tribunal des droits de la personne

1 mars 2000 - le défendeur, monsieur Steve Sfiridis, a porté atteinte aux droits de ...... Thus, where complainants are forced to quit their jobs because of.
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CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE LAVAL

N° :

540-53-000014-013

DATE : 24 AVRIL 2002 ______________________________________________________________________ SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MICHÈLE RIVET AVEC L’ASSISTANCE DES ASSESSEURS : Me François Blais M. Keder Hyppolite ______________________________________________________________________

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, organisme public constitué en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q. c. C-12) ayant son siège social au 360, rue Saint-Jacques Ouest à Montréal (Québec) H2Y 1P5, agissant en faveur de Vicky O'Connor Partie demanderesse c. STEVE SFIRIDIS, résidant et domicilié au 1335, Antonio, Laval (Québec) H7V 3N5 Partie défenderesse JR0330

______________________________________________________________________ JUGEMENT ______________________________________________________________________

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TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

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[1] Le Tribunal des droits de la personne (ci-après appelé le Tribunal) est saisi d'une demande introductive d'instance fondée sur les articles 1, 4, 10, 10.1, 16 et 46 de la Charte des droits et libertés de la personne1 (ci-après appelée la Charte) par laquelle la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (ci-après appelée la Commission), agissant au nom de la plaignante, madame Vicky O'connor, allègue que le défendeur, monsieur Steve Sfiridis, a porté atteinte aux droits de madame O'Connor à des conditions de travail exemptes de harcèlement et de discrimination fondée sur le sexe, ainsi qu'au respect de son intégrité et de sa dignité et forcé madame O'Connor à démissionner de son emploi le 1er mars 2000, contrevenant ainsi aux articles précités de la Charte. [2] La Commission recherche la réparation du préjudice subi par madame Vicky O'Connor et, à cet effet, requiert que le défendeur, monsieur Steve Sfiridis, soit tenu de lui verser 4 800 $ à titre de dommages pécuniaires ou perte de revenus, 5 000 $ à titre de dommages moraux et 3 000 $ à titre de dommages punitifs. [3] Le défendeur monsieur Sfiridis, représenté par procureur, nie l'essentiel des allégués et plaide pour le rejet de la demande. 1.

Les faits

[4] Le 23 décembre 1999, madame Vicky O'Connor, alors âgée de 21 ans, accompagnée de sa sœur Nancy et d'une amie, Annie-Claude Valois, s'est présentée au restaurant Nickels situé au 1991, rue Marcel-Laurin à ville Saint-Laurent pour y rencontrer le défendeur, monsieur Steve Sfiridis, afin d'obtenir un emploi comme serveuse dans son établissement. [5] Le défendeur, monsieur Sfiridis, était le principal actionnaire et propriétaire du restaurant. Il en assumait également les fonctions d'administrateur et s'occupait de la supervision du personnel. Entre autres, il embauchait et congédiait le personnel, le cas échéant. [6] Madame Annie-Claude Valois, elle-même serveuse au restaurant, qui a mis en contact madame O'Connor et le défendeur monsieur Sfiridis. Au cours de l'entretien, madame O'Connor indique au défendeur qu'elle ne possède pas d'expérience en restauration rapide. Elle se remémore que durant l'entretien, le défendeur fixe constamment sa poitrine. Selon madame Nancy O'Connor, sœur de madame Vicky O'Connor: «C'était assez clair pour le remarquer». À la fin de l'entretien, il leur propose même qu'elles l'accompagnent au casino durant la soirée, ce qu'elles refusent. [7] Madame Vicky O'Connor débute son emploi le 27 décembre 1999 sur l'horaire de jour pour une période de familiarisation supervisée par une dénommée Anasthasia. 1

L.R.Q., c. C-12.

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[8] Deux jours plus tard, soit le 29 décembre 1999, madame O'Connor débute son emploi sur l'horaire de soir de 17 h à la fermeture, normalement vers 23 heures. Cependant, il lui est arrivé quelquefois de terminer à 0 h ou 1 h et d'autres fois, de terminer plus tôt soit à 20 heures. Son horaire de soir s'étalait du mardi au samedi. Elle ne travaillait pas les dimanches et lundis. [9] Elle partageait l'horaire du soir comme serveuse avec madame Valérie Acosta ou madame Annie-Claude Valois. Il est arrivé qu'un certain Thomas ait fait du remplacement comme serveur ainsi qu'un certain Johnny. Il y avait aussi monsieur Louis Sakalis ou monsieur Steven Carmichael qui agissaient comme bus-boy. Quant à monsieur Steve Sfiridis, il en était le superviseur. [10] Dès le début de son emploi, madame Vicky O'Connor, décrit le comportement du défendeur monsieur Sfiridis comme «impoli et ingrat» parce qu'il faisait régulièrement des commentaires sur sa poitrine. Il l'appelait visu ce qui signifie en grecque «fille avec des grosses boules». Le témoin indique avoir appris la signification de ce terme de monsieur Louis Sakalis, un collègue de travail, qui après hésitation et à sa demande lui a indiqué la signification du terme. [11] Madame O'Connor indique qu'il utilisait cette expression comme si c'était son prénom et que ça ne le gênait pas de l'utiliser devant les autres employés comme madame Annie-Claude Valois ou Johnny. En fait, selon madame O'Connor toutes les personnes travaillant au restaurant l'ont entendu utiliser cette expression à son égard au moins une fois. [12] En plus, il lui tapait les fesses sans raison. Monsieur Steve Sfiridis en profitait lorsqu'elle allait chercher une assiette à l'arrière en lui donnant une petite tape sur les fesses. Ce comportement s'est produit presque au début de son emploi, à savoir à compter de la troisième ou quatrième journée lorsqu'elle a débuté son horaire de soir. [13] Madame Vicky O'Connor, était surprise du comportement du défendeur monsieur Sfiridis. Elle lui a manifesté sa désapprobation mais rien n'y fit. Le défendeur continuait. Madame O'Connor, indique avoir été victime environ une vingtaine de fois de ce comportement du défendeur. [14] En plus, monsieur Steve Sfiridis l'a saisie par les bras à certaines occasions, sans raison et alors qu'elle tentait de se défaire de son emprise, il lui disait: «C'est ça, c'est ça, charmouta». [15] Madame O'Connor décrit un autre événement. Alors qu'un bouton manquait sur sa blouse et qu'elle l'a remplacé par une épingle, le défendeur monsieur Sfiridis lui a mentionné: «Ah, il fallait bien que ça explose à un moment donné».

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[17] Madame O'Connor ajoute que lorsque les clients payaient par Interac, il arrivait souvent au défendeur monsieur Sfiridis de venir chercher un objet quelconque et il en profitait pour se frôler avec son épaule, son bras. Elle dira: «C'était toujours de frôler le bord de la poitrine». À cet égard, madame O'Connor, indique que cela est arrivé deux à trois fois. [18] Le défendeur monsieur Steve Sfiridis la traitait de stupide, charmouta ou de visu ou encore avait des remarques sur ses seins et sur ses fesses. [19] Madame O'Connor donne comme exemple un incident survenu au moment de passer une commande inhabituelle d'un client qui voulait un smoked meat extra gras. Le défendeur monsieur Sfiridis lui a répondu à ce moment: «C'est ça charmouta, comme toi, comme toi». Madame O'Connor indique avoir très mal réagi à ces propos, s'être sentie rabaissée, humiliée. D'autant plus que ces paroles étaient prononcées devant d'autres personnes. [20] Afin de remédier à la situation, madame O'Connor a demandé un déplacement sur l'horaire de jour: «Parce que je n'étais plus capable de supporter Sfiridis». Elle ajoute en avoir parlé avec sa formatrice Anasthasia. On lui a cependant répondu que les besoins en personnel étaient comblés. [21] En outre, elle a fait des démarches pour trouver un emploi dans un autre restaurant Nickels du centre-ville, mais sans succès. [22] De façon générale, madame O'Connor indique qu'elle aimait son travail et qu'elle était appréciée des clients et ce, même s'il y avait toujours une tension lorsque le défendeur monsieur Sfiridis était là. [23] Quant aux relations entre les employés, elle les décrit comme très bonnes. Il est même arrivé que tous les employés sortent ensemble en dépit d'une politique instaurée par le défendeur monsieur Sfiridis qui le défendait expressément. Cette politique prévoyait cependant une exception selon elle: «lorsque l'employé sortait avec le patron». [24] À la mi-janvier 2000, alors que madame O'Connor va chercher ses assiettes pour le service aux clients, le défendeur monsieur Sfiridis lui a fait une proposition explicite «de faire de l'argent vite, vite» si elle accepte de coucher avec lui. Cette proposition lui a été faite devant d'autres employés. À ce moment, madame O'Connor dit: «Je l'ai regardé, je suis restée bouche bée, j'ai fait: Non, vraiment pas là». À une question de son procureur, madame O'Connor répondra:

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[16] Ces gestes se répétaient habituellement dans l'arrière-cuisine où se trouvait monsieur Steve Sfiridis.

72.

Q. R.

PAGE : 5 «Comment vous êtes-vous sentie à ce moment-là devant cette proposition de coucher avec lui?» «Je me suis sentie sale. Je me suis sentie tellement rabaissée. Je ne sais pas, je donne-tu cette image-là? J'ai-tu l'air d'une prostituée là? Non, j'ai… Au début, j'ai comme figé, ça m'a pris du temps avant de dire non, parce que je ne savais pas comment réagir avec lui. Là, je me suis dit comme: il ne «catche» vraiment pas, il ne comprend pas que je ne veux absolument rien savoir de lui là».

[25] Enfin le 29 février 2000, madame O'Connor, relate un incident qui «a été la goutte qui a fait déborder le vase». Voici comment elle décrit l'incident : 78.

R.

«La dernière journée de mon travail et puis ça, je vais toujours m'en souvenir, ça a été la goutte qui a débordé le vase. Vous savez, les «stores» vénitiens, il se trouve à y avoir des petites languettes de plastique pour les fermer. Il était en train de jouer comme ça ici avec dans ses mains, moi, j'étais dans l'arrière cuisine, j'étais en train de remplir mes 7up et puis il a donné une tape comme ça à Annie-Claude. Annie-Claude, elle n'a rien dit. Il m'en donne une à moi, je me retourne, je dis: «Hey». Là là, j'étais comme… j'allais travailler sur la défensive, ça fait que là, j'ai… je me préparais à lui dire quelque chose s'il me faisait quelque chose ou s'il disait quelque chose. Il me donne une tape, je me retourne, je dis «hey». Ça fait que là, il fait «ha», un petit rire encore comme il fait tout le temps et puis là, je suis partie servir mes tables, je suis revenue et puis il m'a passé le bout de plastique entre les jambes, comme ça ici de même, entre les jambes. Je suis restée figée, je me suis retournée, j'ai dit: «Tu ne me touches plus jamais». Je suis allée voir Thomas et puis Thomas, il… c'est moi qui étais supposée de faire la fermeture ce soir-là et puis je suis allée voir Thomas et puis j'ai dit: «Écoute, Thomas, j'ai dit, est-ce que tu veux me remplacer ce soir, parce que moi, je pars à… je pars dès que je peux, je ne veux pas rester avec lui, faire la fermeture». Je suis partie chez moi, je suis partie à brailler tout le long que j'ai pris l'autobus chez nous et puis le lendemain matin, j'ai appelé… pas le lendemain matin, le lendemain après-midi, vers 3h00, j'ai appelé Thasia et puis j'ai dit: «Écoute, j'ai dit, je ne pense pas

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PAGE : 6 que je vais rentrer ce soir, Steve, il a été vraiment trop loin là». Là, elle m'a dit: «Qu'est-ce qui est arrivé?» Là, j'ai dit: «Non, ça ne me tente pas d'en parler, j'ai dit, mais je pense que je ne reviendrai plus travailler». Et puis c'est ça, je n'ai pas rentré».

[26] En réponse à une question de son procureur, madame O'Connor indique ce qui suit: 79.

Q. R.

«Lorsqu'il a passé le bâton entre vos jambes, comment vous vous êtes sentie à ce moment-là? À ce moment-là, je pense que j'avais rien que le goût de brailler. J'ai… tu sais, il a comme poussé un petit peu trop loin là, ça a été vraiment trop là. Je pensais qu'en étant bête après ça et puis en étant sèche avec lui qu'il était pour comprendre, mais ça a l'air qu'il ne «catchait» pas, lui, qu'il ne voulait pas comprendre».

[27] Et enfin, madame O'Connor mentionne: 80.

Q. R.

«D'accord. Madame O'Connor, pourquoi avez-vous démissionné de votre travail au Nickels? Parce que je n'étais plus capable de sentir Steve Sfiridis, je n'étais plus capable de ses commentaires, j'étais… j'étais à bout de… d'aller travailler sur la défensive. Je ne suis pas… il me donnait mal au cœur».

[28] Selon madame O'Connor, son emploi lui rapportait 6,15 $/heure et les pourboires variaient de 50 $ à 100 $ par soir. Elle a recommencé à travailler le 23 mai 2000 pour une autre entreprise, Belron Canada. [29] Madame O'Connor, produit en liasse les relevés de paie (Pièce P-3) faisant état de sa rémunération globale incluant les pourboires pour les semaines couvrant les semaines du 27 décembre 1999 au 6 février 2000. [30] En contre-interrogatoire, le témoin indique être resté à l'emploi jusqu'au 1er mars 2000 en dépit du harcèlement dont elle était l'objet puisqu'elle devait assumer les dépenses pour elle et sa sœur Nancy et que celle-ci ne contribuait que pour 200 $/mois, ce qui était insuffisant. [31] La Commission a fait entendre comme deuxième témoin, madame Valérie Acosta qui a travaillé au restaurant Nickels situé au 1991, rue Marcel-Laurin à ville SaintLaurent au cours de la période s'étalant d'octobre 1999 à mai 2000.

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[32] À compter de janvier 2000, l'horaire de travail de madame Acosta se répartissait les lundis et mardis soir et les samedis et dimanches durant le jour. [33] Selon le témoin, elle travaillait avec madame O'Connor, tous les lundis et mardis soir. Le défendeur monsieur Sfiridis était présent à l'établissement et elles ont travaillé ensemble jusqu'au départ de madame Vicky O'Connor en mars 2000. [34] Madame Acosta indique qu'à compter du 20 janvier 2000, à son retour de vacances, elle a remarqué que le défendeur monsieur Sfiridis saisissait madame O'Connor, par les bras juste pour la toucher. Qu'il lui a tapé les fesses à certaines reprises, au moins trois fois selon le témoin, qu'à d'autres occasions, il avait des commentaires déplacés, des questions personnelles à l'égard de madame O'Connor. [35] Selon madame Acosta, madame O'Connor avait très peur de lui et était très mal à l'aise en sa présence. [36] Madame Acosta indique que le défendeur monsieur Sfiridis refusait que les employés sortent ensemble ou qu'ils développent des amitiés entre eux, surtout des amitiés gars/filles. Le témoin ajoute que madame O'Connor lui a confié que le défendeur lui avait demandé si elle voulait coucher avec lui en échange d'argent. [37] Enfin, madame Acosta a quitté son travail parce que fin mai 2000, le défendeur monsieur Sfiridis l'aurait traitée de putain en arabe en utilisant le terme charmouta dans des circonstances que le témoin a relatées. [38] La Commission a fait entendre comme troisième témoin la sœur de madame Nancy O'Connor. Celle-ci indique avoir partagé un appartement avec sa sœur au cours de la période de septembre 1999 à juillet 2000. [39] Selon madame Nancy O'Connor, au cours de la période de décembre 1999 à mars 2000, sa sœur était devenue agressive, elle pleurait souvent, plus que la normale. Elle ne savait pas comment réagir, quoi faire en fin de compte, par rapport à ce qui se passait à son travail. Selon elle, cette attitude contrastait avec son tempérament habituel. En effet, madame Vicky O'Connor était une personne sociable qui faisait facilement confiance à son entourage. [40] Cependant, depuis cet épisode, elle a tendance à demeurer plus à l'écart des autres et son cercle d'amis a beaucoup diminué. Elle a changé. [41] Entre la période de janvier à mars, elle a remarqué que Vicky avait des ecchymoses sur ses bras.

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[42] En contre-interrogatoire, madame Nancy O'Connor précise qu'elle ne contribuait que pour 200 $ aux frais de subsistance et de loyer et que sa sœur devait absolument trouver un travail afin de boucler le budget. Elle ajoute avoir constaté un changement dans l'attitude et les émotions de sa sœur environ une semaine après le début de son travail. Elle était devenue agressive et allait au travail sans enthousiasme. Elle lui a même conseillé d'aller à la Commission des droits de la personne et lui a suggéré de laisser son emploi, ce que sa sœur refusait de faire compte tenu de leur situation financière précaire. Enfin, le témoin indique que selon elle, la situation à son travail était devenue intolérable depuis le mois de janvier 2000. [43] La défense a fait entendre comme premier témoin monsieur John Castranakis. Il a travaillé avec madame Vicky O'Connor, à compter de la première semaine de janvier 2000. Il travaillait comme serveur selon un horaire réparti sur 7 jours semaine de 17 h à 22 h. [44] Selon lui, le défendeur monsieur Sfiridis était présent presque à tous les jours, du matin jusqu'au midi pour revenir de 16 h jusqu'à la fermeture. Ils ont travaillé ensemble pendant une période de cinq ans. Ils sont de bons amis, et il leur est arrivé d'aller ensemble deux ou trois fois au casino au cours de cette période. [45] Selon monsieur Castranakis, le défendeur monsieur Sfiridis était juste envers les employés sauf ceux qui n'avaient pas une bonne performance au travail. Il n'a pas noté de comportement inapproprié envers madame O'Connor. Il est cependant arrivé au défendeur monsieur Sfiridis d'utiliser un langage inapproprié envers le témoin monsieur Castranakis, mais c'était pour faire des blagues, selon lui. [46] Selon le témoin monsieur Castranakis, des rencontres mensuelles étaient prévues à la fin de chaque mois avec les employés. Le but de ces rencontres visait l'amélioration du service à la clientèle, l'apparence des employés, leur ponctualité. En outre, le défendeur monsieur Sfiridis aurait insisté à l'effet qu'il n'y ait pas de relation personnelle qui se développe entre les employés. [47] Le défendeur monsieur Sfiridis lui avait spécifiquement demandé de tenter de trouver quelqu'un d'autre pour la remplacer. En effet, les commentaires du défendeur monsieur Sfiridis l'incitaient à penser que madame O'Connor ne resterait pas très longtemps à son emploi. [48] En contre-interrogatoire, le témoin indique qu'il n'a pas entendu monsieur Sfiridis prononcer à l'endroit de madame O'Connor les paroles qui lui sont reprochées ou encore il ne l'a pas vu serrer les bras de madame O'Connor. Il précise que lui-même a déjà prononcé le mot visu à l'endroit de madame Vicky O'Connor.

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[49] Le deuxième témoin présenté par la défense est monsieur Steve Sfiridis. Il explique qu'il opérait son établissement sous la bannière des restaurants Nickels dont le siège social était situé directement à l'arrière de son établissement. [50] Il indique que son établissement était fréquenté assidûment par les administrateurs de la chaîne de restaurants et qu'en conséquence, il se sentait soumis à une très forte pression pour sa gestion quotidienne. En effet, selon le témoin, son établissement a été le premier ouvert par la chaîne de restaurants et les administrateurs de celle-ci y attachaient une valeur symbolique. [51] Dans cette perspective, il était soucieux d'éviter les plaintes des clients au siège social, en particulier quant à la qualité du service. Selon le témoin, afin de maintenir un bon climat de travail, il désirait éviter que les employés développent des relations sentimentales entre eux et il avait laissé entendre que ceux-ci pourraient être congédiés ou mis à pied s'ils le faisaient. [52] En dépit de cette mise en garde, les employés se fréquentaient et sortaient ensemble après le travail. Certains d'entre eux désiraient même qu'il les accompagne. Il s'est abstenu de le faire puisqu'il était au travail sept jours semaine et qu'il devait être présent le matin. [53] Quelques mois avant les événements qui nous occupent, le témoin relate que l'entreprise a été saisie par le gouvernement. Selon lui, 30 restaurants de la chaîne Nickels, dont le sien, ont été visés par l'opération gouvernementale et son investissement d'environ 200 000 $ y a passé. Il est d'ailleurs toujours en dette avec ses parents pour cette somme. [54] En outre, la compétition s'est installée près de son restaurant et il a vu son chiffre d'affaires diminuer de 25 000 $ à 15 000 $ hebdomadairement. L'ensemble de ces circonstances faisait qu'il se sentait coincé et qu'il était très difficile pour lui d'avoir les idées claires dans ce contexte. Du même souffle, il nie avoir traité madame Valérie Acosta de charmouta et il s'explique mal les circonstances du départ de madame Acosta. [55] Concernant madame Vicky O'Connor, il explique que la performance au travail de madame Vicky O'Connor était mauvaise, qu'il y avait des plaintes des clients à son sujet et il indique en avoir discuté avec elle à quelques reprises. [56] Le témoin nie lui avoir serré les bras, utilisé un bâton de plastique pour lui passer entre les jambes. Il est possible qu'il l'ait traitée de stupide et il explique que ça ne s'est jamais produit devant les clients. Enfin, il mentionne ne s'être jamais frotté contre elle. Concernant la rencontre du 23 décembre, il ne se souvient pas exactement ce qui s'est passé et selon lui, Annie-Claude Valois devait procéder à sa formation. En outre, il lui a payé cinq à six heures de formation au début de son emploi.

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[57] Selon le témoin, Anasthasia était une employée déléguée par le siège social pour continuer à opérer le restaurant, d'une part parce qu'il y avait des problèmes avec le gouvernement et, d'autre part, parce qu'il a dû faire une faillite corporative et personnelle. En conséquence, elle a opéré le restaurant pendant quelques mois alors que lui s'est cantonné dans un rôle différent surtout à la cuisine. [58] Selon le défendeur, madame O'Connor ne s'est jamais plainte à lui de ce qu'elle a relaté dans son témoignage. Selon lui, la première fois qu'il en a entendu parler c'est lorsqu'il a reçu la Déclaration de la Commission des droits de la personne. Il l'aurait apportée au restaurant pour la montrer aux autres employés. [59] Selon le témoin, madame O'Connor n'est pas restée assez longtemps à l'emploi pour qu'il puisse l'humilier. Il s'exprime ainsi à une question de son procureur: 810.

Q.

A.

«During the time that Miss O'Connor was employed by Nickels restaurant, did you humiliate her in any way? She didn't stay long enough there to, I mean it's impossible to humiliate someone who stays there for two (2) months, I mean, she left right after, I don't know, after she trained and she started to learn a little bit how to work she left right away, she didn't…»

[60] Enfin, il ressort de son témoignage qu'il n'avait pas l'intention de la congédier puisqu'il était difficile de trouver du personnel pour faire le travail, surtout sur cet horaire de soir. [61] En contre-interrogatoire, il reconnaît que le terme charmouta a été utilisé dans le restaurant par d'autres employés que lui. Le témoin indique également avoir engagé madame O'Connor, même si elle n'avait pas d'expérience dans la restauration parce qu'il avait un besoin de personnel pour cet horaire en particulier. Selon le témoin, il a constaté qu'avec l'expérience, elle deviendrait compétente. D'ailleurs, après les deux premiers mois à son emploi, elle devenait plus compétente pour son travail. Elle s'était améliorée. [62] Il nie l'avoir appelée charmouta ou visu, peut-être stupide à une occasion dans le feu de l'action et selon le témoin, il n'a pas fait de commentaires sur sa poitrine parce qu'on peut facilement constater que selon lui, elle n'est pas servie par la nature sur ce point. [63] Le témoin s'exprime ainsi lors du contre-interrogatoire: 971.

Q. A.

«Did you make any comments about her breasts? No. What comments is there to make?

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972.

Q. A.

973.

Q. A.

974.

Q. A. Q. A.

975.

976.

Q. A.

977.

Q. A.

PAGE : 11 Well, you heard her testimony. Yes, but I don't think that she's that bestowed in that department, do I don't see why I would make a comment for her breasts. How do you know that? Well, because if you have eyes, you can see yourself. She's not, you know, why would somebody make comment? She's not exactly Dolly Parton, you know what I mean, so… No, I don't know what you mean. You know, so it's not something that I would have said. So you noticed that she wasn't… Well, I just - I just noticed - I didn't notice anything, that's all, just like anybody else. Well, you just said… Like if she was, I don't know, she had a forty-four (44) extra D, whatever, I don't know, maybe people would have noticed, you know, but… You would have noticed? Well, everybody would have noticed unless somebody is blind.»

[64] La défense a fait entendre comme troisième témoin monsieur Chris Karmiris. Il a travaillé comme serveur de décembre 1997 à juin 2000 chez Nickels pour le défendeur monsieur Sfiridis. [65] Il a travaillé avec madame Vicky O'Connor, mais n'a rien remarqué de particulier quant à des événements s'étant produits entre madame Vicky O'Connor et le défendeur monsieur Sfiridis. Selon lui, madame O'Connor a travaillé au restaurant environ quatre mois. Tout allait bien entre elle et les autres employés. Enfin, il a indiqué que le départ de madame Acosta s'est produit suite à un incident mais il ne sait pas quoi exactement. [66] Le dernier témoin de la défense a été madame Chantal Hébert qui indique avoir travaillé comme serveuse chez Nickels de 1996 à 2000 et son horaire de travail était de 05 h à 14 h et elle a indiqué ne jamais avoir travaillé en soirée. 2.

Le droit applicable

[67] La protection contre le harcèlement est inscrite à l'article 10.1 de la Charte depuis 1982. Plus particulièrement, le harcèlement sexuel en milieu de travail pourra avoir un caractère discriminatoire lorsqu'en portant atteinte aux droits prévus aux articles 4, 10, 16 et 46 de la Charte, il prive la victime de son droit d'œuvrer dans des conditions de travail justes et raisonnables, de travailler en toute égalité et en toute dignité.

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2.1 Le droit international [69] Même si aucun texte international ne vient interdire explicitement le harcèlement sexuel, cette interdiction émane implicitement des textes interdisant la discrimination fondée sur le sexe. Au fil des ans cette garantie d'égalité s'est peu à peu transformée, afin de rendre effectif ce principe dont l'établissement remonte à plus de cinquante ans. [70] Adoptée en 1948 par l'Assemblée des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l'homme2, énonce dans son préambule, le droit à la dignité et à l'égalité en tant que principe sous-jacent aux droits et libertés prévus dans la Déclaration: La reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.

[71] De plus, la Déclaration énonce à son article 1 que: «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits... ». [72] Bien que de façon générale, divers instruments garantissent le droit à la dignité et à l'égalité pour tous, ces instruments se sont avérés quelquefois insuffisants devant l'ampleur des discriminations dont font l'objet les femmes, d'où la nécessité de mettre en place des instruments venant établir des garanties plus spécifiques à l'égard des femmes. [73] C'est en 1979 qu'est adoptée la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes3, dont l'intérêt réside dans le fait que les États parties s'engagent à mettre en œuvre les principes énoncés dans la Convention, en prenant toutes les mesures nécessaires à la suppression de la discrimination envers les femmes, sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations. [74] Les considérants inscrits dans le préambule de la Convention sont éloquents quant aux objectifs visés. Devant l'importance de la discrimination qui continue de s'exercer envers les femmes, la Convention met l'accent sur la nécessité de modifier les

2 3

A.G. Rés. 217 A (III), Doc. N.U. A/810 (1948). Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, (1981) 1249 R.T.N.U. 13. Adoptée en 1979, ratifiée par le Canada et le Québec en 1981, elle fait suite à la Déclaration sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes, adoptée en 1967 suite à la proposition de la Commission sur le statut de la femme des Nations Unies créée en 1946.

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[68] Avant d'examiner la portée de ces articles, il est important de faire un survol des instruments internationaux en matière de harcèlement sexuel et d'égalité en emploi.

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Préoccupés toutefois de constater qu'en dépit de ces divers instruments les femmes continuent de faire l'objet d'importantes discriminations, Rappelant que la discrimination à l'encontre des femmes viole les principes de l'Égalité des droits et du respect de la dignité humaine, qu'elle entrave la participation des femmes, dans les mêmes conditions que les hommes, à la vie politique, sociale, économique et culturelle de leur pays, qu'elle fait obstacle à l'accroissement du bien être de la société et de famille et qu'elle empêche les femmes de servir leur pays et l'humanité dans toute la mesure de leurs possibilités, Conscients que le rôle traditionnel de l'homme dans la famille et dans la société doit évoluer autant que celui de la femme si on veut parvenir à une réelle égalité entre l'homme et de la femme, [Je souligne]

[75] La Convention énonce aussi à l'article 5: Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour: Modifier les schémas et modèles de comportement socio-culturel de l'homme et de la femme en vue de parvenir à l'élimination des préjugés et des pratiques coutumières ou de tout autre type, qui sont fondés sur l'idée de l'infériorité ou de la supériorité de l'un ou l'autre sexe ou d'un rôle stéréotypé des hommes et des femmes;

[76] La Convention reconnaît que les problèmes de discrimination et de harcèlement sexuel envers les femmes découlent en grande partie de comportements socio-culturels et de préjugés tenaces, et que l'élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes doit aussi se faire dans une perspective systémique et prévoit que des mesures à cet égard soient prises par les États parties. [77] Par ailleurs, l'article 11 de la Convention énonce de façon spécifique l'égalité de traitement dans l'emploi: 1. Les États parties s'engagent à prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l'égard des femmes dans le domaine de l'emploi, afin d'assurer, sur la base de l'égalité de l'homme et de la femme, les mêmes droits, et en particulier: a)

Le droit au travail en tant que droit inaliénable de tous les êtres humains;

b) la stabilité de l'emploi et à toutes les prestations et conditions de travail, le droit à la formation professionnelle et au recyclage, y compris l'apprentissage, le perfectionnement professionnel et la formation permanente;

[78] En 1992, le Comité des Nations Unies considérait que les Rapports des États parties ne reflétaient pas tous suffisamment le lien étroit qui existe entre la

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schémas et les comportements sociaux qui permettent de perpétuer la discrimination envers les femmes.

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discrimination à l'égard des femmes, la violence fondée sur le sexe et les violations des droits de l'Homme. Donnant suite à ce constat, le Comité adoptait la Recommandation générale no 194, visant à éliminer toutes formes de violence à l'égard des femmes et à consolider l'effectivité de la Convention. [79] Pour faire écho à l'article 11 de la Convention, la Recommandation générale no 19, est venue rappeler que le harcèlement sexuel en milieu de travail peut être considéré comme discriminatoire lorsque cette conduite crée un climat hostile de travail ou compromet le recrutement ou la promotion: 17. L'égalité dans l'emploi peut être gravement compromise lorsque les femmes sont soumises à la violence fondée sur le sexe, tel le harcèlement sexuel sur le lieu de travail. 18. Le harcèlement sexuel se manifeste par un comportement inopportun déterminé par des motifs sexuels, consistant notamment à imposer des contacts physiques, à faire des avances et des remarques à connotation sexuelle, à montrer des ouvrages pornographiques et à demander de satisfaire des exigences sexuelles, que ce soit en paroles ou en actes. Une telle conduite peut être humiliante et peut poser un problème sur le plan de la santé et de la sécurité; elle est discriminatoire lorsque la femme est fondée à croire que son refus la désavantagerait dans son emploi, notamment pour le recrutement ou la promotion ou encore lorsque cette conduite crée un climat de travail hostile.

[80] Tout récemment, le Protocole facultatif à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes5 est venu renforcer la mise en œuvre universelle des droits de la femme. Entré en vigueur le 22 décembre 2000, l'objectif du Protocole est de permettre à des particuliers qui ont épuisé tous les recours internes, de présenter directement au Comité, des communications au sujet des violations de la Convention qui auraient été commises par leurs gouvernements. Il permet également au Comité d'effectuer des enquêtes sur des violations graves ou systématiques de la Convention dans les États parties. [81] Par ailleurs, et de portée plus large, la Convention concernant la discrimination en matière d'emploi et de profession6 (Convention no 111), adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1958, ratifiée par le Canada le 26 novembre 1964, vise aussi à promouvoir l'élimination de toute discrimination dans l'emploi. [82] Dans son rapport de 1996, la Commission d'experts du Bureau International du Travail sur l'application des conventions et recommandations, constatait que le harcèlement sexuel en milieu de travail constitue une limite en matière de maintien en emploi: 4 5

6

Recommandation no 19. Violence à l'égard des femmes: 29/01/92 CEDEF. Adopté à New York le 6 octobre 1999, entré en vigueur le 22 décembre 2000, à ce jour n'est pas ratifié par le Canada. Convention concernant la discrimination en matière d'emploi et de profession, (1964) R.T.N.U. vol 362. Ratifiée par le Canada le 26 novembre 1964 et entrée en vigueur au Canada le 26 novembre 1965.

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À l'instar de la discrimination en emploi à l'égard des femmes, le harcèlement sexuel constitue une limite tant en matière d'accès à l'emploi qu'en matière de maintien en emploi.7

[83] Toujours selon cette Commission d'experts, le harcèlement sexuel se définit ainsi: Toute insulte ainsi que toute remarque, plaisanterie, insinuation ou commentaire faits mal à propos sur les vêtements d'une personne, son corps, éventuellement son âge, sa situation de famille, etc.; toute attitude condescendante ou paternaliste ayant une implication sexuelle qui porte atteinte à la dignité, toute invitation ou requête importunes, implicites ou explicites, accompagnées ou non de menaces, tout regard concupiscent ou autre geste associé à la sexualité, tout contact physique inutile comme les attouchements, les caresses, les pincements, les voies de fait. Pour être considérées comme harcèlement sexuel dans l'emploi, ces actions doivent en outre soit être perçues à juste titre comme une condition de maintien dans l'emploi ou une condition préalable à l'emploi, soit influer sur les décisions prises en ce domaine et/ou nuire au rendement professionnel. Le harcèlement sexuel peut aussi émerger d'un climat généralement hostile vis-à-vis d'un sexe ou de l'autre.

2.2 Le droit régional comme droit comparé [84] En ce qui concerne les instruments régionaux en matière de protection des droits de la personne, mentionnons aussi qu'il n'existe pas de dispositions spécifiques interdisant expressément le harcèlement sexuel qui soient source d'obligations contraignantes. On peut toujours se référer, à titre de source interprétative du droit applicable, au Code de pratique pour la dignité de l'homme et de la femme au travail8 qui a été adopté par le Conseil des Communautés européennes. Ce Code a pour but, notamment, de promouvoir une prise de conscience concernant le problème du harcèlement sexuel au travail et de ses conséquences pour la personne qui le subit. À son article 2, le Code établit la définition suivante du harcèlement sexuel: - tout comportement abusif et blessant pour la personne qui en fait l'objet; - le fait qu'une personne refusant ou acceptant un tel comportement de la part d'un employeur ou travailleur (supérieur hiérarchique ou collègue) justifie explicitement ou implicitement une décision affectant les droits de cette personne en matière de formation professionnelle, d'emploi, de maintien de l'emploi, de salaire; - tout comportement créant un climat d'intimidation, d'hostilité ou d'humiliation à l'égard de la personne qui en fait l'objet.

[85] Par ailleurs, toujours sur le plan régional, l'Organisation des États américains (OEA), dont le Canada fait partie, a adopté la Convention interaméricaine sur la 7

8

BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL, «Étude spéciale sur l'égalité dans l'emploi et la profession relative à la no 111». Commission d'experts, Rapport III (Partie 4B), Conférence internationale du travail, 83e Convention session, Genève 1996. L'adoption de ce Code fait suite à la volonté clairement exprimée en ce sens dans la Résolution du Conseil des Communautés européennes du 29 mai 1990 concernant la protection de la dignité de la femme et de l'homme au travail, 90/C157/02.

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prévention, la sanction et l'élimination de la violence contre la femme9. La Convention situe le problème du harcèlement sexuel à l'intérieur de la problématique de la violence contre la femme. Son préambule déclare que «la violence contre la femme constitue une offense à la dignité humaine et est une manifestation des rapports de pouvoir historiquement inégaux entre les hommes et les femmes». [86] La Convention interaméricaine définit à son article 2 la violence contre les femmes comme suit: Par violence contre la femme, on entend la violence physique sexuelle ou psychique: (...) b. se produisant dans la communauté, quel qu'en soit l'auteur, et comprenant, entre autres, les viols, sévices sexuels, tortures, traite des personnes, prostitution forcée, séquestration, harcèlement sexuel sur les lieux de travail, dans les institutions d'enseignement, de santé ou tout autre lieu; [nos soulignés].

[87] Notons qu'à ce jour la Convention interaméricaine n'a pas encore été ratifiée par le Canada. 2.3 Le droit interne [88] Les dispositions applicables de la Charte sont les suivantes: Article 4: Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. Article 10: Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap. Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit. Article 10.1: Nul ne doit harceler une personne en raison de l'un des motifs visés dans l'article 10. Article 16: Nul ne peut exercer de discrimination dans l'embauche, l'apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d'une personne ainsi que dans l'établissement de catégories ou de classifications d'emploi.

9

Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l'élimination de la violence contre les femmes, A-61, adoptée le 9 juin 1994 et entrée en vigueur le 5 mars 1995. Elle n'est cependant pas encore ratifiée par le Canada.

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Article 46: Toute personne qui travaille a droit, conformément à la loi, à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique. Article 49: Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte. En cas d'atteinte illicite ou intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages exemplaires.

[89] L'article 10.1 de la Charte qui reconnaît expressément à toute personne le droit de ne pas subir du harcèlement en raison de l'un des motifs énoncés à l'article 10 constitue un droit indépendant et autonome. De plus, le harcèlement fondé sur l'un des motifs illicites de l'article 10 revêt un caractère discriminatoire prohibé puisqu'il porte atteinte aux droits fondamentaux protégés par la Charte tel que par exemple, le droit à la sauvegarde de la dignité de la personne prévu à l'article 4. [90] Dans l'affaire Habachi c. Commission des droits de la personne du Québec, le juge Baudouin de la Cour d'appel du Québec a analysé l'interrelation qui existe entre l'interdiction de discriminer pour l'un des motifs prévus à l'article 10 et la prohibition de harcèlement sexuel énoncé à l'article 10.1. Alors que l'article 10 de la Charte constitue une prohibition générale de certains motifs de discrimination; l'article 10.1 de la Charte, qui a été ajouté en 1982, interdit le harcèlement à titre de prohibition particulière dont l’objet est: Pour renforcer la réprobation de comportements inacceptables, trop longtemps tolérés dans notre société, principalement, est-il nécessaire d’ajouter, à l’endroit des femmes et des homosexuels.10

[91] Toujours selon le juge Baudouin, ce sont donc là deux réalités juridiques distinctes qui appellent des critères d'analyse distincts. Par conséquent, le harcèlement est conceptuellement plus qu'un simple comportement sexiste discriminatoire. Une conduite reprochée peut donc être à la fois qualifiée de harcèlement et de discrimination. [92] Soulignons qu’une atteinte au droit de ne pas subir de harcèlement prévu à l’article 10.1 de la Charte constitue, par ses caractéristiques et ses effets, une atteinte au droit à la sauvegarde de sa dignité prévu à l’article 4. Le droit à la sauvegarde de la dignité humaine est inhérent aux droits fondamentaux de la personne et il vise donc les atteintes à ses attributs fondamentaux: «Il n’exige pas l’existence de conséquences définitives pour conclure à la violation et il fait appel à une appréciation objective de la dignité et de ses exigences».11

10 11

Habachi c. Commission des droits de la personne du Québec, [1999] R.J.Q. 2522, 2526. Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211.

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[93] Mentionnons que les insultes, les injures et l’humiliation d’une personne en des lieux publics portent atteinte au droit à la sauvegarde de sa dignité prévu à l’article 4 de la Charte.12 2.3.1 La définition du harcèlement sexuel [94] Dans l'arrêt Janzen, la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge en chef Dickson, a défini d'une façon générale et non exhaustive le harcèlement sexuel en milieu de travail comme étant: (...) une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d'emploi pour les victimes de harcèlement (...). Le harcèlement sexuel en milieu de travail est un abus de pouvoir tant économique que sexuel. Le harcèlement sexuel est une pratique dégradante, qui inflige un grave affront à la dignité des employés forcés de la subir. En imposant à un employé de faire face à des gestes sexuels importuns ou à des demandes sexuelles explicites, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est une atteinte à la dignité des victimes et à son respect de soi, à la fois comme employé et comme être humain.13

[95] Retenons de la définition de l'arrêt Janzen, que le harcèlement sexuel en milieu de travail, renvoie à un abus de pouvoir, tant économique que sexuel. Il constitue une pratique dégradante qui inflige un grave affront à la dignité de l'employé forcé de le subir. Ce type de harcèlement génère un effet défavorable sur les conditions d'emploi et le milieu de travail de la victime. 2.3.2 Les diverses formes du harcèlement sexuel [96] Comme le soulignait le Tribunal dans l'affaire Habachi, un tel abus ou conduite peut prendre diverses formes: Cette conduite illicite peut revêtir diverses formes, tantôt subtiles, tantôt plus flagrantes. Mentionnons, à titre indicatif: des manifestations verbales (paroles, avances, propositions ou demandes de faveurs, remarques pouvant affecter défavorablement le milieu de travail psychologique et émotif), physiques (regards concupiscents, attouchements, étreintes, frôlements, pincements, et actes divers non sollicités pouvant aller jusqu'à l'agression) ou psychologiques (insinuations, invitations sous forme de sous-entendus jusqu'aux demandes explicites, attentions et marques d'affection importunes et connues comme telles, menaces de représailles expresses ou implicites).14

[97] Quelle que soit la forme que peut prendre le harcèlement, il n'est possible que dans la mesure où une situation de pouvoir permet la continuation d'un comportement 12

13 14

Voir Latreille c. Choptain, (1997) R.R.A. 840 (appel rejeté sur requête à C.A.M. no 500-09-005191-978, le 6 août 1997). Janzen c. Platy Enterprises Ltd, [1989] 1 R.C.S. 1252, 1284. Commission des droits de la personne c. Habachi [1992] R.J.Q., 1439, 1450.

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non désiré par la victime. Le milieu de travail est souvent propice à la perpétration d'un tel abus de pouvoir. L’examen des différentes formes de harcèlement sexuel en milieu de travail fait dire à la Cour suprême dans l'arrêt Janzen que: Le dénominateur commun (…) est l’utilisation d’une situation de pouvoir pour imposer des exigences sexuelles dans le milieu de travail et de modifier ainsi de façon négative les conditions de travail d’employés qui doivent lutter contre ces demandes sexuelles.15

[98] D’un point de vue général, la jurisprudence et la doctrine définissent deux principales formes ou catégories de harcèlement sexuel. D'une part, le harcèlement sexuel «donnant-donnant» ou chantage au travail (quid pro quo) qui est la forme de harcèlement la plus courante et d'autre part, le harcèlement sexuel du milieu de travail hostile.16 [99] Alors que le harcèlement sexuel «donnant-donnant» ou chantage au travail repose sur une dynamique individuelle, parce qu'il vise généralement à soumettre une femme à des demandes sexuelles importunes d'un seul harceleur en contrepartie du maintien ou de l'amélioration des conditions de travail, le harcèlement sexuel du milieu de travail hostile se caractérise, quant à lui, par sa portée systémique qui génère subtilement ou de façon insidieuse des gestes ou paroles à connotation sexuelle qui empoisonnent le climat de travail et qui créent une situation de rejet à l'encontre de la personne qui en est victime. [100] Le harcèlement sexuel «donnant-donnant»: […] vise la subordination d'une femme à des demandes sexuelles explicites, généralement posées par un seul harceleur, en contrepartie de l'accès aux bénéfices rattachés au travail. Ainsi, les tribunaux ont retenu deux éléments essentiels pour reconnaître une situation de harcèlement prohibé: le caractère nondésiré des actes ou comportements de nature sexuelle ou à connotation sexuelle et l'effet harcelant, c'est-à-dire répétitif ou grave, de la conduite reprochée.17

[101] En ce qui concerne la deuxième catégorie du harcèlement sexuel, soit le harcèlement sexuel en milieu de travail hostile, il ne comporte pas habituellement d'éléments qui pourraient laisser croire à une demande de séduction. Le Tribunal, dans l'affaire Lippé, a décrit ce genre de comportement ainsi: Le «harcèlement du milieu de travail hostile» est une manifestation plus subtile et insidieuse du harcèlement. Il fut d’abord reconnu aux États-Unis en vue de sanctionner les conduites harcelantes qui créaient «un milieu de travail menaçant,

15 16

17

Arrêt Janzen, précité, note 14, p. 1281 (j. Dickson). Principe que l'on retrouve également en droit international. (Voir: Recommandation no 19, précité, note 5). Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Lippé) c. Procureur général du Québec, [1998] R.J.Q. 3397, 3420.

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2.3.3 Les éléments constitutifs du harcèlement sexuel [102] Pour conclure à un comportement de harcèlement sexuel, il faut nécessairement la présence de deux éléments constitutifs: 1) le caractère vexatoire ou non désiré de la conduite reprochée; 2) le caractère répétitif ou durable de la conduite reprochée.

[103] Le premier élément constitutif, soit le caractère vexatoire ou non désiré de la conduite reprochée, s'évalue selon une norme de raisonnabilité qui s'applique avec souplesse. En effet, dans l'affaire Roberge, le Tribunal mentionne à propos de la norme de raisonnabilité applicable, que tout en étant objective, elle doit aussi demeurer sensible à l'appréciation subjective de la victime: Une analyse confinée à une appréciation purement objective ne peut satisfaire à la reconnaissance du droit à l'égalité de traitement tel que l'énonce la Charte. De même, une analyse qui reposerait essentiellement sur une appréciation subjective ne pourrait répondre au principe d'égalité que garantit la Charte. C'est dans l'application d'une norme de raisonnabilité, norme objective, qui demeure sensible à l'appréciation subjective de la victime que le Tribunal évalue la conduite reprochée.19

[104] Tel que l'a souligné le Tribunal dans l'affaire Lippé, une analyse purement objective, ne prenant en compte que la réalité du harceleur ne peut satisfaire à la reconnaissance du droit à l'égalité: Cette approche est d'autant plus fondamentale que, comme le mentionnait Colleen Sheppard20, analyser le harcèlement dans la perspective du harceleur conduit immanquablement à mesurer non pas le droit de toute personne à un milieu de travail exempt de harcèlement mais plutôt à établir le seuil à partir duquel une personne est justifiée de porter plainte aux yeux des milieux impliqués. Qui plus est, ce seuil sera d'autant plus élevé que l'environnement sera tolérant ou ignorant du comportement en cause et qu'il sera plus ou moins favorablement disposé face à la victime et aux effets et conséquences de sa dénonciation.21

[105] Quant à cette appréciation subjective, le point de référence pour savoir s’il y a eu harcèlement doit être le point de vue de la personne raisonnable placée dans la situation de la personne qui subit les gestes posés par l’auteur et qui doit répondre à la 18 19

20

21

Id., p. 3422. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Roberge) c. Buffet Trio inc, T.D.P. Montréal, no 500-53-000086-981, 27 janvier 1999, para. 53. C. SHEPPARD, «Systemic Inequality and Workplace Culture: Challenging the Institutionalization of Sexual Harassment», (1995) 3 C.L.E.L.J. 249, 259. Précité, note 18, p. 3425.

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hostile et offensant», mais ne se traduisaient pas nécessairement par des mesures de représailles économiques en réaction au refus manifesté.18

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[106] Il s’agit donc ici de l’application d’un test de raisonnabilité «couplé à celui de l’opinion de la victime et des effets des comportements reprochés sur elle».22 [107] Toujours en ce qui concerne la question de la norme de raisonnabilité applicable en matière de harcèlement, Arjun P. Aggarwal, dans son traité, «Sexual Harassment in the Workplace», mentionne que la question doit se poser en tenant compte du contexte social où le comportement est reproché:23 Second, there are those who feel that the use of the «reasonable person» standard in cases of sexual harassment in the stereotypical men-dominated working environment is not fair and is prejudicial to the victim. Is unwelcomeness to be measured against what is presently welcomed in her workplace? It has been frequently suggested that the conduct in question be judged from the victim's perspective. One commentator has recently suggested that instead of the «reasonable person» standard or «reasonable female» standard, the «reasonable victim» standard should be used in sexual harassment cases. She argues that: ... the «reasonable victim» standard would assess behaviour not in terms of the dominant social norms of the workplace, but by showing greater sensitivity to the fact that social norms of the so-called acceptable conduct may be oppressive to women. This standard, in fact, would attempt to emancipate women from the social norms that oppress them, rather than allowing individual workplaces to avoid scrutiny of the barriers to employment equity they pose to women by appealing to gender stereotype.24

[108] Cette approche rejoint la problématique visée par la Convention et le Protocole sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes, puisque le nœud du problème tient à ce que trop souvent, la norme dominante tend à tolérer, accepter ou banaliser un tel comportement, et que l'objectif visant l'élimination du harcèlement sexuel ne peut se faire en faisant abstraction de cette réalité sociale. [109] Ainsi par analogie avec la discrimination indirecte infligée à certains groupes vulnérables ou minoritaires, il ne faut pas sous-estimer l'ampleur de stéréotypes qui continuent d'influer sur les normes sociales dans certains types d'emplois. [110] Certains de ces stéréotypes ont pu maintenir la croyance que le fait de tolérer le harcèlement, alors que la victime n'a souvent pas d'autres choix, équivaut à un consentement. Sous cet aspect, le Tribunal dans l'affaire Habachi, s'exprime comme suit:

22 23

24

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Genest, [1997] R.J.Q. 1488 p. A. P. Aggarwal, «Sexual Harassment in the Workplace», 3e édition, Toronto, Butterworths, 2000 à la p.131. Kathleen Gallivan, «Sexual Harassment After Janzen v. Platy: The Transformative Possibilities» (1991), 49 University of Toronto Faculty of Law Rev. 27.

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question de savoir si les gestes ou les propos en cause peuvent être considérés comme intolérables.

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De la même façon qu'un consentement vicié par la crainte n'est pas valide, le silence lui-même n'équivaut pas nécessairement à consentement: il peut découler de l'inégalité des femmes ayant pour corollaire la peur des conséquences qu'une plainte pourrait entraîner.25

[111] Loin de tolérer le harcèlement sexuel, la victime n'a souvent d'autres choix que de le subir. La Cour suprême, dans l'affaire Janzen a clairement reconnu que le harcèlement sexuel en milieu de travail est un abus de pouvoir en ces termes: Le harcèlement en milieu de travail est un abus de pouvoir tant économique que sexuel. Le harcèlement sexuel est une pratique dégradante, qui inflige un grave affront à la dignité des employés forcés de le subir26. [Je souligne]

[112] La Cour suprême cite aussi sur ce point le professeur Hickling27 qui a bien documenté le sujet de la vulnérabilité économique des victimes de harcèlement sexuel: «…Les victimes de harcèlement sexuel ne se limitent pas à un groupe particulier, qui se distingue en raison de son âge, de son sexe, sa classe, de son éducation, de ses revenus ou de son métier, bien que les jeunes femmes célibataires (et chose intéressante, celles qui sont au bas de l'échelle économique) sont plus visées que les autres. Une caractéristique que les victimes ont généralement en commun est leur vulnérabilité à l'égard de sanctions économiques réelles ou des menaces de sanctions.»28

[113] Le deuxième élément constitutif du harcèlement sexuel réfère au caractère répétitif ou au caractère durable de la conduite reprochée qui peut être établi par la preuve de la répétition de la conduite à connotation sexuelle ainsi que par la preuve de la gravité des conséquences d'un seul acte qui produit des effets continus dans le temps. À ce sujet, le Tribunal s'exprime ainsi dans l'affaire Dhawan: (...) de par son essence même, le harcèlement est forcément établi par une preuve de la répétition d'actes à connotation sexuelle mais également par un enchaînement d'actes qui y sont reliés, dont la gravité quant aux conséquences, qu'il s'agisse de menaces, de promesses ou de représailles diverses, peut même aller jusqu'au congédiement ou à la démission forcée de la victime. C'est dans un rapport inversement proportionnel entre la répétition de tels actes et l'impact de leurs conséquences que se situe la nécessité de démontrer la durée du harcèlement. Ainsi, le refus qui conduit au congédiement peut être qualifié de harcèlement vu la gravité des conséquences et malgré que la conduite reprochée ne puisse plus être répétée.29

[114] La gravité de la conduite reprochée s’évalue en considérant la nature des actes, la personnalité et la sensibilité de la victime. Dans l’affaire Habachi, le Tribunal s’exprime ainsi: 25 26 27 28 29

Précité, note 15, p. 1450. Précité, note 14, p. 1284. M. A. HICKLING, «Employer's Liability for Sexual Harassment», (1988), 17 Man. L.J. 124, à la p. 127. Précité, note 14, p. 1285. Commission des droits de la personne du Québec c. Dhawan, (1997) 28 C.H.R.R. D/311, D/316 (T.D.P.Q).

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La gravité de la conduite reprochée s’apprécie à cette fin d’un point de vue objectif et subjectif. En effet, s’il importe de prendre en compte la nature et l’intensité du geste importun en lui-même, il faut aussi considérer son impact auprès de la victime. Outre les conséquences matérielles et économiques survenues, il faut apprécier tout autant les préjudices physiques, psychologiques et même moraux qui, dans certains cas, auront été infligés à cette dernière.30

[115] En ce qui concerne la présomption de congédiement: Il faut rappeler aussi que les tribunaux ont reconnu que lorsqu'une personne quitte son emploi plutôt que de continuer de subir des avances sexuelles, elle est présumée avoir été congédiée.31 In the case where the female employees were forced to quit their job because they could no longer tolerate the harasser's sexual advances, the employer normally took the defence that he did not discriminate by terminating their services, rather the complainants quit the employment themselves. Thus, there was no adverse differentiation on the ground of sex, and thus, no violation of the law. However, the boards of inquiry and tribunals are unanimously of the view that where the complainants choose to leave their employment rather then endure unwelcomed sexual advances, the complainants may be deemed to have been dismissed contrary to the prohibition against discriminatory dismissal of a human rights statute. Thus, where complainants are forced to quit their jobs because of sexual harassment, a complaint may be brought to a Human Rights Commission.32

3.

L'application du droit aux faits en l'espèce

3.1 Le harcèlement sexuel [116] Pour qu'il y ait harcèlement sexuel, il faut d'abord qu'il y ait une conduite de nature sexuelle, non sollicitée, avec effet défavorable sur le milieu de travail ou avec des conséquences préjudiciables pour les personnes qui en sont victimes. Il faut, en fait, soit une conduite sexuelle non désirée qui aura pour effet de subordonner le maintien des conditions et avantages liés à une soumission aux demandes sexuelles importunes33 ou soit une conduite qui crée un milieu de travail menaçant, hostile et offensant.34 Il faut donc que cette conduite ait un caractère vexatoire et qu'elle ait un effet continu dans le temps ou bien, il pourrait s'agir d'un seul événement dont la gravité entraînerait les mêmes effets préjudiciables.

30 31 32 33

34

Précité, note 15, p. 1452. Commission des droits de la personne c. Larouche, (1993) 20 C.H.R.R. D/1, D/5 (T.D.P.Q). A. P. Aggarwal, Sexual Harassment in the Workplace. 2ième édition, Toronto, Butterworths, 1989, à la p. 77. Il s'agit du harcèlement «donnant-donnant», une expression utilisée dans l'arrêt Janzen, précité, note 14, p. 1283, pour décrire ce genre de harcèlement. Définition du harcèlement sexuel en milieu de travail donnée par le juge en chef Dickson dans l'affaire Janzen, précité, note 14, p. 1284.

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[117] Le comportement du défendeur monsieur Steve Sfiridis répond-il aux caractéristiques du harcèlement sexuel tel que précédemment définies? Le Tribunal conclut que oui, la preuve ayant établi par prépondérance que les propos et les gestes du défendeur à l'égard de madame Vicky O'Connor étaient du harcèlement sexuel. [118] En l'espèce, nous sommes en présence de témoignages contradictoires. Le Tribunal a donc analysé la crédibilité des témoins en tenant compte du contenu des témoignages, de la corroboration de certains témoignages ainsi que de l'impression générale qui se dégageait des témoins. [119] Madame Vicky O'Connor a livré un témoignage sobre, précis et assuré mais dans lequel l'émotion des événements vécus était encore palpable. Lors de son témoignage, aucune contradiction ou hésitation n'est venu mettre en doute sa crédibilité. De plus son témoignage a été corroboré sur certains éléments par le témoin Valérie Acosta. [120] Madame Nancy O'Connor, sœur de la victime, est venu relater qu'elle avait été témoin d'un changement dans la personnalité, l'attitude et les émotions de sa sœur pendant la période où elle était à l'emploi du défendeur. [121] Le témoignage de madame O'Connor a mis en preuve que des propos, tels charmouta et visu, ont été tenus à son égard et que des gestes de nature sexuelle, non sollicités, ont été portés à son endroit par le défendeur monsieur Steve Sfiridis. Ces gestes se sont répétés plusieurs fois sur une période de plus de deux mois et ce, malgré le fait qu'elle ait mentionné à plusieurs reprises au défendeur sa désapprobation. [122] Le témoignage de madame O'Connor a été corroboré par madame Valérie Acosta sur plusieurs points, à savoir: que le défendeur prenait madame Vicky O'Connor par le bras, qu'il lui donnait des tapes sur les fesses et qu'il avait des commentaires déplacés à son endroit. Madame Acosta a aussi témoigné du fait qu'elle avait ellemême quitté son emploi chez le défendeur parce que celui-ci l'aurait traité de putain en arabe en utilisant le terme charmouta. En outre, le témoignage de madame Nancy O'Connor, sans venir confirmer les événements précis qui se seraient passer au restaurant, est venu décrire un ensemble de circonstances rendant vraisemblables les affirmations de madame Vicky O'Connor et de madame Valérie Acosta. [123] Quant au défendeur, il a nié avoir prononcé à l'endroit de madame O'Connor les mots visu ou charmouta, en précisant qu'il était toutefois probable qu'il l'ait traitée de stupide dans le feu de l'action, mais jamais devant les clients. Il reconnaît toutefois que le terme charmouta a été utilisé dans le restaurant par des employés. Il a aussi nié les gestes à connotations sexuelles qui lui sont reprochés par madame O'Connor. En fait, il n'a fait que nier sans apporter quelques explications que ce soit.

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[124] En principe, celui qui affirme un fait doit être préféré à celui qui ne fait que le nier. Car si une personne peut oublier un fait, elle ne peut se rappeler celui qui n'a jamais existé35. [125] Bien que cette règle ne soit pas absolue et que la force probante reste toujours à l'appréciation du tribunal, le Tribunal conclut en l'espèce que les témoignages de madame Vicky O'Connor, de madame Acosta et de madame Nancy O'Connor rendent l'existence du harcèlement plus probable que son inexistence. Ces témoignages doivent être préférés à ceux de la défense qui se contente de nier les faits tels que rapportés par la demande. [126] Quant au témoignage de monsieur Karmiris, il tend à confirmer l'existence d'un climat de travail difficile pour les femmes puisqu'il confirme le départ de madame Acosta suite à un incident. [127] Monsieur Steve Sfiridis a concédé avoir traité madame O'Connor de stupide. Monsieur Castranakis a lui-même avoué avoir traité de visu madame O'Connor. Il a de plus témoigné que le défendeur monsieur Sfiridis employait un langage inapproprié à son endroit, mais à titre de blagues selon lui. Force est de constater que de tels propos n'ont rien pour rehausser l'impression générale qui se dégage de leurs témoignages, spécialement dans le contexte d'une affaire de discrimination et de harcèlement sexuel où le respect de la dignité humaine se pose en tant que principe premier des garanties contre ce genre d'atteinte. [128] Même si en apparence le Tribunal se trouve devant deux versions contradictoires sur ces faits, les témoignages du défendeur et de monsieur Castranakis viennent en quelque sorte corroborer les témoignages à l'effet que madame O'Connor œuvrait dans un climat de travail à connotations sexuelles et où certains propos portaient atteinte à la dignité de la personne. [129] Le Tribunal retient aussi, dans la prépondérance de la preuve, le témoignage du témoin madame Valérie Acosta, à l'effet qu'elle a elle-même quitté son emploi parce que monsieur Steve Sfiridis l'a traitée de charmouta. À ce sujet le témoin monsieur Karmiris a confirmé dans son témoignage que le départ de madame Acosta s'était fait suite à un incident, mais ne savait pas quoi au juste. Ceci tend à rendre vraisemblable la version de madame Acosta concernant son départ. [130] Le défendeur monsieur Steve Sfiridis prétend aussi que madame O'Connor ne s'est jamais plainte à lui de ce qu'elle a relaté dans son témoignage: selon lui, elle ne serait pas restée assez longtemps à l'emploi pour qu'il puisse l'humilier, n'étant restée que deux mois à l'emploi du défendeur.

35

J. C. ROYER, «La preuve civile» 2ème édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais,1995, p.101.

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[131] Le tribunal rejette ces prétentions puisque la durabilité d'une conduite vexatoire peut être établie par la répétition de certains actes. En l'espèce les actes reprochés se sont déroulés de semaine en semaine sur une période de deux mois. La durabilité d'une conduite vexatoire peut aussi être évaluée par la gravité des actes, dans la mesure ou leurs effets ont alors un caractère de continuité. Ce qui est le cas de la présente affaire. [132] Le Tribunal rejette aussi la position du défendeur à l'effet qu'il serait difficile de croire que madame O'Connor ait toléré pendant deux mois une telle situation. Le caractère vexatoire ou non désiré de la conduite reprochée s'évalue à la lumière de signaux de refus de la part de la personne visée. Cette exigence, comme nous l'avons analysé précédemment, s'évalue en fonction d'une norme de raisonnabilité, avec souplesse dans une perspective sensible à la victime. Tel que l'a souligné le Tribunal dans l'affaire Lippé, une analyse purement objective ne prenant en compte que la réalité du harceleur ne peut satisfaire à la reconnaissance du droit à l'égalité. [133] Madame O'Connor a témoigné avoir signalé sa réprobation au défendeur, et le Tribunal retient sa version sur ce point, que ce soit à l'égard de l'incident de la mijanvier, alors qu'il lui a fait une proposition explicite ou encore à l'égard de l'incident du 29 février 2000 qui conduira à la démission de madame O'Connor afin que cesse l'atteinte à sa dignité. [134] De plus, il ne fait aucune équivoque que l'emploi, à l'égard d'une femme, des termes charmouta, voulant dire «putain» en arabe ou bien visu, voulant dire «filles avec des grosses boules» en grecque, porte indubitablement atteinte à la dignité et doit être considéré comme vexatoire. [135] Le fait que madame O'Connor ait continué son emploi pendant la période où les faits reprochés ont eut lieu, ne signifie pas que cette tolérance fait nécessairement obstacle à la reconnaissance qu'elle a été victime de harcèlement sexuel. Au contraire il ressort clairement de la jurisprudence et de la doctrine qu'une des caractéristiques d'une victime de harcèlement est son état de dépendance économique l'incitant à maintenir un emploi dans des conditions que normalement elle n'accepterait pas. [136] La preuve a clairement révélé que madame O'Connor avait besoin de travailler pour assurer sa subsistance et celle de sa sœur dont elle avait la charge à l'époque. De plus elle a témoigné qu'elle s'était cherché en vain du travail dans d'autres restaurants. 3.2

La discrimination fondée sur le sexe dans l'exercice de droits prévus à la Charte

[137] Contrairement à l'article 10.1 de la Charte, l'article 10 ne fait pas du droit à l'égalité un droit autonome. Pour qu'il y ait discrimination, il faut prouver l'existence d'une distinction, exclusion ou préférence sur l'un des motifs prévus par l'article 10 de la

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Charte. Il faut ensuite que celle-ci compromette ou détruise le droit à une pleine égalité dans la reconnaissance d'un droit ou d'une liberté de la personne. Il faut donc déterminer s'il y a une distinction ou exclusion fondée sur un des motifs prévus à l'article 10 de la Charte et si cette distinction ou exclusion s'est accomplie dans l'exercice d'un des droits garantis par la Charte. [138] À cet égard, madame O'Connor a soumis devant nous que son droit à la dignité et à l'intégrité de sa personne, ainsi que son droit à un environnement et à des conditions de travail justes et raisonnables, avaient été compromis par le harcèlement sexuel auquel elle a été soumise. [139] Quant à la question d'une distinction ou préférence fondée sur l'un des motifs énumérés à l'article 10, le Tribunal conclut qu'en l'espèce, les termes employés pour s'adresser à madame O'Connor étaient directement reliés à sa condition de femme. Si elle n'avait pas été une femme, on ne l'aurait pas traitée de visu ou de charmouta. Ne serait-ce du fait qu'elle est une femme, le défendeur ne l'aurait sûrement pas invitée à coucher avec lui pour se faire de l'argent rapidement. Non plus qu'il ne lui aurait passé un bâton entre les jambes. En somme, ne serait-ce du fait qu'elle est une femme, elle aurait eu la tranquillité d'exercer son droit à l'emploi sans harcèlement sexuel et sans discrimination. [140] Il ne fait donc aucun doute que les propos et gestes du défendeur constituent l'exercice d'une distinction fondée sur le sexe. Il nous faut cependant déterminer si cette distinction s'est accomplie dans l'exercice ou la reconnaissance, par madame O'Connor, d'un de ses droits garantis par la Charte. [141] Pour le Tribunal, il est clair que cette distinction fondée sur son état de femme a compromis le droit de madame O'Connor à exercer son emploi en toute égalité et avec des conditions de travail justes et raisonnables, en contravention des articles 10, 16 et 46 de la Charte. [142] En outre, le Tribunal est convaincu que les gestes portés envers madame O'Connor et les propos tenus à son égard par le défendeur, sont porteurs d'une atteinte à la dignité. [143] Non seulement la notion de dignité humaine est un droit spécifiquement protégé à l'article 4 de la Charte mais compte tenu du préambule de la Charte, il faut considérer la dignité humaine comme une valeur sous-jacente à tous les droits et libertés qui y sont garantis. [144] Dans le même ordre d'idée, il est tout à fait révélateur que ce soit à son article premier que la Déclaration universelle des droits de l'homme36, instrument de droit

36

Précité, note 2.

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[145] Beaucoup plus récemment, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne37 s'est aussi élaborée à partir et autour de la reconnaissance et de l'importance de la notion de la dignité humaine. Bien qu'il ne s'agisse pas d'un instrument contraignant juridiquement, ni au sein de l'Union européenne, ni d'ailleurs au Canada, il est un instrument de première importance dans la reconnaissance des droits et libertés qui y sont déclarées. Tout comme pour la Charte, le principe de la dignité humaine est contenu en son préambule en tant que valeur sous-jacente aux droits énumérés. Le droit à la dignité est aussi incorporé en tant que droit fondamental à l'article premier du premier chapitre de cette Charte. [146] La Cour suprême du Canada, dans l'affaire Curateur public c. Syndicat des employés de l'hôpital St-Ferdinand analysait la composante du droit à la dignité en établissant qu'il est à la fois le respect que mérite quelqu'un et le respect de soi: Ce sont dans ces deux sens, que l'on pourrait qualifier d'interne et d'externe, qu'il 38 faut entendre la dignité au sens de la Charte, qui, elle, ne fait pas de distinction.

[147] Après en avoir donné cette définition, la Cour suprême en délimitait la qualification: À la lumière de la définition donnée à la notion de «dignité» de la personne et des principes d'interprétation large et libérale en matière de lois sur les droits et libertés de la personne, j'estime que l'art. 4 de la Charte vise les atteintes aux attributs fondamentaux de l'être humain qui contreviennent au respect auquel toute personne a droit du seul fait qu'elle est un être humain et au respect qu'elle se doit 39 à elle-même.

[148] De façon plus spécifique, la Cour suprême, dans l'affaire Janzen, a qualifié le harcèlement sexuel en milieu de travail comme un grave affront à la dignité des employés: Le harcèlement sexuel est une pratique dégradante, qui inflige un grave affront à la dignité des employés forcés de le subir. En imposant à un employé de faire face à des gestes sexuels importuns ou à des demandes sexuelles explicites, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est une atteinte à la dignité de la victime et à son respect de soi, à la fois comme employé et comme être humain.40

[149] Madame O'Connor a témoigné s'être sentie rabaissée et humiliée, notamment lorsque le défendeur l'a traitée de putain en arabe et ce, souvent devant d'autres 37 38 39 40

Charte des droits fondamentaux de l'union européenne, (2000/c 364/01). Précité, note 12, p. 254. Id., p. 256. Précité, note 14, p. 1284.

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déclaratoire, énonce que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits.

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personnes. Le défendeur a continué le harcèlement même si madame O'Connor lui a manifesté sa désapprobation. Elle a témoigné s'être sentie «sale» lorsqu'il lui a proposé de coucher avec elle pour se faire de l'argent rapidement. En fait, elle a dû subir un traitement qu'elle ne tolérait pas mais auquel elle a dû faire face pendant plus de deux mois parce qu'elle avait besoin de son travail. Le harcèlement exercé sur madame O'Connor a constitué un véritable abus de pouvoir sur celle-ci puisque pour des considérations d'ordre économique et familial, elle a dû faire face à un dilemme intérieur, causant une véritable atteinte à sa dignité humaine. En fait, les propos et gestes du défendeur ne pouvaient que compromettre le droit à la dignité, en contravention de l'article 4 de la Charte. 4.

Les dommages

4.1 Les dommages matériels [150] La Commission demande au Tribunal d'accorder à madame O'Connor la somme de 4 800 $ à titre de dommages matériels, soit le remboursement du manque à gagner salarial ainsi que les pourboires non perçus pour la période allant du 1er mars 2000, jour où elle a quitté son emploi chez le défendeur, au 23 mai 2000, jour où elle a commencé un autre emploi. [151] L'octroi de dommages matériels consiste à remettre les parties dans l'état patrimonial où elles étaient. C'est donc le principe de la compensation pleine et entière qui doit s'appliquer. [152] Le fait que madame O'Connor a elle-même quitté son emploi doit être considéré, dans les circonstances de harcèlement sexuel comme une présomption de congédiement41. Cette présomption s'infère du fait qu'une personne victime de harcèlement quittera éventuellement son emploi plutôt que de continuer de subir des gestes et des propos à connotations sexuelles non sollicités. En l'espèce, c'est après que le défendeur lui ait passé un bâton de plastique entre les jambes que madame O'Connor a sur-le-champ quitté le lieu de travail pour remettre sa démission le lendemain. Sur ce point, madame O'Connor a témoigné que cet événement a été «ce qui a fait déborder le vase», la poussant ainsi à quitter son emploi. Le Tribunal conclut par conséquent que le défendeur, par le harcèlement sexuel qu'il a exercé sur madame O'Connor, a entraîné la détérioration de ses conditions de travail et de son estime de soi, causant ainsi la perte de son emploi. [153] Selon la pièce P-3, en liasse, le salaire hebdomadaire moyen de madame O'Connor, s'établit à 131,20 $. Quant aux pourboires, madame O'Connor a témoigné du fait qu'ils s'établissaient entre 50 $ à 100 $ par jour. Cependant, sur ce point, la pièce P3, révèle que la moyenne hebdomadaire des pourboires s'établit à 56,67 $. 41

Précité, note 32, p. D/5.

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[154] Le Tribunal accorde donc la somme de 2 254,44 $ à titre de dommages matériels.

4.2 Les dommages moraux [155] L'article 49 de la Charte énonce clairement qu'une atteinte illicite confère à la victime le droit à la réparation du préjudice moral qui en résulte. [156] Comme le Tribunal a conclu que madame O'Connor a été victime de harcèlement sexuel et que ce faisant, ce harcèlement a compromis l'exercice de son droit à la dignité et son droit d'exercer son travail dans des conditions nondiscriminatoires, il devra donc accorder des dommages moraux qui indemnisent de façon intégrale le préjudice qu'a subi madame O'Connor. [157] Le Tribunal des droits de la personne, dans Commission des droits de la personne c. Habachi42, avait souligné que la réparation devait tenir compte du préjudice subi au moment des actes et des conséquences de ces actes: «La réparation du préjudice moral doit donc être la réparation pour le tort subi: d'une part pendant que les actes se sont déroulés (climat d'intimidation, d'hostilité, difficulté par conséquent à fonctionner dans ce contexte), et d'autre part par les conséquences qui en ont découlé une fois les actes posés».

[158] La preuve en l'espèce a établi que la personnalité de madame O'Connor avait changé pendant la période d'emploi visée par les événements. [159] La sœur de madame Vicky O'Connor est venu témoigner que sa sœur pleurait souvent, qu'elle était devenue agressive et que cette attitude contrastait avec son tempérament habituel. Même après les événements, elle était devenue moins sociable, plus fermée, restant souvent à l'écart des autres. [160] Madame O'Connor elle-même a livré un témoignage dont l'émotion était palpable à l'effet qu'elle était encore grandement perturbée par les événements relatifs au harcèlement sexuel. Elle s'est sentie humiliée, rabaissée et «sale». Elle a témoigné du fait que tous les événements ayant entouré sa plainte à la Commission et les auditions devant le Tribunal ont été grandement éprouvants pour elle. Ces témoignages n'ont nullement été contredits en preuve. [161] Par ailleurs l'état d'esprit dans lequel s'est retrouvée madame O'Connor lors de l'incident culminant du 29 février 1999 illustre bien la désespérance, le découragement et la frustration pour lesquels elle n'a trouvé d'autres solutions que celle de quitter son 42

Précité, note 15, p. 1456.

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[162] Dans l'affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Lavoie43, le Tribunal a octroyé des dommages moraux de 5 000 $ à la victime qui avait subi du harcèlement sexuel pendant un an dans le cadre de son emploi de serveuse dans le restaurant appartenant au défendeur. [163] Dans l'affaire Commission des droits de la personne du Québec c. Larouche,44 le Tribunal avait octroyé des dommages moraux de 6 000 $ à la victime qui avait subi du harcèlement sexuel pendant quatre mois au cours de son travail de serveuse dans un bar. Le Tribunal avait pris en considération le fait qu'elle n'était âgée que de 21 ans au moment des événements en cause. [164] Dans la présente affaire, le Tribunal prend en considération le fait que la victime n'était aussi âgée que de 21 ans au moment du harcèlement sexuel. Par conséquent, l'impact d'une telle atteinte se fait au moment où elle commence sa vie en tant que travailleuse et en tant que jeune femme. La durée et l'intensité du stigmate ne peuvent qu'en être aggravées. [165] Compte tenu de la jurisprudence et de la preuve ayant démontré une atteinte aux droits prévus aux articles 4, 10, 10.1, 16 et 46 de la Charte, le Tribunal conclut que les dommages moraux réclamés par la Commission au montant de 5 000 $ sont tout à fait justifiés. 4.3

Les dommages punitifs

[166] La Commission réclame par ailleurs une somme de 3 000 $ à titre de dommages punitifs. [167] Selon le deuxième alinéa de l'article 49 de la Charte, l'atteinte à un droit protégé par la Charte doit être illicite et intentionnelle pour que soient octroyés de tels dommages. [168] Dans l'arrêt Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand c. Curateur public, la Cour suprême du Canada sous la plume du juge l'Heureux-Dubé, écrivait à ce titre: En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'article 49 de la Charte lorsque l'auteur de l'atteinte illicite a un état d'esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive 43

44

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Lavoie, T.D.P. no 100-53-000002-979, 20 octobre 1997, juge Rivet, p. 12. Précité, note 32.

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travail sur-le-champ. Il est indiscutable que de telles expériences sont marquantes et douloureuses.

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[169] En l'espèce, l'atteinte aux droits protégés de madame O'Connor, était illicite et intentionnelle. À cet égard, le Tribunal ne peut conclure autrement, eu égard aux gestes et aux propos du défendeur à l'endroit de madame O'Connor. Tout employeur raisonnable qui aurait fait les gestes reprochés ne pourrait prétendre ne pas avoir voulu ou ne pas avoir mesuré les conséquences de sa conduite fautive. Madame O'Connor a signifié sa désapprobation au défendeur, celui-ci a continué ses gestes et propos à connotations sexuelles tout en sachant, que ce faisant, il portait atteinte à la dignité de madame O'Connor. Il ne pouvait ignorer les conséquences immédiates ou éventuelles de ses actes. Le Tribunal a aussi été à même de constater l'insouciance du défendeur relativement à ce qui lui était reproché. [170] Le défendeur a témoigné qu'il était dans une situation financière précaire et qu'il avait dû faire une faillite personnelle et corporative. Il est d'ailleurs toujours en dette pour une somme de 200 000 $ envers ses parents. [171] Le Tribunal considère qu'une somme de 2 000 $ est appropriée dans les circonstances.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL: ACCUEILLE la demande pour partie; ORDONNE à monsieur Steve Sfiridis de verser à madame Vicky O'Connor la somme de 2 254,44 $ à titre de dommages matériels; ORDONNE à monsieur Steve Sfiridis de verser à madame Vicky O'Connor la somme de 5 000,00 $ à titre de dommages moraux; ORDONNE à monsieur Steve Sfiridis de verser à madame Vicky O'Connor la somme de 2 000,00 $ à titre de dommages punitifs; Le tout avec intérêts, depuis la signification de la proposition de mesures de redressement, soit le 5 avril 2001, au taux fixé suivant l'article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu (L.R.Q., c.M-31), ainsi que le permet l'article 1619 C.c.Q. et les dépens.

45

Précité, note 12, p. 262.

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ou encore s'il agit en toute connaissance des conséquences immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera.45

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__________________________________ MICHÈLE RIVET

Me Athanassia Bitzakidis Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse 360, rue St-Jacques, 3e étage Montréal (Québec) H2Y 1P5

Me Mark E. Wener 1155, boul. René-Lévesque Ouest, bureau 3403 Montréal (Québec) H3B 3T3

Dates d’audience: 28 et 29 janvier 2002.

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Jurisprudence Jenzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252. Habachi c. Commission des droits de la personne du Québec, C.A.M. no. 500-09000724-922, 16 septembre 1999, j. Baudouin, Proulx et Deschamps. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Monica Hachey et une autre) c. Habachi [1992] R.J.Q. 1439 (T.D.P.Q.) Dhawan c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Genova) C.A. Montréal, no. 500-09-001960-956, 26 juin 2000, jj. Michaud, Beauregard, Delisle. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Maria Mimis) c. Mansoura, T.D.P.Q. Montréal, no. 500-53-000131-001, 21 novembre 2000, j. Brossard. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Lisa Stolar) c. Kevin Birkett, Montréal, 500-53-000125-995, 12 avril 2000, j. Brossard. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Pauline Brochu) c. Produits Forestiers Domtar inc. et Robert Landry, Abitibi, 615-53-000004-998, 11 mai 2000, j. D'Amours. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Monast et Gagnon) c. 2849-5224 Québec Inc., T.D.P.Q., Rouyn-Noranda, no. 600-53-000004-974 et 60053-000003-976, 23 mars 1998, j. Sheehan. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Julie Lorrain) c. Léonard Cormier, Québec, 450-53-000001-004, 12 octobre 2000, j. Rivet. Curateur c. SNE de l'Hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211. Savaria c. Centraide Richelieu-Yamaska, JE 95-975 (C.S.) Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Jamie McDonald) c. Café Java Haus Inc. et Svetozar Jankovic, T.D.P.Q., Montréal, 500-53-000127-991, 9 novembre 2000, j. D'Amours.

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AUTORITÉS DE LA PARTIE DEMANDERESSE telles que citées par la partie demanderesse

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Dominique SAVOIE et Viateur LAROUCHE, Le harcèlement sexuel au travail Définition et mesure du phénomène. Relations industrielles, vol. 43, no 3 (1988), pp. 509 à 529. Josée BOUCHARD, L'indemnisation des victimes de harcèlement sexuel au Québec, (1995) 36 Cahiers de Droits, 125.

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Doctrine

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AUTORITÉS DU TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE telles que citées par le Tribunal

Législation A.G. Rés. 217 A (III), Doc. N.U. A/810 (1948). Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12. Charte des droits fondamentaux de l'union européenne, (2000/c 364/01). Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, (1981) 1249 R.T.N.U. 13. Adoptée en 1979, ratifiée par le Canada et le Québec en 1981, elle fait suite à la Déclaration sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes, adoptée en 1967 suite à la proposition de la Commission sur le statut de la femme des Nations Unies créée en 1946. Convention concernant la discrimination en matière d'emploi et de profession, (1964) R.T.N.U. vol 362. Ratifiée par le Canada le 26 novembre 1964 et entrée en vigueur au Canada le 26 novembre 1965. Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l'élimination de la violence contre les femmes, A-61, adoptée le 9 juin 1994 et entrée en vigueur le 5 mars 1995. Elle n'est cependant pas encore ratifiée par le Canada. L'adoption de ce Code fait suite à la volonté clairement exprimée en ce sens dans la Résolution du Conseil des Communautés européennes du 29 mai 1990 concernant la protection de la dignité de la femme et de l'homme au travail, 90/C157/02. Recommandation no 19. Violence à l'égard des femmes: 29/01/92 CEDEF. Doctrine A. P. Aggarwal, «Sexual Harassment in the Workplace», 3ième édition, Toronto, Butterworths, 2000. A. P. Aggarwal, «Sexual Harassment in the Workplace», 2ième édition, Toronto, Butterworths, 1989. BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL, «Étude spéciale sur l'égalité dans l'emploi et la profession relative à la Convention no 111». Commission d'experts, Rapport III (Partie 4B), Conférence internationale du travail, 83e session, Genève 1996.

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M. A. HICKLING, «Employer's Liability for Sexual Harassment», (1988), 17 Man. L.J. 124. J.C. ROYER, «La preuve civile» 2ème édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1995. C. SHEPPARD, «Systemic Inequality and Workplace Culture: Challenging the Institutionalization of Sexual Harassment», (1995) 3 C.L.E.L.J. 249, 259. Jurisprudence Commission des droits de la personne du Québec c. Dhawan, (1997) 28 C.H.R.R. D/311, D/316 (T.D.P.Q). Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Genest, [1997] R.J.Q. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Lippé) c. Procureur général du Québec, [1998] R.J.Q. 3397, 3420. Commission des droits de la personne c. Larouche, (1993) 20 C.H.R.R. D/1, D/5 (T.D.P.Q). Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Lavoie, T.D.P. no 100-53-000002-979, 20 octobre 1997, juge Rivet. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Roberge) c. Buffet Trio inc, T.D.P. Montréal, no 500-53-000086-981, 27 janvier 1999. Latreille c. Choptain, (1997) R.R.A. 840 (appel rejeté sur requête à C.A.M. no 500-09005191-978, le 6 août 1997).

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Kathleen Gallivan, «Sexual Harassment After Janzen v. Platy: The Transformative Possibilities» (1991), 49 University of Toronto Faculty of Law Rev. 27.