on montre de films, plus le goût du public se forme

20 mai 2013 - Reinhard Brundig [Pandora, Alle- magne]. Jim Jarmusch voulait des acteurs anglais pour cette histoire d'amour entre des vampires qui s'étend.
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JEAN LABADIE DIRECTEUR GÉNÉRAL DU PACTE

“Plus on montre de films, plus le goût du public se forme” Quels sont les films du Pacte à découvrir sur la Croisette ? Nous ouvrons la compétition avec Heli, d’Amat Escalante, et nous la fermons avec Only Lovers Left Alive, de Jim Jarmusch. Nous présentons cinq films en compétition dans la sélection officielle, dont deux avec Wild Side : Tel père, tel fils, de Hirokazu Kore-Eda, et Only God Forgives, de Nicolas Winding Refn. Entre-temps, nous aurons proposé Jimmy P., d’Arnaud Desplechin, produit par Why Not. Le Dernier des injustes, de Claude Lanzmann, coproduit par Synecdoche, Dor Film et Les Films d’Aleph, a été projeté dimanche en sélection officielle hors compétition. C’est une belle cuvée ! En plus de la sélection officielle, Le Pacte est aussi présent à la Quinzaine des réalisateurs ? Nous distribuons et vendons à l’international Henri, de Yolande Moreau. Avec Wild Side, nous avons trois titres : We Are what We Are, un remake d’un film mexicain, de Jim Mickle. Magic Magic, film anglais, de Sebastian Silva, et enfin, On the Job, un film philippin, d’Erik Matti. Nous nous complétons bien avec Wild Side, Manuel Chiche ayant, notamment, une culture asiatique incroyable. Y a-t-il des productions maisons en plus du “Dernier des injustes” ? Nous sommes coproducteur d’Only Lovers Left Alive, de Jim Jarmusch. Depuis Dead Man [1995 – ndlr], nous suivons son travail. Jusqu’à présent, je finance par contrat ses frais généraux. Cela lui donne une liberté de création et nous permet d’avoir un regard en premier sur ses films. C’est la première fois que nous coproduisons l’un de ses films. Les précédents étaient américains. Celui-ci est un film européen, Jim Jarmusch étant résident allemand. Only Lovers Left Alive a pu se faire avec,

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malgré tout, des difficultés de financement après Limits of Control. Il a été pris en main par Jeremy Thomas [Recorded Picture, Royaume-Uni] et Reinhard Brundig [Pandora, Allemagne]. Jim Jarmusch voulait des acteurs anglais pour cette histoire d’amour entre des vampires qui s’étend sur plusieurs siècles. Ce sont deux personnages dotés d’une culture immense et ancienne, contrairement à celle des Américains, récente. Vous êtes un distributeur et un producteur fidèle à ses auteurs ? Nous avions distribué le précédent film d’Amat Escalante, Los Bastardos. Heli, a été coproduit avec Mantarraya Producciones. Nous travaillons avec cette société depuis les films de Carlos Reygadas. Nous sortons les films d’Arnaud Desplechin depuis Comment je me suis disputé… ma vie sexuelle [1996, ndlr]. Avec Claude Lanzmann, nous avions sorti Sobibor [2001]. Nous avons déjà distribué I wish, nos vœux secrets de Kore-Da, l’an passé. Tel père, tel fils est vraiment un film formidable. Nous suivons Nicolas Wiffin Refn depuis Bronson et le Guerrier silencieux. Dès la trilogie “Pusher”, distribuée par Les Acacias, on pouvait ressentir le talent de Nicolas Winding Refn… Je m’en suis voulu de ne pas l’avoir sorti. Il avait été acheté à l’époque par Yves Chatelier et j’ai eu tort de ne pas le distribuer. C’est très agréable d’être là au moment où les gens démarrent leur carrière, de les suivre, que ce soit avec des films qui marchent mais aussi avec ceux qui ne trouvent pas leur public. Il faut surtout être aux côtés des réalisateurs quand cela ne marche pas. Les grands metteurs en scène connaissent des hauts et des bas vis-à-vis du public, mais ils rebondissent toujours.

“Only God Forgives” est très attendu après le succès de “Drive”… Par respect pour le Festival de Cannes, nous l’avons montré à très peu de journalistes. Tous l’ont adoré, ce qui s’est traduit par la couverture de Télérama, de Première, des Inrockuptibles, un partenariat avec France Inter… Aviez-vous prévu un tel engouement sur “Drive” ? Nous n’imaginions pas qu’il attirerait 1,6 million de spectateurs ! C’est un vrai phénomène. Ryan Gosling a été comparé à Steve Mc Queen. Il est arrivé sur Only God Forgives alors qu’un autre devait prendre le rôle. On découvre une Kristin Scott-Thomas comme on ne l’a jamais vue, très différente de ses personnages de grande bourgeoise. Vous n’avez pas tous les mandats de vente sur les films que vous distribuez… Nous pratiquons la distribution, l’édition vidéo et les ventes internationales. Pour une structure comme la nôtre, c’est difficile de proposer plus de cinq ou six films par an en ventes internationales. Cela nous permet de les travailler en profondeur et de les accompagner le plus longtemps. Trouvez-vous qu’il y a trop de films ? Non, c’est grâce à cette diversité incroyable que nous avons un public si nombreux en salle. Les 200 millions de spectateurs ont vu à la fois des films populaires et des films d’auteur de grande qualité. Plus on montre de films, plus le goût du public se forme. Avec le numérique, les plans de sortie n’ont pas explosé, et l’on entend dire de la part des exploitants des petites et moyennes villes qu’ils auraient

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des problèmes d’accès à la copie. Qu’en pensez-vous ? Nous essayons d’avoir des plans de sortie cohérents. Il nous arrive parfois de refuser de donner les copies en sortie nationale ou en seconde semaine si le film n’est pas exposé correctement par la salle en termes de nombre de séances. Je n’ai pas ce sentiment sauf dans le cas d’un film qui créé la surprise. La vie d’un film est liée à sa médiatisation, il faut qu’il soit accessible aux salles assez rapidement, sauf cas exception, comme Sugar Man, qui a eu un succès magnifique avec une sortie atypique. Le numérique a-t-il changé votre pratique ? Nous avons moins de frais d’édition sur le matériel technique depuis que nous sommes 100 % en numérique. Comme il y a 15 à 16 films par semaine, nous devons, pour exister, investir plus massivement en promotion et marketing si l’on veut que nos films existent. Le bouche à oreille demeure important. Vous présentez aussi “le Dernier des injustes”, de Claude Lanzmann. Comment fait-on actuellement pour distribuer un film de 3 h 40 en salle ? C’est un film très important, exigeant, dense, majoritairement en allemand. Il est important d’avoir une piqûre de rappel sur le racisme ou l’antisémitisme à notre époque. Le Dernier des injustes est le personnage qui a négocié dès 1938 avec Eichmann, et l’on comprend que ce dernier n’était pas le petit fonctionnaire gris que l’on a longtemps cru. Claude Lanzmann montre le cynisme du régime nazi qui a présenté aux riches juifs le camp de Theresienstadt comme un village modèle. C’est impensable ! Propos recueillis par Emma Deleva

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