L'Europe - changer pour survivre - Lila Kali

L'économie politique n° 74 « Europe, changer pour survivre », avril 2017. Ce dossier ... d'association comme cela a été fait avec l'Ukraine pourrait être envisagée ... la gestion des relations avec l'Union à mesure que celle-ci avancera vers le.
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L’économie politique n° 74 « Europe, changer pour survivre », avril 2017 Ce dossier de l’Economie politique est spécial dans le sens où il débute par un entretien avec les conseillers de trois candidats à la présidentielle de 2017 (Emmanuel Macron, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon). Lila Kali, membre de Génération.s, revient succinctement dessus, pour se concentrer plus longuement sur les autres articles, abordant tous la question de la survie de l’Europe et des moyens pour ce faire. I - « L’Europe doit apprendre à agir dans une logique de puissance », Jean Pisani-Ferry Pour le conseiller d’Emmanuel Macron et spécialiste des questions européennes, il faut refaire de l’Europe un espace de prospérité partagée et un acteur de poids dans un monde où s’affirment les logiques de puissance. La France doit être capable d’engager un dialogue de fond avec l’Allemagne. II - « Donner une chance à la démocratie européenne », Thomas Piketty Le co-rédacteur du projet de traité de démocratisation de l’Europe, qui a aussi participé à la campagne de Benoît Hamon, place la création d’une assemblée parlementaire de la zone euro au cœur du renouvellement européen. Cette assemblée gérerait un budget de la zone euro alimenté par le transfert de l’impôt sur les sociétés. III - « Pour un protectionnisme solidaire », Jacques Généreux Pour ce proche de Jean-Luc Mélenchon, l’UE est devenue un espace de guerre économique miné par la concurrence sociale et fiscale. Pour en changer l’orientation, il faut instaurer un rapport de force. La France doit oser désobéir à certaines règles européennes afin de mieux les renégocier. IV - L’Union face au Brexit, par Andrew Duff1 Le Brexit a largement détérioré les relations de l’UE avec le Royaume-Uni. Ces relations doivent désormais faire face à quatre défis :

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la négociation des conditions du retrait dans le cadre de l’article 502. L’accord de retrait ne concernera que les conséquences de la renonciation par le Royaume-Uni (RU) à ses droits et obligations en tant que membre (contributions au budget européen, droit des citoyens de l’UE résidant au RU…). Il y a des questions financières épineuses (le RU pourrait rester dans le cadre financier pluriannuel actuel, qui couvre la période 2014-2020, et donc continuer à effectuer des paiements et à percevoir des recettes) ;

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la recherche d’un accord commercial et d’un traité de coopération politique : Theresa May est favorable à un accord le « plus libre possible de biens et de

Chercheur invité à l’European Policy Centre de Bruxelles, ancien eurodéputé libéral démocrate britannique et président de l’Union des fédéralistes européens. 2 qui prévoit la sécession d’un Etat-membre

services ». L’avenir de l’accès du RU au vaste marché unique exige qu’il respecte les règles de l’UE. Or, le RU réalise 45% de ses échanges avec l’UE et n’absorbe que 8% des exportations européennes. La piste d’un accord d’association comme cela a été fait avec l’Ukraine pourrait être envisagée (mesures de réduction des tarifs douaniers, anti-dumping, libre circulation des biens, capitaux et services…) ; ü

la restauration de la confiance réciproque sur la base d’un nouveau règlement de sécurité en Europe : le Brexit affaiblit la sécurité européenne. A travers un accord d’association, le RU pourrait continuer de contribuer aux efforts de sécurité de l’UE et d’en tirer profit (participation à des missions relevant de la politique de sécurité et de défense commune de l’UE, contribution aux ressources militaires pour soutenir la sécurité maritime collective et Frontex...).

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la gestion des relations avec l’Union à mesure que celle-ci avancera vers le fédéralisme : après la sécession du RU, l’UE devra consolider son intégration économique et monétaire. Une intégration fiscale plus poussée ne sera possible qu’en modifiant les traités. Le RU ayant toujours été un Etat-membre peu discipliné, le Brexit pourrait permettre un nouveau départ. V - L’avenir incertain du budget européen, par Renaud Thillaye3 Dans un contexte de confiance fortement érodée entre les Etats-membres, l’UE fait difficilement la démonstration de sa valeur ajoutée. Elle doit recentrer ses dépenses afin de réaliser des économies d’échelle et d’aider les pays et régions à rattraper leur retard de développement. Cela suppose des dépenses de cohésion et agricoles resserrées et mieux ciblées, assorties d’investissements plus conséquents dans la recherche, l’innovation, les infrastructures et la défense. Afin que ces mesures soient acceptées par les pays contributeurs nets, tout cela suppose des critères de performance et un droit de regard renforcés. VI - L’Union de l’énergie aux prises avec les lobbies, par Thomas PellerinCarlin4 La transition énergétique en Europe a commencé. L’UE connaît déjà la révolution de l’efficacité énergétique, avec une baisse structurelle de sa consommation d’énergie entamée en 2006. Les énergies renouvelables se développent fortement et leurs coûts baissent suffisamment pour être aujourd’hui plus compétitives que les modes de production conventionnels. La Commission européenne a présenté en 2015 sa stratégie cadre pour l’Union de l’énergie en ces termes : « Nous devons abandonner le modèle économique reposant sur les combustibles fossiles […]. Nous devons donner du poids aux

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Spécialiste des questions européennes, manager au sein du cabinet de conseil Flint Global (Londres) et chercheur associé au think thank Policy Network. 4 Chercheur à l’institut Jacques Delos, spécialiste de la politique européenne de l’énergie.

consommateurs, en leur fournissant des informations, des données ». Ce faisant, elle a mis sur la table des propositions permettant d’accélérer le mouvement et d’amplifier les retombées positives pour notre industrie et nos emplois. A titre d’exemple, elle a annoncé la création d’un Forum des industries de l’énergie propre pour la compétitivité qui pourrait être la cheville ouvrière d’une politique européenne d’innovation. En outre, elle reconnaît désormais l’importance des sciences sociales pour réaliser la transition énergétique, laquelle passe par l’appropriation sociétale de l’énergie et l’économie circulaire. La question est de savoir si les gouvernements nationaux vont suivre ces orientations. Ainsi, pour sortir du charbon, aucune mesure sérieuse n’a été prise au niveau de l’UE, de la France ou de l’Allemagne. S’appuyant sur la nécessité de garantir la sécurité de l’approvisionnement, les entreprises électriques obtiennent en effet des gouvernement de véritables subventions sous forme de « marchés de capacité » ou de « réserves stratégiques ». Pour lutter contre ces dérives, le citoyen doit être au cœur du processus en tant que consommateur et producteur d’énergie, et voir ses droits renforcés. VII - Le droit, héraut de l’Union puis auxiliaire du marché, par Olivier Lacoste5 Les tentatives de bâtir l’Europe politique ayant mené à des impasses (échecs de la Communauté européenne de la défense et du plan Fouchet dans les années 1950 puis 1960), les partisans du projet européen ont investi le terrain normatif pour promouvoir et solidifier l’UE. Ainsi, la Cour de justice de l’UE (CJUE) a construit par sa jurisprudence des pans entiers du droit européen, avec une spécificité : le droit communautaire l’emporte sur les droits nationaux. Le primat du droit pourrait conférer un rôle à l’UE en tant que puissance normative pour infléchir la mondialisation et faire émerger un autre modèle économique. A titre d’exemple, la législation REACH oblige les entreprises à identifier et gérer les risques liés aux substances chimiques dans les produits fabriqués et commercialisés au sein l’UE. Cette norme aboutit donc à mieux tenir compte des préoccupations de santé dans le commerce international, y compris hors UE (qui représente un important débouché pour le secteur). Toutefois, la majesté du droit a dégénéré en paralysie. Le droit, censé servir la cause de l’intégration européenne, apparaît au service de l’extension du marché. L’UE aurait pourtant pu l’utiliser contre le « tout-marché », modèle où tout est mis en concurrence : produits, services mais aussi hommes, systèmes sociaux et fiscaux. Le droit peut aussi bien contrarier le « tout-marché » que s’en faire l’auxiliaire zélé. Ce rapport ambivalent est pointé par l’anthropologue Karl Polanyi. Ce dernier estime que le primat du marché, juridiquement construit au XIXème siècle, a entraîné la dislocation des sociétés. Il montre comment les règlementations ont tantôt transformé en marchandises aussi bien la terre que le 5

Economiste et administrateur civil, il a publié aux éditions Eyrolles Les crises financières (2015) et La fin de l’Europe ? (2016).

travail des hommes, tantôt, au contraire, freiné le mouvement vers le libéralisme (par des protections sociales, par exemple). S’en est suivi une réaction antilibérale sur les plans économique et politique avec le développement des régimes nazi et fascistes. L’analyse des travaux de Polanyi, au regard des tendances actuelles, a de quoi alerter. VIII - Comment raviver l’économie européenne, entretien avec Michel Aglietta et Jean-Pierre Landau Pour Michel Aglietta6, nous observons actuellement une crise globale du capitalisme. Mais si l’UE est particulièrement fragile du fait de ses erreurs de gouvernance, les difficultés sont mondiales. Pourquoi donc ? Depuis que nous sommes entrés dans un régime nouveau de croissance au milieu des années 19907, le rapport entre le coût du capital et coût du travail s’est modifié, créant une distorsion dans la répartition des revenus avec une énorme augmentation des inégalités. Un autre facteur de crise a été la mutation de la gouvernance des entreprises : du capitalisme contractuel des Trente Glorieuses, nous sommes passés au capitalisme financiarisé. Ceci a mené à la catastrophe des années 2011-2013, provoquée par des politiques économiques exactement à l’opposé de ce qu’il aurait fallu faire : on a imposé une austérité généralisée au moment même où le secteur privé ne pouvait pas prendre le relais, car il cherchait à se désendetter suite à la crise de 2007-2008. Or, si les politiques économiques ne fonctionnent pas, ce n’est pas la finance qui se portera au secours des Etats. Il y a toujours des limites à l’endettement : à la fin, à chaque fois, c’est le débiteur qui en fait les frais. L’avancée dans la gouvernance européenne pourrait provenir d’un changement de procédure d’un semestre européen8 qui doit devenir plus démocratique (conférence interparlementaire de la zone euro, formée de représentants des parlements nationaux...). Le budget européen doit aussi jouer le rôle politique propre à un budget dans une démocratie, avec un objectif commun, celui de retrouver une croissance potentielle compatible avec la soutenabilité des dettes. Pour Jean-Pierre Landau9, co-auteur de cet article, ce n’est pas le fait de créer une nouvelle institution qui permettra de piloter la politique budgétaire au niveau européen. Les mécanismes de stabilité et de discipline budgétaire ayant perdu toute crédibilité, il propose que les Etats se dotent d’institutions nationales garantissant la soutenabilité des finances publiques sur le long terme 6

Professeur émérite des sciences économiques à l’université Paris X Nanterre et conseil au Cépii et à France Stratégie. 7 La force de travail a doublé de façon très rapide avec l’ouverture internationale de la Chine et de l’Inde 8 système de coordination des politiques économiques et budgétaires des États-membres de l'UE 9 Ancien sous-gouverneur de la Banque de France, ancien administrateur pour la France du FMI et de la Banque mondiale et professeur associé à Sciences-Po.

et apportant de la flexibilité à court terme. Chaque pays déciderait ainsi des institutions à mettre en place, qui seraient validées au niveau européen. Il s’agit là d’un compromis entre subsidiarité et soutenabilité. Pour lui, l’incertitude paralyse aujourd’hui l’investissement privé tout particulièrement dans les domaines énergétique et écologique. La bonne réponse n’est pas, dans ce cas, d’ordre budgétaire. Il faudrait mettre en place des politiques européennes stables, cohérentes et prévisibles. A titre d’exemple, les permis d’émission de carbone continuent d’être attribués par périodes successive de cinq ans, ce qui interdit toute anticipation du prix du carbone à long terme.