Le traitement de la douleur par l'hypnose - Psycho-Doc

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Le traitement de la douleur au quotidien

Le traitement de la douleur par l‘hypnose Nicoline Kooger et Alain Forster L‘efficacité antalgique de l‘hypnose est reconnue depuis de nombreuses années en clinique et des études expérimentales récentes, utilisant des méthodes d‘investigations adéquates, le confirment. Bien que les mécanismes d‘actions des effets des suggestions hypnotiques ne soient pas encore élucidés, il est admis que l‘analgésie hypnotique est de nature multifactorielle. L‘hypnose doit être utilisée comme adjuvant thérapeutique dans la prise en charge globale de la douleur par des thérapeutes formés, car elle n‘est pas dénudée d‘effets secondaires ou de complications potentiellement graves. L‘hypnose a souvent été considérée à tort comme une médecine parallèle ou complémentaire, ou une thérapie empreinte de croyances folkloriques et s‘est ainsi trouvée marginalisée des thérapies de la médecine moderne. Or l‘hypnose est pratiquée depuis le 18ème siècle et de nombreux articles relatant son efficacité sont publiés chaque année dans des journaux médicaux, même les plus prestigieux (ex The Lancet [1]).

Le développement de l‘électrophysiologie et l‘avènement du PET scan ont mis en évidence une base neurobiologique de l‘hypnose [2,3]. Malgré l‘absence d‘une méthodologie scientifique exigée (études contrôlées en double aveugle) en raison du caractère purement subjectif de l‘hypnose, sa place est de plus en plus reconnue comme un traitement adjuvant utile. Tous les domaines de la méde-

Sommaire Le traitement de la douleur par l‘hypnose; Nicoline Kooger et Alain Forster ____ 1 Correlations neurologiques de la perception de la douleur______________ 3 Impressum________________________________________________________ 2

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Société suisse pour l‘étude de la douleur

Editorial Bien que l‘on n‘ait pas réussi jusqu‘à présent à mettre en évidence de façon scientifiquement crédible le mécanisme de fonctionnement de l‘hypnose, cette dernière peut – si elle est pratiquée par un thérapeute conscient de ses responsabilités – constituer une option thérapeutique à prendre au sérieux, en particulier dans le traitement adjuvant de la douleur. Il ne s‘agit pas d‘un processus passif d‘«ensorcellement», mais d‘un état de transe engendré par une extrême concentration, semblable à celui auquel il est possible de parvenir grâce à un rituel précis de méditation et de concentration Renate Bonifer

cine peuvent bénéficier de l‘apport de l‘hypnose, qu‘il s‘agisse d‘approche psychothérapeutique, de corrections de troubles fonct-ionnels, d‘amélioration du confort dans des procédures longues et angoissantes (typiquement un examen RMN) ou de maîtriser certaines phobies. Cependant, c‘est surtout dans le traitement de la douleur que l‘hypnose a une place prépondérante. Dr Nicoline Kooger, Cheffe de clinique, Dr Alain Forster, Chef de service adjoint, Division d’anesthésiologie, Département APSIC, Hôpital Cantonal Universitaire de Genève

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Définition Hypnos, dieu du sommeil dans la mythologie grecque et frère de Thanatos, dieu de la mort, suggère à tort que l‘hypnose soit associée à une forme de sommeil. En fait, l‘hypnose est une forme de concentration intense induisant un état de conscience modifié, caractérisé par une réceptivité augmentée à la suggestion [4]. La forme que prend la transe, sa profondeur et son impact dépendent de l‘interaction patient-thérapeute, de la qualité des suggestions émises par le thérapeute, de la motivation et des attentes du sujet, du contexte social et culturel, et peu de son degré d‘hypnotisabilité.

L‘hypnose est un processus actif Elle peut renforcer une volonté propre du patient mais ne peut jamais aller à l‘encontre de celle-ci. C‘est un phénomène naturel qui peut survenir spontanément dans un contexte particulier («highway hypnosis», ou chez un sportif d‘élite en concentration extrême, par ex.). L‘hypnose n‘est pas une thérapie en soi , mais est considérée comme un adjuvant thérapeutique: la détente musculaire (antagoniste

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de l‘anxiété), la modification de la perception de la douleur, de la notion du temps et des organes des sens, l‘augmentation de la suggestibilité, la régression ou la stimulation de l‘imaginaire sont parmi les effets pouvant influencer la prise en charge thérapeutique globale du patient [5].

L‘effet antalgique L‘effet antalgique de l‘hypnose a été clairement démontré par de nombreuses études tant expérimentales que cliniques, mais les mécanismes d‘actions sont peu clairs. Deux hypothèses principales s‘opposent. Pour certains il s‘agit d‘un phénomène purement psychologique (le modèle cognitivocomportemental), où le patient est tout à fait compliant à la suggestion du thérapeute, pour d‘autres d‘un mécanisme biologique. Ces deux hypothèses n‘étant d‘ailleurs pas exclusives [6,7]. La douleur, perception sensorielle et émotionelle désagréable, modulée par de nombreux paramètres cognitifs, socio-culturels et environnementaux, nécessite une prise en charge multi-dimensionelle dont l‘hypnose fait partie. Price et Barber ont démontré dans une ancienne étude expérimentale

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que l‘hypno-analgésie diminuait la composante affective de la douleur («l‘émotion désagréable») de 80% et sa composante sensorielle de 45% [8]. Une étude de Kiernan a mis en évidence l‘effet inhibiteur descendant du cerveau vers la moelle épinière par des suggestions hypnotiques: une diminution du réflexe postsynaptique de RIII*, qui est une façon d‘objectiver le seuil douloureux, chez des volontaires soumis à un stimulus douloureux [9]. Forster et coll. ont confirmé ces résultats en démontrant également que c‘est la qualité des suggestions qui induisent l‘analgésie chez les sujets et non leur degré d‘hypnotisabilité [10].

Correlations neurologiques

L‘imagerie cérébrale fonctionelle a permis des études expérimentales mettant en évidence des activations de certaines parties spécifiques du cerveau lors de l‘hypnose. Dans l‘étude de Rainville [2], ainsi que dans l‘étude de Faymonville *Le reflèxe RIII est un réflex nociceptif, persistant après la transsection de la moelle épinière, qui est déclenché à partir d‘un certain seuil en stimulant le nerf sural et a une corrélation relativement bonne avec l‘échelle visuelle analogue chez les volontaires sains.

Impressum Comité de rédaction: Pr A. Borgeat, Zurich; Pr U.W. Buettner, Aarau; Dr N. de Stoutz, Ayent; Dr M. Felder, PD, Zurich; Dr P. Keel, Bâle, PD; Pr S. Palla, médecine dentaire, Zurich; rédactrice responsable: Renate Bonifer, IMK Institut pour la médecine et la communication SA, Bâle Les noms de marque peuvent être protégés par le droit de marques, même si l‘indication correspondante devait faire défaut. Aucune garantie n‘est donnée en ce qui concerne les

indications relatives à la posologie et à l‘administration de médicaments.

Avec l‘aimable soutien de

Publication en collarboration avec la Société suisse pour l‘étude de la douleur. Editeur: Christian Jäggi, IMK, Bâle Edition: IMK Institut pour la médecine et la communication SA, Münsterberg 1, 4001 Bâle, tél. 061/271 35 51; fax 061/271 33 38; e-mail: [email protected]; http://www.dolor.ch Parution: trimestrielle



© IMK ISSN 1422-0601

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de son symptôme douloureux (financier ou émotionnel) ou si le patient a une attente démesurée de l‘intervention hypnotique (disparition totale d‘une douleur chronique par exemple).

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Une autre cause d‘échec est la mauvaise compréhension des besoins du patient par le thérapeute; la douleur pouvant être un symptôme écran d‘un «mal-être» plus profond (dépression, conflits etc.).

Risques

Corrélations neurologiques de la perception de la douleur Des études par PET scan ont permis de mettre en évidence des corrélations positives entre l‘intensité de ce qui est perçu et l‘activité du gyrus cingulaire postérieur (1), d‘une part, celle de la substance grise périaqueducale/ventriculaire (2), d‘autre part, de même que des corrélations entre les perceptions désagréables ressenties à la suite de la stimulation nociceptive du gyrus cingulaire antérieur (3); d‘après Tölle et coll. [12];coupe transversale schématique du cerveau: Th: thalamus; Amy: amygdales; en rouge: région du gyrus cingulaire.

[3], la modulation hypnotique du désagrément de la douleur chez des volontaires était corrélée à des modifications de l‘activité dans le cortex cingulaire antérieur, sans modifications de l‘activité des autres aires corticales qui sont normalement activées lors de stimulations douloureuses. La signification physiologique de l‘activation du cortex cingulaire lors d‘une suggestion hypnotique pendant une stimulation nociceptive n‘est pas encore élucidée, mais démontre clairement que l‘état hypnotique est différent de l‘état de conscience normale. Ces études pourraient suggérer un processus compétitif, entre la perception de la douleur et une

focalisation de l‘attention ou des suggestions visuelles et/ ou de mémoire obtenu par l‘hypnose [2,3]

La gestion de la douleur par l‘hypnose Une hypnose formelle nécessite l‘intervention d‘un thérapeute formé, qui sélectionne les patients après anamnèse et examen approfondi. Des examens complémentaires sont parfois nécessaires pour confirmer ou infirmer un diagnostic. Le thérapeute doit aussi sélectionner le patient basé sur son profil psychologique: l‘hypnose sera peu efficace chez un patient qui retire consciemment ou inconsciemment un bénéfice secondaire

Il peut être dangereux de pratiquer l‘hypnose dans les cas où elle occulte des symptômes pouvant nécessiter un traitement chirurgical ( une tumeur cérébrale par ex.) ou médicamenteux (une céphalée d‘une méningite). L‘hypnose peut également mener à une complication grave: la décompensation psychotique. Malgré sa nature «non-invasive» elle n‘est donc pas une thérapie douce et nécessite une sélection rigoureuse des sujets avant toute démarche, parfois même une évaluation psychiatrique. Il est également important de connaître le vécu émotionnel du patient, ses souvenirs désagréables et ses phobies, afin de ne pas suggérer des situations angoissantes durant la transe [5,8]. Dans les situations aiguës, tout intervenant peut se trouver face à un patient en état «hypnoïde spontané», difficilement reconnaissable. Dans ce contexte, le thérapeute doit alors être particulièrement attentif au langage utilisé, car tout discours ambigu pourrait induire involontairement des suggestions potentiellement négatives. Le

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thérapeute devrait plutôt aider le patient dans cet état par des suggestions bénéfiques.

Objectifs contractuels L‘hypnose formelle nécessite une approche explicite avec établissement d‘un contrat, fixant des objectifs précis, permettant un consentement éclairé du patient. Le contrat et les objectifs seront différents pour chaque situation clinique. Enfin, l‘apprentissage de l‘autohypnose doit faire partie du contrat afin de rendre le patient plus autonome, plus actif, et de le rendre co-responsable dans le contrôle de ses douleurs.

Douleurs aïgues Les patients présentant des douleurs aigues sont souvent des bons candidats pour une hypno-analgésie. Par exemple, un jeune brûlé, en raison de l‘anxiété générée par la perspective des douleurs lors des changements de pansements ou du stress face aux perspectives de séquelles cicatricielles, serait très réceptif notamment aux suggestions [11] : – anesthésique, en suggérant par exemple un contact avec de l‘eau très froide rendant insensible la partie à débrider – de déplacement de la douleur vers un endroit du corps moins vulnérable – d‘une dissociation de l‘esprit et du corps Chacune de ces techniques peut être utilisée individuellement ou se combiner; la difficulté principale étant de formuler des suggestions

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qui, pour être efficaces, doivent être individualisées pour chaque patient, en fonction du contexte, des antécédents du patient et surtout de son vécu émotionnel.

Douleurs chroniques

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primordial de fixer d‘abord un objectif concret et facilement atteignable afin que le patient prenne conscience de l‘impact de cette approche. Par la suite, les objectifs peuvent être élargis et les résultats prolongés par l‘autohypnose.

Dans le contexte de douleurs chroniques, l‘approche est différente. Prenons l‘exemple d‘un patient très sportif, qui suite à un accident de la voie publique se trouve paraplégique avec des douleurs neurogènes importantes. Ces patients souffrent souvent d‘un état dépressif et ont une attitude négative envers les résultats obtenus par toute intervention thérapeutique, y compris l‘hypnose. Il est alors important de définir clairement les objectifs du contrat: l‘hypnose doit être un moyen d‘accompagnement dans la prise en charge globale du patient, afin qu‘il apprenne à faire face et à mieux gérer son état douloureux («to cope with»). Les buts de l‘hypnose dans cette situation peuvent être: – gérer la colère, aider à faire le deuil de ses compétences sportives – augmenter l‘endurance, la puissance et la souplesse physique – améliorer le traitement de la douleur par des techniques de relaxation, de modification comportementale – diminuer la consommation des médicaments – améliorer le sommeil – augmenter la confiance dans la capacité d‘assumer sa situation – favoriser le retour au travail Dans la douleur chronique, il est

Bibliographie:

1. Larkin M: Hypnosis makes headway in the clinic. The Lancet (353): 386, 1999 2. Rainville P, Hofbauer RK, Paus T, Duncan GH, Bushnell MC, Price DD: Cerebral mechanisms of hypnotic induction and suggestion. J Cogn Neurosci (11):110-125, 1999 3. Faymonville ME, Laureys S, Degueldre C, Del Fiore G, Luxen A, Franck G., Lamy M, Maquet P: Neural Mechanisms of Antinoceptive Effects of Hypnosis. Anesthesiology (92):1257-1267, 2000 4. Raz A, Shapiro T: Hypnosis and Neurodcience. Arch Gen Psychiatry (59): 85-90, 2002 5. Bourgeois Ph, Chamaa T, Forster A, Piguet V : La prise en charge de la douleur par l’hypnose: expérience su groupe d’hypnose des Hôpitaux universitaires de Genève. Médecine & Hygiène (59):1583-1589, 2001 6. Spanos NP: Hypnotic behaviour- A social psychological interruption of amnesia, analgesia and “transe logic”. Behaviour and Brain Science (9):440-449, 1986 7. Price DD, Barber J: A quantitative analysis of factors that contribute to the efficacy of hypnotic analgesia. J. Abnormal Psychology (96): 46-51, 1987 8. Forster A: L’Hypnose en anesthésie. Dans: Nouvelles Techniques en Anesthésie Générale. JEPU, Création Relation Impression: 163-170, 1998 9. Kiernan BD, Dane JR, Philipps LH, Prise DD: Hypnotic analgesia reduces RIII nociceptive reflex: further evidence concerning the multifactorial nature of hypnotic analgesia. Pain (6): 34-42, 1995 10. Forster A, Piguet V, Martensson M, Allaz A-F: Objective assessment of hypnotic suggestions by nociceptive flexion reflex. Congrès annuel de l’ESA (European Society of Anesthesiologist) Paris, 1995 11. Barber J: Hypnotic Analgesia: Clinical Considerations. In: Hypnosis and suggestion in the treatement of pain. First Edition, W.W. Norton &Company: 85-118, 1996 12. Tölle TR et al.: Region-specific encoding of sensory and affective components of pain in the human brain: A positron emission tomography correlation analysis. Ann Neurol 45 (1): 40-47, 1999