Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité 113

27 févr. 2019 - En outre, les CER présentent des forces .... organisations régionales, peut dans certains cas être contre-productive. Tel est le cas lorsque ...
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INSTITUT D’ÉTUDES DE SÉCURITÉ

NUMÉRO 113 | MAI 2019

Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité

Coup de projecteur sur les Communautés économiques régionales La première réunion de coordination de l’UA avec les CER suscite des attentes Y a-t-il véritablement une CER dans le Nord ? L’Afrique du Sud parviendra-t-elle à rapprocher l’UA et la SADC ? Les turbulences au sein de la Communauté de l’Afrique de l’Est L’Union africaine reprend le leadership en Afrique centrale La CEDEAO aux prises avec l’extrémisme violent La Corne de l’Afrique devrait renforcer la participation citoyenne

La réunion de coordination de l’UA avec les CER suscite des attentes L’Union africaine (UA) tiendra sa première réunion semestrielle de coordination avec les communautés économiques régionales (CER) en juillet 2019, à Niamey, la capitale du Niger. Cette rencontre s’inscrit dans le cadre de la réforme institutionnelle de l’organisation continentale, et plus particulièrement dans les débats entourant la division du travail entre l’UA et les CER. L’UA a accordé un statut de CER à huit organisations régionales extrêmement diverses à bien des égards. Il s’agit de l’Union du Maghreb arabe (UMA), du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), de la Communauté des États sahélo-sahariens (CENSAD), de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC). Ces CER ont été instituées à différentes époques avec des mandats divers et ont évolué chacune à leur manière. En outre, les CER présentent des forces et des faiblesses distinctes. Certaines d’entre elles, comme la CEDEAO, sont par exemple en mesure de mener à bien des mandats ambitieux, tandis que d’autres, comme la CEEAC, manquent des capacités et de la volonté politique pour agir quand l’un de leurs États membres est en crise. D’autres encore, comme l’UMA, sont paralysées par des luttes intestines et ne sont donc pas fonctionnelles.

Président actuel du CPS Son Excellence Madame Hope Tumukunde Gasatura, ambassadrice du Rwanda en Ethiopie et représentante permanente auprès de l’UA.

Les membres actuels du CPS sont l’Algérie, l’Angola, Djibouti, le Gabon, la Guinée Equatoriale, le Kenya, le Lesotho, le Liberia, le Maroc, le Nigeria, la République du Congo, le Rwanda, la Sierra Leone, le Togo et le Zimbabwe

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Paradoxalement, la genèse des efforts de coordination des relations entre l’UA et les CER est à chercher dans ce que certains analystes considèrent comme le péché originel, à savoir la décision, prise lors de la création de l’OUA (Organisation de l’unité africaine), de procéder à l’intégration progressive des régions. À l’époque, l’idée était de favoriser « l’intégration ici et maintenant », une option promue par l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi et ses alliés, mais qui a par la suite été abandonnée.

Résoudre le problème de la division du travail Afin que les décisions concernant la future répartition des tâches entre l’UA et les CER soient appropriées, il est indispensable de bien comprendre la situation de chaque CER, ainsi que l’évolution de ses relations avec l’UA. Si la répartition des rôles est susceptible de toucher plusieurs domaines, l’une des principales priorités doit être l’amélioration de la paix, de la sécurité et de la gouvernance. Ainsi, l’édition de ce mois-ci du Rapport sur le CPS analyse, à l’aide d’exemples concrets, les défis potentiels auxquels six des huit CER sont

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confrontées et les conséquences pour la division du travail avec l’UA, dans les domaines suivants : la paix et la sécurité, la gouvernance, les élections, l’intégration économique, la participation de la société civile et la lutte contre le terrorisme. Les relations entre l’UA et les CER et la clarification de la répartition des tâches soulèvent divers problèmes, qui vont du manque de capacités de certaines CER aux contraintes financières. Autre obstacle potentiellement insurmontable, la difficulté que semblent avoir l’UA et les CER à trouver un équilibre entre une institutionnalisation adéquate de leurs relations et une flexibilité permettant de parer à l’évolution rapide des situations et des menaces sur le terrain.

Une subsidiarité fondée sur les avantages comparatifs Un consensus se dégage sur la possibilité de trouver un terrain d’entente grâce à une forme de « subsidiarité fonctionnelle », en plaçant, en partie et dans la mesure du possible, les avantages comparatifs au centre de la division du travail entre l’UA et les CER.

L’approche descendante, c’est-à-dire lorsque l’initiative vient de l’ONU ou de l’UA, est elle-même confrontée à ses propres défis La subsidiarité est communément comprise comme le principe qui laisse aux organisations régionales l’initiative d’intervenir en cas de crise dans leur région ou juridiction politique respectives. Ce principe se base sur la reconnaissance du fait que les CER sont parfois en meilleure position pour traiter les problèmes survenant dans leurs États membres. Toutefois, le concept de subsidiarité reste lui aussi flou. En conséquence, la manière dont il a été appliqué au fil des ans n’a pas aidé à améliorer la collaboration entre l’UA et les CER, comme en témoignent les cas analysés dans ce numéro spécial du Rapport sur le CPS. Les défis que la subsidiarité pose aux relations entre l’UA et les CER affectent par ailleurs également les relations entre les Nations unies (ONU) et l’UA (et par extension les CER).

Une approche ascendante ou descendante ? La subsidiarité ascendante, c’est-à-dire la prise d’initiatives des organisations régionales, peut dans certains cas être contre-productive. Tel est le cas lorsque celles-ci n’ont pas la capacité et/ou la volonté politique de s’attaquer efficacement aux problèmes. De même, les tensions entourant la gestion d’une initiative donnée peuvent nuire aux relations entre l’UA et les CER (et entre l’UA et l’ONU). L’approche descendante, c’est-à-dire lorsque l’initiative vient de l’ONU ou de l’UA, est elle-même confrontée à ses propres défis, tels que les incompréhensions, l’impartialité ou encore la lenteur et la pertinence des réponses apportées.

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COMMUNAUTÉS ÉCONOMIQUES RÉGIONALES

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Ces reproches sont souvent adressés à l’ONU et, parfois, à l’UA. Même dans les cas où le principe de subsidiarité a été invoqué pour faire face à une crise régionale, la question de savoir si un dossier devait être repris par l’UA a été posée. En témoignent, par exemple, la gestion de la crise centrafricaine par l’UA et la CEEAC (et dans une certaine mesure l’ONU) lors de sa première apparition entre 2012 et 2014, et les avancées réalisées depuis que l’UA a repris les commandes des efforts de paix en République centrafricaine (RCA) fin 2016. La CEEAC a pris les rênes du processus de paix en RCA fin 2012 et s’est montrée extrêmement réticente à céder la main à l’UA lorsque la situation s’est aggravée après la chute de François Bozizé en mars 2013. La mission de paix de la CEEAC en RCA a finalement été placée sous l’égide officielle de l’UA, mais l’organisation sous-régionale s’est efforcée de garder le contrôle de la gestion de la crise. Cette vaine querelle de pouvoir s’est faite au détriment d’une collaboration efficace entre l’UA et la CEEAC.

La CEDEAO et l’UA sont aux prises avec la question du terrorisme et l’émergence de dispositifs ad hoc de riposte face à ce fléau Plus récemment, la saga entre l’UA et la SADC au sujet du contentieux électoral en République démocratique du Congo (RDC) constitue un autre témoignage des défis de la subsidiarité. Le désaccord entre l’UA et la SADC portait sur le règlement du différend électoral en RDC, à la suite de forts soupçons de fraudes dans le processus électoral. Par ailleurs, le cas abondamment documenté du rôle de la CEDEAO en Gambie en 2017 démontre à quel point la subsidiarité peut s’avérer fructueuse, lorsqu’elle est appliquée efficacement. Les dirigeants de la CEDEAO sont parvenus à négocier le départ de l’ancien homme fort du pays, Yahya Jammeh, qui s’accrochait au pouvoir bien qu’il ait perdu les élections. En outre, la CEDEAO et l’UA sont aux prises avec la question du terrorisme et l’émergence de dispositifs ad hoc de riposte face à ce fléau. Ces dispositifs peuvent limiter la possibilité pour la CEDEAO d’apprendre à contrer cette menace.

Juillet 2019 RÉUNION SEMESTRIELLE DE COORDINATION

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Les disparités qui existent entre les différentes CER attestent une fois de plus que la division du travail avec l’UA devra se faire au cas par cas, en gardant toujours à l’esprit la question de la subsidiarité. L’objectif est de parvenir à une répartition des rôles fonctionnelle, qui soit bénéfique pour le continent. Le sommet de juillet 2019 devra marquer le point de départ d’une initiative décisive qui aura pour visée de relever les défis inhérents aux relations UA-CER.

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Les bénéfices pour l’Afrique du Nord d’une organisation régionale fonctionnelle Le principe de subsidiarité de l’UA — la règle informelle selon laquelle les communautés économiques régionales (CER) doivent prendre l’initiative de la résolution des conflits dans leur région — est mis à rude épreuve en Afrique du Nord. Les efforts de résolution du conflit en Libye auraient sans doute bénéficié de l’existence d’une organisation régionale forte, à même d’exercer les pouvoirs et les responsabilités que lui confère ce principe de subsidiarité. Pourtant, la région pâtit à la fois du conflit qui oppose l’Algérie et le Maroc et de l’absence de l’Égypte de sa seule CER, créée pour la première fois en 1989. Le retour du Maroc au sein de l’UA en 2017 aurait pu relancer l’espoir d’une revitalisation de l’Union du Maghreb arabe (UMA). Lors d’une visite au Maroc en juin 2018, le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, a en effet soulevé la question, signe possible que l’Afrique du Nord pourrait à terme se doter d’une organisation régionale opérante. Un tel développement permettrait notamment le déploiement de la capacité régionale nord-africaine (NARC) dans le cadre de la Force africaine en attente (FAA).

Y a-t-il véritablement une CER dans le Nord ? La principale CER en Afrique du Nord est l’UMA, fondée il y a 30 ans au Maroc, et dont les membres sont l’Algérie, la Libye, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie. Véritable tentative de rapprochement des États membres dans un contexte de rivalité politique, l’UMA a été minée par les accusations d’ingérence et par les antagonismes entre pays pour une hégémonie régionale. L’UMA, dont la dernière réunion de haut niveau remonte à 2008, est inactive et n’est pas en mesure d’assumer des responsabilités. Toutefois, certaines évolutions dans la région, comme le retour du Maroc au sein de l’UA, pourraient contribuer à relancer l’organisation. En outre, les changements de gouvernement en Algérie et en Libye pourraient améliorer la situation dans la région et contribuer à la réactivation de l’UMA.

Néanmoins, l’organisation est confrontée à des défis de représentation et de légitimité, certains États membres de l’UA tels que l’Égypte et le Sahara occidental n’appartenant toujours pas à la communauté régionale. Il est donc difficile pour l’UMA de se positionner en tant que représentante de l’UA en Afrique du Nord.

Concurrence et chevauchements Les États membres de l’UA en Afrique du Nord adhèrent à plusieurs CER et mécanismes régionaux (RM) qui se recoupent, dont l’UMA, la Communauté des États sahélo-sahariens (CENSAD) et le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA). Aucun État d’Afrique du Nord n’est membre d’une seule CER. À l’exception de l’Algérie et du Sahara occidental, tous les États d’Afrique du Nord adhèrent à la CENSAD, qui compte 29 membres. La CEN-SAD, qui a été fondée et financée par l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, est confrontée à de nombreux défis depuis la chute de ce dernier en 2011.

Les États membres de l’UA en Afrique du Nord adhèrent à plusieurs CER et mécanismes régionaux qui se recoupent La CEN-SAD et le COMESA ont pour mandat d’aborder les questions de paix et de sécurité. Cependant, nombre d’États membres de la CEN-SAD et du COMESA sont originaires d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Est, et sont donc également membres d’autres CER plus avancées dans le traitement de ces questions. Il en résulte un vide, puisqu’il n’y a pas de CER fonctionnelle capable d’assumer la responsabilité première d’assurer la paix et la stabilité en Afrique du Nord.

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Ces chevauchements dans la composition, les mandats et les priorités des CER donnent également lieu à une concurrence pour des ressources financières insuffisantes, en particulier celles collectées auprès des États membres. La mise en œuvre de la vision des CER, notamment dans le domaine de la paix et de la sécurité, s’en trouve donc entravée. Dans ce scénario, il est difficile de répartir les rôles non seulement entre l’UA et les CER, mais aussi entre les CER qui opèrent en Afrique du Nord.

Un mandat d’intervention pour la paix et la sécurité L’UMA a d’abord eu pour mission de mettre sur pied la Brigade Nord de la FAA, toutefois sans succès, le Maroc n’étant pas à l’époque membre de l’UA. Cela a conduit à la création de la NARC, basée en Égypte et indépendante de toute CER, qui n’a jamais été déployée. Il reste à déterminer si le commandement de la NARC doit être assuré par l’UA ou par une CER.

Le principe de subsidiarité pose de réelles difficultés lorsqu’il existe un conflit d’intérêts apparent Le Maroc n’est toujours pas un membre contributeur de la NARC, car le Sahara occidental — qui n’est pas reconnu par le Maroc — en est un. Rabat semble également entretenir des relations difficiles avec l’Égypte. Les autorités marocaines ont en effet critiqué le président Abdel Fattah el-Sissi pour son coup d’État contre le président élu Mohamed Morsi en 2013. On reproche par ailleurs au Maroc d’avoir ignoré l’appel de l’Égypte à rejoindre l’UMA. La NARC peinerait donc à obtenir le soutien et l’engagement politiques nécessaires au déploiement d’une mission dans une région en proie à de fortes rivalités et où les programmes politiques des États membres diffèrent tant.

Un manque de cohérence entre les objectifs et les actions de l’UA Le principe de subsidiarité pose de réelles difficultés, surtout lorsque la position des CER contraste avec celle du Conseil de paix et de sécurité (CPS) ou de

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la Conférence de l’UA, ou lorsqu’il existe un conflit d’intérêts apparent. Ces tensions ont des conséquences importantes sur la cohérence entre les objectifs et les actions de l’UA. Cela est particulièrement évident dans les situations où des organisations non africaines exercent une influence indue, comme dans le cas de la Ligue des États arabes (LEA) en Afrique du Nord. Dans un geste qui illustrait les divisions de l’Afrique au sujet de la Libye, la préférence de certains États nord-africains pour la position de la LEA au détriment de l’appel de l’UA en faveur d’une « transition inclusive » en Libye a légitimé l’intervention militaire de 2011. Cette différence de vues est annonciatrice d’autres défis. Les divergences d’objectifs et d’aspirations de l’UA et de la LEA, notamment le rejet de l’organisation panafricaine des changements anticonstitutionnels de gouvernement, en seront à l’origine. La LEA ne partage effectivement pas cette position, comme l’illustre son soutien antérieur à la destitution de Kadhafi.

Relever le défi de la subsidiarité La première étape de l’application du principe de subsidiarité dans la définition de la répartition des tâches entre l’UA et les CER — l’un des objectifs des réformes de l’UA — consiste à définir ce qu’il signifie en termes juridiques, à déterminer quand il peut être appliqué et quel organe doit décider de sa mise en œuvre. Des politiques et des plans d’action clairs doivent être établis pour préciser les responsabilités que les CER peuvent assumer en toute indépendance, tant au niveau politique que technique. Une telle articulation devrait en fin de compte permettre de surmonter les tensions et les contradictions au sein de l’UA qui résultent du protocole relatif au CPS et du protocole d’accord entre l’UA et les CER/RM. Ces documents donnent à la fois la primauté à l’UA et aux CER. Les modalités d’application du principe de subsidiarité devraient être précisées lorsque la position d’une CER diffère de celle du CPS ou de la Conférence de l’UA, ou lorsqu’il y a apparence de conflit d’intérêts. Ainsi, la répartition des tâches entre l’UA et les CER/MR devrait être définie sur la base d’une expérience tangible plutôt que sur des principes abstraits. Les enseignements tirés des expériences de collaboration entre l’UA et les CER devraient guider le

Carte 1 : L’Union du Maghreb arabe Tunisie

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Mozambique

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OCÉAN ATLANTIQUE

ie

Afrique du Sud

processus de définition de la répartition des rôles. Celui de l’UA en tant qu’organisation chef de file dans la prise de décision et la coordination au niveau politique devrait également être précisé en des termes dénués d’ambiguïté.

Les enseignements tirés des expériences de collaboration entre l’UA et les CER devraient guider le processus de définition de la répartition des rôles Le principe de subsidiarité ne peut être appliqué sans la présence d’une CER principale en mesure d’assumer la responsabilité de garantir la paix et la stabilité. Sans une telle organisation régionale, les retards dans la réaction aux situations de crise sont inévitables. L’UMA devra donc assumer le rôle prépondérant de représentant régional en Afrique du Nord. Elle devra être plus représentative en surmontant les rivalités intrarégionales qui continuent à l’affaiblir. Il s’agit-là de la seule façon pour l’UMA d’obtenir la légitimité nécessaire pour pouvoir intervenir en cas de crise et pour assurer la coordination et le commandement de la NARC si le CPS venait à approuver le déploiement d’une mission de paix dans la région.

La Ligue des États arabes S’EST PRONONCÉE EN 2011 SUR LA SITUATION EN LIBYE

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L’Afrique du Sud parviendra-t-elle à rapprocher l’UA et la SADC ? Le 29 avril 2019, lors d’une conférence de presse à Pretoria, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) a annoncé le lancement d’une mission d’observation électorale en Afrique du Sud. Quelques jours plus tard, l’UA a également déclaré l’envoi d’une équipe de 30 observateurs, dirigée par l’ancien président tanzanien Jakaya Kikwete, pour ces élections générales prévues le 8 mai. Cet effort conjoint entre l’UA et la communauté économique régionale (CER) n’a rien d’inhabituel. Les deux organisations ont en effet déjà collaboré dans des circonstances similaires lors de processus électoraux, notamment au Zimbabwe, à Madagascar, et au Lesotho. Toutefois, l’UA et la SADC ne s’entendent pas toujours sur l’attitude à adopter face à des élections controversées. Ces derniers mois, les deux organisations ont également été en profond désaccord concernant les négociations post-Cotonou et certains éléments clés des réformes de l’UA. Paradoxalement, une partie des réformes de l’UA consiste à renforcer les synergies entre l’UA et les CER — un processus que l’organisation panafricaine entend lancer lors du prochain sommet de l’UA qui se déroulera à Niamey au Niger en juillet 2019. L’Afrique du Sud sera probablement appelée à jouer un rôle central dans les relations entre l’UA et la SADC. Pretoria, qui constitue la superpuissance de l’Afrique australe, occupera la présidence tournante de l’UA à partir de janvier 2020. Elle devra donc prendre la situation en main en cas de différend. Elle pourra aussi saisir cette occasion pour tenter de réconcilier les deux organisations.

Des désaccords au sujet de la RDC En début d’année, la SADC et l’UA ont été fortement divisées au sujet de la crise qui secoue la République démocratique du Congo (RDC) depuis les élections controversées du 30 décembre 2018. La SADC et l’UA ont été les seules organisations autorisées par le gouvernement congolais à observer ce scrutin explosif qui a été différé pendant deux ans. L’équipe d’observateurs de la SADC, composée de près d’une centaine de personnes, a quitté le pays immédiatement après le scrutin et avant l’annonce des résultats. Elle a déclaré que les élections avaient été « relativement bien gérées ». Après des dissensions

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initiales au sein de sa propre organisation, le président en exercice de la SADC, le chef d’État namibien Hage Geingob, a annoncé le soutien résolu du bloc d’Afrique australe au gouvernement congolais. Au nom de l’organisation, il a également reconnu la validité des résultats. Les tentatives du président rwandais Paul Kagame, alors président de l’UA, de dépêcher une mission de haut niveau en RDC le 18 janvier 2019 et d’obtenir un report de la publication des résultats électoraux en raison de « graves préoccupations » concernant le dénouement du processus ont affecté les relations entre la SADC et l’UA qui ont alors atteint leur niveau le plus bas. Après avoir dans un premier temps accepté la mission, la SADC serait parvenue à convaincre les autorités congolaises de publier les résultats qui, contrairement aux attentes et aux prévisions de différents observateurs, ont donné la victoire au président Félix Tshisekedi.

L’UA et la SADC ne s’entendent pas toujours sur l’attitude à adopter face à des élections controversées Lors du sommet de l’UA de février 2019, la SADC a réuni ses chefs d’État à Addis Abeba pour une rencontre pré-sommet. Elle a affirmé à cette occasion son soutien au président nouvellement élu. Finalement, l’UA a dû accepter le principe de subsidiarité, toute tentative d’intervention dans la crise postélectorale étant vouée à l’échec sans le soutien de la SADC. La situation s’est davantage complexifiée sur le plan continental, la RDC étant à la fois membre de la SADC et de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, dont rares sont les membres prêts à rompre le silence au sujet de la crise qui frappe leur imposant voisin.

Vers des relations plus structurées ? La question est de savoir si une plus grande structuration des relations entre la SADC et l’UA pourrait renforcer les synergies et s’il serait nécessaire d’établir une répartition plus claire des tâches entre l’UA et les CER. Le cas de la RDC aurait peut-être été mieux géré par les dirigeants de l’UA si on avait mieux défini les situations où l’organisation pouvait intervenir et la structuration d’une médiation conjointe entre l’UA et les CER. Par le passé, la question de l’intervention dans les crises des États membres de la SADC a été traitée au cas par cas. Avec ses 16 pays, la SADC est la CER de l’UA qui compte le plus de membres. En cas de crise dans l’un de ces pays, c’est elle qui, généralement, prend l’initiative dans les efforts de prévention ou de résolution de conflit. En 2018, la SADC a joué le rôle de chef de file lors des élections très controversées qui se sont déroulées au Zimbabwe. Cependant, elle a été accusée d’avoir fait preuve de partialité en faveur du gouvernement du président Emmerson Mnangagwa et de ne pas avoir dénoncé les irrégularités du processus électoral.

À Addis Abeba, la SADC a tenu son propre pré-sommet pendant lequel elle a affirmé son soutien au président nouvellement élu À Madagascar, la SADC a également eu un rôle important en amont des élections de 2013 et de 2018. Elle a toutefois collaboré avec l’envoyé spécial de l’UA, Ramtane Lamamra, qui a été dépêché sur l’île pour s’assurer que les manifestations préélectorales ne dégénéraient pas.

Le CPS aborde rarement les questions relatives à la SADC À l’exception de la RDC, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) s’abstient d’aborder toute question d’ordre sécuritaire relative aux États membres de la SADC. La crise au Zimbabwe n’a ainsi jamais été inscrite à l’ordre du jour du CPS, malgré le caractère controversé du scrutin, les turbulences qui s’en sont suivies, la répression politique et les maux économiques qui touchent le pays depuis le début des années 2000. L’ancien président sud-africain Thabo Mbeki a été nommé médiateur de la SADC au Zimbabwe et a supervisé la transition vers un gouvernement d’unité nationale qui a débuté en 2008 pour s’achever en 2013. Le principe de subsidiarité, selon lequel tout effort de médiation doit être laissé aux CER, bénéficie d’un soutien considérable au sein de la SADC. Actuellement, les trois membres de la SADC qui siègent au CPS sont le Zimbabwe, l’Angola et le Lesotho. Il semble peu probable que les tensions politiques actuelles au Zimbabwe, où l’opposition refuse toujours les résultats du scrutin, soient débattues au sein du CPS.

2020

L’AFRIQUE DU SUD OCCUPERA LA PRÉSIDENCE TOURNANTE DE L’UA

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En août 2018, le CPS a mené une rare mission de terrain au Lesotho, un pays qui souffre d’instabilité politique chronique et qui a subi plusieurs coups d’État depuis son indépendance. Les ambassadeurs du CPS ont recommandé le maintien de la force de protection de la SADC au-delà de la date prévue de retrait de novembre 2018, mais la mission a néanmoins quitté le pays. Il est évident qu’il revenait à la SADC de décider du terme de son déploiement dans le pays. À la suite de sa mission sur le terrain, le CPS a déclaré son soutien aux efforts de la SADC dans le pays. Depuis lors, le Lesotho n’est pas réapparu à l’ordre du jour du CPS. Les Comores constituent une exception au principe de subsidiarité qui prévaut entre la SADC et l’UA. Le pays est actuellement en proie à des tensions depuis la tenue d’un référendum controversé qui visait à modifier la Constitution. La SADC semble avoir laissé la gestion de la situation à l’UA, qui est impliquée dans le pays depuis un certain temps.

Que peut faire l’Afrique du Sud ? La présidence tournante de l’UA, qui échoit l’année prochaine à l’Afrique du Sud, représente un défi de taille pour Pretoria. Elle devra forger des partenariats stratégiques avec les superpuissances du continent et faire son possible pour mener l’Afrique à son objectif de « Faire taire les armes d’ici 2020 ».

L’une des priorités de Pretoria devra être de garantir l’unité de l’UA lors de la gestion des crises Pour y parvenir, l’une de ses priorités devra être de garantir l’unité de l’UA lors de la gestion des crises. Diverses situations relatives à la paix et à la sécurité, notamment au Zimbabwe et au Lesotho, sont susceptibles de continuer à susciter des préoccupations. La crise qui touche les Comores est également loin d’être réglée. La SADC et l’UA devront également faire face à de nouvelles menaces telles que la poursuite des attaques des groupes armés dans le nord du Mozambique.

Le Zimbabwe, le Lesotho et l’Angola SONT MEMBRES DU CPS

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S’il est probable que les crises seront encore traitées au cas par cas, la mise en place d’une approche plus structurée, basée sur des interactions plus régulières sur certaines questions clés, permettra de renforcer les synergies. L’Afrique du Sud peut contribuer à l’émergence d’une telle synergie en instaurant un dialogue entre les décideurs de la Commission de l’UA à Addis Abeba et les ambassadeurs de la SADC. En 2020, l’Afrique du Sud aura également pour tâche de poursuivre les avancées qui auront été réalisées lors du sommet de Niamey dans l’institutionnalisation des relations entre l’UA et les CER. Il ne s’agit pas d’une tâche facile étant donné sa position dominante dans la région. Le défi pour l’Afrique du Sud sera d’obtenir l’adhésion des États membres de la SADC afin d’espérer convaincre les autres membres de l’UA à Addis Abeba.

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Les turbulences au sein de la Communauté de l’Afrique de l’Est : un mal pour un bien ? Au cours de la 38e réunion du Conseil des ministres de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), qui a eu lieu début mai au siège de la CAE à Arusha en Tanzanie, plusieurs questions ont été émises sur les menaces qui pèsent sur le bloc commercial, notamment les accusations de « guerre commerciale » et de fermeture des frontières entre le Rwanda et l’Ouganda. Nombreux sont ceux qui s’inquiètent quant aux capacités de la région de transformer ces problèmes en atouts grâce aux efforts de médiation de pays tels que le Kenya. Nombreux également sont ceux qui s’interrogent sur sa capacité à continuer de jouer un rôle moteur dans la transformation de l’Afrique en un bloc économique continental.

discussions à ce sujet ont débuté lors du sommet de février 2019, lorsque le président rwandais Paul Kagame a succédé à son homologue ougandais Yoweri Museveni à la présidence tournante de l’organisation régionale.

La CAE est l’une des huit communautés économiques régionales reconnues par l’Union africaine (UA) à titre de piliers de la future Communauté économique africaine.

Le succès de ce projet confirmerait la réputation de la communauté en tant que bloc économique régional dont l’intégration est la plus rapide depuis quelques années. Cela tient peut-être à la nécessité de rattraper le temps perdu après sa relance en vue de parvenir à son objectif ultime : la fédération politique.

L’une des principales inquiétudes concernait la survie de la communauté confrontée aux mêmes soubresauts que ceux qui ont causé son effondrement en 1977, au plus fort du succès d’une union douanière. Les divergences politiques entre dirigeants est-africains et les querelles entre États membres mettront-elles un terme à la dynamique que l’organisation a su recréer depuis sa relance en juillet 2000 ? La nouvelle CAE demeurera-telle ce qui constitue sans doute l’exemple le plus abouti d’intégration régionale en Afrique ? Certains titres parus récemment dans les médias tels que « Kigali accusé d’aviver les troubles au Burundi », « Les différends entre le Rwanda et l’Ouganda restreignent la libre circulation » et « Uhuru Kenyatta sera-t-il médiateur entre l’Ouganda et le Rwanda ? » ne sont pas sans rappeler les difficultés qui ont précipité la chute de l’ancienne CAE. Les tensions entre le Rwanda et l’Ouganda, d’une part, et le Burundi et le Rwanda, d’autre part, demeurent vives et menacent les progrès de ce bloc régional composé de six pays, dont la population est estimée à 195 millions d’habitants. Les rencontres des ministres de la CAE, qui ont eu lieu du 6 au 10 mai derniers, prévoyaient d’examiner « plusieurs questions visant à approfondir et à élargir le programme d’intégration régionale ». Il s’agissait notamment d’étudier une nouvelle fois le projet d’une monnaie commune et d’une fédération politique. Les

La région d’Afrique qui connaît la croissance la plus rapide

Depuis sa renaissance le 7 juillet 2000, avec la ratification d’un traité d’établissement par les trois États membres fondateurs que sont le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie, le bloc régional s’est étendu au-delà de ses anciennes frontières. Le Burundi et le Rwanda s’y sont greffés en juillet 2007, tandis que le Soudan du Sud l’a rejoint en septembre 2016. Les premiers ont également rejoint l’union douanière, qui est devenue opérationnelle en janvier 2005. La CAE est aussi « la région du continent dont la croissance est la plus rapide, avec un taux de croissance projeté du PIB de 5,9 %, contre 5,7 % en 2018 », selon la Banque africaine de développement dans ses perspectives 2019 des économies africaines.

Une locomotive potentielle pour le continent Le seuil des 22 pays signataires ayant été atteint, l’accord sur la Zone de libre-échange continentale africaine (AZLEC) doit entrer en vigueur le 30 mai 2019. Les chefs d’État devraient procéder au lancement officiel du bloc commercial à Niamey, au Niger, juste avant la tenue du sommet de coordination de l’UA qui aura lieu en juillet. La CAE, forte de sa vaste expérience, pourrait contribuer à cet ambitieux projet continental. Toutefois, elle doit d’abord

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surmonter ses difficultés actuelles. Alors que le fantôme de la désintégration menace de refaire surface, les mauvaises relations diplomatiques et les accusations de « guerre commerciale » entre Kampala et Kigali ont provoqué la fermeture, le 27 février dernier, du poste frontière Katuna/Gatuna entre les deux pays. La fermeture du point de passage le plus fréquenté entre les deux pays a incité le Kenya à se poser en médiateur, le pays craignant d’être touché par une escalade de cette guerre commerciale. Le Rwanda a indiqué avoir fermé son poste-frontière pour empêcher ses ressortissants d’entrer en Ouganda, sous le prétexte de les protéger d’« arrestations illégales, de tortures, de harcèlement et de déportation aux mains des autorités ougandaises ». De son côté, l’Ouganda a accusé le Rwanda d’espionnage et d’infiltration de ses agences de sécurité. Deux mois plus tard, alors que les deux pays cherchaient à sortir de l’impasse par la voie diplomatique, des gestes d’apaisement ont été posés, le Rwanda permettant aux habitants de Gatuna de traverser la frontière. Pour les autres citoyens rwandais, cependant, l’interdiction a toujours cours.

La diplomatie kenyane mise à l’épreuve Les craintes d’un démantèlement de la CAE évolueront en fonction du succès ou de l’échec du Kenya. La médiation de Nairobi déterminera si les menaces actuelles de désintégration et de conflits peuvent être transformées en atouts qui permettraient au bloc régional d’aller de l’avant. Le statut de médiateur du Kenya a été conforté par sa réélection en février au Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA. Il s’en verra davantage renforcé si la campagne qu’il mène pour obtenir un siège non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU pour la période 2021-2022 est couronnée de succès. Ces éléments font également naître l’espoir que le Kenya saura peser positivement sur les efforts de résolution des crises au Burundi et au Soudan du Sud. Les conséquences d’un effondrement de la CAE seraient ressenties dans toute la région et au-delà, alors que la Chine connaît un ralentissement économique, que le Brexit n’en finit pas de durer, que l’Europe est dans la tourmente, que les États-Unis et les autres grandes puissances mondiales se livrent à une guerre commerciale et que l’économie des pays d’Afrique subsaharienne fait l’objet d’un optimisme prudent. Tirer profit des turbulences actuelles aiderait à forger une région plus forte, susceptible de supplanter les autres en termes de croissance économique et d’opportunités commerciales.

Un bloc économique alternatif

195 millions de personnes POPULATION ESTIMÉE DE LA CEA

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La CAE devrait donc s’appuyer sur l’optimisme et l’enthousiasme qui prévalent actuellement en Éthiopie pour promouvoir le commerce régional en négociant une alliance au-delà des frontières de la CAE grâce à un accord économique inclusif. Cette démarche conduirait à la mise en place d’un bloc économique alternatif ou à un réalignement régional qui tiendrait compte des réalités géopolitiques. Elle permettrait par ailleurs de tirer parti de la forte croissance et du potentiel économiques de l’Afrique de l’Est comme fer de lance de l’intégration continentale.

RAPPORT SUR LE CONSEIL DE PAIX ET DE SÉCURITÉ

L’Union africaine reprend le leadership en Afrique centrale A l’heure où l’UA cherche à réévaluer et redéfinir ses relations avec les communautés économiques régionales (CER) dans le cadre des réformes qu’elle a adoptées, la République centrafricaine (RCA) constitue un test au vu des rapports parfois difficiles qu’entretiennent l’UA et les CER. L’UA et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) ont dirigé l’une après l’autre le processus de paix en RCA. Il est arrivé, notamment en 2013, que cela se fasse au détriment d’une approche plus collaborative qui aurait pu donner de meilleurs résultats pour la RCA et sa population. L’idée d’une division du travail entre l’UA et les CER – et donc en l’occurrence entre l’UA et la CEEAC – est louable. Cependant, elle risque de se heurter à la réalité de la politique du pouvoir et à la complexité de l’application du principe de subsidiarité.

L’UA et la CEEAC hésitent à s’exprimer au sujet de l’Afrique centrale La CEEAC est l’organisation sous-régionale reconnue par l’UA pour l’Afrique centrale. Ses États membres sont l’Angola, le Burundi, le Cameroun, la RCA, le Tchad, la République démocratique du Congo, la Guinée équatoriale, le Gabon, la République du Congo, le Rwanda et São Tomé et Príncipe.

Les relations entre la CEEAC et l’UA concernant la prévention et la gestion des conflits ont été difficiles

qui constitue désormais un conflit ouvert dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. L’instabilité politique a également secoué le Tchad et la République du Congo. Au Tchad, en 2018, un amendement constitutionnel a renforcé les pouvoirs du président. Entre-temps, le pays a été confronté à une vague de contestation sociale et la rébellion qui s’enracinait dans le Nord, menaçant de fait le régime de N’djamena, a été réprimée avec l’aide de l’armée française. La République du Congo a organisé, en 2015, un référendum controversé pour permettre à son président de briguer un troisième mandat. Cette consultation a été suivie d’un scrutin présidentiel bâclé qui a conduit à l’émergence d’une crise dans la région du Pool, avec de graves conséquences humanitaires. Ni la CEEAC ni l’UA ne se sont prononcées dans ces dossiers.

La République centrafricaine : un cas révélateur La RCA illustre bien la complexité des relations entre la CEEAC et l’UA. Les enseignements de cette expérience pourraient permettre aux deux organisations d’améliorer leur collaboration.

Au cours des dernières années, les relations entre la CEEAC et l’UA concernant la prévention et la gestion des conflits ont été difficiles. Ainsi la CEEAC est restée muette sur la situation au Gabon. De son côté, l’UA a publié un communiqué en novembre 2018 en réponse à l’amendement constitutionnel unilatéral adopté par la Cour constitutionnelle du Gabon, le deuxième changement constitutionnel controversé cette année-là. La CEEAC est également restée silencieuse concernant la situation au Burundi, contrairement à l’UA qui l’a examinée à plusieurs reprises et notamment en 2015.

Lorsque le conflit en RCA a éclaté en 2012, la CEEAC était présente dans le pays par le biais de la Mission de consolidation de la paix en Centrafrique (MICOPAX), déployée en 2008. En 2012, la CEEAC a entrepris les premiers efforts de médiation entre le gouvernement centrafricain et les rebelles de la Seleka, qui ont débouché sur la signature à Libreville, en janvier 2013, d’un accord de paix sous l’égide de l’instance sousrégionale. La CEEAC s’est donc engagée dans ce que l’on pourrait qualifier de tentative de prévention d’un conflit qui a néanmoins éclaté et renversé le régime du président François Bozizé en mars 2013.

La CEEAC et l’UA se sont toutefois abstenues de se saisir de la situation au Cameroun, en particulier de ce

Le coup d’État a entraîné la suspension par l’UA de la RCA. Si l’UA a adopté une position ferme en appliquant

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strictement ses règles, la CEEAC s’est montrée plus conciliante. Elle a trouvé un compromis pour légitimer le régime de la Seleka en mettant sur pied un dispositif de transition et une autorité transitoire. La ligne de conduite de la CEEAC a été définie par les pays clés de la région et leurs intérêts, en particulier le Tchad et la République du Congo. L’escalade des violences a incité l’UA à s’impliquer et les discussions sur la collaboration avec la CEEAC ont officiellement débuté en juillet 2013. L’objectif était, à terme, de transformer la mission de la CEEAC en une mission de l’UA.

Les négociations entre l’UA et la CEEAC Les relations entre l’UA et les CER s’inspiraient alors essentiellement d’un protocole d’accord de 2008 sur la collaboration dans le domaine de la paix et de la sécurité. Ce document ne s’est toutefois pas avéré suffisamment clair pour guider les interventions de l’UA et de la CEEAC en RCA. A cet égard, les deux organisations ont signé un autre protocole d’accord en décembre 2013 lors du Sommet de l’Élysée (France) sur la paix et la sécurité en Afrique. Le protocole d’accord de décembre 2013 constitue l’aboutissement d’un long processus de négociation au cours duquel la CEEAC a cherché à conserver le contrôle de la gestion de la crise et du processus de paix en RCA. En effet, bien que la Mission internationale d’appui à la République centrafricaine (MISCA) dirigée par l’UA ait succédé à la MICOPAX, sa direction et sa composition sont en grande partie restées inchangées. Cet état de fait se reflète dans le protocole d’entente. La transition de la MICOPAX à la MISCA ne s’est pas effectuée sans heurts, des rapports signalant des retards dans le transfert des fonds aux troupes, privant pendant quelque temps les soldats des biens de première nécessité les plus essentiels. Par ailleurs, la CEEAC a conservé la maîtrise du processus politique. L’organisation a tenu un sommet en janvier 2014 à N’djamena qui a débouché sur la démission forcée du président de la transition, Michel Djotodia, et de son premier ministre, Nicolas Tiangaye. En juillet 2014, le Groupe international de contact sur la RCA, sous la direction du médiateur de la CEEAC et président de la République du Congo Denis Sassou Nguesso, a convoqué le forum de Brazzaville pour la paix et la réconciliation en RCA. C’est donc à un véritable bras de fer que se livraient la CEEAC et l’UA en vue du contrôle des efforts de gestion du conflit en RCA. Il y eut, à ce momentlà, une réticence manifeste de la part de la CEEAC à passer la main dans le dossier centrafricain à une UA qu’elle jugeait trop éloignée des réalités de ce conflit. Certains dirigeants de la région ont également voulu garder la mainmise sur les protagonistes en RCA dans l’intérêt de leurs pays et pour leurs intérêts propres.

2012

DÉBUT DE LA CRISE EN RCA

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Une division du travail hautement politique Il est évident que la question de savoir qui doit jouer le rôle de chef de file entre l’UA et les CER, en l’occurrence ici la CEEAC, est un point très sensible et hautement politique qui exige un cadre de participation à la fois clair et flexible.

RAPPORT SUR LE CONSEIL DE PAIX ET DE SÉCURITÉ

La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en RCA (MINUSCA) a finalement pris la relève de la MISCA en septembre 2014. La CEEAC et l’UA ont ensuite joué les seconds rôles, jusqu’à ce que l’UA décide de relancer fin 2016 le processus de paix en RCA avec l’Initiative pour la paix et la réconciliation en RCA. Aujourd’hui, grâce à l’UA, le processus de paix en RCA connaît des avancées majeures avec la signature, en février 2019, d’un accord de paix entre le gouvernement et 14 groupes armés. Lorsque la mise en œuvre de l’accord de paix s’est heurtée à des difficultés, l’UA a convoqué une réunion entre les différentes parties prenantes (gouvernement et groupes armés) à Addis Abeba en mars 2019 afin de sauver l’accord. Depuis, l’UA est restée investie dans la surveillance de la mise en œuvre de l’accord. Le commissaire à la paix et à la sécurité s’est ainsi rendu en RCA avec son équipe pour assurer le suivi de la rencontre d’Addis Abeba et de l’application de l’accord de paix.

De la nécessité de préciser les rôles Il est évident que la relation entre l’UA et la CEEAC doit être précisée de manière à éviter que les deux organisations n’aient à signer un protocole d’accord ad hoc à chaque fois qu’une situation de conflit doit être gérée. L’exemple de la RCA montre que la CEEAC a le potentiel de prévenir les conflits par la médiation, mais sans forcément tenir compte des principes démocratiques que l’UA prétend défendre. Par ailleurs, la situation en RCA était suffisamment explosive pour justifier une telle action de la part de la CEEAC.

La CEEAC peut prévenir les conflits par la médiation, mais sans forcément tenir compte des principes démocratiques que l’UA prétend défendre L’UA et la CEEAC doivent trouver une méthodologie viable pour prévenir les conflits dans la région. Trop souvent, les deux organisations se sont montrées réticentes à intervenir dans des situations de crise imminentes ou en cours – comme ce fut notamment le cas en République du Congo pendant la crise du Pool ou au Cameroun avec la crise dite « anglophone » – et à s’attaquer aux facteurs structurels des conflits qui minent la région. Dans ce qui est considéré comme un exemple classique de gestion de crise, l’UA a démontré en RCA sa capacité à conduire un processus de médiation. Elle pourra être amenée à reproduire cette expérience, d’autant plus que les dynamiques politiques intrarégionales peuvent parfois nuire aux pourparlers de paix. Enfin, l’UA et la CEEAC devraient élaborer des lignes directrices plus précises pour le déploiement des missions de paix afin de garantir un déploiement ou un transfert d’autorité rapide, fiable et efficace entre les deux organisations.

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SIGNATURE DU PLUS RÉCENT ACCORD DE PAIX SUR LA RCA

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La CEDEAO aux prises avec l’extrémisme violent La menace de l’extrémisme violent au Sahel s’est imposée comme l’un des principaux défis auxquels doivent faire face les pays d’Afrique de l’Ouest. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) peine encore à y répondre de manière adéquate. L’évolution rapide de la nature des menaces sécuritaires dans la région pose en effet de nouvelles difficultés à l’organisation régionale. Les normes et les cadres d’intervention en vigueur sont mis à rude épreuve.

L’expansion des groupes djihadistes Ces dernières années, les groupes djihadistes ont réussi à mobiliser et à radicaliser certaines populations au Sahel, une région en proie à des problèmes politiques et socioéconomiques systémiques. Ces groupes sont désormais présents dans les États côtiers. De nombreux mouvements similaires ont émergé ces dernières années, dont Ansar Dine, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et Al-Mourabitoun. La situation ne cesse d’évoluer. Ainsi, en 2012, AQMI était le principal groupe qui opérait au Mali, alors qu’en 2018, on recensait pas moins d’une dizaine de mouvements djihadistes actifs au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Cette évolution montre la rapidité avec laquelle les activités des djihadistes se propagent. Cette expansion peut résulter soit d’un processus interne à un pays, soit d’un débordement des activités de groupes terroristes dans d’autres parties de la région. L’attraction que ces groupes exercent sur les populations locales mécontentes, leur propension à se fragmenter rapidement et leur capacité à s’adapter aux ripostes gouvernementales rendent le phénomène de l’extrémisme violent difficile à enrayer. Les liens entre l’extrémisme violent et d’autres types de menaces (la contrebande, les enlèvements et autres formes de criminalité organisée) dans les vastes zones où l’État est absent contribuent à cette évolution du paysage sécuritaire au Sahel.

La CEDEAO peut-elle lutter contre l’extrémisme violent qui déchire la région ? Au cours des dernières décennies, la CEDEAO a été l’une des communautés économiques régionales (CER) les plus actives d’Afrique dans les domaines de la gestion des conflits et de la gouvernance. En témoigne la manière dont la CEDEAO a relevé de nombreux défis sécuritaires, depuis ceux qui ont touché la zone de

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l’Union du fleuve Mano dans les années 1990 jusqu’aux turbulences les plus récentes au Mali et en Gambie. Avec la progression de la menace djihadiste, la CEDEAO a élaboré une stratégie antiterroriste pour guider l’action régionale. Cette stratégie s’articule autour de trois axes : la prévention des activités extrémistes violentes, la lutte contre ce fléau et la reconstruction. Au-delà de la stratégie, force est toutefois de constater que les mécanismes d’intervention existants ne sont pas aussi adaptables que les menaces qu’ils sont censés contrer, en particulier dans le cas des interventions non militaires. Malgré l’existence d’un cadre régional, les violences liées aux groupes extrémistes au Sahel n’ont donc cessé de croître depuis 2016.

La CEDEAO a élaboré une stratégie antiterroriste axée sur la prévention des activités extrémistes violentes, sur la lutte contre ce fléau et sur la reconstruction Pour que la CEDEAO puisse s’opposer à la menace de l’extrémisme, ses mécanismes de réponse devront évoluer aussi rapidement que celle-ci. En effet, force est de constater qu’ils ne sont actuellement pas les plus efficaces pour combattre les groupes extrémistes.

Les avantages des structures d’intervention ad hoc L’Afrique de l’Ouest compte actuellement deux grandes structures d’intervention ad hoc mandatées par l’UA impliquant plusieurs États membres de la CEDEAO, mais ne relevant pas de l’organisation régionale. La Force conjointe du Groupe des cinq du Sahel (G5 Sahel), qui comprend le Tchad, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Burkina Faso, a pour mission de remédier au problème de l’extrémisme violent dans le Sahel. La Force

multinationale mixte (FMM) a, quant à elle, pour mandat de s’attaquer au mouvement Boko Haram dans le bassin du lac Tchad. Elle est composée de troupes du Bénin, du Cameroun, du Nigeria, du Niger et du Tchad. L’existence de ces deux dispositifs soulève un certain nombre de questions importantes concernant les efforts de riposte régionaux et continentaux. Premièrement, leurs opérations ajoutent à la complexité d’un paysage sécuritaire qui se caractérise par un nombre élevé d’interventions. En effet, le Sahel compte déjà la présence de nombreux partenaires sécuritaires, dont la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies au Mali) et l’opération Barkhane sous commandement français. Deuxièmement, même si les réalisations de ces mécanismes ad hoc contribuent à renforcer la sécurité dans la région de la CEDEAO, leur émergence est la conséquence d’un vide qui met en lumière les insuffisances de l’organisation à l’heure de contrer ces menaces. Troisièmement, des difficultés apparaissent lorsque de nombreux États membres participent aux efforts mis en œuvre et que ces efforts se chevauchent dans le traitement des différentes dimensions de la menace de l’extrémisme violent au Sahel. Au niveau continental, il est évident que l’UA n’a pas été en mesure, au cours des deux dernières décennies, de transformer les dispositions de la Convention d’Alger sur la prévention et la lutte contre le terrorisme en des solutions pratiques face à l’extrémisme violent, d’où la nécessité de réponses sous-régionales adéquates. Carte 2 : Les huit CER reconnues par l’UA

CEN-SAD COMESA CEA CEEAC CEDEAO IGAD SADC UMA

G5 Sahel FMM MÉCANISMES AD HOC DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME

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Le rôle des puissances régionales L’incapacité de la CEDEAO à occuper une place centrale dans la riposte régionale à l’extrémisme violent est révélatrice des obstacles que la FMM et le G5 Sahel doivent surmonter lorsque l’insécurité frappe les puissances régionales sur leur propre territoire national. Dans le cas de Boko Haram, la CEDEAO n’a pas été en mesure de jouer un rôle majeur, en partie en raison de la position dominante du Nigeria dans la région et des difficultés que la réaction de ce pays engendrerait à la suite d’une telle implication. Le respect des puissances régionales et l’enjeu de la fierté nationale rendent difficile la mobilisation des « petits » pays voisins pour contrer les menaces touchant les « grands » pays, même lorsque celles-ci nécessitent une réponse régionale. Le cas de Boko Haram attire également l’attention sur les menaces transrégionales. La crise déclenchée par les exactions du groupe a touché l’ensemble du bassin du lac Tchad et a donc des répercussions tant en Afrique de l’Ouest qu’en Afrique centrale. Il est donc difficile d’ancrer la réponse à mettre en œuvre dans un cadre régional, que ce soit par l’entremise de la CEDEAO, ou de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). Les cadres d’intervention strictement régionaux se heurtent à des défis géopolitiques interrégionaux. Les dispositifs ad hoc, tels que la FMM et la Force conjointe du G5 Sahel, constituent des outils essentiels pour contrer ces menaces transrégionales, tout en réduisant les complexités liées aux dimensions géopolitiques de la propagation des fléaux qu’ils combattent. Cependant, de tels mécanismes ad hoc transrégionaux viennent perturber l’émergence du principe de subsidiarité autour des huit CER reconnues par l’UA. Ils doivent donc faire l’objet d’une gestion prudente et d’une coordination adéquate à l’échelle du continent.

Les structures ad hoc affaiblissent-elles la CEDEAO ? Pour la CEDEAO, le principal défi que représentent les opérations de ces structures ad hoc dans la région

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réside dans le chevauchement des contributions des États membres : le Tchad et le Niger fournissent des troupes à la FMM et à la Force conjointe du G5 Sahel, ainsi qu’à la MINUSMA. Dans une région marquée par la pénurie de capacités militaires nationales, l’impossibilité de coordonner correctement, au niveau de la CEDEAO ou de l’UA, les efforts en cours peut venir grever ces mêmes capacités. Cela se répercute sur l’ensemble des engagements pris à l’égard des nouveaux mécanismes régionaux, tels que la Force en attente de la CEDEAO. L’incapacité de la CEDEAO à mener des ripostes d’envergure telles que celle mise en place dans la lutte contre Boko Haram entrave également l’achèvement des mécanismes régionaux, la consolidation des normes régionales et la promotion de son utilité en tant qu’organisation régionale.

Les CER doivent faire preuve de flexibilité dans leur utilisation de structures ad hoc face aux menaces sécuritaires Les CER doivent néanmoins faire preuve de flexibilité dans leur recours à des structures ad hoc face aux menaces sécuritaires afin de contrer certains problèmes tels que la fluidité des acteurs de l’extrémisme violent. Dans ce cas-ci, puisque les cadres ad hoc offrent une solution au caractère transrégional de l’extrémisme, ils devraient être soutenus s’ils constituent une meilleure option, selon la nature de la crise extrémiste. Il est également nécessaire de parvenir à un consensus continental sur l’utilisation de ces mécanismes afin d’obtenir l’appui des États membres. Leur prolifération n’est pas problématique en soi. Cependant, s’ils ne sont pas coordonnés de manière appropriée au sein des régions, entre les régions et au niveau de l’UA, ces mécanismes peuvent être une source de tensions géopolitiques dans la lutte du continent contre les menaces pour sa sécurité. Le recours à des mécanismes ad hoc peut aussi priver les CER de la possibilité de riposter à des menaces réelles et, ce faisant, d’affiner leurs propres cadres régionaux existants.

La Corne de l’Afrique devrait renforcer la participation citoyenne En juillet 2019, l’UA tiendra son premier sommet de coordination à Niamey, au Niger, au cours duquel elle se penchera sur ses relations avec les communautés économiques régionales (CER). Le sommet abordera non seulement la question de la répartition des rôles entre l’UA et les CER, mais portera également sur les moyens d’inclure la société civile dans la formulation des politiques et la prise de décisions. Cette réflexion concernera toutes les CER, en particulier celles qui, comme l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), n’ont que très peu d’interactions avec la société civile. L’inclusion de la société civile renforcerait la pertinence de l’UA ainsi que sa réactivité face aux besoins réels des Africains. La société civile peut également jouer un rôle de surveillance concernant les décisions et les dépenses de la Commission de l’UA. En outre, les organisations de la société civile (OSC) devraient participer aux réunions d’information organisées à l’intention des mécanismes d’alerte rapide de l’UA ainsi qu’aux discussions du Conseil de paix et de sécurité (CPS). Une telle inclusion aiderait l’UA à comprendre ce qui se passe réellement sur le terrain et à mieux définir les mesures à adopter.

Une déconnexion avec les citoyens En 2002, lorsque l’Organisation de l’unité africaine (OUA) est devenue l’UA, l’on s’attendait à ce que l’organisation se mue en une union de tous les Africains et non en une union entre les dirigeants du continent. Pourtant, près de 20 ans plus tard, le fossé entre l’UA et le simple citoyen persiste. Le processus de réforme de l’UA, entamé en 2016, a fait du rapprochement entre l’UA et les Africains l’une des cinq priorités nécessitant une action urgente. Les CER bénéficient d’une plus grande proximité avec leurs citoyens et devraient donc jouer un rôle crucial dans les efforts de rapprochement de l’UA et des Africains. Certaines CER sont plus avancées que d’autres dans l’inclusion des citoyens dans leur fonctionnement. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) disposent ainsi de parlements régionaux, de forums pour les organisations non gouvernementales (ONG) ou de tribunaux régionaux permettant aux citoyens de prendre part aux débats ou de présenter leurs griefs.

D’autres CER éprouvent cependant des difficultés à mettre en œuvre leurs propres politiques concernant la participation citoyenne. C’est notamment le cas de l’IGAD. L’UA est consciente du fait que les citoyens réclament une plus grande inclusion. La nécessité d’impliquer les OSC dans la coordination entre l’UA et les CER a été mise en exergue dans la décision adoptée en novembre 2017 lors de la 11e session extraordinaire de la Conférence de l’UA. Dans cette décision, elle regrette que « la participation d’acteurs non étatiques clés tels que le secteur privé, la société civile, le monde académique et le grand public soit limitée » dans le processus d’intégration harmonisée entre l’UA et les CER.

L’UA est consciente du fait que les citoyens réclament une plus grande inclusion Outre la coordination verticale entre l’UA et l’IGAD, une coordination horizontale gagnerait également à être renforcée. Elle permettrait à la CEDEAO, à le CEA, à la SADC et à l’IGAD de partager leurs expériences et leurs meilleures pratiques.

La suspicion, un obstacle majeur à l’inclusion des OSC L’UA et l’IGAD ont par le passé collaboré sur diverses questions, en particulier lors des efforts de médiation et de résolution de conflits en Somalie, au Soudan et au Soudan du Sud, comme le prévoit le protocole d’accord UA-CER. Cependant, ces collaborations entre l’UA et l’IGAD ont été dans l’ensemble dépourvues de toute participation citoyenne, hormis une inclusion assez

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superficielle dans le processus de paix au Soudan du Sud. L’UA et l’IGAD disposent des cadres juridiques et des structures leur permettant d’inclure la société civile, telles que le forum ONG/OSC de l’IGAD, mais ces mécanismes ne sont généralement pas opérationnels. Les États membres ont insisté pour que seules les OSC progouvernementales prennent part à ce forum. Cette position s’explique principalement par un parti pris contre la participation de la société civile dans les processus décisionnels.

La conviction que la formulation des politiques et la prise de décision seraient une prérogative étatique est au cœur de l’exclusion de la société civile La conviction que la formulation des politiques et la prise de décision seraient une prérogative étatique est au cœur de l’exclusion de la société civile. Les acteurs politiques de l’UA et de l’IGAD estiment se montrer généreux vis-à-vis des acteurs de la société civile en les incluant occasionnellement, alors qu’ils devraient plutôt respecter leurs droits fondamentaux comme le prévoient les dispositions légales des documents constitutifs des deux organisations. La participation des OSC panafricaines est aussi parfois entravée par des soupçons quant à leurs sources de financement, même si l’UA et l’IGAD reçoivent également des fonds externes. En conséquence, les citoyens africains accèdent difficilement à des organisations telles que l’UA et l’IGAD.

Les dysfonctionnements de l’ECOSOCC, un obstacle majeur Au sein de l’UA, le Conseil économique, social et culturel (ECOSOCC) a pour mandat de coordonner la participation des OSC au CPS, au moins une fois par an, sur un thème spécifique. Les OSC peuvent par ailleurs s’adresser au CPS lorsqu’elles y sont invitées par le président ou les États membres. Les OSC peuvent également soumettre des rapports à la Commission de l’UA pour examen lors des réunions du CPS, mais uniquement par l’intermédiaire de l’ECOSOCC.

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RAPPORT SUR LE CONSEIL DE PAIX ET DE SÉCURITÉ

Toutefois, à l’heure actuelle, l’ECOSOCC ne fonctionne pas comme il le devrait. Par conséquent, l’accès des OSC au CPS s’en trouve limité.

Le forum de l’IGAD pour les OSC, un organe également dysfonctionnel Au sein de l’IGAD, le forum des ONG/OSC a été mandaté en 2002 par le 8e Sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’IGAD pour fournir un cadre à la coopération des OSC avec l’organisation régionale. Bien que le forum ait été créé en 2003, il ne fonctionne plus depuis de nombreuses années. De plus, il n’a jamais été en mesure de créer une plate-forme de participation politique à quelque niveau que ce soit. L’ECOSOCC a été mandaté par le protocole de 2008 pour créer des liens au niveau des CER, mais cette tâche s’est avérée impossible ni l’ECOSOCC ni le Forum ONG/OSC de l’IGAD n’étant en activité. Le protocole relatif au CPS (article 8 [10]) prévoit que « toute organisation de la société civile impliquée et/ou intéressée dans/par un conflit ou une situation soumis à l’examen du Conseil de paix et de sécurité, peut être invitée à participer, sans droit de vote, aux débats relatifs à ce conflit ou à cette situation ». Par conséquent, les OSC devraient avoir davantage d’opportunités de prendre part aux discussions du CPS.

Les OSC peuvent s’adresser au CPS lorsqu’elles y sont invitées par le président ou les États membres Les OSC panafricaines devraient pouvoir s’adresser directement au secrétariat ou au président du CPS pour inscrire des points à l’ordre du jour, jusqu’à ce que l’ECOSOCC soit pleinement opérationnel. Cela élargirait l’arène politique continentale et la rendrait plus inclusive.

Les OSC devraient jouer un rôle dans l’alerte précoce Un autre type de mécanisme qui pourrait répercuter les préoccupations des citoyens africains afin de les porter à l’attention des décideurs est l’alerte précoce : le Système continental d’alerte rapide (SCAR) de l’UA et le Mécanisme d’alerte et de réaction rapides aux

conflits (CEWARN) de l’IGAD. Les OSC contribuent significativement à ces deux outils. Le cadre d’opérationnalisation du SCAR souligne la nécessité d’une collaboration avec les OSC en matière de prévention des conflits comme condition préalable à la paix, à la sécurité et à la stabilité en Afrique.

La coopération technique entre l’UA et l’IGAD peut s’avérer un moyen pour les citoyens de participer à la formulation des politiques et à la prise de décisions Au sein de la structure du CEWARN, les OSC sont des partenaires en ce qui a trait à l’alerte précoce et à la réaction rapide dans les conflits pastoraux. Si le mandat du CEWARN venait à s’étendre au-delà des conflits pastoraux, il pourrait collaborer avec le SCAR afin de mettre en lumière tous les conflits qui affectent les citoyens de la Corne de l’Afrique.

Formaliser la participation des OSC au niveau technique Par ailleurs, la coopération technique entre l’UA et l’IGAD peut s’avérer un moyen pour les citoyens de participer à la formulation des politiques et à la prise de décisions. Les efforts de l’UA et de l’IGAD pour renforcer la paix et la sécurité en Afrique se font également au niveau technique. Les bureaux spécialisés qui mettent en œuvre des programmes spécifiques impliquent les OSC par le biais de consultations d’experts techniques et d’échanges d’informations, de planifications conjointes, de coordinations, d’analyses, de mises en œuvre, d’évaluations et de renforcements des capacités. La participation des OSC à un tel niveau facilite leur contribution à l’élaboration des politiques et des cadres en début de processus. Leur apport permet de nuancer et de contextualiser la compréhension des situations étudiées du point de vue des OSC. Elles peuvent également contribuer à transformer les politiques et les cadres juridiques de l’UA et de l’IGAD en plans et actions de mise en œuvre efficaces en légitimant les processus et en ralliant les citoyens. En outre, elles peuvent effectuer un suivi de l’application et de l’impact des politiques. Cette participation au niveau technique devrait être intégrée et formalisée par l’établissement d’une liste d’OSC expertes panafricaines devant être consultées dans différents domaines. Un bureau des OSC ou un simple point focal pourrait ainsi être situé au sein des départements et divisions de l’UA et de l’IGAD, pour assurer un suivi permanent et garantir l’inclusion des OSC. Ainsi, si l’UA et les CER veulent conserver leur utilité aux yeux de la population, le prochain sommet de coordination UA-CER devra réfléchir à la manière dont l’UA peut coordonner la participation de la société civile aux CER, afin de transformer ces organisations intergouvernementales en organisations axées sur leurs citoyens.

ECOSOCC ORGANE MANDATÉ POUR CRÉER DES LIENS AVEC LA SOCIÉTÉ CIVILE

NUMÉRO 113 | MAI 2019

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INSTITUT D’ÉTUDES DE SÉCURITÉ

L’Institut d’études de sécurité établit des partenariats pour renforcer les savoirs et les compétences en vue d’un meilleur futur pour l’Afrique

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RAPPORT SUR LE CONSEIL DE PAIX ET DE SÉCURITÉ

INSTITUT D’ÉTUDES DE SÉCURITÉ

À propos du Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité  Le Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité analyse les évolutions et les décisions du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine. Cette publication mensuelle est la seule à offrir une analyse sur l’actualité des travaux du CPS. Le rapport est rédigé par une équipe d’analystes de l’ISS basée à Addis Abeba.

À propos de l’ISS L’Institut d’études de sécurité (ISS) établit des partenariats pour consolider les savoirs et les compétences en vue d’un meilleur futur pour l’Afrique. L’ISS est une organisation africaine nonlucrative dont les bureaux sont situés en Afrique du Sud, au Kenya, en Éthiopie et au Sénégal. Grâce à ses réseaux et à son influence, l’ISS propose aux gouvernements et à la société civile des analyses pertinentes et fiables, ainsi que des formations pratiques et une assistance technique.

Les personnes qui ont contribué à ce numéro Mohamed Diatta, chercheur, ISS Addis Abeba Liesl Louw-Vaudran, consultante principale de recherche, ISS Andrews Attah-Asamoah, attaché principal de recherche, ISS Shewit Woldemichael, chercheuse, ISS Addis Abeba Damien Larramendy, traducteur Anne-Claire Gayet, réviseure

Contact Liesl Louw-Vaudran Consultante pour le Rapport sur le CPS ISS Pretoria Courriel: [email protected]

Les bailleurs de fonds

Ce rapport est publié grâce au soutien de la Fondation Hanns Seidel et des gouvernements des Pays-Bas et du Danemark. L’ISS souhaite également remercier les membres suivants de son Forum des partenaires pour leur appui : l’Union européenne, la Fondation Hanns Seidel et les gouvernements de l’Australie, du Canada, du Danemark, de la Finlande, de l’Irlande, des Pays-Bas, de la Norvège, de la Suède et des États-Unis.

© 2019, Institut d’études de sécurité Les droits des auteurs de l’ensemble de ce volume appartiennent à l’Institut d’études de sécurité et à ses auteurs, et aucune partie ne peut être reproduite, en tout ou en partie, sans l’autorisation expresse, par écrit, des auteurs et des éditeurs. Les opinions exprimées ne reflètent pas nécessairement celles de l’Institut, de ses fiduciaires, des membres du Conseil consultatif ou des donateurs. Les auteurs contribuent aux publications de l’ISS à titre personnel.