Quand il faut choisir entre l'argent et l'amour - Revue Institutions

labeur. Par la suite, elle sera tour à tour : dame de compagnie, aide soignante, veilleuse de nuit. La soeur aînée meurt dans des circonstances qui resteront ...
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Quand il faut choisir entre l’argent et l’amour Catherine VERNEY-COARACY Hôpital de ROMORANTIN Service du Docteur GENDRE Flora est la cadette de 3 soeurs, filles d’un négociant en vin qui a fait fortune. La possessivité paternelle lui interdit un amour de jeunesse ; au nom de l’argent. Le bien-aimé est pauvre, le père ne veut pas d’un gendre pauvre. Il envoie Flora en Angleterre, oublier l’objet de ses désirs. Quelques temps après son retour, elle épouse un homme d’affaires, fuyant le milieu familial. De ce mari, épousé sans amour, et qui la laisse frigide, elle aura 2 fils. Et puis un beau jour elle part, laissant une vie bourgeoise plus que confortable, assurée par ce riche époux, auquel elle ne demandera pas même une pension alimentaire. Elle travaillera avec son père, et à 6 heures tous les matins, ils prennent un café, avant la journée de dur labeur. Par la suite, elle sera tour à tour : dame de compagnie, aide soignante, veilleuse de nuit. La soeur aînée meurt dans des circonstances qui resteront mystérieuses. Elle serait tombée dans un escalier en colimaçon sans rampe. Plus tard, Flora se souviendra que l’autopsie, demandée par le père, révéla une forte dose d’alcool dans le sang. Telle serait l’origine d’une dépression qui s’instaure pour ne plus jamais quitter Flora, jusqu’au moment où l’alcool viendra l’aider à la fuir. A 6 H tous les matins, une irrésistible envie de boire lui tord les tripes. De retour au pays, elle retrouve l’amour perdu de sa jeunesse. Ils s’engagent dans une liaison, enceinte, elle avortera à 4 mois de 2 jumeaux. Le bien-aimé est toujours pauvre et marié de surcroit, et cette fois encore, rien ne sera possible. Flora, qui a la garde de ses enfants, semble affecter d’un curieux désir de se "dévouer pour les autres". Le père meurt des suites d’une maladie qui dura plusieurs mois. Nuit et jour, Flora veille à son chevet, garde malade, infirmière, gouvernante, elle assumera tout et accompagne ce père adulé, et dont elle était la préférée, jusqu’à la mort.

Sa première part d’héritage sera investie dans une maison. Après la mort du père, les épisodiques alcoolisations vont se rapprocher. Un amant, rencontré au décours d’une cure de désintoxication, s’installera chez elle, se fera entretenir et s’avèrera être clochard. La famille la fait mettre sous tutelle et le fils aîné sera le tuteur. Sa maison revendue pour payer ses dettes, Flora s’installe dans un petit pavillon de la propriété familiale. Là, elle servira encore de garde malade et de gouvernante à sa mère. Peu à peu l’alcool et la dépression envahissent toute sa vie. Les hospitalisations et les cures se succèdent. D’échec en échec, Flora arrive à Romorantin, adressée par une autre équipe "usée" selon ses propres termes. Alcoolique, obèse, dévoratrice, Flora fait peur. Elle retrouvera un semblant d’identité dans le rôle de la bonne malade alcoolique. Elle va militer dans un mouvement d’anciens buveurs, et se scléroser dans un rôle de matrone à la cafétéria de l’hôpital. "J’ai toujours été mère, et n’ai jamais songé que j’étais une femme." "J’ai besoin de chaleur". L’ingestion d’alcools forts la lui procurera un certain temps. Elle aura le courage de les remplacer par un bol de bouillon brûlant. A son insatiable demande d’amour, s’oppose la froideur (et l’égoïsme) maternel. Elle rêve d’Iceberg. De cette mère, silencieuse et glacée, qu’elle n’évoquera qu’à la faveur de lapsus, d’oublis, elle ne dira presque rien. Dans les périodes de crise aigue, elle boit, avale, dévore tout ce qui lui tombe sous la main : Eau de Cologne, dissolvant, alcool à brûler, nourriture, équipe soignante. A plusieurs reprises elle est soupconnée de voler dans la caisse de la cafétéria, de cacher de l’alcool pour boire dans le service, et peut-être même, d’en fournir à d’autres. La jeune soeur mariée à un ouvrier qui a "fait fortune", mène grand train. Et le leitmotiv familial de s’instaurer : pourquoi avoir quitté un riche mari pour cette vie de misère et de débauche ? Car dans l’économie libidinale familiale l’argent est roi et la générosité n’est pas de mise. Les querelles d’héritage vont bon train. Mais c’est l’amour que Flora revendique encore et en corps. Cette riche famille lui fait toujours tout payer, y compris ce qui lui appartient. Avec Alain, rencontré à l’hôpital, elle va rejouer le même scénario.

Il va vivre chez elle, un certain temps, au grand dam de la famille. "Je suis une femme et j’ai droit à une vie". Très vite, Alain se fera absent, tel le père mort, et partira. Pour le retenir un temps, Flora lui donnera de l’argent, le plus d’argent possible ; puisque tel est toujours le désir de l’Autre. "Mon amour n’intéresse personne." Interminablement c’est le père au nom de la mère qu’elle boit. Des épisodes de confusion vont ponctuer son parcours avec l’alcool. De nombreuses T.S. à l’alcool et aux médicaments la conduiront fréquemment en réanimation ; jusqu’à un récent épisode d’encéphalopathie survenu lors de l’annonce des fiancialles du fils aîné ; ce qui la laissera confuse un mois. Devant cette famille Flora ne peut assumer son image : "J’ai tout raté". Elle redoute tout particulièrement la rencontre avec son ex-mari et sa nouvelle épouse. Elle déplore de ne pas avoir cet argent phallus pour le donner à ses fils, fascinés par la fortune paternelle. Une fois encore Flora arrête de boire, elle ne supporte plus l’alcool, le spectre de la détérioration se profile et elle le sait. Elle a remarqué ses pertes de mémoires, ses difficultés de concentration, ses troubles d’orientation etc... Dans l’après coup, les épisodes de confusion lui apparaissent comme autant de rêves dont elle peinerait à émerger. La maison qu’elle occupe est sans confort, et il faudra l’épisode d’encéphalopathie pour qu’on se décide "peut-être" à financer, avec son argent, l’installation d’une salle d’eau et des W.C.. "Serais-je la seule pour qui l’amour est plus important que l’argent ?" se lamente Flora. Coupable d’avoir abandonné la fortune conjugale, coupable d’avoir dilapidé l’héritage paternel, Flora dévore et détruit passionnément le phallus paternel, fut ce au prix de sa propre destruction ; cherchant en vain, à aimer et à se faire aimer plus que l’argent. Dans cette famille où l’argent est au delà de tout, la confusion entre amour et argent règne. Flora, bien que souffrant dans cette problèmatique n’a pu s’en défaire et n’a su trouver le chemin d’un amour gratuit. Sa tragique façon de faire, en miroir inverse ne la conduit qu’à une impasse. Etre aimée plus que l’argent, fut son impossible mission ; se priver d’argent pour signifier la gratuité de l’amour, fut son impossible fantasme.

De l’identification au père, où l’amour s’est réfugié, elle ne peut se déprendre. L’idée qu’un autre homme ait quelque chose à lui donner lui semble blasphématoire. L’horreur physique de la mère pour le père, reproduite lors du premier mariage, renforcera le clivage entre l’argent et l’amour. Ou elle est le père et achète l’autre comme un objet, au détriment de sa jouissance et de sa féminité ; ou elle est la mère et l’argent échoue à masquer sa désillusion. Sa propre destruction par l’alcool opère une identification à l’objet phallique paternel (c’est le négoce de l’alcool qui a enrichi le père : amour = argent = alcool) et vise à l’immortaliser dans l’histoire familiale. Malgré de nombreuses tentatives pour se soigner, aucune solution n’a pu émerger. C’est toujours par une idyllique lune de miel que Flora entame ses relations avec les équipes soignantes. Mais très vite le clivage apparaît décourageant les protagonistes, devenus les mauvais objets qui leur refusent l’amour qui lui est du, tout comme le fit autrefois sa propre mère. Le conflit entre le désir de se soigner et celui de se détruire fait rage. Inlassablement, Flora oscille entre l’amour et la destruction de l’amour. Et toujours l’alcool la ramène à sa jouissance de "ne pas l’être", pour en priver l’Autre, dieu silencieux vers lequel elle s’avance et qui ne lui rend que son abandon.