Publication collective bisannuelle Edizioni Castelvecchi Roma

strictement indissociables dans leur dispersion inquiète. Il n'y a plus un seul mot auquel il nous soit permis de confier autre chose qu'une défaillance sinon une ...
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υπερβολhö

Publication collective bisannuelle Edizioni Castelvecchi Roma



Maria Morganti – sans titre 2012



Nous sommes sans tradition et sans projet. Non pas, bien sûr, sans provenance ni sans devenir : mais sans références ni recours. Nous ne pouvons pas enchaîner des significations, nous devons nous risquer. Même le nous sujet de cette phrase ne renvoie à aucune configuration perçue, entrevue ou imaginée de la coexistence. Celle-ci pourtant définit plus que jamais nos vies, nos pensées, nos situations strictement indissociables dans leur dispersion inquiète. Il n’y a plus un seul mot auquel il nous soit permis de confier autre chose qu’une défaillance sinon une faillite de sens : ainsi précisément nous aussi bien que sujet ou commun ou existence. Mais dans la défaillance se révèle aussi l’ampleur de l’enjeu : ouvrir à nouveau l’infinité du sens. Qu’elle soit géométrique, rhétorique ou philosophique - comme elle le fut tout à la fois chez Descartes – l’hyperbole se rapporte à un ailleurs, à un éloignement improbable dont elle attend sa vérité. Il est temps pour nous d’aller la chercher décidément hors de tous nos repères. υπερβολhö serait un mot pour dire une lancée sans retenue dans l’espace illimité du sens.

L’hyperbole passe la mesure, elle excède et pourtant n’exagère pas si l’exagération suppose une juste mesure donnée. La juste mesure ne nous est plus donnée, ni comme tradition ni comme projet. Ne peut être juste aujourd’hui, ne peut avoir un sens juste qu’une parole qui se lance par-delà les codes, les catégories, les savoirs et les représentations. υπερβολhö se dit en grec, langue natale de la philosophie, et se pratique dans les poèmes de toutes

les langues. Nous voudrions éprouver notre parole exposée à l’épuisement des significations, à l’usure de la parole, du discours et de la poésie aussi bien qu’aux chances qui en surgissent. Hyperbolè voudrait désigner et proposer un geste : le geste de se lancer comme on dit en français pour « se risquer à », « se décider », mais aussi « prendre son élan », « prendre de la vitesse » ou tout simplement « commencer », « s’engager » dans une situation où tout le monde hésite et se retient. L’intensité d’une couleur croissant jusqu’à excéder le visible, sans laisser une forme la contenir, donne non pas l’image mais l’idée qui nous anime, au sens le plus vif de l’ « idée » : celui de la pensée dans sa lancée.

*** Etre délié des provenances et des références ne signifie pas occulter leur existence, mais refuser de se donner soit des garanties, soit des habitudes. Car il s’agit bien moins de s’appuyer sur des bases ou sur des méthodes afin de construire des perspectives que de d’exposer à ce qui déjà, sans aucun doute, est en train de commencer, d’éclore sans tradition ni projet : de la pensée à venir, c’est-à-dire qui vient déjà. Moins pour demander « qu’est-ce donc qui vient ? » que pour s’exposer à ceci, que ce qui vient n’est pas, n’est pas donné et en un sens ne le sera jamais. Il faut à la fois guetter et se laisser surprendre. Nous faisons nôtres ces vers de Conrad Aiken : Et nous avons senti le rien qui maintient nos ailes. Et ici nous avons vu la liste des choses – Toutes prises dans le tourbillon des limbes et concentriques tourbillonnant vers le fond du gouffre, sans nombre, sans signification et sans but ; excepté que le manque de but porte un nom, que le manque de sens a un battement de cœur et que le manque de nombre porte un voile d’étoiles.

Et cette phrase de la Bruyère : L'hyperbole exprime au delà de la vérité, comme pour ramener l'esprit à la mieux connaître.

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Comité éditorial : Daniela Calabrò, Rosaria Caldarone, Marcia Cavalcante-Schuback, Alexander Garcia-Düttmann, Juan-Manuel Garrido, Rodolphe Gasché, Franson Manjali, JeanLuc Nancy, Tatsuya Nishiyama. Le Comité a un rôle animateur et fonctionnel. Chaque publication sera préparée en association avec d’autres personnes et par des ateliers de travail commun entre les auteurs ayant accepté de collaborer à ce numéro. Chaque fois il s’agira de réévaluer les enjeux attachés aujourd’hui à un grand mot de l’histoire de notre pensée (p. ex. methexis, ousia, schèma, etc.). Chaque numéro sera publié en deux éditions : dans la première figureront toutes les langues employées par les auteurs du numéro et la seconde donnera la traduction anglaise de tous les textes.