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21 févr. 2012 - la contribution foncière des entreprises (CFE), dont la base d'imposition repose uniquement sur la valeur locative2 des locaux occupés par le ...
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Les sociétés civiles de moyens sont-elles redevables de la CFE et de la CVAE ?

Les professions libérales (avocats, médecins, experts-comptables …), qui exercent leurs activités, soit à titre individuel (entrepreneur individuel), soit sous forme de société, peuvent trouver intérêt à se regrouper dans une structure permettant à chacun de conserver son autonomie et, en même temps, de partager des moyens matériels communs pour l'exercice de leur profession (locaux, personnel, outils informatiques …). Cette structure spécifique, réservée par la loi aux professions libérales, s'appelle une "société civile de moyens" (SCM). L'article 36 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 précise que la société civile de moyens a "pour objet exclusif de faciliter à chacun de ses membres l'exercice de son

activité (par la mise en commun de moyens) sans que la société puisse elle-même exercer celle-ci". Concrètement, la SCM effectue des achats de matériels et conclut des contrats (location, maintenance, abonnement téléphonique, contrats de travail avec les salariés, etc.) et les associés lui versent périodiquement les sommes nécessaires pour le paiement de toutes ces dépenses ("redevances" ou "appels de fonds"). En aucun cas, la SCM n'exerce l'activité libérale de ses membres et elle n'a aucune vocation à faire des profits, puisque ses seules sources de revenus proviennent (en principe) de ses propres associés. D'ailleurs, si elle réalise marginalement un bénéfice ou un déficit, ils sont purement comptables (car il est n'est pas toujours possible d'anticiper, au centime près, les dépenses de la SCM et donc de lui verser des redevances mensuelles strictement égales au cours de l'exercice1). Ce bénéfice comptable n'est pas directement imposé au nom de la SCM, mais il est réparti entre les associés et vient s'ajouter aux bénéfices individuels de ceux-ci. Exceptionnellement, il peut arriver qu'une SCM propose à des tiers tout ou partie des services qu'elle rend à ses membres (mise à disposition d'un bureau et des services et équipements associés) : si ces services sont proposés aux tiers dans les mêmes conditions qu'aux associés, c'est-à-dire moyennant des redevances égales à leur quote1

Une solution comptable consiste à entrer les appels de fonds en "compte courant d'associé", puis lors de l'enregistrement d'une dépense, à transférer la somme équivalente du "compte courant d'associé" au compte "recettes" et enfin comptabiliser la dépense en débitant le compte "recettes" de ce montant. De cette manière, les recettes et les charges sont strictement équivalentes et il résulte un bénéfice comptable égal à zéro. La partie des appels de fonds qui n'est pas encore utilisée pour le paiement d'une dépense en fin d'exercice constitue un "compte courant d'associé". © Damien L'HÔTE (21/02/2012) - http://avocats.fr/space/damien.lhote

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part de charges, le but de la SCM reste alors non lucratif. En cas contraire, il y aurait dénaturation de l'objet de la SCM. En résumé, la SCM n'est qu'un outil juridique au service de ses membres, et non pas une entreprise destinée à faire des bénéfices.

C'est donc avec un certain étonnement que les SCM ont découvert, depuis la suppression (par la loi de finances pour 2010) de la taxe professionnelle à laquelle elles n'étaient pas soumises, qu'elles seraient dorénavant redevables des impositions qui remplacent cette ancienne taxe professionnelle. Rappelons en effet qu'elle a été remplacée par une cotisation économique territoriale (CET) comprenant : -

la contribution foncière des entreprises (CFE), dont la base d'imposition repose uniquement sur la valeur locative2 des locaux occupés par le professionnel (article 1447 et suivants du Code général des impôts),

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et la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), dont la base d'imposition repose sur la "valeur ajoutée" (c'est-à-dire grossièrement la différence entre les recettes et les charges) réalisée par l'entreprise au cours de l'exercice (articles 1586 ter et suivants du Code général des impôts).

Toutefois, cette dernière est soumise à un champ d'application et à un barème de calcul tels que sont finalement concernés par la CVAE uniquement les entreprises réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 500.000 €3, ce qui doit être assez exceptionnel pour une société civile de moyens, dont l'activité se limite au partage de charges communes... C'est donc essentiellement la CFE qui est susceptible de concerner les SCM.

A l'époque de la taxe professionnelle, la question de la soumission des SCM à cet impôt ne se posait pas, car l'ancien article 1476 alinéa 2 du Code général des impôts précisait clairement que "pour les sociétés civiles professionnelles (SCP), les sociétés civiles de

moyens (SCM) et les groupements réunissant des membres de professions libérales, l'imposition est établie au nom de chacun des membres".

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Valeur locative théorique, déterminée dans les mêmes conditions que celle qui permet le calcul de la taxe foncière et de la taxe d'habitation. 3 Les entreprises réalisant un chiffre d'affaires inférieur à 152.000 € sont hors du champ d'application de la CVAE, et celles qui réalisent un CA compris entre 152.000 € et 500.000 € sont dans le champ d'application, mais soumis à un taux d'imposition de 0 % … © Damien L'HÔTE (21/02/2012) - http://avocats.fr/space/damien.lhote

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La SCM ne payait pas la taxe professionnelle car elle était établie individuellement au nom des associés (principe dit de "transparence fiscale"). Mais la loi de finances pour 2010 a supprimé cette disposition spécifique, ne laissant plus subsister que le principal général de l'article 1476 alinéa 1er : "la cotisation foncière

des entreprises est établie au nom des personnes qui exercent l'activité imposable". De même, pour la CVAE, l'article 1586 octies dispose qu'elle "est due par le redevable

qui exerce l'activité au 1er janvier de l'année d'imposition". Que faut-il en conclure dans le cas d'une société civile de moyens et de ses associés ?

Selon l'instruction fiscale 6 E-7-11 du 8 juillet 2011 (§ n° 15), les SCM seraient désormais soumises à la CFE au titre de leur "activité de groupement de moyens" et les associés le seraient aussi en leur nom propre "dès lors qu'ils exercent une activité

imposable" (ce qui est nécessairement le cas puisque la SCM ne peut pas exercer l'activité libérale de ses membres). Ainsi, les associés de SCM seraient doublement imposés à la CFE : directement pour leur activité, et indirectement par l'intermédiaire de la SCM (dont ils sont l'unique source de revenus). On pourrait penser que, économiquement, cette double imposition serait neutre, puisque le montant total de CFE, calculé sur la base de la valeur locative des locaux, serait simplement réparti entre la SCM et ses membres en fonction de la superficie des locaux occupés privativement et de celle des locaux occupés collectivement. Par exemple, une valeur locative globale de 3.000 € répartie entre 3 associés ou une valeur locative de 3.000 € répartie entre 4, étant précisé que la contribution du 4e (la SCM) sera prise en charge finalement par les 3 associés … cela revient au même. OUI mais à condition que la base de calcul de la CFE soit uniquement fondée sur la valeur locative. Or, la loi de finances de 2010 a instauré un dispositif particulièrement injuste pour les petites structures : la "contribution minimum" (article 1647 D du CGI). Lorsque le calcul de la CFE sur la base de la valeur locative des locaux aboutirait à une cotisation trop faible, alors la loi autorise les collectivités locales (bénéficiaires de la CFE) à voter une cotisation plancher, dont le montant peut varier de 206 € à 2065 € pour un chiffre d'affaires inférieur à 100.000 € (et pouvant aller jusqu'à 6.102 € pour ceux dont le chiffre d'affaires excèdent 250.000 €).

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Or, payer 3 cotisations plancher ou 4 cotisations plancher, ce n'est évidemment pas la même chose4 … Il paraît dès lors légitime, en dépit de l'affirmation de principe contenue dans l'instruction fiscale précitée, de se demander si la SCM est réellement redevable de la CFE.

En fait, avant de déterminer "au nom" de qui la CFE doit être établie, il faut d'abord revenir à la définition du champ d'application de cette imposition. L'article 1447 du Code général de impôts dispose que la CFE est "due chaque année par

les personnes physiques ou morales, les sociétés non dotées de la personnalité morale (…) qui exercent à titre habituel une activité professionnelle non salariée". La version initiale de cet article, qui concernait la taxe professionnelle (avant 2010), contenait exactement la même formulation. Il est donc probable que la jurisprudence développée en matière de taxe professionnelle soit parfaitement transposable en matière de CFE. Quant à la CVAE, elle s'applique aux personnes physiques ou morales, ainsi qu'aux groupements non doté de la personnalité morale, "qui exercent une activité dans les

conditions fixées aux articles 1447 et 1447 bis" (article 1586 ter du CGI).

Il convient donc de rechercher ce qu'implique la notion d' exercice à titre habituel d'une

activité professionnelle non salariée au sens de la jurisprudence du Conseil d'Etat : "La taxe professionnelle est due chaque année par les personnes physiques ou

morales qui exercent à titre habituel une activité professionnelle ; qu'il résulte de ces dispositions que les organismes à but non lucratif sont exonérés de taxe professionnelle dès lors, d'une part, que leur gestion présente un caractère désintéressé, et d'autre part que les services qu'ils rendent ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d'attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique ; que toutefois, même dans le cas où l'organisme intervient dans un domaine d'activité et dans un secteur géographique où existent des entreprises commerciales, 4

Exemple : avec un taux de 31,04 % (sur Nancy) pour une valeur locative de 3.000 €, la CFE devrait être de 937,20 € à répartir entre la SCM et les 3 associés. Mais avec une cotisation plancher de 557 €, c'est la somme totale de 4 x 557 €, soit 2.228 €, qui doit être payée par la SCM et les 3 associés. © Damien L'HÔTE (21/02/2012) - http://avocats.fr/space/damien.lhote

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l'exonération de taxe professionnelle lui est acquise s'il exerce son activité dans des conditions différentes de celles des entreprises commerciales". (CE, 5 avril 2006 : n° 256508 – CE, 30 décembre 2009 : n° 294933 – CE, 21 novembre 2011 : n° 318982 – CAA Nancy, 5 avril 2012 : n° 11NC00813 – CAA Douai : n° 11DA00475).

Les critères de l'exonération sont donc : 1. le but non lucratif de l'organisme, 2. le caractère désintéressé de la gestion de cet organisme, 3. le caractère non concurrentiel de l'activité exercée dans la zone géographique de l'organisme, ou pour le moins le caractère non concurrentiel des conditions d'exercice de cette activité.

S'agissant du but des SCM, il est défini par la loi elle-même : elles ont pour "objet

exclusif de faciliter à chacun de leurs membres l'exercice de son activité" (article 36 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966). Ce but ne peut donc pas être lucratif au profit de la SCM, car tout profit commercial (à différencier du bénéfice comptable) qui serait réalisé lors des appels de fonds, par rapport au coût réel des charges, serait contraire à l'intérêt des associés, et donc contraire à l'objet exclusif de la SCM. D'ailleurs, les associés de SCM sont aussi les décisionnaires et n'ont évidemment aucun intérêt à décider de redevances mensuelles excédant les besoins de trésorerie de la SCM pour payer les charges communes. Le simple fait de percevoir des recettes ne suffit pas, contrairement à ce qu'affirme régulièrement l'administration fiscale, à caractériser par lui-même le but lucratif d'un organisme, comme le rappelait clairement le Conseil d'Etat dans les décisions précitées, car les notions de "recettes" (comptables) et de "profit" (commercial) ne doivent pas être confondues.

S'agissant du caractère désintéressé de la gestion, il implique que le ou les gérants de la SCM ne perçoivent aucune rémunération pour leur activité de gestion, autre que le simple remboursement de leurs frais éventuels.

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Il me paraît probable que la quasi-totalité des gérants de SCM sont bénévoles. Toutefois, en cas contraire, l'une des conditions de l'exonération de CFE ne serait pas acquise.

Enfin, il convient de rechercher s'il existe, dans la même zone géographie d'attraction, des entreprises commerciales qui exercent les mêmes activités que la SCM et dans les mêmes conditions. Rappelons que les activités de la SCM sont la mise à disposition de locaux, de matériels et de services spécifiques à l'exercice de telle ou telle profession libérale, et en outre dans le respect des obligations déontologiques propres à cette profession. Il est vrai que, notamment dans les grandes villes, de telles entreprises commerciales commencent à se positionner sur ce marché particulier de la domiciliation de certaines professions libérales. Mais, il est certain qu'aucune d'entre elles ne propose de tels services "à prix

coutant", c'est-à-dire sans réalisation d'une marge d'exploitation. Or, la SCM propose toujours ses services à un prix strictement égal à ses coûts de fonctionnement, y compris (le cas échéant) à l'égard des tiers non associés (sauf dénaturation). Il est donc aisé d'affirmer que les conditions dans lesquelles la SCM exerce son activité sont "différentes" de celles dans lesquelles une entreprise commerciale concurrente, à supposer qu'elle existe, l'exercerait. En application de la jurisprudence du Conseil d'Etat, il me semble donc que les SCM, en principe, ne sont pas redevables de la CFE, ni par conséquent de la CVAE.

Il reste qu'en l'état, cette position n'est pas celle de l'administration fiscale et que seuls les tribunaux pourront infirmer ou confirmer ce raisonnement.

Aspects pratiques : A toutes fins utiles, pour les lecteurs qui seraient concernés, je me permets de préciser que le délai de réclamation en la matière expire le 31 décembre de l'année qui suit l'avis d'imposition (article R. 196-2 du Livre des procédures fiscales).

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Exemple : l'avis d'imposition CFE de 2012 peut faire l'objet d'une réclamation jusqu'au 31 décembre 2013. La première étape consiste à formuler obligatoirement une réclamation préalable auprès de l'administration qui a émis l'avis d'imposition, par lettre recommandée avec accusé de réception, et devant, à peine d'irrecevabilité (article R. 197-3 du Livre des procédures fiscales) : -

mentionner l'imposition contestée,

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contenir l'exposé sommaire des moyens et les conclusions ("exonération de CFE ou de CVAE pour l'année …"),

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porter la signature manuscrite de son auteur,

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être accompagnée de l'avis d'imposition. (article R. 197-3 du Livre des Procédures fiscales).

L'administration dispose d'un délai maximal de 6 mois pour répondre (sauf prorogation notifiée avant l'expiration de ce délai). En cas de refus, ou en cas de défaut de réponse dans le délai de 6 mois, vous disposerez alors d'un délai de 2 mois pour saisir le Tribunal administratif.

© Damien L'HÔTE (21/02/2012) - http://avocats.fr/space/damien.lhote