portrait 52 53

les besoins du mois de la moustache. Il suit la tendance. Il aimerait même en initier une : la consommation de spiritueux traditionnels dans les bars à cocktails, ...
900KB taille 5 téléchargements 571 vues
52

VÉCUS

53

BOUDU N° 004 — FÉV2016

PORTRAIT

PAR

GNAC RAP CHIC

Celia COUDRET — PHOTOGRAPHIE Louise ALLAVOINE

Au Syndicat, bar discret du 10e arrondissement de Paris, Sullivan Doh a fait de l’armagnac un alcool cool. Piétinant sa réputation d’eau-de-vie plouc, il en célèbre les vertus gustatives et en développe le potentiel commercial. Chez lui, on boit du gnac en écoutant du rap, et c’est le comble du chic. TEMPS DE LECTURE

6

MIN

A

vec cette façade fatiguée tapissée d’affiches publicitaires collées les unes sur les autres, on pourrait croire à un bar clandestin. « Ce n’était pas notre intention de départ, mais ce côté underground marque d’emblée la différence », distille Sullivan, qui a créé Le Syndicat, (l’Organisation de Défense des Spiritueux Français) il y a un an avec son associé Romain Le Mouellic. Le Syndicat démarre les hostilités à 18 heures, mais les portes sont déjà entrouvertes dans l’après-midi. Sullivan Doh, minis dreadlocks et moustache soignée, a rasé sa barbe pour les besoins du mois de la moustache. Il suit la tendance. Il aimerait même en initier une : la consommation de spiritueux traditionnels dans les bars à cocktails, avec l’armagnac pour fer de lance : « Ces alcools occupaient le devant de la scène il y a 50 ans, mais ça s’est perdu. C’est passionnant de partir sur les traces de ce patrimoine. »

RAP ET RAPIÈRE

À l’intérieur, l’atmosphère feutrée tranche avec les allures de rade clandestin de la façade. Les bouteilles de gnac trônent à l’arrière du bar, baignées de lumière dorée. Castarede, blanches « AUJOURD’HUI, et autres douceurs gasconnes reRACONTER QU’ON A posent aux cotés du chouchen et BU DE L’ARMAGNAC du whisky breton : « Aujourd’hui, DANS UN BAR raconter qu’on a bu de l’armagnac UNDERGROUND EN dans un bar underground en écouÉCOUTANT DU tant du hip-hop, ça fait cool. Il y a HIP-HOP, bien plus de libertés dans l’armaÇA FAIT COOL. » gnac que dans la plupart des eauxde-vie. D’une maison à l’autre, on note vraiment des différences. On sent la personnalité de

l’homme qui est derrière, je trouve ça génial ! ». Pur produit de Ferrandi, l’école française de gastronomie, Sullivan Doh a gardé de ses cours le goût des bonnes choses, et évacué le côté guindé qui accompagne généralement le service. « La détente n’empêche pas de faire un peu de pédagogie : quand ils entendent “armagnac” ou “eau-de-vie ”, les gens imaginent généralement un tord-boyau sorti de la cave de leur grand-mère. Pourtant, ce n’est pas plus fort que la vodka ou la tequila qu’ils boivent habituellement, et c’est bien plus savoureux », salive Sullivan. Pour conquérir sa génération, Doh s’adapte à ses codes, enveloppant les arômes complexes de l’armagnac dans un tourbillon de cocktails pensés pour le sublimer : « Les 18-25 ans adorent les cocktails. Les plus de 25 ans sont plus curieux des eaux-de-vie pures. Quant aux plus de 50 ans qui partent naturellement vers le sec, ils ne sont pas contre la découverte d’un cocktail à l’armagnac », analyse-t-il. Et quand on lui demande un shot, ou qu’il en partage un avec un client, c’est un armagnac qu’il offre : « Je ne leur dis pas tout de suite de quoi il s’agit. Ils boivent, dégustent, et quand je leur explique ce que c’est, ils ouvrent de grands yeux incrédules », s’amuse-t-il. Mais on a beau savoir boire, les vapeurs de gnac jouent parfois des tours. Sullivan en a fait l’expérience il y a quelques mois quand, après avoir été intronisé Mousquetaire par le bureau national de l’armagnac (BNIA), et initié par quelques producteurs généreux, il s’est réveillé avec des souvenirs en moins, et sans sa précieuse croix de mousquetaire. Depuis, le BNIA, compréhensif, lui en a renvoyé une

« IL Y A BIEN PLUS DE LIBERTÉS DANS L’ARMAGNAC QUE DANS LA PLUPART DES EAUX-DE-VIE. »