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Les techniques étaient simples, par exemple une paroi constituée d'un ...... spécialité technique, la maîtriser, la contrôler, notre connaissance technique ne sert ...
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LIVRE BLANC CONCERNANT LA DÉRIVE JURISPRUDENTIELLE DE LA RESPONSABILITÉ PROFESSIONNELLE DES ARCHITECTES

CONSTAT, ANALYSE ET PROPOSITION DE LOI

par Isabelle PERRIN - Olivier CELNIK - Jean-François ESPAGNO architectes

septembre 2012

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LIVRE BLANC - LA DÉRIVE DE LA RESPONSABILITÉ DES ARCHITECTES

SOMMAIRE Préambule

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INTRODUCTION

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Condition d’exercice des missions d’architecte

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Jurisprudence

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1 - LA NATURE DE L’ENGAGEMENT CONTRACTUEL DES ARCHITECTES

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Quelles sont les compétences des architectes ?

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La mission de conception des architectes est de créer de l’architecture

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Suivre un chantier et non le diriger

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Les interventions de conseils auprès du maître d’ouvrage

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Pourquoi nous ne sommes pas des constructeurs

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Une définition de l’engagement contractuel des architectes

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2 - LES TEXTES QUI REGISSENT LA PROFESSION D’ARCHITECTE

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La Loi du 3 janvier 1977

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Le Code des Devoirs Professionnels

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La Loi du 4 mars 2002 sur les droits des patients et la responsabilité des médecins

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3 – PROJET DE LOI

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La définition de la mission des architectes

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PRÉAMBULE

L’augmentation perpétuelle des responsabilités des architectes inquiète toute notre profession. Nous sommes devenus les boucs-émissaires qui devons assumer des erreurs dans les domaines les plus variés et les plus éloignés de notre mission. Un cercle vicieux impose aux architectes des primes d’assurance toujours alourdies afin de répondre aux mises en cause par les juges qui les condamnent parce qu’ils les savent bien assurés, même si les fautes, toujours plus couteuses, sont commises par des tiers. Les architectes, bien naturellement, recherchent maintenant toutes les parades juridiques, même artificielles, pour tenter de se prémunir contre cette dérive envahissante. Quitte à abandonner une part essentielle de notre mission : le chantier, ce qui nous fait perdre notre âme. Les lois qui régissent notre profession sont anciennes, elles ne correspondent plus à la réalité de la construction aujourd’hui. Un nouveau cadre législatif clair et juste permettrait bien mieux de déterminer de façon véritable les responsabilités de chaque intervenant dans l’acte de construire et les architectes pourraient sereinement accomplir leur mission. C’est le propos de ce Livre Blanc, qui tente d’agréger les points de vue de trois architectes ayant bien naturellement leur propre expérience et leur propre réflexion.

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Introduction CONDITIONS D’EXERCICE DES MISSIONS D’ARCHITECTE « L’architecte est un bouc émissaire facile. » Philippe Trétiack – « faut-il pendre les architectes ? »

Seuil, 2001

Si la réalité juridique du métier d’architecte existe depuis peu (l’Ordre des Architectes date des années 1940-45), la fonction de « maître d’œuvre » est très ancienne, plusieurs fois millénaire. Elle est apparue avec la construction des premiers bâtiments d’importance, car elle en est un élément essentiel, incontournable. Il faut un chef d’orchestre pour mener à bien la réalisation des prototypes que sont tous les bâtiments. Traditionnellement, la fonction de l’architecte est de concevoir l’œuvre et d’en diriger la réalisation. Au fil des époques, notamment quand les architectes travaillaient pour les Princes, ils avaient tout pouvoir (ou presque) sur des entreprises qui devaient leur obéir (régime politique autoritaire oblige). Les techniques étaient simples, par exemple une paroi constituée d’un simple mur – même très épais -, pas d’équipement en fluides, pas de contraintes règlementaires. La réalité de la construction était donc bien plus facile à appréhender. Aujourd’hui, c’est-à-dire depuis un siècle environ, avec l’arrivée de l’acier et du béton armé, des équipements en fluides, eau, électricité, les constructions ont beaucoup évolué. Elles n’ont plus rien de commun avec celles du passé (si ce n’est, trop souvent hélas ! qu’une méchante copie de ce que certains croient être un « style » régional et traditionnel, et qui n’est qu’une grimace ridicule…). Complexité de la structure, des parois, des équipements, des règlementations de tous ordres, multiplicité des intervenants, tant dans les études que dans la réalisation, font actuellement des bâtiments certes performants, mais qui doivent nécessairement être réalisés par des équipes comportant des savoirs et des savoir-faire multiples. Depuis les dernières décennies, ce phénomène s’est beaucoup accentué. L’architecte ne peut plus être le professionnel au savoir universel, créant tout, maîtrisant toutes les techniques, de la mécanique des sols aux compositions chimiques des divers revêtements, des calculs de structures anti-sismiques aux performances énergétiques complexes, de la législation du droit de l’urbanisme, de la construction, de l’environnement, civil, pénal, administratif, etc., au conseil dans l’élaboration des programmes variés, et – quand même – avec un certain talent architectural pour faire une synthèse bâtie de tout cela. Il ne peut pas non plus maîtriser un chantier dans tous ses composants, ne serait-ce que parce que beaucoup d’éléments sont livrés « finis » sur le chantier (les menuiseries, les appareils de chauffage, etc…) et n’ont pas à être démontés pour examen, parce que la fabrication des matériaux de base (briques, ciments, etc.) et des matériels sont élaborés loin de la région du chantier (parfois à l’étranger), parce que la plupart des ouvrages ne sont plus visibles au fur et à mesure de la réalisation des travaux. Aujourd’hui, l’architecte ne peut être qu’un chef d’orchestre. Il a composé la musique, certes, mais il ne joue pas de tous les instruments et il n’est pas responsable des fausses notes éventuelles… Ce rôle limité est bien mentionné dans nos contrats, mais il reste ignoré en général des juges et des non-professionnels de la construction.

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Pourtant, au mépris de ses engagements contractuels et surtout contre tout bon sens, l’architecte est jugé de fait le « responsable » de l’ensemble de l’opération, tant au niveau de la conception que de la réalisation. Il est le « sachant » auquel rien n’aurait dû échapper, il aurait dû tout voir, tout savoir, tout deviner, tout prédire. Il est surtout le recours bien commode pour désigner un responsable que notre société veut faire correspondre à chaque problème. C’est ignorer complètement la réalité de la construction aujourd’hui, dont la capacité à tout concevoir et à tout vérifier, on le verra, ne peut plus du tout incomber à une seule personne ; et c’est ignorer qu’un bâtiment n’est pas un objet industrialisé, dont la fabrication est maîtrisée après une mise au point longue et couteuse du – justement – prototype. Les architectes doivent en permanence se prémunir contre cette épée de Damoclès, ils doivent se conformer autant que possible aux techniques les mieux éprouvées et fuir toute innovation dangereuse. Ils doivent reproduire dans leur conception comme dans leur réalisation ce qui s’est révélé être le moins générateur de mise en cause, de tous ordres - sans pouvoir pour autant empêcher toutes les erreurs commises par les tiers. Ainsi, les architectes perdent leur âme, et – sauf dans les opérations d’exception, où le risque est budgété grâce à des honoraires importants et qui restent, justement, exceptionnels - ils n’apportent plus cette évolution de l’architecture qui bénéficierait à tous en améliorant les performances grâce à l’expérimentation sans cesse renouvelée des possibilités techniques qu’offre chaque époque. Enfin, il y a, tout simplement, une immense injustice envers une profession toute entière, dont la vocation est de mettre en œuvre l’intérêt public de l’architecture que la Loi a pourtant reconnu.

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JURISPRUDENCE Voici quelques jurisprudences qui illustrent l’aberration des recherches de responsabilité d’architectes, en dehors du bon sens le plus élémentaire et en méconnaissance absolue de la réalité d’une profession. Cet échantillon n’est, hélas ! qu’une toute petite illustration de ce que des expertises et des jugements produisent quotidiennement en France. Il a été glané ici et là, tant sont nombreux les exemples de recherches abusives de responsabilité des architectes. Qu’elle est la profession, autre que la nôtre, qui accepterait une telle injustice ? Les sources en sont les archives de l’Ordre des Architectes et de la Mutuelle des Architectes Français. Les textes en bleu sont les citations de ces sources, les textes en rouge et en italique sont nos commentaires.

Entre le marteau et l’enclume, toujours écrasé

Le jeudi 10 mars 2011

Jusqu’où va l’obligation de conseil du professionnel lorsque mêmes les autorités autorisées, pour reprendre la formule, se contredisent ? Selon un arrêt de la cour de cassation ( Cour Administrative d’Appel de Bordeaux) Une divergence d’analyse surgit entre le maire d’une commune et le préfet à propos des règles d’édification figurant dans un règlement de lotissement : -

Le maire pense que les règles d’urbanisme contenues dans le règlement sont toujours en vigueur puisqu’elles sont reprises dans le cahier des charges du lotissement.

-

Le préfet conclut que les règlements sont devenus caducs du fait qu’ils n’ont toujours pas été approuvés par les colotis dix ans après.

Certes, il ne s’agit alors que de règles de voisinage contractuelles, mais les colotis peuvent continuer à s’en prévaloir les uns à l’égard des autres … à seule fin, généralement, d’entretenir leurs mauvaises relations. L’opposition entre le maire et le préfet dure un certain temps et finit par une injonction faite à la commune de revoir le PLU. L’extension est autorisée malgré tout. Cependant, les pouvoirs du Préfet en matière d’urbanisme n’empêchent pas les aimables voisins d’obtenir la démolition de l’ouvrage devant le juge civil, lequel considère finalement que le règlement de lotissement est bien un cahier des charges (contrat) n’ayant pas de caractère règlementaire. Le maître d’ouvrage ne réussit pas pour autant à ce que l’architecte soit condamné à payer les frais : considérant que la querelle juridique était parfaitement connue et qu’elle s’était achevée par l’injonction de revoir le PLU, les juges mettent hors de cause l’architecte. Mais c’est précisément ce que la Cour de Cassation reproche à la Cour d’Appel par un arrêt du 12 janvier 2011… Elle aurait dû d’abord vérifier que l’architecte avait précisé à son client les conséquences pour lui de l’incertitude juridique (à savoir : le risque de démolition). En partant du principe qu’un risque ne peut être librement accepté par le client que si ce dernier à toutes les cartes en main, l’obligation de conseil porte non seulement sur le risque encouru par le client, mais aussi sur les conséquences du risque. ème

Cet arrêt récent de la 3 chambre civile vient une fois de plus répondre que l’architecte n’est pas dédouané de son obligation de conseil en cas d’errements de l’administration.

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Restez sur votre réserve

Le jeudi 24 février 2011

Certains architectes pensent qu’une réception sans réserve vaut mieux qu’une réception avec réserves, car la première offre notamment la possibilité de bénéficier de la garantie décennale de l’entreprise. Alors parfois, les réserves ne sont pas posées sur des défauts ou des non conformités dont l’existence est connue. Procéder ainsi peut s’avérer risqué… car l’architecte est soumis à un devoir de conseil qui s’achève précisément lors de la réception. Dès lors, l’absence de réserves risque d’engendrer exactement l’effet inverse de celui recherché : si le vice était apparent, l’entreprise sera mise hors de cause et l’architecte sera condamné seul. Les exemples ne manquent pas, que ce soit en marchés publics ou en marchés privés. Ainsi en 1992, la Cour de Cassation approuve le juge d’avoir condamné seul l’architecte sans même un recours contre l’entreprise. Mais, dira-t-on, les désordres qui surviennent en cours de chantier ne sont pas toujours visibles à la réception… Effectivement, mais là n’est pas la question, car du moment que les désordres sont connus, cela suffit à engager la responsabilité de l’architecte pour défaut de conseil à la réception. Pire : le juge peut aussi considérer qu’il s’agit d’une manœuvre dolosive - une tromperie - et alors, l’architecte n’est plus couvert par la MAF « du fait intentionnel ou du dol de l’adhérent, définis dans le présent contrat comme les conséquences de la violation ou de l’omission caractérisée d’une des obligations contractuelles ou règles professionnelles stipulées à l’annexe, accomplie même sans intention de provoquer le dommage » (article 2.111 des conditions générales du contrat RC). Ainsi, la Cour de Cassation a jugé en 2008, à propos d’une entreprise et d’un maître d’œuvre : Les juges ont retenu en appel que la société G (entreprise) n’avait volontairement pas exécuté les travaux comme prévu au marché et avait sciemment violé, par dissimulation ou par fraude, ses obligations nées du contrat alors qu’elle savait que des désordres allaient apparaître très rapidement ; la même faute pouvant être imputée à la société S (maître d’œuvre) qui devait assurer le contrôle des travaux. Comme rien n’obligeait la cour d’appel à diligenter des recherches qui ne lui étaient pas demandées, elle a pu en déduire que ces manquements délibérés constituait un dol qui privait les contrats d’assurance de leur caractère aléatoire. Un contrat d’assurance qui ne comporte plus d’aléa devenant inopérant, les deux constructeurs ne sont donc pas couverts. Par Jean-Luc Bouguier

Penserait-on à reprocher à l'entreprise de ne pas signaler une malfaçon visible à la réception ? Non, bien sûr. Alors pourquoi le reprocher à l'architecte ? Surtout quand ce n'est même pas lui qui l'a commise. Il n'a pas droit à l'oubli ou à l'inattention, alors que l'entreprise, qui a fait elle-même les travaux, connaît bien mieux que lui cette malfaçon. Mais voilà, l’architecte est le bouc émissaire facile et universel…

Et pourtant, le maître d’ouvrage « savait dès la signature des marchés »... Un sous-traitant occulte est fondé à exercer une action en indemnisation à l’encontre du Maître de l’Ouvrage qui a réglé les situations de travaux à l’entreprise générale alors qu’il connaissait, ou aurait dû connaitre, l’existence de sous-traitants. (Cass.Civ.3, 9 juillet 2003 pourvoi 0210644). Le Maître de l’Ouvrage s’expose ainsi à payer une deuxième fois les travaux réalisés, et la tentation est grande de se retourner contre le Maître d’œuvre pour ne pas l’avoir averti du risque.

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La jurisprudence n’exige pas de l’architecte qu’il informe le Maître de l’Ouvrage des risques auxquels il s’expose s’il n’accomplit pas l’obligation légale de mettre en demeure l’entreprise de lui présenter ses sous-traitants afin d’agréer leurs conditions de paiement. En revanche, il lui incombe d’avertir le Maître d’Ouvrage dès lors qu’il a connaissance de soustraitants, et aussi de rappeler simplement l’obligation légale d’adresser une mise en demeure à l’entreprise. (Cass.Civ.3, 12 mars 2008, pourvoi n°07-13651). Dans ce contexte, le visa apposé sur une situation de travaux engagerait la responsabilité du maître d’œuvre, et ce quand bien même son client serait conscient de la situation. Ainsi, la Cour de Caen a condamné un architecte à garantir partiellement le Maître de l’ouvrage qui avait été assigné par les sous-traitants. En l’espèce, le Maître de l’ouvrage savait dès la signature du marché que les travaux seraient donnés en sous-traitance, et il fût donc condamné à indemniser les sous-traitants pour avoir violé l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975. Cependant, l’architecte dût le garantir des condamnations à hauteur de 80 %, car, en tant que er professionnel, il avait failli à son devoir de conseil (CA Caen, 1 mars 2005). Par Jean-Luc Bouguier

Ainsi un architecte est condamné pour n’avoir pas rappelé à un maître d’ouvrage un fait (existence d’un sous-traitant), fait que ce maître d’ouvrage connaissait dès la signature des marchés de travaux. Le rappel écrit de l’architecte n’aurait été que de pure forme, puisque son utilité était nulle (le client savait déjà). Pourtant l’architecte a été condamné.

Absence de contrat écrit : un bon prétexte. Un architecte accepte de réaliser un projet pour sa nièce comme cadeau de mariage. Dans la mesure où son client est une personne de sa famille, l’architecte ne prévoit pas de contrat de maîtrise d’œuvre fixant les limites de sa mission - à savoir réaliser la conception architecturale de la maison et déposer le permis de construire. Il ne perçoit pas non plus d’honoraires. Après réception, des malfaçons étant apparues, la nièce assigne l’entreprise, qui appelle en garantie l’architecte. Dans la mesure où aucun contrat ne fixait la mission limitée de l’architecte, le tribunal a retenu que ce dernier avait reçu une mission complète, et que, par conséquent, il aurait dû relever l’erreur de l’entreprise. Ainsi, n’avoir simplement pas signé de contrat rend l’architecte ipso facto responsable des travaux, alors qu’il était évident qu’il n’était pas chargé de leur direction, et a fortiori, pas responsable des malfaçons des entreprise. Où l’on se sert de la forme pour condamner sur le fond…

Idem… Un maître d’ouvrage choisit un entrepreneur de ses amis, ni qualifié, ni assuré. Des erreurs d’exécution entraînent un sinistre. L’architecte est condamné solidairement avec cet entrepreneur pour défaut de direction de travaux. Pourtant, il n’avait été chargé que de la seule conception de l’ouvrage. Mais la convention avec son client n’était que verbale. Il n’a donc pas pu établir la preuve de sa non-intervention sur le chantier Il y a donc recherche d’une erreur dans la forme (absence de contrat) pour trouver là le prétexte à charger l’architecte d’une condamnation sur le fond qui n’a rien à voir avec l’absence de contrat (malfaçon d’ouvrage réalisés par un tiers, et pas de mission « travaux » chez l’architecte)…

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Idem… Un architecte dresse l’esquisse d’une maison destinée à sa sœur. Celle-ci divorce cinq ans plus tard. L’ex-mari, qui avait confié, au vu de cette seule esquisse et sans plan d’exécution, la réalisation de la maison à un artisan non assuré, obtient la condamnation de l’architecte pour insuffisance de fondations. Exemple édifiant de prétexte artificiel pour charger l’architecte de tous les maux… des autres. Une esquisse n’est pas du tout un plan d’exécution, qu’un tiers peut confier à une entreprise pour réalisation.

Idem… Un homme de loi commande à un architecte la réhabilitation d’une ferme, pour un montant de travaux estimé à 91500 euros. Satisfait du résultat, il demande ensuite au maître d’œuvre de transformer en logement une ancienne grange attenante au bâtiment rénové. En fin de mission, l’architecte envoie sa facture. Il reçoit en retour une assignation pour dépassement de l’estimation prévisionnelle. Non seulement il n’obtient pas les honoraires réclamés, mais encore il est condamné à supporter 50% du coût des travaux de la grange car il n’a pu produire ni contrat ni avenant sur la remise en état de celle-ci. Qui peut croire ici à la bonne foi du maître d’ouvrage ? Le tribunal se plairait-il à cautionner les manœuvres de certains « indélicats » ?

Conseiller ne suffit pas. La Cour de Cassation a nettement affirmé que l’architecte chargé de la conception d’un projet et de l’établissement des plans du permis de construire est tenu d’un devoir de conseil envers le maître de l’ouvrage, et doit concevoir un projet réalisable, qui tient compte des contraintes du sol (Cass. 3è civ 25 février 1998 n°96-15.894). Il a ainsi été reproché à un architecte de n’avoir pas parfaitement informé le maître de l’ouvrage des conséquences du défaut de réalisation de l’étude géologique (Cass. 3è civ 11 décembre 2007, pourvoi n°06-21.908 arrêt n°1252). Dans le cas d’espèce, la Cour a considéré qu’il ne suffisait pas que l’architecte conseille vivement une étude de sol à son client. Il faut en outre qu’il lui en explique les raisons et les risques encourus, le tout par écrit pour s’en réserver la preuve. Les conséquences d’une construction sur un sol ne la supportant pas, ne sont-elles pas évidentes ? Comment croire que, quand un architecte « conseille vivement » une étude de sol, le maître d’ouvrage ne comprend pas à quoi elle servirait ?

Plus responsable que les autres… Même si le maître d’ouvrage est notoirement compétent, l’architecte doit avoir mis celui-ci en mesure d’apprécier le risque de manière délibérée et consciente pour pouvoir s’exonérer de sa responsabilité ( Cass. 3è civ, 20 mars 2002, RD imm 2002.236). La Cour de Cassation estime ainsi que le maître de l’ouvrage doit avoir été clairement informé des risques inhérents à son choix ( Cass. 3è civ, 3 mars 2004 ; Cass. 3è civ 25 mai 2005). Pourquoi un architecte serait-il toujours plus compétent qu’une entreprise ou un maître d’ouvrage professionnel ? Et peut-on en pratique avertir en permanence des risques et des problèmes qui peuvent si fréquemment surgir ? Les risques sont « normaux », autant que pour n’importe quel acte de la vie (descendre un escalier, c’est risqué, et potentiellement mortel en cas de chute. On ne met pas un panneau devant chaque escalier pour autant.), Bâtir un prototype présente, par nature, une part d’aléas. Prévenir son client des risques, surtout s’ils sont exceptionnels, l’architecte le fait le plus souvent ; mais il ne peut le faire en permanence. Et, en construisant, il y aura toujours la possibilité d’un imprévu.

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Plus d’innovation ! En matière de choix des matériaux, la Cour de Cassation a considéré que l’architecte dont la mission était limitée à la conception des plans devait être mis hors de cause (Cass. 3è civ 3 juin 1992 ; n°90-11.486). Il est à noter toutefois une tendance conduisant à aggraver la responsabilité de l’architecte dans le cas où celui-ci met en œuvre des matériaux nouveaux ou audacieux, s’il n’attire pas l’attention du maître de l’ouvrage sur l’innovation des matériaux. Pour un architecte, à notre époque, mieux vaut renoncer à toute tentative d’évolution de la technique et donc de l’architecture…

Toujours coupable Sur la base de discussions informelles autour d’un programme, un architecte réalise de nombreuses esquisses pour une cliente, qui opte pour une combinaison de ces différentes propositions. Les travaux progressent difficilement compte tenu des hésitations constantes de la cliente. Au final, cette dernière fait arrêter le chantier et lance une assignation en mettant en cause l’ensemble de la conception de la maison et en prétextant l’attitude dirigiste de l’architecte qui lui aurait imposé un projet qui ne lui convenait pas. En l’absence de programme précis, et bien que l’ensemble des esquisses successives ait été transmis à l’expert judiciaire, le juge ne tiendra pas compte de l’instabilité de la demanderesse et rendra l’architecte responsable de la conception réalisée soi-disant à l’encontre des souhaits de la cliente. Exemple édifiant de « mission-bouc-émissaire » de l’architecte. Et pourtant les plans avaient nécessairement été approuvés par la cliente, ne serait-ce que lors de la commande des travaux aux entreprises. Si on applique cette décision à l’ensemble du monde du commerce, alors n’importe qui pourrait prétendre avoir subi une pression anormale avant de signer un contrat et donc se voir dédouané de le respecter, au prétexte qu’il avait fait réaliser 25 devis avant de signer, montrant ainsi son indécision.

Mission impossible Un architecte signe une mission Visa (visa des plans d’exécution réalisés par les entreprises) pour la construction d’une maison à ossature bois. Il demande en vain les plans d’exécution de la charpente. La construction est réalisée par l’entreprise sans contreventement. Les désordres qui ont suivi la réalisation ont débouché sur une expertise judiciaire. L’architecte a vu sa responsabilité engagée pour ne pas avoir su obtenir les plans et documents d’exécution de l’entreprise. En cas d’erreur de l’entreprise (pas de plans d’exécution), on met le gendarme-architecte en prison… La petite phrase « pour n’avoir pas su obtenir» est un leitmotiv de la Justice. Exiger qu’un professionnel obtienne une action d’un tiers - avec lequel il n’a aucun contrat- alors même qu’il a fait les demandes nécessaires en bonne et due forme, c’est lui demander l’impossible. Et cela n’est exigé d’aucun autre métier. Par ailleurs, le visa de l’architecte ne consiste qu’à vérifier l’adéquation de la conception technique de l’entreprise avec les objectifs recherchés par sa conception architecturale. Il n’a aucune compétence reconnue par aucun diplôme pour valider la conception technique d’une charpente, son dimensionnement… Cette compétence appartient uniquement au charpentier, raison pour laquelle il est chargé de réaliser la conception technique de l’ouvrage. En validant la construction malgré l’absence de fourniture de plans, il a validé la cohérence du résultat avec son projet, pas sa validité technique, qu’il ignore, plans ou pas.

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Piégé ! Un architecte signe une mission limitée à l’établissement du projet architectural et du dossier de permis de construire, le maître d’ouvrage préférant garder la direction des travaux. En cours de chantier, le maître d’ouvrage contacte l’architecte pour lui demander conseil sur une modification au permis de construire. L’architecte se rend sur place. Plus tard, à la suite de malfaçons, l’expert judiciaire requalifie la mission de l’architecte en mission complète pour s’être rendu sur le chantier sans avoir signalé au maître d’ouvrage les malfaçons qu’il avait forcément constatées. L’architecte n’aurait dû accepter de se rendre sur le chantier qu’après avoir obtenu une extension de sa mission. 1- Si l’architecte avait refusé de se rendre sur place, il n’aurait pas pu établir une demande fiable de modification de permis de construire. Si aucun architecte n’acceptait cette mission empoisonnée, n’aurait-on pas pu leur reprocher, surtout si la signature d’un architecte est obligatoire ? Les architectes seront toujours piégés avec de tels raisonnements rendant leur mission impossible. 2- Pour quel motif un client devrait bénéficier d’une prestation d’expertise gratuitement, au seul prétexte d’avoir fait venir chez lui un professionnel, qu’il ne missionne pas pour cette expertise ? 3- Par ailleurs, sur quel fondement pense-t-on qu’un architecte a la capacité de déceler des malfaçons, mieux que le professionnel qui vend la prestation ? 4- Comment une entreprise peut-elle être rendue responsable d’actes de tiers avec lesquels elle n’a aucun contrat ni aucun rapport ?

Délation obligatoire ? Un anglais fait réaliser une maison en France. Il confie à l’architecte une mission limitée à certains travaux et fait parallèlement réaliser d’autres travaux sur la base d’esquisses de l’architecte. Un procès-verbal d’infraction au permis de construire est dressé : il est relatif aux travaux exclus de la mission de l’architecte mais les pièces écrites ne sont pas claires. Le tribunal correctionnel retient la responsabilité de l’architecte car, étant présent sur le chantier au moment de la réalisation des travaux litigieux, celui-ci aurait dû signaler les infractions commises. Sans commentaire…

Terrain glissant Un client choisit avec un architecte un terrain aux contraintes géologiques évidentes, situé dans une station de sports d’hiver. Le contrat d’architecte est signé avec une mission limitée au projet architectural et au dépôt de permis de construire. Le permis obtenu, les travaux débutent sans étude de sol et sans plans d’exécution. Lors de la réalisation des terrassements, un glissement de terrain se produit. Une étude de sol est alors confiée par le client à un géotechnicien qui préconise la réalisation de murs de soutènement et des enrochements. Le coût des travaux étant disproportionné par rapport au prix de la maison, l’affaire devient judiciaire : l’architecte est condamné au remboursement du terrain ainsi qu’au remboursement de ses honoraires. Qui est responsable des conséquences du choix du terrain ? Le maître d’ouvrage, qui l’a choisi ? Le vendeur, qui est censé bien le connaître ? L’entreprise qui a étudié et réalisé les travaux ? Non, bien sûr… mais l’architecte, dont la mission a été limitée à une demande de Permis de Construire et qui n’a pas été missionné pour établir de plan technique. C’est tellement plus facile comme cela…

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Entreprise imposée Pour la construction d’une maison de ville, un client impose une entreprise « amie ». Cet ami entrepreneur demande une avance de 60 % du montant des travaux. L’architecte avertit son client du montant disproportionné de cette avance. Celui-ci passe outre et le marché est signé avec l’entrepreneur qui sous-traite l’ensemble des travaux à une autre entreprise. Le problème survient en cours de chantier lorsque l’entreprise sous-traitante non réglée de ses prestations se retire du chantier. L’architecte et le client découvrent que le sous-traitant n’est ni qualifié ni assuré. L’architecte est condamné pour n’avoir pas pu prouver qu’il n’était pas au courant de l’intervention de l’entreprise sous-traitante. Une fois encore, « condamné pour n’avoir pas pu prouver qu’il n’était pas… » : l’architecte est toujours présumé coupable. A lui de prouver le contraire, or comment prouver « que l’on ne savait pas » ? C’est impossible.

Responsabilité du contrôleur technique ou… 2 poids, 2 mesures. L’affaire : l’exécution de parois moulées et de fondations profondes entraînant de graves désordres aux avoisinants, le bureau de contrôle est mis en cause avec les autres intervenants (architecte, BET, entreprises). Le bureau de contrôle argumente en défense qu’il n’a reçu qu’une mission limitée excluant expressément les avoisinants : or, c’est la vétusté et la fragilité de ces derniers qui restent la cause principale du sinistre. Jugement : le Tribunal, confirmé en Cassation (Cass civ 3°ch 21/05/08) a donné raison au contrôleur technique, considérant qu’il ne peut être tenu responsable que dans la limite de la mission qui lui a été confiée. Les autres intervenants ont par contre été condamnés ! Commentaires : les bureaux de contrôle ont rarement été mis en cause et condamnés, à l’inverse des architectes qui le sont souvent, sauf parfois par des moyens détournés comme le devoir de conseil. Ce devoir de conseil aurait d’ailleurs dû être invoqué pour retenir la responsabilité du bureau de contrôle car la répercussion sur les existants était évidente. Mais ce jugement, en s’appuyant sur les limites de la mission confiée, ne devrait-il pas s’étendre à tous ? Pourquoi y aurait-il deux poids et deux mesures ? Tandis que l’architecte est obligatoirement assuré pour tous ouvrages, les bureaux de contrôle, comme les entreprises, peuvent exclure de leur assurance différents points dont les « travaux accessoires », les VRD ou les avoisinants comme ici. La loi, en rendant l’assurance obligatoire pour tous les intervenants constructeurs, a laissé perdurer ces exceptions. Les cahiers de la profession n°41 Ordre des Architectes Illustration que c’est bien en sa qualité d’architecte que l’on est considéré comme responsable universel, et non pas par la nature de sa mission. Pour les mêmes faits, sur une même affaire, avec les mêmes missions, un Bureau de Contrôle n’est pas responsable, un architecte si.

Façades et « histoire » de l’immeuble Opération : réfection des enduits de façade sur immeuble ancien, le vieil enduit sonnant creux et étant largement fissuré. L’architecte a prévu l’exécution d’un enduit teinté dans la masse gratté, correspondant aux exigences du site protégé à proximité d’un monument historique. Sa prescription précise un piquage des anciens fonds dégradés. Un marché forfaitaire est signé avec un « facadier ». L’affaire : dès le début du piquage de l’ancien enduit, ce dernier tombe par plaques entières, découvrant un ancien pan de bois : l’ABF impose alors de restaurer ce dernier... mais le prix n’est pas le même, et l’entreprise, n’est plus qualifiée... l’architecte se trouve pris à partie par son client qui ne veut pas du supplément et le façadier qui a tout approvisionné et monté son échafaudage pour rien.

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Constatations d’expertise : le bâtiment se trouve dans un quartier où plusieurs maisons présentent un étage en pans de bois. La maison objet du litige a un premier étage en saillie sur le rez-de-chaussée qui devait faire penser à cette existence de pan de bois souvent en encorbellement. En confirmation, archives consultées, un ancien dessin anonyme montre bien cette rue avec la maison et son pan de bois, et, de surcroît, les témoignages de deux vieilles dames voisines, confirment que la maison se trouvait ainsi il y a seulement 60 ans : elle a été enduite après la guerre ! L’architecte devait-il se méfier et faire cette recherche préalable ? Jugement : le tribunal a jugé que l’architecte devait procéder à cette enquête sur l’histoire de l’immeuble. Dans le cadre de sa mission, il avait une obligation de moyens qui n’a pas été respectée. Commentaire : cette affaire montre l’importance de « l’histoire » dans toute intervention sur existants : et cette « histoire », cette « vie » des existants pleine d’informations précieuses est trop souvent négligée. En l’espèce, l’architecte aurait dû s’informer, examiner attentivement les lieux, et, compte tenu en particulier de l’aspect du vieil enduit, procéder éventuellement à des sondages qui auraient révélé le pan de bois et orienté la prescription à faire. Voilà, l’architecte « n’avait qu’à ». Que le client n’assume pas qu’une bâtisse très ancienne puisse naturellement présenter des imprévus, que l’entreprise de façade – donc spécialiste de tels ouvrages - puisse monter un échafaudage sans rien signaler à l’architecte ou à son client, que l’Administration, et en premier chef l’architecte des Bâtiments de France, délivre un permis sans rien signaler au pétitionnaire, ne choque personne. Seul l’architecte doit être historien-devin !

Responsable… de la mission des autres ! Opération : restructuration d’un collège. Le chantier touche à sa fin, l’économe de l’établissement fait le soir un tour d’inspection avant la rentrée scolaire. Elle trébuche dans un escalier : deux côtes cassées et fracture à la jambe droite. La sécurité sociale se retourne contre l’entreprise, le SPS et l’architecte. Constatations d’expertise : le chantier en finition n’est plus clôturé ni signalé (toutes installations de chantier enlevées). L’éclairage n’est pas en fonction et l’escalier, lieu de l’accident, est encore inachevé : c’est une marche dont le carrelage est à refaire qui a provoqué la chute. L’inachèvement de l’escalier aurait dû être signalé, la victime avait le droit (et le devoir) de faire cette inspection bien que sans lien avec le maître d’ouvrage (le Conseil Général). Jugement : l’entreprise, le contrôleur SPS et l’architecte ont été contraints de rembourser la sécurité sociale et de dédommager la victime. Commentaire : cette affaire montre que, malgré la présence d’un contrôleur SPS, l’architecte peut encore être recherché s’il n’apporte pas la preuve de sa non responsabilité : ici, il avait rédigé un PV de chantier en écrivant que tout était OK... alors que l’escalier restait à traiter, toutes protections et signalisations de chantier enlevées. Encore un exemple, parmi mille autres, de la responsabilité de l’architecte sur le travail et les engagements des tiers – ici, responsable de la mission spécifique SPS du Contrôleur Technique…

Idem… Opération : construction d’un centre commercial avec une belle structure de poutres en lamellé-collé présentant un important porte-à-faux. L’architecte a prévu sous les poutres une façade-vitrine transparente qui se découpe pour laisser passer les pièces en lamellé-collé. Trois ans après, les vitrines se brisent une à une, comprimées par le fluage des poutres… l’architecte est assigné avec les entreprises.

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Constatations d’expertise : il a bien été prévu et installé un joint de désolidarisation entre vitrines et poutres… mais insuffisant pour du lamellé-collé qui a la particularité d’avoir un fluage différé pendant près de 4 ans. Ce fluage a bien été indiqué et quantifié par l’ingénieur de structure dans son dossier. L’exécution du travail est irréprochable : les poutres présentent un fluage inférieur aux calculs. Jugement : le tribunal a condamné l’architecte auquel il appartenait de tenir compte du fluage calculé par le BET en faisant réserver entre vitrage et poutres les jeux nécessaires. Commentaire : cette affaire montre l’importance de la prise en compte des particularités des matériaux utilisés : ici le lamellé-collé et son fluage avec, en face, l’extrême fragilité des vitrages à la compression. Elle montre aussi l’importance de l’examen des documents techniques et plans d’exécution : ici l’architecte n’avait pas intégré les prescriptions de l’ingénieur-conseil. Encore un exemple d’erreur technique très spécifique attribuée à… l’architecte, comme toujours. N’est-ce pas plutôt de la responsabilité du menuisier ? C’est bien le menuisier qui conçoit le détail de ses ouvrages, livrés sur chantier. Cette disposition est totalement de son ressort. Et pourquoi ne pas retenir la responsabilité du BET qui avait calculé ce fluage ? Un architecte est bien condamné parfois pour des travaux même s’il n’a qu’une mission de demande de permis de construire…

Encore responsable à la place des autres Opération : bâtiment industriel avec un équipement très spécifique. Mission architecte : précise un “marché d’étude global” (donc incluant ces équipements). Affaire : le gros œuvre construit, le client constate que de nombreuses dispositions sont incompatibles avec les équipements à installer et en rend l’architecte responsable. Constatations d’expertise : le client avait la maîtrise des équipements commandés à des spécialistes et devait donc informer correctement l’architecte et voir avec lui la parfaite adéquation des dispositions architecturales et des équipements. Or, il n’a pas transmis toutes les données, et en particulier l’encombrement des machines. Mais l’architecte, ayant une mission “globale”, (bien que sans honoraires sur les équipements), il devait s’en inquiéter et interroger son client en mettant l’accent sur l’importance de la prise en compte des spécificités de l’usine et de ses équipements. Jugement : le tribunal a retenu contre l’architecte une responsabilité partagée au motif qu’il avait signé un contrat d’étude global, mais l’a fortement limitée au motif qu’il s’agissait d’un process industriel que seul le client pouvait maîtriser et conservait le devoir d’information avec ses fournisseurs. La responsabilité de l’architecte a été retenue parce que le client, professionnel et spécialiste dans le domaine qui a généré le problème - alors que l’architecte y était étranger – ne lui a pas transmis toutes les informations nécessaires… Comment expliquer cela ?

L’architecte doit prédire l’avenir et en estimer les conséquences… ! Opération : habitation de grand standing bâtie en site campagnard, sur un terrain de 5000 m en légère pente, avec un sous-sol général sur RC surélevé avec la chaufferie.

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Affaire : le terrain en plaine alluvionnaire présente une épaisseur de 1,50 m d’alluvions argileuses sur un lit de graviers que le sous-sol affleure. Un petit ruisseau de plaine en limite basse du terrain (- 1,20 m) se jette dans la rivière proche. Lors des terrassements, une faible arrivée d’eau se produit dans la couche de gravier, jugée normale, mais la nappe phréatique est bien plus basse (- 2,20 m).

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L’architecte fait établir un drain autour des parois du sous-sol, un enduit ciment extérieur et une couche de flinkote. Il n'y a pas de problème pendant 3 années, puis il y a une légère inondation du sous-sol : l’eau sourd entre les parois et le dallage sur tout le périmètre. Alerté, l’architecte dit que la solution est dans un petit puits d’équilibre qu’il fait réaliser dans un coin, et il ajoute par prudence une pompe avec un flotteur maintenant l’eau sous le niveau du sous-sol. Mais cela ne résout rien, et les inondations se font plus graves : l’année suivante il y a 60 cm en sous-sol, provenant du puits d’équilibre qui déborde abondamment, la pompe est en court-circuit, la chaufferie et toutes les installations et affaires sont perdues. Comme par hasard, seul l’architecte est là : les artisans ont disparu et personne ne sait comment ils étaient assurés. L'architecte ne sait même plus qui a posé la pompe (réglée au noir ?). Il est donc assigné. Constatations d’expertise : le secteur autrefois isolé a été largement urbanisé avec notamment une zone commerciale et artisanale qui envoie toutes les eaux pluviales dans le petit ruisseau, lequel déborde et monte au-dessus du niveau du sous-sol, bloquant l’eau qui circule dans le lit de gravier. La pompe posée est insuffisante, mal protégée et le drain créé aggrave la situation. En fait, le remède appliqué est inadapté à la situation, et la seule solution était dans un cuvelage onéreux. Règlement du litige : Le problème juridique était de dire si la "cause étrangère" pouvait être envisagée, car la cause du sinistre était bien dans un apport d’eau au ruisseau incompatible avec son débit possible. Ce qui n’a pas été retenu : l’architecte a été condamné au motif que le développement du secteur était connu avec ses conséquences liées au terrain et son environnement, et que deux fautes successives avaient été commises : la création d’un sous-sol en présence d’un cheminement d’eau sans cuvelage en réponse, puis l'adoption d'une solution palliative inadaptée. Conclusion : l’architecte ne doit pas seulement tenir compte des lieux en l’état, il doit prédire l’avenir et ses conséquences. On a déjà vu qu’il devait faire des recherches historiques pour connaître le passé, voilà maintenant qu’il doit connaître le futur. La boule de cristal devient donc indispensable.

Présence… coupable ! Opération : très grosse opération d’établissement public réalisé en plusieurs tranches “fonctionnelles”. Mission architecte : limitée au projet APD (direction des travaux assurée par les services techniques du maître d’ouvrage). Affaire : la première tranche est achevée et ouverte au public, la deuxième est engagée. Un incendie est provoqué par les travaux en cours, provoquant panique, blessés et morts. Le maître d’ouvrage, les entreprises, l’architecte, le bureau de contrôle, l’administration et sa commission de sécurité sont impliqués au pénal. Constatations d'expertise : le public a été partiellement pris au piège car les issues de secours côté extension sont bloquées, l’alarme incendie n’est pas activée, pas d’extincteurs, les parois coupe-feu sont ouvertes au niveau des plenum à cause de l’extension des réseaux etc. Bien que l’architecte n'ait pas la direction des travaux, il est établi qu’il a été présent chaque semaine (à cause de la troisième tranche) et fait chaque fois un tour avec le client. Jugement : tous ont été condamnés à des niveaux différents, y compris l’architecte qui, dans son projet, n’avait absolument pas parlé des mesures d’interfaces à prendre et qui, bien que déchargé de la direction des travaux, mais constamment présent pour la suite du projet, devait constater l’évidence de nombreuses entorses aux règles de sécurité, et mettre en garde ses clients. « Bien que l’architecte n'ait pas la direction des travaux,… », c’est donc bien sa seule présence qui rend l’architecte coupable, indépendamment des erreurs… qu’il n’a pas commises.

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Présumé complice Opération : belle résidence dans un grand parc arboré. Mission architecte : complète. Affaire : 15 ans après le décès du propriétaire, la résidence est vendue. L’acquéreur constate des fissurations importantes en façade latérale avec affaissement du terrain : il fait appel à un expert pour en connaître les raisons. Constatations d'expertise : l’expert a constaté que fissures et affouillement provenaient de la rétention des eaux usées : le sol argileux gorgé d’eau s’est affaissé, entraînant la fissuration des murs. Il a par ailleurs découvert que l’entreprise avait enterré souches et branchages lors du déboisement sur l’emprise, et renvoyé dans un vieux puits toutes les eaux usées, recouvrant le tout de terre. A la longue, les bois ont pourri, et le puits s’est colmaté provoquant l’affaissement du sol, rupture du réseau et épandage des eaux au pied de la fondation. Parallèlement, la facturation retrouvée (document produit par le vendeur pour sa défense), revêtue de “bon à payer” par l’architecte indiquait le transport aux décharges et la création d’un système d’épuration des eaux usées avec épandage par réseau drainant réglementaire : or ce réseau est absent ! Devant cette situation le nouveau propriétaire a attaqué en justice pour dol le seul architecte car l’entreprise avait depuis longtemps disparu. Jugement : le tribunal a condamné pénalement l’architecte considérant – qu’ayant la direction des travaux, il ne pouvait pas ignorer les deux opérations frauduleuses de l’entreprise – et qu’en approuvant la facturation, il en était devenu complice : ceci bien que l’architecte ait plaidé qu’il n’avait pas mission de “surveillance” mais seulement “direction” et avait donc ignoré les deux fraudes, d’où son acceptation du décompte présenté. Ainsi la complicité est présumée quand on est architecte. Or, comment prouver que l’on ne savait pas ? Là aussi, mission impossible.

Enquête préalable chez les tiers Opération : remplacement d’un toit terrasse par toiture tuiles sur fermettes dans le cadre de la restructuration d’une maison de retraite. Mission architecte : complète. Affaire : sur la vieille terrasse, mise en place de fermettes avec pignons en clins et avant-toits lambrissés, redonnant à l’immeuble un aspect plus traditionnel et local. Par vent un peu violent (mais dans les valeurs prévisibles), les fermettes se couchent comme un château de cartes ; les pignons en clins chutent, écrasant la couverture de la terrasse devant le salon ; en s’engouffrant sous le toit, le vent fait voler les tuiles qui se répandent sur les pelouses et les voies autour de la maison : fort heureusement, c’est la nuit : pas de victimes. Architecte et entreprises sont mis en cause. Constatations d'expertise : les fermettes se sont couchées par insuffisance de contreventement : le logiciel de calcul appliqué par le BET du fournisseur, correspond à des fermettes de pavillons (moins de 11 m). A l’époque, il n’existe pas d’autre méthode qui se révèle cependant inadaptée à ces fermettes de 18,50 m. S’agissant d’une couverture sur terrasse BA, il eut été simple de construire à peu de frais un petit refend en maçonnerie confortant le contreventement déficient. Une bonne partie des fermettes étant récupérée, la réparation préconisée a été de rétablir un bon contreventement. Jugement : le charpentier et son fournisseur de fermettes industrielles ont été condamnés, mais l’architecte n’est pas sorti indemne : il aurait dû dans le cadre de sa mission “EXE” (examen et visa des plans d’exécution) relever que le BET avait utilisé un logiciel de calcul inadapté puisque visant seulement les pavillons. Un architecte, non seulement doit-il, mais aussi peut-il se rendre chez tous les bureaux d’études et toutes les entreprises pour faire une enquête sur la validité des logiciels utilisés par chacun ??? On touche là au ridicule si ce n’était aussi consternant.

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Pour terminer cette liste consternante, une anecdote plus souriante (quoique…). En faisant la queue à la Poste, j’observais un client qui cherchait à poster des lettres prêtes à partir. Une personne lui indique alors que la boîte aux lettres se situe à l’extérieur – sans préciser que c’est un choix délibéré de la Poste pour se préserver des risques d’attentat par colis piégé. Le client fulmine : « Ainsi je dois sortir ?! alors qu’il pleut ! Quelle idée stupide de placer cette boîte à l’extérieur ! quel est l’idiot d’architecte qui a décidé cela… ? ».

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La nature de l’engagement contractuel des architectes QUELLES SONT LES COMPÉTENCES DES ARCHITECTES ? Pour être architecte, il faut en général être diplômé d’une école d’architecture reconnue par l’Etat français. Quel est le contenu de cet enseignement ? Voici, à titre d’exemple, le programme pédagogique de l’école d’architecture de Paris-Val-deSeine. On peut lire sur internet des programmes d’autres écoles, ils sont du même ordre. Le nouveau programme pédagogique réaffirme la place essentielle de la démarche de projet dans l'enseignement de l'architecture. Il offre également à l'étudiant de deuxième cycle la possibilité de définir un parcours personnalisé parmi la diversité des enseignements proposés au sein de différents domaines d'étude. L'acquisition des connaissances et du savoir-faire mis en œuvre dans le projet, d'un socle culturel solide, associée à l'encouragement d'un regard critique assure aux futurs diplômés la capacité d'exercer d'une manière inventive et responsable des missions diversifiées. Le diplôme d'études en architecture conférant le grade de licence (bac +3 ans) Ce premier cycle de formation initiale est organisé en 6 semestres. Le cycle licence permet à l'étudiant d'acquérir les bases d'une culture architecturale ainsi que les outils, les concepts et la méthodologie qui lui sont nécessaires pour développer une hypothèse au moyen d'une démarche de projet maîtrisé. Il se fonde sur les enseignements de la pratique du projet d'architecture et d'urbanisme, de la théorie de l'architecture et de l'histoire de l'architecture et de la ville complétés par des enseignements spécifiques relatifs à la technique, aux arts et aux sciences. Ce cycle comprend deux stages : un stage ouvrier ou de chantier et un stage dit « de première pratique ». Le diplôme d'Etat d'architecte conférant le grade de master (bac + 5 ans) Les formations dispensées dans ce second cycle s'inscrivent simultanément dans des perspectives d'insertion dans le monde du travail, dans celles de la maîtrise d'œuvre et de la recherche. Le diplôme d'État d'architecte s'affirme clairement comme une étape sanctionnant un niveau d'études supérieures, et non pas exclusivement comme un diplôme professionnel. Il permet à l'étudiant, en lui offrant un large éventail d'enseignements autour de domaines d'étude, de construire la spécificité de sa démarche au regard des questions de l'époque. Quatre domaines d'étude sont proposés à l'Ecole : • Grande échelle des établissements humains - Ville / Territoires • Matérialité de l'édifice - Forme / Usage / Technique • Patrimoine - Reconversion / Transformation • Processus de conception - Méthodes et supports théoriques

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Le diplôme d'État comprend, outre la validation des projets et enseignements choisis, la rédaction d'un mémoire, un Projet de Fin d'Études présenté devant un jury et un stage de formation pratique de huit semaines minimum. Les diplômés peuvent exercer une activité salariée dans les agences d'architecture, les entreprises, les services publics ou encore les collectivités locales, en qualité d'architecte. L'habilitation à exercer la maîtrise d'œuvre en son nom propre (HMONP) L'architecte diplômé d'Etat souhaitant s'inscrire à l'Ordre des architectes et réaliser un projet sous sa propre responsabilité, c'est-à-dire signer un permis de construire, doit suivre une formation complémentaire d'une année qui comprend 150 heures de formation, dispensées en alternance avec une mise en situation professionnelle d'un minimum de 6 mois. La HMONP permet aux architectes d'approfondir et d'actualiser leurs connaissances dans cinq champs spécifiques : les conditions d'exercice ; les missions de la maîtrise d'œuvre ; le montage d'opération ; l'exécution des travaux ; le cadre légal de l'exercice de la profession réglementée. L'habilitation est décernée par un jury, composé au minimum de cinq membres dont deux tiers sont architectes praticiens. La formation est ouverte aux titulaires du Diplôme d'État d'Architecte, ou d'un diplôme équivalent européen, disposant d'un contrat de travail au sein d'une structure d'accueil en maîtrise d'œuvre. La part de l’étude des techniques liées à la construction n’est pas prédominante, loin de là. Il ne s’agit pas de transformer des futurs architectes en ingénieurs hautement qualifiés dans tous les domaines de la construction. L'habilitation à exercer la maîtrise d'œuvre en son nom propre (HMO-NP) ne dure que 150 heures, dont la partie « exécution des travaux » n’est pas, là non plus, prédominante. Quant à la formation professionnelle continue, elle sert à se tenir au courant dans des domaines variés, pas uniquement techniques. Elle permet d’avoir des connaissances sur l’évolution de compétences utiles à l’architecte. Elle est forcément limitée à quelques heures par an, au mieux à quelques jours. Elle ne peut pas apporter un savoir complet, sans lacune. A l’instar du médecin généraliste qui en sait assez pour intégrer les grandes lignes des savoirs des spécialistes dans son travail, sans pour autant prétendre réaliser la part relevant d’une spécialité technique, la maîtriser, la contrôler, notre connaissance technique ne sert qu’à dimensionner correctement et ne pas faire de contre-emploi.

En conclusion, il est absurde et artificiel de demander à l’architecte de posséder un savoir général et complet sur l’ensemble des techniques du bâtiment. Une vie d’étude n’y suffirait pas.

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LA MISSION DE CONCEPTION DES ARCHITECTES EST DE CRÉER DE L’ARCHITECTURE

Quelle est la mission de l’architecte ? Dans un premier temps, l’architecte conçoit l’ouvrage. Il s’agit de conception dite « architecturale », en ce sens qu’elle définit le bâtiment dans son implantation, son dimensionnement, ses matériaux pour ses composants principaux, ses couleurs et – parfois – dans son environnement. Cette définition porte sur l’essentiel de la construction et non dans les détails. Les créations des divers composants d’un bâtiment font appel maintenant à des techniques complexes et variées. Les architectes n’ont pas suivi de formation pour maîtriser toutes ses techniques ; et personne ne peut prétendre pouvoir le faire. Il est donc absurde d’attendre chez lui cette connaissance immense, démesurée. En outre, ce serait un travail colossal, hors de mesure avec une production à réaliser forcément dans un temps limité. Et où serait la limite de sa « conception technique » ? Qui la fixe ? Qui penserait à reprocher à l’architecte de ne pas avoir – par exemple – défini le pas de vis des fixations des sous-faces des volets roulants ? Il s’agit bien pour l’architecte d’assurer une définition générale de l’œuvre, chaque entreprise ou chaque bureau d’études prenant le relai pour une définition plus précise des ouvrages qui les concernent, les fournisseurs de matériaux ou de matériels assurant pour leur part la définition dans les moindres détails de leurs ouvrages en propre (on trouvera là, par exemple, la définition du pas de vis cité plus haut).

Une mission étendue à la technique doit être spécifiée Cette définition de conception générale de l’ouvrage est celle mentionnée dans les contrats d’architecte. Parfois la mission de conception technique (spécifications techniques et plans d’exécution) est assurée par l’architecte, c’est une étendue de la mission de base, elle est toujours mentionnée en tant que telle dans le contrat d’architecte. La rémunération de l’architecte est augmentée en conséquence. En général, il sous-traite alors tout ou partie de cette étendue de mission. Et, là aussi, cette mission technique doit avoir des limites raisonnables. Un engagement particulier, au-delà de l’objet habituellement dû par un professionnel, ne se présume pas s’il n’est pas explicitement mentionné en tant que tel dans le contrat. En droit français, on dit « Les conventions librement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » (art.1134 du Code Civil) et le maître d’ouvrage ni les entreprises et, partant, ni la Justice, ne doivent donc réclamer à l’architecte plus que ce qui est normalement dû et ce qui n’est pas contractuel. Article 11 Tout engagement professionnel de l'architecte doit faire l'objet d'une convention écrite préalable, définissant la nature et l'étendue de ses missions ou de ses interventions ainsi que les modalités de sa rémunération. (…) CODE DES DEVOIRS PROFESSIONNELS DE L’ARCHITECTE

En conclusion, la mission de conception est une création architecturale et non une création technique. L’architecte n’a pas la compétence d’une entreprise dans son domaine propre, il n’a donc pas à corriger les spécialistes de certaines techniques, qu’ils soient des bureaux d’études ou des entreprises de construction ; et il n’a pas à être responsable des éventuelles erreurs de ces spécialistes, plus compétents que lui.

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SUIVRE UN CHANTIER ET NON LE DIRIGER

Le « maître d’œuvre » maîtrise-t-il l’opération ? Si le « maître d’ouvrage » a bien un pouvoir de tout décider, l’architecte, bien qu’appelé « maître d’œuvre », n’a pas le pouvoir juridique de se faire obéir. Par opposition à un contrat d’entreprise, tel par exemple que celui de contractant général, l’architecte n’a de lien contractuel qu’avec son client, le maître d’ouvrage. Voici les schémas des liens contractuels qui organisent une opération de construction. En A, le maître d’ouvrage fait appel à un architecte,

en B, il contracte avec une entreprise (ici, pour l’exemple, avec un contractant général).

Il est clair que l’organisation juridique des intervenants n’est pas du tout la même.

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En B, le constructeur « vend » au client tout l’ouvrage, et donc il réunit toutes les responsabilités des autres intervenants qui sont ses sous-traitants, directs ou indirects. En A, l’architecte n’est qu’un intervenant parmi d’autres, il ne vend que sa prestation d’architecte, augmentée le cas échéant et uniquement si c’est bien prévu à son contrat, d’une ou de plusieurs prestations de bureaux d’études. Il n’a pas d’autorité sur les autres intervenants. Il n’a donc de pouvoir de décision et de responsabilité que sur cette vente de ses propres prestations.

Sur le chantier, en pratique, la mission de l’architecte se concrétise par une série d’actes, dont les limites doivent être contractuelles. Il s’agit essentiellement de : • Ses Plans de projet, qui ne sont pas des plans d’exécution (la mission EXE est hors mission de base), ce sont des plans de conception architecturale où le dimensionnement est plus précis que dans l’avant-projet, afin de proposer un dimensionnement à partir duquel les bureaux d’études et les entreprises établissent leur conception technique. • Ses Cahiers des Clauses Techniques Particulières, qui ne sont pas (ainsi que cela y est généralement précisé) un descriptif exhaustif des fournitures, des travaux ni de leur mise en œuvre. Ce sont des préconisations des matériaux et équipements essentiels composant l’œuvre, avec des indications de mise en œuvre qui n’ont jamais la prétention d’être exhaustives. Uniquement pour définir une esthétique, une qualité, des performances à atteindre, des dimensions, des contraintes de mise en œuvre en termes de délais, de phasage, d’interface avec d’autres ouvrages, des voisins, des servitudes. Un architecte qui ne prévoit pas de drain en périphérie d’un bâtiment, alors que celui-ci est nécessaire, est-il fautif ? Si oui, cela reviendrait à considérer que l’entreprise n’a pas à savoir, elle, que ce drain est nécessaire. Et donc que cette entreprise est techniquement incompétente, alors qu’elle n’est pas généraliste de la construction mais que, justement, elle est bien plus apte que l’architecte à maîtriser les techniques de conception de maçonnerie, son seul domaine de compétence. Considérer qu’une entreprise est ignorante d’une technique parce qu’elle réalise un travail manuel serait inacceptable. Aucune raison ne peut valablement rendre techniquement l’entreprise incompétente dans son domaine, si ce n’est une habitude totalement infondée. En cas de doute, l’entreprise peut faire appel aux bureaux d’études techniques spécialisés font profession de dispenser leurs conseils techniques. Seul le conseil de l’architecte de ne pas faire de drain, alors que celui-ci est nécessaire, serait fautif, ce qui est fondamentalement différent. Enfin, prévoir le détail de tout ce qui est nécessaire à une construction reviendrait à reprendre les textes des D.T.U., ce qui est irréaliste et, de toute façon, ne servirait à rien puisque un dossier beaucoup trop volumineux ne serait pas lu par les contractants. • Ses Visas des plans d’exécution ne sont pas une validation technique (ce qui est généralement mentionné sur les visas en question), mais uniquement une validation de conformité « au projet architectural » (voir la définition du projet architectural au paragraphe cidessus « Quelle est la mission de l’architecte ? »). • L’absence éventuelle de Bureau de Contrôle, comme de Coordinateur SPS ou de certains Bureaux d’Etudes ne doit pas transformer l’architecte en bouc émissaire universel en lui inventant des missions qu’il n’a pas.

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• Ses visites de chantier ne sont pas des visites de contrôle technique, mais uniquement des visites de contrôle de la conformité « au projet architectural », et, dans la mesure où c’est possible et réaliste, de la conformité apparente des dispositions du marché. Un contrôle digne de ce nom est un contrôle permanent, on l’a vu. Il est impossible à quiconque (autre que l’exécutant lui-même d’une tâche précise) de contrôler en permanence la réalisation d’un ouvrage, car cela reviendrait à ne plus avoir d’autres actions que ce contrôle ponctuel luimême. L’architecte n’a pas de mission de surveillance. Il ne peut pas se tenir en permanence et simultanément derrière chaque ouvrier. Et tout contrôle a posteriori est incomplet car la mise en œuvre compte indépendamment de l’aspect. En outre, la complexité des bâtiments ne laisse pas apparents tous les ouvrages successifs. Pour l’architecte, signaler à l’attention de l’entreprise et du maître d’ouvrage une disposition qui lui paraît ne pas convenir, est un acte de conseil ponctuel ; cela n’est en rien une reconnaissance de sa responsabilité sur l’ensemble de l’ouvrage. Même le « contrôle technique » du bâtiment n’est pas un contrôle du travail réalisé, mais un contrôle de la conformité a priori des choix techniques, et un contrôle a posteriori des installations à partir des rapports d’essais. Pour une voiture, par analogie, le contrôle technique ne consiste pas à dire si la voiture est « bien construite », mais consiste à lui faire passer une série de tests et dire si les résultats obtenus sont conformes aux normes - ou pas - pour ces seuls tests. Cela n’a rien à voir avec une vérification totale de l’ensemble du travail réalisé par d’autres, ni la recherche exhaustive d’erreurs. • Ses mises au point en réunion de chantier n’ont jamais vocation à déterminer des solutions techniques. Il peut suggérer des pistes, rappeler des oublis, exposer ses objectifs recherchés, mais il ne peut rien imposer ni déterminer, ses capacités, là également, étant inférieures à celles des spécialistes dans chaque domaine. Il doit seulement valider (ou non) la conformité «au projet architectural» des solutions techniques proposées par les entreprises. Il peut donner son avis, ce n’est pas un ordre auquel sont tenus d’obéir tous les intervenants, sans discussion. • Ses Certificats de Paiement sont l’expression de ses conseils au maître d’ouvrage : il conseille de payer ou de ne pas payer telle somme. Les intérêts financiers des entreprises ne sont pas les mêmes que ceux du maître d’ouvrage, celui-ci doit donc veiller à ne pas effectuer des paiements inconsidérés et il a besoin des conseils d’un professionnel qui n’est pas impliqué financièrement dans l’opération. C’est le rôle de l’architecte. Ces conseils n’ont pas à être considérés comme une « vente » par l’architecte des œuvres et ouvrages des tiers. Ces conseils n’apportent donc pas la garantie de ces œuvres et ouvrages. Il s’agirait, à le faire, d’un sophisme absurde juridiquement. • Ses interventions au titre de la coordination des études et des travaux ne visent, là aussi, qu’à améliorer la réalisation de l’opération. Cela ne peut pas donner à l’architecte ni la responsabilité du délai effectif des travaux, puisque ce n’est pas lui qui œuvre dans chaque cas, ni la responsabilité de l’opportunité de telle ou telle intervention, puisque ses compétences sont inférieures à celles de chaque intervenant. Le considérer serait, là aussi, un sophisme complet. L’architecte constate l’avancement des travaux par rapport aux dispositions des marchés de travaux, signale les retards les retards qu’il constate, et propose éventuellement des mesures d’amélioration.

Les faiblesses humaines Les hommes et les femmes qui œuvrent dans les entreprises ont leur part de faiblesse imprévue que l’on retrouve dans chacun de nous. Il est impossible à quiconque, ni même à l’intéressé lui-même, de prévoir précisément quand et où aura lieu une faiblesse faisant faire une erreur ; ni bien sûr, sur quoi portera cette erreur. L’existence éventuelle d’une part d’erreur d’une entreprise dans une construction actuelle complexe, en général indécelable par l’architecte lors d’une visite de chantier, est une réalité. Il est bien évidemment absurde de reprocher à l’architecte les erreurs (faiblesses, manques, oublis…) des intervenants tiers dont il ne fait pas partie (bureaux d’études, entreprises, fournisseurs) – ou pire, de n’avoir pas su prévoir la survenance de telles erreurs !

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Les assurances Pour pallier ces erreurs, il existe des assurances. L’erreur involontaire étant un fait avéré que l’on doit prendre en compte est la justification de leur existence économique. Or les architectes sont obligatoirement bien assurés, leur Code des Devoirs Professionnels les y oblige. Trop souvent, la responsabilité (partielle) des architectes est retenue car : -

il est commode de considérer l’architecte comme étant un « sachant » universel, au pouvoir démesuré et donc à la responsabilité sans borne : « il est responsable parce qu’il est architecte », point-barre.

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cela permet de palier aux faiblesses éventuelles d’assurance des autres intervenants qui n’ont pas cette contrainte de vérification d’assurance. Dans ce cas, on privilégie donc l’intérêt du client (et du vrai responsable) au détriment de l’architecte, ce qui est juridiquement et surtout moralement, inacceptable.

En conclusion, l’architecte ne dirige plus (depuis longtemps) le chantier, en ce sens qu’il n’en est plus le directeur, responsable de subordonnés qui doivent se conformer à ses directives, sauf pour respecter un projet architectural et atteindre collectivement les objectifs qui ont été acceptés dans les marchés de travaux. C’est une vision complètement dépassée de la réalité actuelle. Il n’est chargé, donc responsable, que de la conformité de la réalisation avec le projet architectural. Pour cela, il vérifie la conformité apparente des dispositions du marché dans la mesure où c’est possible et réaliste. Il peut utiliser ponctuellement ses compétences pour aider à la bonne réalisation des études ou des travaux, ainsi qu’à leur coordination, dans l’intérêt de son client, mais ce n’est en rien un endossement de la responsabilité propre à chaque producteur d’œuvre (études et/ou réalisation). L’en considérer responsable est un artifice sans fondement, car proposer des améliorations n’est pas endosser la responsabilité des carences constatées. Ce serait, par analogie, rendre responsable la Sécurité Routière d’un accident au motif que la vitesse n’était limitée qu’à 50 km/h, vitesse respectée par l’automobiliste et qui ne l’aurait pas empêché de percuter un autre véhicule…

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LES INTERVENTIONS DE CONSEILS AUPRÈS DU MAITRE D’OUVRAGE Un conseil n’est pas une décision « Le centre du pouvoir s’est déplacé de l’architecte au maître d’ouvrage » Rapport Spinetta – La documentation française - 1975 Le propre d’une profession libérale, telle qu’architecte, est de dispenser des conseils. La décision – ou non - de faire est du ressort exclusif de son client, ici le maître d’ouvrage. En disant cela, il ne s’agit pas d’éluder la responsabilité de ces conseils qui sont ceux d’un professionnel envers un néophyte ; mais il s’agit de ne pas oublier que l’architecte n’est pas le mandataire de ses clients, qu’il n’agit pas en leur nom, encore moins à leur place. Il se trouve que l’architecture est le domaine où les clients des professionnels libéraux sont le plus interventionnistes. Même l’Administration, par le biais des autorisations d’urbanisme, intervient largement dans la conception de l’œuvre…! L’architecte n’a donc pas le pouvoir de décider, il doit obligatoirement tenir compte des instructions, plus ou moins étendues, du maître d’ouvrage. Et ces décisions peuvent être un facteur d’aggravation d’un risque, tel que le choix de certaines entreprises au moindre prix, de délais resserrés, de conception d’ouvrage particulier, etc. L’architecte peut, bien entendu, démissionner si une décision du maître d’ouvrage lui apparaît trop mauvaise, mais il ne pourra pas le faire à chaque décision qui ne serait pas exactement ce qu’il préconise car cela pourrait être jugé abusif et donc pourrait l’amener à une condamnation.

Un conseil n’est pas une garantie L’architecte dispense des conseils suivant la vision qu’il a de l’opération et de son déroulement. • Il ne peut pas, on l’a vu, avoir une science absolue de tous les savoirs du « bâtiment ». • Il ne peut pas non plus maîtriser les actions des autres intervenants dans la construction. • Il ne peut pas, enfin, prédire, comme un devin, les aléas du déroulement d’une opération de construction, qui est par définition un prototype. Il ne peut donc pas apporter une garantie à l’ouvrage par l’action de ses seuls conseils.

Nous exerçons une profession libérale En exerçant une profession libérale, l’architecte dispense donc des conseils. Il n’est responsable, comme tout un chacun, que de ses engagements et de ses actes. Cela paraît une évidence tellement simple qu’il est curieux de devoir le rappeler. Il n’a pas à endosser la responsabilité des tiers. Seule une erreur dans ses conseils pourrait lui être reprochée, à la double condition, bien entendu, que : • cette erreur soit démontrée – on doit respecter la présomption d’innocence, même pour les architectes • cette erreur ait pu s’imposer au tiers qui a provoqué le dommage éventuel.

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POURQUOI NOUS NE SOMMES PAS DES CONSTRUCTEURS Nous exerçons une profession libérale En reprenant le titre du paragraphe précédent, nous rappelons qu’une profession libérale ne vend pas un ouvrage avec l’obligation de résultat qui en découle, mais qu’elle vend des conseils auxquels ne sont attachés qu’une obligation de moyens, puisque le résultat attendu par ses clients est produit par des tiers : l’autorisation d’urbanisme est délivrée par la Commune, l’ouvrage l’est par les entreprises. Seule la réalité matérielle des plans et des dossiers écrits pourraient lui être exigée…! ce qui ne constitue pas un objet de construction, mais seulement un outil. Nous ne sommes donc pas des constructeurs qui, juridiquement et économiquement parlant, vendent une construction ou une partie de construction à leurs clients.

La notion de risque / bénéfice

La réalisation d’un bâtiment est celle d’un prototype et non d’un produit industrialisé. Ce bâtiment n’existe pas dans un exemplaire antérieur, préalablement mis au point, et sa production n’est pas maîtrisée à tous les niveaux comme le sont les objets industriels. Il y a donc un risque potentiel de corrections, voire de malfaçons, qui est inhérent à la nature même de la fabrication de ce prototype. En n’achetant pas un objet fini à un producteur comme ceux que proposent des promoteurs dans leurs contrats VEFA ou des constructeur dans leurs contrat CMI, nos clients doivent avoir conscience de la notion de risque pris en contrepartie des chances de bénéfices dont ils seront les seuls bénéficiaires (ce bénéfice, c’est éviter de payer la marge retenue par les promoteurs et les constructeurs, rémunérant ce risque) et qu’ils ne peuvent donc opposer à l’architecte puisqu’ils ne le rémunèrent pas pour cela : • Risque technique : mauvaise surprise sur existant impossible à voir sans sondage destructif, mauvaise surprise des sols, erreurs ou défaillance d’entreprise, de fournisseur, etc…. • Risques de délais, dus à cette défaillance d’entreprise, retards de chantier s’imputant en chaîne sur toute la profession, difficulté à obtenir des devis pour certaines opérations complexes, imprévus juridiques, retard ou même refus injustifiés de l’Administration, surprise de chantier, intempéries, retards ou erreurs de livraison des matériaux, rupture de stock, retards ou erreurs des concessionnaires, etc… • Risques financiers : un prix pouvant évoluer à tout moment, suivant les incidents de parcours que nous venons d’évoquer. Ce risque est une réalité. Pour en garantir la protection du client, il doit, comme tout risque, faire l’objet d’une assurance ou, du moins, d’une rémunération. C’est par exemple, la rémunération que perçoivent les constructeurs au titre de la garantie de livraison à prix et délai convenus (qu’ils reversent par la suite à leur garant) et au titre de leur marge commerciale, destinée à couvrir les dépenses de cet aléa. La marge moyenne des constructeurs est de l’ordre de 30% par rapport au coût prévu initialement des travaux, voire 35% ou plus. Le client paie donc cette garantie, en payant le double que seraient les honoraires d’architecte. Si l’opération se déroule sans « mauvaise surprise », un bénéfice supplémentaire sera acquis au vendeur car leurs clients devront toujours payer le prix fort. Le même raisonnement s’applique aux entreprises de bâtiment, le risque fait, là aussi, l’objet d’une rémunération par l’application du coefficient de vente.

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Ce risque n’a pas à s’appliquer aux architectes pour deux raisons : ils le refusent (il n’est pas prévu dans leurs contrats) et ils n’ont pas le financement pour l’assumer. Leurs imposer serait contraindre les architectes à se transformer en contractants-généraux qui sont les seuls habilités à garantir l’ensemble de l’ouvrage. Or ce coût supplémentaire : • est refusé par leurs clients qui ne veulent pas payer cette rémunération supplémentaire du risque, • est également refusé par les architectes. Certains l’acceptent, leurs contrats sont alors transformés sans ambiguïté en celui de contractant généraux et le risque est financé. Nous devons bien rappeler qu’en évitant le contrat d’entreprise « contractant général », les clients des architectes libéraux peuvent espérer bénéficier d’une économie financière importante. Mais cette économie n’est pas garantie, l’équilibre entre risque et économie devant être respecté.

La notion d’incompétence Les architectes sont les généralistes de la construction. Nous avons vu que leur compétence ne peut être qu’inférieure à celle des autres intervenants, spécialisés chacun dans leurs domaines. Seuls les Bureaux de Contrôle pourraient, eux aussi, être considérés comme des généralistes, mais pour leurs seules missions contractuelles et sans rôle de maîtrise d’œuvre, avec toutes les conséquences que la jurisprudence judiciaire se permet d’en déduire. Les entreprises mettent en œuvre l’ouvrage. Ils sont chargés de la conception technique de leur production, sauf en cas de bureaux d’études liés directement au maître d’ouvrage ou en cas d’une telle mission acceptée contractuellement par l’architecte. Et les études de conception qui existeraient en dehors des entreprises ne sont pas destinées à couvrir toute la conception de détails de tous les ouvrages et de tous leurs composants. Le fait d’avoir une production matérielle, manuelle, ne rend pas ipso facto les entreprises moins compétentes « intellectuellement », ce serait un préjugé dévalorisant et inacceptable. Les architectes, généralistes, n’ont pas à garantir les productions des spécialistes, plus compétents qu’eux, chacun dans leurs domaines.

La notion d’autorité Nous l’avons vu également, les architectes n’ont pas d’autorité sur les autres intervenants de l’opération, à l’exception de leurs sous-traitants éventuels. Ils n’ont de lien contractuel qu’avec le maître d’ouvrage. Ils ne sont pas contractant-général et ils ne peuvent pas à ce titre être responsables d’œuvres dont la réalisation n’est pas faite sous leur réelle responsabilité, même si la jurisprudence judiciaire voudrait le faire croire.

En conclusion, L’architecte : - Exerce une profession libérale, ses contrats ne sont pas ceux d’une entreprise commerciale, - N’a pas la capacité – ni contractuelle ni financière - à assumer un risque financier de l’opération, - Est incompétent dans la maîtrise des techniques propres à chaque intervenant, - N’a pas l’autorité – contractuelle, juridique – pour imposer ses éventuelles décisions. Ainsi, l’architecte ne doit en rien être assimilé à un constructeur.

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UNE DÉFINITION DE L’ENGAGEMENT CONTRACTUEL DES ARCHITECTES

Comment définir notre mission Suivant ce que nous avons vu, le cadre de notre responsabilité peut s’énoncer ainsi : 1 - La mission de l’architecte est celle d’une profession libérale, dispensant des conseils. Ce n’est pas la responsabilité d’un constructeur qui vend un ouvrage. 2 – L’architecte n’est responsable que de ses actes, il ne peut pas être tenu responsable, même in solidum, des actes des tiers, notamment ceux des autres intervenants avec lesquels o il n’a pas de lien contractuel ni d’autorité ni de prédominance de compétence, o dont la production est de nature différente de la sienne o et dont il n’a pas la capacité financière à assumer l’aléa. 3 - Pour que sa responsabilité soit retenue, la preuve de la faute de l’architecte doit être prouvée. Cette définition de la responsabilité des architectes semble être une évidence ; elle doit s’appliquer à quiconque et notamment à toutes les professions libérales. Il est consternant qu’il faille ici la revendiquer.

Comment cette mission doit être concrétisée Les limites de notre mission doivent être concrétisées dans les faits. Cela doit se retrouver dans plusieurs textes : • Le contrat d’architecte doit être explicite. o Il doit rappeler la nature d’obligation de moyens et non de résultat qui est propre à une profession libérale. o Il doit également rappeler que nous ne pouvons pas être responsable, même in solidum, des fautes des tiers. o Il devra enfin faire référence à la Loi que nous proposons, quand celle-ci sera une réalité. • Les documents et les écrits en général, produits par les architectes lors de l’exercice de leurs missions, doivent être sans ambiguïté. Ils doivent mentionner que les avis de l’architecte ne sont que des conseils et non pas des ordres qui lui feraient endosser une responsabilité qu’il n’a pas à assumer. • Enfin, la Loi doit indiquer clairement les limites de notre responsabilité, vis-à-vis de nos clients comme vis-à-vis des tiers, afin d’informer les experts judiciaires et les juges de ce qui s’imposera à tous.

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2 Les textes qui régissent la profession d’architecte LA LOI DU 3 JANVIER 1977 EXTRAITS

Article 3 (Modifié par LOI n°2012-387 du 22 mars 2012 - art. 107) Quiconque désire entreprendre des travaux soumis à une autorisation de construire doit faire appel à un architecte pour établir le projet architectural faisant l'objet de la demande de permis de construire, sans préjudice du recours à d'autres personnes participant soit individuellement, soit en équipe, à la conception. Cette obligation n'exclut pas le recours à un architecte pour des missions plus étendues. Le projet architectural mentionné ci-dessus définit par des plans et documents écrits l'implantation des bâtiments, leur composition, leur organisation et l'expression de leur volume ainsi que le choix des matériaux et des couleurs. Même si l'architecte n'assure pas la direction des travaux, le maître d'ouvrage doit le mettre en mesure, dans des conditions fixées par le contrat, de s'assurer que les documents d'exécution et les ouvrages en cours de réalisation respectent les dispositions du projet architectural élaboré par ses soins. Si ces dispositions ne sont pas respectées, l'architecte en avertit le maître d'ouvrage.

Sans préjudice de l'application de l'article 4 de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée, lorsque le maître d'ouvrage fait appel à d'autres prestataires pour participer aux côtés de l'architecte à la conception du projet, il peut confier à l'architecte les missions de coordination de l'ensemble des prestations et de représentation des prestataires. Le contrat prévoit en contrepartie la rémunération de l'architecte pour ces missions ainsi que la répartition des prestations et la responsabilité de chacun des prestataires.

(…)

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La Loi définit la mission minimale que l’on doit confier à un architecte : • Conception du projet architectural. Ce projet définit par des plans et documents écrits l'implantation des bâtiments, leur composition, leur organisation et l'expression de leur volume ainsi que le choix des matériaux et des couleurs. Ce texte est exhaustif dans la composition de cette mission de base. • L’architecte doit être en mesure de s’assurer que les documents d'exécution et les ouvrages en cours de réalisation respectent les dispositions du projet architectural élaboré par ses soins. S’il n’a pas de mission de suivi de chantier, il peut donc intervenir lors de la réalisation pour s’assurer de ce respect du projet architectural – et de rien d’autre. Les jugements qui impliquent un architecte pour garantir des malfaçons techniques par sa seule présence à un moment ou l’autre sur un chantier constituent donc une dérive qui ne respecte pas cette Loi . • L’architecte peut travailler de concert avec d’autres prestataires pour participer à la conception du projet. Le contrat prévoit la répartition des responsabilités de chacun. On peut donc en conclure logiquement que les prestations dont se chargent, chacun dans sa spécialité, les divers techniciens des bureaux d’études, déchargent ipso facto l’architecte de responsabilité dans ces domaines.

Article 19 Un Code des Devoirs Professionnels, établi par décret en Conseil d'Etat après avis du conseil national de l'Ordre des architectes et consultation des organisations syndicales d'architectes, précise les règles générales de la profession et les règles particulières à chaque mode d'exercice. Il édicte les règles relatives à la rémunération des architectes en ce qui concerne les missions rendues obligatoires par la présente loi à l'égard des personnes privées.

(…) La Loi décrète que le Code des Devoirs Professionnels précise les règles générales de la profession et les règles particulières à chaque mode d'exercice. Il s’impose à tous les architectes et, à ce titre, il est opposable aux décisions de justice

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LE CODE DES DEVOIRS PROFESSIONNELS

Article 1er Les dispositions du présent code s'imposent à tout architecte ou société d'architecture ou agrée en architecture. Les infractions à ces dispositions relèvent de la juridiction disciplinaire de l'ordre.

TITRE Ier - MISSIONS DE L'ARCHITECTE Article 2 La vocation de l'architecte est de participer à tout ce qui concerne l'acte de bâtir et l'aménagement de l'espace; d'une manière générale, il exerce la fonction de maître d'œuvre. Outre l'établissement du projet architectural, l'architecte peut participer notamment aux missions suivantes: • aménagement et urbanisme, y compris élaboration de plans; • lotissement; • élaboration de programme; • préparation des missions nécessaires à l'exécution des avant-projets et des projets, consultation des entreprises, préparations des marchés d'entreprises, coordination et direction des travaux; • assistance aux maîtres d'ouvrage; • conseil et expertise; • enseignement.

(…)

SECTION 2 - Devoirs envers les Clients Article 11 Tout engagement professionnel de l'architecte doit faire l'objet d'une convention écrite préalable, définissant la nature et l'étendue de ses missions ou de ses interventions ainsi que les modalités de sa rémunération. Cette convention doit tenir compte des dispositions du présent code et contenir explicitement les règles fondamentales qui définissent les rapports entre l'architecte et son client ou employeur.

(…) La relation qui lie un architecte à son client doit être contractuelle, dans le respect du Code des Devoirs Professionnels. Ce contrat fera la loi des parties.

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Article 16 Le projet architectural mentionné à l'article 3 de la loi sur l'architecture relatif au recours obligatoire à l'architecte comporte au moins les documents graphiques et écrits définissant : • l'insertion au site, au relief et l'adaptation au climat ; • l'implantation du ou des bâtiments compte tenu de l'alignement, de la marge de recul, des prospects et des niveaux topographiques ; • la composition du ou des bâtiments : plans de masse précisant la disposition relative des volumes ; • l'organisation du ou des bâtiments: plans et coupes faisant apparaître leur distribution, leur fonction, leur utilisation, leurs formes et leurs dimensions ; • l'expression des volumes: élévations intérieures et extérieures précisant les diverses formes des éléments et leur organisation d'ensemble ; • le choix des matériaux et des couleurs.

(…) Voilà une description exhaustive de la production que doit un architecte, et qui doit s’imposer à tous. Comme nous l’avons dit précédemment, des missions complémentaires, telles que de conception technique, doivent être convenues explicitement par contrat, et elles doivent fixer les limites de leurs champs d’application.

CHAPITRE II - Règles particulières à chacun des modes d'exercice SECTION 1 - Exercice libéral ou en société Article 33 Les missions confiées à l'architecte doivent être accomplies par lui-même ou sous sa direction. L'architecte doit adapter le nombre et l'étendue des missions qu'il accepte à ses aptitudes, à ses connaissances, à ses possibilités d'intervention personnelle, aux moyens qu'il peut mettre en œuvre, ainsi qu'aux exigences particulières qu'impliquent l'importance et le lieu d'exécution de ces missions. Il doit recourir en cas de nécessité à des compétences extérieures.

(…) L’architecte peut sous-traiter certaines parties de sa mission. En toute logique juridique, il supportera la responsabilité de sa production, y compris la part sous-traitée.

Article 36 Lorsque l'architecte a la conviction que les disponibilités dont dispose son client sont manifestement insuffisantes pour les travaux projetés, il doit l'en informer. Outre des avis et des conseils, l'architecte doit fournir à son client les explications nécessaires à la compréhension et à l'appréciation des services qu'il lui rend. L'architecte doit rendre compte de l'exécution de sa mission à la demande de son client et lui fournir à sa demande les documents relatifs à cette mission. L'architecte doit s'abstenir de prendre toute décision ou de donner tous les ordres pouvant entraîner une dépense non prévue ou qui n'a pas été préalablement approuvée par le maître d'ouvrage.

(…) Voilà une clause bien étrange ! Un architecte, s’il en a la conviction, doit informer son client que ses moyens financiers sont insuffisants. Il est bien entendu qu’un architecte ne doit pas créer un projet dont l’ordre de grandeur ne correspondrait pas au budget que lui indique son client. Ce n’est pas ce qui est en cause ici, il s’agit d’une « conviction » sur l’importance du financement possible – et non pas celui annoncé – par le maître d’ouvrage !

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Cela pose 2 problèmes : • Comment diable un architecte pourrait-il faire pour avoir une « conviction » sur les moyens financiers de son client ??? C’est évidemment impossible. Seuls les Services du Ministère des Finances peuvent – peut-être - se faire une telle opinion, après une longue enquête et des moyens d’investigation qu’ils ont eux seuls. Cela n’est en rien du ressort des architectes ! • De quel droit l’architecte ne se fierait-il pas au budget que lui décrète son client ? Pour nous, il est bien évident que cette clause n’a pas à exister, elle est absurde. La décision du budget de la future construction est du ressort exclusif du maître d’ouvrage !

Article 39 Lorsque l'architecte dirige les travaux, il s'assure que ceux-ci sont conduits conformément aux plans et aux documents descriptifs qu'il a établi et aux moyens d'exécution qu'il a prescrits. Dans ce cas, il reçoit de l'entreprise les situations, mémoires et pièces justificatives de dépenses, les vérifies et les remet à son client en lui faisant, d'après l'état d'avancement des travaux et conformément aux conventions passées, des propositions de versement d'acomptes et de paiement du solde. Nous l’avons vu, l’architecte ne dispose d’aucun des moyens donnés à un « directeur » pour se faire obéir. En outre, nous répétons qu’il est impossible à un architecte de « s’assurer » de la conformité des travaux. Il ne peut avoir qu’une opinion partielle sur certains travaux ; c’est tout. Les termes « dirige » et « il s’assure » sont donc à supprimer, y compris ceux qui sont du même ordre, tels que des « ordres » donnés aux entreprises : bien évidemment, il n’y a pas d’ « ordre » quand il n’y a pas de contrainte à obéir.

Article 40 Lorsque l'architecte assiste son client pour les réceptions des travaux, il vise les procès-verbaux dressés à cette occasion. Nous notons que l’architecte vise seulement le procès-verbal de réception des travaux, ce qui ne veut pas dire qu’il garantit ainsi la qualité de l’ensemble de ces travaux.

(…)

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LA LOI DU 4 MARS 2002 SUR LES DROITS DES PATIENTS ET LA RESPONSABILITÉ DES MÉDECINS Nous citons : La loi du 4 mars 2002 Malgré la circonspection de la jurisprudence civile par rapport à la jurisprudence administrative, médecins, établissements de santé et assureurs ont craint une remise en cause irréversible de leur célèbre obligation de moyens. Une crise majeure est intervenue puisque dans cette crainte, les assureurs ont commencé à résilier les contrats d’assurance les liant aux médecins et les ont renégociés en y introduisant des primes très élevées. Les médecins ont alors protesté et affirmé qu’ils allaient se désengager en ne traitant que les cas sans risque. C’est dans ces conditions et notamment pour régler ce conflit que le législateur est intervenu avec la loi du 4 mars 2002. Sans préciser plus avant, il s’agit seulement d’évoquer ici les principes fondamentaux de la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui a réalisé une véritable réforme du droit de la responsabilité médicale. Elle a posé des principes de responsabilité médicale qui remettent en cause les jurisprudences administratives et civiles élaborées en cette matière. er

1 principe, l’article L 1142-I et II du Code de la santé publique, les professionnels de santé, les établissements, services ou organismes dans lesquels sont pratiqués des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables de leurs actes qu’en cas de faute. La loi exclut donc l’application des jurisprudences Bianchi ou Gomez. Pour pouvoir engager la responsabilité d’un professionnel de santé, il faut prouver l’existence d’une faute. e

2 principe : Pour les établissements de santé (hôpitaux et cliniques), il existe une responsabilité sans faute en cas d’infections nosocomiales. Ils ne pourront se dégager qu’en prouvant l’existence d’une cause étrangère. Ainsi, sur ce point, la loi confirme les arrêts du 29 juin 1999, sauf qu’à présent, les établissements ne pourront s’exonérer de leur responsabilité que par la preuve d’une cause étrangère, et non plus par la preuve du respect des normes d’asepsie et d’hygiène. Mais une grande différence existe par rapport aux arrêts du 29 juin 1999 : les professionnels de santé libéraux ne sont plus concernés. Pour pouvoir engager leur responsabilité en cas d’infection nosocomiale, il faudra prouver l’existence d’une faute. e

3 principe : un cas de responsabilité sans faute des médecins et des établissements de santé est créé. C’est la responsabilité sans faute en cas de dommages causés par un produit de santé défectueux. e

4 principe : pour les accidents médicaux, les affections iatrogènes et les infections nosocomiales (celles pour lesquelles une cause étrangère a été prouvée), c’est la solidarité nationale qui permet d’indemniser les victimes. Trois conditions doivent être remplies. * L’accident médical, l’affection iatrogène ou l’infection nosocomiale doit être directement imputable à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins. * L’évènement doit avoir pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé et de l’évolution prévisible de celui-ci. * L’évènement doit présenter un caractère de gravité. Il faut une incapacité permanente partielle (IPP) de plus de 24 %, selon le décret du 24 avril 2003.

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Et aujourd’hui ? Aujourd’hui, les cas de mise en jeu de la responsabilité médicale se multiplient, même si la loi du 4 mars 2002 a permis de limiter le nombre de procédures devant les tribunaux. Alors que la jurisprudence antérieure avait mis en place un système d’indemnisation systématique des victimes par la création d’obligations de sécurité résultat, la loi du 4 mars 2002 a posé le principe fondamental de responsabilité du médecin ou de l’établissement de santé, uniquement en cas de faute. Certes la loi a maintenu l’existence d’une responsabilité sans faute, mais dans des cas extrêmement restreints : infections nosocomiales et produits de santé. Beaucoup se sont plaints du fait que grand nombre de victimes se retrouvent désormais sans possibilité de voir indemniser leur préjudice. Cela dit, cette loi a aussi permis de limiter une dérive à l’américaine consistant à considérer que la médecine devait être dénuée de tout risque. Désormais, il faut considérer que le risque médical existe et doit être, en l’absence de faute du médecin ou de l’établissement de santé, supporté par le patient. Claire Maignan Avocat, CJA Beucher-Debetz, Angers

En conclusion, Cette loi est très importante pour les architectes, qui exercent, comme les médecins, une profession libérale où plusieurs intervenants concourent à obtenir le même résultat. Elle affirme plusieurs points qui peuvent s’appliquer à l’exercice de notre métier, ils sont toute notre revendication afin de respecter une équité constitutionnelle fondamentale envers les architectes : • Nous ne sommes responsables que de nos actes, pas de ceux des tiers, • Nous sommes présumés innocents, il faut prouver une faute pour nous demander réparation, • La notion de risque est une réalité, une construction est un prototype

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3 - Projet de loi LA DÉFINITION DE LA MISSION DES ARCHITECTES Définition explicite et exhaustive de la mission des architectes La mission de l’architecte doit avoir une définition explicite et exhaustive, qui servira de référence systématique pour connaître ses devoirs, obligations et ses responsabilités. Bien sûr, des extensions de mission pourront être contractuellement convenues, elles devront alors figurer sans ambiguïté sur un contrat. La définition de la mission de l’architecte que nous proposons mentionnera : •

L’architecte n’est pas le mandataire de son client, maître d’ouvrage. Celui-ci est le seul décideur, au titre des relations contractuelles qu’il a conclues avec les intervenants dans l’opération.



L’architecte peut être chargé de différentes missions, comme la conception architecturale du projet, l’établissement des marchés de travaux, le suivi du chantier et la réception des ouvrages.



L’architecte n’encourt de responsabilité que pour les missions qui lui ont été commandées et qu’il a effectivement réalisées, nonobstant sa responsabilité éventuelle de manque de réalisation des missions définies dans son contrat.



L’architecte dispense des conseils au maître d’ouvrage. Il n’a pas le statut de constructeur. Ces conseils visent à réaliser une opération de construction qui respectera le projet architectural, ils ne peuvent pas prévaloir les conseils, études ou les travaux des techniciens (bureaux d’études et entreprises), chacun dans leur domaine.



La conception architecturale n’est pas une conception technique détaillée.



L’établissement des marchés de travaux à conclure entre le maître d’ouvrage et les entreprises, est un cadre technique et juridique qui ne décharge pas les intervenants de leur responsabilité dans leurs productions respectives.



L’architecte n’est pas en mesure de diriger le chantier. Sa mission consiste en un suivi de chantier, où ses actions visent à une meilleure réalisation en termes de qualité de construction, de délai, de prix. Il n’a pas à ce titre à supporter une part de responsabilité dans des productions qu’il ne peut ni maîtriser ni contrôler.



L’architecte peut interrompre sa mission s’il estime que ses préconisations ne sont pas suivies par son client.



La responsabilité de l’architecte ne peut être retenue qu’en cas de faute démontrée de sa part. La nature de sa mission de profession libérale étant fondamentalement différente de celle d’une entreprise qui s’engage sur la bonne réalisation de travaux, l’architecte ne peut être condamné, même in solidum, pour une faute d’une entreprise ou d’un bureau d’études qui n’est pas son sous-traitant.

Les droits du maître d’ouvrage Ces droits ne sont en rien amputés par cette définition de la mission d’architecte. Le maître d’ouvrage peut désigner un professionnel, dument assuré, en face de chaque tâche dont la mauvaise exécution a pu lui provoquer un dommage. L’intervention de l’architecte pourra, justement, alerter le maître d’ouvrage sur les précautions qu’il devra prendre dans les différents « marchés de travaux » qu’il contractera, telles que la vérification des assurances des différents intervenants et de leurs rôles – et donc de leurs responsabilités – respectives. Il s’agit bien évidemment, de ne plus désigner de façon artificielle et profondément injuste, un bouc émissaire facile, et ainsi d’éviter de rechercher réellement le responsable du désordre.

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