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PLACE PUBLIQUE
Quelle crise mondiale de l’eau ? Par Frédéric Julien L’auteur est doctorant en science politique et membre du Laboratoire d’études et de recherches en sciences sociales sur l’eau (LERSS-eau) à l’Université d’Ottawa. En peignant une pipe avec sa légende « Ceci
être à court d’eau, images de terres desséchées et
n’est pas une pipe », Magritte a montré dans
craquelées à l’appui. En fait, souligne-t-on, l’accès
La trahison des images que nier une évidence
à l’eau de centaines de millions de personnes est
peut servir à provoquer la réflexion sur le réel et sa représentation. Convaincu de la valeur
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toutes les huit secondes. Pour éprouvante que soit cette réalité, la
mondiale de l’eau (22 mars) par une telle
qualifier de « crise mondiale de l’eau » ne convient
provocation surréaliste : non, l’humanité ne fait
peut-être pas. D’abord, s’agit-il d’une « crise » ? 25
Pas nécessairement, du moins si on part du
Si la première grande rencontre internationale
principe qu’une crise correspond à l’aggravation
sur l’eau remonte à 1977, ce n’est que dans les
subite d’une situation. Or, la première grande
deux dernières décennies que s’est construite l’idée
rencontre internationale sur l’eau évoquée plus
selon laquelle nous serions confrontés à une
haut – tenue il y a plus de 30 ans – visait déjà à
« crise mondiale de l’eau ». Depuis le début des 15
déjà déficient, au point où un enfant en meurt
du procédé, je propose de souligner la Journée
pas face à une crise mondiale de l’eau. les classes où le manuel Zénith est utilisé.
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s’attaquer au drame de l’accès à l’eau déficient à
années 90 se succèdent en effet les reportages-
l’échelle mondiale. La Décennie internationale de
chocs annonçant que l’humanité pourrait bientôt
l’eau potable et de l’assainissement (1981-1990)
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définitivement le problème... Il ne s’agit pas ici de
ce sont les ressources disponibles localement ou
banaliser la situation actuelle en lui retirant son
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statut de « crise » ; au contraire, elle est d’autant
communautés souffrent d’un accès à l’eau défi-
plus tragique que le problème semble chronique.
cient un peu partout sur la planète, y compris au
Évidemment, vu le nombre scandaleusement
Canada, il reste que le problème est fortement
élevé de personnes dont l’accès à l’eau est défi-
concentré dans certaines zones, l’Afrique subsa-
cient, nier le caractère mondial du phénomène
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harienne en premier lieu.
paraît absurde. À tout le moins, ce caractère
Il est vrai qu’il existe une telle chose que le
mondial peut être qualifié. C’est-à-dire qu’il n’est
cycle hydrologique global et que l’humain a une
pas tant question d’une crise unique s’abattant
influence sur celui-ci, notamment à travers les
sur la planète, que d’une myriade de crises de
changements climatiques, qu’il favorise. Toutefois,
l’eau locales et régionales. Autrement dit, l’utili-
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cela ne signifie pas que l’humanité tienne l’eau
sation que fait la population québécoise de
en partage de la même manière que l’atmo-
l’eau, mal avisée ou non, a peu à voir avec la
sphère, véritable « poubelle commune » pour
soif dans le monde : la consommation d’eau est
gaz à effet de serre.
localisée et ne relève pas d’un marché unifié. 50
à l’intérieur d’un bassin versant. D’ailleurs, si des
En ce sens, il est partiellement trompeur de
Et puis même si l’ensemble de l’humanité 70
tirait son eau d’un puits unique, on peut être
parler de « réserves d’eau mondiales » et de
assuré que celui-ci ne serait jamais à sec, au
« demande mondiale en eau ». Ce qui importe du
sens où en matière d’eau, rien ne se perd, rien ne
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point de vue de l’accès à l’eau des populations,
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qui s’ensuivit avait d’ailleurs pour objectif de régler
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85 les classes où le manuel Zénith est utilisé.
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se crée, tout se transforme. Il y a aujourd’hui autant
Au demeurant, dans la mesure où la problé-
d’eau sur Terre qu’à l'époque lointaine où l’homo
matique de l’eau renvoie d’abord à la mort et à
sapiens était encore un chasseur-cueilleur.
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Si la ressource est bel et bien finie, limitée,
chaque année, parler de crise de l’eau devient
elle n’en est pas nécessairement rare pour autant,
carrément insensé. De fait, virtuellement partout
des quantités colossales d’eau étant continuel-
sur la planète on trouve suffisamment d’eau pour
lement recyclées à travers le cycle hydrologique.
répondre aux besoins fondamentaux de chacun.
De cet angle, il n’en tient qu’à nous de vivre à
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Le problème se situe plutôt du côté de la
l’intérieur des limites hydrologiques naturelles.
distribution : un manque cruel d’infrastructures, de
Certes, on peut accélérer le cycle grâce au dessa-
capacité institutionnelle ainsi que de ressources
lement de l’eau de mer ou saumâtre, mais pour
humaines et financières est le premier responsable
l’essentiel, il faut savoir hiérarchiser nos usages
du pauvre accès à l’eau à l’échelle mondiale. Ceci
et en améliorer l’efficience. Globalement, ce n’est
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n’est pas une crise de l’eau, c’est un problème politique.
donc pas une crise de l’eau comme telle qu’il faut
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l’atteinte à la dignité de millions de personnes
redouter, mais une mauvaise gestion ou gouver-
Bien entendu, parler ou non de crise mondiale
nance de la ressource. D’ailleurs, l’impact des
de l’eau ne change rien à la matérialité des défis
changements climatiques sur la disponibilité de
auxquels l’humanité fait face. Et puis, interprétée
l’eau dans le monde est bien moins à craindre
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différemment, la situation actuelle peut légitime-
que celui des croissances démographique et
ment justifier la notion d’une crise mondiale de
économique à venir.
l’eau. Je l’ai annoncé d’emblée, la présente
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Quelle crise mondiale de l’eau ? (suite) de l’eau la subissent déjà depuis longtemps et
réflexion se voulait provocante, quitte à forcer le trait. Il reste que les idées reçues peuvent parfois
ont en commun d’être pauvres et marginalisées.
camoufler certaines vérités dérangeantes ou
Cette crise n’est pas une fatalité imposée de
détourner de l’essentiel.
l’extérieur : l’humanité n’est pas près de manquer
Or, il se trouve que les populations qui
d’eau. Reflet d’un monde profondément injuste,
souffrent et souffriront le plus de la crise mondiale
elle est plutôt notre fait et notre responsabilité. Frédéric JULIEN, « Quelle crise mondiale de l’eau ? », Cyberpresse, 17 mars 2010 [en ligne].
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