pro natura magazine

1 avr. 2016 - Utilisation de papier recyclé à 100 %. Adresse : Magazine Pro Natura, ..... En Hollande, le groupe pétrolier Shell doit répondre devant la justice ...
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pro natura magazine thema 1 02 | 2016 Mars

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La Loi sur la protection de la nature et du paysage, une borne bancale

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Plus proche que nous pensons Des loups de la meute de Calanda ont être tirés car ils se seraient trop rapprochés des habitations. Le photographe

Responsabilité internationale

naturaliste grison Peter A. Dettling sait, de par ses an­

Dans le delta du Niger, une quantité de pétrole 50 fois supé­rieur

nées d’observations au Canada, que la proximité entre

à la catastrophe de l’Exxon Valdez a été libéré dans l’environ­

le loup et l’être humain est naturelle et ne pose pas de

nement. Le partenaire néerlandais de Pro Natura a réussi à traî­ ner Shell devant la justice européenne. Une initiative suisse vise

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des objectifs similaires.

Milieudefensie

12 problème.

16 22

Le défenseur

Catherine Leutenegger

Peter A. Dettling

Susanna Meyer

Christophe Clivaz, conseil­ ler municipal de la ville de Sion, appelle à repenser le tourisme d’hiver dans son canton de domicile et de cœur. Un tourisme qui devrait se diversifier, selon le spécialiste de la durabilité.

Précieux ambassadeurs du printemps La présence de l’adonis de printemps se limite au canton du Valais. Dans une action menée sur plusieurs années, les habitats de ces merveilleux ambassadeurs du printemps ont été remis en valeur avec succès.

pro natura magazine Revue de Pro Natura – Ligue suisse pour la protection de la nature

est reconnue par le Zewo

Impressum : Pro Natura Magazine 2/2016. Cette revue paraît cinq fois par an (plus le Pro Natura Magazine Spécial) et est envoyée à tous les membres de Pro Natura. ISSN 1422-6235 Rédaction : Florence Kupferschmid-Enderlin (fk), rédaction française ; Raphael Weber (raw), rédacteur en chef Mise en pages : Vera Trächsel, Raphael Weber Ont collaboré à ce numéro : Mirjam Ballmer, Nicolas Gattlen, Andrea Haslinger (ah), Rico Kessler, Eva-Maria Kläy, Layne Meinich (lm), Sabine Mari, Frédéric Rein, Pierre-André Varone, Rolf Zenklusen (zen) Traductions : Véronique Dupertuis, Fabienne Juilland Délai rédactionnel n° 3/2016 : 15 mars 2016 Impression : Vogt-Schild Druck AG, 4552 Derendingen. Tirage : 118 000 (85 500 allemand, 32 500 français). Utilisation de papier recyclé à 100 % Adresse : Magazine Pro Natura, Ch. de la Cariçaie 1, 1400 Cheseaux-Noréaz, tél. 024 423 35 64, fax 024 423 35 79, e-mail : [email protected], CCP 40-331-0 Secré­tariat central de Pro Natura : case postale, 4018 Bâle, tél. 061 317 91 91 (9 h à 12 h et 14 h à 17 h), fax 061 317 92 66, e-mail : [email protected] Régie des annonces : CEBECO GmbH, Weberei­str. 66, 8134 Adliswil, tél. 044 709 19 20, fax 044 709 19 25. Délai pour les annonces no 3/2016 : 1er avril 2016 Friends of the Earth International Pro Natura est membre fondateur de l’UICN — Union mondiale pour la nature et membre suisse de

www.pronatura.ch

sommaire

éditorial

4 actuel 4 A  nniversaire discret : la Loi sur la protection de la nature et du paysage (LPN) entrait en vigueur il y 50 ans – une raison de marquer le coup ?

Sage, juste et raisonnable « Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des

6 E  ntretien médiocre : les talus de chemins de fer sont des lieux propices à une biodiversité de première classe, dont l’entretien est hélas de deuxième classe.

actes de sagesse, de justice et de raison », disait Portalis, avocat

8 B  rouillard juridique : les multinationales peuventelles être poursuivies en justice pour les dommages causés à l’environnement dans des pays tiers ?

une affaire de cœur ou du moins de nécessité, ce n’est hélas

12 Expérience incertaine : le tir planifié de loups peut avoir des conséquences inattendues et montre les limites de l’Ordonnance sur la chasse.

16 rendez-vous 18 en bref 20 nouvelles 20 Saison colorée : une nouvelle saison au Centre Pro ­Natura de Champ-Pittet sous le signe de la nouveauté et de la jeunesse.

français connu pour avoir été l’un des rédacteurs du Code civil. On aimerait que la nature et sa protection soient avant tout pas suffisant. Il y a 50 ans, lorsque la Suisse décidait d’inscrire la protection de la nature et du paysage dans sa Constitution, elle a fait preuve de sagesse, de justice et de raison.

Un demi-siècle plus tard, il faut pourtant constater que cet

engagement pour une nature préservée, largement soutenu à l’époque par une classe politique soudée, n’a pas déployé tous les effets escomptés. Des pratiques divergentes d’un canton à l’autre, des responsabilités différemment assumées, du laxisme ostensible : autant de raisons pour expliquer les lacunes qui existent.

Par exemple, des manquements dans l’application de la loi

touchent de près l’Animal de l’année, la musaraigne aquatique. Dans les zones d’agriculture intensive, les valeurs limites en matière de produits chimiques sont largement dépassées dans

21 E  ngagement citoyen : l’éducation à l’environnement au contact de la nature, c’est aussi participer à des projets scientifiques sur le terrain.

les rivières et les ruisseaux. Cette musaraigne se passerait bien

22 Flore précieuse : un projet sur plusieurs années a permis de sauver les dernières populations suisses d’adonis de printemps.

l’univers aquatique de ce poids plume à l’insatiable vitalité.

de ce cocktail mortel. Le Magazine Spécial en annexe revient sur ces questions et vous permet de vous immerger dans

Il est urgent aussi de mettre les multinationales, parfois

suisses, devant leurs responsabilités pour les dommages causés à l’environnement à l’étranger par une de leur filiale.

23 service

Le cas de Shell présenté dans ces colonnes – traîné devant les

26 saison

juris­­­prudence. Mais pour le moment, en matière de respon-

27 pro natura actif

juridique, selon Christine Kaufmann, professeure de droit à

31 shop 32 la dernière Couverture : l’introduction de la Loi sur la protection de la nature et du paysage est une étape importante pour la nature en Suisse. Des bornes en pierre peuvent être observées dans le canton de Berne, sur lesquelles on peut lire la distance de marche historique jusqu’à la Zytgloggeturm (Tour de l’Horloge) à Berne. Comme élément symbolique, la rédaction a choisi de détourner ces bornes de leur fonction initiale et de les placer, comme des jalons, dans un environnement naturel. Photographes : Felix Brodmann (borne), Prisma/Zoonar (paysage). Montage : Vera Trächsel.

tribunaux néerlandais par Les Amis de la Terre – pourrait faire ­­sabilité des entreprises, nous nageons en plein brouillard l’Université de Zurich.

Pro Natura endosse parfois le mauvais rôle pour faire

respecter les lois. Mais notre association continuera à agir, parce qu’elle est convaincue que les lois ne sont pas de purs actes de puissance, mais au contraire des actes de sagesse, de justice et de raison, pour une nature préservée, ici comme ailleurs. FLORENCE KUPFERSCHMID-ENDERLIN, rédactrice romande

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actuel

Keystone (3)

4

Une étape importante à l’effet modéré Il y a 50 ans, la Suisse se dotait de sa première loi sur la protection de la nature, encore actuelle. Face à l’ampleur des tâches à accomplir, la Loi sur la protection de la nature et du paysage (LPN) a reçu un fort soutien politique. Les objections formulées à l’époque coïncident avec les lacunes actuelles.

Malgré un vent de liberté évident dans les années 1950 et 1960, le côté contre l’inondation prévue des Chutes du Rhin, les effets de la première sont le revers d’une plus grande mobilité. Ainsi, l’introduction de la LPN

La Suisse en 1966 : une société avide de croissance. Vingt ans

par toutes les couleurs, du rouge sang au vert flamboyant. Des

après les privations des deux guerres mondiales et la crise de

amas de mousse ou d’écume montrent au grand public qu’il

l’entre-deux-guerres, une grande partie de la population suisse,

faut faire quelque chose pour la protection de la nature et du

qui s’élevait alors à 6 millions d’individus, voit sa situation ma-

paysage.

térielle s’améliorer : transistors, réfrigérateurs et postes de télévision s’invitent dans de plus en plus de ménages. L’automo-

La persévérance porte ses fruits

bile devient un phénomène de masse, le réseau autoroutier est

Les efforts concrets en vue d’élaborer des règlements juridiques

en plein essor. Dans l’agriculture, de nouvelles machines et le

pour la protection de la nature, du paysage et du patrimoine

recours croissant aux engrais chimiques et aux pesticides per-

remontent aux années 1920. Les Chambres fédérales rejetèrent

mettent une augmentation inespérée de la production.

une motion dans ce sens en 1924. Quelques années plus tard,



Pro Natura, qui s’appelait encore Ligue suisse pour la protec-

Mais cette croissance effrénée a ses revers. L’augmentation

du trafic routier fait un nombre très élevé de victimes. 1 300

tion de la nature (LSPN), s’adressait à son tour sans succès au

personnes perdent la vie sur les routes suisses durant la seule

Parlement. En 1936, le Conseil fédéral créait finalement la Com-

année 1966. Des exigences de confort toujours plus élevées

mission fédérale pour la protection de la nature et du paysage

et une croissance démographique rapide entraînent une fréné-

(CFPN), qui existe encore aujourd’hui.

sie de construction. Des pay-

Après la Seconde Guerre mon-

sages et des sites familiers

diale, les milieux politiques

disparaissent rapidement.

« L’hésitation n’est pas de mise »

Les décharges à ciel ouvert illustrent l’avènement de la nouvelle ère du jetable. Dans les terres cultivées, haies, murets, ruisseaux de prairie et arbres fruitiers doivent capituler de-

« Le développement impétueux de l’économie, de la technique et du trafic menace chaque jour davantage de déparer le visage de la patrie ; l’hésitation n’est pas de mise lorsqu’il s’agit de créer des moyens de défense légaux. »

vantage la nature et le pay-

Tiré du message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale à l’appui d’un projet de loi sur la protection de la nature et du paysage, 12 novembre 1965.

protection de la nature et du

vant les nouvelles machines. Des problèmes écologiques spectaculaires concernent surtout les cours d’eau : de nombreux ruisseaux passent

prennent enfin au sérieux la nécessité de protéger dasage. Enfin, le 27 mai 1962, le peuple suisse, qui se limitait encore aux citoyens de sexe masculin, approuvait à une écrasante majorité une disposition constitutionnelle sur la paysage. Celle-ci stipulait (et stipule toujours) que la protection de la nature et du payPro Natura Magazine 2/2016

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sage est l’affaire des cantons. La Confédération est toutefois



La protection des zones alluviales est un bon exemple : l’an

­tenue de veiller à la protection de la nature et du paysage dans

dernier, le gouvernement du canton d’Obwald a tenté de sor-

la réalisation des tâches qui lui incombent. Elle a en outre la

tir deux de ses cinq objets de l’Inventaire des zones alluviales

possibilité d’adopter des dispositions en faveur de la protec-

d’importance nationale, leur protection se heurtant à des op-

tion de la flore et de la faune. Enfin, les Chambres fédérales ap-

positions locales. Dans le même temps, le canton d’Argovie a

prouvèrent à l’unanimité, durant l’été 1966, la Loi sur la protec-

réalisé d’entente avec Pro Natura un important projet de revi-

tion de la nature et du paysage (LPN). La LPN entrait ainsi en

talisation dans une zone alluviale d’importance nationale, au

vigueur il y a 50 ans.

bord du Rhin, dans la région de Rietheim.

Importantes différences entre les cantons

Remplir une mission légale

Qu’apporte concrètement la LPN à la nature en Suisse ? Le

Pour le 50e anniversaire de la Loi sur la protection de la nature

commentaire pragmatique du numéro d’août 1966 du maga-

et du paysage, il convient donc de donner une nouvelle impul-

zine Protection de la nature, l’ancêtre du Magazine Pro Natura,

sion à la mise en œuvre d’une protection concrète de la nature.

est encore d’actualité : « Par le passé, (…) nous nous sommes

A cet effet, le Parlement doit enfin adopter le plan d’action tant

déjà gardés d’avoir des attentes excessives. Cette prudence est

attendu pour la Stratégie Biodiversité Suisse et mettre à dispo-

particulièrement opportune quand on sait que l’art. 1 de l’ar-

sition les moyens nécessaires à une mise en œuvre rapide. Ce

ticle constitutionnel 24sexies stipule que la protection de la na-

projet permettrait notamment de contrer la perte tant quantita-

ture et du paysage est l’affaire des cantons. En collaboration

tive que qualitative d’habitats naturels protégés tels que les ma-

avec les sections, la LSPN tient à examiner et (…) à adapter les

rais ou les prairies sèches.

lois cantonales existantes. » La LPN dépend donc du sens du



devoir des différents cantons, il y a 50 ans comme aujourd’hui.

donné, les organisations de protection de la nature et du pay-



Si ce projet était renvoyé aux calendes grecques, voire aban-

Malgré tout, la LPN joue son rôle pour l’essentiel, bien

sage devraient examiner les moyens d’organiser un référendum

qu’elle n’ait été soumise à aucune révision générale au cours

en faveur de la protection de la nature en Suisse. Et ce dans

de ses 50 ans d’existence. Les spécialistes sont unanimes : ce

l’esprit du message du Conseil fédéral de 1966 – sans hésita-

ne sont pas des lacunes ni des insuffisances systématiques

tion ! Selon un sondage gfs réalisé en 2010, une nette majorité

dans le dispositif législatif qui expliquent les menaces pesant

du peuple suisse est en effet favorable à un renforcement des

sur la biodiversité et les paysages suisses. Ce qui manque cruel-

mesures politiques et pratiques en faveur d’une protection de

lement aujourd’hui, c’est une application rigoureuse de la LPN

la biodiversité en Suisse.

et des lois cantonales correspondantes. Et en effet, cela fonctionne plus ou moins bien selon les cantons. Pro Natura Magazine 2/2016

RICO KESSLER est chef de la division Politique et affaires internationales chez Pro Natura.

Photos bo

sombre de la politique de croissance est aussi visible : des citoyens indignés protestent utilisation de pesticides sont flagrants, et plus de 1 000 décès par année sur les routes est une réponse à cette évolution.

rnes : Fe

lix Brod

mann

actuel

Raphael Weber

actuel

A gauche : bel exemple d’un talus de voie de chemin de fer bien entretenu à la diversité écologique remarquable. A droite, exemple contraire : l’herbe coupée est laissée sur place, la prairie devient grasse et les plantes qui ont besoin de lumière disparaissent.

Des perles de nature négligées Sur un Plateau intensivement exploité, les talus des voies de chemin de fer constituent de précieux « hotspots » de biodiversité. Les CFF ne prennent hélas pas souvent la peine de les entretenir de manière appropriée, au détriment des exigences légales en matière de protection de la nature, et profitent de certaines lacunes dans la LPN. Markus Staub grimpe sur le talus de la voie de chemin de fer

la ville de Brugg (AG), pour accueillir des espèces animales et

avec l’agilité d’un cabri. Un Intercity en direction de Bâle passe

végétales rares.

à grande vitesse. Tout à son intérêt pour un rosier à tailler, Mar­



kus Staub n’y prête même pas attention. Depuis bientôt 30 ans,

prises dans le talus : on y voit de jeunes coronelles lisses, des

il entretient ce talus avec des membres de l’association locale

demi-deuils, des lézards agiles, de l’épiaire dressée, des œillets

Markus Staub sort un classeur et nous montre des photos

de protection de la nature.

prolifères. « Voir ces espèces me motive », explique celui qui



travaille dans un bureau d’études en environnement spécialisé

Markus Staub passe la faucheuse une à deux fois par an sur

ce versant de 400 mètres de long et 30 mètres de large, avec une

dans la biodiversité et l’agriculture.

pente de 70 degrés. L’herbe coupée sèche sur place avant d’être



ratissée et pressée en balles. Le but est d’« appauvrir la surface

souhaite utiliser les voies de chemin de fer de la région de

au fil du temps » afin d’y créer une prairie sèche, au cœur de

Brugg comme corridors écologiques. Il a lancé un projet pilote

Mais Markus Staub ne se contente pas d’un seul talus. Il

Pro Natura Magazine 2/2016

actuel

dans ce sens sur mandat du canton d’Argovie. Les voies de

les biens à protéger soient entretenus dans les règles de l’art.

chemin de fer offrent des conditions idéales pour une mise en

Mais ils redoutent d’amener les CFF devant les tribunaux en

réseau écologique dans les zones d’habitation. Elles représen-

raison du fardeau juridique que cela représente. Et l’Office

tent souvent les derniers endroits offrant une biodiversité par-

fédéral de l’environnement (OFEV) ne réagit que lors d’in-

ticulièrement élevée sur un Plateau exploité de manière in-

fractions graves. Par exemple, quand une décision cantonale

tensive. « Ces surfaces présentent des possibilités de mise en

lèse gravement la législation sur l’environnement de la Confé-

réseau qui ne coûtent pratiquement rien», souligne Markus

dération ou crée un préjudice inacceptable. Une « exécution

Staub.

inadéquate », en revanche, ne fait pas l’objet d’une action en



justice car les données fiables et les délais contraignants font

Le projet est en bonne voie : sur mandat du canton et des

CFF, plusieurs paysans, l’association Naturwerk, des organi-

géné­ralement défaut dans ce contexte.

sations locales de protection de la nature et la section argo-



vienne de Pro Natura ont valorisé des douzaines de talus de

l’OFEV recherche donc une solution pragmatique applicable

chemins de fer au cours des dernières années et créé des mo-

à l’ensemble de la Suisse. Sur son initiative, les CFF ont fait

En ce qui concerne les talus de voies de chemin de fer,

saïques intéres­santes de prairies maigres, de pâturages exploi-

réaliser en 2008/2009 un « Concept pour un entretien écolo-

tés de manière extensive, de zones d’herbes hautes, de haies

gique des talus », en collaboration avec l’Office fédéral des

de buissons épineux et de surfaces rudérales.

transports (OFT). Ce concept prévoit que les mesures de pro-



Les travaux réalisés dans des zones protégées communales

tection de la nature, souvent plus coûteuses, ainsi que les

et cantonales sont payés en grande partie par le canton d’Argo-

mesures compensatoires de projets de construction des CFF

vie – bien que les CFF soient tenus de par la loi, en qualité de

se concentrent sur des secteurs prioritaires. Ces zones prio-

propriétaire foncier, de préserver la valeur des objets protégés

ritaires représentent environ 20 % de tous les talus des CFF

et d’assumer les coûts qui en découlent. Mais dans les faits, les

dépourvus de végétation et elles doivent être « entretenues

CFF ne paient que 35 centimes par mètre carré pour l’entretien

sur toute leur surface selon des principes écologiques ». Le

de ces talus, ce qui correspond au coût d’un entretien dit « ré-

concept estime les coûts supplémentaires découlant de cet

glementaire » : la végétation des bordures est alors broyée une

entretien entre 1,7 et 2,7 millions de francs par année.

fois par année depuis la voie, généralement la nuit, et l’herbe déchiquetée est laissée sur place. Avec des conséquences né-

Les CFF suspendent le concept d’entretien

gatives : les plantes qui ont besoin de lumière pour pousser

Il s’avère cependant que ce concept n’est pas mis en œuvre ;

disparaissent et les prés autrefois maigres « engraissent » et se

les CFF l’ont suspendu sans autre forme de procès, comme

transforment en friches. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus que

le confirme Albert Müller, responsable de la section « Nature

quelques espèces végétales et animales, dont un grand nombre

et risques naturels » des CFF. Selon Albert Müller, il ne serait

de néophytes.

pas possible ou risqué sur le plan légal de réinterpréter des obligations définies ou d’ordonner des mesures compensa-

Perte de valeur des habitats naturels

toires en dehors des cas où des valeurs naturelles sont tou-

Le problème est connu. « L’entretien réglementaire actuel en-

chées dans des secteurs prioritaires. Une position contestée

traîne à long terme une perte de valeur de précieux habitats

par l’OFEV. « Le cadre juridique offre assez de marge de ma-

naturels », explique Yvonne Schwarzenbach du département

nœuvre », déclare Laurence von Fellenberg de la section « Qua-

« Nature et paysage » du canton d’Argovie. Les zones natu-

lité du paysage ». « Avec un concept uniforme pour l’ensemble

relles qui devraient être protégées par la loi ne sont pas épar-

de la Suisse, les CFF pourraient poser les bases pour mettre

gnées. Par cette pluvieuse journée de janvier, nous décou-

en œuvre les changements nécessaires. »

vrons de l’herbe coupée qui traîne à moitié pourrie sur toute



Avec ou sans stratégie pour des zones prioritaires, les CFF

la surface d’un talus de voie de chemin de fer de Boswil (AG).

devraient en tous les cas respecter les dispositions de la LPN.



Un aperçu du budget laisse planer le doute. Les CFF n’ont

Plus de trois kilomètres de talus sont classés comme « prai-

rie maigre » dans le plan des zones agricoles de la commune ;

pas augmenté mais réduit les fonds réservés à l’entretien des

le paragraphe 19 du règlement sur les constructions et l’af-

espaces verts : en 2015, 400 000 francs de moins qu’en 2008

fectation des sols exige que ces surfaces soient fauchées et

(environ 13 millions de francs) étaient mis à disposition pour

que l’herbe fauchée soit évacuée. Interpellé à propos de cette

cette tâche. Une somme qui ne permet guère aux CFF de

infraction au règlement, le président de commune Michael

mener à bien leur mission. Les talus revalorisés de Brugg

Weber déclare n’en avoir « pas eu connaissance ».

devraient donc rester une denrée rare à l’échelle suisse.



Selon la Loi sur la protection de la nature et du paysage

(LPN), les communes et les cantons doivent veiller à ce que Pro Natura Magazine 2/2016

NICOLAS GATTLEN est journaliste indépendant.

7

8

actuel

« En matière de responsabilité, nous nageons en plein brouillard juridique » En Hollande, le groupe pétrolier Shell doit répondre devant la justice des infractions environnementales de sa filiale au Nigéria. Des plaintes de ce genre sont-elles possibles en Suisse ? Christine Kaufmann, professeure de droit, fait la lumière sur la question. Pro Natura : Madame Kaufmann, dernièrement à La Haye, un juge a décidé que le groupe pétrolier Shell pourra être poursuivi devant un tribunal hollandais pour les fautes de sa filiale au Nigéria (voir texte à droite). Les plaignants parlent d’un « jugement révolutionnaire pour la protection de l’environnement et les droits humains ». Partagez-vous cet avis ? Christine Kaufmann : je serais un peu plus prudente. Il faut attendre de voir si la procédure aboutit à une condamnation. Mais le fait qu’une maison-mère doive répondre devant la justice des infractions à l’environnement de sa filiale est une nouveauté, en tout cas en Europe. Le jugement ouvrira-t-il la voie à des procédures analogues dans d’autres pays ? En Suisse par exemple ? Du point de vue juridique, la décision hollandaise n’affecte pas d’autres pays, donc pas non plus la Suisse. Chaque Etat applique en principe ses propres lois et développe sa propre jurisprudence. Chez nous, la maison-mère et la filiale sont deux entités propres, juridiquement indépendantes. Il n’y a donc en Suisse aucune possibilité de poursuivre la maison-mère pour les infractions de sa filiale ? Ce n’est pas totalement exclu. Une filiale peut par exemple être totalement indépendante juridiquement de la société-mère, mais être de facto dirigée et contrôlée par elle. Dans ce genre de situations, comme dans quelques autres, la société-mère peut être rendue responsable des agissements de sa filiale. Mais je n’ai pas connaissance de décisions judiciaires de ce type dans le domaine environnemental. Là, nous nageons encore en plein brouillard juridique. L’acceptation de l’initiative pour des multinationales responsables (voir texte p. 10) pourrait-elle clarifier la situation ?  Pro Natura Magazine 2/2016

actuel

9

Keystone

« L’initiative pour des multi­ nationales responsables suit une tendance internationale. » Professeure Christine Kaufmann

Les Amis de la Terre traînent Shell devant les tribunaux La quantité de pétrole brut déversée dans les forêts et les marais du delta du Niger au cours des 50 dernières années en raison des fuites des pipelines est estimée à 1,5 million de tonnes. Cela correspond à 50 fois la marée noire de l’Exxon-Valdez, avec des conséquences désastreuses pour les paysans et les pêcheurs. En 2008, quatre paysans nigérians concernés ont demandé – avec l’aide du groupe néerlandais des Amis de la Terre, organisation partenaire de Pro Natura dans le réseau international des Amis de la Terre – à un tribunal de La Haye (NL) que le groupe pétrolier Shell remette en état leurs champs et leurs zones de pêche et les dédommage pour leurs pertes financières. Ils réclament en outre que Shell veille à entretenir correctement les pipelines et à les protéger des actes de sabotage. En 2013, le tribunal a rejeté la plainte – seul Shell Nigeria serait responsable des dégâts et non le groupe anglo-néerlandais Shell. Les plaignants ont donc fait appel. En décembre 2015, la Cour d’appel a décidé que la maison-mère Shell pouvait être tenue responsable des violations de sa filiale et que Shell devait mettre à disposition tous les documents internes relatifs à ce cas. La procédure se poursuit cette année. nig istock

www.milieudefensie.nl/english/shell/courtcase

Vue aérienne de la pollution pétrolière dans le delta du Niger. Pro Natura Magazine 2/2016

Dans le viseur de la justice néerlandaise : la compagnie Shell.

Keystone/Ruetschi

L’initiative pour des multinationales responsables suit une tendance internationale. En 2011, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU approuvait les « Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme ». Il y est stipulé que les entreprises doivent agir avec la diligence requise pour éviter de porter atteinte aux droits de l’homme et que les Etats doivent protéger les droits de l’homme contre les menaces d’acteurs économiques également. Dans le cas de violations effectives

Responsabiliser les multinationales

des droits de l’homme, les lésés doivent avoir accès à des mécanismes de réparation. L’OCDE a repris ces principes en

Les multinationales font régulièrement les gros titres pour avoir violé les droits de l’homme et les normes environ­ nementales. Sur son site Internet, le « Business & Human Rights Resource Centre » documente minutieusement des centaines de cas. Parmi eux, on compte aussi de nombreuses entreprises et groupes ayant leur siège en Suisse. On connaît des cas de travail d’enfants dans des plantations de cacao, de conditions de travail inhumaines dans des fabriques de textiles ou des mines, et de graves pollutions de l’environnement dues à l’exploitation de matières premières. Une coalition de 66 organisations engagées pour combattre ces pratiques a lancé une initiative dans ce sens. Le texte de l’initiative prévoit d’introduire un devoir de diligence pour les entreprises suisses et les entités suisses appartenant à des groupes internationaux. En clair, les multinationales doivent vérifier si leurs activités à l’étranger violent les droits humains et les normes environ­nementales, et agir en cas de besoin. Si les multinationales négligent leur devoir de diligence – notamment pour des actes délictueux commis à l’étranger – elles peuvent être poursuivies en justice en Suisse. Les initiants partent de l’idée que « la plupart des multinationales prendront d’elles-mêmes les mesures nécessaires pour éviter des coûts et des atteintes à leur image ». La récolte des signatures court jusqu’au 21 octobre 2016. Pro Natura prévoit de soutenir l’initiative. nig

2011 et les a étendus au thème de l’environnement. En tant que membre de l’ONU et de l’OCDE, la Suisse devrait appliquer ces principes. En effet. En 2015, le Conseil fédéral a donc adopté un document de prise de position au sujet de la responsabilité sociétale des entreprises. Parallèlement, un plan d’action national pour la mise en œuvre des principes directeurs de l’ONU est actuellement en cours d’élaboration.

« En droit international, des obligations contrai­ gnantes n’existent aujourd’hui pratiquement que pour les Etats, pas pour les entreprises. »

www.business-humanrights.org www.initiative-multinationales.ch

Mais alors, les initiants enfoncent des portes ouvertes ? Les lignes directrices de l’ONU et de l’OCDE exigent certes que les entreprises fassent preuve de diligence, mais cette exigence n’est pas juridiquement contraignante. En droit international, des obligations contraignantes n’existent aujourd’hui pratiquement que pour les Etats, pas pour les entreprises. Les initiants veulent donc aller plus loin et obliger désormais les entreprises à la diligence, non seulement moralement mais aussi juridiquement. D’après l’initiative, les entreprises pourraient faire l’objet de plaintes si elles violaient les normes environnementales à l’étranger. Faut-il craindre que les entreprises délocalisent leurs activités dans des pays aux normes environnementales moins sévères en cas d’adoption de l’initiative ? Pas vraiment. Le choix du site ne dépend pas uniquement des

 Oui et non. Le contrôle de facto d’une filiale impliquerait

normes environnementales locales. Il y a aussi d’autres facteurs,

certes clairement une responsabilité de la part de la société-

comme la situation en matière de sécurité, les garanties rela-

mère. Mais parallèlement, l’initiative soulève d’autres questions,

tives à l’Etat de droit, l’infrastructure ou la qualité de vie pour

donnant ainsi matière à de nouvelles incertitudes juridiques. La

les collaborateurs, qui jouent un rôle central dans ce genre de

manière dont la loi sera formulée sera décisive.

décisions.

Le cœur de l’initiative est le devoir de diligence pour les entre­prises. L’argument des opposants est que la Suisse fait cavalier seul et que les entreprises suisses seraient fortement désavantagées.

NICOLAS GATTLEN est journaliste indépendant. La professeure Christine Kaufmann enseigne le droit public, le droit international et le droit européen à l’Université de Zurich. Elle est cofondatrice du Centre de compétences pour les droits de l’homme de l’Université de Zurich.

Pro Natura Magazine 2/2016

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i n la tio 6 Dé crip 201 s l in ri d’ 0 av 3

Master of Science HES-SO in Life Sciences « Natural Resource Management in Catchments »

actuel

Peter A. Dettling

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« Le loup se déplace en suivant son gardemanger » Le photographe naturaliste grison Peter Dettling suit avec attention les loups de Calanda. Il a également observé les loups au Canada durant plusieurs années. L’évolution actuelle l’inquiète. Pro Natura : nous nous trouvons à la limite du massif de Calanda, dans le village grison de Felsberg, où le loup s’approche parfois très près de la population. Quelle est la réaction des habitants face à cette situation ? Peter Dettling : j’ai parlé avec beaucoup de gens aux alentours du massif de Calanda, dont des chasseurs et des éleveurs de moutons. Leur opinion quant à la présence du loup est bien plus positive que ce à quoi je m’attendais. C’est aussi ce que révèle un sondage réalisé en été 2015 : 70 % de la population grisonne se dit prête à tolérer le loup ou même à encourager son retour.

estivés dans toute la Suisse est victime du loup ; la proportion

Pourquoi le loup s’aventure-t-il aussi près des agglomérations ?

errants, par exemple, est bien plus élevée.

des pertes dues aux chutes de pierres ou aux attaques de chiens En hiver, les loups mènent plutôt une vie nomade : ils se déplacent en suivant leur garde-manger. A cette saison, le gibier se

Les loups constituent-ils un danger pour les êtres humains ?

replie surtout dans les pentes au-dessus du village et descend

La rage étant éradiquée et les populations de gibier abondantes,

dans les champs durant la nuit, ce qui explique pourquoi on y

les loups représentent un très faible danger pour les êtres hu-

trouve parfois les restes d’un repas du loup.

mains sous nos latitudes. Le risque d’être attaqué par une vache allaitante dans les Alpes est bien plus grand. En général, les

« Le risque d’être attaqué par une vache allaitante dans les Alpes est bien plus grand. » Peter A. Dettling

loups évitent les rencontres directes. La curiosité manifestée de temps à autre pour les activités humaines est normale et avant tout le fait de jeunes loups. En devenant adultes, ils retrouvent la plupart du temps la discrétion propre à leur nature. C’est ce que montrent aussi bien des études que mes observations personnelles durant de nombreuses années au Canada.

Combien y a-t-il de loups aux alentours du massif de

Peut-on comparer le Canada avec la Suisse ?

Calanda ?

Sans doute, car le comportement de base des loups est immuable.

Personne ne le sait exactement. Sur la base des traces obser-

Dans le Parc national de Banff, le tourisme est beaucoup plus dé-

vées, j’estime que la meute de loups de Calanda compte en ce

veloppé. Les loups y partagent leur territoire avec environ huit

moment huit individus.

millions de touristes par an, et la cohabitation s’y passe sans problèmes.

Combien y a-t-il eu d’attaques d’animaux de rente ? L’année dernière, il n’y a pas eu un seul cas du côté grison.

Il y a pourtant beaucoup de gens qui en ont peur ...

Dans le canton de St-Gall, sept chèvres et un veau ont été tués.

Naturellement. La mauvaise réputation – notamment avec le

Mais n’oublions pas que seul un tout petit nombre des moutons

Petit Chaperon rouge et la diabolisation du loup par l’Etat et Pro Natura Magazine 2/2016

Les loups utilisent les infrastructures humaines. Des rencontres avec les êtres humains peuvent donc survenir, comme avec ce loup que Peter Dettling a photographié dans le Parc national de Banff au Canada.

l’Eglise – lui colle à la peau depuis des siècles et hante encore

loup de venir parfois chasser là-bas et d’être aperçu au crépus-

nos esprits. S’y ajoute l’ignorance générale qui règne encore

cule. Il faut bien que le loup chasse s’il veut survivre.

chez nous au sujet du comportement du loup, notamment chez les gardes-faune. Au lieu d’intensifier les efforts d’information

Quel rôle jouent les places de nourrissage où les chasseurs

de la population sur le comportement du prédateur, les cantons

attirent les renards avec de la viande ?

de St-Gall et des Grisons ont accordé en décembre 2015 une au-

Ces places attirent non seulement les renards, mais aussi les

torisation de tir pour deux jeunes loups. C’est une décision pour

loups. A proximité des agglomérations ou, comme un cas que je

le moins discutable.

connais, près de troupeaux de moutons, elles ne devraient plus être autorisées. Que les choses soient bien claires : pour cohabi-

Pourquoi ?

ter harmonieusement avec le loup, il faut que son comportement

Avec cette autorisation pour le massif de Calanda, on prend

soit mieux connu et que les autorités fassent un bon travail de

le risque de détruire de manière irréversible la structure fami­

communication. Deux points largement lacunaires aujourd’hui.

liale de la première meute de loups en Suisse, en abattant par

Il est plus simple de délivrer une autorisation de tir au moindre

exemple le père ou la mère au lieu d’un jeune. Les études

incident, mais cela ne fait pas avancer le débat dans la société.

montrent en outre que les tirs peuvent entraîner une augmenta-

La présence du loup nous apporte beaucoup, elle contribue par

tion des attaques sur les animaux de rente.

exemple à limiter une population d’ongulés excédentaire, qui causent de gros dégâts d’abroutissement dans les forêts protec-

De l’avis des gardes-faune, il y avait un cas problématique

trices. Nous devons repenser notre attitude face à la nature – et

à Felsberg. Que s’est-il passé ?

pour cela, le loup vient au bon moment !

A la nuit tombée, près d’une ferme à la limite du village, quelqu’un a observé un loup qui portait une tête de chevreuil dans sa gueule. Le garde-faune a estimé qu’il s’agissait là d’un comportement indésirable. Je ne comprends pas pourquoi : l’endroit en question est à la limite d’une zone de tranquillité pour la faune qui jouxte les champs cultivés, à 1,5 kilomètre de l’agglomération. Ce n’est pas avec des tirs qu’on va empêcher un Pro Natura Magazine 2/2016

Interview : ROLF ZENKLUSEN, journaliste indépendant. Peter A. Dettling, né en 1972 à Sedrun (GR), est un photographe naturaliste primé à de nombreuses reprises. Depuis son enfance, la nature et les hommes qui consacrent leur vie à la protection de la nature le fascinent. Par ses films et ses photos, il souhaite améliorer les rapports entre l’être humain et la nature. Son travail sur les loups et les ours joue un grand rôle dans ce processus. Depuis 2013, il s’intéresse de près à la meute de Calanda.

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Une expérience à l’issue incertaine La présence de loups ayant été confirmée par l’observation du prédateur à plusieurs reprises, les autorités ont autorisé le tir de deux loups de la meute de Calanda. Une décision qui met en évidence les faiblesses de l’Ordonnance fédérale sur la chasse, axée sur les problèmes plutôt que sur les solutions. Le photographe animalier Peter Dettling n’a pas eu la chance de rencontrer un membre de la famille des loups de Calanda au cours des derniers mois, bien qu’il ait passé beaucoup de temps sur leur territoire. Mais, de façon un peu surprenante, des villageois sont tombés à plusieurs reprises sur un loup dans le même laps de temps.

Vingt-huit de ces rencontres enregistrées par les gardes-

chasse ont été considérées comme indésirables ou problématiques. Plus de la moitié d’entre elles ont eu lieu au moment d’activité naturelle du loup – dans des conditions de pénombre, voire d’obscurité totale. Un tiers des observations ont été faites près de fermes isolées ou de mayens et 10 % d’entre elles à la lumière du jour, en bordure de village.

Un effet éducatif aléatoire Ces 28 cas ont été considérés comme une habituation par les

tiques. Que le loup se rapproche des zones habitées en pensant

Services de la chasse et l’Office fédéral de l’environnement

y trouver de la nourriture n’est pas non plus inhabituel. Le fait

(OFEV). Le tir de deux jeunes individus à proximité des agglo-

que des loups n’évitent pas les infrastructures humaines et em-

mérations et en présence d’autres animaux a donc pour fina-

pruntent même leurs routes et chemins peut s’observer partout

lité d’« éduquer » les loups survivants. On ignore totalement si

dans le monde.

cette mesure sera efficace, car il n’y a pas d’études portant sur



l’effet de tirs de cet ordre. Les autorités ont donc autorisé une

du comportement du loup publié dans le nouveau « Concept

expérience à l’issue incertaine.

loup » sont conçus de telle sorte que tous ces faits et gestes



Mais l’Ordonnance sur la chasse et le tableau d’estimation

Il s’agit du premier cas de tir de régulation tel que l’autorise

peuvent être considérés comme problématiques, voire potentiel-

l’Ordonnance sur la chasse récemment révisée. A l’époque, Pro

lement dangereux pour l’être humain. Cela crée un sentiment

Natura avait déjà reproché à cette modification de la loi sou-

d’insécurité.

haitée par la conseillère fédérale Doris Leuthard d’être motivée



par des considérations politiques plutôt que par des arguments

tion de tir. L’évaluation juridique a montré que cela ne permet-

scientifiques. Pro Natura craignait alors qu’on aboutisse à da-

trait guère d’améliorer des bases légales insuffisantes. Pro Natu-

vantage de problèmes et de confusion, alors qu’il aurait plutôt

ra met l’accent sur le travail politique et s’engage pour un débat

Pro Natura n’a cependant pas fait recours contre l’autorisa-

fallu proposer des solutions en faveur d’une politique du loup

dépassionné sur le loup et sur une cohabitation harmonieuse

peu conflictuelle.

avec le prédateur.

Pas de rencontres exceptionnelles Cela se vérifie aujourd’hui : les rencontres entre le loup et l’être

MIRJAM BALLMER est responsable de la politique du loup chez Pro Natura.

humain durant sa période d’activité ne sont en rien probléma-

www.pronatura.ch/grands-predateurs

Pro Natura Magazine 2/2016

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Les cantons surveillent les opposants au loup

Peter A. Dettling (2)

Plusieurs cantons ne restent pas les bras croisés face à la volonté du Groupement suisse pour les régions de montagne (SAB) de voir l’ours, le lynx et le loup disparaître à nouveau du territoire suisse. Les lettres adressées aux cantons par Pro Natura ne sont pas restées sans effet.

Comment des cantons suisses pourraient-ils soutenir une asso-

riat de l’association. Beaucoup de ces cantons estiment en re-

ciation poursuivant un but contraire à la Constitution ? Telle est

vanche que la prise en charge du secrétariat n’a qu’un caractère

la question posée par Pro Natura à tous les cantons apportant un

purement administratif. La réponse du canton du Valais ne sur-

soutien financier au Groupement suisse pour les régions de mon-

prendra personne : l’expansion du loup doit être freinée. C’est

tagne (SAB). L’objectif principal de la nouvelle association « Une

la tâche de l’être humain de réguler la nature et la nouvelle

Suisse sans grands prédateurs » est de faire disparaître à nouveau

association ainsi que le SAB défendent les intérêts de la popu-

l’ours, le lynx et le loup de notre territoire. Et ce avec le sou-

lation de montagne.

tien du SAB, qui prend la direction de cette nouvelle association.

Le SAB aux abonnés absents Critiques réjouissantes

Récemment encore, le directeur du SAB, Thomas Egger, défen-

15 des 22 gouvernements cantonaux contactés par nos soins

dait une position très claire et déclarait dans le Tages-Anzeiger :

ont fourni une réponse écrite détaillée. Les réactions des can-

« Le loup n’a rien à faire en Suisse. » Mais depuis que les critiques

tons d’Argovie, de Berne et de Glaris ont été particulièrement

pleuvent sur la direction de la nouvelle association, M. Egger est

réjouissantes. Tous trois ont critiqué l’engagement du SAB et

aux abonnés absents. La demande de Pro Natura portant sur les

ont déclaré vouloir prendre contact avec lui. Trois autres can-

statuts de la nouvelle association est également restée sans ré-

tons – Lucerne, Obwald et Schwyz – se sont montrés enclins à

ponse. Le SAB espère probablement faire taire les critiques par

observer les activités du SAB et de cette nouvelle association,

l’immobilisme. Mais Pro Natura entend suivre de près les acti-

et à intervenir si ces activités ne devaient plus répondre à leurs

vités de cette association hostile à la nature et celles du SAB, et

attentes. Les autres cantons ne souhaitent pas prendre de me-

réagir en cas de besoin.

sures, même si plusieurs d’entre eux – dont Zurich, le Jura et Uri – désapprouvent le fait que le SAB se charge du secrétaPro Natura Magazine 2/2016

MIRJAM BALLMER