Q et R avec Sean Lessard

Ce ne sont pas tous les enfants qui font le pow-wow; certains jeunes dansent le .... Je me demande ce qu'aurait l'air un relevé de notes si les élèves étaient ...
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Q et R avec Sean Lessard Lauréat du prix Pat Clifford 2015 pour la recherche en éducation en début de carrière Sean Lessard, Ph. D., est professeur adjoint en études et en enseignement destinés aux peuples autochtones à la Faculté d’éducation de l’Université de Regina. Originaire de la Nation crie Montreal Lake du nord de la Saskatchewan, Sean Lessard a été adopté par une famille rurale non autochtone de North Battleford lorsqu’il était enfant. Des déplacements fréquents entre ces deux mondes lui ont permis de développer de solides liens dans les deux collectivités et ont modelé sa perception de soi. Il en est venu à se rendre compte qu’il n’existe pas une histoire unique d’identité, et c’est ce qui se situe au cœur de ses recherches. Sean Lessard édifie un impressionnant programme de recherches visant à soutenir les titulaires de classe sur le plan des facteurs pédagogiques de ce que signifie intervenir efficacement pour favoriser la réussite d’apprenants autochtones faisant face à d’importants défis socioéconomiques et socioculturels dans des espaces d’apprentissage formels et informels. Ses travaux pourraient transformer l’éducation pour les apprenants autochtones au Canada et à l’étranger. Le texte qui suit est une transcription révisée d’une interview. Pouvez-vous décrire les défis auxquels font face les élèves autochtones urbains à Regina? Ils sont de plusieurs ordres : des défis institutionnels; des défis structurels; des défis liés à l’itinérance et à la pauvreté; de même que des défis issus de la transition que vivent ces jeunes qui arrivent à Regina en provenance de territoires environnants faisant l’objet de traités. Ils essaient de comprendre ce que veut dire vivre dans une grande ville et sont entourés d’une foule d’obstacles situationnels. C’est pourquoi je pose des questions. Qui sont ces jeunes à qui nous enseignons? Qui seront les jeunes gens qui enseigneront à ces élèves?  

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De quoi les élèves autochtones ont-ils besoin pour s’épanouir dans le système scolaire public? Je pense que nous devons être plus sincères et intentionnels dans la création d’espaces où nous pouvons perturber les conversations. Quand j’enseignais au secondaire à Edmonton, nous avions l’habitude de contourner les questions difficiles, mais j’ai préconisé que les études autochtones fassent partie de l’apprentissage de tout le monde parce que ça engendrait un espace protégé où je pouvais rejoindre les jeunes pour que nous puissions parler d’identité et de questions autochtones. Nous nous déplacions dans la ville pour comprendre qui nous étions par rapport au centre urbain et pour tenir compte des récits qui existaient dans les terres et l’espace. Le cours d’études autochtones est un exemple pratique de la façon dont nous pouvons commencer à changer lentement les conversations, parce que quand j’étais en Alberta, l’épreuve à subir pour obtenir le diplôme de 12e année ne comportait que deux ou trois questions ayant quelque chose à voir avec les questions et la vision du monde autochtones. Mes élèves me demandaient pourquoi nous accordions tant de temps à une matière qui n’allait pas faire l’objet de l’examen. Je leur ai répondu que cela ne concernait pas les épreuves normalisées, mais que cela faisait partie du contexte dans lequel nous vivons tous. Mais la charge ne pouvait être menée seulement par « le gars autochtone ». J’avais besoin de mes collègues, qu’ils courent le risque. Et c’est à ce moment que nous avons commencé à apporter des changements transformateurs. Je crois que beaucoup de gens marchent sur des œufs parce que nous essayons tous de comprendre ce qu’il faut faire et parfois, on dit quelque chose et les gens de la collectivité autochtone ne sont pas d’accord, mais nous devons commencer à oser pour apprendre quelque chose ou nous n’avancerons pas ensemble. Quand je pense aux élèves autochtones qui fréquentent les écoles publiques de Regina, nous ne pouvons pas faire des suppositions monolithiques et des généralisations hâtives selon lesquelles chaque enfant a la même histoire, car cela fait plus de mal que de bien. Ce ne sont pas tous les enfants qui font le pow-wow; certains jeunes dansent le contemporain. Nous devons tenir compte d’une nombreuse population métisse; il y a aussi les Cris, les Saulteaux et d’autres groupes de langues autochtones; nous avons des danses et des protocoles traditionnels; il y a beaucoup de diversité chez les jeunes et dans leurs histoires. Certains jeunes giguent, d’autres font du break dancing. Nous devons tenir compte de la fluidité de l’identité et ouvrir ces espaces pour les comprendre. Nous ne pouvons donc mettre tous les jeunes dans le même panier. Nous devons tenter de comprendre qu’il y a des différences et que c’est merveilleux. Il y a une multiplicité. J’accorde beaucoup d’attention au respect de l’identité à l’école, car ma fille est en 2e année. Où est l’application pratique, plutôt que philosophique, pour composer correctement avec cette question?

 

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Comment préparez-vous les candidats à l’enseignement qui ne sont pas autochtones à enseigner à des élèves autochtones? Je les prépare à essayer de comprendre les complexités de la vie, afin qu’ils n’entrent pas dans des salles de classe avec des présomptions, mais qu’ils ouvrent leur esprit et leur cœur pour penser aux possibilités des espaces d’apprentissage qu’ils créent. C’est l’œuvre de ma vie. J’y reviens constamment dans mes recherches et mon enseignement. Quand je réussis, les candidats à l’enseignement commencent à comprendre et à interagir différemment avec leurs élèves. C’est la raison pour laquelle j’invite des étudiants universitaires à un gymnase abritant notre espace de recherche du programme Growing Young Movers – pour qu’ils puissent voir ces enfants différemment – du point de vue métaphorique et pratique. Quand j’aborde les questions d’identité dans mes cours, d’énormes tensions surgissent, mais au fur et à mesure que nous apprenons à nous connaître, nous commençons à aller dans des directions différentes, parce que j’essaie de déballer nos expériences entourant les lieux et les personnes qui sont dans nos vies, et ce que veut dire vivre dans un endroit comme Regina, Saskatchewan, dans le territoire faisant l’objet du traité 4. Beaucoup de mes étudiants viennent de milieux ruraux où les cohortes de diplômés comptent cinq jeunes ou moins, et beaucoup d’entre eux arrivent à l’université avec des stéréotypes très enracinés au sujet de l’identité des peuples autochtones. Alors quand je les rencontre en classe pour la première fois, c’est très tendu. Dans chaque cours, je continue d’améliorer ma relation avec eux pour que l’on essaie de comprendre les expériences les uns des autres, pour que nous puissions tenter de progresser. Je le fais au moyen de la narration : ce que signifie venir du territoire du traité 4, la signification d’un traité et pourquoi c’est important. Et j’ai eu des conversations très difficiles avec des jeunes de 19 ans qui arrivaient de régions rurales avec de la colère, du racisme et des préjugés. Je tente de leur faire comprendre que ce négativisme vient de quelque part. Certains se mettent en colère contre moi parce qu’ils ne croient pas que je suis assez dur avec ces étudiants – que je devrais les appeler des colons, mais comment pourraisje le faire sans même connaître leur nom? Je ne sais pas d’où ils viennent. Je ne sais rien de leur famille. J’essaie de faire comprendre à ces étudiants qui ils sont et qui ils croient être. Ensuite, nous pouvons commencer à progresser d’autres façons; nous pouvons parler de certaines des questions plus épineuses, mais ce n’est pas moi qui amorce la conversation. C’est ce qu’on m’a appris dans ma collectivité, ce que ma mère m’a appris, ce que mon père dans mon autre lieu m’a appris; ils parlaient toujours d’enseigner par l’exemple – enseigner doucement, enseigner latéralement.

 

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Pouvez-vous décrire ce que vous entendez par « enseigner latéralement »? C’est enseigner par narration – laisser les récits faire leur bout de chemin en nous, comme lorsque je lis la narration d’expériences de jeunes qui ont des difficultés à l’école. Les Aînés avec qui je travaille appellent ça « enseigner latéralement ». C’est un enseignement indirect, tout doux, où les leçons arrivent de côté, plutôt qu’un enseignement direct ou magistral. C’est aussi d’écouter de la même façon. Nous provoquons le dialogue en nous interrogeant sur des récits. Je demande à mes étudiants de faire des choses comme s’interroger de manière autobiographique sur ce que le lieu signifie pour eux. Je leur demande de faire des lignes du temps de ce que l’école leur semblait, d’identifier les tensions dans le milieu scolaire. Ils me disent que jamais personne ne leur avait demandé de faire ça auparavant. Donc, je travaille beaucoup sur la mémoire avec mes étudiants afin qu’il puissent tenter de déballer leurs expériences à l’école et se rendre compte qu’elles semblent différentes pour chacun; parce que si leur compréhension repose sur une expérience scolaire relativement facile, il devient vraiment difficile pour eux d’arriver dans une salle de classe du quartier centre-nord de Regina où les récits pourraient être moins faciles. Lorsque les enseignants travaillent avec des populations de jeunes Autochtones, dans les réserves et à l’extérieur de celles-ci, ils doivent être en mesure d’aller dans leurs mondes sans présomption ou perception arrogante. Alors j’amène doucement ces futurs enseignants dans cet espace relationnel et cela peut être difficile lorsqu’il y a 150 étudiants en même temps. Alors, vos candidats à l’enseignement participent-ils à votre programme de recherche-action Growing Young Movers? Oui – la philosophie que je partage dans mon cours se produit dans un espace de gymnase, où évolue un groupe de 25 élèves de 2e et 3e année. C’est un espace où ils observent des jeunes Autochtones du quartier centre-nord de Regina – un lieu stigmatisé – où nous leur demandons de jouer et d’interagir avec les jeunes. Mes étudiants me disent ensuite ce qu’ils ont appris, ce que les jeunes leur ont dit, et ils commencent lentement à se percevoir différemment. Tout aussi important, les élèves autochtones voient des candidats à l’enseignement non autochtones qui ont aussi des histoires uniques en rapport avec un lieu. Leurs perceptions et expériences peuvent provenir de lieux intergénérationnels très enracinés qui sont réels et qui doivent être guéris par des relations. Ces jeunes ont rarement eu l’occasion d’interagir positivement avec des personnes non autochtones et puis, tout à coup, des choses magiques commencent à se produire lorsqu’ils vont dans un gymnase et commencent tout simplement à jouer – c’est un lieu et une expérience créant des liens. Soudain, leurs interactions changent à cause de leurs expériences les uns près des autres. C’est un moyen d’aller de l’avant.

 

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Et vous avez des élèves autochtones du secondaire qui jouent le rôle de mentors et qui vous aident à mener le programme Young Movers? Six élèves du secondaire – des jeunes Autochtones dynamiques du quartier centrenord de Regina – sont des stagiaires rémunérés qui réalisent le mentorat des plus jeunes élèves de l’école élémentaire. Je crois qu’en deux ans, seulement un des jeunes a manqué une journée de travail. Ils dirigent maintenant les séances et nous leur fournissons une rétroaction. Ces jeunes ont des réputations inégales dans leurs écoles secondaires, mais ils viennent dans l’espace du gymnase après l’école et arrivent toujours à l’heure, prêts à commencer, avec une énergie positive, et ils partagent leurs connaissances intergénérationnelles avec les plus jeunes, ils font évoluer les récits. Ils s’engagent dans le bien-être physique et créent un espace relationnel. C’est un chezsoi pour la collectivité. Alors maintenant, les enfants peuvent venir, la collectivité peut venir et les étudiants universitaires peuvent venir, tous sont les bienvenus. Nous avons maintenant des infirmières de l’université et des travailleurs sociaux qui viennent au gymnase – c’est un lieu de soutien. Quelles sont les implications pour les politiques futures sur lesquelles votre recherche-action pourrait exercer une influence? Si nous pouvons commencer à comprendre ce qui comporte un sens pour les jeunes et les familles de la collectivité autochtone, nous pourrons alors commencer à changer les politiques, car nous comprendrons un peu mieux la multiplicité existant dans leur vie. Et puis, quand nous pensons aux politiques, nous pensons à la pédagogie et nous pensons au curriculum à l’école. Je me demande ce qu’aurait l’air un relevé de notes si les élèves étaient évalués pour les choses qui sont importantes pour eux ailleurs qu’à l’école? Comment cela modulerait-il ce que nous faisons dans l’école? Quand je pose ces questions aux enseignants, ils me répondent qu’ils n’ont jamais considéré ainsi les matières, ni les connaissances de l’enseignant et les environnements d’apprentissage. Ces enfants détiennent de précieuses expériences de pêche au filet et à la ligne, ou connaissent les protocoles entourant les tambours dans leurs collectivités. Nous ne savons rien de tout cela. Nous ne savons même pas que ces activités sont importantes pour eux. Nous n’avons même jamais créé un espace pour tenir ces types de conversations. Alors, c’est en cela que mon travail consiste, c’est commencer à comprendre différemment.

 

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