les superpouvoirs des cellules souches

humains de s'auto-réparer. Tour d'horizon de pistes prometteuses. TexTe: Julie Zaugg. LES SUPERPOUVOIRS. DES CELLULES SOUCHES de cette fine couche qui agit comme une barrière naturelle entre les vaisseaux sanguins et les photorécepteurs, siège de la vision, explique Matthew. Vincent, l'un des directeurs de.
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Les superpouvoirs des cellules souches La médecine régénérative pourrait permettre un jour aux tissus humains de s’auto-réparer. Tour d’horizon de pistes prometteuses. Texte: Julie Zaugg

cepteurs.» Fin mai, deux mois à peine après l’intervention, l’acuité visuelle de Billy Whitfield était passée de 20/800 à 20/40 (20/20 représente une vision parfaite). Il pouvait à nouveau monter à cheval et même lire des livres.

vec son chapeau de cow-boy, sa moustache tombante et son gilet en cuir, Billy Whitfield ressemble à un rancher modèle. Pendant plusieurs années, cet éleveur de bétail du Kansas ne pouvait plus lire, monter à cheval ou conduire: atteint de dégénérescence maculaire sénile, il avait commencé à perdre sa vision. Tout a changé le 26 mars 2013. Enrôlé dans un essai clinique de phase 1 mené par l’Université de Californie en collaboration avec la firme Advanced Cell Technology (ACT), il a reçu ce jour-là une injection de cellules de la couche externe pigmentée de la rétine, dérivées de cellules souches.

de cette fine couche qui agit comme une barrière naturelle entre les vaisseaux sanguins et les photorécepteurs, siège de la vision, explique Matthew Vincent, l’un des directeurs de ACT. Notre méthode permet de les remplacer et donc de rétablir la fonction des photoré-

Une cellule souche, c’est quoi? Il s’agit d’une cellule «indifférenciée», c’est-à-dire qui ne s’est pas encore spécialisée en cellule de peau, d’os ou de tout autre organe. Si elle est d’origine embryonnaire, elle pourra se transformer en n’importe quel tissu ou organe (on dit qu’elle est pluripotente). Si, au contraire, elle est d’origine adulte, elle ne deviendra que ce pour quoi elle est programmée. Depuis 2007, une technique permet toutefois de rendre pluripotentes les cellules adultes.

«La dégénérescence maculaire provoque une détérioration CORPORE SANO

«Nous avons traité une trentaine de patients de cette façon, indique Matthew Vincent. Chez plus de la moitié d’entre eux, dont Billy Whitfield, nous avons constaté une amélioration de la vision, modeste pour certains, spectaculaire pour d’autres.» A terme, ACT espère pouvoir remplacer également les cellules détruites par d’autres maladies de l’œil, comme le glaucome ou la rétinite pigmentaire.

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Déposée au sommet d’une aiguille, cette cellule souche d’origine embryonnaire est pluripotente: elle peut engendrer la plupart des types de cellules de l’organisme selon le type de signal biochimique qu’elle reçoit.

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STEVE GSCHMEISSNER / SCIENCE PHOTO LIBRARY

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Les thérapies à base de cellules souches sont en train de révolutionner la médecine régénérative. «Aujourd’hui, nous nous contentons de gérer les dégâts cellulaires provoqués par une maladie, relève le Dr Deepak Srivastava, l’un des directeurs de la Société internationale pour la recherche sur les cellules souches (ISSCR) à Skokie, dans l’Illinois (USA). A l’avenir, nous pourrons carrément remplacer le matériel abîmé par de nouvelles cellules et régénérer ainsi des tissus et des organes entiers.» De la paralysie à l’infarctus

Martin Marsala, professeur de biomédecine à l’Université de San Diego, s’est intéressé aux propriétés réparatrices des cellules souches sur la moelle épinière. Il a testé la méthode sur des rats et s’apprête à commencer son premier essai clinique sur huit humains paralysés. «Lors des tests sur les animaux, les cellules injectées ont créé des connexions avec les cellules hôtes, détaille-til. Les cellules souches ont aussi rempli complètement la cavité créée par la blessure.» Martin Marsala refuse d’évoquer la possibilité de faire remarcher un jour ses patients. Il a néanmoins constaté chez les rats «une réduction de spasticité (mouvement involontaire des muscles, ndlr) et une légère amélioration des fonctions motrices dans les pattes». Le professeur Marsala n’est pas seul dans sa quête. Un peu CORPORE SANO

partout dans le monde, des chercheurs ont commencé à exploiter les capacités régénératrices des cellules souches pour guérir des maladies aussi diverses que le diabète, la maladie d’Alzheimer, la surdité, les attaques cérébrales, la sclérose en plaques ou l’arthrose. En Suisse, Thierry Pedrazzini, directeur de l’Unité de cardiologie expérimentale du CHUV, cherche à activer, in situ, les cellules souches qui se trouvent dans le cœur pour qu’elles réparent les tissus nécrosés suite à un infarctus. «Nous nous inspirons des mécanismes utilisés par la peau ou le système intestinal pour se régénérer», détaillet-il. Sa collègue aux Hôpitaux universitaires de Genève, Marisa Jaconi, développe pour sa part un patch cardiaque à base de cellules souches cultivées en 3D dans une biomatrice. «Cela facilite leur implantation», précise la chercheuse. Pour l’heure, les deux méthodes n’ont été testées que sur les animaux. L’équipe de Marisa Jaconi s’apprête également à produire des cellules souches périvasculaires (à la périphérie des vaisseaux). Celles-ci ont déjà permis à des chercheurs milanais de traiter cinq enfants atteints de dystrophie musculaire. Les résultats de cet essai clinique sont attendus prochainement. Une banque de cellules souches provenant de fœtus avortés pour créer des pansements de peau destinés aux grands brûlés a également été mise sur pied au INNOVATION

CHUV. L’espoir placé dans les recherches sur les cellules souches est tel qu’un Institut suisse de la thérapie cellulaire a été créé en 2010, dans le but de fédérer et de soutenir ces différents efforts. Débat éthique

Au-delà de ces promesses, un point clé reste problématique: la provenance des cellules souches (voir illustration ci-contre). Les cellules embryonnaires ont l’avantage d’être pluripotentes, contrairement aux cellules adultes, mais sont interdites dans plusieurs pays pour des raisons éthiques. «Dans certains pays, comme l’Allemagne, l’Autriche, l’Irlande, l’Italie, le Portugal, la Pologne ou le Japon, leur usage est carrément interdit ou soumis à des règles très strictes», note Martin Marsala. En Suisse, la Loi relative à la recherche sur les cellules souches autorise leur prélèvement à des fins de recherche. Mais, en pratique, il n’y en a presque pas, puisque la Loi sur la procréation médicalement assistée exige qu’on évite de produire des embryons surnuméraires. Une innovation, survenue en 2007 simultanément à l’Université du Wisconsin et de Kyoto, semblait pour voir rendre ces questions obsolètes. «On est parvenu à produire des cellules souches pluripotentes à partir de cellules adultes, qu’on a reprogrammées pour qu’elles retournent à cet état initial», explique Bob Palay, le CEO de Cellular Dynamics, une entre-

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Embryon Les cellules souches embryonnaires, qui peuvent se différencier en n’importe quelle cellule du corps, sont prélevées sur des embryons surnuméraires issus de la fécondation in vitro. Ces derniers sont détruits pendant la procédure, ce qui pose un problème éthique. Mais une découverte récente pourrait y remédier: des chercheurs suédois ont réussi à obtenir des cellules souches sans compromettre la viabilité de l’embryon.

Cordon ombilical Le sang du cordon ombilical est congelé à la naissance. Plus tard, des cellules souches sanguines peuvent en être extraites pour traiter des maladies du sang comme des leucémies, avec des risques de rejet limités. En revanche, on ne peut pas s’en servir pour guérir d’autres types de maladies pour le moment. D’un point de vue éthique et légal, ces cellules bénéficient d’un statut plus ouvert que les cellules souches embryonnaires.

prise qui s’est spécialisée dans la fabrication de ces cellules souches pluripotentes induites (iPS). Concrètement, la procédure consiste à injecter au sein de ces cellules adultes un cocktail de gènes normalement présent dans les cellules souches. Cela provoque la répression des gènes associés à la spécialisation cellulaire et les fait retourner à un état pluripotent, caractéristique du stade embryonnaire. Elles présentent les mêmes avantages que celles issues d’embryons, mais échappent aux controverses éthiques entourant ces dernières et, une fois différenciées, ne risquent pas non plus de provoquer une CORPORE SANO

Cellules souches pluripotentes induites Une cellule de peau, de sang ou d’un autre organe prélevée sur le patient est reprogrammée génétiquement en cellule souche capable de se différencier en n’importe quelle cellule du corps. Cette technique permet de contourner les questions éthiques liées aux cellules souches embryonnaires, mais en raison de leur découverte récente, il manque encore de recul quant à la sécurité de leur utilisation.

réaction de rejet chez le patient, puisqu’elles sont produites à partir de son propre matériel biologique (en général de la peau ou un échantillon de sang). Elles seront utilisées pour la première fois en 2014 à Kobe dans le cadre d’un essai clinique portant sur six patients affectés de dégénérescence maculaire. Malgré leurs promesses, les iPS ne sont cependant pas exemptes de risques. «Elles sont censées se comporter exactement comme les cellules souches embryonnaires, mais ce n’est pas toujours le cas, relève Matthew Vincent. Passablement instables, elles ont tendance à vouloir retourner à leur état INNOVATION

Cellules souches adultes Partout dans le corps, des cellules souches participent au renouvellement naturel des tissus. On peut en prélever chez un patient, notamment à partir de sa moelle osseuse ou de sa graisse. Ces cellules souches peuvent seulement régénérer certains tissus, car on ne peut pas les diriger dans tous les types cellulaires. Comme elles sont prises chez le patient directement, elles ne présentent pas de risque de rejet.

précédent (une cellule de peau, par exemple, ndlr).» Ce n’est pas tout. «La recherche a montré que les iPS peuvent provoquer des tumeurs, surtout lorsqu’elles ne sont pas complètement différenciées», indique Lee Ann Laurent-Applegate, spécialiste de la régénération de la peau et directrice de l’Unité de thérapie cellulaire du CHUV. Thierry Pedrazzini pense néanmoins que «si on apprend à maîtriser leur processus de différenciation, les iPS finiront par s’imposer». Faciles à prélever, disponibles en quantités illimitées et exemptes de considérations éthiques, elles ont toutes les cartes en main pour devenir incontournables. ⁄

infographie: La tigre

La provenance des cellules souches