Un grand tableau du dessin de presse - Ville de Saint-Etienne-du ...

pour le journal dans ces lieux qu'il fréquente. On sent ici l'influence ... aussi une certaine forme de fierté. » as n'importe ... regard, poétique ou acéré, leurs techniques riches et ..... dont chaque pièce est savamment .... liste, le mouvement social est très atone et le dessin ... vocabulaire des bulles qu'il faut sans cesse polir, ou ...
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Saint-Étienne-du-Rouvray — Supplément au Stéphanais n° 107 — Gratuit

a gazette stéphanaise

De Daumier à Toulouse-Lautrec : le dessin de presse à l’époque impressionniste 1863-1908

Peintre et collectionneur stéphanais, Gérard Gosselin est à l’origine de l’exposition. Il nous livre ses éclairages sur quelques morceaux choisis.

Vallotton, dans Le Canard sauvage, 1903

Steinlen, La bouquetière

Toulouse-Lautrec, Chocolat dansant dans un bar, 1896

« Vallotton choisit de dénoncer la colonisation en montrant non le combat des insurgés, mais le massacre d’innocents, de civils, de jeunes enfants, de mères. Il y a dans ce dessin une grande simplicité et une économie de moyens : pas de sang qui coule, mais une scène d’une violence terrible qui montre que la sauvagerie n’est pas du côté des colonisés. »

« Dans ce dessin d’une très grande force, Steinlen montre le travail des enfants qui existait dans les usines et ailleurs. Cette petite fille est seule, les gens au second plan sont dans l’ombre, sans visage, et l’on voit ainsi le contraste entre cette fille pleine de vigueur qui est en même temps dans une solitude terrible. On décèle la pauvreté mais aussi une certaine forme de fierté. »

« Bar, spectacles, cabarets… C’est tout l’univers de Toulouse-Lautrec qui d’ailleurs se représente, barbu, au milieu de ses amis. Il est en reportage pour le journal dans ces lieux qu’il fréquente. On sent ici l’influence de ses affiches. Il utilise un procédé particulier : il réalise ses dessins en noir qu’il photographie ensuite avant de coloriser le tirage avec une grande qualité de couleur. »

Un grand tableau du dessin de presse Fragiles. Éphémères. Sans valeur. Au côté des mastodontes de Normandie impressionniste, il faut oser présenter sans cadre ni marie-louise, dans leur simplicité originelle, leur robe dentelée de papier jauni, des journaux. as n’importe quels journaux et pas n’importe quelle exposition. La collection réunie par le peintre et citoyen Gérard Gosselin n’est pas une simple addition de curiosités d’époque. D’abord, elle affiche un parti pris artistique : celui de dessins dans la presse, à commencer par des dessins de peintres qui, de manière occasionnelle ou régulière ont été amenés à apporter leur regard au premier média de l’époque. « De Daumier à Toulouse-Lautrec », dit le

titre. Mais les journaux ont aussi sollicité Monet, Van Dongen, Signac, Ou encore Picasso, qui signait Ruiz au tournant du XXe siècle, ou Juan Gris, son co-aventurier du cubisme. Parmi ces peintres, certains vont construire une véritable œuvre parallèle dans la presse : Kupka en redoutable caricaturiste.

 a rencontre du public L avec de grands artistes, peintres, dessinateurs et caricaturistes Quant à Vallotton, dessinateur et graveur sur bois au trait précis et cinglant il semble presque contemporain du meilleur de la bande dessinée d’aujourd’hui, capable de ramasser la violence d’une situation en quelques coups ciselés jusqu’à l’insoutenable vérité. On pense à cette image de conquête coloniale où le soldat représentant de la civili-

sation traverse le corps d’un jeune enfant à la baïonnette… (ci-dessus) On retrouve, dans un registre différent, la même force d’émotion chez Steinlen, dont l’œuvre pour la presse traverse ici la collection, surtout lorsqu’il s’agit de dépeindre l’injustice, les luttes sociales parfois sanglantes ou la misère : ici une enfant bouquetière, là un groupe de grévistes face à l’armée. On peut, sans nostalgie mais avec une gourmandise rétrospective, mesurer comment la presse a porté au cours de son âge d’or ce dialogue fécond avec les artistes de l’époque. Elle a su mettre à profit leur regard, poétique ou acéré, leurs techniques riches et variées pour donner au noir et blanc une incroyable présence grâce la richesse d’une palette de techniques, de textures, de traits, de hachures, de cadrages… et au talent des graveurs. Elle a aussi permis la rencontre du public avec de grandes artistes, peintres, dessinateurs et caricaturistes. (suite page 7)

Sommaire L’impressionnisme ou la révolution du regard Histoire d’une peinture révolutionnaire raillée et décriée à ses débuts. p. 2 et 3

La presse s’expose

Comment exposer des journaux sous une gigantesque verrière. Le scénographe explique ses choix. p. 3

La légende du siècle

Éclairages sur le XIXe siècle : combats pour la république, luttes sociales, crises économiques… p. 4

Contre pouvoir

La presse gagne sa liberté en 1881 et joue un rôle majeur dans les grands débats du siècle. p. 4

L’âge d’or du dessin

Bien avant la photo, le dessin illustre, raconte, caricature, prend parti… p. 5

Histoire d’une collection Comment et pourquoi Gérard Gosselin s’est intéressé au dessin de peintres dans la presse. p. 6

Morceaux choisis

Gérard Gosselin, peintre et collectionneur à l’origine de l’exposition commente quelques morceaux choisis tout au long de cette gazette.

Marie Braquemond, Une giboulée sur le pont des arts, 1882

« C’est l’une des rares femmes impressionnistes avec Berthe Morisot et Mary Cassatt. Elle peint pendant dix ans et est contrainte d’arrêter par son mari, qui n’aimait pas son travail. Dans cette œuvre typiquement impressionniste, on voit la pluie, on sent l’humidité, le paysage vaporeux, tout cela avec seulement l’usage du noir et du gris ! Il faut aussi la composition de ce tableau en demi-cercle, avec à gauche la ligne verticale du mur qui met en évidence la vendeuse. C’est audacieux. »

Gill, Le vainqueur, 1870 dans L’Éclipse « Il s’agit là d’un dessin d’actualité directe. Nous sommes pendant la guerre de 1870 (l’Empire a déclaré la guerre à la Prusse qui envahit la France). C’est un dessin pacifiste qui dénonce violemment la guerre et les militaires gradés liés à la mort : on retrouve les armes et les médailles sur le squelette. À cette époque, les dessinateurs osent aller très loin en moquant par exemple l’institution militaire et les hauts gradés. »

Une révolution du regard Évidente aux yeux de tous aujourd’hui, la peinture impressionniste a essuyé de virulentes critiques et moqueries à ses débuts. Histoire d’une révolution artistique.

ensez à un paysage. Comment ne pas imaginer le canal du Loing et ses douces rangées de peupliers chers à Sisley, les coquelicots dans les champs de Monet, les bords de Seine de Pissarro, les plages de Boudin sous un ciel où se bousculent les nuages ? Ces peintres impressionnistes sont devenus des classiques. Presque notre référence en matière de paysage. Et pourtant, quand ces jeunes artistes exposèrent leurs premières toiles, ce fut un tollé. Le nom même d’impressionnisme donné 2

à leur peinture est au départ une critique virulente et dédaigneuse du Charivari, journal satirique, en 1874 pour une toile de Monet, Impression, soleil levant. Cette façon de peindre révolutionnait le regard de leurs contemporains, plus habitués aux scènes mythologiques ou historiques, aux portraits classiques et bourgeois, nets et bien finis. « L’œil s’habitue, les peintres ont le talent de nous apprendre à voir la réalité autrement », souligne Jacques Sylvain Klein, commissaire général du festival Normandie impressionniste, « comme de faire des ombres violettes et de peindre un reflet en liaison avec sa couleur. » Il note dans son livre La Normandie berceau de l’impressionniste, que la rupture sous le second Empire entre art officiel et art indépendant, illustré par Courbet, Millet, et à leur suite les impressionnistes, « s’opère sur plusieurs plans. Politique : la plupart des peintres réalistes ou naturalistes sont animés de convictions républicaines, voire socialistes (…). Esthétique : ils détestent les « grandes machines » historiques, mythologiques ou hagiographiques, ils veulent

exprimer les beautés simples de la nature, les préoccupations de leurs contemporains (…) Sociologique : les nouveaux venus n’appartiennent plus à des lignées d’artistes liés à l’aristocratie mais sont issus des milieux populaires dont ils s’attachent à représenter le dur labeur ». Les recherches artistiques de Delacroix ou des paysagistes anglais, Constable, Turner, ont tracé le chemin que deux artistes achèvent d’ouvrir : Corot et ses paysages lumineux où la campagne prend le pas sur les nymphes ; Courbet, communard, peintre affirmé de la vie ordinaire.

 ne touche qui fait U vibrer la couleur  À leur suite, les impressionnistes sortent des ateliers, peignent dans la nature. « Peignant dehors, ils découvrent la couleur, la lumière, indique le peintre Gérard Gosselin. Peindre d’après nature, c’est peintre aussi l’usine qui fume ou la ligne de chemin de fer, ils s’intéressent à la transformation de la ville ».

Les avancées scientifiques et techniques du XIXe siècle les poussent dans cette démarche nouvelle. Le chimiste Eugène Chevreul avec son essai De la loi du contraste simultané des couleurs, a montré qu’une couleur influe sur la perception de la couleur voisine : les couleurs complémentaires s’éclairent mutuellement, les couleurs non complémentaires se dégradent. Ils disposent aussi des couleurs en tube, récemment inventées, pour s’installer n’importe où dans la campagne, sur les quais, dans les rues. Et pour peindre vite ils inventent la « touche » qui fait vibrer la couleur, une technique que les pointillistes pousseront au maximum. Tout à leur envie de capter l’éphémère, souvent ils négligent les détails. La photographie naissante de toute façon les incite à chercher une autre motivation à la peinture que la copie du monde visible. Des amateurs d’art saisissent l’importance de cette nouvelle manière : en 1868 l’exposition maritime du Havre accueille et couronne les toiles de Boudin, Courbet, Daubigny, Manet, Monet. Mais il y a encore du chemin à faire pour se faire

Steinlen Femme à curés, dans L’assiette au beurre, 1901 « La femme à curés, c’est la République vue de l’extrême gauche, trop tendre avec l’Église et l’armée. Nous sommes en pleine campagne anticléricale, quatre avant la loi de séparation des Églises et de l’État. D’un autre côté, l’Église veut conserver son pouvoir. »

Poulbot, La république vous a donné le droit de vote, 1907

Honoré Daumier, La visite à l’atelier 1857

« Nous avons ici une salle de classe de l’école de la république : le buste de Marianne remplace la croix, la connaissance scientifique et le désir de la faire partager sont symbolisés par le thermomètre et les mesures de capacité affichés au mur, tout comme la leçon de morale et d’éducation civique avec la promotion du suffrage universel (masculin !). Poulbot adore les gamins qu’il popularise sur de nombreux dessins et tableaux. On le voit sur ce dessin au trait simple où il saisit la malice des enfants. »

« Ce dessin symbolise la pression de l’académisme qui exerce son pouvoir à l’école des Beaux-arts, sur le Prix de Rome, et détient la majorité au Salon, le seul endroit où les peintres peuvent exposer. Daumier, Courbet, les impressionnistes sont contre cet académisme qui les refuse. Ici le peintre est content de son travail. Il s’est inspiré de l’histoire de l’art, de Van Dyck et Rubens, et, malgré cela, a été refusé ». En 1863, se tient un Salon des refusés qui présente, entre autres, Le déjeuner sur l’herbe de Manet.

Hors cadre et sur mesure reconnaître comme de vrais artistes. En 1880, Monet expose de nouveau au Havre. « J’apprends ce matin même que les tableaux que j’ai envoyés ont très irrité les amateurs havrais et que ça n’a été qu’un fou rire. Comme c’est agréable », écrit-il à un ami. En 1909, François Depeaux, industriel rouennais ami des arts, donne sa collection de peintres impressionnistes au musée des Beaux-arts de Rouen qui aujourd’hui, avec cinquante-trois toiles, dispose du plus grand ensemble de tableaux impressionnistes de France après le musée d’Orsay. Il aurait pu en avoir davantage, la donation comptait quelque deux cent cinquante toiles, mais le conservateur du musée les jugea inconvenantes. C’est aussi en pensant à toutes ces critiques mordantes qu’il faut se plonger dans les expositions offertes cet été par le festival Normandie impressionniste, qui juxtapose d’ailleurs aux peintures des impressionnistes des expositions d’art contemporain. « Il s’agit de confronter les regards, souligne Jacques Sylvain Klein, et faire s’interroger les visiteurs. » �

L’exposition « De Daumier à Toulouse-Lautrec » a été conçue en fonction du site et des œuvres exposées. Le scénographe et graphiste Philippe Bissières explique ses choix.

Bissières. Nous avons d’un côté un cœur de béton qui offre une paroi verticale, et en face une peau de verre qui constitue une façade inclinée. Il fallait trouver un accrochage qui s’adapte aux deux. Le système de câbles donne quelque chose de léger, de très aérien, qui n’efface pas la structure. » Léger aussi, le grand rouleau omment faire entrer une expo- de carton kraft déployé pour redessiner sition de dessins anciens dans un mur où viennent s’appuyer les œuvres. l’armature de verre et de béton de l’Institut national Le journal est présenté des sciences appliquées (Insa), ce bâtiavec son usure ment moderne en forme de poupe de navire ? La tâche a été confiée à Philippe Bissières, qui cumule les qualités de gra- Et légers encore, les velums suspendus phiste et scénographe et qui aime inventer à la mezzanine et portant les informades dispositifs scéniques pour s’intégrer à tions utiles à la visite. Le parti pris a été l’architecture des lieux. « Il ne faut pas d’exposer les quelque deux cents dessins lutter contre mais faire avec », pense-t-il. dans leur cadre d’origine, le journal. « Il Dans le grand hall de l’Insa, il a conçu un n’était pas possible de dissocier le dessin dispositif de câbles tendus où seront du contexte, du texte à lire autour, des accrochés les cadres, de simples feuilles autres dessins publiés dans la page, soude plexiglas transparents accueillant les ligne Philippe Bissières. Le journal entier journaux et leurs dessins. « Une présen- est présenté, dans sa valeur d’usage, et tation classique, sur cimaises, aurait son usure. Cela donne une émotion, heurté l’architecture, estime Philippe et rappelle le statut de ces dessins qui

n’étaient pas conçus comme des œuvres d’art. » L’exposition occupe les deux ailes du hall et peut, au gré de chacun, être abordée par la gauche ou par la droite : à gauche la visite s’appuie sur les notices historiques ; à droite, le visiteur se plonge directement dans les œuvres. Celles exposées près de la façade vitrée portent sur leur envers, en clin d’œil, une série de lettres qui forment le titre de l’exposition, « le texte est visible de l’extérieur, comme un signal, un peu ludique », s’amuse Philippe Bissières. �

La gazette stéphanaise – 3

Un avant-goût des temps modernes Les historiens font commencer le XIXe siècle à Waterloo, en 1815, pour le faire s’achever au seuil de la Première Guerre mondiale… Ouvert et clos dans le sang des soldats, ce siècle est l’« inventeur » du nôtre, pour le meilleur, comme pour le pire… lectricité, téléphone, transports , photographie, consommation de masse, mais aussi mondialisation économique, internationalisme ouvrier, circulation rapide des informations, démocratie et liberté de conscience… l’essentiel de ce que nous vivons aujourd’hui fit ses premiers pas au XIXe siècle. Bien qu’il y eût un bref intermède républicain entre 1848 et 1852, la république ne s’installe progressivement qu’à partir de 1870. Cette IIIe République naît d’une déroute militaire (face aux Prussiens) et s’ouvre sur le massacre des communards parisiens (mai 1871). Un bien funeste acte de naissance pour un régime pourtant profondément démocratique qui saura imposer, et pour le bien de tous, l’école obligatoire, gratuite et laïque (1882), la liberté de la presse (1881) et syndicale (1884), l’élection des maires (1884), la séparation de l’Église et de l’État (1905)… Quoique prenant naissance au cœur du second Empire – et encouragé par Napoléon III qui permettra la tenue du Salon des refusés de 1863 –, l’impressionnisme prend donc son essor aux côtés des idées républicaines, voire, bien souvent, de celles de l’Internationale ouvrière ou de l’anarchisme militant. Mais une autre réalité reste associée à ce républicanisme triomphant de l’époque impressionniste. La France étend son empire colonial en Afrique du Nord et subsaharienne et à Madagascar. Le maître d’œuvre

Staal, Le siège de Paris, 1871 « On voit ici une forme de bande dessinée qui relate le siège et la Commune de Paris en 1871. Ce dessin a une vocation pédagogique. On raconte par tableaux l’histoire de manière imagée : le courrier qui circule par les pigeons, les gens qui font la queue, de cette expansion coloniale est Jules Ferry, l’homme d’État à qui la III e République doit la conquête des libertés collectives. « L’impérialisme du drapeau accompagne l’impérialisme économique, dans la mesure où les colonies et les protectorats peuvent être à la fois des lieux de débouchés,

Émile Eudes qui veut résister aux Prussiens, la bataille pour le contrôle des canons de Montmartre qui déclenche l’insurrection des communards… Autour, quatre femmes en figures allégoriques appelées Liberté, Avenir, Aujourd’hui, Hier… »

notamment pour les produits textiles, et des lieux d’approvisionnement en matières premières », note l’historien et professeur à l’Université de Rouen Yannick Marec. Coïncidence révélatrice : c’est lors de l’exposition coloniale de 1896 à Rouen, qu’est organisée la première grande exposition

Presse : naissance d’un contre-pouvoir e XIX  siècle est le grand siècle de la presse écrite », Yannick Marec, historien et professeur à l’université de Rouen, évoque la profusion des journaux durant le second Empire et la IIIe République. « On en compte des milliers qui paraissent de manière épisodique au gré des courants et des manifestations politiques. La presse écrite, c’est le vecteur moderne de l’époque ! ». Les débats journalistiques se cristallisent notamment autour de l’influence de l’Église. « Il existe un courant anticlérical très fort, explique-t-il. Les débats sont beaucoup plus virulents que maintenant, mais il faut mettre un bémol : il n’y a pas les catholiques d’un côté et les républicains de l’autre. La situation est plus nuancée avec le ralliement du pape Léon XIII à la République en 1890. » On ne peut évidemment évoquer la presse de la seconde moitié du XIXe siècle sans e

Sa liberté garantie par la loi de juillet 1881, la presse joue un rôle majeur dans la seconde moitié du XIXe siècle. Grâce au développement de l’instruction et du chemin de fer, sa diffusion touche l’ensemble de la population. 4

parler de l’affaire Dreyfus. En 1894, le capitaine Dreyfus est injustement accusé d’espionnage. La France se divise alors violemment entre presse « anti-dreyfusarde » et « dreyfusarde ».

 Quand Zola accuse  Cette ligne de fracture sera surtout révélatrice de l’antisémitisme qui traverse le pays, le capitaine Dreyfus étant juif. Dans cette crise, les journaux se révéleront des acteurs de poids… Ce sera en effet grâce à un célèbre article d’Émile Zola du 13 janvier 1898, dans le journal L’Aurore, que l’« affaire » prendra un tour décisif en faveur de l’innocence de Dreyfus. Ce « J’Accuse…» de Zola sera le symbole d’une presse de « contre-pouvoir » désormais bien installée dans la sphère publique. �

impressionniste normande, à l’Hôtel du Dauphin et d’Espagne du collectionneur Eugène Murer… « L’économie rouennaise, notamment assise sur le négoce du vin d’Algérie et la production textile, doit son développement, à cette époque, aux colonies d’Afrique », confie Yannick Marec.

Repères historiques 1848-1852 : IIe République. Instauration du suffrage universel masculin et abolition de l’esclavage. Coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte qui devient prince-président de la République. 1852-1870 : second Empire. Le Président Bonaparte devient Napoléon III, empereur des Français. 1870 : guerre franco-prussienne. Défaite et capture de Napoléon III par les Prussiens. Perte de l’Alsace-Moselle. 1871 : Commune de Paris. 1870-1940 : IIIe République. 1894-1906 : affaire Dreyfus.

Ruiz (Picasso), Appâts pour hommes, dans Frou-Frou, 1901 « C’est l’un des tout premiers dessins de Picasso, qui signe encore Ruiz pour quelques semaines. On y voit clairement l’influence de Toulouse Lautrec, qu’il admire, et celle de Degas et ses danseuses. On peut noter aussi le cadrage, la position en contre-plongée du peintre. »

La seconde moitié du XIXe siècle est également marquée par l’organisation du mouvement ouvrier. Par la loi du 25 mai 1864, Napoléon III reconnaît aux travailleurs le droit de grève. L’empereur est en effet contraint de trouver « de nouveaux alliés du côté de la petite bourgeoisie et du monde ouvrier par une libéralisation politique et sociale », indique l’universitaire. « Mais à peine la conscience ouvrière apparaît-elle, que le pouvoir s’attache à la faire taire et à la casser. »

Kupka, L’argent dans L’Assiette au Beurre, 1902

Mouvements sociaux et crise financière  Cette période voit également émerger l’« ouvrier spécialisé » avec les nouvelles organisations du travail venues d’Amérique, explique l’historien, « c’est le début du taylorisme, les patrons commencent à intégrer la notion de productivité. » La IIIe République conserve une certaine crainte de l’ouvrier comme le montre la fusillade de Fourmies (1er mai 1891) où la troupe tue neuf personnes. En 1906, la condition des travailleurs reste tout autant tragique comme en témoigne la catastrophe minière de Courrières avec ses 1 200 morts. À mesure que l’économie s’ouvre à la mondialisation, les crises financières internationales se succéderont en effet tous les vingt ou trente ans, dès les années 1840… Spéculations et faillites bancaires en sont déjà les causes. À cette période, les spéculateurs fondent leurs espoirs de revenus rapides et « juteux » sur le développement du chemin de fer, créant des « bulles » qui éclatent en laissant sur le carreau des millions de travailleurs. On le voit bien : le XIXe siècle est porteur des grandes lignes de fracture qui traversent aujourd’hui encore nos sociétés et font encore la une de nos journaux  ! �

Vallotton, La rue, paru dans Le Rire 1898 « Valloton est un très bon dessinateur et graveur sur bois. Il travaille ici à l’encre. Cette scène de rue est intéressante parce que documentaire sur la vie de l’époque : les métiers, les tenues, la rue pavée, la personne handicapée qui se traîne au sol, les réverbères, la religieuse qui encadre les enfants (on est avant l’école laïque) Dans la composition, il s’agit d’un travail très plastique : la bande blanche à droite vient structurer et construire la scène ».

« Kupka présente ici un travail sur le symbole : la puissance de l’argent face à l’homme tout petit, qui lève le poing, se révolte et en même temps est impuissant, parce que seul. L’argent-roi est ici personnifié avec sa couronne, son ventre empli d’or qui enfle, prêt à éclater. À ses pieds, un naufrage : les gens se noient. »

Delannoy Madame Pierre Curie, dans Les Hommes du Jour 1910

« Cette couverture d’un journal anarchiste souligne la place réservée aux femmes dans la société de l’époque. Marie Curie se voit décerner un premier prix Nobel en 1903 (puis un second en 1911) : elle a beau être reconnue, on ne peut la citer sans une référence explicite à son mari. »

Quand le dessin avait bonne presse Dès l’apparition de la presse écrite, le dessin occupe une place de premier rang dans les journaux. De simple illustration, il sera peu à peu élément de « reportage », ou prendra les accents de la satire ou de la caricature…

’est par le fait divers que le dessin apparaît dans la presse écrite, comme l’explique Philippe Bissières, graphistescénographe de l’exposition consacrée aux dessins de presse à l’époque impressionniste : « Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les journaux étaient des feuilles recto-verso à parution épisodique. Ils rapportaient des faits divers horribles. Un même dessin pouvait être repris à quelques années d’intervalle pour illustrer des faits divers différents mais semblables…». Du fait divers

toujours prompt à susciter l’intérêt du lecteur, le dessin deviendra ensuite illustration du reportage écrit, « les scènes sont reconstituées par l’artiste d’après le récit qu’en donne le journaliste. On reconnaissait les

personnages célèbres et le reste découlait de l’imagination de l’artiste… », ajoute Philippe Bissières. Même si la photographie apparaît dès les années 1830, il faut attendre un siècle pour

De la réclame à la pub Dans les années 1880, la presse se développe grâce aux mannes financières de la publicité… À moins qu’il ne faille encore parler que de « réclame ». Liqueurs, lotions pour messieurs et parfums pour dames, biscuits et gaufrettes, etc., la réclame « vante » les mérites réels ou supposés du produit à l’aide de slogans superlatifs et enthousiastes : « Les plus belles violettes du monde ! Parfum exquis, pénétrant et délicat ». Mais de naïf et fleuri, le marketing se fera conquérant avec l’avènement de la publicité, comme en témoignent les campagnes lancées dès 1863 par un produit fécampois bien connu : la Bénédictine avec l’aide d’un autre dessinateur Asfons Mucha. Précurseur dans l’art de la « publicité », la Bénédictine ne « vendra » dès lors plus les qualités de sa liqueur, mais les « valeurs » qu’elle est censée véhiculer… de la même manière qu’aujourd’hui manger un yaourt tient davantage de la thérapeutique ou du soin de beauté que du banal acte alimentaire.

que la photo de reportage gagne sa place dans les médias écrits. Appareils lourds et encombrants, incompatibles avec le traitement du fait divers ou du reportage, la photo souffre également très longtemps d’un manque de procédé mécanique capable de reproduire les clichés sur du papier. C’est en 1880, aux États-Unis, que la première photographie sera publiée dans la presse.

 a photo viendra L plus tard Mais le procédé ne se généralise que bien plus tard… « Les procédés longtemps utilisés pour reproduire les images étaient la gravure sur bois ou sur pierre, reprend le scénographe. Quelques peintres se sont livrés à la reproduction de leurs toiles pour la presse, mais seul Claude Monet est parvenu à inventer et utiliser une technique originale. » � La gazette stéphanaise – 5

Frantisek Kupka, Coq étranger et poules parisiennes (Edouard VII en visite à Paris), dans Le Rire du 31 10 1903. « On voit dans ce dessin la force et la liberté de la caricature. Nous sommes dans un bordel avec la mère maquerelle au bar et le souteneur en bas. En coq, c’est le roi d’Angleterre, en visite officielle est représenté dans un bordel, car il aimait les petites femmes de Paris. »

Renoir, Théodore de Banville dans La Vie moderne 1879 « Renoir est régulièrement publié dans le journal de son frère. Il illustre ici un portrait de poète, Théodore de Banville. On note la grande richesse du dessin qui donne une vie particulière à cette image. On voit qu’il y a quelque chose en plus, une œuvre de peintre. »

Monet, Un moulin à Zandaam (Hollande) dans La Vie moderne 1883 « Nous voyons un dessin de Monet pour La vie moderne, réalisé d’après son tableau. La particularité de ce journal, c’est que les peintres réalisent eux-mêmes le dessin ailleurs confié à des dessinateurs médiocres. De plus, Monet ajoute un grattage sur la plaque de zinc avant l’impression pour donner de la lumière à son tableau. Du coup, l’œuvre publiée est différente. »

La collection Gosselin, quelle histoire ! Plus qu’une accumulation démesurée, la collection de Gérard Gosselin se présente comme un puzzle dont chaque pièce est savamment et patiemment dénichée, chez les antiquaires et marchands. Un puzzle jamais totalement achevé… ’exposition stéphanaise est née d’une passion, celle de Gérard Gosselin peintre stéphanais et grand collectionneur. Il collectionne, dit-il, « tout ce qui touche aux peintres, ce que les peintres font en dehors de leur peinture, dessins de presse  ou affiches, notamment les affiches politiques ». Autant dire qu’il s’agit d’une passion raisonnée, comme une suite réfléchie de son propre travail, puisque Gérard Gosselin, peintre abstrait, a lui-même signé des affiches et des maquettes de journaux. « Dans ce domaine, les peintres ont un regard différent des graphistes. Consciemment ou non, le peintre pense à son œuvre, à sa propre création, malgré la 6

commande », juge-t-il. Sa collection de dessins de presse couvre jusqu’aux années 1950. Une partie a déjà donné lieu à une première exposition, « Picasso et la presse », en 2000, exposition conçue pour la Fête de l’Humanité et qui continue sa carrière dans divers musées européens, à Liverpool, Dresde, Vienne et Berlin. Une collection enrichie dans la perspective de l’exposition par exemple avec le dessin représentant la dégradation du capitaine Alfred Dreyfus. Dans cet esprit, à quelques semaines de l’ouverture de l’exposition, Gérard Gosselin était encore à la recherche d’une Tour Eiffel qu’il finit par dénicher in extremis, dans un exemplaire de L’Illustration du 4 mai 1889… Les journaux, soigneusement rangés dans de grandes boîtes en carton, sont annotés, car le collectionneur effectue des recherches historiques pour les resituer dans leur contexte politique, social, artistique. Cette deuxième exposition donne à voir, de Daumier à Toulouse-Lautrec, toute la richesse de son musée personnel : diversité des artistes qui se sont pliés à l’exercice du

dessin de presse, mais aussi diversité des journaux et des techniques utilisées tout au long de la deuxième moitié du XIXe siècle. Sur tous les aspects, Gérard Gosselin est quasiment incollable. Vous expliquant aussi bien la technique de gravure sur bois debout pour les grands tirages, la place de tel journal dans la société de l’époque, ou les motivations des peintres qui ont fait du dessin de presse.

 oute la richesse T d’un musée personnel « Les peintres dessinaient dans la presse souvent pour des raisons alimentaires, mais certains chez les post impressionnistes, les pointillistes, Paul Signac, Maximilien Luce, Charles Angrand, dessinent beaucoup par conviction dans les journaux anarchistes, détaille Gérard Gosselin. Les impressionnistes ont fait peu de dessins de presse, sauf Renoir qui dessine dans La Vie moderne, où son frère est rédacteur en chef, et qui défendait la peinture moderne.

Plus tard les Nabis théorisent, pour eux l’art est dans tous les domaines, affiches, décors de théâtre, céramique, presse… C’est Vallotton, Ibels, Bonnard ». Cette nouvelle génération s’incarne dans Toulouse-Lautrec qui fit plus de cent dessins de presse, des reportages sur le cirque, des portraits… Mais la collection de Gérard Gosselin se poursuit au-delà : Kupka, Van Dongen, Juan Gris, Marcoussis, Picasso – qui signait Ruiz à ses débuts –, Villon… ces peintres qui devinrent fauves ou cubistes ont aussi dessiné pour les journaux, signe d’une relation décidément suivie entre presse et peinture. �

Le traître, dégradation d’Alfred Dreyfus dans Le Petit Journal 1895 « C’est une image de livre d’histoire : une image neutre, un dessin sans grande qualité, qui remplace une photo, par une représentation anecdotique de la dégradation du capitaine Alfred Dreyfus, accusé à tort de traîtrise. Cette affaire suscite de fortes polémiques dans la presse avec des caricatures très dures, notamment antisémites. »

(suite de la page 1) Tout comme elle a sollicité la plume des grands écrivains pour les plus nobles combats : la Commune de Paris de la Révolution industrielle à la conscience ouvrière irriguées par les pensées de Proudhon, Marx, Lafargue… Les combats, les polémiques, les utopies ne manquent pas. La presse, qui y gagne en 1881 sa liberté, les relate autant qu’elle les alimente, avec toutes ses armes, redoutables pas toujours ragoûtantes : éditoriaux au vitriol, caricature, enquêtes à charge et à décharge.

 es combats, L les polémiques, les utopies ne manquent pas  L’affaire Dreyfus en fournit l’exemple le plus démonstratif. Tourner aujourd’hui, avec le recul, les pages de ces journaux c’est ainsi balayer du regard une période vertigineuse. S’y préfigure le XXe siècle dans ses extrêmes, ses contradictions, sa complexité : progrès technique et industrialisation au service de la guerre comme du confort matériel, volonté d’universalisation des droits de l’homme et expansion

du colonialisme, promotion de la laïcité et montée de l’antisémitisme, héritage de la Révolution française et filiation avec de nouvelles utopies révolutionnaires, internationalisme prolétaire et nationalisme guerrier… Présentés sur leur support d’époque, cette presse à grands tirages portée par les premières rotatives, les dessins de la collection de Gérard Gosselin ne sont pas coupés de leur contexte. Ce n’est pas le moindre atout de l’exposition que de permettre au visiteur d’être non seulement ému par de magnifiques dessins, mais de comprendre. Oui, comprendre : au vu des sujets illustrés ici et de leur résonance dans nos débats actuels, ce n’est pas rien. �

Steinlen, illustrant la chanson La mine Las de souffrir, on se soulève / Un orateur vient et c’est la grève Montre à la société les dents / Mais elle est forte, la mâtine Et ses soldats nous renvoient dans La mine ! « C’est une scène de grève à la mine. Une femme est au premier plan : les enfants ont faim. En face, on voit l’armée. Clemenceau, ministre de l’Intérieur n’hésite pas à faire donner la troupe contre les grévistes, qui parfois tire et tue. La république n’est pas sociale ! »

Infos pratiques De Daumier à Toulouse-Lautrec : le dessin de presse à l’époque impressionniste, 1863-1908 exposition du 5 juin au 30 septembre. • Insa, avenue de l’Université, technopôle du Madrillet | ouverte du lundi au samedi, de 10 heures à 18 heures. Renseignements Tél. : 02 32 95 83 83 Accès A13, A28, Métrobus, bus ligne 27. Tarifs Gratuit pour les Stéphanais, le personnel municipal, les personnels et étudiants de l’Insa, sur présentation de justificatif. • Tarif de base : 5 euros • Tarif réduit (- de 18 ans, étudiants, demandeurs d’emploi) : 2,50 euros • Individuels en visite guidée : Plein-tarif : 5,50 euros • Demi-tarif : 3 euros Visites guidées scolaires (20 euros forfaitaire) •V  isites guidées pour groupe 30 pers maxi. (20 euros + 2,50 euros par pers) • Catalogue : 10 euros, 172 pages

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Directeur de la publication : Jérôme Gosselin. Directeur de la communication : Bruno Lafosse. Réalisation : service municipal d’information et de communication Tél. : 02 32 95 83 83 - [email protected] BP 458 - 76 806 Saint-Étienne-du-Rouvray CEDEX. Conception : service communication. Mise en page : Aurélie Mailly, Émilie Guérard | Rédaction : Isabelle Friedmann, Stéphane Nappez, Nicole Ledroit, Bruno Lafosse. Photographes : Jean-Louis Bellurget, Jérôme Lallier | Distribution : Claude Allain. Imprimerie : ETC, 02 35 95 06 00.

La gazette stéphanaise – 7

Peut-on encore mordre le trait ? Le dessin de presse a joué, au tournant des XIX et XXe siècles, un véritable rôle de critique politique et sociale. Très présent dans la grande presse, il s’est distingué par son impertinence. Un mordant aujourd’hui entamé par le politiquement correct. n bon dessin vaut parfois mieux qu’un long discours. Bien sentis, quelques traits peuvent à eux seuls faire passer une idée. Dessinateurs de presse et caricaturistes savent pointer le crayon là où ça fait mal, sans un mot. Un esprit de synthèse au pouvoir décuplé par leur faculté à faire rire. C’est ce qui fit le succès du dessin de presse, à la fin du XIXe siècle : « Dans une période de fortes bagarres politiques, le dessin permet de défendre des idées, explique Guillaume Doizy, historien d’images. Il est utilisé dans la presse mais aussi sur des cartes postales, des tracts…» Il faut dire que le dessin de presse dispose alors du monopole de l’image. Aujourd’hui, au contraire, « la polémique politique est très affaiblie, note le spécialiste, le mouvement social est très atone et le dessin de presse a moins sa raison d’être, il n’est là que pour commenter. » « En ce moment, la presse est plus consensuelle et plus molle, surenchérit Maurice Smadja co-gérant d’Iconovox, un site qui fournit des dessins de presse. Le dessin est devenu prétexte. » Une nouvelle fonction que les dessinateurs confirment et regrettent : « Le dessin ce n’est plus de l’expression. Je me considère comme un prestataire de service, qui

bouche des trous dans un journal. » À 51 ans, Loïc Faujour qui illustre l’actualité dans la presse municipale (en particulier dans Le Stéphanais) et nationale, est sans illusion sur la liberté dont il dispose. « Ça n’existe presque plus, à part quelques journaux satiriques, plus personne ne veut prendre de risques. » Mais de quels risques parle-t-on ? Celui de la censure ? Celui des procès ? À écouter les dessinateurs, le politiquement et l’économiquement correct ont pris le pouvoir dans les rédactions : « Il m’est arrivé pour un journal de Seine-Saint-Denis qu’on me demande de rajouter un noir sur mon dessin », donne pour exemple Loïc Faujour. Ou encore « de supprimer une batte de baseball, considérée comme une incitation à la violence. » Sans compter le vocabulaire des bulles qu’il faut sans cesse polir, ou encore le poids des pressions économiques : « Les canards dépendent des annonceurs, explique Maurice Smadja, et même si le comité de rédaction n’a rien contre un dessin, ce sont les actionnaires qui peuvent le refuser. » Face aux menaces de représailles, et d’amendes à payer en cas de perte d’un procès, les dessinateurs avouent s’autocensurer.

Peur de choquer Communautés religieuses, pouvoir économique, réactions politiques… le dessin de presse a-t-il vraiment perdu ses marges de manœuvres ? D’après Guillaume Doizy, la comparaison avec l’âge d’or du dessin de presse n’est pas si simple : « Les dessins de Daumier souffraient de la censure officielle, de la censure d’État, explique le spécialiste, alors qu’aujourd’hui la liberté d’expression est largement reconnue, les dessins les plus impertinents, s’ils font du bruit

dans les médias et sur la toile, sont rarement attaqués en justice. » En témoigne l’agitation récemment provoquée par un dessin de Plantu dans Le Monde sur la pédophilie dans l’Église. Quant au journal Siné hebdo, qui a récemment mis la clé sous la porte, il n’a eu aucun procès en 86 numéros, malgré une ligne volontairement subversive. Enfin, quand il y a procès, ils sont majoritairement perdus par les attaquants. Le retentissant procès dans l’affaire des caricatures de Mahomet s’est

par exemple fini par une relaxe de Charlie hebdo. L’autocensure, en amont de la publication, serait finalement dictée, d’après Guillaume Doizy, par la peur de choquer et donc de perdre des lecteurs : « Dans un contexte général de dépolitisation, comme le montre la faible fréquentation des sites de caricatures, les lecteurs ont moins envie d’un commentaire satirique. » Les ventes des quotidiens sont d’ailleurs moins bonnes quand la « une » est dessinée…�

Les arts plastiques ont droit de cité Depuis plus de cinquante ans, la Ville de Saint-Etienne-du-Rouvray mène une politique volontariste pour permettre aux artistes d’exposer et aux Stéphanais de découvrir. Au fil du temps, la Ville a aussi acquis une collection d’œuvres d’art unique pour une ville de 28 000 habitants.

tions et commissaire de l’exposition sur le dessin de presse, avec pour idée que les enfants, les habitants, les personnels de la Ville baignent dans un milieu d’art contemporain. »

ans le hall de l’hôtel de Ville, un vitrail très coloré de Daniel Coat attire le regard. Au collège Louise-Michel, c’est une mosaïque de Ladislas Kijno qui a été préservée. Dans le parc Henri-Barbusse, devant l’espace Georges-Déziré ou encore sur le parcours du métro, de nombreuses sculptures s’intègrent au paysage ; dans les écoles, les cantines, les bureaux municipaux, partout des œuvres d’art contemporain illuminent les murs. « Depuis plus de cinquante ans, la Ville achète des œuvres, explique Martine Thomas, chargée de la gestion des collec-

C’est ainsi que depuis l’acquisition d’une lithographie de Jean Lurçat, au début des années 1960, jusqu’à l’achat d’œuvres d’art urbain, lors de l’exposition Poska Nostra l’an dernier, la Ville s’est constituée une collection de quelque cinq cents œuvres dont la diversité est à l’image de la création plastique des cinquante dernières années. « Depuis que la ville est de gauche, insiste Jérôme Gosselin, adjoint au maire chargé de la culture, il y a toujours eu cette volonté de permettre l’accès de tous à la culture et de considérer que l’art contemporain fait partie de la culture au même titre que la musique, la danse ou la lecture. »

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 a culture L à portée de tous

Au début, cette position était assez novatrice, seuls les musées achetaient des œuvres d’art. « D’ailleurs, dans la région, dans les années 1960-1970, l’activité picturale avait lieu à Saint-Etienne-du-Rouvray, indique Jérôme Gosselin. Les premiers originaux de Picasso ou de Fernand Léger, exposés dans la région, l’ont été dans la salle des mariages de Saint-Étienne. » Car non seulement la Ville achète des œuvres, mais en plus elle soutient la création et encourage l’organisation d’expositions. « Depuis 1964, l’action de l’union des arts plastiques de Saint-Etienne est soutenue par la Ville, témoigne le peintre Argatti, président de l’UAP. C’est une excellente collaboration qui a permis l’organisation de très nombreuses expositions. » Avec chaque année des invités de renommée nationale et internationale, et la production de sérigraphies qui ont contribué à faire vivre une tradition plastique dans la ville et à alimenter les collections municipales. Grâce à la convention signée

entre l’UAP et la Ville, l’association stéphanaise a subsisté, alors qu’ailleurs en France, les autres antennes de l’UAP, un mouvement issu de la Résistance, ont disparu. Depuis cinquante ans, les différentes équipes municipales ont ainsi veillé à soutenir les artistes et à maintenir la culture des arts dans la ville, pour offrir au public diversité et qualité. Un pari audacieux et exigeant, jamais remis en cause, à l’heure où tout pousse à baisser le niveau d’exigence. �