Moi, journaliste libyen - CFI

sûreté, le droit de passage, le passeport et bien d'autres idées anciennes et révolues. Ces années nous ont appris ...... se déplacer dans un champ de mines.
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Moi, journaliste libyen HIWAR •

‫ﺣﻮار‬

Regards croisés sur le journalisme libyen #HiwarLibya

Un projet CFI, avec l'appui du Centre de crise et de soutien du MEAE

www.cfi.fr

MINISTÈRE DE L’EUROPE ET DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

CFI, l'agence française de coopération médias Accompagner le développement des médias de l’Afrique à l’Asie CFI favorise le développement des médias en Afrique, dans le monde arabe et en Asie du Sud-Est. L’agence française de coopération identifie et analyse les besoins, puis s’investit aux côtés des médias, des professionnels qui les animent et des acteurs de la société civile qui s’engagent pour une information pluraliste et démocratique dans leur pays. Les équipes de CFI travaillent sur une trentaine de projets qui s’inscrivent dans quatre grands programmes : médias et pluralisme, médias et développement, médias et entreprise, médias et ressources humaines.

4 grands programmes Accompagner la modernisation des médias en tant qu’acteurs du renforcement de l’État de droit et animateurs de l’espace d’information et de débat. Favoriser la compréhension et l’appropriation par les médias des enjeux du développement, dans les domaines de la santé, de l’éducation ou de l’environnement. Aider les entreprises médiatiques à structurer leur gestion et élargir leur assiette de financement.

Renforcer les structures locales de formation et identifier les projets des décideurs de demain.

Introduction À la lumière des défis et des conflits que connait la Libye depuis six ans et de la révolution des communications à laquelle fait face la société arabe, les médias se sont vu assigner de nouveaux rôles. Il leur incombe désormais de créer un climat de confiance et de crédibilité avec le citoyen (auditeur, spectateur ou lecteur), de transmettre les points de vue et de refléter avec transparence l’image réelle et évidente de la réalité. La question essentielle réside dans le degré de prise de conscience et d’engagement des journalistes vis-à-vis de l’éthique de leur profession et dans la diffusion de ces principes auprès des jeunes journalistes. L’objectif est de créer une presse vigilante au service de l’intérêt public et d’œuvrer en faveur d’une nouvelle génération de journalistes, consciente de la mission bénéfique de la presse dans la construction d’une société pacifiée. Cependant, la déontologie de la profession pose deux problématiques : La définition du concept même de déontologie : à quoi se réfère-t-il ? Ses références sont-elles religieuses, coutumières ou positives ? Quels sont ses principes ? Sont-ils contraignants ? La problématique de la traduction de cette déontologie en lois, procédures et règlements qui déterminent les responsabilités de l'institution médiatique et du journaliste avec précision : ses droits et ses devoirs, ce qu’elle doit faire et ce qu’elle ne doit pas faire. D’où la nécessité de distinguer ce qui est purement éthique, c’est-à-dire qui se réfère à la conscience individuelle (du journaliste ou autre) de ce qui relève de la déontologie professionnelle. Afin de préserver le dialogue démocratique en Libye, CFI a lancé, en partenariat avec le Centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, le projet HIWAR dès le début de l’année 2017. Ce projet offre un espace d’expression de différents points de vue sur et par la presse libyenne. Une session, composée de quatre ateliers, a été organisée en Tunisie. Douze journalistes libyens, venant de Libye, de Jordanie, de Turquie, d’Égypte et de Tunisie, y ont participé. Ce livret intitulé « Moi, journaliste libyen », regroupe des textes libres préparés par les journalistes libyens ayant pris part à la session HIWAR.

Ce que la guerre nous a appris

Khaled Ali Al Dib – Journaliste à Radio Libya – Tripoli Quelques années sont passées depuis notre Printemps libyen, des années pénibles et douloureuses, qui ont laissé des cicatrices sur nos corps, des distorsions dans notre société et des séquelles psychologiques qui pourraient résister aux chirurgies esthétiques et à tous les exploits de la médecine moderne. Mais ces années nous ont malgré tout inculqué des leçons et nous ont laissé des morales à prendre en considération pour notre avenir. Ces années nous ont beaucoup enseigné, des années sans lesquelles nous n’aurions pas vécu cette expérience, ni connu ces aventures. Ces années nous ont appris que visiter la famille et des amis, ainsi que les échanges sociaux, ne sont que des traditions qui nous ont enchaînés durant des siècles et nous ont emprisonnés durant des années, alors qu’un simple appel téléphonique ou un message sur Facebook suffisent. Nous ne sommes plus obligés de nous déplacer, ni d’affronter les difficultés et les dangers du trajet, pour présenter nos condoléances, assister à un mariage ou à une cérémonie. La situation sécuritaire, en effet, ne le permet guère. Les dommages seraient bien plus importants. Cette guerre nous a appris que le divertissement le plus extrême est d’emmener rapidement notre famille au restaurant le plus proche pour manger à la va-vite et rentrer ensuite sain et sauf, sans être touché par une balle perdue ni avoir sa voiture criblée d’impacts. Cette guerre nous a appris qu’un voyage touristique n’est qu’un luxe de trop et un confort superflu. En effet, se garantir les moyens de survivre et de gagner son pain quotidien sont beaucoup plus importants. Cette guerre nous a appris que le salaire appartient à l’Etat qui vous l’accorde quand bon lui semble et vous en prive quand il le souhaite. Et même s’il l’accorde, c’est en fin de compte la banque qui décide quand verser la somme. Cette guerre nous a appris que le pétrole est aussi bien un avantage et une richesse qu’une malédiction sans limites et une ruine infinie. Détruire les champs et brûler les réservoirs est un devoir national qui tire le peuple de sa léthargie et le réveille pour qu’il réalise enfin que compter sur cette source éphémère et cette richesse tarie sont une grande erreur et un péché impardonnable. Le peuple devrait remonter le temps et revenir à l’époque où il recevait des aides étrangères et des dons des Nations Unies pour vivre des scènes réelles de sa vie après le pétrole.

Cette guerre nous a appris que l’armée est un outil de la dictature, la police, un moyen de tyrannie, et que s’en débarrasser signifie acquérir la liberté dans son acception suprême et la démocratie sous son visage le plus noble. Les Hommes, nés libres, ne connaissent en effet ni contraintes ni limites. Ces années nous ont appris que l’autorité centrale était un fardeau que le peuple devait porter et qu’un seul gouvernement signifiait un seul pouvoir. C’est justement contre cela que nous nous sommes révoltés, c’est ce que nous avons brisé et ce pour quoi nous avons payé cher pour y mettre fin. L’absence d’autorité, ou sa disparition, était en effet un des objectifs du peuple qui manifestait dans les rues clamant « le peuple veut renverser le régime ». Les années de guerre nous ont appris de nombreux termes et beaucoup de mots que nous ignorions, ou du moins dont nous ne connaissions pas le sens ni leurs effets. Nous entendions souvent dans les médias des mots comme exodes, déplacements forcés, enlèvements, fouilles, blocus, guerre civile et beaucoup d’autres, mais nous ne leur accordions pas d’importance. Cette guerre nous a appris qu’avoir une belle voiture ou un nouveau véhicule signifie s’aventurer, ou être irresponsable, et que rentrer tard la nuit est un suicide. La raison nous dictait donc d’acheter un moyen de transport dans les « déchets » ou, dans le meilleur des cas, faire appel à un taxi et s’abriter à la maison avant le coucher du soleil. Ces années nous ont appris que les coupures de courant sont un article de la Constitution, que les files d’attente devant les boulangeries et les banques sont un phénomène tout à fait normal et que le stockage d’essence à la maison est une condition sine qua non à la citoyenneté. Cette guerre nous a appris que de nombreuses croyances et idées ne sont qu’héritage émotionnel dont nous ne pouvons nous séparer ni nous passer, comme la souveraineté, le patriotisme, la sécurité, la sûreté, le droit de passage, le passeport et bien d’autres idées anciennes et révolues. Ces années nous ont appris beaucoup de leçons, mais la plus importante est que « la souffrance contraint à la créativité ».

Les médias du Printemps… l’automne de la réalité

Tarek Abed Al Salam Al Houni – Rédacteur en chef Clouds news agency – Tripoli Dans sa quête de réformes, de développement et d’instauration de la justice, la Révolution a offert aux médias, censurés depuis des décennies, d’une façon inattendue, une liberté sans limites. Mais cette liberté s’est transformée en chaos, en anarchie puis en absurdité totale à cause des financements politiques. Tel est le cas actuellement de la plupart des chaînes de télévision et des stations de radio privées. Avant la Révolution : hypocrisie, flatterie et éloge ; après la Révolution : caprices, intérêts, complots et quasi-éliminations… Personne n’impose de normes ni de limites. Nous associons tout cela au mouvement de liberté et nous nous vantons des slogans, alors que nous sommes face à des médias qui trompent la société, intentionnellement ou par complicité silencieuse. Le mal se divise ainsi en deux catégories : la première émet des discours trompeurs et la seconde garde la justice sous silence. La corruption des médias ne se limite pas uniquement aujourd’hui au niveau de la profession ou de de la conscience, elle atteint aussi l’honnêteté, surtout avec l’arrivée des fonds étrangers qui sont venus s’unir aux fonds privés, réussissant ainsi à louer, acheter ou déléguer ceux qui détruisent sans arrêt le pays à travers des mesures censées l’aider dans sa transition vers un futur meilleur et non le ramener des années en arrière… La société est désormais menacée et le pays est en danger à cause de cette situation qui s’est répandue et à cause de la corruption des médias. Leur manque de professionnalisme pourrait conduire à une catastrophe pire que celle qu’ils ont causée par leur hypocrisie durant les décennies précédentes, d’autant plus qu’ils sont en période de transition… En effet, après l’effervescence qui a accompagné la période de création et de lancement des médias, ceux-ci sont tombés dans le pessimisme et la frustration et sont passés à un discours de haine envers les personnes et les institutions, incitant au chaos et à la division, desservant la démocratie au lieu de la servir.

Le pays vit aujourd’hui une étape cruciale et délicate de son histoire. La plupart des médias égarent l’opinion publique par leurs contradictions permanentes et on assiste à une véritable contamination de tous les médias. Il est vrai que, dans un pays dont les objectifs visent une bonne gouvernance, les médias doivent jouir d’une liberté d’expression. Mais cette liberté ne s’offre pas uniquement à celui qui travaille dans le domaine journalistique, elle s’offre à celui qui joue un rôle important dans l’implantation pratique des trois principes connus dans la gouvernance politique : la transparence, la responsabilité et la franchise. Ajoutons à cela la mission d’éclairer les autres, qui relève de la responsabilité de tout organe de communication contemporain. Eclairer en fournissant les informations nécessaires pour comprendre les évènements actuels, ainsi qu’en révélant la vérité et en combattant l’obscurantisme… Des médias qui ont comme but ultime de bâtir et qui travaillent pour y arriver, pour rebâtir ce que les années de faiblesse ont détruit.

Je suis journaliste libyen, passionné depuis toujours par cette profession. Qui ne rêve pas, en effet, de gloire et de pouvoir ?

Ibrahim Mohamad Alhaji – Journaliste diplômé d’un Master en journalisme de l’Université de Sheffield Hallam en 1998, travaille dans le domaine du journalisme depuis 1982 – Tripoli Mon histoire a commencé depuis l’enfance. Je pensais que le journalisme était le moyen le plus cher à mon cœur pour atteindre mon objectif de gloire. Je laissais libre cours à mon imagination quand je me mettais à lire les articles de grands journalistes comme Haykal, Anis Mansour et autres génies. Je me rendais compte de l’étendue de leur gloire et de leur pouvoir, ainsi que de leur capacité de persuasion dans tout ce qu’ils écrivaient. Je m’imaginais un jour m’installer sur le trône, diriger l’opinion publique et avoir ma rubrique dans un journal réputé, rubrique qui serait lue par des milliers d’admirateurs. L’idée m’envahit et occupa toutes mes pensées. Je m’endormais puis me réveillais : mon objectif ne changeait point. Je terminai mes études secondaires et fis le premier pas vers la réalisation de ce rêve obsédant : entrer à la faculté de journalisme. Je finis mes études universitaires et trouvai un poste dans le domaine du journalisme. L’ambition qui me dévorait s’infiltrait dans mes mots et mes gestes pour révéler ce que je rêvais d’être. Peut-être cette ambition avait-elle dérangé certains de mon entourage, ceux qui avaient plus d’expérience et m’avaient précédé dans ce domaine. La première décision à mon égard fut donc de me placer dans la section des archives du journal pour lequel je travaillais. Cela n’allait en aucun cas m’empêcher de réaliser mon rêve et d’atteindre mon but : je n’allais pas renoncer à la gloire ni au pouvoir. J’étais persuadé que les médias étaient un pouvoir, même si ce n’était que le quatrième. Je travaillai dans la section des archives et pus ainsi élargir mes connaissances. Je passais mes heures de travail ainsi que des heures supplémentaires à lire les articles, récents et anciens, écrits dans ce journal au cours du temps. Quelques années plus tard, je passai à la salle de rédaction. À l’instar de machines, mes collègues et moi reformulions les dépêches que nous recevions des agences et des envoyés spéciaux. C’est alors que je commençai à m’interroger : est-ce cela le journalisme ? Est-ce cela le travail du journaliste ? Juste une simple reformulation de dépêches ? Je me rendis ainsi compte que je ne réaliserais pas mes ambitions ici. Armé de mon expérience de plusieurs années, je commençai à travailler dans un autre journal, espérant y trouver l’objet de ma quête. Ce nouveau travail était encourageant puisqu’il me permit de rédiger des articles, d’exprimer mon avis, de donner mon opinion sur des sujets qui intéressaient les gens. Je commençai à me sentir satisfait et de nouveau confiant : un jour j’allais atteindre mon but.

J’étais encore jeune et rêvais toujours de gloire et de pouvoir, persuadé d’y parvenir. J’avoue même avoir eu recours à certaines ruses qui me permettaient d’imposer mon autorité sur des responsables qui craignaient les médias. Je travaillais pour mon propre intérêt auprès des autorités publiques, dont je pouvais tirer un profit personnel en tant que journaliste. Ceci jusqu’à ce qu’arrive le jour promis, le jour où mon ambition me convainquit d’écrire ce qui me plaisait. Je rédigeai alors un article qui ne vit point le jour, puisque l’autorité, en l’occurrence le rédacteur en chef, me suspendit. C’est alors que je me rendis compte qu’il n’y avait pas de quatrième pouvoir dans mon pays : juste un seul, celui du dirigeant. Je gagnai en maturité et compris que la place des auteurs de sujets tabous, assez nombreux, était la prison et que le journalisme était un métier à problèmes qui pouvaient tous vous tomber sur la tête d’un coup. La suspension du journaliste étant le problème le plus facile et le moins grave, comparé à la possibilité de se retrouver en prison, ce qui constituait la vraie catastrophe. Je continuai à maudire le jour où j’avais choisi ce métier, qui ne réussissait pas à satisfaire ma soif de gloire et de pouvoir. Les années passèrent sans que je réussisse à me libérer de ces lois auxquelles j’étais soumis, ou plutôt auxquelles les autres m’avaient soumis. Je restai pendant des années résigné à obéir à ces lois qui régissent le journalisme et la liberté du journaliste. De façon inattendue et imprévue, le soleil du journalisme se leva de nouveau sur mon pays, supprimant toutes les lignes rouges, ne laissant que celle de l’autorité suprême. Je souhaitais tellement remonter le temps pour revivre alors mes débuts dans le monde du journalisme et pour que mon étoile brille de nouveau. Cette période dans mon pays offrit au journalisme ses plus belles années. La liberté d’expression était largement garantie et la presse occupait bien son rôle de pouvoir, quoique pas quatrième. Et puis survinrent, ce qu’on appelle, les révolutions du Printemps arabe. J’étais sûr et certain que ces évènements n’étaient qu’une conspiration ayant pour but de détruire le pays et le fragmenter. Mais devais-je défendre la cause de cette révolution et de ce « printemps », comme ils l’appellent, et combattre en leurs noms avec ma plume ceux qui me combattaient avec l’arme de la répression ? Et l’éthique du journaliste ? Et les leçons que les ennuis de la profession m’avaient inculqués ? J’avais conservé mon impartialité, jusqu’au moment où je m’étais rendu compte que tout le monde était contre le dirigeant. Je rejoignis alors ce mouvement avec ma plume qui, durant de nombreuses années, avait été réprimée, incapable d’écrire ce que je voulais, n’exprimant que ce que les autres lui imposaient. Une nouvelle ère commença. La première année passa et le journalisme prospéra. Le nombre de publications de presse écrite atteignit les trois cents, alors qu’il ne dépassait pas vingt auparavant. La deuxième année fut témoin de l’émergence de nombreux journalistes. Tout le monde voulait une place dans les médias : amateurs ou professionnels ; aucune limite, ni contrainte. Et puis, tout changea. Arrivèrent alors de nouveaux et nombreux dirigeants. Revoilà les lignes rouges, plus nombreuses qu’auparavant. De nouvelles normes furent également imposées : soit tu écris ce qu’ils veulent, soit tu meurs. Les prisons, qui jadis étaient le châtiment, furent remplacées par la mort. Les journalistes quittèrent le pays. Un seul journal papier continua à y être publié. La liberté de la presse disparut, laissant la place à une liberté plus sanguinaire et effrayante. Je suis aujourd’hui journaliste à la retraite et observateur, et souhaite un bien meilleur avenir aux générations à venir.

Le journalisme en Libye… entre profession de crise et crise de la profession

Houda Al Chaikhi – Journaliste à la chaîne Libya Alhadath – Benghazi La Libye, qui entame sa sixième année d’instabilité. La Libye, qui a vu les conflits politiques se répercuter en divisions territoriales. Voilà un État à trois gouvernements, avec des milices, une armée et le cauchemar de l’État islamique, Daesh, qui tente d’exploiter ce chaos pour s’y implanter et exporter le terrorisme dans le monde entier. Est, ouest, sud… une triade régionale unie par la crise qu’endurent aujourd’hui les citoyens, quelles que soient leurs idéologies ou leurs appartenances. Une guerre féroce qui a pour principale arme les médias locaux, tant au niveau national qu’au niveau international… Face aux enlèvements, à l’intimidation, aux attentats, au non-respect de la loi et aux idéologies rivales, le journaliste travaille-t-il avec professionnalisme ? Traite-t-il les évènements avec objectivité ? La crise a-t-elle imposé de nouvelles normes à la profession ? Asmaa Al Hawaz (Benghazi), dix ans d’expérience, pense que « ce qui distingue le journaliste des autres citoyens est sa capacité à transmettre ses idées à travers un message médiatique en ayant recours à des plateformes différentes, l’engageant ainsi à être objectif, sérieux et impartial. En effet, la diffamation, la mutilation et la falsification des faits lui portent préjudice, ainsi qu’à son public et à l’institution. Ces pratiques ne peuvent conduire qu’à la perte de confiance. Il ne faut donc jamais utiliser la profession comme arme pour atteindre un objectif particulier, à l’instar de ce que nous vivons aujourd’hui : les normes se limitent juste à la langue et à la rédaction ». Alors que Saïf Al Islam Abhih (Bin Jawad), sept ans d’expérience, a décidé de laisser tomber le journalisme lié directement à la politique et de s’intéresser plutôt à des questions sociales. « La presse en Libye, avec les évènements que nous vivons, n’adopte plus l’éthique de la profession comme norme pour l’analyse et le traitement d’un sujet. Cela est évidemment dû à la fragilité de l’application des lois, qui protègent le journaliste et l’institution pour laquelle il travaille de toutes poursuites. Pour cela, tout le monde travaille en évitant tout affrontement ». Quant à Mohamad Nour El Dine (Sabha), six ans d’expérience, il considère que « nous vivons aujourd’hui dans une profession en crise. Pour cela, il faut traiter les évènements qui s’enchaînent rapidement et dans des circonstances différentes avec sagesse et réflexion. La presse suit aujourd’hui un agenda spécifique fixé par l’employeur et les stratégies de l’institution. Or, la patrie devrait être le seul agenda à suivre, et non le courant idéologique, ni le gouvernement et les dirigeants ».

Mohamad Abdallah (Awjila), six ans d’expérience, estime : « Il est vraiment difficile pour le journaliste de trouver le juste milieu dans sa façon de traiter les informations, à cause de la peur, des caractéristiques de la région et de son environnement, notamment face à la dégradation de la situation sécuritaire et aux clivages politiques et militaires qu’endure le pays. » Abed El Naser Khaled (Tripoli), dix-huit ans d’expérience, décrit enfin les médias actuels comme systématisés et régis par les exigences du conflit : « L’éthique de la profession constitue des principes et des pratiques qui ne changent pas, quels que soient les défis auxquels fait face une institution médiatique en général. Le journalisme doit prendre en compte l’intérêt public sans porter préjudice à la vérité. En d’autres termes, il s’agit de trouver un équilibre entre l’intérêt public et la vérité, tout en respectant les traditions, les coutumes et le patrimoine et en refusant tout ce qui peut susciter violence, haine et anarchie. » Finalement… Tous les collègues que j’ai cités, quelles que soient leurs années d’expérience ou leurs villes, se sont mis d’accord sur le fait que nous ne vivons pas aujourd’hui une crise de la profession, mais, bien au contraire, nous vivons une profession de crise. Celle-ci a imposé des contraintes au journalisme, l’utilisant comme arme fatale contre la société. Elle réussit donc à détourner ses convictions dans le but d’assurer le contrôle d’un parti au détriment de l’autre, tout en adoptant le discours de la peur, de la faim, de la soif et de tous ces besoins les plus simples qu’un État devrait assurer à ses citoyens… Les exemples cités sont nombreux, mais tous disent la même chose : on vous oblige à travailler dans le but uniquement de vous nourrir, sinon vous restez chez vous. Tout autre choix aurait pour conséquence une mort d’une balle inconnue… Pas de professionnalisme ; les forces qui sont au cœur du conflit aujourd’hui refusent d’accepter l’autre ou de coexister avec lui, alors que le pays nous reçoit les bras grands ouverts.

L’histoire d’une fille libyenne et de la guerre ; je suis journaliste

Malak Beit Al Mal – Journaliste Fondation Al-Ahram en Égypte – Le Caire Je n’avais pas l’intention de partir, j’y suis née et j’y ai grandi. J’y ai passé mon enfance et mes vingt ans. J’ai étudié à la faculté de droit ; je rêvais d’être avocate et de défendre les droits de tout citoyen libyen victime d’injustice, mais j’ignorais que mon rêve se limiterait à un poste lié aux affaires juridiques à la Centrale électrique. Toutes les circonstances qui m’entouraient m’ont obligée à partir, ou plutôt à m’enfuir. Oui, je l’avoue, je me suis enfuie de toutes ces chaînes qui m’entravaient dans mon pays. On quitte normalement les terres d’immigration pour retrouver sa patrie où règnent sécurité et stabilité, juste pour retrouver ses parents, amis et voisins. Mais moi, j’ai décidé de fuir mon pays pour me réfugier dans les ténèbres de l’exil et je parle de ténèbres car j’ignore où je vais, j’ignore mon avenir et celui de ma famille, de mon père, de ma mère, de mes sœurs. J’ignore surtout ce qu’il adviendra de nous après. La Libye était le seul pays que je connaissais. Je n’étais auparavant jamais sortie au-delà de ses frontières et, plus précisément, au-delà de Tripoli, rue du quartier Hay Al Andalus. Mon père était un simple employé. Il n’avait pas les moyens d’offrir un voyage à ses quatre filles et à leur mère. Il s’inquiétait d’ailleurs tellement pour nous qu’il faisait attention à tous nos déplacements. Je me contentais donc des visites familiales et, parfois, d’une sortie à la plage dans la région de Tajoura, quand la situation financière de mon père le permettait. Je me contentais de peu et, comme toute fille libyenne, j’espérais me marier (pour réaliser mes rêves comme voyager, quitter ma famille et avoir la vie que je désirais). J’allais avoir trente ans et je n’étais toujours pas mariée, à cause peut-être des conditions économiques difficiles de la vie ou parce que j’atteignais un âge pas très apprécié chez les Libyens pour se marier. En effet, une mère veut toujours que son fils épouse une fille qui soit au début de la vingtaine, ravissante. Quant à moi, je ne suis pas d’une grande beauté. Je ne me considère pas laide non plus, mais je pense que la chance n’a toujours pas sonné à ma porte. La Révolution a eu lieu. J’en ai vécu toutes les étapes dans les rues de Tripoli, avec un sentiment mitigé : prisonnière des murs de ma maison, je ressentais la peur qui nous envahissait, ma famille et moi d’une part, et le bonheur à l’idée que tout allait changer pour le meilleur après la fin de Kadhafi. Oui, la Révolution a mis fin à Kadhafi. Là, l’histoire commence…

Je me souviens très bien du discours de la libération prononcé par le conseiller Moustafa Abdel Jalil. Je m’étais assise, avec mes quatre sœurs, ma mère et mon père, attendant le moment où le héros Abdel Jalil ferait son apparition pour nous présenter, ainsi qu’au monde entier, le discours historique qui mettrait fin à huit mois de souffrance. Je ne croyais pas ce que j’entendais : il permettait à l’homme libyen d’épouser quatre femmes, justifiant que c’était son droit dans l’Islam. C’est alors que je me suis rendu compte que j’étais une fille en Libye et que ma vie ne serait plus désormais ni simple, ni facile. Les évènements se sont alors succédés, comme si l’unique corruption qui existait dans le pays était la femme. Ils lui ont retiré son droit au quota dans la loi à l’Assemblée nationale et au Parlement, et même dans la formation des différents ministères en Libye. Ajoutons à cela la confusion causée par la loi interdisant aux femmes mariées à des étrangers de donner la nationalité libyenne à leurs enfants et l’annulation de la loi imposant aux hommes d’informer leurs femmes et d’obtenir leur accord avant d’épouser une autre femme. La rue libyenne a alors rejeté la femme. Elle est devenue victime de harcèlement verbal et physique, surtout si elle n’était pas voilée ou n’avait pas le corps bien couvert. Cela pouvait parfois mener aux menaces si la fille ne se pliait pas à ces exigences. Mais les menaces n’étaient pas tout. Cela pouvait aboutir au crime. Tout a commencé avec l’histoire des deux filles violées et tuées à Tripoli, puis d’autres histoires se sont succédé, jusqu’au crime le plus horrible de la Libye, qui a bouleversé le monde entier : le meurtre après effraction de la professeure et activiste Salwa Bugaighis, tuée cruellement par des hommes armés. Je n’ai peut-être pas ressenti une grande peur à ce moment-là, parce que le crime a eu lieu loin, très loin de Tripoli. Mais la peur a commencé à grandir avec le grand nombre d’attentats perpétrés à Tripoli et les enfants et les filles enlevés de leurs maisons. Malgré tout cela, les raisons du voyage étaient autres. Deux raisons sont à l’origine de notre départ : la première, c’est la tentative d’enlèvement dont a été victime ma petite sœur, alors qu’elle était en terminale. Trois jeunes hommes armés, à bord d’une voiture, ont essayé de l’enlever ainsi que son amie alors qu’elles rentraient de l’école. Sans la présence de nos voisins, armés également, ma sœur ne serait plus de ce monde. Les affrontements ont abouti à la mort d’un membre de la bande. L’enlèvement s’est alors transformé en vengeance et je sais pertinemment que beaucoup de sang coulera avant que tout cela ne s’arrête. La deuxième raison est une vidéo qui s’était répandue sur les réseaux sociaux, montrant une femme âgée qui se faisait violer chez elle, à Tripoli, avec ses propos touchants : « N’avez-vous pas de femmes ?! ». Ses agresseurs sont restés indifférents. Au contraire, cela n’a fait qu’aggraver leur brutalité. Je n’arrivais pas à croire que nous étions arrivés à ce stade en Libye : absence de respect pour les femmes, anesthésie des consciences, des valeurs qui étaient pourtant primordiales pour le peuple libyen. Tout s’est effondré. Mes parents se sont enfin décidés : il fallait quitter le pays, s’éloigner de ce sexisme, de cette violence et de cette soumission dont souffrait clairement la femme. Nous ne reviendrons en Libye que lorsque ce pays deviendra un État ou redeviendra ce qu’il était pour que nous puissions y vivre. Je ne sais pas où nous irons ni comment nous vivrons, mais je suis sûre que notre situation sera meilleure, même temporairement, que celle que nous aurions en Libye, dominée par la peur et la menace. Point de sécurité loin du pays : c’est qu’on nous avait appris, tel était notre principe… Mais les évènements qui ont lieu en Libye ont détruit tous nos repères de sécurité et de nation. J’espère seulement rentrer bientôt pour retrouver un pays qui protège mes droits et ma personne, puisqu’un Homme sans appartenance nationale est un Homme sans histoire.

Abruti, minable, partisan des Frères musulmans, laïc, agent, etc. Qui suis-je ?

Mounir Almouhandes – Activiste sur les réseaux sociaux et écrivain, producteur du journal télévisé et d’interviews sur la chaîne Sky News Arabia – Istanbul Je m’appelle Mounir. Je suis citoyen, journaliste et militant. J’ai participé à la Révolution du 17 février afin de renverser le régime de Kadhafi et d’instaurer les principes de démocratie et de liberté d’expression. Mon expérience professionnelle a commencé au début de la révolution libyenne. J’ai travaillé pour une chaîne partisane des révolutions du Printemps arabe. Durant ce temps, j’ai fait la connaissance de personnalités arabes originaires des pays qui ont connu le Printemps arabe. Dès qu’elles savaient où je travaillais, elles me considéraient comme un agent, même si elles le disaient comme compliment ou plaisanterie. J’ai vécu maintes fois cette situation, plus tard, après la fin de la Révolution. C’était très frustrant. J’essayais de me contenir et de clarifier les choses. J’essaie toujours de travailler selon les principes du professionnalisme et de l’éthique du métier, mais cela ne suffit pas, car le simple fait de travailler pour un média ayant ses propres stratégies fera systématiquement de toi un journaliste dépourvu de personnalité au regard des autres. J’ai ensuite reçu une offre de travail d’une chaîne arabe d’orientation différente. J’ai saisi cette opportunité en espérant passer à une nouvelle étape, acceptée par les autres. Mais dès que le jeu politique en Libye a commencé à gagner en maturité, de nouveaux surnoms, pas mieux que les précédents, ont fait leur apparition. La situation est devenue plus compliquée avec le clivage politique, au point que le simple fait de voyager ou de se trouver dans un pays donné était considéré comme une accusation pouvant t’imposer un interrogatoire et te faire qualifier de traître. Ajoutons à cela d’autres situations susceptibles de décider de ta position en tant que partisan ou détracteur d’un parti, lors d’une discussion portant sur un fait inacceptable humainement ou lors d’une rencontre fortuite. Toutes ces situations te classent de façon hostile, sans considération aucune de l’indépendance de ton statut de citoyen, tout simplement.

J’essaie de coexister avec tous les partis et de me comporter de manière professionnelle, sans influencer les autres ni me laisser influencer par leurs avis ou par leurs opinions. Mais cette situation est la plus difficile puisque chaque parti considère que tu es de l’autre côté. Voilà, en bref, mon expérience. Je ne soutiens aucun parti et n’accepterai jamais de soutenir un parti libyen qui combat un autre parti libyen au nom du pouvoir. J’essaie d’exercer mon métier pour gagner dignement ma vie. Mais même la dignité signifie désormais d’être classé, dès qu’elle est prononcée. Aujourd’hui, la situation se résume ainsi : si tu n’es pas de mon côté, alors tu es du côté de mon adversaire. Pourquoi devrais-je me plier aux volontés de l’autre et être la personne qu’il veut que je sois ? Tout ce que je souhaite, c’est être un citoyen dans un pays civilisé, jouissant du droit de la liberté d’expression, critiquant tout acte qui s’oppose aux normes de l’humanité, soutenant le droit de l’autre à travers le journalisme et révélant les problèmes vécus.

Les médias libyens : une grossesse fragile, un accouchement difficile, une éducation inexistante…

Imad Hamed – Réalisateur et présentateur à la chaîne Libya Rouhouha AlWatan – Amman Les médias et le journalisme en Libye ont connu, durant les vingt dernières années, quatre étapes très différentes, qui ont eu des conséquences sur le travail du journaliste et sur le point de vue du public sur les médias. Nous exposerons au lecteur de cet article les quatre étapes qui ont marqué le journalisme libyen durant les vingt dernières années.

La première étape : « Les médias de la Jamahiriya » Cette étape commence après le discours de Zouara, prononcé par Kadhafi en avril 1973, durant lequel il annonça la « révolution culturelle » comme il l’appela, annula toutes les lois et déclara la révolution du peuple. Suite à ce discours, Kadhafi mit des centaines de penseurs et de journalistes derrière les barreaux. Ce qui eut des répercussions sur le journalisme, qui passa de journalisme d’État à un journalisme de révolution. 70% des informations étaient centrées sur les visites que recevait Kadhafi et celles qu’il faisait sur le terrain, alors que les autres informations étaient en fait des articles du Conseil des révolutionnaires, qui ne parlaient que de complots extérieurs, de la troisième théorie universelle et d’autres sujets qui furent le centre d’intérêt des médias de la Présidence durant cette époque. Le journaliste libyen était alors forcé de choisir entre un journalisme orienté, écrire des articles sur l’art ou le sport, ou changer de métier.

La deuxième étape : « La Libye de demain » Au début de l’année 2006, Saïf al-Islam Kadhafi déclara le début d’une nouvelle étape de l’histoire de la Jamahiriya : la Libye de demain. Ce fut également la naissance des médias privés censés, dès le début, jouir d’une grande liberté. Durant la même année, apparurent les journaux Oea et Kourina, la chaîne libyenne, Alshabab et la radio libyenne… Le public était optimiste, le journaliste se sentait libre d’écrire en toute indépendance. Personne ne peut nier que la plume du journaliste libyen a connu, durant la période s’étendant de 2006 à 2010, une grande liberté, qui n’était pourtant pas totale puisque Saïf Kadhafi avait tracé des lignes rouges à ne pas franchir : il était interdit de parler de Kadhafi, de ses fils et ses proches (les « richards »).

Revenons au grand espace de liberté. Citons par exemple les quelques sujets, impossibles à aborder auparavant, qui ont été traités par des journaux appartenant à la Libye de demain, comme le journal de Kourina qui a mené une enquête sur la prison d’Abou Salim et ses victimes. Parallèlement, Saïf et ses médias étaient dans l’incapacité d’aborder les exécutions du 7 avril 1976, la mort de Moussa Al Sadr et d’autres sujets sensibles.

La troisième étape : « Les médias de février » Avec le déclenchement de la Révolution de février 2011, les Libyens assistèrent à l’émergence de plusieurs chaînes et journaux et plusieurs jeunes nouveaux journalistes, qui n’avaient jamais pratiqué ce métier auparavant, apparurent. Cette étape est très importante pour l’histoire moderne de la Libye. Elle constitue en effet le point de départ d’une liberté d’expression sans limite et de l’absence de parties observatrices, jugeant les avis des autres. Le plus important, c’est que cette époque permit aux journalistes de s’unir dans leurs discours, pour combattre Kadhafi et mettre fin à son règne. Mais cette étape ne dura pas longtemps laissant place à l’étape actuelle.

La quatrième étape : « Le chaos médiatique » Durant ces dernières années, plusieurs chaînes et de nombreux journalistes sont venus occuper la scène médiatique libyenne. Certains essaient de vendre au public leur idéologie, d’autres se mobilisent pour décrédibiliser leurs concurrents. La majorité abuse de son pouvoir et essaie d’influencer des personnes, des villes et des régions entières. La scène médiatique s’est malheureusement transformée en une plateforme destinée à envoyer des messages au profit de certains partis, en les présentant au public comme étant les meilleurs et les garants incontournables du pays… Les médias libyens ont malheureusement perdu la confiance du public qui commence à douter de leur crédibilité. Finalement, durant toutes ces étapes, les médias libyens ont essayé de transmettre la plus belle image possible des dirigeants de chaque époque, sans penser malheureusement à se développer.

Je suis journaliste et voilà ce que je suis

Rizk Faraj Rizk – Journaliste indépendant collaborant à la rubrique libyenne sur le site Mourasiloun (correspondants) – Tobrouk Je pense que, avec le temps, le journalisme n’est plus uniquement considéré comme un espace qui nous permet d’atteindre le monde. Je crois qu’il se définit avec des termes comme responsabilité, crédibilité, liberté, professionnalisme, respect de l’humanité et objectivité. De mon expérience dans ce domaine, d’environ deux décennies, j’ai plusieurs anecdotes dont je me souviens à chaque fois que je traverse une expérience similaire. Certaines me rappellent des souvenirs douloureux, d’autres me font sourire. Signer un article dans n’importe quel journal me comblait de joie. Je me voyais rayonnant, au septième ciel ! Entre les restrictions de la censure, la répression, l’immobilisme provoqué par des politiques de libération régies par les intérêts nationaux ou internationaux, les politiques de financement des médias, nous nous retrouvons face à un grand défi et à un combat principalement contre soi-même et contre les tentations. Mais je suis confiant, ma profession possède de bonnes bases, elle a ses principes et ses conventions. Pour que je dise « je suis journaliste » je dois d’abord m’armer de qualités qui ne défaillent pas face aux tentations.

Je suis journaliste donc je suis responsable Je suis journaliste donc je ne suis pas impliqué dans le conflit, je ne soutiens aucun parti, je ne suis pas agent. Cela ne veut pas dire ne pas soutenir les intérêts de mon pays. Ma responsabilité est en effet de participer au développement social et politique de la société. Je dois aussi être au courant de la déontologie et de l’éthique de la profession et ma responsabilité réside dans le respect de mon métier et de ses conventions.

Je suis journaliste donc je ne mens pas Le mensonge m’élimine des rangs des journalistes. Le journaliste ne ment pas et la crédibilité est un principe indispensable à ce métier. C’est un des principaux piliers permettant au journaliste de mériter la confiance du public en quête de vérité. Mon slogan est « le citoyen a le droit de savoir ». Mes opinions et mes appartenances n’influencent pas le fait de dévoiler et de transmettre la vérité au public. Les facteurs négatifs ne me tentent pas. Attiser le feu entre les parties rivales et les diaboliser ne m’intéresse pas.

Je suis journaliste donc je suis libre La liberté réside dans le respect de l’autre et de son intimité. Je suis journaliste donc je suis libre dans la pratique de mon métier. Je refuse catégoriquement tout silence ou dissimulation d’opinions. Ma liberté s’arrête là où commence celle d’autrui. Je ne viole pas l’intimité de la personne, comme je n’accepte aucune transgression professionnelle dans l’ombre d’un nom de média. Je ne me permets pas la diffamation dans le but unique de diffamer et mon lexique n’inclut aucun terme qui blesse quelqu’un ou le tourne en dérision. Je n’ai aucun antécédent dans ce domaine.

Je suis journaliste donc je suis un être humain L’humanité réside dans le fait de se débarrasser de toute atrocité qui s’oppose à ma profession, de se libérer des tentations qui s’emparent de la conscience professionnelle et de m’attacher aux principes humains, quels que soient les appels au crime qui m’entourent.

Je suis journaliste donc je suis professionnel Le professionnalisme est de s’engager à respecter les règles générales adoptées par la profession, de gagner la confiance du public et de pouvoir le motiver. Le professionnalisme est d’être présent et à la hauteur de la compétition. C’est de m’armer contre les défis politiques et les appartenances qui nous font tomber dans le piège de soutenir un parti contre un autre.

Je suis journaliste donc je suis objectif Je suis journaliste, donc je suis neutre dans ma manière de traiter les sujets et d’aborder les thèmes. L’objectivité signifie, en effet, d’être logique dans son travail, de ne se permettre ni ajouts ni omissions, de préciser en toute impartialité l’origine des citations et de ne pas ignorer les points négatifs du parti auquel j’appartiens ou que je préfère ou soutiens. Je suis journaliste. Voilà ce que je suis. J’aime ma profession, elle me motive beaucoup. Je ne profite pas des scandales médiatiques pour être célèbre. Mon arme, c’est ma plume avisée qui ne blesse personne ni ne tourne en dérision. Mon enthousiasme et mon euphorie sont toujours assurés par la simple publication de mon nom ou de ma photo dans un journal et mon engagement ne fait que s’attiser grâce au sens des responsabilités. Celui-ci fonde ses origines dans la liberté d’expression, qui se caractérise par l’objectivité, génère sincérité et professionnalisme et est couronné par l’humanité qui réside en nous et qui nous guide tout au long de notre vie. Je suis un journaliste libyen et ma mission est noble.

Je suis journaliste, je travaille dans un champ de mines !

Sleiman Al Barouni – Radio Alwasat – Le Caire J’ai travaillé comme présentateur de journal et de plusieurs talkshows sur des stations de radio comme Radio Echourouk, Nfousa FM, Awal FM, Radio Alwasat, la radio hollandaise internationale Huna Sotak, comme envoyé spécial et présentateur du journal sur la chaîne Al Asima, ainsi que comme directeur du bureau de la chaîne Rusiya Al-Yaum à Tripoli. Ahmad, 25 ans, n’avait jamais imaginé qu’il allait faire face à toutes ces difficultés et à une situation si compliquée dans ce métier qu’il a toujours aimé et qui a été sa passion durant toute sa vie. Il avait à peine sept ans quand il a regardé le journal télévisé sur la chaîne Al Jazeera, présenté par Khadija Benguenna. Impressionné par sa performance, sa maîtrise de la langue et son passage d’une information à une autre en toute fluidité, la première question qui lui est passée par la tête alors était : « Est-ce qu’elle a retenu tous ces mots avant de passer à l’écran ? » Il ignorait alors toute autre méthode possible et, depuis ce jour, sa passion pour ce domaine n’a cessé de grandir. Il s’est énormément intéressé à la lecture des livres et des journaux durant son enfance et, plus il grandissait, plus sa passion pour ce métier augmentait. Il rêvait alors qu’un jour il serait assis de l’autre côté de l’écran, en train de retenir toutes ces informations pour les communiquer aux téléspectateurs. Mais il n’avait jamais imaginé les difficultés auxquelles il devrait faire face pour y arriver. Le diplômé en information, communication et journalisme en Libye, ou toute personne voulant travailler dans ce domaine, devait apporter son soutien à Kadhafi sous toutes ses formes. Le journal télévisé commençait par « le frère et colonel Mouammar Kadhafi » que ce soit pour annoncer la visite d’un ministre ou la réception d’une lettre envoyée par un président ou même pour annoncer le réveil du dirigeant. C’est alors qu’Ahmad se rendit compte qu’il ne pourrait jamais réaliser cette passion qui l’avait accompagné depuis son enfance. Les années ont passé, la Révolution a éclaté, mettant fin au règne de Kadhafi et la chance s’est présentée pour lui de raviver sa passion. En effet, les médias et le journalisme avaient vu le jour sous une nouvelle forme, les journaux télévisés n’étaient plus les mêmes et une lueur de professionnalisme s’était répandue de nouveau sur le métier. Ahmad a pensé que c’était une opportunité pour réaliser ce rêve qui l’avait poursuivi depuis l’enfance.

Il a rejoint plusieurs radios et chaînes, et il a essayé d’apprendre afin d’acquérir une plus grande expérience dans ce domaine. Mais, très vite, les médias ont commencé à se diviser dans le pays. En fait, ce nuage d’éblouissement sur lequel il vivait a commencé à disparaitre de sa tête et de son cœur durant sa première année de travail en tant que journaliste, non pas parce qu’il sousestimait la profession en elle-même, mais à cause de ceux qui étaient à l’origine de son entrée dans ce domaine et aussi de certaines vérités qui n’étaient accessibles qu’à celui qui connaissait ce métier de près. Tu réalises enfin que tu n’es qu’un simple employé sur ton lieu de travail. Tu écris ce que désire le chef du département, qui correspond au point de vue du rédacteur en chef, qui correspond aux directives des hommes d’affaires qui travaillent pour les intérêts d’un des partis politiques. Le but est de s’en rapprocher ou d’essayer de réaliser leurs intérêts en flattant davantage certains courants politiques. Ahmad reconnait qu’avant de rejoindre le métier de journaliste, il ignorait ce qui se passait dans les coulisses de la « politique libyenne » et qu’il n’avait pas les connaissances suffisantes, même si celles-ci venaient de la Révolution, qui reste une nouvelle expérience pour ce pays qui n’avait connu que le règne de Kadhafi et ce, durant quatre décennies. Mais, malgré la fatigue physique de cette profession, sa précarité financière et ses difficultés, il ne pouvait pas la laisser tomber si facilement, surtout s’il voulait conserver ce qu’on appelle « le principe ». Travailler dans ce domaine n’était pas une tâche facile en Libye, surtout après l’apparition des partis et des programmes politiques. Chaque courant possède désormais son propre média et communique avec le public à travers son propre point de vue et son programme. Le professionnalisme ne tient pas une place importante pour la majorité des médias. Il suffit d’être porte-parole du propriétaire du média et de transmettre ce qu’il veut. Après le début de la guerre en 2014 à Tripoli, Ahmad avait peur durant la présentation du journal en direct. Il entendait des coups de feu et des missiles qui faisaient trembler tout le bâtiment. Il imaginait sans cesse des groupes armés faire irruption dans le studio et pensait alors qu’il présentait les informations : pourrait-il s’enfuir et sauver sa peau ? Ou annoncerait-il aux téléspectateurs qu’une milice avait pris le studio d’assaut ? Ahmad pense que le métier de journaliste qu’il a longtemps aimé n’est pas complètement une réalité en Libye. Il considère que, comme certains qui refusent la situation médiocre que vit le journalisme dans le pays, lui aussi continue à être attaché à ses principes et à la défense de ses droits professionnels et au droit du public à recevoir de vraies informations. Il refuse les instructions du pouvoir, l’argent des hommes d’affaires et la soumission à la diffusion de mensonges au profit des partis politiques qui ont épuisé la Libye dans leur combat au nom du pouvoir. Finalement, Ahmad est un citoyen et un jeune homme qui rêve de devenir journaliste professionnel, de travailler dans ce domaine qu’il adore. Mais que lui arrivera-t-il si jamais il refuse ? Les milices présentes sur le terrain le mettront sûrement en prison. Il pourra finir par être au chômage ou même émigrer, parce que travailler dans ce domaine en Libye, c’est comme se déplacer dans un champ de mines.

Je souhaite développer le journalisme en Libye

Sefyan Khalaf Allah - Directeur exécutif du Centre pour le développement des médias Après la révolution libyenne de 2011, qui a appelé au changement positif, il était urgent de reconstruire le secteur des médias en Libye. En effet, celui-ci n’était qu’un outil de promotion d’un système totalitaire et autoritaire quatre décennies durant. Ce système a réprimé la liberté de la presse, la liberté d’expression et même les Droits de l’Homme. La reconstruction du secteur des médias et de la presse en Libye est l’un des axes les plus importants de la période de transition vers la démocratie. Pas de démocratie sans médias libres et indépendants. L’époque du régime totalitaire en Libye a eu un impact très grand sur la presse en général et sur les journalistes en particulier. En effet, le milieu manque de professionnalisme. De plus, l’environnement n’est pas propice : il ne permet pas aux journalistes et aux acteurs des médias d’exercer leur métier en toute liberté et avec compétence ; il ne fournit pas les lois et les réglementations qui protègent et garantissent la liberté de la presse et la liberté d’expression. Le secteur des médias libyens a besoin d’être soutenu, afin qu’il puisse se reconstruire et se restructurer, à partir de zéro. Mon rôle se situe à ce niveau, comme tout citoyen libyen qui souhaite renforcer les principes et la culture démocratique en Libye, établir l’alternance pacifique au pouvoir et la séparation des pouvoirs, et sensibiliser et encourager les autres citoyens à la participation politique, notamment à travers les pratiques électorales. Au début, j’ai travaillé au sein de l’Organisation de soutien à la démocratie. Grâce à cette organisation de la société civile, que j’ai fondée vers la fin 2011, j’ai pu participer à de nombreux projets de sensibilisation, à des initiatives de défense des droits généraux, des droits des minorités ethniques et d’autonomisation des femmes. Nous avons constitué une équipe de 120 observateurs bénévoles des deux sexes pour surveiller les élections du Congrès national général de juillet 2012. Comme les autres militants des institutions de la société civile, j’ai fait face à beaucoup de difficultés et de défis en raison de la situation politique et sécuritaire instable en Libye. Ainsi, j’ai dû maintes fois changer les projets ou même les annuler. Toutefois, ces défis n’ont fait qu’accroître ma détermination et ma conviction que la phase que traverse mon cher pays est une phase délicate et extrêmement importante, qui nécessite toutes les contributions, aussi petites soient-elles. Mon choix s’est ainsi porté sur le domaine du développement de la presse pour apporter ma contribution à la reconstruction de ce secteur important, afin de rebâtir la nouvelle Libye, la Libye libre, la Libye « État de droit » et ses institutions, et promouvoir des valeurs de tolérance et de justice transitionnelle. Quant à l’initiative du Centre pour le développement des médias, je l’ai lancée en tant qu’organisation nationale à but non lucratif, après une expérience dans le domaine du développement des médias en tant que directeur exécutif d’une institution de la société civile, l’Institut libyen des médias, en 2013. J’étais principalement chargé de concevoir les programmes de formation pour les journalistes.

J’ai également travaillé dans la conception et l’application, in situ, d’un programme visant à renforcer les capacités de six quotidiens locaux libyens : rédaction des informations, mise en place des réunions de rédaction, gestion financière et gestion des ressources humaines. À cette même époque, j’ai monté une formation pour plusieurs journalistes de différentes villes de Libye sur le thème de la couverture médiatique des élections au Parlement libyen de juin 2014. Mon approche pour gérer la mise en œuvre des programmes de formation et de renforcement des compétences des journalistes s’est basée sur l’échange d’expériences. En effet, les formateurs étaient internationaux et dotés d’une longue expérience dans le domaine de la presse au sein de pays en transition démocratique, tels que la Libye ou ceux ayant connu le Printemps arabe. Ces programmes visaient à former des journalistes libyens aux normes internationales des journalistes libyens. Cependant, les choses ont changé après la guerre qui a mis le feu à l’aéroport international de Tripoli et aux réservoirs de carburant, durant la deuxième moitié de 2014. Les corps diplomatiques internationaux et les organisations internationales œuvrant dans différents domaines, dont celui du développement des médias, ont été immédiatement évacués. Nous n’avions plus la possibilité de faire venir des formateurs internationaux en Libye en raison des risques élevés. Comme j’ai l’habitude de m’adapter rapidement, j’ai conçu un autre programme de formation pour contribuer au développement du secteur de la presse en Libye. Il s’agit de former des formateurs libyens indépendants, qui se chargeront à leur tour de former ultérieurement leurs collègues à l’intérieur du pays. J’ai pu réaliser ce programme grâce à la signature de conventions de partenariat avec deux bailleurs internationaux : International Media Support (IMS) et Deutsche Welle Akademie (DW-A). Mi-2016, nous avons poursuivi ce projet avec succès. Treize formateurs libyens ont obtenu leur diplôme après avoir participé assidûment aux huit mois de formation à Tunis, accompagnés par quatre formateurs internationaux envoyés par nos deux partenaires. Puis je me suis mis d’accord avec IMS pour donner la possibilité aux nouveaux formateurs libyens de contribuer à la formation de leurs collègues à l’intérieur de la Libye, à travers un programme de formation en plusieurs phases. Tout d'abord, durant la deuxième moitié de 2016, j’ai réalisé une cartographie des agences de médias opérant à l’intérieur de la Libye. Ce travail avait pour but d’identifier d’éventuels partenaires pour une formation locale auprès de journalistes libyens, en collaboration directe avec leur propre agence médiatique. Les résultats du projet ont montré que les médias les plus répandus et les plus stables en Libye étaient les chaînes de radio. Je me suis donc mis en contact avec toutes les chaînes de radio correspondant à nos critères de formation. Au total, 24 chaînes de radio ont été désignées comme « éventuels partenaires ». En décembre 2016, j’ai réussi à signer quatorze protocoles d'accord avec quatorze chaînes de radio locales dans onze villes différentes à l’est, à l’ouest et au sud du pays. C’était la deuxième étape. J’exécute actuellement la troisième et dernière étape, qui consiste à monter un projet autour du « contenu informationnel des chaînes de radio locales en Libye ». Il s’adresse à 56 journalistes de radio, formés in situ par deux équipes composées de quatre formateurs locaux, anciens diplômés du programme de formation des formateurs. Il s’étale de mars à avril 2017. Ce programme aidera à renforcer le professionnalisme journalistique chez les journalistes et les agences de médias bénéficiaires. De plus, je participe de temps en temps à des séminaires et à des ateliers sur la consolidation de la liberté de la presse et de la liberté d’expression. Dernièrement, j’ai eu l’occasion de participer à quatre séminaires, de janvier à avril 2014, organisés par CFI, l’agence française de coopération médias, du projet « HIWAR : Regards croisés sur le journalisme libyen ». Pour conclure, je suis fermement convaincu que le secteur des médias, de par ses trois composantes individus, institutions et environnements propices, a besoin de plus d’efforts de la part de tous, afin d’être reconstruit et développé selon les normes internationales de la presse moderne. Pour qu’il soit libre, indépendant et professionnel, et qu’il contribue à l’instauration de la paix civile et à la diffusion des principes de démocratie en Libye. Pas de démocratie sans médias libres et indépendants.

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