Le Peak Oil

est donc : le progrès technique concernant la recherche de pétrole augmente ... coût et avec un savoirfaire technique « parfait », il s'agit d'une limite théorique).
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Nicolas Beauchet  Anne­Laure Piganeau  Alessandra Roani  Maud Thuaudet 

Le Peak Oil



Sommaire  Introduction  1 

Modélisation du cycle de production du pétrole : Courbe de Hubbert 

1.1  1.2  1.3  1.4 

Modéliser l’offre de pétrole  Description qualitative : courbe de Hubbert  Autre approche : les profils d’exploitation de puits  Commentaires 



Le pic de pétrole donnera­t­il lieu à un choc ? 

2.1  2.2  2.3 

Le point de vue des « géologues »  Le point de vue des « économistes »  Commentaires sur le débat 



Modélisation : vers un choc ? 

3.1  3.2  3.3 

Présentation du modèle. Scénario de référence.  Tests de sensibilité  Retard à l’exploitation 

Conclusion  Bibliographie  Annexe 1 : Formation du pétrole  Annexe 2 : Définitions  Annexe 3 : Détermination du pic



Introduction  La mondialisation et l’accélération des déplacements engendrent une demande en pétrole  qui ne cesse de croître. Le pétrole n’est cependant pas une ressource inépuisable. Comment sera  la  fin  du  pétrole ?  Existe  t’il  une  contrainte  à  l’exploitation  du  pétrole  de  type  Peak  oil ?  L’épuisement des ressources sera­t­il « lissé » par la hausse progressive des prix ou bien donnera  t’il lieu à un choc ? La demande aura­t­elle le temps de s’adapter progressivement à l’épuisement  des  ressources ou  bien  le  pic  sera­t­il  une  « surprise »,  non  anticipée,  engendrant  une  hausse  brutale et inattendue des prix?  Nous étudierons tout d’abord le cycle de production du pétrole et la modélisation du Peak  oil. Nous nous interrogerons ensuite sur la présence éventuelle d’un choc sur les prix dû au Peak  oil,  en  comparant  le  point  de  vue  des  « géologues »  et  celui  des  « économistes ».  Enfin,  nous  modéliserons  la  répartition  de  la  production  pétrolière  mondiale  par  tranches  de  coût  d’exploitation,  et  nous  étudierons  l’influence  de  la  demande,  des  réserves  et  d’un  retard  à  l’exploitation, sur la date du pic et la présence d’un choc éventuel. 

1 Modélisation du cycle de production du pétrole : Courbe de  Hubbert  1.1  Modéliser l’offre de pétrole ·  Introduction  King  Hubbert  est  un  géophysicien  célèbre  pour    ses  estimations  des  ressources  énergétiques ainsi que pour ses prédictions de l’évolution de la découverte et de l’épuisement du  pétrole.  Dans  un  article  désormais  célèbre,  « Nuclear  Energy  and  the  Fossil  Fuels »,  paru  en  1956,  Hubbert  annonçait  que  la  production  des  Etats­Unis  « 48 »  (hors  Alaska  et  Hawaï)  déclinerait  à  partir  de  1970,  ce  qui  se  produisit.  L’impact  de  sa  découverte  fut  considérable :  aujourd’hui, même si les modèles sont de plus en plus complexes, la courbe de Hubbert est une  référence pour la description de tout cycle de production d’une ressource épuisable. Par ailleurs,  la présence d’un pic de production mondiale de pétrole (suivi d’une décroissance inéluctable) est  une  donnée  fondamentale  pour  l’élaboration  de  scénarios  de  notre  futur  énergétique.  Savoir  quand celui­ci se produira est donc essentiel. ·  Insuffisance des modèles économiques classiques  Les  modèles  économiques  de  l’offre  de  pétrole  supposent  en  général  une  production  en  coûts  « croissants »,  autrement  dit  des  sources  les  moins  coûteuses  vers  les  plus  coûteuses,  l’équilibre  étant  atteint  lorsque  le  coût  marginal  est  égal  au  prix  du  marché.  Cependant,  il  est 3 

également nécessaire de prendre en compte une « disponibilité temporelle » du pétrole : la vitesse  d’extraction d’un puits donné est limitée, et ce d’autant plus que le puits est ancien. Au­delà d’un  certain  niveau,  augmenter  la  vitesse  d’extraction  entraîne  une  augmentation  drastique  du  coût  marginal.  Certains  procédés  dits  EOR  (Enhanced  Oil  Recovery)  permettent  d’augmenter  la  vitesse  d’extraction,  mais  avec  de  forts  coûts  supplémentaires,  voire  même  un  risque  de  perdre  certaines ressources récupérables du réservoir. Ces « dynamiques de coûts » n’étant pas prises en  compte,  en  général  les  modèles  économiques  reflètent  mal  les  contraintes  de  disponibilité  temporelle. ·  Principe  Nous reproduisons ici un extrait de l’article originel : 

« This complete cycle has only the following essential properties: The production rate begins at  zero,  increases  exponentially  during  the  early  period  of  development,  and  then  slows  down,  passes  through  one  or  more  principal  maxima,  and  finally  declines  negative  exponentially  to  zero. There is no necessity that the curve P as a function of t, have a single maximum or that it be  symmetrical. In fact, the smaller the region, the more irregular in shape is the curve likely to be.  On the other hand, for large areas such as the United States or the world, the annual production  curve results from the superposition of the production from thousands of separate fields. In such  cases,  the  irregularities  of  small  areas  tend  to  cancel  one  another  and  the  composite  curve  becomes a smooth curve with only a single practical maximum. However, there is no theoretical  necessity that this curve be symmetrical. Whether it is or is not will have to be determined by the  data themselves. »  Nous retenons ici trois idées :  ­  La production de pétrole évolue selon le schéma suivant : croissance exponentielle, un ou  plusieurs maxima, décroissance exponentielle.  ­  Elle ne présente pas une forme nécessairement symétrique.  ­  Plus la région étudiée est grande, plus la courbe est « lisse ». 

1.2  Description qualitative : courbe de Hubbert  Modifier un champ déjà en production étant difficile, il est indispensable, pour accroître la  production ou compenser la déplétion des champs, d’investir en permanence dans la découverte  de  nouveaux  gisements.  Les  évolutions  de  la  découverte  de  gisements  et  de  la  production  de  pétrole  sont  donc  intimement  liées.  Nous  allons  alors  voir  que  l’évolution  des  découvertes  de  gisements peut, sous certaines conditions, être décrite par une courbe de Hubbert.  La  découverte  et  la  production  du  pétrole  sont  régies  par  deux  facteurs :  l’information  et  la  déplétion. ·  Effet « infor mation »  Tout  d’abord,  l’exploration  pétrolière  ne  s’effectue  pas  au  hasard  mais  selon  une  probabilité  de  succès  qui  dépend  du  niveau  d’information  actuel.  Avec  les  découvertes  de  gisements,  de  plus  en  plus  d’information  est  accumulée  pour  les  recherches  futures.  Nous



supposerons  donc  l’hypothèse  suivante :  l’information  géologique  concernant  la  recherche  de  pétrole augmente avec les découvertes cumulées.  De plus, la réussite d’une recherche dépend également du progrès technique (la question  n’est plus « Où le trouver ? » mais « Comment le trouver ? »). Nous supposerons que ce progrès  dépend  de  façon  endogène  du  succès  des  recherches  effectuées  (« learning  by  doing »).  On  pourrait  également  prendre  en  compte  un  progrès  exogène,  tout  comme  l’influence  d’autres  technologies (informatique par  exemple),  mais ces effets  sont négligés  ici. L’hypothèse retenue  est donc : le progrès technique concernant la recherche de pétrole augmente avec les découvertes  cumulées. En appelant « information » (I(t)) les deux notions qui précèdent (information géologique  ou  savoir­faire  technique),  nous  avons :  l’information  concernant  la  recherche  de  pétrole  augmente avec les découvertes cumulées (D(t)). Autrement dit :  I (t   )  µ  D ( t )  D’autre  part,  plus  on  recueille  d’information,  plus  la  recherche  de  gisement  sera  fructueuse.  On  supposera  alors  que :  la  vitesse  de  découverte  de  gisements  augmente  avec  la  quantité d’information.  ¶ D (t    )  µ I ( t )  ¶t  L’effet du facteur « information » s’écrit donc :  ¶ D (t    )  µ D ( t )  ¶t  (l’information engendre et est engendrée par les découvertes)

·  Effet « déplétion »  Bien sûr, D(t) est limitée par la quantité de pétrole totale Q∞, indépendante de la quantité  d’information recueillie. En effet, le progrès technique détermine la partie de pétrole qui peut être  trouvée  et  exploitée  pour  la  production  économique,  mais  ne  crée  en  aucun  cas  de  nouvelles  ressources (on considère ici  la quantité totale de pétrole que l’on peut produire, quel que soit le  coût et avec un savoir­faire technique « parfait », il s’agit d’une limite théorique).  Moins il y a de pétrole dans le sol, plus il est difficile à trouver. Cela se traduit par l’hypothèse :  la vitesse des découvertes décroît avec les découvertes cumulées. Autrement dit : ¶D ( t )  µ (Q ¥  - D ( t ) )  ¶t  L’idée  principale  est  que  le  processus  de  découverte  du  pétrole  permet  un  gain  d’information mais diminue son champ d’utilisation en laissant moins de découvertes possibles.  La  prise  en  compte  des  effets  « information »  et  « déplétion »  mène  alors  à  ce  qu’on  appelle  « l’équation de croissance logistique » (Verhulst, 1838) : ¶D ( t )  µ D(t). (Q ¥  - D ( t ) )  ¶t  ¶ D Le taux de découverte  solution de cette équation est la célèbre courbe en cloche de Hubbert. ¶t 



Remarquons    que  les  effets  décrits  ici  sont  avant  tout  qualitatifs  et  très  simplifiés  (par  exemple, il n’y a aucune justification au fait que les proportionnalités soient linéaires et pas d’une  puissance  supérieure). Néanmoins cette modélisation conduit à une description assez  bonne des  tendances  observées  historiquement  de  la  découverte  du  pétrole  (on  considérera  dans  tout  le  projet la date de découverte originale du gisement, y compris pour les révisions/extensions de ses  réserves) ainsi que de la production. ·  Validité  Les Etats­Unis (48) sont le meilleur exemple car il s’agit de la région la plus avancée sur  le plan de l’histoire pétrolière. 

Fig. 1.1 – Découver te et pr oduction de pétr ole pour  les USA (48) (d’après [Lah03]). 

Le  graphe  ci­dessus  (Laherrère,  2003)  montre  que  la  production  annuelle  est  très  bien  modélisée  par  une  courbe  de  Hubbert.  Il  en  est  de  même  pour  les  découvertes,  même  si  les  données sont plus dispersées (moyennées sur 5 ans sur le graphe). On note que la production suit  la  découverte  avec  un  écart  temporel  de  35  ans  (on  observe  cela  dans  la  plupart  des  régions,  l’écart  étant  de  20  à  40  ans),  confirmant  le  fait  que  l’évolution  de  la  découverte  engendre  les  grandes tendances de la production.  Le graphe ci­dessous montre la validité de la courbe de Hubbert dans le cas des Etats­Unis  (48) et de l’ex­URSS.



Fig. 1.2 – Validité de la cour be de Hubber t pour  la pr oduction des USA (48) et de l’ex­URSS (d’apr ès [Lah97]) 

La production des Etats­Unis correspond à l’exploitation de 25000 champs pétroliers, soit  240000 puits environ (2002, d’après ASPO). Les écarts entre la courbe de Hubbert et la courbe  de  production  sont  dus  à  des  facteurs  politiques :  dépression  (1930),  fin  de  la  proration  (attribution  de  quotas  de  production  aux  différentes  compagnies,  années  50)  ou  bien  forte  augmentation des prix (fin des années 70). Pour l’ex­URSS, la correspondance est également très  bonne, sauf pour les dernières années en raison des problèmes économiques du pays.  Globalement,  la  courbe  de  Hubbert  est  une  bonne  approximation  de  la  production  d’un  pays  lorsque  celui­ci  possède  un  nombre  de  champs  pétroliers  important  et  est  une  région  politiquement stable, en particulier à l’emplacement des puits. Par exemple, pour les Etats­Unis,  les guerres majeures (Seconde Guerre Mondiale, Vietnam) n’ont pas eu une grande influence sur  la production car elles  ne concernaient pas  le  sol  américain, et donc  les puits. Si on regarde un  pays  comme  l’Iran,  où  les  guerres  et  la  révolution  ont  affecté  la  production,  la  courbe  est  beaucoup moins lisse : 

Fig. 1.3 – Pr oduction de pétr ole de l’Iran (d’apr ès ASPO)



La courbe de production mondiale s’obtient simplement en sommant les contributions des  divers pays. Le point essentiel est que chaque pays a son propre cycle de production : certains ont  déjà dépassé le pic (Etats­Unis, 1971), d’autres en semblent encore assez loin, comme le montre  le diagramme ci­dessous, daté de 1995 : 

Fig. 1.4 – Temps restant jusqu’au « peak oil » (en 1995), par  pays (d’après [Cam98]). 

1.3  Autre approche : les profils d’exploitation de puits  La  courbe  de  Hubbert  peut  être  obtenue  par  une  autre  approche,  qui  repose  sur  la  superposition de profils de puits individuels. De  façon très simple, la production pétrolière d’un  bassin n’est que la superposition des puits qui le composent. Cependant, à cause de la fréquence  élevée des découvertes et de la longue exploitation des puits, la déduction du profil de production  d’un bassin à partir des puits qu’il contient n’est a priori pas immédiate.  Bien que le profil de production d’un puits soit assez variable, nous pouvons dégager les  caractéristiques  suivantes :  une  croissance  rapide,  un  plateau  dont  la  longueur  varie  beaucoup  d’un gisement à l’autre, et un déclin graduel. De façon très simplifiée, cela peut se représenter de  la façon suivante :



Productio n d'un puits  2 



0  1 













Temps 

Fig. 1.5 : Pr ofil tr ès simplifié d’un puits individuel 

Ainsi,  la  production  superposée  de  quatre  puits,  identiques,  découverts  chaque  année,  présente la forme suivante :  Production cumulée de quatre puits  5 









0  1 

















10 

Te m ps 

Fig. 1.6 : Super position de 4 puits, sous des hypothèses très simples 

Cependant,  les  hypothèses  considérées  sont  trop  simples.  En  effet,  d’une  part  les  découvertes ne sont pas régulièrement réparties dans le temps, et d’autre part les puits découverts  n’ont pas la même taille. Ainsi, si on considère le profil d’exploitation plus réaliste suivant : 

Fig. 1.7 :Pr ofil d’un puits individuel (sour ce : www.wolfatthedoor .or g.uk)



Alors  en  agrégeant  les  productions  selon  le  principe  fondamental  en  exploitation  pétrolière que les plus grands champs sont trouvés en premier, on obtient, même avec assez peu  de puits, une forme de courbe qui ressemble à une courbe de Hubbert : 

Fig. 1.8 : Super position de la pr oduction de huit puits (sour ce : www.wolfatthedoor .or g.uk) 

Ainsi, même si la courbe obtenue n’est pas une courbe de Hubbert au sens mathématique  du terme, nous retenons les caractéristiques suivantes :  ­  Même  avec  des  hypothèses  très  simplistes,  un  « pic »  de  production  se  produit,  approximativement lorsque la moitié des ressources totales est consommée.  ­  Ce  pic  se  produit  quand  la  production  des  gros  puits  découverts  en  premier  n’est  plus  compensée par la découverte de nouveaux puits plus petits.  ­  Lorsque  le  déclin  est  amorcé,  les  diverses  décroissances  s’ajoutent  et  la  pente  de  la  production globale est plus importante. 

1.4  Commentaires  En général, la modélisation de l’offre de pétrole par une courbe de Hubbert est critiquée  sur deux aspects : l’influence du prix du pétrole et du progrès technique. ·  La courbe de Hubbert est une « limite supérieure »  Parce qu’elle correspond à une limite maximale de l’offre contrainte par les découvertes,  la  courbe  de  Hubbert  est  une  limite  supérieure  de  la  production  de  pétrole.  Une  production  inférieure à cette limite est observée par exemple pour l’OPEP, dont les décisions de production  sont  celles  d’un  cartel  face  au  reste  du  monde.  On  n’observe  pas  la  même  contrainte  de  disponibilité  temporelle  du  pétrole  que  pour  les  autres  pays,  et  la  modélisation  par  courbe  de  Hubbert ne s’applique donc pas.

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Fig. 1.9 – Découver te et pr oduction de pétr ole au Moyen­Orient (d’après [Lah01]).

·  Influence de l’économie  Si la courbe de Hubbert reflète assez bien la dynamique « d’auto­régulation » des coûts de  découverte, elle néglige en revanche une notion essentielle : le profit économique. En effet, aucun  effort  ne  sera  fait  pour  chercher  et  extraire  du  pétrole  si  aucun  profit  ne  peut  être  tiré  des  ressources  récupérables.  Ainsi  la  découverte  et  la  production  globale  du  pétrole  font  apparaître  des cycles de Hubbert multiples, chaque cycle dépendant d’un niveau donné de profit attendu de  l’exploitation des ressources récupérables.  Par exemple, dans  le cas des Etats­Unis,  la production en  Alaska ainsi que  l’exploration  en  eaux  profondes  ont  des  cycles  distincts,  la  production  totale  étant  alors  la  superposition  de  plusieurs cycles : 

Fig. 1.10 – Pr oduction pétr olière des USA (d’apr ès ASPO, 2002)

11 

La  notion de  profit  est  bien  sûr  intimement  liée  à  celle  de  prix,  et  c’est  donc  le  prix  du  pétrole qui détermine la rentabilité de certaines ressources et déclenche un cycle de Hubbert pour  ces nouvelles ressources.

·  Influence du progrès technique  De la même façon, si l’équation logistique prend en compte le progrès en exploration, elle  néglige en revanche  le progrès en  capacité à récupérer  le pétrole. On utilise de  même plusieurs  courbes de Hubbert, chacune correspondant à une quantité donnée de ressources récupérables. Le  progrès  technique  a  alors  deux  effets :  d’une  part  il  augmente  la  quantité  de  ressources  récupérables  (effet  « quantité »),  d’autre  part  il  rend  le  pétrole  moins  cher  à  récupérer  (effet  « qualité »).

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Le pic du pétrole donnera­t­il lieu à un choc ? 

Deux  points  de  vue  s’affrontent  sur  la  date  du  pic  de  production  du  pétrole.  Ils  correspondent  à  deux  approches  différentes,  fondées  sur  une  vision  « géologique »  et  une  vision « économique ». 

2.1 

Le point de vue des « géologues » 

La  théorie  du  peak  oil  a  été  initiée  par  Colin  J.  Campbell,  géologue  d’exploration  irlandais dans l’industrie pétrolière. En 2000, Campbell a fondé l’ASPO (Association for the  Study  of  Peak  Oil),  qui  regroupait  à  son  origine  des  scientifiques  affiliés  à  diverses  institutions  et  universités  européennes.  Depuis,  ses  thèses  se  sont  diffusées  dans  le  monde  entier,  notamment  aux  Etats­Unis  et  en  Australie.  L’association  annonce  dans  ses  objectifs  l’étude  objective  du  déclin  des  ressources  pétrolières  mondiales,  échappant  ainsi  aux  pressions  de  l’industrie  pétrolière  et  des  états.  Son  but  principal  est  d’alerter  l’opinion  publique sur les enjeux d’une telle question, qui remet en cause les fondements mêmes de la  société  de  consommation.  Malgré  ses  intentions  d’objectivité,  le  principal  reproche  fait  à  l’ASPO est son attitude catastrophiste.  Les arguments avancés par l’ASPO se fondent sur des critères géologiques, récusant le  « tout économique » de ses adversaires. La clé du débat semble donc reposer sur l’angle sous  lequel  on  considère  le  problème :  selon  les géologues,  la  disparition  du  pétrole  est  un enjeu  fort  pour  l’avenir,  tandis  que  ceux  qui  y  voient  un  faux  problème  auraient  une  vision  purement  économique  de  la  question  et  considèreraient  que  la  question  du  peak  oil  se  résoudra d’elle­même par les règles de l’économie de marché. Des deux côtés, on se reproche  donc  d’occulter  la  partie  que  l’on  considère  comme  importante.  Dans  ce  qui  suit,  nous  désignerons de façon manichéenne les premiers comme les partisans du peak oil. Les seconds  seront les opposants.  Plus  précisément,  les  arguments  de  l’ASPO  sont  de  plusieurs  ordres :  ils  s’appuient  d’une  part  sur  l’étude  des  données  chiffrées  concernant  les  réserves.  D’autre  part,  ils  dénoncent l’opacité des organismes impliqués dans l’exploitation pétrolière (états producteurs  et notamment l’OPEP, industries pétrolières) et les pressions auxquelles ils cèdent. 

2.1.1  Une querelle de chiffre ·  Limite physique à l’extraction de pétrole  Formé  majoritairement  il  y  a  150  et  100  millions  d’année  par  la  sédimentation  d’algues  qui  proliféraient  à  la  suite  d’un  réchauffement  climatique,  le  pétrole  est  donc  par  définition  une  ressource  naturelle  finie,  dont  on  cherche  à  déterminer  la  quantité  totale.  La  méthode  suivie  par  Campbell  et  ses  partisans  consiste  à  déterminer  la  dotation  totale  en  pétrole  de  façon  statistique,  en  additionnant  production  cumulée,  réserves  découvertes  et  pétrole  à  découvrir.  La  production  cumulée  est  connue  sans  ambiguïté ;  les  réserves  sont  déterminées par Campbell à partir de  la  base de  donnée « Petroconsultants/IHS Energy » de  Genève. L’ASPO se fonde sur les données révélées par les compagnies pétrolières et les états  et réunies par « Petroconsultant », qu’elle corrige par des coefficients propres à la situation de

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chaque  pays. Par  exemple,  elle  considère  les  réserves  prouvées  de  la  Russie  surestimées  de  30%. Les régions qui soulèvent les interrogations les plus fortes sont la Russie et le Moyen­  Orient. Quant au pétrole à découvrir, Campbell  l’évalue par des  méthodes statistiques. Pour  une nappe, on mesure la quantité de pétrole qu’elle enferme grâce à l’information disponible  sur la région et aux sondages géologiques effectués sur place.  L’ASPO  en  vient  ainsi  à  conclure  que  la  dotation  mondiale  de  pétrole  serait  de  2000Gb,  et  que  le  pic  mondial  serait  atteint  entre  2005  et  2010 :  en  effet,  ce  pic  est atteint  lorsque  la  moitié de  la dotation  mondiale de pétrole a été exploitée. A titre de comparaison,  l’USGS  (US  Geological  Survey,  agence  fédérale  américaine)  avance  le chiffre de 3000  Gb.  Toutes  deux  ont  révisé  à  la  hausse  leurs  prévisions  (de  1750  à  2000Gb  pour  l’ASPO,  qui  prévoyait  le  pic  en  1999,  de  2250  à  3000Gb  pour  l’USGS  entre  1999  et  2005).  Une  telle  différence est évidemment  fondamentale pour trancher  le débat, car c’est elle qui permet de  dater  le déclin et donc de savoir si nos sociétés ont encore le temps de s’y préparer. 

ASPO  1999  1750 Gb  2005  2000 Gb 

USGS  2250 Gb  3000 Gb 

Tab. 2.1 – Pr évision de la dotation mondiale en pétr ole. Sour ce : ASPO et USGS. 

Pourtant,  d’autres  éléments  sont  à  prendre  en  compte ;  le  débat  revient  finalement,  plus  qu’à  dater  le  déclin  de  la  production,  à  en  connaître  l’intensité :  nos  sociétés  pourront­  elles résister au choc qu’il implique ? Le problème consiste à savoir s’il existe une contrainte  à l’exploitation du pétrole assez forte et ayant des effets assez rapides pour introduire un choc  imprévu dans la production de pétrole, choc qui ne pourrait être absorbé en douceur par nos  sociétés. ·  Extraction de pétrole non conventionnel et amélioration de la récupération  Les adversaires du peak oil mettent en avant les nouvelles techniques de récupération  du pétrole (injection d’eau sous pression ou de vapeur dans  la  nappe pour récupérer plus de  pétrole),  et  l’exploitation  de  pétrole  non  conventionnel  pour  lisser  l’impact  du  peak  oil.  En  effet,  elles  permettent  de  récupérer  du  pétrole  qui  n’aurait  pu  être  extrait  autrement.  Elle  permet donc d’augmenter  la dotation totale en pétrole, et retarde le pic.  A cet argument,  les  partisans du peak oil répondent sur deux plans.  Géologiquement,  ils se  montrent sceptiques sur  l’efficacité réelle de ces techniques.  Werner  Zittel et Jörg Schindler (2002) chiffrent leur  impact : ils considèrent qu’elles  ne permettront  qu’une augmentation de 6Mb/j de capacité. Pourtant, dans un scénario où la demande croit de  1,5% par an, la production devrait augmenter de 21Mb/j pour satisfaire la demande.  Quant  aux  « nouvelles »  méthodes  d’amélioration  de  la  récupération,  elles  sont  mises  en  œuvre  depuis  20  ans.  Elles  permettent  d’accroître  la  production,  et  donc  en  diminuant  les  réserves, elles ne font qu’amplifier le déclin futur. Si elles retardent légèrement le pic, elles ne  permettent  en  rien  d’en  atténuer  l’impact.  Au  contraire,  elles  impliquent  que  le  taux  de  décroissance de la production sera plus élevé : la pente de la courbe de Hubbert décroissante  sera plus élevée en valeur absolue.  Enfin, le pétrole non conventionnel ne devrait pas permettre d’augmenter significativement la  production et nécessite des  investissements très  lourds (détournement d’un  fleuve au canada  par  exemple)  qui  introduisent  de  longs  délais  dans  la  production.  A  cet  argument,  les  adversaires  du  peak  oil  répondent  que  la  hausse  du  prix  du  pétrole  permettra  des  investissements plus conséquents pour l’exploitation de ce pétrole. De plus, l’exploitation du

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pétrole  non  conventionnel  est  très  polluante alors  que  l’air  du  temps  est  à  la  lutte  contre  la  pollution et au principe de précaution.  Des  auteurs  pro­peak  oil,  comme  R.W.  Bentley,  se  montrent  plus  circonspects  sur  l’impact  des nouvelles technologies pour améliorer l’extraction du pétrole : leur argumentaire est plus  réaliste que celui de l’ASPO, qui nie l’impact de la technologie en considérant qu’il est déjà  trop tard. Bentley considère que, même dans un scénario très optimiste, le pic ne sera retardé  que de quelques années (5 ans environ). ·  Accroissement ou non des réserves ?  On  a  vu  que  l’ASPO  raisonne  à  partir  de  la  dotation  mondiale  en  pétrole,  et  prend  comme définition des réserves l’ensemble « probable and proved » reserves. Cette définition  permet  d’obtenir  une  valeur  intemporelle  des  réserves,  non  sujette  aux  fluctuation  de  la  technique ou de l’économie. L’ASPO s’offusque des manipulations faites sur les données des  réserves, fréquemment revues à la hausse. Dans son cadre de pensée, de telles révisions sont  impossibles car tout ce qui existe est pris en compte, qu’il soit exploitable ou non à la date t.  Ses  détracteurs  n’ont pas la  même  notion  des  réserves :  ils  se  réfèrent  plus  volontiers  à  une  définition économique et probabiliste des réserves, qui sont alors la quantité de pétrole qu’on  peut  extraire  avec  90  à  95%  de  chance.  Les  partisans  du  peak  oil  dénoncent  deux  « mensonges » au sujet des réserves publiées par leurs opposants.  Afin  d’augmenter  leurs  réserves,  les  compagnies  pétrolières  n’hésitent  pas à  réévaluer  leurs  réserves prouvées :  ils  transfèrent  des  réserves  probables  vers  des  réserves  prouvées,  ce  qui  améliore  leur  situation  face  aux  marchés  financiers.  On  peut  ainsi  observer  que  les  réserves  d’un puits augmentent alors que sa production diminue, comme au Royaume Uni, à Forties.  Cependant, le point qui fait débat est la fréquence des découvertes. Souvent, la confusion est  faite entre la date de découverte d’un champ et la date de réévaluation des réserves. Une telle  confusion  permet  de  cacher  la  baisse  du  nombre  de découvertes  de  puits :  en  réévaluant  les  réserves,  on  fait  croire  au  renouvellement  des  réserves  de  pétrole.  Les  partisans  du  peak  oil  parlent  ainsi  d’un  nombre  limite  de  découvertes  et  insistent  sur  le  fait  que  les  compagnies  pétrolières  investissent  de  plus  en  plus  dans  la  prospection  (entre  100  et  120  milliards  de  dollars),  pour  un  retour  sur  investissement  de  plus  en  plus  faible.  Pourtant,  ces  investissements ne sont pas suffisants aux yeux du ministère des finances français, qui estime  à  250  milliards  les  investissements  nécessaires  pour  équilibrer  production  et  découverte  de  réserves.  Surtout,  les  découvertes  concernent  des  gisements  plus  petits  et  plus  difficiles  à  exploiter :  offshore  ou  profonds, comme  le  montre  la  figure  2  (données :  IHS Energy).  Une  telle évolution est normale car, statistiquement, on a plus de chance de découvrir en premier  les nappes les plus faciles à découvrir : peu profondes et étendues.

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Fig. 2.2 – Evolution des découver tes de pétr ole. Sour ce : IHS Ener gy. 

Fig. 2.3 – Emplacement des découver tes. Sour ce : IHS Ener gy.

·  Des scénarios aux hypothèses discutables  Forts  des  conclusions  présentées  ci­dessus,  les  partisans  du  peak  oil  se  livrent  à  des  exercices de projection dont les hypothèses sont discutables. Les conclusions de ces scénarios  tablent sur un déclin imminent (entre 2005 et 2010, si ce n’est 2002 !). Ces scénarios divisent  les pays producteurs en trois catégories :  ­  les  pays  après  le  pic :  par  exemple,  les  Etats­Unis.  L’hypothèse  est  faite sur le taux de déclin de la production.  ­  les  pays  au  pic :  par  exemple,  l’Arabie  Saoudite.  Deux  hypothèses  sont faites : la date du déclin, et le taux de déclin.  ­  les  pays  avant  le  pic :  par  exemple  l’Iraq.  Trois  hypothèses  sont  faites : la date de début du pic, la date du déclin, et le taux de déclin.

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D’une  part,  la  pente  de  déclin  (pourcentage  dont  décroît  la  production  chaque  année)  est  incertaine : elle varie de 2,5% (Werner Zittel et Jörg Schindler [2002]) à 10% ou même 20%  selon les travaux. Son évaluation se base sur les données historiques de pays qui ont dépassé  leur pic, alors même que ces données ne sont pas nécessairement transposables. Surtout, on a  vu que  la dotation totale en pétrole  n’était pas connue avec certitude, et donc  la date du pic  non plus.  L’ASPO  ne  s’intéresse  généralement  pas  à  la  partie  demande  de  ces  scénarios :  elle  se  contente  de  prédire  que  la  production  va  chuter  brusquement,  sans  étudier  la  demande  de  pétrole. Elle part en effet du constat que nos sociétés, pour fonctionner, ont une demande de  pétrole peu élastique au prix. Tant qu’il n’existe pas de substitut valable au pétrole, l’élasticité  de la demande est pratiquement nulle : il faut donc effectivement que la production s’ajuste à  la demande. En revanche, si les énergies renouvelables et les économies d’énergie permettent  de se passer du pétrole,  la  courbe de Hubbert, limite supérieure à  la production,  ne sera pas  contraignante : on pourra produire sous cette courbe, il n’y aura pas de choc. 

2.1.2  Une querelle méthodologique ·  Indépendance de l’infor mation  L’ASPO  se  revendique  comme  la  seule  source  d’informations  indépendante  et  dégagée  de  tout  conflit  d’intérêt,  à  l’inverse  des  autres  acteurs.  Elle  accuse  les  industries  pétrolières  de  présenter  une  situation  optimiste  pour  satisfaire  leurs  actionnaires :  l’accroissement artificiel de leurs réserves par exemple  laisse espérer des profits  futurs. Une  telle  pratique  a  fait  scandale  en  2004,  lorsque  l’anglais  Shell  a  revu  ses  réserves  en  les  diminuant  d’un  tiers.  Pour  certains,  l’argument  que  ces  compagnies  cachent  à  dessein  leur  mauvaise  situation  semble  contradictoire  avec  les  profits  records  enregistrés  ces  trois  dernières  années : 6,3 milliards  d’euros  au  premier  semestre  2005  pour Total,  10,5 milliards  de  dollars  pour  la  britannique  BP  et  même  15,5 milliards  de  dollars  pour  l’américaine  ExxonMobil.  Dopés  par  l’envolée  des  prix  du  pétrole,  les  profits  des  grandes  compagnies  pétrolières ont augmenté en moyenne de 30 % sur les six premiers mois de l’année 2005.En  réalité, leur situation est enviable à court terme. Pourtant, à plus long terme, ces compagnies  rencontrent pourtant des difficultés pour renouveler  leurs réserves et signent des contrats de  partage  avec  les  compagnies  nationales  qui  les  contraignent,  en  cas  d’envolée  des  cours,  à  limiter leur production (le contrat de partage est souvent fait en valeur et non en volume).  Les organismes étatiques ne prennent pas la mesure du problème par facilité intellectuelle et  sous la pression des enjeux financiers. Les états producteurs renforcent l’opacité des données  en manipulant avec légèreté leurs réserves. Un exemple dont les défenseurs du peak oil sont  très friands est la révision des réserves des pays de l’OPEP dans les années 80. On a ainsi vu  les réserves d’Abu Dhabi multipliées par 3 en un an :

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Fig. 2.4 – Manipulation sur  les r éser ves. Sour ce : Oil and Gas jour nal. 

De  telles  pratiques  s’expliquent  par  le  fait  que  les  quotas  de  production  autorisés  au  sein de l’OPEP dépendent des réserves. Les pays font passer des réserves probables au rang  de  réserves  prouvées  pour  augmenter  leurs  réserves.  De  même,  les  réserves  pétrolières  peuvent être prises comme collatéral pour un prêt, ce qui peut pousser un pays à gonfler ses  réserves. Les Etats­Unis ont par exemple consenti un prêt au Mexique adossé sur les revenus  pétroliers, après la chute du Peso en décembre 94.

·  Manipulation des données  Souvent  utilisés  par  les  opposants  au  peak  oil,  le  ratio  Réserves  découvertes/Production annuelle, noté R/P est l’une des bêtes  noires des défenseurs du peak  oil.  Ce  ratio  est  utilisé pour  calculer  de  façon  très  grossière  le  temps  qui  nous  sépare  de  la  pénurie  de  pétrole  en  divisant  les  réserves  disponibles  par  la  consommation  actuelle.  L’argument  de  ses  utilisateurs  est  que  ce  ratio  permet  de  dire  quand  la  dernière  goutte  de  pétrole sera extraite. Or, ce qui importe dans le peak oil, c’est le déclin de la production : c’est  là  que  les  sociétés  vont  subir  un  choc.  Le  ratio  R/P  ne  nous  apprend  rien  sur  cette  date  et  induit une confusion dangereuse entre la fin de la production et le début du déclin. ·  Equilibre de marché contre pénurie future  Si tous les acteurs reconnaissent que nous serons un jour confrontés à la disparition du  pétrole,  les points de  vue divergent fondamentalement. L’ASPO tient un discours alarmiste,  qui prédit un choc violent que notre économie de marché ne pourra absorber seule.  Elle fonde ses arguments sur une connaissance précise de l’industrie pétrolière. Pourtant, on a  vu  que  les  grandes  compagnies  pétrolières  ne  représentaient  que  15%  de  la  production  de  pétrole :  les  compagnies  nationales (comme  Aramco  en  Arabie  Saoudite  ou  la  Sonatrach  en  Algérie) en fournissent 70%. La connaissance de l’industrie pétrolière « occidentale » permet­  elle alors d’avoir une vue de la situation mondiale ?

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L’ASPO pointe aussi  l’opacité qui caractérise toute recherche sur  le  sujet. Les données sont  systématiquement surévaluées (comme celles de l’IHS ­société qui commercialise notamment  une base de données sur la production et les réserves de pétrole­, qu’il faut diminuer de 50%  selon Campbell), ou mal reportées.  Enfin,  l’ASPO  considère  que  compte  tenu  de  l’imminence  du  déclin  de  la  production  de  pétrole, les solutions alternatives ne permettront pas d’en lisser l’impact. Elle doute de l’effet  des prix sur la demande, ce qui revient à considérer la demande de pétrole comme quasiment  incompressible. 

2.2 

Le point de vue des « économistes » 

Les « économistes » ont une vision beaucoup plus optimiste que les « géologues ». Ils  font confiance aux lois du marché pour réguler la production et la demande de pétrole.  2.2.1 

Réévaluations permanentes des réserves prouvées 

Les  estimations  des  réserves  sont  difficiles.  Elles  dépendent  des  définitions,  des  méthodes d’estimation et des techniques opérationnelles choisies. Chaque compagnie estime  ses réserves prouvées, probables et possibles selon ses propres standards. Il n’existe donc pas  de  données  communes  à  tous  et  il  est  difficile  d’avoir  une  image  cohérente  des  réserves  globales. Cependant les données sources les plus reconnues s’accordent pour estimer à plus de  1000 milliards de barils les réserves prouvées aujourd’hui. 

Fig. 2.5 – Réser ves de pétr ole br ut et GNL, fin 2003. Sour ce :  World Energy Outlook 2004. 

Les  réserves  ont  constamment  été  l’objet  de  réappréciation  à  la  hausse,  au  fur  et  à  mesure des progrès des connaissances géologiques (avec la méthode sismique 4D pour mieux  voir les nappes), des techniques d’extraction en offshore profond (Golfe du Mexique, Mer du  Nord…)  et  de  la  hausse  du  taux  de  récupération  (grâce  au  forage  horizontal  et  à  la  récupération assistée par injection d’eau ou de vapeur). Cela se verra particulièrement chez les  compagnies publiques de  l’OPEP et dans les anciennes républiques soviétiques qui ont déjà  augmenté leurs réserves prouvées de 40% par rapport à celles de 1995. 19 

Le  taux  de  récupération  actuel  de  l’huile  en  place  est  d’environ  30%  actuellement.  Près  des  deux  tiers  du  brut  découvert  restent  donc  dans  le  sous­sol.  On  appelle  « réserves  prouvées », celles qui ont une probabilité supérieure ou égale à 90% d’être récupérées (P90).  On  appelle  « réserves  probables »,  celles  qui  ont  une  probabilité  supérieure  ou  égale  à 50%  d’être récupérées (P50). En pratique,  les  volumes réels extraits des gisements  sont, à terme,  proches  des  réserves  probables.  Ainsi,  1200  milliards  de  barils ont été  ajoutés  aux  réserves  prouvées entre 1971 et 2000 (alors que seulement 682 milliards de barils ont été consommés  sur la même période).  Campbell  estime  que  l’augmentation  des  réserves  initiales  (nouvelles  découvertes  et  réappréciation  des  réserves  des  champs  déjà  découverts)  devrait  figurer  à  la  date  de  découverte  du  champ  concerné,  et  non  à  la  date  de  la  réévaluation.    Mais  selon  les  « économistes », ceci empêche de prévoir correctement la production. Les champs « anciens »  apparaissent  en  effet  bien  plus  profitables  que  les  champs  « récents ».  Ainsi,  les  champs  découverts en 1960 prévoyaient tout d’abord des réserves prouvées de 200 milliards de barils.  Ces champs ont ensuite vu leurs réserves augmentées à 300 milliards de barils en 1970, puis à  430 milliards de barils en 1995. 

Fig. 2.6 – Pr oduction mondiale de pétr ole, par  catégor ie. Sour ce : World Energy Outlook 2004. 

Campbell conclue de sa  méthode de calcul des réserves, que  les champs récents sont  moins  profitables  et  que  l’on  approche  donc  du  pic  pétrolier.  Pourtant,  les  réestimations  permanentes  laissent  à  croire  que  c’est  surtout  la  hausse  des  prix  liées  à  l’exploitation  qui  limitera la demande et donc la production, et amènera un pic prématuré, et non la disparition  des réserves.  Cependant, même dans le cas non réaliste où on ne ferait plus aucune découverte, et où  la  demande  de  pétrole  augmenterait  de  1,5%  par  an,  le  pic  de  pétrole  conventionnel  n’apparaîtrait,  selon  les  « économistes »,  que  vers  2025.  Cette  différence  par  rapport  à  l’ASPO est due à des hypothèses différentes sur les réserves. 20 

2.2.2  L’augmentation  du  prix  du  baril  augmenterait    les  réserves  économiquement  rentables En  parallèle,  on  pourra  également  développer  la  production  des  pétroles  non­  conventionnels.  Ainsi,  le  Canada  exploite  déjà  ses  sables  asphaltiques,  et  le  Venezuela  ses  bruts extra lourds. L’augmentation des technologies et des connaissances en la matière a déjà  permis une baisse des coûts de production des pétroles non conventionnels de 50% depuis le  début de  leur exploitation.  Ainsi, par exemple,  les huiles extra lourdes du Venezuela étaient  exploitables,  jusqu’aux  années  1990,  pour  un  prix  élevé  du  baril  de  brut de  plus  de  30  $.  Aujourd’hui, elles sont exploitables à partir d’un prix du brut de l’ordre de 15 $ par baril.  On peut ainsi exploiter de façon de plus en plus rentable l’off­shore profond, les huiles  extra lourdes, les sables asphaltiques, les schistes bitumeux, fabriquer du carburant liquide à  partir de gaz naturel, et même faire appel à la liquéfaction du charbon.  En  schématisant,  il  n’y  a  donc  plus  de  limitation  des  ressources  en  hydrocarbures,  mais seulement nécessité de faire appel à des techniques de plus en plus complexes au fur et à  mesure de l’épuisement des gisements à faibles coûts.  Avec  un  prix  du  baril  à  25$  le  baril,  on  peut  ainsi  déjà  récupérer  600  milliards  de  barils de pétroles « non conventionnels ». On peut également prévoir environ 1000 milliards  de barils d’huiles non conventionnelles à découvrir.  Les réserves « augmentent » ainsi avec les prix du baril.  Ce dernier peut en effet rendre économiquement rentables des ressources déjà connues  mais  trop chères à produire.  Avec un prix du baril inférieur à 20$, on peut donc exploiter environ 2000 milliards de barils  de pétrole conventionnel.  Avec un prix à 25$, on peut ajouter à cela environ 200 milliards de barils de pétroles lourds,  dont l’exploitation devient rentable.  Avec  un  prix  autour  de  30$,  on  augmente  encore  le  taux  de  récupération  du  pétrole  conventionnel,  on  exploite  la  plupart  des  bruts  non  conventionnels,  et  la  production  du  carburant par conversion chimique du gaz naturel (Gas to Liquids) devient rentable.  Au  dessus  de  35­40$,  on  pourra  également  avoir  recours  à  la  liquéfaction  du  charbon  et  à  l’exploitation des schistes bitumeux. 

Tab. 2.7 – Pr oduction pétr olièr e (Mb/j) dans un scénar io de r éfér ence et un scénar io de pr ix élevé. Sour ce:   World Energy Outlook 2004.

21 

L’élasticité des dépenses d’exploration et de production par rapport au prix du pétrole  brut est d’environ 0,5 depuis 15 ans. Une augmentation de 10% du prix a engendré une hausse  de 5% des dépenses d’exploration et de production, favorisant les nouvelles découvertes.  Ainsi, les organismes de calcul des ressources estiment entre 2500 et 3500 milliards de barils  les ressources ultimement exploitables. 

3.2.3  L’augmentation du prix modèrer ait la demande  Il  faut  également  prendre  en  compte  le  rôle  central  de  l’économie  et  de  la  politique  dans  l’équilibre  des  marchés  du  pétrole.  La  compétition  croissante  du  gaz  naturel  va  amoindrir au fur et à mesure l’augmentation de la demande de pétrole.  Dans un marché compétitif avec de nombreux acteurs, tout ce qui est demandé est produit, du  moment que le prix soit suffisamment élevé pour que cela soit profitable. Or la demande en  pétrole est élastique au prix.  C’est ainsi que le marché a répondu sur les 30 dernières années malgré le pessimisme sur le  futur du pétrole au début des années 70. Ainsi, après  le choc pétrolier de 1979,  la demande  chuta  jusqu’à atteindre en 1983, 85% de  la demande de 1979, et  il  fallu attendre 1992 pour  retrouver le niveau de 1979. Depuis 1979, la demande de pétrole a progressé lentement (0,5%  par an).  Le  prix du  pétrole  est  aujourd’hui  très  élevé,  et risque de  le  rester  en  raison du  sous  investissement  qu’il  y  a  eu  ces  dernières  années  dans  l’investissement  en  infrastructures,  la  croissance économique asiatique, la rareté des ressources, etc.  Ce prix élevé engendrerait une  baisse de  l’augmentation de  la demande. L’AIE estime ainsi  une  baisse  de  15%  de  la  demande  par  rapport  au  scénario  d’augmentation  linéaire  de  la  demande. 

Fig. 2.8 – Demande mondiale de pétr ole, dans un scénar io de r éfér ence et un scénar io de pr ix élevé.  Sour ce:  World Energy Outlook 2004.

22 

Ainsi, l’augmentation des prix, due à l’augmentation de la rareté du pétrole, conduirait  à la baisse de la demande, et pourrait retarder le pic du pétrole conventionnel de 2025 à 2040. 

Conclusion des « économistes » :  La  production  de  pétrole  conventionnel  aux  conditions  économiques  présentes  commencera à diminuer entre 2025 et 2040. Le pétrole non­conventionnel (devenant de plus  en plus abordable) permettrait a priori de durer jusqu’en 2100. Cependant, l’augmentation de  la production de pétrole cesserait vers 2060. Mais  il est probable que  la demande diminuera  avant la production, à cause de la compétition du gaz naturel et des energies renouvelables. Ce  délai  pourrait  être  utilisé  pour  repousser  encore  l’échéance,  et  mettre  au  point  des  solutions  alternatives (carburants à partir de gaz, charbon ou biomasse). 

2.3 

Commentaires sur le débat 

Les  divergences  entre  économistes  et géologues  peuvent  être  résumées  par  ces  deux  citations : L’économiste  Peter  Odell affirme  qu’au  lieu  de  considérer  les  réserves  comme  un  stock  déjà  accumulé,  il  est  possible  d’évaluer  des  hydrocarbures  comme  des  ressources  renouvelables,  dans  le  sens  où  le  développement  technique  s’ajustera  à  la  demande  et  permettra d’y répondre.  Le  géologue  Colin  J.  Campbell  répond  à  cela :  « beaucoup  affirment  que  la  technologie augmentera le taux d’extraction du pétrole d’un réservoir, et ne voient pas que ce  sont les propriétés physiques même du pétrole et du réservoir qui contrôlent principalement la  part de pétrole que l’on ne peut extraire de la roche. »

23 



Modélisation : vers un choc ? 

L’objectif  de  cette  dernière  partie  est  d’évaluer  l’importance  des  incertitudes  liées  à  certaines  hypothèses  clefs  (croissance  de  la  demande,  réserves,  démarrage  de  la  production  des  pétrols  non  conventionnels)  sur  les  principaux  indicateurs  évoqués  dans  les  parties  précédentes (date du pic, présence d’un choc pour l’économie). A cet effet, nous présentons  un modèle très simple reposant sur la courbe de Hubbert. 

3.1  Présentation du modèle. Scénario de référence.  Dans toute cette partie, l’unité utilisée est la giga tonne de pétrole. 

Modélisation de la demande  Jusqu’en 2004,  la demande de pétrole est connue. Nous avons utilisé  les données de  consommation  mondiale  issues  du  « BP  Statistical  Review  of  World  Energy »,  publié  en  2004. A partir de 2005, nous avons modélisé une demande de type exponentielle, au taux de  croissance a  : C (t )  = C ( 2004 ). exp (a .( t - 2004 ) )  Dans  le  scénario  de  référence,  nous  avons  adapté  une  demande  utilisée  par  un  des  spécialistes du peak oil, Douglas Reynolds, qui correspond au taux :  a  =  2. 43 % 

Catégories de coût d’exploitation   Les données utilisées sont issues d’un rapport émanant du World Energy Council, qui  donna  en  1998  la  répartition  des  réserves  ultimes  récupérables  en  fonction  du  coût  d’exploitation.  Toutes  les  catégories  de  pétrole  sont  considérées  (réserves  de  pétrole  brut,  pétrole  brut  récupérable  par  EOR,  réserves  encore  à  découvrir,  sables  bitumineux,  huiles  lourdes,  pétrole  issu  de  l’exploitation en  eaux  profondes),  et  pour  chaque  prix  de  baril,  une  quantité de ressources ultimes récupérables pour le monde est donnée. La quantité maximale  déterminée, pour un coût quelconque, est de 879 Gt.  Nous  avons  découpé  les  prix  en  tranches  de  10$,  les  ressources  ultimes  récupérables  correspondantes sont :  Prix du Baril  Ressources  Ultimes (Gt) 

0­10 $ 

0­20 $ 

0­30 $ 

0­40 $ 

0­50 $ 

283.9 

411.8 

553.7 

692.7 

797.6 

Principe  La  démarche  est  la  suivante.  La  production  de  pétrole  suit  la  demande ;  lorsque  la  moitié des ressources ultimes récupérables d’une certaine catégorie a été consommée, alors la

24 

production de celle­ci entame une décroissance selon un cycle de Hubbert. Et dans le même  temps, la catégorie de la tranche « supérieure » est mise en exploitation.  Nous  noterons  Q ¥ ,k  la  quantité  de  ressources  ultimes  récupérables  de  la  catégorie  k  (la  catégorie 1 correspond à un prix de baril compris entre 0 et 10$), et bk  la pente de la courbe de  Hubbert correspondante, de sorte que la production hk(t) s’exprime par :

hk ( t ) =

Q ¥ , k b k  exp (- b k ( t - t 0 , k ) ) (1 + exp (- b k ( t - t 0 , k ) )) 2 

t0,k  étant l’année du pic de ce cycle de production.  Les valeurs des ressources  Q¥    ,k  sont connues (cf. ci­dessus). Les dates de pic sont déterminées  selon  la  méthode  expliquée  au  début  du  paragraphe,  autrement  dit  quand  la  production  cumulée a atteint la moitié de la ressource ultime :  t 0 , k

ò C ( u ) du =

Q ¥ , k 

2  Enfin,  la  pente  de  la  courbe  est  telle  qu’au  moment  du  pic,  la  demande  est  satisfaite  par  l’offre :  C ( t 0 , k  ) = h k  ( t 0 , k  )  soit  4. C ( t 0 , k  )  bk   =  Q ¥ , k  1900 

Scénario de référence  Il correspond à une demande exponentielle avec un taux de croissance de 2.43%. Nous  avons rassemblé les dates de pic et les pentes des courbes de Hubbert correspondantes dans le  tableau suivant :  Catégorie de  Coût  Date du Pic  Pente de la  courbe 

0­10 $ 

0­20 $ 

0­30 $ 

0­40 $ 

0­50 $ 

2003 

2016 

2027 

2036 

2041 

0.0558 

0.0537 

0.0518 

0.0513 

0.0502 

Indicateur de choc  Par ailleurs nous avons calculé, pour chaque test, un « indicateur de choc », qui illustre  l’importance  de  l’écart  entre  une  demande  extrapolée  tendanciellement,  qui  continue  de  croître, et la production effective totale, qui décroît sous l’effet de la déplétion. Cet indicateur  de choc est défini, pour la dernière catégorie de coût k, par la différence entre la demande et la  production, 5 ans après le pic:  d k  = C ( t 0 , k  + 5 ) - h k  ( t 0 , k  + 5 )  Cet indicateur est pertinent dans la mesure où il permet d’avoir une idée, pour chaque  scénario étudié, du choc économique peut résulter du passage du pic.

25 

On trouve alors, pour le scénario de référence :  Catégorie de  Coût  Date du Pic 

0­10 $ 

0­20 $ 

0­30 $ 

0­40 $ 

0­50 $ 

2003 

2016 

2027 

2036 

2041 

Indicateur de  Choc 

1.46 

Représentation graphique  Enfin,  pour  une  meilleure  visualisation  des  résultats, on  représente  la  consommation  pétrolière  mondiale et les différentes courbes de Hubbert. Le graphe obtenu  montre alors de  façon claire la répartition de la production selon les diverses catégories de coût d’exploitation. 

Rép artition  par coû t, scén ario de référ ence  14  12  10  Demande  0­10$ 



Gt 

0­20$  0­30$ 



0­40$  0­50$ 

4  2  0  1900  1920  1940  1960  1980 

2000  2020  2040  2060  2080  2100 

Fig. 3.1 – Répar tition de la pr oduction pétr olièr e mondiale par  tr anches de coût d’exploitation, scénar io  de demande de r éfér ence

26 

3.2  Tests de sensibilité  Influence  du  taux de croissance  de la demande sur  les  dates de pics  et  les  indicateurs de  choc.  Nous allons maintenant étudier l’influence du taux de croissance de la demande sur les  dates des pics et les indicateurs de choc.  Nous allons reprendre la méthode précédente en choisissant des taux de croissance de  la demande a  de 1,5%, 2% et 3%.  Nous obtenons ainsi les graphiques suivants : 

Répartition par prix, croissance=1,5%  10  9  8  7 

Demande  0­10$ 

Gt 



0­20$ 



0­30$ 



0­40$  0­50$ 

3  2  1  0  1900 

1920 

1940 

1960 

1980 

2000 

2020 

2040 

2060 

2080 

2100 

Fig. 3.2 – Répar tition de la pr oduction pétr olièr e mondiale par  tr anches de coût d’exploitation, cr oissance  de la demande 1.5%

27 

Répartition par prix, croissance=2%  12 

10 

Demande 



Gt 

0­10$  0­20$ 



0­30$  0­40$ 



0­50$ 



0  1900 

1920 

1940 

1960 

1980 

2000 

2020 

2040 

2060 

2080 

2100 

Fig. 3.3 – Répar tition de la pr oduction pétr olièr e mondiale par  tr anches de coût d’exploitation, cr oissance  de la demande 2%  

Répartition par prix, croissance=3%  18  16  14  12 

Demande 

Gt 

0­10$  10 

0­20$  0­30$ 



0­40$  0­50$ 

6  4  2  0  1900 

1920 

1940 

1960 

1980 

2000 

2020 

2040 

2060 

2080 

2100 

Fig. 3.4 – Répar tition de la pr oduction pétr olièr e mondiale par  tr anches de coût d’exploitation, cr oissance  de la demande 3%

28 

Et nous obtenons les données suivantes :  Taux=1,5%  

0­50$ 

Date du pic 

2047 

Indic de choc 

0,68 

Réf=2,43%  

0­50$ 

Date du pic 

2041 

Indic de choc 

1,46 

Taux=2%  

0­50$ 

Date du pic 

2044 

Indic de choc 

1,07 

Taux=3%  

0­50$ 

Date du pic 

2039 

Indic de choc 

2,14 

On  remarque  donc  que  plus  le  taux  de  croissance  de  la  demande  est  faible,  plus  les  pics  sont  retardés.  Ils  oscillent  cependant  entre  2039  et  2047,  et  ont  donc  une  variation  de  faible amplitude.  Faisons à présent l’hypothèse que :  ­  si δ