Pepe Theo

Cela fait au moins 80 bombes qui arrivent sur .... Là nous apprenons que le 2ème bataillon dont le mien est en .... plaine avec des tirailleurs sénégalais. 24/49 ...
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Pépé Théo Quelques mois de la grande guerre 1914-1918 vécus par Théodore Gluard et écris par lui dans un petit carnet. Relevé par sa belle-fille Denise Gluard 20 ans après. Informatisé par son arrière petite-fille Angéline Gluard 90 ans après.

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Le 9 octobre 1914 Partis de Bois-d’Arcy le 9 octobre à 11 heures du matin. Arrivés à Cherbourg le 10 octobre à 5 heures du matin. Embarqués à bord de la Savoie le même jour à 2 heures du soir. Arrivés à Dunkerque le 11 octobre à 7 heures du matin. Débarqués à 3 heures du soir. Nous sommes couchés à Rosendaël, faubourg de Dunkerque et nous y sommes restés trois jours, très bien accueillis des habitants. De la nous sommes embarqués en chemin de fer, le mercredi 14 octobre, à destination de Poperinge en Belgique. C’est là où en descendant du train, nous entendions le canon à 6 kilomètres de nous. Nous y avons 2/49

couché, et le lendemain, jeudi, nous avons été faire des tranchées à 5 km en avant, sur Ypres. Pendant ce temps là, on se battait très fort devant nous, à Ypres (5 km de nous). Ce même jour, un taube est venu nous survoler. Nous lui avons tiré peut-être cent coups de fusils, mais sans l’abattre. Cependant, à quelques distances de nous, les anglais, d’un seul coup de canon l’ont abattu. Les arbres étaient criblés de balles, sans doute les nôtres de tout à l’heure. Le soir, nous sommes revenus coucher à Poperinge et le lendemain, vendredi, nous sommes revenus au même endroit continuer les tranchées.

Le soir, nous sommes encore revenus à Poperinge, jolie ville, ma foi, et les habitants, très bons. Le samedi matin, nous devions partir et nous sommes restés jusqu’à 2 heures du soir, dans l’attente. Enfin, donc, départ à 2 heures du soir, nous avons fait 15 km à pied. Nous avons couché à Rexpoëde et le lendemain départ à 8 heures du matin pour Hondschoote encore en Belgique. Nous avons la veste. Trois jours à faire des tranchées et nous prenions le service des avants postes. Ces jours là, on se battait très fort sur toute la ligne à 10 kilomètres de nous. Nous entendions fortement le canon et même les fusils. La bataille était terrible comme tout le monde le sait. 3/49

Quant à nous, l’endroit le plus prêt était Nieuwpoort et Dixmude sur l’Yser. Nous sommes repartis de Hondschoote le jeudi à 8 heures du soir. Le 22 octobre nous sommes arrivés à Lo à minuit. Là nous avons couché dans une ferme. Le lendemain vendredi 23 octobre nous sommes repartis à 2 heures du soir nous avons fait 5 kilomètres et ma foi, cette fois là nous étions complètement au feu. Vers 5 heures une fusillade s’est engagée. Et enfin l’artillerie se plaçait derrière nous à 400 mètres environ. Et j’assure que vers 10 heures du soir, les obus nous passaient sur la tête. Il y avait là sur le bord de la rivière de jolies tranchées.

Nous étions là dedans et nous y avons passé la nuit à entendre tonner les canons par-dessus nos têtes. Et à envoyer aussi quelques coups de fusils dans l’espace car la nuit était très noire et le brouillard de la rivière on ne voyait rien mais il fallait tirer quand même à tout hasard pour les empêcher d’avancer pendant la nuit. Cependant, à ma gauche, à quelques cent mètres de moi, un violent feu s’est ouvert vers 10 h du soir et l’ennemi n’était pas loin en effet car il y a eu un blessé. C’est donc du 23 au 24 octobre 1914 que j’ai assisté la première fois au feu. Voici mon détail sur ces quelques journées passées et c’est étant dans la

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tranchée le samedi matin 24 octobre que j’ai écrit ceci. Il est en ce moment 8 heures et ce n’est qu’une canonnade, nous avons tiré aussi mais maintenant il vient de nous arriver un ordre de ne pas tirer sans commandement nouveau. Donc pour me distraire, j’écris ceci. Cependant tout à l’heure j’ai été interrompu dans mon écriture car un obus vient d’éclater à 35 mètres environ de nous. Un camarade a été ramassé un éclat d’obus. Maintenant j’attendrai un peu de nouveau pour écrire. Samedi 24 octobre 1914. Gluard.

Aujourd’hui 25 octobre, 8 heures du matin. Je continue à expliquer comment c’est passé le reste de la journée du 24 et aussi de la nuit 24-25. Toute la journée du 24, une terrible canonnade des deux cotés. Les grosses pièces allemandes éclataient sur notre ligne. C’est en face de la 9ème compagnie, qui se trouvait droit devant notre artillerie que les bombes venaient éclater. Il y a eu d’après ce que j’ai entendu dire par les camarades : 23 blessés. L’ennemi dirigeait toujours son tir sur notre artillerie. Elles éclataient toutes au même endroit à environ 150 mètres de moi.

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La plus près était celle du matin, à 35 mètres à gauche, et les autres à ma droite comme je le dis à 150 mètres environ. Les nôtres leur répondaient fortement et j’assure, à qui que ce soit, que la journée paraît longue par une situation pareille. On nous apporte à manger dans nos tranchées comme à des bêtes fauves dans leur cage. Il ne faut pas se plaindre pour la situation que nous occupons. Nous avons bien pour manger, il n’y a que pour boire, car il n’y a pas d’eau dans l’endroit ; que dans les fossés des prairies.

Nos cuisiniers dans chaque escouade nous font bouillir l’eau pour le marc de café. La journée a été forte de brouillard. La nuit arrive à 4 heures et demi. Mais à la tombée de la nuit, je ne sais si c’est pour nous dire bonsoir, ils nous ont lancé deux bombes si près l’une de l’autre que tout tremblait. Puis c’est tout. On ne les entend plus. Mais nous de notre coté, ce n’était pas fini. Il y a eu un peu de relâche de 6 heures à 8 heures du soir. Ensuite, le canon, les mitrailleuses, les fusils à notre gauche, tout donnait. C’était comme un roulement de tambour et toute la nuit, derrière nous.

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On entendait notre renfort d’artillerie qui arrivait et en effet, ce matin, de tout côté notre artillerie donne. A l’instant où j’écris ces lignes, nous avons des pièces, droit derrière nous qui viennent de cracher. La situation devient inquiétante. Je m’arrête pour observer. Je reprendrai demain. 25 octobre 1914. Gluard. Aujourd’hui, 26 octobre, lundi. Je continue sur ma journée du 25 et de la nuit du 26. En effet, à l’instant où je me suis arrêté d’écrire hier je disais que la situation était inquiétante. Toute la journée les obus nous ont survolé.

Nous avions une batterie derrière nous qui n’a pas cessé de la journée. Mais cela nous faisait plaisir à entendre. Mais les autres répondaient aussi et les bombes éclataient comme la veille de chaque côté de nous. Mais à peu de distance, c’est sous cette pluie d’obus que l’on nous distribue des lettres. Pensez, quel plaisir dans pareil moment de recevoir des nouvelles des siens. Moi, pour ma part, je reçois une lettre de ma femme et de ma petite Olga. Et une lettre de ma belle-mère avec son contenu et une carte de chez Madame Grannet.

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Toutes les correspondances reçues ce jour sont datées du 13 octobre et les recevons le 25. A cela nous nous empressons de tous répondre. C’est étant assis au fond de notre tranchée que nous écrivons. Il faudrait voir cette position. Et dire que nous avons les boches à peut-être un kilomètre de nous. Nous sommes là, à les attendre. Nous sommes sur le bord d’un canal et une prairie devant nous donc, s’ils avancent, gare à eux ! Notre artillerie balaye le terrain et nous, nous sommes là en cas qu’ils avanceraient malgré la pluie des obus. Depuis deux jours que nous sommes là dedans jour et nuit, nous sommes tous

courbaturés car nous ne pouvons guère remuer faute de place. Et aussi, il ne fait pas bon se montrer. Dans la soirée, le sergent demande les lettres pour les poster au vaguemestre et il me demande si je veux aller avec lui. Nous partons donc tous les deux. Mais en prolongeant notre ligne, arrivant encore vers la 9ème compagnie où hier il y a eu ces 23 blessés, une bombe vient encore d’éclater et fait encore un blessé. Je le vois, on le conduit aux maisons les plus proches, c’est à la jambe qu’il est blessé. Sur ce fait, on m’empêche d’aller plus loin et je reviens dans mon trou.

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Et enfin, le reste de la journée a été continu de coups de canon, d’un coté et de l’autre. Mais à 7 heures même chose que la veille. Les fusils et les mitrailleuses se font entendre au même endroit et petit à petit tous faisaient feu. Comme il faisait noir, nous nous figurions qu’ils avançaient dans cette prairie et nous voila tous à faire feu. Enfin après avoir tiré peut-être 15 cartouches chacun, on nous commande cessez le feu. La batterie qui est derrière nous balaye le terrain. C’est épouvantable, c’est que des éclatements partout, comme quand l’orage tombe.

On voit de toute part des incendies, je les compte au nombre de 6 dont 5 du côté de l’ennemi. C’est les nôtres qui ont incendié avec les bombes pour les déloger de là. Eux nous ont incendié à un seul endroit. Mais le feu paraît très fort, mais cela paraît à ma gauche et à au moins 5 km de moi. Vers 10 heures, à cela, nous arrive la pluie qui a duré une partie de la nuit. Nous sommes enfondus. Jugez si nous sommes heureux. Le jour arrive, nous sommes tous tremblants, le vent après cette pluie est froid.

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De notre coté, ce matin, c’est tranquille, pas un seul coup de canon. Ni par l’ennemi. Mais à notre gauche, c’est un vrai carnage, peut-être à 5 ou 6 km. Il n’est encore que 8 heures. Probablement que la journée ne se passera pas comme cela car il me semble que çà s’approche encore. Je vais encore m’arrêter, je reçois à l’instant une carte d’Armentine Bacle. 26 avant 8 heures du matin. Théodore. Je m’étais arrêté hier car je croyais la rude bataille s’approcher mais cela a tenu toute la journée à notre gauche. C’était terrible à entendre. Nous avons toujours une maudite pièce allemande devant nous à 2 km environ

et qui nous arrose à tout moment de mitraille. Les nôtres, cependant, leur en envoient de rudes buffées. Mais ils ne peuvent pas arriver à la démonter, elle doit être enterrée dans quelque trou et cette maudite nous cause beaucoup de ravages. Car ils pointent toujours sur le joli petit bourg qui est derrière nous sur la droite. Ce petit bourg s’appelle Mientcapelle, il faut que le clocher soit solide car il est tout écorché par les débris de mitraille. Nos officiers d’état major ont failli être atteints et ainsi que nos voitures de ravitaillement.

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Cela fait des trous où ça tombe à y loger un tombereau. Je me demande où la terre passe, car on n’en voit pas une miette. C’est terrible. Sans cela, c'est-à-dire cette pièce, la journée en face de nous aurait été calme. Quand on reste dans les tranchées il n’y a pas trop de danger. Mais c’est pour aller chercher les vivres et enfin tout ce qu’on a besoin. C’est à ce moment là qu’on risque qu’une bombe nous éclate dessus. Les deux premiers jours je ne comprenais pas ce qui se passait. Mais maintenant, je vois qu’à notre droite et à notre gauche, il se trouve un pont de chaque coté et c’est là qu’ils voudraient passer.

C’est pourquoi ils se battaient si dur et où nous sommes, nous, il n’y a pas de pont, nous sommes là pour leur empêcher d’en construire un avec des bateaux. Enfin la nuit a été assez calme mais grande bataille à notre gauche de nuit aussi. Ce matin, le temps est très joli, le soleil raye et nous sommes contents de le voir, car hier nous n’avons pas pu arriver à nous réchauffer dans nos effets mouillés. Pas moyen d’étendre nos effets puisqu’il faut se dissimuler. Enfin, je ne sais pour quel temps nous sommes dans ces trous mais vraiment le temps y est long et on se fatigue car

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on ne peut pas s’y étendre et on est à deux dans chaque trou. Voici quatre jours que l’on est làdedans, il y a bientôt 15 jours que je n’ai pas bu une goutte de vin, car depuis que nous sommes en Belgique, le vin vaut 1 :50 la bouteille, on n’y boit que de la bière. Mais depuis ces quatre jours, on y boit que de l’eau et encore comme je l’ai dit dans mes premières journées, on est obligé de la faire bouillir : c’est de l’eau des fossés dans les prairies. Hier, lundi, nous avons touché un peu d’eau de vie, mais à peine pour en goûter, environ 1 litre pour 25 hommes.

Ce matin, pendant que j’écris, cette maudite pièce frappe encore de temps en temps sur le pays mais très peu. A notre droite on se bat très fort mais on dirait que c’est un peu plus loin qu’hier. Quant à nous, personne ne nous dit rien, nous ne savons rien, cependant, à entendre dire par les uns et les autres, la journée du 26 serait très bonne pour nous. Pendant que j’écrivais tout à l’heure, un taube est venu nous survoler mais très haut. Allons maintenant, à demain. 27 octobre 1914. Un instant après que je terminai d’écrire hier, nous apercevons loin 12/49

dans la prairie un cavalier qui s’approchait, arrivant à environ 1000 mètres de nous. Ceux qui se trouvaient en face de lui ouvrent un feu sur lui, aussitôt il saute à terre comme pour faire voir qu’il venait de tomber mort. Mais le feu s’arrête un instant, on aperçoit le cheval étendu à terre ; lui était bien mort. Mais le Uhlan cherchait à marcher à quatre pattes ; aussitôt les même tirent encore et cette fois le tue. Mais pour aller le chercher c’est dangereux. Cependant deux hommes demandent à y aller.

Nous autres, on veillait car si d’autres s’étaient approchés nous aurions tiré dessus. Mais enfin, rien ne s’est passé. Ils l’ont apporté mais comme nous ne pouvions pas sortir de nos tranchées, je ne l’ai pas vu. On a dit que c’était un Hulan mais c’est tout ce que j’en sais. Aussitôt cela, on distribue les lettres, moi je n’ai rien hélas ! La journée va me paraître bien longue. Mais malgré que, bien gêné dans nos tranchées, je m’occupe à nettoyer un peu mon fusil. Car avec l’eau qui est tombée et le brouillard la nuit, cela ne les arrange pas, et il fait bon en avoir soin. Jusqu’à

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2 heures environ du tantôt nous avons été assez tranquilles. La pièce dont j’ai beaucoup parlé ces derniers jours nous lance toujours quelques bombes. A partir de 2 heures les nôtres commencent à bombarder dessus. Nous avons vu courir 5 types et ils faisaient vite. Enfin depuis ce moment je ne sais plus ce qui s’est passé mais nous ne l’entendons plus. Ils nous en lancent malgré cela avec une autre pièce mais elles viennent de si loin que l’on n’entend pas le départ du coup. Mais nous les entendons passer et ensuite éclater derrière nous.

Cependant une éclate droit devant nous mais peut-être à 500 mètres. Nous avons vu la terre voler. Nous en sommes quitte comme cela. Quand elles passent on dirait un express qui arrive c’est épouvantable. Mais on s’y habitue. Vers 5 heures le soir, à la tombée de la nuit, je ne sais si on a aperçu une troupe en marche du côté de l’ennemi, mais derrière nous et du côté où la bataille avait duré une partie de la journée, notre artillerie ouvre un feu. Il est impossible de s’en faire l’idée. Nous comptons 8 pièces qui partent ensemble et au moins 10 fois de suite. Cela fait au moins 80 bombes qui arrivent sur l’ennemi. Cela doit faire quelque chose quand même. 14/49

Enfin la nuit est rendue et on entend quand même quelques coups de fusils mais très peu. La nuit a donc été en quelque sorte assez tranquille. Ce matin cela reprend comme de plus belle toujours dans la même direction. Mais il me semble que c’est un peu plus loin. Quand à nous, ce matin il fait un joli soleil, nous sommes assis dans nos tranchées. Plusieurs aéroplanes des nôtres nous survolent mais aucune bombe ne nous arrive. Et notre artillerie ne dit rien non plus. Il est en ce moment 10 heures et je vais m’arrêter pour manger un peu. Mercredi 28 octobre 1914. Gluard.

J’ai bien dit que des aéroplanes nous survolaient au moment où hier je m’arrêtais d’écrire. En effet et sans doute ils avaient apporté la nouvelle que les allemands occupaient un petit bourg qu’il y a devant nous à 3 kilomètres environ. Car tout à coup vers 4 heures du soir, notre artillerie tire dessus le premier coup. Nous le voyons éclater à 100 mètres environ du clocher. Mais le deuxième, le clocher descend. Et ensuite, ils bombardent tout le bourg. Je l’avais bien aussi dans mon idée qu’ils nous observaient étant là-dedans. Sapristi, il ne devait pas y faire bon. 15/49

Je ne sais s’ils ont été dérangés mais la nuit a été un peu plus calme que d’habitude. Mais malgré cela nous veillons toujours. Ce matin, il y a un peu de gelée blanche, mais vers 8 heures le soleil paraît un peu. Un de nos avions passe encore sur nous pour aller sur leurs lignes. Mais 3 bombes lui sont lancées, sans l’atteindre. Il retourne sur nous et ensuite s’élève encore un peu et repart vers eux. Encore une autre bombe mais sans l’atteindre car il est très haut. Et cette fois là, il continue sa route malgré eux.

Une vive bataille se fait entendre encore à notre gauche. Les coups de fusils ne décessent pas. Un bruit court que c’est de notre côté que va s’ouvrir la grande bataille. Il faut donc ne plus bouger de son trou et ni s’éclairer. C’est vers midi que cela cesse un peu. Et je me mets à écrire. Je fais d’abord réponse à mon frère dont je viens de recevoir sa lettre datée du 17 et aussitôt j’écris ceci. Ce matin les obus nous survolent d’un côté et de l’autre, rien de plus pour l’instant et à demain. 29 octobre 1914. Gluard.

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Aujourd’hui 30 octobre, je vais continuer à expliquer la journée d’hier et la nuit. Cependant c’est toujours à peu près pareil, toujours de fortes batailles à deux points. C’est toujours à la même place, où sont les ponts, cela est évident. Nos officiers nous annoncent que sur toute la ligne, l’ennemi est repoussé et que sur l’Argonne on a anéantit tout un régiment allemand et qu’ils se retirent en partant en débandade. Sur notre point cela ne va pas très vite, mais on les repousse aussi. Les russes marchent bien et leur ont fait hier 500 prisonniers. Ce sont nos officiers qui nous le disent, car nous ne voyons ni journaux, ni rien.

Nous sommes dans nos trous et nous attendons. On a parlé ce matin de très bonne heure que nous allions en sortir pour aller prendre un peu de repos. Vraiment voilà une semaine entière que nous sommes là dedans. Il y aurait moyen de perdre la tête à toujours entendre les canons et les fusils. Et être dans ses trous privés de tout. Pas seulement une goutte d’eau propre et manger il faudrait voir, c’est affreux. Et après on dit qu’on est bien soigné sur la ligne de feu. Je le répète, on y est très mal. Les fumeurs tirent la langue, plus de tabac, plus rien, je m’arrête sur ce sujet… 17/49

La nuit je prends la faction de 7 heures à 9 heures du soir et pendant ces 2 heures, j’entends une vive bataille à ma droite. Après cela je me suis étendu et malgré une pluie fine, je m’endors. Toute la nuit, d’après les autres sentinelles, qui m’ont succédées, la bataille a duré. Et en effet ce matin, on se bat très fort au même endroit. C’est à 3 kilomètres tout au plus de nous. Arrive 5 heures du matin, on m’appelle pour aller à la distribution des vivres. Nous allons peut-être à un kilomètre en suivant le long des tranchées. Moi, j’apporte le sac de lettres et les paquets.

Je croyais bien en avoir moi aussi, mais il faut se taper pour aujourd’hui. Vraiment c’est désolant. Mes dernières lettres reçues sont du 25, dont j’ai déjà fait mention voilà 5 jours. Et après on me dit m’écrire touts les jours. Je n’y comprends plus rien. Je termine en vous disant qu’en ce moment, 10 heures, la bataille est chaude. 30 octobre 1914. Ce n’est qu’aujourd’hui, dimanche, jour de Toussaint, que je peux reprendre à écrire l’explication de mon temps. Hier samedi, il m’en a été impossible. J’avais bien dit plus haut, que nous avions été prévenu de notre départ des tranchées. 18/49

Et il est vrai que le temps commençait à nous y durer. Nous en sommes sortis à 4 heures du matin, nous avons été remplacé par le 94ème Territorial et nous avons été dirigé à un joli petit bourg que l’on nomme Polinchone. A 7 kilomètres environ d’où nous étions, mais naturellement, en arrière. Ma compagnie ainsi que la 6ème, nous avons été logés dans l’église. Nous étions bien 500 hommes làdedans. Depuis les 8 jours que nous étions enfermés dans les tranchées on est content de se ravitailler. Mais tout était rare et très cher. Cependant on a trouvé malgré beaucoup de peine des grillons, des

saucisses et du beurre et boire de la bière. Mais du tabac, impossible. Cependant vers midi nous arrivent trois petites voitures qui amenaient du tabac. Il est impossible de décrire ce spectacle, les marchands n’étaient plus les maîtres. Jamais vu un enlèvement pareil. Mais un autre inconvénient : plus de feuilles à cigarettes, voila donc tout le monde faire l’achat d’une pipe. Car dans le pays, il y avait beaucoup de ces petites pipes en terre, pas cher ma foi, un sou. J’en achète une aussi et nous voilà tous à piper.

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Le soir nous avons très bien mangé et ma foi, pour la première fois j’ai couché à l’église. Chacun aurait bien pu prendre un peu d’esprit, mais je crois que nous aurons été sages. Le matin, à 6 heures, on nous en fait sortir. Et malgré la paille et le désordre, qui naturellement régnait après avoir abrité autant d’hommes, à 6 heures et demi, l’église était pleine de croyants belges pour la petite messe. A 11 heures, grand messe, à nouveau remplie. Il est vrai que c’est dimanche, jour de Toussaint, mais malgré cela, la Belgique est très religieuse.

Dès le matin, moi je suis, avec ma section, embauché pour la corvée, car dans la nuit beaucoup avaient fait des ordures dans le cimetière qui touche l’église et cela n’aurait pas été agréable de marcher dans l’ordure. Ensuite nous déjeunons et à onze heures, nous sommes encore, ma section, commandés de garde. Nous sommes à la sortie du bourg dans une ferme et plusieurs sentinelles veillent dans la direction de l’ennemi. Nous avons un temps superbe, beau soleil et de là nous entendons encore fort le canon gronder. Cependant, on entend, d’un côté et d’autre, dire que les boches ont été frottés sérieusement sur tous les points.

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De notre côté aussi, c'est-à-dire en Belgique, on nous dit que nous sommes victorieux et que cela va bien. Malgré que ça ne soit pas de source sûre ces entendus dire nous font plaisir. Mais à quand donc la fin de tout cela et vivement notre retour parmi ceux que nous aimons tant et pour lesquels nous défendons leur liberté. 1er novembre 1914. Ce n’est qu’aujourd’hui, mardi 3 novembre que je peux reprendre mon écriture. Je vous disais dimanche, que ma section était de garde mais tout à coup, vers 4 heures et demi, on vient nous prévenir qu’il faut partir immédiatement.

Nous étions prêts à manger la soupe mais il a fallut donner des coups de pieds dedans et partir. On nous fait faire 5 km puis on nous arrête derrière une ferme. Il a fallut y passer la nuit et dehors. Vers 3 heures du matin il a tombé un peu d’eau. Jugez si nous étions à l’aise. A 7 heures du matin nous touchons 4 paquets de cartouches de plus. Ce qui nous fait chacun 19 paquets de 8. Ceci n’était point bon signe. Aussitôt cette distribution nous partons. Et sans savoir où. Mais les bombes éclatent aux environs de nous.

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On nous arête à une petite maison, on se cache le mieux possible ; c’est là où sont les médecins et les infirmiers. Là nous apprenons que le 2ème bataillon dont le mien est en réserve et que le 1er et le 3ème sont passés en avant du canal où nous avions resté logés dans les tranchées toute la semaine avant. Un joli travail que notre état-major vient de faire. J’ai bien dit dans mon récit de la semaine que nous étions dans les tranchées et que devant nous il y avait une plaine où l’on voyait à 2 kilomètres. Les allemands n’ont pas voulu, eux, s’approcher. Mais nous, on nous lance dans cette plaine c'est-à-dire deux bataillons.

Jugez un peu ce qui s’est produit. C’est le 3ème bataillon qui commence mais à peine les deux compagnies passées, les allemands font feu dessus et les nôtres ne pouvaient pas tirer puisqu’il ne les voyaient pas, ils étaient dans des tranchées de 2 mètres de profondeur et recouvertes de terre juste un petit créneau pour tirer. Vers 10 heures du matin, les voitures d’ambulance commencent à amener nos blessés. C’est affreux à voir. En partie, la 11ème compagnie, jusqu’au lendemain matin à 3 heures, ils n’ont fait qu’amener des blessés. Et ils nous racontaient comment cela s’était passé.

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C’est affreux, nous disent-ils, être tirés et blessés comme cela sans pouvoir se défendre. Pauvres camarades, va, il y en a qui sont bien en mauvais état. Même quelques-uns meurent en arrivant. Et combien qui sont restés morts sur le terrain. Des pères de famille, j’en suis tout affolé. Je tremble en voyant cela. Et surtout, en pensant que c’est de la faute de notre état major, car la position était impossible pour prendre l’offensive. C’est eux aujourd’hui et demain ce sera nous. Allons donc, c’est ignoble. On nous disait l’autre jour que tout allait bien. Et bien moi je trouve que ça va très mal.

Les blessés nous disent que le premier bataillon n’a pas pu passer et est resté derrière des tranchées. Mais le matin du 3 novembre quelqu’un dit à son tour que le 1er bataillon a franchit le canal. Le 3ème se replie sur Lo pour prendre du repos et nous, on nous approche encore un peu. Tellement que les bombes éclatent de tout côté. Qu’allons nous devenir aussi, chacun se le demande. Faire son devoir en face de l’ennemi, oui, mais aller dans des conditions semblables c’est terrible. Et surtout des territoriaux. Enfin aujourd’hui, nous sommes là, à entendre siffler les bombes, on nous

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fait cacher dans des fermes et c’est tout. Peut-être demain notre fin. Nous ne voyons plus passer les voitures de blessés. Donc aujourd’hui nous ne savons pas ce qui se passe. Ce qu’il y a de sûr, c’est que nous sommes dans une sale position. 3 novembre 1914. La fin de la journée s’est passée dans les mêmes conditions. Nous avons vu beaucoup d’aéroplanes nous survoler. Et surtout des bombes. Le soir, à la nuit, on nous dit que nous passons la nuit là, on se met dans les granges, le plus possible, mais beaucoup restent sans abri. Moi, un des premiers.

Il y a là, un fameux pailler et je m’y fais un trou dedans et m’y loge. Beaucoup font comme moi. Arrive 9 heures du soir, tout à coup, trois formidables détonations se font entendre, tout près de nous. Tous ceux qui étaient dans les granges sont sortis. Moi et ceux qui étaient dans le pailler y sont restés, mais plusieurs bombes sont encore arrivées sans nous atteindre. Ce matin 4 novembre, nous prenons le café et à 8 heures : départ, nous faisons environ 2 kilomètres et nous arrivons sur le bord du canal ; le même où nous avons passé les 8 jours dans les tranchées. Mais elles sont occupées par le 94ème, donc, nous nous cachons et abritons

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derrière une haie où l’on avait fait quelques petits abris. Au même instant que nous arrivons, notre artillerie qui se trouve derrière nous ouvre un feu continu de peut être cinquante coups de canons. Aussitôt une pièce allemande répond et je vous assure que çà n’éclatait pas loin de nous car les morceaux de mitraille tombent par-dessus nous et nous en ramassons quelques-uns à tous les coups. Car nous entendons siffler l’obus avant d’arriver, nous nous couvrons la tête avec nos sacs. Nous sommes encore en réserve. Le 1er bataillon est en avant dans cette plaine avec des tirailleurs sénégalais.

Nous apprenons par des camarades que hier 3 novembre, le 1er bataillon a eu deux morts et dix blessés. En venant ce matin, c’était terrible de voir les grands trous que les bombes font dans la terre sur les bords de la route. La route est presque coupée à travers. Dans le pré, nous voyons des trous de trois mètres de profondeur. Nous voyons aussi un petit carré avec quelques piquets et du fil de fer et une croix au milieu. C’est là où repose quelques uns de nos pauvres camarades. Pensez si nous sommes bien gais. Je remarque que tout le monde est blême, jaune même je peux dire, tous souffrent moralement. 25/49

Et aussi de mal manger, mal coucher et enfin tout le monde s’ennuie et pensent à ceux que l’on a laissé là bas et qui souffrent eux aussi de nous savoir si loin et dans de telles conditions. C’est un petit instant après être derrière la haie que je me mets à écrire ceci. Cela me distrait un peu, mais de temps en temps, je suis, moi et mes camarades, obligé de baisser la tête car les bombes, à chaque instant nous arrivent. Je vais m’arrêter pour aujourd’hui. 4 novembre 1914. 11 h du matin. Aujourd’hui, 5 novembre, je puis maintenant expliquer la fin de journée d’hier et bien que toute la journée les bombes nous aient tombé dessus, à ma

compagnie 7ème, personne n’a été blessé. Malgré que beaucoup l’ai manqué belle. A 5 m de moi, il y avait une petite maison. La femme a été blessée au sein gauche et à une jambe. Il y avait dans la maison un sergent de chez nous du 93ème qui n’a été quitte que pour la peur. Cette pauvre femme est sur le point d’être mère. Jugez un peu, on l’a vite transportée à l’ambulance et il n’y faisait pas bon. Les obus éclataient de toute part. Le 1er bataillon rentre, c’est là où j’ai pu voir Camille et plusieurs autres camarades.

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Ils ont eu aussi quelques morts et blessés. Mais j’oublie de dire qu’à côté de nous est placée la 6ème compagnie. Un obus a tué quatre hommes et blessé deux, dont un caporal, les deux jambes coupées. C’est bien malheureux des choses pareilles. Aussitôt après avoir parlé à Camille, comme je le disais tout à l’heure, on nous dit, la 7ème compagnie sac au dos et en avant, à notre tour. Nous traversons le pont sur le canal. Nous sommes là en plaine, sans tranchées, ni rien. Et à 8 heures, l’eau commence à tomber. Nous sommes dans une boue et tout enfondus. Nous sommes de renfort.

Nous avons ordre de ne pas tirer car devant nous, il y a le 1er régiment de zouaves d’Alger et deux bataillons de Sénégalais. Mais vers 10 heures, la bataille s’engage. Nous n’entendons qu’une fusillade et à 1 km au plus de nous. Les balles nous sifflent autour de nous, toute la nuit comme cela. Arrive le jour, nous sommes tous tremblants. Nous n’avons rien touché de toute la journée que le quart de café du matin, plus de pain, plus rien. Tout le monde se plaint de la mauvaise organisation et du mauvais commandement qui existe.

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Il est presque bien jour, tout le monde s’impatiente car nous sommes complètement à découvert. Enfin sur la plainte de plusieurs hommes, le capitaine va demander au colonel qui lui était dans un bon lit, dans une ferme derrière nous, quelle position nous devons occuper. On nous fait mettre tout à fait sur le bord du canal et c’est tout. Nous sommes là couchés dans l’herbe toute mouillée. Nous voyons passer des hommes sur le pont qui rentrent eux aussi mais je ne sais encore qu’elle compagnie. Ils se dirigent sur un petit bois qui est devant nous et la fusillade existe toujours même où ils vont.

A côté du canal où nous sommes, il y a de grands trous fait par les bombes. Enfin quand donc allons nous en sortir de cette situation. Je m’arrête car en effet ceux qui arrivent commencent à faire feu. 5 novembre 1914. 9 heures. Interruption Aujourd’hui 10 novembre 1914. Ce n’est qu’aujourd’hui que je peux rependre à écrire l’emploi de notre temps depuis le 5 novembre. Je dois dire de suite que j’ai été très malade tous ces jours là et je vous dirai, très mal soigné. Je disais le 5 que nous voyons passer des hommes sur le pont qui venaient de 28/49

notre côté. Je sais maintenant que c’était de la 3ème compagnie. Tout à coup, on leur crie « Halte et coucher ». Un petit instant après, on leur dit de rentrer mais quelques uns d’entre eux qui étaient loin devant, dont le lieutenant qui était avec eux, n’ont pas pu revenir car on leur tirait dessus. C’était des allemands qui étaient dans les tranchées sur le bord du petit bois. Aussitôt que ceux de la 3ème compagnie ont été rentrés, sauf le petit groupe dont je parle, on nous dit à nous, la 7ème section, celle dont je fais partie, il vous faut aller au petit bois renforcer les Sénégalais. Nous voilà partis, à quelques pas les uns derrière les autres.

En arrivant en face de ce petit bois, on nous tire dessus aussi, aussitôt nous nous couchons à terre. Il y en a deux de blessés dont un de Barbezieux, Béliard. Il y en a plusieurs autres les guêtres traversées, d’autre la capote, le sac. Enfin moi, il m’éclate 3 shrapnells à côté de moi. Ça siffle de tout côté. Nous avons resté là, couchés toute la journée sous la pluie des obus et couchés dans l’eau et enfondus, pendant toute la nuit. Arrive 9 heures du soir, nous n’avons encore rien mangé. Nous, nous sommes revenus du coté du pont où était le reste de notre compagnie.

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Là on nous donne un quart de pain et un petit bout de viande et rien pour boire. Que de l’eau sale des fossés. Enfin on nous a fait sortir de ce pré. Nous traversons le pont et nous nous couchons derrière les tranchées dehors. Pas plutôt couchés, un ordre arrive. Il faut partir, nous faisons trois kilomètres et nous arrivons à minuit dans une forte ferme. On nous met dans les greniers dans la paille et dès le matin, à 6 heures, il faut repartir mais moi j’avais fortement la fièvre et je me fais porter malade. Nous étions plusieurs, le médecin n’est point venu. Le soir, les camarades sont revenus avec nous.

Ils avaient été sur le bord du canal, en cas, pour renforcer. Le lendemain, on nous emmène à Lo à deux kilomètres encore plus en arrière. Je me fais encore porter malade, j’avais l’estomac et la tête qui me faisaient bien mal. Mais le médecin m’a très mal reçu. Je me suis disputé avec lui et ensuite j’ai été chez un médecin civil belge. Il m’a donné des médicaments et le lendemain je me fais encore porter malade et j’ai fait voir les médicaments que j’avais. Enfin le major a fait vilain. Mais je lui ai dit : « Je veux que vous me regardiez ». Nous nous sommes disputés, et enfin il m’a mis au repos. 30/49

C’est affreux de voir choses semblables. Aujourd’hui mardi, repos aussi. Depuis trois jours nous sommes assez tranquilles, mais probablement qu’il va falloir bientôt repartir. Je m’arrête, je suis encore fatigué. 10 novembre 1914. Le 11, nous sommes partis de Lo et nous sommes dirigés dans une ferme à onze kilomètres des tranchées, où le 1er bataillon est resté pendant quelques jours. Et eux sont partis dans les tranchées. Il fait un temps abominable, un grand vent et de l’eau, toujours. Nous sommes aussi sous la pluie des obus, cette maudite pièce, dont j’ai

parlé dès le début, nous cause encore de grands ravages. Je ne comprends même pas pourquoi on nous laisse au repos si près des tranchées sous cette mitraille. Aujourd’hui, au 1er bataillon, il y a eu neuf blessés et deux morts. Je n’ai pas pu en savoir davantage car il fait trop mauvais temps. Nous sommes tous mouillés et les pieds dans la bouillie. Pensez pour manger, on nous fait, pour deux compagnies dans la même chaudière, comme pour les cochons. Je n’écris pas davantage car j’ai les mains gelées. 11 novembre 1914.

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Aujourd’hui, 14 novembre, je reprends mon récit et qui, je vous assure, n’est pas brillant. Depuis mon dernier récit, du 11, nous n’avons eu que du mauvais temps sous tous les rapports. Hier encore à 300 mètres de nous se trouve le petit bourg de Nieuwkapelle ; une grosse marmite est tombée sur une grange où y logeaient 94 hommes, pauvres diables. Il y a eu 29 morts et 40 blessés. Tout le monde fuyait, c’était épouvantable. Enfin, pour notre régiment, le 93ème, on compte 653 morts et blessés depuis que nous sommes arrivés en Belgique. Il est sûr que notre division est durement éprouvée.

Nous nous demandons si on ne va pas bientôt nous sortir de là. Car depuis un mois, nous pouvons dire que nous avons vu du mauvais temps. J’apprends à l’instant qu’à notre tour nous allons aux tranchées, demain soir, dimanche 15 novembre. A quand donc la fin de tout cela. Nous avons été favorisés, nous pouvons le dire. Car comme je disais, nous devions partir le dimanche 15 pour remplacer le 1er bataillon, mais au moment de partir, on nous dit qu’il y a contrordre et nous sommes restés dans cette ferme quatre jours de plus.

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Et cette fois nous allons reprendre les tranchées tout près du pont de Dixmude. Il tombe de la neige et il fait grand froid. Nous souffrons beaucoup sur tous les rapports. Pour aller chercher les vivres, il faut y aller la nuit et sans bruit et encore, les obus quelques fois ne tombent pas loin de nous. Moi, j’y suis allé un soir, il faut huit kilomètres pour y aller, cela fait seize kilomètres sur le verglas, on peut à peine se tenir debout. A notre retour, il est dix heures, ils nous ont sans doute entendu marcher sur le sol gelé car ils balayent toute la

plaine avec les shrapnells et je vous promets qu’il n’y faisait pas bon. Il a fallu se mettre à plat ventre, à terre et y rester un moment. Ensuite, nous nous sommes mis à ramper tout doucement pour finir d’arriver aux tranchées. Et j’étais content d’arriver. Pendant huit jours que nous y sommes restés encore cette fois, malgré le grand nombre d’obus qui ont éclaté autour de nous et très près, nous n’avons eu guère de blessés : un lieutenant et trois hommes. Nous quittons donc cette position le 26 à 10 heures le soir et nous sommes venus cantonner dans une ferme tout près de Alveringem, joli petit bourg dont je vous ai envoyé quelques cartes. 33/49

A coté, qui touche même, il y a un petit pays que l’on nomme Fortem. Nous nous y sommes ravitaillés en tabac et ma foi, ayant reçu le même jour le petit colis que vous m’avez adressé, pour arroser la jolie boite de petits beurres, je me suis payé une bouteille de vin, malgré qu’ils le vendent 2.50. Nous étions à deux et nous avons très bien dîné. J’ai beaucoup écrit ce jour là, vous devez voir que le 27 je vous ai envoyé plusieurs lettres et cartes. J’étais très content de mon petit colis. Les petits LULUC étaient parfaits ainsi que la boite de pâté. Je n’ai pas encore mangé les sardines mais je suppose qu’elles seront bonnes aussi.

Je continue mon passe temps à arranger un peu mes affaires et j’ai cousu beaucoup de boutons à mes culottes, car j’étais attaché avec des cordes. Et maintenant, je suis à l’aise avec mes bonnes bretelles que tu m’as envoyées. Enfin, nous sommes aujourd’hui dimanche, et nous sommes encore là, au repos. Probablement que nous allons aller aux tranchées ce soir et cependant, nous n’en avons pas envie car il n’y fait pas bon sur aucun rapport. Hier soir, samedi, j’ai eu le plaisir de voir Félicien ainsi que Camille Guilmeteau. Ils ont beaucoup souffert eux aussi, dans les tranchées.

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Ils étaient dans l’eau jusqu'aux chevilles. Et ils sont restés douze jours comme cela. Ils allaient hier soir, au repos pour 4 jours et ils étaient contents. Camille est comme moi, il a laissé pousser toute sa barbe et il m’a fait rigoler de force qu’il est vilain. S’il arrive comme cela à Saint-Médard, ils ne vont pas le reconnaître. Allons je termine et reprendrai demain. 29 novembre 1914. Je disais donc que je croyais aller aux tranchées le soir. Mais nous avons encore profité d’une journée de plus de repos car nous ne sommes partis que le lundi à six heures le soir.

Mais vous parlez d’une rude corvée. Faire douze kilomètres, sans pause, avec le sac, chargés comme cela. Jugez un peu : les effets, les vivres de conserves, biscuits 12 / boites de singe / sucre / petit sachet de café / 4 tablettes et 120 cartouches / une pelle / une pioche ou hachette, un seau (ce qui est mon campement à moi, pour ma part), la gamelle. Enfin, tout le bazar. Je serais content d’en savoir exactement le poids. Et passer à travers les champs, car comme de bien entendu, on ne peut pas suivre les routes, car tant d’hommes, cela ferait du bruit et naturellement, ces sales boches nous bombarderaient.

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Malgré que cela arrive quelquefois, car pour venir à 150 m d’eux, il ne faut pas faire de bruit. Jamais je n’ai vu un pays comme cela. Ce n’est que de l’argile, de la bouillie, on est dans la vase jusqu’à mi-jambes. On ne peut se tenir debout. On glisse et même on tombe. Ça m’est arrivé à moi plusieurs fois. Pour sauter les fossés pleins d’eau, on ne s’amuse pas. Surtout que nous voyageons toujours quand il fait noir. Enfin, impossible de pouvoir vous dépeindre la peine que nous prenons pour arriver aux tranchées. On marche quelquefois à quatre pattes, c’est pire que des animaux.

Il faut être homme et courageux pour faire cela, car les bêtes s’y refuseraient. On ne dirait pas de nous des soldats, on dirait plutôt des terrassiers car nous sommes couverts de boue. Jugez, faire douze kilomètres dans des conditions pareilles, nous sommes tous suants et rentrer dans les tranchées comme cela, sans bouger, sans rien écouter que la bise et la pluie souvent, surtout à cette saison. Ce n’est vraiment pas étonnant d’attraper des rhumatismes. Il faut absolument que ce soit la guerre pour faire cela, car dans le civil, je ne voudrais pour aucun prix faire des choses pareilles. Et pour faire à manger, c’est très difficile. Beaucoup souffrent. 36/49

Cependant, moi, j’ai trouvé un petit plat et avec un vieux seau, à qui nous avons fait beaucoup de petits trous, nous faisons du feu avec du charbon de terre que je vais chercher en pleine nuit, dans une ferme qui a été incendiée par les bombes. Et le charbon n’a pas été atteint ainsi que les pommes de terre. Alors la nuit, nous allons chercher de tout, de l’eau aussi. Mais il faut faire doucement et souvent, malgré tout, les bombes nous passent près. En un mot il n’y fait pas bon. Il y en a qui ne veulent pas y aller, mais ils mangent mal. Nous, nous sommes quatre dans notre même trou.

Nous faisons de la soupe de pommes de terre et de rave et faisons du café deux fois par jour. Au moment où j’écris cela, mon cordon bleu m’em… car il est à même de faire du café et comme notre appartement n’est pas bien grand, on se gène facilement. J’aurai envie de donner mon « Vat’en » au proprio : l’appartement est trop petit. Je vais vous donner exactement l’adresse de mon chef cuisinier. Car après la guerre, on tâchera de lui trouver une bonne place. Il se nomme Gabinier Léon : 9, cité de l’avenir au Bouscat (Bordeaux). C’est un « gonze », un bordelais, mais un très bon gars. 37/49

Voila la situation que nous occupons et je vous assure qu’elle n’est pas envieuse. Je vais m’arrêter pour aujourd’hui. 1er décembre 1914. Théo. Nous sommes restés cette fois-ci, trois jours aux tranchées et nous sommes relevés et ramenés dans une ferme tout près de Lo. Le soir du 4 décembre, vers 10 heures, nous n’entendons qu’un roulement, le canon ne s’arrête pas. C’est à notre droite. Nous pensons que c’est à Ypres car en effet, c’est là où ils veulent absolument passer pour aller à Dunkerque. Nous sommes inquiets d’entendre un bruit pareil.

Enfin le lendemain matin tout le monde en parle. Et le bruit court que nous allons partir dans la journée. En effet, le soir on nous prévient que nous partirons le lendemain à 11 heures. Nous passons à Lo et à Reninge. Et là dans un coin de champ, on nous fait attendre la nuit. Ensuite nous partons mais sans savoir où, à travers champs, dans la vase. Impossible de s’en sortir, nous faisons environ deux kilomètres encore comme cela. Nous voyons les projecteurs allemands de très près. Nous voyions bien que nous étions encore sous le feu. 38/49

En effet, nous arrivons dans les tranchées. Mais il faisait très noir. On nous prévient de ne pas parler du tout, de ne pas se montrer car nous étions dans une mauvaise zone, que c’était à la maison du passeur et que c’était là que s’était livrée cette si forte bataille dont je parlais plus haut. Le soir, en arrivant, nous ne voyons rien, mais arrive la pointe du jour. Nous ne voyons que des morts autour de nous. Les tranchées à 150 m derrière nous en sont pleines. Je m’approche d’un, c’est un caporal du 42ème de ligne. Il est de la classe 1910, né à SaintBrieuc et de la garnison de Rennes. Il avait son livret dans sa poche.

Ce n’est pas étonnant que cela faisait si vilain, c’est épouvantable à voir, ce n’est que des trous d’obus, les arbres sur le bord du canal sont tous coupés par les obus. Il y en a beaucoup des nôtres, mais il y a aussi beaucoup de boches. J’en ai un devant ma tranchée à deux mètres de moi. Il est très grand et parait avoir environ 25 ans. Les casques et les fusils allemands ne manquent pas. Mais je n’ai pas envie de m’en embarrasser. Car je suis bien assez chargé comme cela. Je dois dire aussi que dans la nuit il y a eu une petite fusillade. 39/49

Ils étaient six qui s’approchaient pour voir si le pont existait toujours. Mais ils ont été bien reçus. Mais pour les garantir, les leurs tiraient avec leurs mitrailleuses. Les tranchées sont si mauvaises que nous n’y restons que 24 heures. Et avant, on nous relève et nous allons passer 24 heures de plus à la ferme brûlée, c’est à 400 mètres derrière. C’est bien son nom, la ferme brûlée, car il ne reste absolument que les quatre murs. Il tombe de l’eau, et nous sommes là, en réserve en cas d’attaque. Enfin, toute la journée, les balles et les obus viennent nous rendre visite. Malheureusement, il y a toujours quelques blessés.

Le soir, nous revenons en arrière à la ferme Maur et pour quatre jours. Là, nous sommes au repos mais malgré cela, les grosses marmites y viennent car nous avons de l’artillerie à coté de nous et les boches cherchent à la détruire. Enfin, pendant ces quatre jours, rien à signaler. Et nous revenons prendre les mêmes tranchées. Nous avons fait ce manège là pendant trois semaines. Et enfin, vient l’ordre que nous passions en réserve au 20ème corps. On nous mène dans une ferme entre Oostvleteren et Poperinge. C’est de là que nous allons prendre les tranchées à Langemark. 40/49

C’est dans une grande pointe dont je vous ai donné le plan sur une lettre et vous ai donné beaucoup de détails. Je vous ai déjà dit que ce pays était très beau. Aussi joli que La Rochefoucaud, mais dont pas une seule maison maintenant, n’était debout. Nous sommes partis de Bikschote, car maintenant je sais le nom, à six heures le soir et nous sommes arrivés à Langemark à onze heures. Nous avons fait 18 kilomètres sans pause. Il faisait si noir que l’on ne voyait même pas l’homme qui était devant soi. Au départ, on nous avait mêlé avec le 153ème d’active.

Mais ma section s’était trouvée de rester en réserve. Et nous sommes restés dans le bourg de Langemark. Nous étions dans une écurie d’une grande brasserie, mais elle était quand même un peu écrasée. Mais c’est bien le seul bâtiment où l’on puisse se loger. Le reste de ma compagnie, comme je l’ai déjà dit, était mêlé avec l’active et était aux tranchées environ à 800 mètres devant le bourg. Nous, nous étions restés là pour faire les corvées. Le jour, il fallait se cacher et rester couché, et la nuit, les cuisiniers faisaient la popote et les autres faisaient les corvées : porter aux 41/49

tranchées de la paille, des planches, du fil de fer enfin, toute espèce de choses. Moi, je portais, soir et matin, le café et la soupe, il fallait se mettre dans l’eau et la boue jusqu’aux fesses pour arriver à la tranchée. Moi j’avais trouvé une vieille paire de souliers et un pantalon. Je quittais donc mes effets et j’endossais cela. A mon retour, je les quittais et je prenais les miens secs. Sans cela j’aurais toujours été mouillé et mal à l’aise. Enfin, nos quatre jours se sont passés comme cela. Nous n’avons pas eu de blessés à ma compagnie.

Mais cependant, on nous tire fortement dessus. La 8ème compagnie, elle, a eu encore deux blessés et un mort. Quant à moi, je l’ai déjà marqué sur une de mes lettres, je l’ai piquée belle. Comme les bougies sont très rares et très chères, nous avons eu l’idée de faire fondre du suif et, d’une façon ou d’une autre, nous nous procurons du coton pour faire des mèches. Mais à Langemark, nous trouvons des magasins où il y a de la laine et du coton. A cet effet, je me mets à faire fondre du suif et je prépare mes petits récipients sur le seuil de la porte. Au même moment, où je versais ce suif, les cuisiniers qui étaient dans 42/49

l’appartement et qui causaient un peu fort, je n’ai pas entendu le coup partir. Mais tout à coup, une forte détonation se fait entendre au milieu sur le chemin droit devant moi. J’ai été secoué, je vous le jure. La bombe était tombée à trois mètres de moi, elle a enfoncé le mur de la maison en face. Moi je ne voyais plus rien, ce n’était que débris de muraille et de la fumée. C’est quand même, je peux le dire, le plus près que j’ai vu de moi. C’est un grand fait du hasard comme je suis sorti de là sain et sauf. J’ai eu le mal au ventre pendant plus d’une heure. Cependant j’en ai entendu souvent et les morceaux m’ont sifflé près des

oreilles et même les morceaux sont tombés sur moi. Heureusement que j’avais des fagots de bois sur la tête. Enfin, nous partons de Langemark donc, au début de nos quatre jours et nous retournons faire 18 kilomètres pour revenir à Bikschote où nous passons quatre jours de repos. Ce n’est point encore du repos car nous faisons des fagots de bois pour mettre dans les chemins, pour passer dessus à force qu’ils sont mauvais. Enfin, nous faisons toutes sortes de corvées et même nous prenons la garde dans les bourgs. Langemark se trouve si enfoncé dans une pointe que, malgré les 18 kilomètres que nous avons faits, les 43/49

obus viennent encore très près d’où nous sommes. Nous passons en ce moment quatre jours dans une ferme et quatre jours dans une autre, tout près d’Elverdinge. Et ensuite, nous revenons aux tranchées pour quatre jours. Cette fois ci, nous sommes allés dans les tranchées en 2ème ligne entre Langemark et Saint-Juliaan. Les fermes sont si bombardées que nous sommes plus en sécurité dans les tranchées. Nous faisons la nuit des corvées aussi : porter des piquets et aller les faire dans les bois. C’était facile, surtout la nuit. Mais la 2ème compagnie qui nous a remplacé y allait le jour et

probablement qu’un avion les a vu, et les a fait bombarder. Il y a plusieurs morts et blessés. C’est là où il m’est arrivé cette histoire avec ce fameux adjudant et dont j’ai expliqué l’affaire dans une longue lettre. Nous, dans les tranchées, nous n’avons pas eu de mal mais nos cuisiniers qui étaient allés dans une ferme, malgré qu’elle soit écrasée, pour faire du café, ils ont été obligés de prendre la fuite et il y a eu un artilleur tué et deux blessés. C’est le seul accident qui nous soit arrivé pendant nos quatre jours. Mais nous avons eu beaucoup de peine pour repartir, car à côté de nous se trouve un petit ruisseau et qui a

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débordé pendant les quatre jours, par les pluies qui sont tombées. Et pour nous retourner, le capitaine avait reçu l’ordre de passer par SaintJuliaan. Ne connaissant pas le chemin, et la nuit très noire, ils se sont égarés, ils étaient sous le feu de l’ennemi. Moi j’avais mieux fait avec une douzaine de copains, nous avons traversé le bouillon. Il y avait environ soixante mètres de traversée et dans certains endroits il y avait au moins quarante centimètres de profondeur. Mais sortis de là, je connaissais le chemin. Nous avons donc été rendus avant le reste de la compagnie.

Il y en avait même que le soir, à quatre heures, ils n’étaient pas encore rentrés. Et c’était quand même rigolo d’entendre le récit de chacun. Mais, entre parenthèses, un groupe où était le capitaine, a faillit être tout écrasé car une grosse bombe qui est tombée sur la route huit ou dix mètres devant eux. Nombreux sont les autres que les shrapnells et les balles, leur ont sifflés près des oreilles. L’active qui venait à ce moment relever les premières lignes, ont eu beaucoup de blessés. Ce qui c’est passé pendant nos huit jours au repos : nombreuses attaques du côté d’Ypres à six kilomètres de nous, bons résultats pour nous. 45/49

Cette fois-ci, nous revenons tout près de Langemark, dans une petite maison et nous faisons toujours les mêmes travaux de corvées tous les soirs. Nous allons deux ou trois fois aux tranchées de première ligne, chargés de paille et de planches, de toute espèce de choses et cette fois-ci, il n’y fait pas bon car les balles sifflent souvent, une principalement. Je venais de porter un sac de charbon au commandant, tout seul, lorsqu’une balle me passe droit devant les yeux. J’ai senti l’air, crénom de nom, je viens encore de la piquer belle. Enfin, aussitôt tous rentrés, car mes camarades étaient allés à d’autres corvées, chacun raconte son petit mot. Beaucoup aussi ont fait comme moi.

Même à un, la balle lui a fait tomber son képi. Nous n’avons pas de blessés parmi nous malgré cela, c’est un vrai miracle. Mais deux soldats de l’active qui suivaient, derrière nous, à quelques cent mètres ont été tous les deux blessés. Un homme du 93, les conduit au poste de secours. Nous sommes donc encore heureux pour cette fois. Nous repartons encore pour huit jours au repos. Nos huit jours s’écoulent sans incident. Le jour rendu, il faut encore repartir. Cette fois là nous revenons à Langemark même.

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Dans la même écurie de cette brasserie, nous découvrons une citerne en ciment. Moi et plusieurs camarades y descendons, car cette fois ci, les obus arrivent dessus la grange. Le premier jour, une bombe est tombée sur la maison. Notre sergent major est fortement blessé. Notre capitaine est renversé mais sans aucune blessure. Plusieurs sont couverts de débris. Mais le lendemain, même chose, une autre bombe tombe dessus la grange et fait encore un blessé. Ça lui coupe le talon. Enfin, pendant nos cinq jours, car cette fois nous y restons cinq jours, on nous tire dessus.

La situation n’est vraiment pas engageante. C’est du 11 au 16 février 1915. Nous partons ce soir là sans savoir où… Ce n’est que longtemps après que je trouve un moment de repos pour continuer mon récit. Je disais donc l’autre jour, en terminant, que nous partions de Langemark, mais sans savoir où. Nous avons fait une bonne trotte pour aller à Krombeke. Cette fois là, on se croyait bien partis pour la France. Mais pas du tout, quatre jours après, il faut repartir aux tranchées et cette fois

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là, en première ligne, à la maison du passeur. Et je vous assure qu’il n’y faisait pas bon du tout. Ces sales boches n’ont fait que nous bombarder. A quelques mètres de moi, un obus coupe à terre un gros peuplier qui s’est abattu sur notre tranchée. Et les autres obus tombaient principalement au dessus de la 9ème escouade à cent mètres de moi à peine. Ils éclataient environ cinq ou six mètres en arrière d’eux, c’est épouvantable. Nous avons eu la grande chance de ne pas avoir eu de morts, ni blessés. Il n’en a malheureusement pas été ainsi au 94ème qui était à côté de nous.

Je ne connais pas exactement le nombre de morts et de blessés. C’est là où mon pauvre camarade d’école, Emile Delage, est mort. Enfin, après ces quatre jours passés, nous allons encore en arrière pour quatre jours. On nous fait faire plein de corvées et des factions. Enfin moi, j’ai attrapé chaud et froid et le jour de revenir aux tranchées, je me fais porter malade. Le médecin m’examine et m’exempte pour cette fois. Je passe donc cinq jours à Oostvleteren car cette fois-ci, c’est cinq jours que l’on doit rester aux tranchées, pour changer de temps en temps le jour de la relève. 48/49

Et ensuite, aujourd’hui, le bruit court que nous allons nous retirer aux environs de Dunkerque. Et que nous allons rester en réserve aux Anglais, qui à leur tour prendraient les premières lignes. Mais j’ai bien peur que ces bruits soient faux. Malheureusement, car il me semble cependant que nous avons fait une bonne part depuis le 9 octobre. Cela rend mon carnet à jour du 8 mars 1915.

Carte postale (recto en première page de ce document)

4 juillet 1915 Chère petite femme et chers bons petits, En l’honneur de ton anniversaire, je t’envoie ma vilaine binette et mes meilleurs vœux pour ta 31ème année dont tu commences le 6 juillet 1915. Bon anniversaire Bonnes amitiés Bons baisers Ton mari et petit papa (pas gras).Théodore

Théodore Gluard a continué la guerre comme facteur à l’arrière des tranchées.

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