XY XXY XO XX

fonctions mâle et femelle ? Pour répondre juridi- ... masculin (déficit en 5-alpha). Aspect féminin ou ... le sexe (XX pour la femelle, X pour le mâle). L'environne-.
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Science & société

Tendance

Quand la science redéfinit l’opposition entre les sexes

La dichotomie homme-femme n’est pas récente. Or, si l’opposition des sexes semble bien ancrée, la science propose aujourd’hui un nouveau regard : loin de s’opposer, les sexes forment en réalité une espèce de continuum biologique, où toutes les identités sexuelles sont possibles. De quoi redéfinir masculin et féminin.

C’

XY XXY XO XX 48 %

Féminin typique

0,16 %

1 %

env. Anomalie des organes génitaux Testicules invisibles, petit pénis

Syndrome de Klinefelter Testicules réduits, glandes mammaires

?

Pseudo-hermaphrodisme masculin (déficit en 5-alpha) Aspect féminin ou ambiguë, masculinisation à l’adolescence

0,005 % Syndrome d’insensibilité aux androgènes Aspect féminin Pourtant, du côté de la recherche scientifique, on constate que loin de s’opposer frontalement selon deux pôles séparés et autonomes, le masculin et le féminin se dessinent désormais plus comme une large palette de situations. L’état de la

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2016

2017

L’Allemagne autorise les personnes intersexes à ne pas renseigner le champ relatif au sexe sur les formulaires administratifs.

La ville de New York délivre le premier certificat de naissance portant la mention “intersexe”.

La justice française refuse la mention “sexe neutre” à un homme intersexe qui la demandait.

44 I SV I A V R I L I 2 0 1 8

48 %

Masculin typique

science évoque, en réalité, davantage une continuité biologique qu’une rupture stricte entre différents groupes sexuels. Un vrai changement de perspective sur les sexes, loin des deux ou même trois cases reconnues selon les lois ! Ce nouveau paradigme s’explique d’abord par le fait que les humains ne sont pas déterminés par une seule définition du sexe, mais par plusieurs, dans lesquelles interviennent la génétique, l’anatomie, l’action des hormones ou encore le psychique. Et ces

différents prismes se superposent les uns aux autres. Pour comprendre, il faut remonter un instant le fil des différents processus à l’œuvre dans la fabrique du sexe.

DES ERREURS DE DIVISION CELLULAIRE

OWEN GENT/COLAGENE

est bien connu, les êtres humains se divisent en deux catégories : les hommes et les femmes. Les premiers répartissent leur génome dans d’innombrables petites cellules faciles à disperser (les spermatozoïdes), tandis que les secondes le placent dans de gros œufs rares (les ovules). Les premiers possèdent un chromosome X et un Y, un pénis, deux testicules, et sont imbibés de testostérone. Les secondes disposent de deux chromosomes X, d’un vagin, d’ovaires et d’œstrogènes. Deux catégories parfaitement identifiées et distinctes. Mais comment expliquer les 1 à 2 % des naissances qui n’entrent pas dans ces catégories ? Comment s’expliquer que certaines personnes naissent sans l’équipement mâle

alors qu’elles possèdent un chromosome Y, ou que des jeunes filles se masculinisent tout à coup à l’adolescence ? Et que dire des individus dotés à la fois de fonctions mâle et femelle ? Pour répondre juridiquement à ces situations, de plus en plus de pays ajoutent une troisième case en plus de “homme” ou “femme” sur les papiers d’État civil : Allemagne, Pays-Bas, Australie, Inde, Thaïlande, Malaisie, Nouvelle-Zélande… Ce n’est pas le choix de la France. En 2017, la Cour de cassation n’a pas validé la demande de reconnaissance du “sexe neutre”. Selon l’autorité juridique, l’indication obligatoire du sexe masculin et féminin “est nécessaire à l’organisation sociale et juridique” et “la reconnaissance par le juge d’un sexe neutre aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes”.

Premier acte : la fécondation. En fonction du spermatozoïde qui aura réussi l’exploit de pénétrer dans l’ovule de notre mère, on hérite soit d’un chromosome X soit d’un chromosome  Y. Enfin, normalement. Car il arrive que des

PAR LISE BARNÉOUD

0,04 %

Syndrome de Turner Aspect féminin mais développement incomplet des ovaires

4 profils génétiques avec de subtiles variantes Les chromosomes X et  Y déterminent le sexe des individus mais ne disent pas tout de leur identité.

erreurs surviennent durant la division cellulaire. Si les deux chromosomes sexuels ne se séparent pas, on peut alors se retrouver avec trois, voire quatre chromosomes sexuels (le cas le plus fréquent est XXY, appelé syndrome de Klinefelter), ou à l’inverse avec un seul (le cas le plus fréquent étant X0, ou syndrome de Turner). Deuxième acte : la grossesse. C’est là que se met en place notre sexe anatomique et hormonal. Au début, il n’y a aucune différence entre un embryon

XX ou XY. Ce n’est qu’à partir de la 5e semaine de grossesse que nos organes génitaux commencent à se différencier. D’abord les voies génitales internes, puis les gonades (ovaires ou testicules) et enfin les organes génitaux externes (clitoris ou pénis), vers la 9e semaine. L’ensemble de ces processus est contrôlé par des facteurs génétiques et hormonaux complexes, selon une chronologie très précise. Or, qu’un gène ne s’active pas au bon moment, qu’un organe ne parvienne pas à produire

1 %

env. Anomalie des organes génitaux Clitoris hypertrophié, fusion des lèvres

0,01 %

Hyperplasie congénitale des surrénales Aspect masculin

telle hormone ou en produise trop, voire qu’un récepteur hormonal dysfonctionne, et nous voilà face à un ensemble de formes sexuées intermédiaires. Pendant longtemps, le regard de la science sur ces processus s’est trouvé biaisé par l’idéologie patriarcale dominante. “On a longtemps pensé que la formation des organes sexués féminins était le développement par défaut”, retrace Joëlle Wiels, biologiste cellulaire au CNRS. Dans les années 1980, les progrès en génétique ont A V R I L I 2 0 1 8 I SV I

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en effet permis d’identifier un gène, appelé SRY, localisé sur le chromosome Y, qui semblait responsable de l’ensemble du développement mâle. De fait, si l’on transfère ce gène chez des embryons de souris femelles XX, certaines naîtront avec des testicules. À l’inverse, si l’on empêche ce gène de s’exprimer chez des embryons mâles, ils naîtront comme femelles. Les femmes ne deviendraient donc femmes que lorsqu’il leur manque ce gène. Par défaut, en quel­ que sorte… Une vision très masculine du “sexe faible”, qui tombera quelques années plus tard, “lorsque les biologistes commenceront à s’intéresser au mécanisme de développement des ovaires”, poursuit Joëlle Wiels. De fait, la découverte de différents gènes essentiels au développement du “programme féminin” portera un coup fatal à l’hypothèse d’un programme par défaut. Autre découverte relativement récente : on pensait que toutes nos cellules portaient le même programme génétique, mais en réalité, nombre d’entre nous

Tendance

Comment la biologie construit les sexes

Le sexe légal Enregistré par l’état civil d’après le sexe anatomique au moment de la naissance. Dans la plupart des pays, il n’existe que deux possibilités : fille ou garçon. Mais de plus en plus de pays acceptent d’autres possibilités : sexe “indéterminé”, “neutre” ou “non binaire”.

AU COURS DE LA FÉCONDATION Le sexe chromosomique Déterminé par les chromosomes sexuels au moment de la fécondation. En théorie, les filles héritent de deux chromosomes XX et les garçons des chromosomes X et Y.

sommes des chimères qui s’ignorent, constituées à la fois de cellules XX et de XY ou X0. Des chercheurs américains n’ont-ils pas découvert, lors d’analyses post-mortem, que 63  % des femmes possédaient des neurones XY dans leur cerveau ? Étonnantes, ces situations peuvent s’expliquer par des erreurs survenant durant les divisions des premières cellules de l’embryon, par des

THIERRY HOQUET Philosophe de la biologie

Les sexes sont en fait innombrables ; la bi-catégorisation ne survit que parce que nos institutions la renforcent 46 I SV I A V R I L I 2 0 1 8

À LA NAISSANCE

PENDANT LA GROSSESSE

PENDANT L’ENFANCE ET L’ADOLESCENCE Le sexe psychique Déterminé par l’identité sexuelle, c’està-dire le sexe tel qu’il est vécu par la personne. Les transgenres ressentent par exemple un décalage entre leur sexe anatomique/chromosomique/hormonal et ce sexe psychique.

Le sexe anatomique

Le sexe hormonal

Le sexe libidinal

Déterminé par l’appareil génital interne et externe. En théorie, les filles possèdent un utérus, des ovaires, des trompes, ainsi qu’un vagin et un clitoris, alors que les hommes sont dotés de testicules, de canaux déférents, d’un scrotum ainsi que d’un pénis.

Déterminé par les hormones, leur niveau de sécrétion et leurs effets via les récepteurs. Il existe des hormones dites féminisantes (œstrogènes) et des hormones dites masculinisantes.

Définit l’orientation sexuelle. On considère généralement quatre catégories : l’hétérosexualité, la bisexualité, l’homosexualité et l’asexualité. Des catégories poreuses qui peuvent évoluer au cours de la vie.

échanges de cellules entre fœtus jumeaux, ou par des échanges d’ADN entre la mère et son enfant à travers le placenta – une étude a montré que 50 % des garçons conservent des cellules XX de leur mère, même à plus de 40 ans ! À cela s’ajoutent d’éventuelles perturbations externes durant la grossesse pouvant également bouleverser les processus de fabrication du sexe : des médicaments ou une exposition à des produits chimiques susceptibles de mimer certaines hormones (les fameux perturbateurs endocriniens). Et même hors du ventre de la mère, les différentes composantes de notre sexe ne sont pas fixées pour de bon. Des mutations génétiques peuvent par

exemple empêcher la virilisation des fœtus “mâles”, qui naissent alors sous une apparence féminine. Mais à l’adolescence, face à l’afflux de testostérone, ces personnes souvent élevées comme des filles se masculinisent (pilosité, mue et même croissance d’un petit pénis et descente des testicules). En République dominicaine, où de telles mutations génétiques sont plus fréquentes qu’ailleurs, on surnomme ces enfants les “guevedoces”, ce qui signifie “pénis à 12 ans”.

ÉCHANGE D’ADN Enfin, quand bien même les sexes anatomique, génétique et hormonal coïncident parfaitement d’un côté ou de l’autre, cela n’induit pas nécessai­ rement une identité sexuelle cohé­

J.PANCONI - SHUTTERSTOCK

Science & société

rente. Comme le montre le vécu des personnes qui ressentent un décalage avec leur sexe biologique depuis le plus jeune âge. “Nous savons, avec les individus XY insensibles à la testostérone, que les hormones sont déterminantes non seulement pour les caractéristiques sexuelles du corps mais aussi du cerveau, car ces personnes se sentent femmes. Nous faisons donc l’hypothèse que ces hormones influencent une différenciation sexuelle de certaines parties du cerveau. Des expériences chez l’animal semblent le confirmer. Dès lors, il est possible que les enfants transgenres qui expriment une identité sexuelle opposée à celle de leur anatomie aient été exposés, durant leur vie

fœtale, à une imprégnation hormonale différente des autres”, développe ­Julie Bakker, du laboratoire de neuroendocrinologie de l’université de Liège. En étudiant par imagerie cérébrale la réaction à l’androstadiénone –  une molécule olfactive qui déclenche une réaction instinctive au niveau de l’hypothalamus bien différente entre les hommes et les femmes –, cette biologiste a notamment montré que les transgenres adultes répondent de manière opposée à leur genre biologique, comme si “certaines fonctionnalités de leur cerveau s’étaient différenciées vers le genre vécu”, concluent les auteurs. Au-delà de ces explications biologiques, d’autres spécialistes soulignent l’importance des

facteurs éducatifs et sociétaux dans la constitution de notre identité sexuelle. “Les sexes ne sont pas deux, ni trois, mais innombrables, affirme le philosophe de la biologie Thierry Hoquet. La

bi-catégorisation ne survit que parce que nos institutions la renforcent. Mais il est temps d’aller au-delà de cette dichotomie.” Temps de refonder la guerre des sexes sur d’autres bases ?

Et chez les animaux, ça se passe comment ? Chez l’animal aussi, une grande diversité de facteurs influencent la détermination du sexe. La génétique, bien sûr, mais pas toujours via les chromosomes XY. Chez le campagnol, c’est le nombre de chromosomes qui définit le sexe (XX pour la femelle, X pour le mâle). L’environnement, ensuite : chez certaines femelles tortues et crocodiles, la température d’incubation des œufs à certaines périodes précises favorise l’un ou l’autre sexe. Plus bluffant encore : des espèces changent de sexe en fonction de facteurs extérieurs. Les daurades vivent par exemple en petites colonies constituées d’une femelle dominante en couple avec le plus grand mâle. Si cette femelle disparaît, son compagnon se transforme en femelle ! A V R I L I 2 0 1 8 I SV I

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