L'eSPORT DANS LA COUR DES GRANDS

de foot ou d'autre sport et que nous ne puissions en .... en Australie, Allemagne, Pologne, Angleterre, et ..... Championnat de football sur console de jeu,.
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D O S S I E R : L’e S P O R T D A N S L A C O U R D E S G R A N D S

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L’eSport

Dans la cour des grands « L’eSport, c’est comme dans Matrix, une fois qu’on a pris la pilule rouge, on le voit partout », sourit Diego Buñuel, directeur des documentaires, producteur de Game Fever, documentaire plongeant dans les Arénas en Corée du Sud et le star system des joueurs professionnels. Née dans les années 1990 en Corée du Sud, la compétition de jeux vidéo en ligne et en multi-joueurs, ou eSport, y est structuré depuis quinze ans. Cette pratique a le vent en poupe en France depuis une paire d’années. Médias, annonceurs, marques se ruent sur ce nouvel eldorado, « découvrant » ces compétitions de jeux vidéo, amatrices ou professionnelles. Gain de visibilité et de sympathie pour les marques, productions d’émissions TV bien moins chères que celles consacrées aux sports traditionnels, positionnement des grands acteurs des médias sur la cible des Millennials… l’eSport est enfin partout et les experts (joueurs professionnels, analystes, coachs, commentateurs, etc.) qui œuvrent dans l’ombre récoltent le fruit de dix ans d’un développement discret. Par Emma Mahoudeau-Deleva

L’eSport n’est pourtant pas né ex-nihilo. « C’est un sujet à la mode. En fait, les compétitions de jeux vidéo existent pratiquement depuis la naissance même des jeux ! Dans les années 80, les championnats du monde de Space Invader aux États-Unis remplissaient des hangars et la dotation atteignait déjà les 10 000 dollars », explique Cédric Page, directeur général gaming chez Webedia, initiateur dès 2002 de Millenium, une structure dédiée à l’eSport. Si les championnats du monde du jeu vidéo remplissaient déjà Bercy en 2006, la popularité de l’eSport s’est accélérée grâce à l’essor de la vidéo en ligne dès 2011-2012, éveillant du coup les appétits des annonceurs et la curiosité des médias, en mal d’audience jeune. Avec un versant professionnel très comparable à celui des sports traditionnels (joueurs professionnels, analystes, commentateurs spécialisés, etc.), des tournois ou des shows portés par des marques (Samsung, Intel, Coca-Cola), l’eSport tient de l’événementiel et réunit dans son histoire les piliers incontournables que sont les organisateurs de tournois. Et comme tout sport, le versant amateur est aussi extrêmement important. S’il est pourvoyeur de talents, il est surtout composé de tous les fans qui lui permettent d’avoir une existence économique viable. L’eSport a en effet cette particularité, reflet de son aspect digital : il a « pris vie » grâce à ses communautés, elles-mêmes structurées autour d’un jeu ou d’un tournoi. « J’ai vécu l’eSport du temps de l’entre-soi. On se disait alors qu’il n’y avait pas de raison qu’il existe des communautés de foot ou d’autre sport et que nous ne puissions en créer une autour des jeux qui nous passionnaient. Aujourd’hui, nous sommes dans un modèle où l’on s’apparente à celui du sport traditionnel ou du spectacle », ajoute Cédric Page. Ces communautés se retrouvent autour de nouveaux influenceurs que sont les joueurs professionnels. Animer ces millions de fans est d’ailleurs l’une des parties importantes du travail du joueur professionnel  ; il se doit à ses admirateurs et garde le lien via les réseaux sociaux. « En 2010, les Coréens estimaient que la France avait dix ans de retard dans l’eSport ! Nous avons aujourd’hui une base de sociétés, dotée de réelles expertises. Elles génèrent des revenus et sont dirigées par des personnes qui connaissent leur sujet. L’eSport a été fortement crédibilisé grâce au

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Page de gauche : Jumpy, coach de l’équipe Lol de Fnatic.

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© Fnatic

© Millenium

Un eSport politiquement correct

L’équipe League of Legends Master Series (LMS), en plein match de LOL, pendant le tournoi All-Star 2016 (Barcelone).

rapport parlementaire du sénateur Jérôme Durain et du député Rudy Salles, accompagné d’une importante campagne médiatique », souligne Samy Ouerfelli, directeur général en France de l’Electronic Sports League (ESL, Turtle Entertainment), une des sociétés phares du marché de l’eSport. En France, grâce à un lobbying intelligent porté par les professionnels de l’eSport (regroupés depuis avril 2016 au sein de l’association France eSports) et le syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL), le jeu vidéo et sa pratique professionnelle sont dorénavant inscrits dans la Loi pour la République numérique (article 42), votée le 25 novembre 2016. En créant un statut de joueur professionnel, encadrant juridiquement leurs contrats, les professionnels de l’eSport entrent dans une nouvelle ère. Cette étape rassure les néophytes et les investisseurs, tout en intégrant socialement les loisirs numériques des citoyens « digital natives », les très convoités Millennials.

Monétiser à tout prix un contenu diffusé gratuitement

Près d’un internaute sur deux de plus de 15 ans a entendu parler de l’eSport au cours de décembre

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2016 selon Médiamétrie. L’amateur-type est un homme entre 15 et 34 ans, de classe moyenne/ supérieure. Plus d’un quart de ces internautes (26,9  %) déclarent d’ailleurs vouloir suivre une compétition d’eSport. Ce taux de participation atteint même 44,2 %, chez les hommes de 15 à 34 ans. La France reste encore en retrait par rapport au reste du monde, les revenus de l’eSport étant estimés à 30-40 millions d’euros en 2016 en France. Selon Newzoo, spécialiste des datas en jeu vidéo, le marché de l’eSport mondial pèserait 493 millions de dollars en 2016, affichant une croissance de 52 % par rapport à l’an dernier et atteindrait 1,1 milliard de dollars d’ici à 2019. Avec 148 millions d’amateurs d’eSport et 144 millions d’occasionnels dans le monde, son audience fait rêver. Ses contenus sont diffusés sur des plates-formes dédiées aux jeux en réseau, dont Twitch, rachetée par Amazon en avril 2014 pour 970 millions de dollars. Le nerf de la guerre de l’eSport tient en un mot : monétisation. « Nous devons trouver un modèle économique, pour que l’eSport, dans tous ses états, soit rentable », indique Samy Ouerfelli. Plusieurs acteurs sont en jeu avec des places >>> magazine #20 JANVIER FÉVRIER 2017

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dorénavant bien définies. Si elles cumulent parfois les activités, la maturation du marché de l’eSport a entraîné de nouvelles alliances et une contraction autour du produit-phare qu’est le jeu vidéo, la licence. « La spécificité de l’eSport est que l’éditeur du jeu vidéo est propriétaire du terrain de jeu, il est l’ayant-droit », ajoute-t-il. Cette spécificité est aussi l’un des éléments structurants de l’eSport, il varie selon le niveau d’engagement et de contrôle de ces ayants droit. L’éditeur Riot Games, éditeur de League of Legend (LOL), un des mastodontes de l’eSport contrôle tout, validant toutes les compétitions officielles de LOL sur le circuit mondial, mais aussi le choix des joueurs. Ils éditent, fabriquent et diffusent les contenus sur leur site. « C’est l’objectif à terme pour tous les éditeurs. D’autres s’appuient sur des organismes comme l’ESL ou l’ESWC (Electronic Sports World Cup), qui organisent des événements indépendants et diffusent des contenus sur leur site. Ce sont les deux types de modèle qui existent », explique Jérémy Somville, chef de produit chez Ubisoft. L’éditeur français revient à l’eSport avec Rainbow 6, un jeu spécifiquement pensé et développé pour la compétition. Il s’appuie sur l’ESL avec qui il a développé une compétition, composée de trois saisons, dotée entre 75 000 et 100 000 dollars. Sur Just Dance, Ubisoft s’est allié à l’ESWC (Webedia), une autre société spécialisée dans l’eSport.

© Orange

L’explosion du streaming…

L’eSport réunit un important nombre de fans dans les salons venus voir les joueurs professionnels s’affronter pendant les tournois organisés notamment par les sponsors tels que Orange, partenaire officiel de la eLigue 1.

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« Depuis que des sponsors s’y intéressent, cela permet plus d’événements, avec plus de moyens, des équipes qui se professionnalisent, plus de spectacle. Le streaming génère aussi ses revenus propres via des pré-rolls et autres publicités, rendant ce modèle économique rentable », souligne Cédric Page de Webedia. Lors des tournois réunissant sur site des milliers d’amateurs, le streaming est incontournable. « Personne n’imagine de faire un gros événement sans le streamer. Même quand la compétition se déroule hors ligne, si elle dure 20 heures, elle va être intégralement broadcastée sur une TV digitale », ajoute Samy Ouerfelli d’ESL. Grâce au développement d’Internet, l’eSport est passé des compétitions où les joueurs se rencontrent physiquement, à des affrontements avec un public restreint d’invités dans des studios à l’instar des six studios d’ESL, dont le dernier, situé à Ivry-surSeine, a été ouvert en novembre 2016. ESL a une implantation internationale solide avec un studio en Australie, Allemagne, Pologne, Angleterre, et deux aux États-Unis. Si l’ADN du groupe se situe dans l’organisation de tournois sur internet, via ESL Play, au fur et à mesure, il s’est spécialisé dans la diffusion en ligne répondant à l’essor des plates-formes de diffusion en ligne. « Notre objectif n’est pas, dans nos studios, de créer une Arena avec des places que nous vendrons en ticketing. Nous récompensons ici nos communautés, qui nous suivent sur les réseaux sociaux, sur notre webTV. Ils pourront gagner des places afin de suivre des compétitions, rencontrer les joueurs, etc. Ces communautés sont fondamentales, elles permettent à notre business de se pérenniser. Ces espaces vont aussi accueillir des invités pour nos partenaires, pour des événements comme la Ligue nationale en partenariat avec Vivendi. C’est >>>

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TWITCH : « un véritable réseau social pour la génération gaming »

@Fnatic

Racheté par Amazon en 2014 pour 970 millions de dollars, la plate-forme vidéo Twitch est le passage incontournable des amateurs d’eSport. Nouvellement implantée en France, elle a choisi de confier sa régie publicitaire à TF1 Publicité. Présentation de ce phénomène en ligne par Geoffrey De Bie, en charge des partenariats-Twitch (régions Europe Moyen-Orient et Afrique). Quel est le modèle économique de Twitch ? Nous générons principalement des revenus via des annonceurs et les abonnements aux chaînes. Comment voyez-vous l’évolution de l’eSport depuis une dizaine d’années ? La plus grande évolution de l’eSport tient à la diffusion en direct à une audience mondiale. Avant Twitch, toutes les différentes communautés d’eSport étaient localisées et fragmentées. Twitch a réussi à mettre ce phénomène sous le feu des projecteurs, ce qui a attiré plus de gens à regarder et à s’impliquer dans l’industrie. Comment travaillez-vous avec les éditeurs, les sponsors, le marché de l’eSport ? Nous avons des relations différentes avec chaque éditeur. Nous aidons certains à produire leur contenu, comme le Rocket League Championship Series, la Ligue Vainglory, le Capcom Pro Tour. Pour d’autres, notre implication se limite à simplement promouvoir le jeu sur notre site. Notre but est de proposer une plate-forme et une destination pour toute personne intéressée par le gaming ou les arts créatifs et de les connecter. Twitch représente l’écosystème entier du jeu vidéo, à travers les plus gros éditeurs, développeurs, médias, conventions et organisations esportives ainsi que les simples joueurs, dont certains, suivis par de nombreux fans, sont devenus de vraies célébrités. Quand avez-vous décidé de donner une place importante à l’eSport ? Comment avez-vous bâti vos communautés ? Quelle est la stratégie mondiale de Twitch ? Dès le lancement de Twitch, l’accent a été mis sur la communauté eSport. Nous avons rencontré beaucoup d’équipes et de joueurs et c’est avec eux que nous avons pu déterminer de quels outils ils avaient besoin pour réussir et comment construire notre plate-forme. Quel est, selon vous, l’avenir du eSport ? L’arrivée de nouveaux jeux axés sur l’aspect compétitif et le développement des titres existants, le développement d’une structure dans leurs communautés avec la création des ligues officielles et des tournois. Quelle est l’audience de Twitch en 2016 ? Twitch compte plus de deux millions de streamers chaque mois et de près de 10 millions d’utilisateurs actifs quotidiens qui passent chacun, en moyenne, 106 minutes par jour sur notre site. Comment définiriez-vous Twitch ? Twitch est une plate-forme de streaming en direct et de VOD axée sur les communautés et le jeu vidéo. Elle permet à ses spectateurs d’interagir avec les streamers en temps réel grâce au chat, ce qui leur offre l’opportunité de rencontrer d’autres personnes facilement et de partager leurs passions. La force de Twitch réside non seulement dans sa communauté et ses fonctionnalités créatives qui en font un véritable réseau social pour la génération gaming, mais aussi dans ses fonctionnalités de monétisation qui permettent aux streamers de vivre de leur passion sur notre plate-forme. Lorsque nous concevons de nouvelles fonctionnalités, nous nous posons toujours la question de savoir si elles vont pouvoir servir de tremplin à nos créateurs. Nous pensons toujours à eux en premier, et grâce à cela nous avons pu développer un lien unique avec notre communauté.

A Katowice en Pologne, lors de la finale de l’Intel Extreme Masters, organisée par ESL, près de 113 000 spectateurs ont assisté à cette grand’messe de l’eSport où l’équipe Fnatic s’est classée en seconde position sur LOL.

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eSport reports aux 1,6 milliard d’utilisateurs Facebook.

… et l’avènement des grands shows

Si l’un des pans importants du marché de l’eSport est sans nul doute le streaming, les sociétés les plus solides dans ce domaine en France, ESL et Webedia suivent deux stratégies. ESL réalise plus de 300 événements à l’année dans le monde entier, dont une centaine offline, les autres étant des événements mixtes : soit réalisés en studio et diffusés sur Internet, soit en salon et toujours diffusés en ligne. Dès les années 2006-2007, l’eSport a en effet pris de plus en plus d’ampleur dans les salons gaming comme la Paris Games Week. « Au début, nous arrivions en salon, nous montions un stand pour un client et nous y proposions des animations. Rapidement, nous avons commencé à avoir une scène avec un show de quelques heures, puis des jours. Nous avons alors appris à le scénariser, le scripter, comme n’importe quel show télévisé », détaille Samy Ouerfelli. Do-

rénavant, la mise en scène s’affine et s’affirme, elle est aux couleurs de la compétition, du jeu, ou en marque blanche. Ainsi, bouclent-ils la boucle avec le digital : Teaser en amont de la compétition, importante campagne médiatique sur les réseaux sociaux en intégrant les communautés à la communication. Tous les éléments créés, vidéos, photos, etc. permettent à l’ESL de faire vivre la compétition, même quand celle-ci est terminée, sur les réseaux sociaux pendant plusieurs mois. Si leur métier premier est l’organisation de tournois, ESL et ESWC ont peu à peu créé des saisons de compétitions à l’instar des tournois ATP, permettant de répondre aux besoins de leurs communautés. L’ESL est à l’origine de tournois sous sa bannière de l’ESL One (une compétition avec un seul jeu en Europe, Asie et États-Unis) ou d’autres portés par une marque à l’instar des Intel Xtreme Masters, son événement le plus regardé avec pas moins de 24 millions de spectateurs en ligne et 113 000 sur site ! Selon Newzoo, spécialisé dans les data de jeux vidéo, 112 tournois ont été

NETWORKING

CANNES ACCUEILLE L’ESPORTS BAR DU 15 AU 17 FÉVRIER 2017 « Depuis deux ans, j’ai vu apparaître le marché de l’eSport et senti que ses acteurs voulaient élargir leurs horizons. C’est le but de l’ eSports BAR », explique Stéphane Gambetta, directeur stratégie et nouveaux développements de la division Entertainment de Reed Midem (MIPTV, MIPCOM, Midem, etc.), organisateur de la première édition de l’eSports BAR, qui se déroule à Cannes, du 15 au 17 février 2017. « Le modèle économique de l’eSport est proche de celui des sports de haut niveau (vente de tickets, sponsoring, droits médias, etc.) », précise-t-il. L’ eSports BAR est conçu sur le modèle du networking convivial, agrémenté de rendez-vous pris en amont et en face à face. « Nous avons voulu, avec ce rendez-vous, créer un événement très qualitatif, en nous appuyant sur une “Advisory Team” composée de professionnels de l’eSport reconnus. Notre rôle est d’être un facilitateur de rencontres entre ce marché qui existe depuis une dizaine d’années et de nouveaux acteurs : médias traditionnels, marques, sponsors… », conclut Stéphane Gambetta. http://www.the-esports-bar.com/

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un grand saut pour ESL en France », souligne Samy Ouerfelli. Même constat à l’eSport Arena chez Webedia, inauguré en octobre 2015. « Cette Arena, majoritairement dédiée à capturer des images que l’on diffuse sur Internet, peut aussi accueillir des compétitions. Nous organisons régulièrement des compétitions pour nos partenaires. En 2016, elles sont au nombre de 80 », précise Cédric Page, indiquant que l’Arena n’est pas uniquement dédiée au eSport, Webedia étant aussi en charge de Mixicom, la régie publicitaire des youtubers Cyprien, Norman et Squeezie. Si ce streaming est décorrélé des compétitions, il est diffusé en continu sur des webTV (Ogaming, Eclypsia, Millenium TV, ESL TV, etc.). Celles-ci commentent en permanence ce qui se passe sur le web, leurs propres compétitions ou celles des éditeurs auxquels elles sont affiliées. « Ce sont des commentateurs spécialisés (“casteurs”) qui paient les contenus ou les créent en streamant les parties qu’ils (“streamers”) jouent au quotidien. Ils alimentent ainsi une grille de programmes, un flux de divertissement 24 h sur 24 h », explique Samy Ouerfelli. Ces chaînes gratuites sont bâties sur un modèle freemium, les commentateurs étant rémunérés par les internautes qui les apprécient, au gré de leur popularité ! La plate-forme Twitch a opté pour un mini abonnement, de moins de 5 dollars, qui rémunère les plus gros streamers. Preuve de l’importance du streaming, Activision Blizzard Media Networks (ABMN), une division d’Activision Blizzard, pionnier dans l’eSport avec Starcraft et éditeur de Call of Duty, a annoncé en mai dernier la création de sa propre plate-forme de diffusion, MLG.tv et la signature d’un partenariat avec Facebook, pour que MLG.tv diffuse des compétitions en direct et propose le programme

Portes ouvertes du Millenium eSport Club, le 16 novembre 2016. Les fans rencontrent l’équipe de Hearthstone. Preuve que le monde de l’eSport est en ébullition, elle a depuis annoncé son départ de Millenium et rejoint Rémy Chanson, un ancien de Webedia, pour raviver une ancienne équipe, l’armaTeam.

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organisés dans le monde, affichant des revenus issus des ventes de tickets de l’ordre de 21 millions de dollars en 2015. De son côté, Webedia consolide depuis un an sa domination sur le marché de l’eSport en France : gestion de l’équipe du PSG eSport Club, production des deux émissions hebdomadaires pour beIN SPORTS, rachat de Millenium (une équipe de gamers professionnels et une webTV), du site éditorial jeuxvideo.com, de l’agence de talents (commentateurs, grands influenceurs, progamers, etc.) Bang Bang Management et de la société Oxent, propriétaire de la marque ESWC, agence d’événementielle, organisatrice de tournois. «  Nous nouons généralement un partenariat classique de commercialisation avec l’éditeur de jeux, la monétisation de l’événement se fait via du sponsoring et la vente de tickets. Notre prochain show se déroule du 17 au 19 février 2017 à Paris », précise Cédric Page. Si ces championnats attirent autant les amateurs d’eSport, les gains récoltés par les équipes gagnantes sont aussi de plus en plus significatifs. Pas moins de 61 millions de dollars ont ainsi été décernés lors des tournois organisés en 2015 indique Newzoo, constatant une hausse de 70 % par rapport à 2014. Lors de l’ESL One (Cologne), la somme à partager entre les joueurs atteignait le million de dollars. « Avant, le plaisir était dans le fait de jouer, maintenant les internautes prennent du plaisir à visionner des joueurs, et aussi à aller les voir en vrai. Les finales des LCS (League of Legends Championship Series) en Allemagne sont, au niveau du spectacle, comparables à une finale de match de foot. Ce sont les mêmes productions qu’un concert, c’est étonnant. Cela peut venir assez vite en France, les salles s’y prêteront davantage. L’AccorHôtel Arena ou la Uarena, qui est en train d’être construite à la Défense, seront des endroits où tout sera techniquement possible et où l’on pourra mettre en place ce type d’événement », souligne Stéphane Tardivel, directeur sponsoring, partenariats, événementiel d’Orange France. Investir dans l’eSport tient de la stratégie d’exposition de marque payante, comme l’indiquent les tournois soutenus par de grandes marques comme Coca-Cola ou Red Bull. D’autres, comme Orange, ont choisi de se positionner en tant qu’équipementier à l’instar de Acer (matériel informatique), Sandisk (mémoire) ou des marques de casque créées par d’anciens joueurs d’eSport professionnels ! Orange, déjà sponsor de l’équipe Millenium (Webedia), a décroché le gros lot le 5 janvier 2017, en devenant le principal annonceur de la e-Ligue 1, renommée Orange e-Ligue 1. « La marque Orange commencera à s’afficher lors de la finale nationale du Tournoi d’Hiver qui se déroulera à Paris les 14 et 15 janvier 2017 et prendra une part active dans la promotion du Tournoi de Printemps », précise la Ligue professionnelle de football (LFP). L’eSport serait-il la nouvelle poule aux œufs d’or des marques ? « Il faut garder la tête froide. Nous pensons que l’eSport est là pour durer, nous n’en sommes aux prémices. Cette stratégie autour de l’eSport est un des pans de la stratégie d’Orange autour de la fibre, l’eSport vient parfaitement illustrer cette promesse auprès d’un public plus jeune », précise le directeur sponsoring d’Orange. >>> magazine #20 JANVIER FÉVRIER 2017

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MONDIALISATION

FNATIC : « l’eSport est potentiellement l’unique sport mondial » Capter les Millennials : TF1 mise sur le digital

Aux États-Unis, des chaînes TV comme ESPN ou TBS diffusent régulièrement des compétitions tandis qu’aux Philippines, des tournois sont proposés en prime-time avec des diffusions pouvant durer plus de 12 heures consécutives (Eurodata TV Worldwide). Si les chaînes françaises de télévision proposent de plus en plus de compétitions de jeux vidéo, c’est encore embryonnaire. En 2016, sept chaînes ont diffusé des programmes sur l’eSport, contre seulement deux en 2014 (Médiamétrie). Plusieurs voies sont explorées : l’Équipe 21 en France a été une des premières à s’intéresser à l’eSport, diffusant dès janvier 2016 son propre Championnat de football sur console de jeu, l’e-Football League. Depuis, TF1 et les chaînes de sport Premium ont mis le pied sur ce nouveau terrain, porteur de revenus publicitaires et grand vivier de spectateurs potentiels. Si les stratégies d’approche sont différentes, le but est le même : capter l’attention des Millennials. C’est sur le web que TF1 a choisi de se positionner. Après avoir conquis la cible féminine des 15-24 ans via la régie publicitaire du MCN Finder, le groupe TF1 a massivement investi l’eSport, en s’appuyant sur deux leviers : son expertise, sa force de frappe publicitaire et sa plateforme MyTF1 Xtra. « Nous avons voulu aborder la cible masculine des 15-34 ans en nous rapprochant de Twitch, la plate-forme de gaming la plus puissante au monde qui progresse chaque année de 40 % en termes d’audience. Les internautes qui consomment du Twitch passent un peu plus de huit heures par mois dessus ! C’est quatre fois plus que sur YouTube. En s’associant avec TF1 Publicité, ils étaient garantis d’avoir un volume d’affaires », explique Jean-François Ruhlmann, directeur digital de TF1 Publicité. Si l’accès aux contenus est gratuit, TF1 Publicité adapte ces formats publicitaires, travaillant plutôt sur le partenariat. « Notre objectif n’est pas de nous incruster dans cette communauté, mais de s’y adosser. L’annonceur ne doit pas être dans l’intrusion. Alloresto c’est cohérent, comme Coca-Cola, Orange, etc. », reprend Jean-François Ruhlmann. Même si l’eSport est dorénavant adoubé par les pouvoirs publics, il reste encore une méconnaissance du gaming auprès de certains annonceurs.

Organisation professionnelle d’eSport dont le siège est à Londres, fondée le 23 juillet 2003, Fnatic possède des joueurs du monde entier, et couvre différents jeux, comme Counter-Strike : Global Offensive, League of Legends et Dota 23. Rencontre avec Wouter Sleijffers, directeur général de la meilleure organisation mondiale de tournois d’eSport d’Europe de l’Ouest. Pouvez-vous nous expliquer le modèle économique de l’eSport ? De ce point de vue, le marché de l’eSport est assez unique, puisqu’il combine des caractéristiques propres aux compétitions sportives ainsi qu’au divertissement. Nous nous référons souvent à l’écosystème de l’eSport et à ses composantes, que sont les équipes de joueurs professionnels, les éditeurs de jeux vidéo, les organisateurs de tournois et de championnats, les diffuseurs, les sponsors et bien entendu les millions de fans et de spectateurs. L’eSport doit en fait être perçu comme une agrégation de jeux comportant chacun son propre écosystème différent selon les équipes de joueurs et les fans. Le point fort du marché de l’eSport tient dans son énorme base de fans et de personnes qui regardent en ligne, se comptant par centaines de millions répartis dans le monde entier. Un jeu qui a du succès en eSport n’a pas seulement des millions de joueurs, mais aussi un énorme nombre de fans qui adorent regarder les équipes s’affronter en ligne. Comment voyez-vous ce marché dans dix ans ? Dix ans, c’est une période extrêmement longue pour l’eSport ! Il y a dix ans, Fnatic était déjà un nom connu dans le milieu, mais nous étions encore petits. Nous sommes désormais la marque leader dans l’industrie de l’eSport ; nous avons, depuis deux ans, lancé notre propre ligne de matériels hardware (Fnatic Gear) que nous avons désignée et que nous fabriquons. Nous avons aussi récemment ouvert la première boutique éphémère dédiée à l’eSport, ouverte pendant un mois avant Noël, dans le centre de Londres. Nous n’aurions jamais rêvé de cela il y a dix ans ! Et pourtant, l’eSport est potentiellement l’unique vrai sport mondial, qui fait fi des frontières. Nous nous voyons comme un des fers de lance prêt à porter ce nouveau sport international encore plus loin à des milliards de personnes dans le monde. Les chaînes de TV traditionnelle et les médias s’intéressent de plus en plus à l’eSport, comment expliquez-vous cela ? Pensez-vous que les fans d’eSport puissent être attirés par leurs propositions ? L’eSport est le contenu typiquement consommé en digital, en ligne, via des appareils connectés. Quoiqu’il en soit, depuis quelques années, le coût de production des événements majeurs de l’eSport dépasse celui d’autres événements sportifs et de divertissement. La question se pose, pour les présentateurs et commentateurs, les diffuseurs, de savoir comment faire passer l’excitation d’un match aux spectateurs ; on m’a ainsi confié qu’il y avait plus de projecteurs lors des LCS Worlds Finals (comparable à la Champion League pour LOL) que pour l’Eurovision ! Ces événements sont de vrais shows, de vrais spectacles pour et avec des passionnés. Par leur qualité de production, ils sont dorénavant aussi très télévisuels. Quel est selon vous l’avenir de l’eSport ? L’avenir de l’eSport tient en un mot : Fnatic ! C’est sans doute audacieux comme réponse, mais avec Fnatic nous apportons une nouvelle lumière dans les compétitions de jeux vidéo en ligne. L’eSport est partout autour de nous, dans la culture digitale, il est la nouvelle donne. Pourtant, il est semble-t-il encore tabou de s’en réjouir. Bien évidemment, d’autres équipes existent et d’autres jeux se développent, mais nous croyons que Fnatic est unique dans ce que représente l’avenir de l’eSport. Quelle est la stratégie économique de Fnatic ? Notre mission est d’amener ce nouveau sport mondial dans tous les foyers en proposant des expériences fortes, que ce soit via des produits ou des contenus. Rester la meilleure organisation mondiale de tournois d’eSport est bien entendu au cœur de notre métier, mais nous développons davantage notre marque, en lançant de nouvelles initiatives pour répondre aux envies des fans d’eSport du monde entier, tout veillant bien à rester cohérents avec notre marque et notre entreprise.

Si TF1 entend monétiser tout ce qui concerne la logique de contenus eSport en associant le nom d’une marque à celui du tournoi par exemple, en proposant l’endorsement d’une équipe (à l’instar de GrosBill ou d’Orange), TF1 veut aussi être diffuseur d’eSport via ses composantes digitales. Ainsi a-t-elle diffusé, en mars 2016, la finale de la dernière FIFA Interactive World Cup en live sur MyTF1 Xtra. « Nous avons développé une zone gaming sur MyTF1 Xtra, où nous hébergeons des tournois de jeux porteurs comme LOL ou Hearthstone. Les qualifications se déroulent en ligne et les finales ont lieu dans les arènes de notre partenaire Glory4gamers, une start-up organisatrice de tournois en >>>

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@Fnatic

À chacun son tournoi, amateur ou professionnel

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ligne, incubée chez TF1. Nous y convions alors des invités internationaux et français », détaille Marine Adatto, directrice du pôle Entertainment, content, et eSport chez TF1 Publicité. Ce ne sont pas moins de six heures de flux qui ont été diffusées, lors de la finale de Hearthstone, en direct sur MyTF1 Xtra. « Nous allons lancer un nouveau tournoi sur LOL qui sera sur une chaîne MyTF1 Xtra, hébergée par Twitch. La création d’une chaîne Twitch va nous permettre d’aller toucher la cible des hommes de 15-24 ans, de manière plus offensive », ajoute-t-elle, consciente que la communauté eSport est très proactive et en demande de tournois mixtes (amateurs contre professionnels). C’est aussi ce qu’a compris Ubisoft qui, pour mon-

ter son championnat professionnel Pro League de Tom Clancy’s Rainbow Six Siege, s’est appuyé sur ses joueurs amateurs. Chaque semaine, Ubisoft propose la compétition Go4R6 de Tom Clancy’s Rainbow Six. « Ces tournois sont gratuits et ouverts à toute personne de plus de 18 ans. Ils se jouent sur PC et Xbox et dans deux régions : l’Europe et les États-Unis. Le vainqueur empoche 100 euros (dotation par semaine et par plate-forme). À la fin du mois, les dix meilleures équipes s’affrontent et la gagnante reçoit 500 euros », détaille Jérémy Somville, chef de produit chez Ubisoft. La Pro League de Tom Clancy’s Rainbow Six Siege d’Ubisoft regroupe ainsi les huit meilleures équipes européennes et américaines. « On s’est servi de la

CHAMPION

« C’est un nouveau monde, l’eSport est le futur »

@Millenium

Bora Kim, alias YellowStar, a été joueur professionnel de LOL, de 2010 à 2016, passant par des équipes prestigieuses de Millennium à Fnatic. Après un livre (YellowStar, devenez un champion de League of Legends, édité chez Albin Michel), le jeune homme en retraire entame sa reconversion à 27 ans : directeur sportif des équipes d’eSport du PSG. Retour sur sa carrière et son nouveau défi. Comment êtes-vous devenu joueur professionnel ? J’ai commencé à jouer comme professionnel à 17 ans en 2007. C’était la période où tout était nouveau en France ; nous venions encore avec notre propre matériel pour participer aux tournois ! Les dotations n’atteignaient jamais plus de 500 euros en matériel. L’organisation était encore très amateur. Nous n’aurions jamais pensé en faire un métier viable aussi vite. Il y avait déjà des tournois en Europe et aux États-Unis. En Corée du Sud, l’eSport avait déjà ses infrastructures et ses émissions TV, etc. League of Legends (LOL), jeu édité par Riot Games, est sorti en 2009 et les compétitions mondiales sont apparues en 2011, avec une dotation de 50 000 dollars pour la première équipe. C’était encore très peu professionnel. Dès 2012, l’éditeur de LOL a mis en place une scène lors du tournoi de Los Angeles, le rendant plus attrayant pour nous, mais aussi pour les médias. Le modèle a évolué en 2013 quand Riot Games a mis en place sa structure et décidé de tout construire autour de League of Legends (LOL). C’est lui qui a implémenté le salaire des joueurs. Cela lui a permis d’avoir une énorme visibilité en termes d’image, même si c’était à perte. L’eSport a alors commencé à devenir véritablement un spectacle. Riot a eu envie de créer une ligue inspirée de celle du basket américain, en Europe et aux États-Unis, avec huit équipes sur chaque territoire. J’ai eu alors la chance de recevoir une offre en tant que joueur professionnel. Nous étions une centaine parmi des millions de joueurs. Comment voyez-vous l’eSport, maintenant que vous êtes en retraite et en reconversion ? Nous en sommes encore au tout début, l’eSport attise la curiosité. Nous devons avoir un rôle de pédagogue, c’est un vrai choc générationnel pour ceux qui n’ont pas grandi avec le jeu vidéo. C’est un nouveau monde, l’eSport est le futur. Il y a d’ailleurs des discussions au niveau des Jeux Olympiques pour 2024. PSG, Comment envisagez-vous votre nouveau poste de directeur sportif du PSG eSports? En tant que directeur sportif du PSG eSports, j’ai eu pour mission de trouver un lieu pour créer une gaming house (lieu où cohabitent et s’entraînent les joueurs d’une même équipe) à Berlin et constituer une équipe de FIFA et une de LOL, recruter un coach, des analystes, le tout en accord avec notre budget. J’ai aussi en charge la communication et la logistique des joueurs. Mon but est de faire en sorte que les équipes se sentent bien et fort mentalement. Les joueurs sont généralement très jeunes. Comment cela se passe-t-il avec les autres équipes ? Pour FIFA, chaque club va avoir sa propre équipe. L’idée serait de retransmettre le match de FIFA avant le match réel. L’objectif est de se qualifier pour la ligue européenne FIFA (fin mars 2017).

YellowStar, directeur sportif du PSG eSport Club et ses deux premières recrues.

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magazine #20 JANVIER FÉVRIER 2017

structure amateur pour monter ce championnat, les meilleures équipes en Europe sur Xbox et PC s’affrontent, les deux meilleures européennes jouant contre les deux meilleures américaines. Nous préparons une finale annuelle, un show, du 3 au 5 février à Montréal (Canada), avec une dotation de 150 000 dollars par plate-forme. Nous lancerons la deuxième année sur 2017 », ajoute-t-il. « Nous avons fait l’inverse d’un sport traditionnel : nous avons structuré le “haut” de la pyramide avec un niveau professionnel très solide, nous n’avons pas encore d’eSportif du dimanche », reprend Cédric Page. Webedia, avec Toornament, mise dorénavant sur cette partie amateur. « Toornament est une plateforme qui permet d’organiser des compétitions sans être un expert ou un professionnel. Il s’adresse aux amateurs qui ont envie de monter un tournoi de LOL, de FIFA, etc. Nous utilisons aussi cet outil pour les grandes compétitions et les qualifications », souligne-t-il. Outre TF1, les chaînes qui ont fait leur succès, grâce notamment au football, ne sont pas en reste et font aussi le pari de l’eSport. Si Canal+ est déjà sponsor principal de l’organisation française Vitality, sa « maison-mère », Vivendi s’est alliée à L’ESL pour créer des ligues eSport en France sur la base de leur actuel championnat national. De son côté, beIN SPORTS s’est rapprochée de Webedia, décrochant l’exploitation des droits audiovisuels de la e-Ligue 1, championnat qu’elle a créé en partenariat avec l’éditeur EA sur FIFA Ultimate Team. « C’est une vraie bonne idée que les chaînes s’y intéressent, ce créneau va l’ouvrir à un tout nouveau public. Cela ne va, cependant, rien révolutionner, la plupart des gens qui le regardent sont déjà sur Twitch et n’ont aucune raison de changer leurs habitudes. Cela peut, via la TV, attirer des gens qui aiment bien le foot. C’est une porte d’entrée vers l’eSport », souligne Jérémy Somville, chef de produit chez Ubisoft.

Droits médias encore abordables et triomphe des experts digitaux

Si les droits de diffusion Internet restent encore abordables, les éditeurs exigeant surtout une haute qualité de diffusion, le vent est en train de tourner. Le 16 décembre dernier, Riot Games, éditeur et développeur de LOL, a ouvert une brèche en signant un partenariat de cinq ans avec BAMTech (une filiale de MLB Advanced Media, entreprise de streaming qui gère, entre autres, les retransmissions de la MLB (baseball) mais aussi de Disney) pour les droits de diffusion en ligne des compétitions de son jeu vedette et leur monétisation (partenariats, publicité...) pour un montant de 50 millions de dollars par an. La France est encore loin de ces tarifs, que ce soit en streaming ou en TV linéaire. Car l’autre intérêt des chaînes de TV pour l’eSport vise à se positionner au plus tôt dans une chaîne de droits médias. « Les droits TV appliqués à l’eSport ont des montants dérisoires, encore bien loin de ceux du sport traditionnel. Et comme l’eSport est un produit d’appel destiné aux 15-34 ans, les chaînes ont besoin de faire cela correctement. Ils ne peuvent pas traiter ces sujets sans avoir une certaine expertise et ils font donc appel à nous pour créer des contenus adaptés. Le digital aide le traditionnel ! », sourit Cédric Page, producteur pour beIN SPORTS des deux formats TV. Ouvrir à un public plus large, mettre en scène des jeux plus simples d’accès qu’un LOL, proposer des formats différents de ceux des webTV gratuites, tels sont

D O S S I E R : L’e S P O R T D A N S L A C O U R D E S G R A N D S

© Maxime Bruno

D O S S I E R : L’e S P O R T D A N S L A C O U R D E S G R A N D S

Olivier Morin est aux manettes du Canal eSport Club, une mensuelle, déclinée en hebdomadaire retransmise sur un site éponyme. La chaîne premium s’empare du eSport en proposant un rendez-vous sur le même format que ces autres émissions de sport, un complément au stream sur Twitch et aux émissions plus confidentielles comme l’excellent « Tribunal de l’eSport » sur la webTV Eclypsia.

les défis de ces chaînes de sport. « La grande différence avec ces webTV consacrées à l’eSport est que nous ne sommes plus dans l’immédiat, le low cost. La TV traditionnelle permet de prendre du temps, de proposer des reportages plus fouillés, elle peut apporter quelque chose de nouveau », ajoute-t-il.

Canal eSport Club...

C’est après avoir découvert les premières images de Game Fever d’Hervé Martin Delpierre, que Diego Buñuel, directeur des documentaires de Canal+, découvre l’eSport. « J’ai rapidement compris qu’il existait un phénomène mondial et que la France était le deuxième marché européen après l’Allemagne sur l’eSport. C’est pour cela que nous avons décidé de nous y intéresser. Comme Canal a investi dans le football, le rugby, la F1 ou le poker. L’idée est d’essayer de raconter les sports autrement avec du storytelling et une nouvelle manière de filmer », indique le directeur des documentaires de Canal+. Pour ce faire, il rencontre des spécialistes d’Ogaming, Team Vitality, Bang Bang Management… dont Olivier Morin (présentateur du Canal eSport Club, ancien de Game One), pour appréhender la complexité et le poids de la communauté de l’eSport. « Mon but a été de faire très attention et d’être à l’écoute de cette communauté, de créer une émission pour elle. Nous avons travaillé de façon très proche pour fabriquer ce rendez-vous hebdomadaire, avec notre partenaire l’ESL ». Le Canal eSports Club (un hebdomadaire de 10 minutes et sa déclinaison mensuelle de 45 minutes), produite par Flab Prod et Didier Lahaye (en charge des autres émissions de sport de Canal+) diffusée depuis fin octobre 2016 en cryptée et en primetime est rediffusée 48 heures plus tard sur un site dédié. «  Nous ne détournerons jamais les gens du streaming, il ne faut pas être naïf. En revanche, nous pouvons apporter des choses en plus : les meilleurs casteurs, des angles de caméra, du data room, ce qu’il n’y a pas sur Twitch. Nous ne passerons pas des finales entières, c’est trop tôt, c’est compliqué à

broadcaster. Le stream aura toujours sa place. Les streamers sont les stars de Twitch. Nous avons toujours été une chaîne CSP+ et les amateurs d’eSport sont dans notre cible, nous proposons une valeur ajoutée », reprend Diego Buñuel.

… beIN eLigue 1 et beIN SPORTS

Même discours chez beIN SPORTS, qui a lancé début décembre deux formats hebdomadaires diffusés le lundi dès 23 heures et produites par Webedia : beIN eLigue1 (26 minutes, présenté par Bruce Grannec, quadruple champion du monde de jeux de foot et Mahmoud Gassama, un commentateur reconnu par la communauté du jeu FIFA) et beIN eSports (26 minutes, présenté par Pierre-Alexis Bizot, un casteur vedette de Twitch, et Kevin Remy, expert de LOL). « Nous éditorialisons les magazines d’eSport comme tous nos autres magazines consacrés aux sports de haut niveau. Techniquement, nos émissions sont réalisées dans les mêmes conditions, avec le même plateau, la même lumière et la même régie. Nous récupérons les signaux vidéo pour les extraits de matchs : c’est la même qualité que sur le streaming », indique Florent Houzot, directeur de la rédaction de beIN SPORTS. Remporter les droits de diffusion de la eLigue 1 a été décisif pour beIN SPORTS, partenaire de la Ligue 1 de football depuis 2012. « C’est très important pour nous d’être les premiers diffuseurs exclusif de cette compétition. Ce qui a fait notre différence est l’offre qualitative et notre investissement important, puisque nous diffuserons trois événements en direct (championnat d’hiver, d’été et play off). Si l’Équipe 21 a ouvert la voie, nous entrons dans l’eSport par la grande porte, en travaillant, non seulement avec le plus grand championnat d’Europe organisé par une ligue nationale, mais aussi avec des talents et des experts crédibles, hyper reconnus par les communautés », reprend-il. Communautés dont la chaîne à péage espère bien capter quelques membres. « Une belle économie se développe autour de l’eSport via les droits TV, mais

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c’est surtout une manière de toucher les publics qui ne regardent plus la TV comme leurs parents. Ils ne sont plus des téléspectateurs à heure fixe. Même si je pense que le sport en direct sera toujours apprécié par les amateurs, les autres programmes sont surtout consommés en replay. C’est aussi très logique que nous nous soyons intéressés à l’eSport, notamment à la eLigue 1 pour aller à la rencontre des fans de foot et des joueurs de jeux vidéo qui sont parfois les mêmes », concède Florent Houzot. Diffuseurs, marques, sponsors, la ruée vers l’eSport ne fait que commencer ! « Le risque est de faire des choses qui mettraient à mal l’avenir de l’eSport. Si nous nous plantons en voulant transmettre tous les matchs et que personne ne vient regarder, nous allons va faire fuir les annonceurs et les sponsors. Nous avons la possibilité de l’amplifier ou le risque de lui faire du mal », suggère Diego Buñuel, s’interrogeant sur la présence ou non d’une bulle à l’instar de celle qui en 1999 frappa Internet et ralentit son expansion. « Les jeux sont bons, les joueurs existent. Les nouvelles générations allument Twitch pour regarder leur casteur préféré et non plus la TV. C’est une autre culture. En tant que compagnie médias, ce serait dingue, de la part de Canal, que l’on ne s’y intéresse pas ! Doit-on laisser un sport se développer sans en faire partie ou l’aider à la structuration de ses leagues et au développement de ses propriétés intellectuelles ? » glisse le directeur des documentaires de Canal+. L’avenir de l’eSport tient aussi à un élément non négligeable : la qualité et l’inventivité des jeux vidéo. «  L’eSport sera vraiment plus “physique” quand il sera en réalité virtuelle, les jeux seront plus immersifs. La diffusion d’eSport va alors devenir massive et réunir beaucoup de monde  », se prend à rêver Jean-François Ruhlmann, directeur digital de TF1 Publicité, se référant aux audiences de l’eSport en Corée du Sud !

magazine #20 JANVIER FÉVRIER 2017