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lières de groupes d'employés pour déterminer ce que les modifications représentent pour eux. Quelles sont leurs appréhensions ? Quel sera l'impact, à leur avis, des change ments sur leur pratique ? On va creuser, on va se pencher sur l'évaluation négative. On va cerner les obstacles concrets. » Cette série d'ateliers peut ...
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QUAND LES CHANGEMENTS ORGANISATIONNELS DEVIENNENT TROP NOMBREUX QUEL EFFET CELA A-T-IL SUR VOUS ? Les changements organisationnels ne sont pas sans effets sur nous. Lorsqu’ils sont excessifs, ils peuvent entraîner des répercussions sur le plan émotif, cognitif et comportemental. Ils peuvent également mettre en action nos mécanismes de défense. Emmanuèle Garnier

Tout de suite son cerveau se met en marche. Inconsciemment, elle com­ mence à évaluer différents aspects des transformations : leur urgence, leur fré­ quence ainsi que la surcharge de travail et l’épuisement potentiel qu’elles peu­ vent occasionner.

Photo : HEC Montréal

« Dès qu’un employé apprend un chan­ gement, habituellement ces quatre éva­lua­tions se font automatiquement, avant même qu’il soit au courant de tous les détails », explique le Pr Kevin Johnson, professeur de gestion à HEC Montréal, qui étudie le phénomène. Pr Kevin Johnson

Les changements n’ont cessé de défer­ ler sur le milieu de la santé. Vous avez vu, au cours des dernières années, les établissements de soins se fusionner, la structure hiérarchique se métamorpho­ ser, les règles se modifier, les manières de procéder se transformer. Sans que vous vous en rendiez compte, toutes ces réorganisations ont pu avoir un effet sur vous. Maintenant, quand on vous annonce une autre restructuration vous vous sur­prenez peut-être à devenir cynique. Vous vous sentez plongé en pleine incertitude. Vous avez la tentation de résister au projet, ou même, de vous en désintéresser totalement. Mais peutêtre est-ce normal... Que se passe-t-il dans la tête d’une personne que l’on avise d’un nou­ veau changement organisationnel ?

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Pour commencer, on peut se sentir me­nacé si la modification a un caractère ur­gent. « C’est surtout lié à la pression éprouvée et au côté imposé du change­ ment. Quand les transformations sont urgentes, les gens sont contraints de réagir rapidement. Si, au contraire, elles ne sont pas pressantes, ils peuvent se dire qu’ils verront dans six mois. La si­ tuation est alors moins stressante. » Devant un nouveau changement or­ ganisationnel, on pense également à l’éven­tuelle surcharge de travail. « Elle est inévitable à considérer. C’est l’élé­ ment dont on entend le plus parler sur le terrain », explique le chercheur. Ins­ tinctivement, on mesure aussi notre ris­que d’épuisement. « On fait une au­toévaluation de nos ressources dis­ po­ni­bles. On mesure nos réserves et nos capacités. » Le dernier élément, la fréquence des mo­difications qui se sont succédé dans

Le Médecin du Québec, volume 52, numéro 3, mars 2017

notre milieu de travail, pèse également lourd dans notre évaluation de la situation. « Un rythme soutenu de changements empêche les gens de retourner à leur routine quoti­dienne ou de se remettre de la fatigue », écrivent le Pr Johnson et ses collaborateurs dans une récente étude sur le changement excessif, publiée dans le Journal of Managerial Psychology1. « Ce facteur est lié à la perception de rythme effréné et d’essoufflement », précise le chercheur. Ces quatre évaluations sont en fait des estimations de menace. Plus elles sont élevées, plus on se sent en péril. Elles peuvent déclencher certains de nos mécanismes de défense.

DES STRATÉGIES D’ADAPTATION Il existe plusieurs stratégies d’adapta­ tion négatives : entre autres le cynisme, des réactions à l’incertitude cognitive, la résistance et le désengagement. On risque de recourir en particulier à ces quatre mécanismes de défense quand on évalue défavorablement un projet qu’on juge trop précipité, qui survient après de trop fréquents changements et qui risque d’occasionner un surcroît de travail et un épuisement (figure 1). Le cynisme est, à lui seul, un puissant mécanisme d’adaptation quand on se sent saturé par les modifications, ex­ plique le Pr Johnson qui l’observe de plus en plus au sein du réseau de la santé. Il s’agit d’une érosion de la confiance dans les dirigeants. « La base du cynisme est dans la rationalisation de l’évène­ ment. On se dit : “Le problème ne vient

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pas de mon manque de capacités et de mon épuisement, mais de l’autre ou de la haute direction qui ne comprend pas les enjeux”. Plus il y a menace, plus il y aura de cynisme envers la direc­ tion. » Le cynisme constitue d’ailleurs un symptôme du « syndrome du change­ ment répétitif ». L’incertitude qui entoure souvent les trans­formations peut aussi déclen­ cher en nous des réactions hostiles. On est sou­vent dans le néant. On manque d’in­for­mation. « Il n’y a rien de pire que l’in­cer­ti­tude pour réagir défen­si­ vement. Com­ment me serait-il pos­si­ble d’être en mode résolution de pro­blème quand j’ignore quel est le pro­blème, quels sont les moyens dont on dispose, quels sont les échéanciers ? Quand le projet est, en outre, géré de façon par­ cellaire, j’ai encore moins de matériel cognitif pour prendre des décisions et résoudre les problèmes que me pose le changement. Je vais donc facilement être sur la défensive. Il me sera impos­ sible d’être productif, parce qu’il y a trop d’incertitude cognitive », précise le doc­ teur en gestion. Pour se protéger, on peut également tenter de résister aux changements annoncés. « On peut réagir en critiquant, en sabotant, en étant passif-agressif. Ce sont des comportements de résistance classiques. » Pour les gestionnaires, toutefois, le pire mécanisme de défense que l’on puisse adopter est le désen­ gagement. « Plus je suis désengagé à l’égard d’un projet, plus je m’en moque, explique le Pr Johnson. Il sera alors très lemedecinduquebec.org

FIGURE 1

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ÉVALUATION DES DIFFÉRENTS ASPECTS D’UN CHANGEMENT ET STRATÉGIES D’ADAPTATION Facteurs considérés dans l’évaluation d’un changement

Urgence du changement

Fréquence du changement

Surcharge de travail

Épuisement potentiel

Si l’évaluation est négative

Stratégies d’adaptation négatives

Résistance

Cynisme

Réactions à l’incertitude cognitive

Désengagement

Source : Johnson KJ, Bareil C, Giraud L et coll. Excessive change and coping in the working population. Journal of Managerial Psychology 2016 ; 31 (3) : 739-755.

difficile de m’entraîner dans un chan­ gement. Si au moins je contredis ou je m’oppose, il est encore possible de négo­ cier. Mais quand on est désengagé, on ne résiste même plus. Il reste alors très peu de leviers pour rétablir la situation. » Ces réactions d’adaptation négatives ne se manifestent toutefois pas fatalement devant un changement organisationnel important. En réalité, ce n’est pas l’évé­ nement en tant que tel, mais l’estimation que l’on en fait qui est liée à l’apparition des mécanismes de défense, a montré

le Pr Johnson dans une étude réalisée en France1. « Tout dépend de la manière dont on évalue la situation sur le plan affectif et cognitif », précise-t-il. Il serait donc possible d’échapper aux mécanismes d’adaptation négatifs. Et cela serait souhaitable. « Les straté­ gies défensives demandent beaucoup d’énergie, indique la Pre Céline Bareil, professeure à HEC Montréal, qui a col­ laboré avec le Pr Johnson à la recherche. Souvent le premier réflexe que l’on a est de s’opposer, de se plaindre, mais dans

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FIGURE 2

CARACTÉRISTIQUES ET EFFETS POSSIBLES D’UN CHANGEMENT EXCESSIF Caractéristiques du changement à considérer

Photo : HEC Montréal

Fréquence

Impact

Étendue

Si les trois caractéristiques sont présentes et importantes :

Pre Céline Bareil

le fond, c’est mal utiliser notre énergie. Nous en avons tous une quantité limi­ tée. Si on l’utilise à mauvais escient, notre santé va s’en ressentir. »

Changement excessif

Répercussions

Affectives

Cognitives

Comportementales

Épuisement émotionnel

Sentiment d’incertitude et de manque d’informations

Résistance au changement

FRÉQUENCE, ÉTENDUE, IMPACT Il existe des raisons précises pour les­ quelles une personne considère que les modifications organisationnelles qu’elle subit sont excessives. Le Pr Johnson s’est penché sur la question. « Presque par­ tout dans le système de santé, les gens disent : “Ici, il y a trop de changements.” Oui, mais pourquoi ? » Le chercheur a mis en lumière trois ca­rac­téristiques de l’excès de change­ ment : la fréquence, l’étendue et l’impact2. « Ces facteurs agissent ensemble, et il faut la présence des trois pour qu’il y ait excès. » La fréquence à laquelle surviennent les transformations est un facteur clé. « C’est davantage la fréquence des changements que leur impact qui fait qu’une personne trouve les modifica­ tions excessives. Des réorganisations peuvent donc avoir un gros impact sur moi personnellement, mon quotidien, mon nombre d’heures de travail, mais si elles ne sont pas fréquentes, ce ne sera pas aussi dommageable que l’inverse », mentionne le professeur.

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Source : Johnson KJ. The dimensions and effects of excessive change. Journal of Organizational Change Management 2016 ; 29 (3) : 445-459.

Parfois, d’ailleurs, les transformations sont tellement courantes qu’elles se télescopent. « Dans un organisme, plus les changements sont fréquents, plus ils se chevauchent, ce qui conduit potentiel­ lement à un excès d’initiatives, à un chaos lié aux transformations et à l’épui­sement professionnel », décrit le chercheur dans un récent article publié dans le Journal of Organizational Change Management 2. L’étendue du changement peut aussi être un facteur déstabilisant. Les mo­di­ fi­cations peuvent toucher les processus, les routines, les objectifs et la culture au sein de l’organisme. Le personnel peut en être ébranlé à différents de­grés. « Est-ce qu’on change mes procédures, mes structures, mes équipes, mon monde social en même temps ? Est-ce qu’on vient déranger plusieurs piliers de mon confort au travail ? », indique le Pr Johnson.

Le Médecin du Québec, volume 52, numéro 3, mars 2017

L’impact du changement, troisième élé­ ment, est la dimension qui nous atteint de manière plus personnelle. Il s’agit des effets des modifications sur nous, notre tâche et notre performance. « Jusqu’à quel point est-ce que les changements en cours transforment mes pratiques quotidiennes ? Est-ce qu’on me laisse certains refuges ? Est-ce que mon com­ portement et mes compétences sont remis en question ? Est-ce qu’on me laisse suffisamment de routines dans lesquelles je suis bien ? »

ATTEINTES SUR LE PLAN ÉMOTIF, COGNITIF ET COMPORTEMENTAL Qu’arrive-t-il quand un changement est excessif ? Quand il est trop étendu, a trop de conséquences et est trop rap­ proché des modifications précédentes ? Il toucherait alors les trois sphères de notre univers intérieur. Sur le plan émo­ tif, on ressentirait un épuisement ; sur le

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plan cognitif, de l’incertitude ; sur le plan comportemental, on se mettrait à résister (figure 2) (encadré).

ENCADRÉ

« Plus la fréquence, l’impact et l’étendue des changements sont élevés en même temps, plus on va avoir de l’épuisement émotionnel (un des trois facteurs de l’épuisement profes­ sionnel), plus on va également ressentir de l’incertitude dans notre environnement de travail (ce qui va nous empêcher d’être en mode résolution de problème), et plus on va avoir des comportements de résistance », résume le Pr Johnson.

Pour établir les liens entre les caractéristiques du changement excessif dans le milieu de travail et les effets que peut ressentir le personnel sur le plan cognitif, affectif et comportemental (figure 2), le Pr Kevin Johnson, de HEC Montréal, s’est servi d’observations qu’il a faites sur quelque 4000 personnes dans 15 établissements de soins québécois. Il s’est entre autres penché sur deux centres montréalais en train de se regrouper2.

Graduellement, l’épuisement, l’incertitude et le désir de résis­ ter peuvent devenir de plus en plus envahissants. Ils vont influer les uns sur les autres. « Plus on est épuisé, plus on voit de l’incertitude dans son environnement, moins on va soutenir les changements », explique le Pr Johnson. Mais le cercle vicieux tourne aussi dans l’autre sens. « Plus on résiste au changement et plus on ressent de l’incertitude, plus on s’épuise. C’est exténuant de se défendre contre une situation quotidienne qui ne change pas. »

Les employés étaient exaspérés. Fatigués. Ils étaient à nouveau plongés dans une fusion, quatre ans après en avoir vécu une première. Inquiets, les dirigeants des deux établissements ont sollicité les services du Pr Johnson pour savoir si leur personnel pouvait faire face à d’autres transformations. « Le but était d’accompagner la direction dans le projet de fusion. Les employés des deux établissements avaient subi dans le passé énormément de changements qui s’étaient mal déroulés », raconte le chercheur.

L’incertitude cognitive, symptôme d’une carence en informa­ tion, joue un rôle central. « Personne ne me met au courant, ne me renseigne, donc tranquillement je m’épuise. Je deviens alors de plus en plus fermé. Je suis de moins en moins ouvert à comprendre et à me laisser convaincre. » À la longue, on peut se sentir aspiré vers le fond. « Si je me défends constamment contre les changements et qu’il y en a toujours, c’est nécessairement un combat perdu d’avance. Les demandes deviennent trop grandes pour mes ressources. »

DE NOUVELLES MANIÈRES DE PROCÉDER Que faire quand on est soi-même gestionnaire et qu’on doit mener une réorganisation ? Quelles mesures adopter quand les transformations paraissent excessives aux yeux de ceux qui les subissent ? « On doit essayer de trouver le levier qu’on peut gérer, répond le Pr Johnson. Ainsi, s’il est impossible de diminuer la fréquence des changements, on doit tenter de réduire leur impact ou leur étendue. » L’exemple à éviter ? La mise en œuvre de la loi 10*. « La ré­forme a été lancée d’un coup, avec urgence. On avait déjà une fréquence élevée de changements dans le milieu de la santé. Les directions des établissements n’ont pas eu le temps de planifier la restructuration correctement, et, par conséquent, le rythme a été maintenu. L’impact, pour sa part, a été très grand sur tout le monde. L’étendue de la restruc­ turation, elle, était considérable. On mettait des cadres à la porte, on modifiait des équipes, on changeait des procédures. Et il y avait une incertitude monstrueuse. Les gens voyaient autour d’eux des collègues perdre leur emploi ou s’épuiser. * Nom exact de la loi : Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales.

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OBSERVATIONS SUR LE TERRAIN

Le professeur a fait parvenir aux 807 employés des deux établissements un sondage en ligne auquel 363 ont répondu. Ils devaient indiquer à quel point ils étaient en accord ou en désaccord avec des affirmations telles que : « J’ai l’impression qu’il y a toujours du changement », « Je sens que mon travail m’épuise », « Mon environnement de travail change de manière imprévisible ». Les résultats ont révélé que les employés vivaient un excès de changements. Le Pr Johnson a pu établir que leurs perceptions du rythme, de l’étendue et de l’impact des modifications étaient liées à leur épuisement émotionnel, à leur sentiment d’incertitude et à leur résistance au projet. L’histoire se termine mal, mais pas pour les raisons auxquelles on pourrait s’attendre. Le personnel a finalement travaillé deux ans à la fusion. Mais en vain. Parce que dans le réseau de la santé, les réorganisations ne cessent de se succéder. « Qu’arriverait-il si la réforme issue de la loi 10 avait eu comme effet de détruire les efforts des deux établissements en les refusionnant avec d’autres partenaires ? », demande le Pr Johnson.

Il est fondamental de donner au personnel des moyens de prévoir ce qui s’en vient et ainsi d’avoir une emprise sur ce qui lui arrive. » L’incertitude peut, entre autres, empêcher les employés d’uti­ liser leurs pleines capacités. Le personnel du milieu de la santé est à la fois intelligent et compétent, estime le Pr John­ son. « On tente de recruter les meilleurs, on les a, mais on ne leur permet pas d’utiliser leurs aptitudes. Ils pourraient gérer des changements qui les touchent, mais on ne leur donne pas de leviers ni surtout les renseignements nécessaires. » La diffusion d’informations est l’une des clés de la réussite. « Si je ne peux prédire ni les conséquences ni le déroulement d’un changement, comment puis-je être proactif ? Je ne sais

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pas quoi faire. Je vais donc attendre et, au pire, j’agirai de façon réactive et donc souvent de manière défensive. » Mais malgré l’épisode de la loi 10, le tableau n’est peut-être pas si sombre dans le réseau de la santé. Certains centres intégrés de santé et de services sociaux font déjà des efforts pour réduire les effets des transformations sur leur personnel.

GÉRER LES ASPECTS POSITIFS ET NÉGATIFS Comme gestionnaire, l’un des aspects à aborder de front est la vision qu’a le personnel de la restructuration. Sa façon de réagir ne tiendra pas qu’à la taille réelle des modifications ou à la surcharge effective de travail. « Il y a des personnes qui, dans un contexte saturé de changements, seront capables de réagir de façon positive. Le point à gérer sur le terrain est l’évaluation », soutient le Pr Johnson. Il faut donc tenir compte de la manière dont les employés voient la fréquence des modifications, leur urgence, l’éventuel surplus de travail qu’ils pourront avoir et leur épuisement possible. « Ce n’est pas suffisant de faire de grands discours sur les côtés positifs des changements, il faut aussi avoir le courage de s’occuper des côtés négatifs. » Comment s’y prendre ? « On peut commencer par normaliser le côté émotionnel des changements en reconnaissant que les gens peuvent avoir peur de la surcharge, de l’épuisement, du sentiment d’urgence et de la pression qui y est associée. Il faut leur montrer qu’ils ne sont pas isolés ni seuls avec leurs estimations négatives et leurs réactions. C’est en s’occupant des éléments négatifs de l’évaluation qu’on sera en mesure de réduire les mécanismes d’adaptation défensifs comme le cynisme, l’incertitude, la résistance et le désengagement. » Concrètement, on peut procéder par réunions ou ateliers. Le but est « l’autonomisation » (empowerment). Il faut miser sur la responsabilisation du personnel et son intelligence col­ lective, estime le chercheur. « À la suite de l’annonce d’un changement, on peut décider de tenir des réunions régu­ lières de groupes d’employés pour déterminer ce que les modifications représentent pour eux. Quelles sont leurs appréhensions ? Quel sera l’impact, à leur avis, des change­ ments sur leur pratique ? On va creuser, on va se pencher sur l’évaluation négative. On va cerner les obstacles concrets. » Cette série d’ateliers peut être suivie d’une seconde. L’objectif cette fois : planifier le changement et réduire les obstacles. On doit prévoir les interventions à mettre en place. « Ce sont des ateliers dirigés dans lesquels les gens deviennent parties prenantes du changement. Le gestionnaire et les employés pourront déterminer ce dont ils ont besoin, du temps qu’il leur faudra, et surtout, la manière dont les obstacles seront sur­ montés. Les gens ne sont plus passifs ; ils deviennent actifs. Il s’agit d’une approche constructive axée sur la résolution de problème », mentionne le docteur en gestion.

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Le Médecin du Québec, volume 52, numéro 3, mars 2017

SE DÉSENGAGER OU NON ? Quand on est, non pas un gestionnaire, mais un membre du personnel pris dans la tourmente d’une nouvelle réforme, la perspective est différente. Les modifications proposées peuvent nous paraître néfastes, contre-productives, rétro­ grades. On ne croit pas en leur utilité. Faut-il y participer ? Ne pas y participer ? Il n’y a pas de bonne réponse, reconnaît le Pr Johnson. D’un côté, il est rationnel de rejeter des transformations que l’on réprouve. Et c’est aussi humain. « Tout changement peut constituer un stress, et il est normal et sain de vouloir s’en défendre », indique le professeur. D’un autre côté, une stratégie comme le désengagement a des effets néfastes. « Plus je réagis de façon défensive, plus je nuis à mon bien-être, à ma qualité de vie ainsi qu’à ma santé psychologique et physique. Il ne faut pas oublier que si des émotions négatives me grugent et commencent à m’affecter, j’en suis en partie responsable. Plus je rejette la faute sur une source externe, plus je vais être sur la défensive et déprimé. Plus je me prive de moyens. » Au travail, le retrait expose à l’exclusion et à la marginalisation. « Les gestionnaires et les autres personnes ne m’incluront pas dans leurs démarches. Plus l’organisme va changer, plus je serai isolé socialement et professionnellement. En me retirant totalement des changements, je nuis à ma qualité de vie au travail », avertit le Pr Johnson. Mais parfois, à travers les bouleversements d’une restruc­ turation, on peut apercevoir une ouverture, une fenêtre, une occasion à saisir. « On peut profiter d’une réforme pour rêver, innover, se laisser inspirer par tout ce qu’elle propose au lieu de voir uniquement son côté restreignant et obligatoire, fait valoir la Pre Bareil. Je pense qu’une réorganisation est une excellente occasion de revoir ses pratiques et de se dire : “Est-ce qu’on ne pourrait pas rêver à ce que pourrait être le réseau maintenant qu’il est en transformation ?” Tout le monde est d’accord avec la finalité, qui peut être un meil­ leur accès aux soins pour les patients. C’est souvent avec les moyens qu’on n’est pas d’accord. Au cours d’une réorganisa­ tion, cependant, il y a beaucoup de moyens qui sont mis sur la table. Les gens ont une grande marge de manœuvre. Ils ont des contraintes, soit, mais aussi beaucoup de possibilités. Il faut rêver, visualiser, réfléchir. C’est un moment privilégié parce qu’on est à la croisée des chemins. » //

BIBLIOGRAPHIE 1. Johnson KJ, Bareil C, Giraud L et coll. Excessive change and coping in the working population. Journal of Managerial Psychology 2016 ; 31 (3) : 739-755. 2. Johnson KJ. The dimensions and effects of excessive change. Journal of Organizational Change Management 2016 ; 29 (3) : 445-459.