Le vote bleu marine au Canada

Marine Le Pen parcourt aujourd'hui les couloirs de l'Assemblée Nationale, en tant que députée. Malgré de grandes attentes, elle n'a pas su amener son parti jusqu'au Palais de l'Élysée, ... Néanmoins, 2234 personnes ont accordé leur confiance à Marine Le Pen à Montréal. ..... nièce de Marine, Marion Maréchal-Le Pen.
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Le vote bleu marine au Canada

La vague bleu marine n’aura jamais atteint les côtes canadiennes. Lors de la dernière élection présidentielle, la chef du parti d’extrême-droite français, le Front National (FN), a été battue par le candidat du mouvement En Marche, Emmanuel Macron. Marine Le Pen parcourt aujourd’hui les couloirs de l’Assemblée Nationale, en tant que députée. Malgré de grandes attentes, elle n’a pas su amener son parti jusqu’au Palais de l’Élysée, haut-lieu de l’exécutif français. Pourtant, 33,9% des Français ont glissé leur bulletin dans l’urne en faveur de la femme en bleu, contre 66,1% pour Emmanuel Macron. À Montréal, le collège Stanislas a vu la foule des grands jours remplir son gymnase dans le quartier Outremont, lors des deux tours que composent l’élection, le 22 avril et le 6 mai 2017. Résultats des courses: le jeune président fraîchement élu a largement dépassé son adversaire. Cette dernière a obtenu seulement 9,45% des suffrages au deuxième tour contre 6,36% au premier, selon les chiffres de l’ambassade de France au Canada. Outre-Atlantique, le suspense ne semblait donc pas vraiment palpable pour les quelque 24000 votants qui se sont déplacés au collège Stanislas. Néanmoins, 2234 personnes ont accordé leur confiance à Marine Le Pen à Montréal. Alors que le parti défend la France des « oubliés », comme elle les appelle, ces électeurs manifestent eux aussi leur désir de voir un changement s’instaurer en France, à l’instar de leurs condisciples restés au pays. Au 4538, avenue Papineau à Montréal, le Lobby Bar arbore les couleurs bleu, blanc, rouge le temps d’une soirée. Nous sommes le 2 avril, à quelques jours du premier tour. Denis Franceskin, le porte-parole du Front National en Amérique du Nord et représentant aux législatives, s’adresse à une quarantaine de militants, sympathisants et curieux. Aucun étudiant n’est présent, la moyenne d’âge se situe aux alentours de 40/50 ans. L’ambiance est détendue, les verres de vin circulent dans une intimité certaine. Amina, installée depuis 25 ans au Canada, prend un selfie devant l’écran qui projette pour le moment la photo de Marine Le Pen. Il y a de la fierté sur son visage. Nicolas, lui, se trouve un peu plus en retrait, adossé au comptoir du bar. Il observe et semble écouter avec attention les conversations autour de lui. Ils sont tous venus ici pour en savoir plus à propos des 144 engagements que Marine Le Pen a couché sur son programme. Un grand espoir mais

aussi de la confiance en leur favorite animent la salle. La fille de l’ancien chef du FN, Jean-Marie Le Pen, est en effet annoncée grande gagnante du premier tour, devant Emmanuel Macron, qualifié par ces électeurs de «  petit gamin, peu compétent et ami de la presse ». Les sondages sont unanimes. Marine Le Pen sera bel et bien présente au second tour. Selon Julien Tourreille, docteur en Sciences Politique à l’UQAM, « la présence de Marine Le Pen au second tour était d’ailleurs l’élément le plus sûr de cette campagne, remplie de rebondissements ». Cette dernière a en effet galvanisé de nombreux électeurs depuis maintenant un an. Elle a bouleversé le paysage politique en dédiabolisant un parti poussiéreux, rangé au placard à cause d’un ADN souvent critiqué pour cause de propos racistes et antisémites. Beaucoup de Français ont alors commencé à se rallier aux idées du FN. Aussi bien en France qu’à l’étranger. N’est-il pas cependant paradoxal de voter pour un parti prônant un protectionnisme marqué, un souverainisme allant de soit, étatiste par excellence alors qu’on se trouve à 6000 kilomètres de chez soi, s’adaptant le plus souvent à un modèle social et économique différent ?

Un sursaut patriotique 
 68700 Français sont inscrits au Consulat général de Montréal en 2017. Une augmentation de 14% par rapport à l’année précédente. Un véritable sursaut citoyen s’est répandu au coeur de la population française; un phénomène qui s’observe également à l’étranger. Denis Franceskin fait remarquer que depuis 2012, « on assiste à un réveil de la part des citoyens; après François Hollande, les attentats, on est assis sur un volcan. Les gens ne sont pas davantage pro-Marine Le Pen mais en tout cas ils sont moins anti-Marine Le Pen ». Preuve que l’ancienne candidate a réussi à se faire une place au coeur du paysage politique français. Nicolas est étudiant en théologie et professeur de Français à Montréal. Il a quitté Strasbourg, ville de l’est de la France, pour rejoindre le Canada en 2009. Il peut tout résumer en cette phrase : « Il y a cette histoire de panache et d’aventure ». Lui qui s’est expatrié veut croire en cette prise de risque qui est de voter pour le FN. Chaque année, comme lui, de plus en plus de Français choisissent de tenter la bonne fortune en terre québécoise. Et ils sont également un nombre important à s’inscrire sur la liste électorale consulaire. À la dernière élection, il était fréquent de voir des électeurs retrouver le chemin des bureaux de vote, comme pour se réconcilier avec leur citoyenneté. De nombreux jeunes se sont aussi mobilisés. Le programme du Front National a dévoilé 144 engagements, aussi bien portants sur la politique économique, sociale, et migratoire. Marine

Le Pen a réservé un programme exclusif pour les Français de l’étranger. Denis Franceskin résume ces points et évoque principalement l’abaissement des charges fiscales ainsi que des frais de scolarité pour ces Français venus s’installer hors de France. Un élément concerne également la bi-nationalité. Si Marine Le Pen était installée à l’Élysée, les futurs expatriés auraient dû faire le choix entre deux nationalités, à l’instar des enfants nés ailleurs que sur le territoire français. Beaucoup d’entre eux ont été séduits, quasiment ensorcelés par le discours de la fille de Jean-Marie Le Pen, moins pour les lignes du programme qui les concernaient directement à l’étranger que pour les engagements annoncés en France. Eux qui avaient depuis longtemps décidé de ne plus voter lors de précédentes élections, ont décidé de donner leur voix pour ce parti. Mais c’est aussi comme si partir faisait devenir davantage Français. « Ce que j’ai découvert ici, c’est que je suis indécrottablement Français. La France a ses défauts mais j’ai découvert un certain amour pour mon pays et ce qu’il faut y préserver  », raconte Nicolas. Amina rejoint également cette idée: «  Plus je vis ici, plus je deviens patriotique. Je me sens plus proche de la France que je ne l’ai jamais été et j’ai l’impression qu’il n’en reste plus rien ». C’est donc la nostalgie d’une certaine France que les électeurs évoquent majoritairement. Mais ils expriment aussi de la lassitude. Julien Tourreille explique d’ailleurs en quoi cette élection a été si surprenante et historique. « Elle a permis de mettre en lumière la manifestation du ras-le-bol des Français. Ils ont voulu éliminer l’élite politique établie depuis un grand nombre d’années. Le contexte actuel a aussi favorisé ce phénomène: insécurité à cause de la menace terroriste et les précédents échecs de la politique économique et sociale. On assiste à une fracture au sein de la société  ». Marine Le Pen a donc surfé sur les inquiétudes des Français en développant un discours anti-immigration fort et protectionniste à l’extrême. Amina est née en Algérie. Son père était turc et sa mère française. Elle a beaucoup vécu, quittant son pays natal dans son enfance pour rejoindre le territoire français. Une fois devenue adulte, elle décide de parcourir le monde, à travers plus de 40 pays. Et pourtant aujourd’hui, alors qu’installée depuis bientôt 25 ans à Montréal, elle ne jure plus que par Marine Le Pen. Elle reconnaît le paradoxe de voter pour le Front National. Ayant obtenu la citoyenneté canadienne, elle préférait délaisser les élections françaises. En octobre dernier, elle décide de revenir en France quelques semaines pour aller rendre visite à sa famille et ses amis. Elle évoque alors un choc. « C’est une France envahie que j’ai retrouvé par des gens qui ne sont malheureusement pas la crème de la crème. Ça ne m’intéresse plus de vivre dans un pays où je ne me sens pas en sécurité. La France est devenue une

passoire ». Utilisant des propos forts, elle dit pourtant à haute voix ce que beaucoup des électeurs du FN pensent tout bas. Cette peur des étrangers et du communautarisme, Marine Le Pen a su en faire un argument capital pour convaincre les électeurs, surtout dans le contexte des attentats survenus en France, de la menace terroriste toujours présente et des tensions communautaires qui résulte de ces évènements. Amina pense alors tout de suite à la chef du Front National, ses paroles faisant écho dans son esprit. Une fois revenue sur le sol canadien, elle décide de s’intéresser de plus près au programme du parti. Elle rencontre sa présidente lors de sa venue à Montréal et est instantanément séduite. Plus d’hésitation alors, Amina ira voter en mai prochain. En offrant un visage plus doux et nuancé, le parti a réussi à convaincre ces Français qui évoquent une crise identitaire sans précédent. Marine Le Pen assure qu’en contrôlant l’immigration, elle rendra à la France une sécurité perdue, malgré les protestations qui l’accuse de développer une idéologie malsaine, reposant sur des bases racistes.

Un système à bout de souffle Il était sur toutes les lèvres. Ce mot. Le système. Il est devenu incontestablement la star de la campagne présidentielle. Le clivage gauche / droite traditionnel en a d’ailleurs pâti puisque même Emmanuel Macron ne se revendique ni de l’un ni de l’autre. Tout comme Marine Le Pen. Lors de ses nombreux discours, elle a également eu recours à ce terme afin de proposer un renouveau, perceptible même de l’étranger. « C’est une vision de la France dans le déclin partagé par de plus en plus de Français qui a permis à Marine Le Pen de monter aussi rapidement  », analyse Julien Tourreille. Pourtant, les Français de l’étranger ne correspondent généralement pas aux caractéristiques des électeurs FN auxquels s’adresse Marine Le Pen. Les « oubliés », comme elle les appelle. Ce sont souvent des ouvriers ou encore des agriculteurs qui estiment avoir perdu toute représentation au sein de l’élite politique française. Interrogé à ce sujet, Denis Franceskin ne veut pas qualifier les expatriés comme étant privilégiés mais plutôt comme « responsables du destin de ceux restés en France qui n’ont pas accès à toutes les opportunités présentes ici. Nous avons un devoir moral de s’occuper des oubliés, des dindons de la farce. Aujourd’hui, nous en sommes arrivés à un point de rupture ». Pour Julien Tourreille, l’attirance de ces Français envers le Front peut s’expliquer par la comparaison faite avec le Québec: «  Ils voient ici une communauté plus homogène et ressentent ainsi une certaine nostalgie en plus d’une contestation de plus en plus forte et assumée  ». L’envie de changer de sys-

tème a le parfum d’un nouveau départ pour bon nombre de ces électeurs qui espèrent retrouver de meilleures conditions de vie. Interrogé à ce sujet, Denis Franceskin réprouve le fait que Marine Le Pen fasse partie elle aussi de ce système : « Elle participe au jeu démocratique et elle est anti-système dans le sens où le système ne veut pas d’elle  ». Il évoque ici les médias et le monde financier et politique classique. Il reconnaît néanmoins que cette «  mauvaise publicité  » finit tout de même par la servir. Un discours qui fait mouche en France, mais ici, il assure que la stratégie est sensiblement différente mis à part le fait de donner la responsabilité aux Français de l’étranger de «  sauver leurs condisciples restés en France ». Il ajoute, « C’est un électorat assez difficile, plutôt libéral de tradition. Il faut réussir à leur montrer une nouvelle alternative ». Sans rentrer dans le détail, il affirme qu’une base solide de militants continuent de suivre le FN en Amérique du Nord. Galvanisés par le Brexit, la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne et l’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis, les électeurs du FN ont gardé la foi jusqu’au 6 mai 2017. Au-delà de la contestation, c’est aussi la cohérence du programme qui a convaincu Amina et Nicolas de voter pour le parti frontiste. Ils tombent d’accord sur de nombreux points sans pour autant les exprimer de la même façon. Nicolas a découvert au sein du Front National un souverainisme séduisant, surtout concernant les enjeux économiques. Il évoque également le contrôle de l’immigration en expliquant qu’il n’a aucun ressentiment envers qui que ce soit mais qu’il craint une montée dangereuse du communautarisme. Son propos reste donc quelque peu nuancé sur l’argument migratoire du Front National. Il réprouve les propos de certains cadres du parti et ne veut pas participer à cet extrémisme. Amina est bien plus tranchée et s’amuse même de quelques-unes des phrases considérées comme outrancières de Jean-Marie Le Pen. « On a honte de dire qu’on veut le bien du peuple français mais la honte, c’est la France en ce moment. Il y en a beaucoup trop qui profitent du système. Marine Le Pen se retrouve en bouc-émissaire alors qu’elle n’a jamais été au pouvoir. C’est à d’autres qu’il faut jeter la pierre », clame-t-elle.

Une défaite attendue Malgré cela, Marine Le Pen a dû rendre les armes. Après plusieurs mois de bataille, Emmanuel Macron a remporté la victoire, laissant un goût un peu amer aux électeurs du Front National. Ils sont persuadés que le parti représente la solution véritable aux problèmes qui rongent aujourd’hui la société française. Pourtant dès le début, Amina et Nico-

las confient qu’ils ne croient pas en la victoire de Marine Le Pen. « Elle passera au second tour, mais jamais elle ne va battre Macron », déclare Amina. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce manque de confiance en leur championne; d’abord, le parti est trop ancré dans son passé. Marine Le Pen doit jongler entre deux camps bien marqués, malgré les apparences, au sein de son parti : le côté plus modéré de Florian Philippot et l’extrême avec la nièce de Marine, Marion Maréchal-Le Pen. À l’instar de plusieurs partis politiques en France, l’homogénéité n’est pas à son comble chez les frontistes qui maintiennent les apparences. Malgré la tentative de dédiabolisation du parti, certains cas isolés continuent de montrer un visage néfaste du FN. Une vraie faiblesse selon Nicolas, pour qui certaines actions, « risquent d’attirer des identitaires ». Ces « boulets » ne sont pas les seuls à barrer le chemin de Marine Le Pen vers la victoire. Pour Julien Tourreille, « elle avait en face d’elle un néophyte qui représente tout ce que le FN veut dénoncer mais il lui manquait, au contraire d’Emmanuel Macron, une véritable stature présidentielle ». Le débat d’entre-deux tours qui réunit les deux derniers candidats a marqué un vrai tournant. Marine Le Pen n’a pas fait forte impression alors que son jeune adversaire a semble-t-il marqué des points grâce à une attitude calme et ferme. Au lendemain du résultat final, Amina ne cache pas sa déception. Elle aussi n’a pas été convaincu pas la candidate lors du débat: « Je trouve qu’elle avait l’air perdue. Elle devrait retenter sa chance dans cinq ans mais si ça ne marche pas, je laisserais tomber à sa place ». Malgré le fait que Marine Le Pen ait tenté de se montrer proche d’une certaine partie de la population, les Français ont toutefois décidé d’accorder leur confiance à Emmanuel Macron. Pas de grande surprise pour Nicolas : « c’était attendu ». Pour Amina, la candidate « faisait trop la riche qui voulait aider les pauvres. Elle fait trop madame ». 
 Mais le FN n’a pas disparu pour autant même s’il se trouve en position de faiblesse aujourd’hui, fracturé par cette campagne présidentielle éreintante. À l’instar d’ailleurs des autres partis traditionnels, comme le Parti Socialiste à gauche et les Républicains à droite, qui ont pâti de la victoire du chef du mouvement En Marche. Julien Tourreille estime qu’ils vont rester néanmoins une force politique importante mais qu’il leur manque une certaine dynamique. « Une partie de l’électorat du FN peut encore changer de positionnement en voyant les résultats du quinquennat de Macron ». Tout repose désormais sur les épaules 


du président jupitérien, comme on le nomme.