (Gas to Liquids) devient rentable. Au dessus de 3540$, on pourra également avoir recours à la liquéfaction du charbon et à l’exploitation des schistes bitumeux.
Tab. 2.7 – Pr oduction pétr olièr e (Mb/j) dans un scénar io de r éfér ence et un scénar io de pr ix élevé. Sour ce: World Energy Outlook 2004.
21
L’élasticité des dépenses d’exploration et de production par rapport au prix du pétrole brut est d’environ 0,5 depuis 15 ans. Une augmentation de 10% du prix a engendré une hausse de 5% des dépenses d’exploration et de production, favorisant les nouvelles découvertes. Ainsi, les organismes de calcul des ressources estiment entre 2500 et 3500 milliards de barils les ressources ultimement exploitables.
3.2.3 L’augmentation du prix modèrer ait la demande Il faut également prendre en compte le rôle central de l’économie et de la politique dans l’équilibre des marchés du pétrole. La compétition croissante du gaz naturel va amoindrir au fur et à mesure l’augmentation de la demande de pétrole. Dans un marché compétitif avec de nombreux acteurs, tout ce qui est demandé est produit, du moment que le prix soit suffisamment élevé pour que cela soit profitable. Or la demande en pétrole est élastique au prix. C’est ainsi que le marché a répondu sur les 30 dernières années malgré le pessimisme sur le futur du pétrole au début des années 70. Ainsi, après le choc pétrolier de 1979, la demande chuta jusqu’à atteindre en 1983, 85% de la demande de 1979, et il fallu attendre 1992 pour retrouver le niveau de 1979. Depuis 1979, la demande de pétrole a progressé lentement (0,5% par an). Le prix du pétrole est aujourd’hui très élevé, et risque de le rester en raison du sous investissement qu’il y a eu ces dernières années dans l’investissement en infrastructures, la croissance économique asiatique, la rareté des ressources, etc. Ce prix élevé engendrerait une baisse de l’augmentation de la demande. L’AIE estime ainsi une baisse de 15% de la demande par rapport au scénario d’augmentation linéaire de la demande.
Fig. 2.8 – Demande mondiale de pétr ole, dans un scénar io de r éfér ence et un scénar io de pr ix élevé. Sour ce: World Energy Outlook 2004.
22
Ainsi, l’augmentation des prix, due à l’augmentation de la rareté du pétrole, conduirait à la baisse de la demande, et pourrait retarder le pic du pétrole conventionnel de 2025 à 2040.
Conclusion des « économistes » : La production de pétrole conventionnel aux conditions économiques présentes commencera à diminuer entre 2025 et 2040. Le pétrole nonconventionnel (devenant de plus en plus abordable) permettrait a priori de durer jusqu’en 2100. Cependant, l’augmentation de la production de pétrole cesserait vers 2060. Mais il est probable que la demande diminuera avant la production, à cause de la compétition du gaz naturel et des energies renouvelables. Ce délai pourrait être utilisé pour repousser encore l’échéance, et mettre au point des solutions alternatives (carburants à partir de gaz, charbon ou biomasse).
2.3
Commentaires sur le débat
Les divergences entre économistes et géologues peuvent être résumées par ces deux citations : L’économiste Peter Odell affirme qu’au lieu de considérer les réserves comme un stock déjà accumulé, il est possible d’évaluer des hydrocarbures comme des ressources renouvelables, dans le sens où le développement technique s’ajustera à la demande et permettra d’y répondre. Le géologue Colin J. Campbell répond à cela : « beaucoup affirment que la technologie augmentera le taux d’extraction du pétrole d’un réservoir, et ne voient pas que ce sont les propriétés physiques même du pétrole et du réservoir qui contrôlent principalement la part de pétrole que l’on ne peut extraire de la roche. »
23
3
Modélisation : vers un choc ?
L’objectif de cette dernière partie est d’évaluer l’importance des incertitudes liées à certaines hypothèses clefs (croissance de la demande, réserves, démarrage de la production des pétrols non conventionnels) sur les principaux indicateurs évoqués dans les parties précédentes (date du pic, présence d’un choc pour l’économie). A cet effet, nous présentons un modèle très simple reposant sur la courbe de Hubbert.
3.1 Présentation du modèle. Scénario de référence. Dans toute cette partie, l’unité utilisée est la giga tonne de pétrole.
Modélisation de la demande Jusqu’en 2004, la demande de pétrole est connue. Nous avons utilisé les données de consommation mondiale issues du « BP Statistical Review of World Energy », publié en 2004. A partir de 2005, nous avons modélisé une demande de type exponentielle, au taux de croissance a : C (t ) = C ( 2004 ). exp (a .( t - 2004 ) ) Dans le scénario de référence, nous avons adapté une demande utilisée par un des spécialistes du peak oil, Douglas Reynolds, qui correspond au taux : a = 2. 43 %
Catégories de coût d’exploitation Les données utilisées sont issues d’un rapport émanant du World Energy Council, qui donna en 1998 la répartition des réserves ultimes récupérables en fonction du coût d’exploitation. Toutes les catégories de pétrole sont considérées (réserves de pétrole brut, pétrole brut récupérable par EOR, réserves encore à découvrir, sables bitumineux, huiles lourdes, pétrole issu de l’exploitation en eaux profondes), et pour chaque prix de baril, une quantité de ressources ultimes récupérables pour le monde est donnée. La quantité maximale déterminée, pour un coût quelconque, est de 879 Gt. Nous avons découpé les prix en tranches de 10$, les ressources ultimes récupérables correspondantes sont : Prix du Baril Ressources Ultimes (Gt)
010 $
020 $
030 $
040 $
050 $
283.9
411.8
553.7
692.7
797.6
Principe La démarche est la suivante. La production de pétrole suit la demande ; lorsque la moitié des ressources ultimes récupérables d’une certaine catégorie a été consommée, alors la
24
production de celleci entame une décroissance selon un cycle de Hubbert. Et dans le même temps, la catégorie de la tranche « supérieure » est mise en exploitation. Nous noterons Q ¥ ,k la quantité de ressources ultimes récupérables de la catégorie k (la catégorie 1 correspond à un prix de baril compris entre 0 et 10$), et bk la pente de la courbe de Hubbert correspondante, de sorte que la production hk(t) s’exprime par :
hk ( t ) =
Q ¥ , k b k exp (- b k ( t - t 0 , k ) ) (1 + exp (- b k ( t - t 0 , k ) )) 2
t0,k étant l’année du pic de ce cycle de production. Les valeurs des ressources Q¥ ,k sont connues (cf. cidessus). Les dates de pic sont déterminées selon la méthode expliquée au début du paragraphe, autrement dit quand la production cumulée a atteint la moitié de la ressource ultime : t 0 , k
ò C ( u ) du =
Q ¥ , k
2 Enfin, la pente de la courbe est telle qu’au moment du pic, la demande est satisfaite par l’offre : C ( t 0 , k ) = h k ( t 0 , k ) soit 4. C ( t 0 , k ) bk = Q ¥ , k 1900
Scénario de référence Il correspond à une demande exponentielle avec un taux de croissance de 2.43%. Nous avons rassemblé les dates de pic et les pentes des courbes de Hubbert correspondantes dans le tableau suivant : Catégorie de Coût Date du Pic Pente de la courbe
010 $
020 $
030 $
040 $
050 $
2003
2016
2027
2036
2041
0.0558
0.0537
0.0518
0.0513
0.0502
Indicateur de choc Par ailleurs nous avons calculé, pour chaque test, un « indicateur de choc », qui illustre l’importance de l’écart entre une demande extrapolée tendanciellement, qui continue de croître, et la production effective totale, qui décroît sous l’effet de la déplétion. Cet indicateur de choc est défini, pour la dernière catégorie de coût k, par la différence entre la demande et la production, 5 ans après le pic: d k = C ( t 0 , k + 5 ) - h k ( t 0 , k + 5 ) Cet indicateur est pertinent dans la mesure où il permet d’avoir une idée, pour chaque scénario étudié, du choc économique peut résulter du passage du pic.
25
On trouve alors, pour le scénario de référence : Catégorie de Coût Date du Pic
010 $
020 $
030 $
040 $
050 $
2003
2016
2027
2036
2041
Indicateur de Choc
1.46
Représentation graphique Enfin, pour une meilleure visualisation des résultats, on représente la consommation pétrolière mondiale et les différentes courbes de Hubbert. Le graphe obtenu montre alors de façon claire la répartition de la production selon les diverses catégories de coût d’exploitation.
Rép artition par coû t, scén ario de référ ence 14 12 10 Demande 010$
8
Gt
020$ 030$
6
040$ 050$
4 2 0 1900 1920 1940 1960 1980
2000 2020 2040 2060 2080 2100
Fig. 3.1 – Répar tition de la pr oduction pétr olièr e mondiale par tr anches de coût d’exploitation, scénar io de demande de r éfér ence
26
3.2 Tests de sensibilité Influence du taux de croissance de la demande sur les dates de pics et les indicateurs de choc. Nous allons maintenant étudier l’influence du taux de croissance de la demande sur les dates des pics et les indicateurs de choc. Nous allons reprendre la méthode précédente en choisissant des taux de croissance de la demande a de 1,5%, 2% et 3%. Nous obtenons ainsi les graphiques suivants :
Répartition par prix, croissance=1,5% 10 9 8 7
Demande 010$
Gt
6
020$
5
030$
4
040$ 050$
3 2 1 0 1900
1920
1940
1960
1980
2000
2020
2040
2060
2080
2100
Fig. 3.2 – Répar tition de la pr oduction pétr olièr e mondiale par tr anches de coût d’exploitation, cr oissance de la demande 1.5%
27
Répartition par prix, croissance=2% 12
10
Demande
8
Gt
010$ 020$
6
030$ 040$
4
050$
2
0 1900
1920
1940
1960
1980
2000
2020
2040
2060
2080
2100
Fig. 3.3 – Répar tition de la pr oduction pétr olièr e mondiale par tr anches de coût d’exploitation, cr oissance de la demande 2%
Répartition par prix, croissance=3% 18 16 14 12
Demande
Gt
010$ 10
020$ 030$
8
040$ 050$
6 4 2 0 1900
1920
1940
1960
1980
2000
2020
2040
2060
2080
2100
Fig. 3.4 – Répar tition de la pr oduction pétr olièr e mondiale par tr anches de coût d’exploitation, cr oissance de la demande 3%
28
Et nous obtenons les données suivantes : Taux=1,5%
050$
Date du pic
2047
Indic de choc
0,68
Réf=2,43%
050$
Date du pic
2041
Indic de choc
1,46
Taux=2%
050$
Date du pic
2044
Indic de choc
1,07
Taux=3%
050$
Date du pic
2039
Indic de choc
2,14
On remarque donc que plus le taux de croissance de la demande est faible, plus les pics sont retardés. Ils oscillent cependant entre 2039 et 2047, et ont donc une variation de faible amplitude. Faisons à présent l’hypothèse que : si δ