Yi Fan, sur le fil de l'absurde

Sa différence, Ignacio la cultive. Il aime jouer avec les mots, détour- ner les objets, mêler le cirque au théâtre. Il ra- conte, non sans humour : « J'ai commencé le.
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Yi Fan, sur le fil de l’absurde

portrait

L’artiste espagnol Yi Fan, de son vrai nom Ignacio Herrero, mêle avec agilité équilibres circassiens et théâtre. Après avoir joué son spectacle “En criant sans trop faire de bruit” en France, en Espagne et à Cuba fin 2014, il est de retour en résidence à Toulouse. Portrait d’un artiste farfelu en constante création.

« Regarde, c’est là qu’on fabrique les nuages de Toulouse ». Au volant de son camion bringuebalant, en route pour la résidence artistique où il s’entraîne chaque jour, Ignacio Herrero pointe du doigt une centrale fumante de traitement des déchets. Dans la tête de l’artiste, des détritus réduits en fumée deviennent des cumulo-nimbus, comme une table trouvée chez Emmaüs peut se trouver propulsée en objet d’équilibre. Equilibriste, il prend aussi plaisir à inventer des histoires tantôt poétiques, tantôt absurdes. C’est pour ça qu’en Chine, où il a suivi une formation, ses congénères l’ont baptisé Yi Fan, le différent. Sa différence, Ignacio la cultive. Il aime jouer avec les mots, détourner les objets, mêler le cirque au théâtre. Il raconte, non sans humour : « J’ai commencé le théâtre à 5 ans, dans le rôle d’un arbre. Mes premiers mots sur scène n’étaient pas beaucoup plus développés… ‘Cocorico’ : Je jouais un coq. C’est là que j’ai découvert l’importance de la simplicité ». Et qu’il a pris goût au spectacle. Le cirque, une échappatoire à l’ennui Le cirque ? Il est tombé dedans comme il aurait pu tomber dans la drogue. « Ou dans le flamenco », sourit cet Espagnol originaire d’un quartier de Madrid, surnommé le Bronx madrilène. « Il n’y avait aucune infrastructure pour les jeunes. J’ai commencé à faire des équilibres sur les bancs, par ennui. Un jour, je suis allé à l’Ecole du cirque. C’est vite devenu ma vraie maison ». À 17 ans, il joue au festival de rue d’Edimbourg le spectacle qu’il a monté avec un ami : leur duo séduit. Ignacio décide d’en faire son métier. Il collabore avec plusieurs compagnies. C’est en 2009 qu’il crée son premier spectacle seul. Il se produit alors dans de nombreux festivals autour du monde, toujours dans la langue du pays : « En Corée, j’avais fait traduire mon texte en coréen et je l’avais appris par cœur, sans comprendre. C’était émouvant de voir que les gens riaient, comprenaient ce que j’étais en train de dire ». Une vie bohème Malgré le succès, Ignacio Herrero reconnaît qu’à 34 ans, il a encore le niveau de vie d’un étudiant. Il réinvestit tout l’argent qu’il

gagne dans ses nouveaux projets. Pour financer son matériel, pour payer toutes les personnes qui collaborent avec lui, mais aussi pour inviter ses amis  : « L’argent, c’est une forme d’énergie qui doit circuler. Ca ne sert à rien si on ne le partage pas ». Tant pis si pour cela, il doit se priver d’un certain confort. Pas de micro-ondes, pas de télé, un appart’ bon marché... Il transforme les anecdotes de sa vie bohême en histoires. « Cette nuit, j’ai beaucoup écrit. Je raconte que chez moi, il fait tellement froid qu’un ami m’a suggéré de garder les aliments dans l’appartement et de réserver le frigo à mes chaussettes  ». Ce drôle de M. Loyal à la veste en tweed rapiécé, dénichée dans une friperie, résume  : «  Dans mes spectacles, j’essaie toujours de chercher quelque chose de vrai et de le déguiser avec des petits mensonges ». Et parfois, le public tombe dans le piège  : « Comme cette fois où j’ai parlé de de la mort de mon père. J’ai inventé que petit, j’étais la risée de la récré et que tout le monde m’appelait Bambi. Dans le public, des gens ont été si touchés qu’ils sont venus me voir à la fin  ». Clémentine Delarue (3246 signes)